Danielle Terrien, L’âge du regard, dessin de Marie Alloy

J’aime en ce moments les formes courtes. Foin des bavardages enthousiastes, des fastidieuses illuminations toujours entachées de bondieuseries, des élans qui s’évaporent dans le firmament.

J’aime que chaque mot compte, que chacun d’entre eux soit un objet de méditation. Voilà pourquoi, d’abord, j’aime L’âge du regard de Danielle Terrien. Dans ce poème elle file en sourdine la métaphore d’un mythe ancien. Voilà ce qu’elle nous propose :

Lire entre les lignes
Voir dans les silences :
Entendre sa voix

Tel est son art poétique, qui nous invite à sous-entendre. Donc entre les lignes je lis :

Danielle Terrien, L’âge du regard, dessin de Marie Alloy, Cahiers du Loup bleu, éd. Les Lieux-Dits, 2024, 7 €.

Dans une première partie titrée Infinitifs, qui est une scène d’exposition, Thésée tue le Minotaure dont le sang colore la mer, il s’embarque, délaissant Ariane qui l’avait par amour guidé dans le labyrinthe.

Dans la partie L’âge du regard 1, le Minotaure est amoureux de la voix d’Ariane, Thésée tient son fil entre ses doigts.

Dans la partie L’âge du regard 2 : le Minotaure pleure l’amour d’Ariane, il sait que Thésée au beau visage le vaincra, il l’accepte, lui qui souffre de sa bestialité...

… Mais voilà que je tente de pister, à la manière de Charles Mauron, les métaphores obsédantes de l’auteure au lieu de laisser agir sur moi le poème… serai-je atteint du mal universitaire ? Ou d’une curiosité malsaine qui me conduirait à interroger Danielle Terrien : quelle est cette histoire d’amour impossible ? Cet amant bestial sacrifié ? Ce beau ténébreux volage ? Cette Ariane abandonnée ? Quel événement est à la source du drame ? Qui furent les protagonistes anciens qui, tels Pasiphaé et le taureau blanc, pratiquèrent un monstrueux accouplement ?

…  au lieu de laisser agir sur moi le mystère du poème, alors que  c’est ce mystère qui m’a attaché à sa lecture. Qu’on en juge, s’il vous est possible de capter l’impalpable :  

1

Rouge
le sang
éclabousse le bleu
jusqu’au lointain rivage.

2

Remontant les marches 
brûlées de soleil
le sacrifice
encore visible
dans les vagues.

Tout est dit, comme rien. Tout est vu, perçues les couleurs, la chaleur, les vagues… Leur présence reste intacte, brute, hors du temps. Tel est le miracle du poème, qui parfois oublie la gratuité du signe (puisqu’on sait que le mot ne réfère pas à la chose dé-signée). Qui serait comme une pierre remontée du noyau d’une terre :

Mourir encore une fois
afin que l’écrit vive.
Écrin granitique
surgi du souterrain.

Je pourrais répéter le poème en entier, comme si le dire et le redire renouvelait à chaque fois le miracle.  

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Antonia Pozzi, Un fabuleux silence

 Voix majeure de la poésie italienne, Antonia Pozzi (1912-1938) est aujourd’hui publiée intégralement en France grâce à une traduction de Thierry Gillyboeuf chez l’éditeur Arfuyen. Voici après La vie rêvée (Arfuyen, 2016), la deuxième partie de son Journal de poésie, publiée sous le titre Un fabuleux silence et couvrant la période 1933-1938.

Si l’on devait résumer en deux mots le contenu de l’œuvre poétique d’Antonia Pozzi, on dirait « Montagne » et « Amour » (mais un amour désespéré). La montagne parce que la poétesse italienne lui a voué un véritable culte. Fidélité à l’enfance, elle qui connut ses premiers émois d’alpiniste à partir du village de Pasturo, dans la vallée de Valsassina, non loin du lac de Côme, où sa famille avait une résidence. On la découvre ainsi, dans ses poèmes, ardente arpenteuse des Dolomites où elle trouve un véritable refuge spirituel. « Oh ! Les montagnes/ombres de géants, / comme elles oppriment/mon petit cœur ».

La montagne, donc, mais aussi l’amour (coup de foudre) qu’elle portera très tôt – elle n’avait que 15 ans – à son professeur de latin et de grec, Antonio Cervi, de quatorze ans son aîné. La liaison prendra fin en 1934 sous les coups de boutoir d’une famille peu disposée à accepter ce genre de liaison. « Tu étais le ciel en moi/le grand soleil qui transforme/en feuilles transparentes les mottes de terre », écrit Antonia Pozzi dans un poème du 11 novembre 1933. « Je ne verrai donc plus jamais tes yeux/purs comme je les vis/le premier soir, blonds/comme des cheveux – et clairs/comme de faibles lampes ».

Ce chagrin amoureux sera-t-il à l’origine de sa tentative de suicide par barbituriques les 2 décembre 1938 ? On peut le penser quand on la découvrit inconsciente dans un fossé de la banlieue de Milan. Elle devait mourir le lendemain et fut enterrée dans le petit cimetière de Pasturo.

