Regards sur les poésies contemporaines d’Afrique noire (1)

La poésie d'Angeline Solange BONONO

 

Sucrance

L’air se gonfle de
La fragrance des rires voluptueux
Des saccharum Nanas Benz .
Le goût crypté des Vénus d’ébène
Aux fesses poétiques
Doucifiant les motos sémillantes
Des rues vrombissantes de Cotonou
Le temps s’arrête sur une onctueuse poupée Ashanti
Couleur café qui offre aux gourmets
Sa pulpeuse plastique
Sublime rêve corossol.

 

Portrait

J’aime la douceur de ta mélamine d’ambre
J’aime la pourpre auréolée d’ébène de tes lèvres
J’aime ta mauvaise incisive entre l’ivoire de tes dents
J’aime le léger lambda de tes jambes en fuseau
J’aime la finesse de tes doigts infinis
J’aime tes senteurs sauvages et envoûtantes

J’aime la poésie de nos rencontres éphémères
J’aime nos roucoulades qui sonnent comme un babil
J’aime la rudesse feinte de tes propos glacés
J’aime tes colères et ta tiédeur biaisées
J’aime la caresse de ta voix accidentée
J’aime savoir que c’est qu’un tendre jeu

J’aime ta silhouette altière dans ce train qui t’emmène
J’aime la tristesse qui m’envahit quand tu pars
J’aime penser à toi avec mélancolie
J’aime tes menaces de ne revenir jamais
J’aime espérer que tu pars à regret
J’aime la certitude que demain sera toi.

SOUFFLE

Eh ! Les filles !

Nos onirismes de ranis,
Vous en souvient-il ?
Nous faufilions les entrelacs d’herbes folles
Nous étions tendres et pastels comme Efagon,
Nous étions zestes de fraîcheur.
Nous étions évanescences,
Nous étions luminaires,
Nous voulions être filles d’Apollon.

Nous avons naufragé.

Aujourd’hui nos cœurs
Furonclés,
Comme des laides cabosses de cacao
Ulcèrent le saumâtre.

La terre crapule a cramé
Nos arcs-en ciels.
Que nous reste-il ?
Que des fumerolles rictus répulsifs,
Que de la hantise des gerçures des Vénus désenchantées.

Exquis

Pour toi !

Je grigrise.
Je croquemitaine.
J’incinère :
Des cierges à Manon
Des abraxas à Bacchus
Des totems à Aphrodite
Des phylactères à tous les dieux de mon enfer.

 

Madrigal

Ton verbe sarabande des éclats de Mvet comme des chérubins jouissifs sous une ondée aurifère.

Tes cantates fernandotent d’ambroisie, les arcanes d’une langoustine forestière.

Ta plume de feu et d’acier
Calcine mes fanfaronnades.

Ataraxie

Je frotterai mon cœur contre un rocher pour que
Mes audaces brisent le ressac du typhon
Et légifèrent le bonheur.

PEPITA

Il est temps de suspendre !
Le sang en détresse, je partirai
Etriller le pavé de mes veines de mes pas écorchés
L’amour aux tripes
Je nostalgiquerai notre éphémère rencontre
Je ruminerai la sémillance
De la saveur afritude
D’une négresse de lait
Pépita !
Flamboyance aurifère
Je garderai de mes errances
Le fiévreux ressac des rires.

 

L’Eternel Féminin

Le Féminin angélique scrute les nuits phosphoriques
Et les clartés lactescentes
Laissant  les déités garnir ses délices.

L’attente sature l’atermoiement
La haine amplifie la haine
La rage nectarise les sarments

Et l’obscurité démoniaque traquera son fatum

Les fantômes opaques, errants, mutants, grouillants
Seront incinérés dans les placards de sa mémoire

Et l’Eternel Féminin aréique chérira ses chemins oniriques
Et se rira de la cabale de mâtins en proie à leurs aboiements scrofuleux.