Antonia Pozzi, Un fabuleux silence, Journal de poésie, 1933-1938, édition bilingue, Arfuyen, 275 pages, 22 euros.

En présentant ce Journal de poésie d’Antonia Pozzi, Thierry Gilliboeuf fait opportunément le lien entre cet amour contrarié et l’appétit qu’elle avait pour les versants abrupts. « Antonia Pozzi, écrit-il, avait fait de la montagne un refuge spirituel où il lui était possible de s’affranchit d’un monde où la place qu’elle recherchait lui était toujours refusée ».

Des poètes italiens, parmi les plus grands, et notamment Vittorio Sereni et Eugenio Montale ne manqueront pas de souligner la force et l’originalité d’une œuvre placée sous le signe de la limpidité, de la pureté et probité d’esprit.

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Claudine Bohi, Je cherche un enfant

Que penser des sociétés dont les structures sociales, qu’elles soient économiques, culturelles, ou encore religieuses, permettent que soient maltraités les enfants ? Je laisse la question en suspens et je reviens sur la première page du livre écrit par Claudine Bohi que les peintures sensibles de Germain Roesz accompagnent en proposant des images où l’on retrouve l’enfance, ses couleurs, mais aussi des nuages pleins de neige. 

Je lis : « Je marche dans la neige et je cherche un enfant ». On le sait, la neige revient souvent dans les écrits de Claudine Bohi. On se souvient de Une saison de neige avec thé, (paru aux Éditions Le Dé bleu), on se souvient surtout de L’Enfant de neige, paru en 2020 aux éditions L'herbe qui tremble. Encore une fois Claudine Bohi fait appel à la neige, matière blanche virginale, symbole de candeur, mais qui recouvre, enfouit, cache, et bien que substance capable de faire isolant, elle est froide, humide, elle est aussi linceul, drap d’hôpital. Pourtant on peut aussi imaginer la neige comme une page blanche où les empreintes de pas de l’autrice font figure de mots et finissent par inviter à lire une parole.

Claudine Bohi, Je cherche un enfant, éditions les Lieux Dits-collection bas de page. Peintures de Germain Roesz.

Et pourquoi chercher un enfant ? Quel enfant ? N’importe lequel ? Celui que nous avons été et qui continue de vivre en nous ? Celui que nous avons trahi ? Celui que nous avons accompagné en tant que parents ? Celui qu’on nous a confié à l’école ? En colonie de vacances ? En crèche, en garderie ? Celui avec lequel nous avons parfois tant de mal à nous connecter une fois arrivés à l’âge dit adulte, un âge qui nous fait traverser quelques drames personnels inévitables, sinon des drames collectifs. « Les guerres rassemblent leurs petits dans la même douleur » nous rappelle Claudine Bohi. Et immédiatement surgies de nos mémoires les images d’enfants déportés, envoyés dans des pensionnats pour amérindiens, poussés sur les routes de l’exil pour échapper à un génocide,  ou encore à Auschwitz … ceux qui étaient dirigés vers la chambre à gaz traversaient une étendue de neige … neige de cendres et de flocons mêlés. Claudine Bohi ne veut pas, ne peut pas oublier combien d’enfants ont souffert, souffrent, lors des conflits auxquels ils ne comprennent rien, et puis jusqu’à quel point un enfant peut vivre dans la peur, la terreur, le traumatisme et l’incompréhension ? Quelles sociétés sont donc celles qui ne sont pas capables de protéger leurs enfants ? Qui sont capables de sacrifier les enfants au nom d’une raison d’état, au nom d’un dieu, au nom de la loi du plus fort, au nom du patriarcat, au nom d’une supposée loi naturelle … ?

« Je cherche un enfant brisé » écrit Claudine Bohi comme une évidence, comme si on en venait toujours à cette conclusion qui rebondit à la page suivante : « je cherche un enfant tout au fond de moi-même ». Un enfant dans le sombre, où il se cache, où il se terre. Mais il a laissé des empreintes dans la neige, figure de son innocence violée, cette enfant excisée, mariée de force, cet enfant universellement perdu que la vie, comme on dit, que le pouvoir mal exercé devrait-on dire, jette sur les routes de l’exil, dans le champ de tir de snippers ou de canons ou de bombes, sur des embarcations de fortune, pour finir noyé, échoué sur des plages en pays étranger qui n’accueille pas, qui rejette, qui enferme en des centres de rétention qui n’ont rien à voir avec une résidence secondaire. Claudine Bohi amorce cette marche dans la neige sur la page afin de secourir toutes les petites filles et les petits garçons aux allumettes du monde qui « tremblent » à cause du manquement de tous et de chacun, trop faible, trop lâche, trop perdu, trop indifférent, trop égoïste ou hypocrite, trop cynique et Claudine Bohi le dit bien : « personne n’est innocent ». Au final, c’est une multitude d’enfants, de petits Mozart qu’on assassine. Il faudrait se souvenir et citer leurs noms, petits martyrs de la folie ou de la perversion des humains incapables de construire un monde où les enfants ne seraient plus les victimes d’adultes inconscients ou indifférents au mal qu’ils font, et qu’ils se font parfois aussi, en ne voyant pas comme ils compromettent leur propre bonheur en refusant aux enfants leur droit à l’insouciance, à l’amour et à la protection. Aucun espoir n’est possible s’il n’y a pas d’espoir en nos enfants, il n’y a d’espoir qu’en la lumière de leurs yeux quand ils sont heureux.