Son cœur  gambadera du panache de son âme
Et l’amitié alimentera son euphorie
Et l’amour allaitera l’amour
Et la joie munira ses pralines
Et l’enchantement dégustera ses chatteries

Et l’Eternel Féminin aréique, exilé, harcèlera le soleil de ses incandescences
Pour que  le bonheur l’habite de son éternité.

 




Vu du Sud (5)

 

Sa main qu’il agite de loin

poème de Abdeddine Hamrouch

 

La main qui en serre une autre
Et s’agite lors de l’adieu
La main qui écrit à une amante connue ou un inconnue
La main qui prend le verre, le couteau
La main qui signe la bulletin de salaire des ouvriers
La sentence d’exécution
Essuie les larmes scintillantes de l’orphelin
La main qui tapote le dos d’un chat et même d’un crapaud
La main qui s’introduit dans le cul d’une poule et vole les œufs
La main d’Imru-l-Quais qui casse la coloquinte au lendemain de la séparation
La main de Picasso qui décompose les traits du visage en ronds et carrés
La main qui passe la nuit à invoquer, pleurer, implorer pour que la scie prenne en pitié l’arbre
La main qui cueille la rose, la plante
La main qui éclaire l’obscurité, l’éteint derrière les yeux des loups
La main qui brasse les cartes et les ordonne
La main qui lève les mots d’ordre et l’instant d’après les met en berne
La main qui palpe les battements du cœur, essuie la sueur du front et cire les souliers des maitres
La main qui rassure celui qui a peur, chatouille et berce, incite, proteste, sermonne, indique, met en garde, insiste, nomme, dit oui, dit non
Explique, s’étonne, questionne, réclame un point d’ordre
Se tend et se rétracte
La main qui porte l’épée et s’attaque aux amis avant les ennemis
La main qui hisse le drapeau du pays
et l’éclabousse par un trafic d’armes
La main qui empoigne l’eau, la braise
La main qui donne et reprend
La main qui se purifie et reçoit le sperme
La main au toucher de soie, de rocaille
La main qu’on tape dans l’autre tant le vide, les frustrations, la déception, le désespoir, le remords, le gâchis
La main qui étreint et poignarde dans le dos
La main qui comte les jours, les mois, les années
L’argent, les pertes, les têtes de mouton
Les souffles des gens et les moments où l’âme s’arrache
La main chaleureuse, tiède, froide comme une rencontre de routine
La main haute, la main basse
La main qui vote, falsifie
La main qui crie victoire, accuse, juge, gracie, proscrit, gifle
La main qui construit pierre par pierre, appuie sur la gâchette en direction des nuages
La main qui encourage, toute de bonté, partisane, ennemie
La main qui ouvre la fenêtre du matin
et ferme à l’air la porte de la cellule
La main qui tresse la corde et s’en soucie comme de l’an quarante
Qui tend mille pièges aux souris, pose mille mines aux papillons
La main miséricordieuse, la main qui lapide, la main infermière
La main pécheresse, la main épouse qui prépare le café
La main de ma mère …
Sa main qui s’appuie sur sa joue droite et se résume à cinq doigts
Une paume, des lignes qui ne révèlent ni mauvais ni bon présage
Sa main qu’il agite de loin
Ma main que j’ai perdu lors d’un adieu

Traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi

 




Gili Haimovich

Poète israélienne traduite de l’anglais par Marilyne Bertoncini, traduite de l’hébreu en anglais par l'auteur




Petites notes d’amertume (4)

Aujourd’hui on ne meurt plus de vieillesse ou de mort naturelle. Claude Lévi-Strauss est mort d’un arrêt cardiaque à 101 ans. Même l’architecte brésilien Oscar Niemeyer est décédé de complications respiratoires à la veille de ses 105 ans, ainsi que nous l’ont appris la presse et les médias.

 

J’aspire à mourir à l’âge statistique moyen de mort naturelle… ou de mort volontaire à tout âge.

 

On ne guérit jamais de la tentation du suicide. On la suspend juste provisoirement mais elle reste à jamais tapie prête à surgir.