Un « petit » livre discret mais fort comme c’est toujours le cas des livres de Claudine Bohi, un livre qui résonne avec l’actualité la plus récente et le lecteur ne peut faire à la fin qu’un seul constat : l’humanité a-t-elle vraiment fait des progrès en matière de bien-être de ses jeunes ?

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Etienne Paulin, Le Bourriquet Vlan-Vlan, Jacques Reda, Le Trot-du-renard

Les étoiles filées d'Etienne Paulin

Entre passagers et passages du destin. L'auteur parle au besoin de dorures et de malfaçons et il est avant tout manique avec un accent aigu moins de la dérision sue l'humour sous cape.

Par exemple un arbitre a quittté le rectangle vert pour des monuments funéraires. Le réel a battu les cartes, de l'arènevtant il a perdu et vigueur et audace. Pour autant les natures dites mortes sont rares dans ce livre là où des versions voire même par défaut sont emportés sous un swing qui devient le vecteur d’harmonie d’un ensemble a priori disparate.
Un tel opus ne peut pas laisser indifférent : un tel voyage vaut le détour. Il est euphorisant et paradoxal par rapport à la poésie banale et vade mucum. Un tel style est impeccable et fait d'un tel oiuvrage un véritable ovni.
A partir de l'orange jusqu’àu canasson repus dans un pré mousseux (de peinture) tout devient double, euphorisant. Même l'absence au besoin prend une réalité. D'autant que des choses et être vus Etienne Paulin tranche et qui plus est étonne. 
Tout idée, après tout de ce qui pourrait rester des procès verbaux sont rafistolés au fil d’où de l'imaginaire. Bref ici nous touchons du doigt le réel différemment. Quitte à le coincer dans une bielle a&vant qu'avec les autres il peut préparer des gaufres à fon marin quitte à les transformer en contes ou odes.
Le réel est donc toujours en fuite, mais ici il n'est jamais dans le silence et ne connaît pas les vacances. Pas plus qu'un tel auteur connaisse ne l'oubli. Il a dû apprendre la musique. Pas n'importe laquelle : celle du verbe là où l'existant (même mort) n'est jamais émondé .
Etienne Paulin, Le Bourriquet Vlan-Vlan, Les écrits du Nord, Editions Henry, 2024, 80 p., 13 €.

∗∗∗

Jacques Reda en derviche

Surprise : Jacques Réda joue ici le mélomane là où, et pour cause, la question du rythme est essentielle. Elle ne se limite pas ici à la musique classique et officiel. Pour preuve – et non ici sans ironie (dont l’auteur est spécialiste) - : le Trot-du-Renard.

Il garde encore son importance puisque saisissant l’opportunité de nous rappeler que la Terre, sphérique et tournoyante, il  "n’en est pas moins comme un boulevard, certes accidenté, qui se déroule plutôt sous nos jambes et n’a d’autre fin brutale que notre propre épuisement". 
 
D’autant que, plus généralement, la valse est une preuve et une démonstration. Avec elle  « nous vivions dans une immense salle de bal où la Gravité fait en effet valser toute une population de corps célestes et autres, étroitement enlacés ». Dès lors et ici le rythme est cosmique. Selon Réda il dirige tout :  des atomes aux grandes figures astrales. Bref le mouvement de l’univers est une scansion. 
Dès lors our les bipèdes terrestres que sont les hommes, la danse, profane ou religieuse qui est célébré et libère les corps. Du  fox-trot du Jazz, des envolées de la valse, des acrobaties du Hip-hop et des cadences battantes du Rock, Réda rappelle que comparables aux vers des poètes, la danse reste de l’ordre du sacré là où dans de tels rites l’élémentaire et le naturel sont restés toujours présents et évolutifs. Face au progrès scientifique et aux hauts rendements des êtres, sous chacun de leur pas se révèle un principe premier et absolu  de l’existence.
Il y a là pourtant un véritable retour au premiers temps selon une ironie et une virtuosité exceptionnelle. L’auteur fait resurgir de manière volcanique, ample et dérisoire au sein des danses une approche aussi imprévue, drôle que sublime. Une nouvelle aventure poétique recommence avec lui.

Jacques Réda, Le Trot-du-renard, Fata-Morgana, Fontfroide le Haut, 2024, 64 p., 16 €.

Présentation de l’auteur

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Milène Tournier, Cent vies vagues

Cent vies vagues… pas sans vie ! Cent moments de vie. Une seconde de vie ; un souffle en vie. Ou bien la mort, aussi ; la sienne, celle de l’Autre, des Siens. La vie, la mort : indissociables, hein !

Cent vies jeunes ou pas, de femmes ou d’hommes – parfois on ne sait pas, bon, on sait juste qu’il y a une vie, oui, y a eu une vie, des vies ; vies dans l’attente de quelque chose qui arrivera ou pas, ou/et de quelqu’un qui n’arrivera pas ou peut-être, va savoir ! On ne sait rien de l’avenir. A peine un peu du passé, et encore… pas sûr… si peu qu’on se demande si, parfois, ce ne serait pas une histoire que se raconte le personnage, tiens, un de ces cent personnages qui n’ont pas de nom, souvent pas même de lieux, d’époques : ils vivent, point. Ils ont vécu, plutôt. Car ce n’est pas la vie, leur vie, pas vraiment, mettons l’empreinte du vivant, sur laquelle on tombe, on butte, on sourit, on s’attriste, on se souvient, on se questionne, on se reflète. Une image du vivre.  

Cent filaments de vies, issues du tissu du réel. Cent poussières de vies, dans la propreté du jour. Cette banalité, parfois singulière, de vies qu’on croise, qu’on frôle, qu’on évite, qu’on élude, qu’on ignore, qu’on aimerait connaître, qu’on ne sait nommer… qu’on n’oublie pas, pourtant. On n’oublie pas les oubliables, étonnamment, oui, parce qu’il y en a plein les cimetières – pour (mal) paraphraser le dicton –, et aussi parce que, dans le fond, on est soi-même un.e de ces sans-forme, un.e de ces visages sans image, qu’on croise, frôle, évite, élude, ignore, aimerait connaître ; innommables même si pas ignobles, petits dans leurs grandeurs – petitesse de la quotidienneté… « la vie, quoi, le bordel », gazouillait Higelin.

Milène Tournier, Cent vies vagues, Lurlure éditions, 16 €.

Cent vies vaguent, que Milène Tournier égrène comme un chapelet, aux grains qui roulent et déroulent des pages sobres, à la poésie sans emphase, sans exagération, sans pathos, mais assurément pas sans profondeur, pas sans émotion, pas sans élégance. La sobriété, cette vraie beauté ! On est dans le vrai, quoi, dans la vie, dans cent vies, dans le ressac, vagues venues, puis reparties… non, là.   

  1. Il a de la semoule dans la tête, disent de lui les femmes et les hommes. Il n’a pas sa graine toute bien cuite. Certains jours, tous essayent de lui donner une menue tâche. Les autres, où il y a trop à faire pour qu’on aie de la patience, on le laisse faire ne pas faire. Les femmes sont dans la cuisine, le dos baissé sur d’énormes cuves. Dehors, les hommes taillent les légumes. Une femme arrive, la plus vieille, la plus forte et la plus douce, elle n’est à aucun d’eux, elle est à la lumière du pays, et à tout ce qu’elle a vu du monde et des hommes, elle est à l’espoir, un espoir un peu las, à l’optimisme laborieux de se lever pour vivre le jour – même celui où les mollets tirent. Les hommes ne font pas comme il faut. Il faut couper en rondelles les oignons. Elle leur montre. Son couteau passe, fluide comme feuilleter les pages d’un livre. La femme part, les hommes font. Sauf lui. Il met ses oignons mal coupés dans le grand plat et mélange. Parfois, sur un oignon, sa découpe est belle comme un squelette ou un accordéon. Le suivant, ça ne marche pas, c’est parce que ce n’est pas le même oignon. Il trie dans le tas les plus belles lamelles et les met sur le dessus, à la fin. Ronds, lamelles, gros ou fin, ça change, ça finit que ça se mange. Il ne voudrait quand même pas trop, se faire crier.

  1. La jeune fille au lyçée répond, lorsque la professeure lui demande si cela lui arrive d'écrire, qu'elle écrit le journal intime de son père. Le journal intime de ton père ? Oui, elle écrit les journées de son père, ce qu'il a fait du matin au soir. Mais tu dis "je" ? Oui, la fille dit. Je dis je pour lui.

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Nohad Salameh, Jardin sans terre

On ne peut parler du dernier recueil de Nohad Salameh sans parler du « double livre identitaire » qui s’intitule Saïda/Sidon et Baalbek/Heliopolis (Ed. du Cygne, 2024).

Cette autobiographie de l’adolescence levantine de la poète éclaire son cheminement poétique. Dans ces deux villes dévastées par les bouleversements politiques, est ancrée sa mémoire nourrie de trois religions, langues, et cultures, chiite, juive et chrétienne, qui protegeaient paisiblement leur passé gréco-romain avant la violence des années 1970. De cette enfance baignée d’Orientalisme, suivie par un père archéologue, formée dans des écoles catholiques, vient une écriture charnelle, sensuelle, érotique à l’image des légendes et des temples millénaires que la jeune fille côtoyait depuis sa naissance. Appelant ses souvenirs « des tirelires à images . . . thésaurisant des instants particuliers et indéfinis, » la poète s’embarqua dans le voyage des mots qui pourraient réparer l’histoire, la grande, et la sienne.