 

Quand on se suicide, on a déjà cessé de vivre.

Dès que nous abandonnons nos projets, c’est comme si nous enterrions une partie de nous mêmes.

 

Ce qui me maintient en vie, c’est que je n’ai pas peur de la mort. Pour l’instant !

 

La mort est ma seule certitude. Plus d’un demi-siècle après ma  naissance, c’est hélas tout ce qu’il me reste de fiable.

 

René Pons : « Un anniversaire c’est un pas de plus vers la mort et je n’ai jamais compris que l’on en fit une fête ». Puisse-t-on, à défaut de ma date d’anniversaire, se souvenir au moins de celle de ma mort.

 

De tous les coups du sort subis, la maladie est la plus injuste, la plus inacceptable. Pour le reste, on peut toujours se dire qu’on est en bonne partie responsable du déroulement de notre vie, par manque de vigilance ou de décision.

 

La vie est peut-être une anomalie et la mort l’état normal.

 

Ce n’est pas parce qu’on est en vie qu’on est vivant !

 

J’ai parfois l’impression de traverser la vie comme un fantôme.

 

Il y a dans l’amour effréné de la vie quelque chose de morbide.

 

Au décès d’un auteur,  son œuvre devient extrêmement fragile. L’oubli vient très vite, si la mémoire n’est pas entretenue par des ouvrages collectifs, des hommages en revues, des commentaires et des études, un site internet. Il est nécessaire d’entretenir les braises pour que le feu perdure.

 

Le pire ennemi d’un auteur est son ayant-droit. Au mieux il fait preuve d’inertie ou d’incompétence. Au pire sa voracité lui fait exhumer des fonds de tiroirs le moindre manuscrit que l’auteur y avait avec raison oublié.  

 

A la décharge des ayants-droits issus du cercle familial, sauf dans les rares cas de ceux qui ont auparavant activement collaboré à l’édition et à l’étude de l’œuvre qu’ils reçoivent en héritage, il est normal qu’ils manquent de clairvoyance et d’initiative. L’auteur était le père, la mère, le frère, la sœur, le compagnon ou la compagne. En aucun cas il n’était pour eux l’auteur tel qu’il est reconnu par ses pairs. Ils méconnaissent les méandres de l’édition et ses chausse-trappes. Le poids de la responsabilité d’une œuvre, dont ils ignorent souvent tout, est tout simplement inhumain pour les proches déjà accablés par l’absence et le chagrin.

 

Une œuvre ne devrait jamais être suspendue au bon vouloir d’une seule personne. Les auteurs dont l’œuvre semble s’en sortir le mieux sont ceux qui ont eu la clairvoyance de la remettre de leur vivant à un collectif d’amis et de connaisseurs prêts à veiller sur elle et à  la défendre.

 

Les éditeurs n’ont aucun intérêt à publier un auteur décédé, sauf si celui-ci est renommé et suscite toujours un large engouement, puisqu’il ne pourra pas participer à la promotion de son ouvrage, incontournable de nos jours.

 

L’œuvre n’est pas un bien comme un autre pouvant être transmis en héritage comme les biens matériels.

 

Ceux qui héritent d’une œuvre pour l’unique raison qu’ils ont partagé une intimité amoureuse ou un lien héréditaire avec un auteur devraient se rendre compte que cette œuvre ne leur appartient pas, qu’elle appartient à ses lecteurs.

 

Il est rageant de voir des œuvres à l’abandon, suite à l’inconséquence et à l’imprévoyance de leurs auteurs. Un auteur qui ne prévoit pas l’avenir de son œuvre nie et renie  tout ce qui a été sa vie.

 

Tout auteur devrait avoir à l’esprit que, sans lectures éclairées et pertinentes, son œuvre n’existe pas.