 Un jardin sans terre est menacé d’une double disparition : par la couche de sable qui assourdit les sens, et par la qualité évanescente du sable, symbole d’un terroir en voie de disparition, surface instable par excellence, même si, formant une sandale, son aridité se double « de mûres violacées / plus tendres que plages d’exil » (23). La première partie de Jardin sans terre, « Sandales de sable, » invite ainsi à un voyage rééquilibrateur/déséquilibrant dans le sommeil envoûté des songes et des souvenirs. Les quatre parties suivantes du recueil représentent l’entrée dans le sommeil, puis les songes « de plein jour » et le « pays-miroir, » languide recensement de sensations et de fulgurances, puis c’est le retour vers l’aube, dans la cinquième partie intitulée « derrière un rideau de sommeil. »

Nohad Salameh, Saïda/Sidon et Baalbek/Heliopolis, Ed. du Cygne, 2024.

Nous sommes entrainés dans une réalité où les contrepoints et la souffrance de l’exil font basculer la réalité : « Doublés d’oracles / nous pressentons le désert / posé en nous par quelle main dévastatrice / avec un poids de fracture / et de métropoles dévastées » (25). Toutefois cet exil se compense d’amour : « Revenantes des royaumes d’outre-jour / où les voyages naissent dans le sommeil / elles possèdent des jardins sans terre / où l‘on salue à mille mains / l’aube dorée des amants » (23). Peu à peu revient « l’émerveillement de maintes nuances » (45), puis les conversations « avec des aïeux / qui lapent doucement la mort » tandis que la voyageuse « sera condamnée à se nourrir de roses de neige / et à boire l’eau des jardins sans terre » (61). D’images magnifiques en émouvantes évocations de son enfance levantine, la poète donne libre cours à un lyrisme qui abolit les frontières avant de révéler que son sommeil est « un pays proche/lointain / où l’on s’abreuve au lait frais de la mémoire / lorsque se rallument les lampes du songe / et que l’Endormie / se blottit entre deux ciels de langueur » (85). Souffrance et extase sont les deux pôles de cette poésie lancinante.

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Lara Dopff, Ainsi parlait Larathoustra, Viatire, Yves Ouallet, Ainsi vivait Yvan Bouche d’or

À la recherche des écritures aux pensées libres s’interrogeant sur l’art, l’être humain, la vie, les éditions Phloème ne forment pas une simple maison mais une caravane d’édition, itinérante, glanant des fleurs précieuses pour en faire leur miel au fil des itinéraires tracés, préférant butiner la sauvagerie des pensées à la domestication des idées, traversant ainsi le désert bien pensant de la culture de masse pour mieux cueillir, dans ses marges, quelques essences rares, dans une véritable « quête de livres de vie, qui portent la sève depuis les racines les plus profondes pour la délivrer aux bourgeons tendus vers la lumière »…

Ce double mouvement de collecte puis de déploiement, leur éditrice, poète et metteur en scène, Lara Dopff le porte à son incandescence en croisant sa propre écriture avec le chercheur, enseignant et essayiste, Yves Ouallet, par le tissage à deux voix, à travers la collection Fugue de vie, d’un dialogue dont ils semblent jusque dans la forme du livre naquis comme les deux tessons d’un même symbole, l’avers et le revers d’une même monnaie rendue à notre civilisation mortifère, pour mieux célébrer la possibilité d’autant de lignes de fuite, de fugues et de voyages en des terres de vies heureuses partagées telles les fables, les contes ou les légendes dont tous deux s’avèrent à la fois les prophètes amusés et les porte-paroles sans faconde, préférant la potentialité d’une existence libre, libérée et libératrice aux mythes eux-mêmes dont ils réinventent la tradition…

Ainsi parlait Larathoustra se lit donc en miroir à Ainsi vivait Yvan Bouche d’or, « Janus bifrons », double visage d’une même poésie de voyage puisant, au féminin comme au masculin, aux sources livresques de mythologies sacrées pour dessiner un espace commun entre ces deux voix toutes tournées vers la célébration pourtant de la vie à l’état « sauvage », dans la prise de risque de l’engagement comme dans l’érotisme de la rencontre amoureuse, dont ils se révèlent les chantres, que l’on invoque le masque d’une nouvelle prophétesse nietzschéenne (Lara/Zarathoustra) ou l’armure d’un nouveau chevalier de la Table Ronde (Yves/Yvan/et pourquoi pas Yvain, le Chevalier au Lion ?)…

Lara Dopff, Ainsi parlait Larathoustra, éditions Phloème, 76 pages, 13 euros.




Yves Ouallet, Ainsi vivait Yvan Bouche d’or, éditions Phloème, 76 pages, 13 euros.

 




Les figures se mêlent, se mélangent, s’embrassent, s’embrasent, l’écriture de l’un(e) devient la lecture de l’autre, la lecture de l’autre devient l’écriture de l’un(e), et ainsi de suite, comme des bouts mis bout à bout de ce Phloème qui unit leur aventure selon la formule caractéristique : « Le phloème est l’écorce qui porte la sève, comme le liber est l’écorce qui donne le livre, libre » et dont le mot « poème » au cœur de celui de « phloème » demeure le sésame, comme une porte ouverte sur les métamorphoses de la vie, des vies successives, telles les diverses étapes d’une expérience chamanique : « Sous chaque phloème je devinais des poèmes. »

De ces mêmes postulats émergent les singularités des écrits-duels, duo virtuose où la sensibilité à fleur de peau qui innerve les Carnets de L’arbre de nerfs s’avérant le récit d’un corps féminin dans son rapport à soi, à l’autre, au monde, croise la sensitivité à fleur d’âme d’un autre corps masculin qui relie les essais sur l’entrelacement de L’écriture et la vie dans les relations de La Pensée errante, une forme moderne de « spiritualité » dont l’errance demeure une clé de leur pratique partagée.




Un des derniers opus de ce grand voyage par la poète Lara Dopff reprend à son compte cette dimension de l’« erreur » à l’« errer » pour mieux réinventer ce rapport masculin/féminin à travers une réécriture du mythe fondateur de la poésie amoureuse même, celui d’Orphée et Eurydice : « la multitude des scribes l’avait épuisé. / il s’était laissé aller à l’errer / à l’errance, errer en errance. / il avait suivi sa piste, par bribes. / trois pas, si proches de son épiderme. / il la savait, vivante. / il avait entendu, ses notes. / trois pas, chaque nuit. / trois à chaque nuit. » De la « peau » pistée, retrouvée au-delà des frontières de la vie et de la mort, à la « peau » aimée aux aguets des cinq sens, c’est en définitive tout ce « primat » esthétique/éthique qui fait de la créativité des éditions Phloème une poésie résolument « première » !

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Gérard Pfister, Autre matin suivi de Le monde singulier

Parole et naissance

Écrit au Lac Noir entre 1990 et 1993, repris et achevé en 1996, Autre matin constitue le dernier opus du cycle intitulé Sur un chemin sans bord. Si quelques-uns de ses textes ont paru dans des revues, il est pour sa plus grande part inédit.

Le texte final, Le monde du singulier, a été écrit en décembre 2023. Il éclaire a posteriori la démarche du cycle entier qu’il clôt et de ceux qu’il annonce », nous dit l’auteur lui-même.

L’épigraphe (Je te fixe dans les pupilles / jeune clarté / la gorge nouée) est extraite du seul volume du poète Leonardo Sinisgalli publié en France de son vivant, en 1979, dans la traduction de Gérard Pfister.

Les poèmes sont répartis en cinq temps en quête d’une « autre clarté » et dans un chant livré à l’ouvert au moyen d’une poésie libre où le distique est roi. 

Celui-ci rappelle Le temps ouvre les yeux publié en 2013. Dans ce recueil, à la suite de l’ouvrage précédent, Le grand silence publié en 2011, la marche continue, aveugle, et il n'y a « rien d'autre / à dire / que l'évidence », à savoir, sans doute, la poésie elle-même. (Grâce au regard du temps, on entre dans « l'ouvert », celui dont parle Rilke et qui est donc de nouveau évoqué ici.) L'économie de moyens de la phrase unique composée de distiques très brefs est là déjà au service, cette fois, de neuf chants.

Une spiritualité s’entrevoit dès l’incipit d’Autre matin (Roger Munier voit en Gérard Pfister, dit sa biographie, « le poète de la métamorphose spirituelle au sein du monde… »). Elle sous-tend tout un univers décrit dans un réalisme délicat. Ainsi des champs lexicaux comme celui de la lumière, des fleurs, des maisons ou, à l’opposé, des pauvres et des morts. La finitude est en effet consubstantielle de la vie et la mort, comme la pauvreté et la souffrance qui tous font partie de la vie.

Gérard Pfister, Autre matin suivi de Le monde singulier, éditions le Silence qui roule, 2024, 96 pages, 15 €.

Et quel fut, Silésien, ton art
que coudre pièce à pièce

des peaux mortes
d’une aiguille invisible…

et l’aigre odeur
que les outils noircis, sans gloire

dans l’étroite échoppe du cordonnier

Ces vers font soudain référence à Jakob Boehme, théosophe de la Renaissance, le cordonnier (mot qui fait chute) de Görlitz.

Puis le volet II s’ouvre sur le réalisme poétique précédemment évoqué et interrompu dès le deuxième texte par une invocation à la « présence invisible » pour celui-là seul que nous avons et dont nous retrouvons la voix dans « le silence dévasté de notre cœur ».

De le même façon que le volet II le volet III reprend l’idée d’avant, le silence, qu’il développe au milieu encore de la lumière, celle de l’automne juste avant la blancheur de la neige qui fait attendre l’été. En attendant « l’eau royale » qu’est la glace et qui se définit ainsi :

par tant de pureté
mille gouttes invisibles vivifiantes

tremblantes dans le souffle à chaque instant

Et déjà un quatrième temps arrive, toujours léger et concis ; il nous offre le bonheur d’une marche panthéiste et rédemptrice qui ne se souvient que du parfum :

ne reste aucune pierre
sans louange…

dans un autre matin

C’est alors que l’évocation finale éponyme du titre représente l’espoir lui-même d’une naissance nouvelle dont le mystère est indicible. Et pour la présence encore magnifiée il n’y a qu’un « art » celui de « l’écoute ».