 

Suite extraite de Petites notes d’amertume
(à paraître en 2014, Les Editions Sauvages)
 




Vu du Sud (4)

 

Poète et dessinateur, admirateur d’André Breton, il fait partie du Groupe Surréaliste de Meknès(Maroc) dans les années soixante-dix. Mostapha Fadel est l’auteur de Chants Multiples et de Dires à Quatre, recueils de poésie où le poète rétablit à travers son écriture les valeurs du Dadaïsme et du surréalisme ainsi que son attachement inconditionnel à la pensée d’A. Breton.

L’auteur désarticule la langue on se servant de la musique des mots qu’il malaxe, transforme au gré de ses inspirations sans craindre les approximations hasardeuses de la langue.

Dans ses quatrains, c’est le sens intime de la société qui est prétexte à la dérision, aux fatrasies qui se présentent au lecteur sous leurs formes transfigurées, absurdes et en marge de « la raison ». A. Breton dit que ‘’l’image surréaliste la plus forte est celle qui présente le degré d’arbitraire le plus élevé, celle qu’on met le plus longtemps à traduire en langage pratique, soit qu’elle recèle une dose énorme de contradiction apparente, soit que l’un de ses termes en soit curieusement dérobé (…) soit qu’elle déchaîne le rire ‘’

Les Dessins qui accompagnent les quatrains ont été réalisés par Mostapha Fadel entre 1970 et 1980. On retrouve dans ses dessins ce même désir de révolte contre les traditions, contre le classicisme, entendu ici comme une barrière à la liberté d’expression du corps et de l’esprit.

Nasser-Edine Boucheqif

 

Dires à Quatre


A

Alpha disaient les Premiers 
A nous la main tes baisers langue venter
Autour et tout à tour paroles à chanter
A nous payer tribu si vils nous entraves fait

B

Bach efface réécrit et souvent fugue ou toquade
Bref tout siècle inventa dialogue
Basse ou contre sa musique tonne encore toujours
Baisez mains et doigts à cet homme je dois tout

C

C’est qui manque au triangle faire carré
Comme la plume au papier devenirs
Contes ou récits nos enfants entendent
Car à eux jamais musiques je ne tairai

D

Dahomet disait sais seules femmes manquaient
Diagonale voix les hommes non écrits mentaient
Dires je sais grand homme que c’était
Diantre que de nous faits quand la parole se tait

E

Evidemment bien à toi tout honneur
Enfant ta langue fait vies je revis
Entrains lacustres je te subtile les jours chaloupés
Et quand dans ma bouche beau devient tout mot

F

F’é l’indien ou le clown content
Fusils tuent jamais à ta main
Formel soit Kant les Hommes s’absentent ou guerre
Fermat le beau Infini tu sais à toi Donna écrits

G

G’ai tu me fais aimée libre espace lagunaire
Gaillarde toute lettre aussi que j’écris
Gardons alors ce que César a cru avoir
Gageons deux nos bras cueilloirs lunes et étoiles

H

Haï haï ma mère disait quand étonnée
Halenée elle de saveurs d’Orient
Hâtive de la main écartait tout mauvais grain 
Houdre le blé pain à moult offrit

I

Il pleut c’matin petit brouillard léger
Idiomes s’annoncent verticaux
Ici Rieman quotient juste fine pluie
Impénétrable non sauf pour âme qui luit

J

Je suis désirs racinaux
Jeûneur mais dix andouillers de chaque côté 
Joaillier aussi faire votre bouche collier
Justes joies quand les marées Lune vous vois

K

Kantor prêtre oui mais défroqué partout
Kiliare non mais immensité tu eus provoqué profané
Kyrie tu tuas j’suis tout comme toi
Khan toi voilà le monde tourne mieux comm’ça

L

L’orpailleur du temps tout radicant
Luxe ou lyre à peine le corps courbé 
Luisent dans sa poigne les derniers baisers donnés
Lui là jamais las toujours près Or à redonner

 


M

Mal masqué le poète âtre a dit
Main aussi tâte point ne rature
Mots râles quand le doigt désigne
Maintenant que tangent l’aqueduc libre s’écoule