Le volet V fait perdurer cette conscience d’une naissance dans « Cet instant d’hiver profond et pur ». Et l’apparition d’ailleurs seule compte puisque « les traces sur le sol / déjà ne sont plus rien » ; mais la parole elle-même est nouvelle née comme le clame le dernier vers du second poème. Va-t-elle l’emporter sur la mort qui est là évoquée douloureusement ? Les éléments déjà comme l’eau et le vent ont leur rôle purificateur dans le mystère encore. Grâce à eux intervient une nécessité : « un seul / un innombrable chant ». Et c’est à la neige que, très poétiquement, le narrateur confie le rôle de « l’imiter ».   

Le monde du singulier, dont de longs versets récents occupent les deux dernières pages du recueil, fait la lumière sur l’ensemble du cycle réalisé par Gérard Pfister. Il annonce une fois encore - et ce seront ses derniers mots - « un autre matin ».

Si ce dernier texte réitère l’importance du langage c’est pour dire celle du chant qui n’est que celui « des noms propres oubliés ». Suit une réflexion sur la précarité des choses, la mémoire et le temps dont nous avons voulu effacer l’éphémère. Il nous reste les mots mais aussi l’écoute attentive du « toujours unique », du « partout singulier ». En effet « chaque chose est une lumière, chaque chose une nuit. »

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Solmaz Sharif, Douanes, Radu Portocala, Signe en déchéance

Le qui je suis de Solmaz Sharif

Solmaz Sharif illustre une poésie politique et pour cause. "J’ai longtemps aimé ce que l’on porte en soi."écrit-il mêmesi certains types de pertes sont les prix à payer. Mais il arrive que celles-ci se perdent ou se  transforment en sel.

La poète a franchi des frontières mais seule face à ses origines perdues, irrattrapables, elle interroge ses racines iraniennes, ses souvenirs imaginés au sein de son Occident en Californie, où elle vit.

Considérée parfois comme une barbare elle s'est habituée à de multitudes images des regards que certains s'en nourrissent : : l’œil noir des caméras de surveillance, le regard d’un amant ou d'un policier sur son corps nu.

Du Moyen Orient à l'Amérique dans ses poèmes elle fait la part entre les émotions, os de son identité. C'est à la fois périlleux et intelligent pour se connaître. Bref c'est là où peu à peu existent des possibilités de permission inconnues, inédites.

Solmaz Sharif rejoint en conséquence suffisamment le régime phénoménal qui dépassait ses propres conditionnements et en tenant compte des partitions qui régissent sa nouvelle identité.

Solmaz Sharif, Douanes, traduit de l'anglais (États-Unis) par Raluca Maria Hanea et François Heusbourg,  Editions Unes, 2024, 104 p.,  19 €

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Radu  Portocala et ses postulations

Chez Radu Porocaa  le lieu de l'Imaginaire est un lieu ambigu et paradoxal. Il porte jusque dans l'extinction un monde du doute, de l'impossible. Le poète met en marche un épuisement mais dans une langue de pure création.

Demeure un balancement entre la fascination et sla répulsion. Ou si l'on préfère d'une attraction répulsive.  La pensée remplace la rêverie là où ce qui reste du monde se fixe au sens photographique du terme.

Ce "qui n'est jamais qu'un signe" (Beckett) échappe aux catégories admises dans la mesure où nous sommes confrontés à cet Imaginaire paradoxal.

Mais ici la poésie possède le pouvoir de dire au total plus qu'elle ne dit mot à mot. Elle se devancer elle-même.  L’objet du livre vient de partout et de nulle part, de l'espérance et son contraire (même si l'inverse est retourné). La réserve de gestation est donc complète là où Radu Portocala  embrasse les champs des possibles bien au-delà de ce qui est attendu.

Radu Portocala, Signe en déchéance, Editions Dédale, non paginé, 2024, 12 €

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Catherine Andrieu, Des nouvelles de Léda ?, Louis Savary, les mots sans fin, Régine Nobécourt-Seidel en Camille Sei­no­bec, Du Fol Amour à la Grâce

Catherine Andrieu, Des nouvelles de Léda ?

Les lecteurs des textes de Catherine Andrieu deviennent ses voyeurs obligés. Ils projettent sur la femme, son corps, son âme ce qu'elle en dit. Les voici soumis à ce flux et démultiplié car l'œuvre est aussi profondément spirituelle et ailée que charnelle et érotique.

Parfois cela peut sembler cruel du moins pour un public effarouché. Surtout lorsqu'elle évoque l'amour même si, au fond, Catherine Andrieu demeure pudique et presque platonique. Bref nue de nuées.
 
Pourtant sa poésie dérange car il n'est pas jusqu'à la vulve parfois béante de s'ouvrir sur l’imaginaire. Le lecteur se plait alors à considérer l'auteur coupable de nous imposer son implicite injonction : "regarde !".  Mais dès lors il est obligé de s'infiltrer par où ça passe et ne finit jamais de s'enfoncer.
 
La vie s'y rattache - même dans ses envolées là où l'auteur enjoint de regarder par le trou de sa serrure pour voir non seulement ce qu'on espère mais aussi des abysses de l'existence puisque de l'enfance à aujourd'hui, de la Méditerranée à l'Atlantique Catherine Andrieu nous offre sa vie. Pas toutefois comme un festin nu. Car il y a bien plus. La douleur demeure même si parfois l'auteur la cache sous une mantille.
 
Comme Artaud, elle est à sa manière une suicidée (encore en vie) de la société dont elle fait partager le sort des victimes. Elle est à ce titre la "différante" (pour emprunter le néologisme de Derrida). Elle tient debout dans ses textes comme si c'était un miracle de l'amour même lorsqu'il chute et ce pour dire l'absence et le manque. L'accomplissement toutefois n'est pas oublié. Il est plus même plus qu'une thématique : il devient la poésie et sa présence. Bref son essence.

Catherine Andrieu, Des nouvelles de Léda ?,  Éditions Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 273 pages, 25 euros.

Ce qui est masqué dans les abîmes de l'être l'auteure le révèle en nous faisant participer à sa quête. Sur le blanc de chaque page nous retrouvons l'épreuve de l'épaisseur humaine nourrie de bien des mythes (et des chats) qui participent à une telle éclosion contre les occlusions de l'âme et les ratés du corps.
 
Tout un monde intérieur est là entre orgasme et douleur dans un effet de sublimation où le cri du cœur trouve des mots pour se dire. De la crudité facile il n'est jamais question mais de vérité. Et c'est un honneur de la présenter par celle qui lie la poésie à l'érotisme, l'art à la matérialité de l'âme de même que ses diverses postulations complexes à son envie d'être en vie malgré sa charge de supplices.
 
Si bien que c'est l'inconscient qui s'ose et parle. Catherine Andrieu devient Vénus, Sainte Thérèse et Madame Edwarda confondues.

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Louis Savary : les mots sans fin

Louis Savary poursuit son œuvre qui est autant esthétique qu'éthique. L’auteur affirme son objectif :  "m'impose de me montrer / intransigeant / avec celui qui écrit mes livres".

Ils font ce qui échappe à l’esprit ; c’est pourquoi ils sont noirs. En sort soudain voix de dedans que le mental ignore tant qu'ils ne l'usent pas suffisamment. C'est pourquoi il faut trouver ceux qui font "taches d'huile" pour dérouiller ce qui en nos cerveaux restent rouillés.
Dans ce but, Savary cherche les vocables les plus simples et sans fioritures. C'est là que pour le Belge se trouve la seule poésie jusqu'au moment "je n'aurais plus rien à dire" ou "plutôt la pudeur / de ne pas écrire".  Certes rien ne sera vraiment donné puisque tout restera encore à dire même si l'auteur à tenter de prouver le contraire.
Telle est donc l'aventure de l'écriture et sa vis ou son vice sans fin. La légende continue et continuera encore. C'est une sorte de constat en demi-teinte mais qui fait toute la valeur d’un tel livre.
Louis Savary, Je n'écris pas de main morte, Les Presses Littéraires, Paris, 2024, 102 p., 15 €

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Régine Nobécourt-Seidel en Camille Sei­no­becMari vaut parfois d’âge

Rien de plus futé que ce livre au marivaudage souvent appuyé d’une solide stratégie là où le temps n’est pas à l’affaire. Et c’est rassurant. De plus il n’y a là aucune mégère et tant s’en faut : les aimantes sont passionnées mais ne se font pas toujours d’illusions - quoique lucides - envers leurs amants. 

Mais la victoire des femmes est probante. Il leur arrive parfois de courber l’échine face à des grâces roturières. Le tout est de dresser le mulet bellâtre mais sa mise sous le joug nécessite une habile prestance poétique.
 
Dès lors et par exemple, sous les tamaris (ou ailleurs) la poétesse risque tout car elle se languit quasiment forcément. Mais elle sait rosser l’animal menteur voire lui faire changer ses comportements pour en finir par le béni « c’est toi et c’est moi »  puisque tout couple digne de ce nom vit d’émois.
 
Cette suite de poèmes est donc brillante car sa « leçon » est l’essentiel « Entreprendre l’impossible / Atteindre les sommets. Les vers distillent des acmés. De vespérales épousailles – ou non – Régine Nobécourt-Seidel en Camille Sei­no­bec, émanent ainsi densité ou déroute, violence ou douceur. Mais la poétesse retrouve à chaque aventure un petit soir chaud « comme le secret creux de paille sous la charpente de la grange de mon enfance. ».
 
Régine Nobécourt-Seidel en Camille Sei­no­bec, Du Fol Amour à la Grâce, Edi­tions Constel­la­tions, Brive, juin  2024, 98 p., 14,00 €.
Elle sait d’ailleurs s’ourler de dentelles au nom des émotions partagées et de nouvelles espérances. Pour les réaliser, dans de tels poèmes l’écriture reste mémoire, combat à fleuret moucheté, lâcher-prise et ivresses. L’auteure nomme les dernières parfois « sobres ». Mais ce ne sont pas les seules. A la lectrice ou au lecteur de lui faire confiance.

Présentation de l’auteur

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