N

Non c’est bon mot et remots à dire
Nul voilà tout homme qui impose
Négative ou narration mon équation fulmine
N’à peine dit je me mets rouge colère

O

Œil  bourdons vents entend
Oreille cyclopes courbes voit
Organisons alors comme se doit
Oh et que bien l’Amour y soit

P

Partout entends dire
Par là Homme ne vit
Pourtant j’y suis intégral amis entouré
Par diable on ne voit plus ou coi

Q

Quand lève le matin
Quant aux mauvais rêves pas de quartier
Quantique tout à fait invite le jour   
Quar je me sors du bon pied voyons

R

Restons parallèles Lobatschewsky s’en va
Rient les moqueurs aussi Euclide s’y joint
Résolus ce point nous l’aurons
Rien ne sert vite réinventons le temps

 

S

Suis là deux sans être las voyance
Sûr je vous regarde le coeur y est
Sauriez-vous faire le geste le pas
Saluez et dix comme il se doit

 

 

T

Tin-tin disent les enfants polissons
Tiens aussi camps les choses mal vont
Te retiens moi seulement te faire digne vingt grand
Tutoies tu dois ta beauté me fait homme qui voit


U

Ums d’Egypte violées des vingt sacrifiées
Ulalas cent aussi des femmes berbères
Usurpée millénaire leur beauté perdue
Une fois osons usons armes ces hommes tomber fer

V

Viens mon enfant chéri face droite
Visitons terres où passereaux accueillent font honneur
Venise et Milan aussi étales d’épices
Vois-tu car Rome à nous ne fait plus peur

W

Walou makache le vil se brossera
Wandales hussards passez nos pas comptent  
Words et mots à nous par eux périrez tac
Woyons la main donne ne frappe que le tyran

X

Xa tienne bonté divine dix fois même
Xé tu marches et soulèves clairs de Lune
Xénélasie pourtant ta bouche m’a fait abri
Xylestes toi et moi que Grenade est belle savourons

Y

Yroquoi y’a plus enivrés coulés
Yrondelles se cachent coup de fusil ou gun
Yroglyphes dérivés vendus
Yls veulent plus quoi encore

Z

Ziffle mon enfant point d’interdits
Zange tu es bavardages Anciens oubli
Za plusieurs lendemains tu feras
Zappe Rap pas celle-là musique point ne te grandit




Angèle Paoli

5 extraits des  Feuillets de la Minotaure




Chronique du veilleur (8) – Philippe Mac Leod, Le vif, le pur

Pour Philippe Mac Leod, la poésie n’a jamais été un art. C’est ce qu’il déclarait en conclusion de La liturgie des saisons (Le Castor Astral), après avoir obtenu en 2001 le prix Max-Pol Fouchet. Quoi donc ? Une « conquête » de soi-même, une aventure spirituelle, une lecture lente et passionnée du grand livre de la nature.

Philippe Mac Leod vit dans les Pyrénées, dans un village à l’écart des tumultes de ce monde, une vie solitaire et contemplative. Il a publié récemment, chez Ad Solem, un livre de méditations, Avance en vie profonde, d’une très grande richesse, d’une force entraînante où l’émerveillement devant l’énigme de la création est l’énergie principale. Son lyrisme, nourri par une foi profonde, prend de plus en plus d’ampleur au fil des volumes, il sait dire l’indicible et l’impalpable avec une sensibilité rare, qui émeut et illumine à la fois.

 Le vif, le pur (Le Passeur éditeur) réunit des poèmes qui interrogent le jour, « à la pointe extrême de l’univers », dans un paysage de montagnes où tout semble purifié, resté intact :

 O jour –chair du monde- vierge sur la pierre quand l’hiver aiguisé te prête ses transparences et que la terre se creuse comme un berceau-
tu nous parles de résurrection, nous l’attendons mais tu étais là et nous ne le savions pas !

Philippe Mac Leod,Le vif, le pur, Le Passeur éditions, 2013, 92 pages, 15 euros.

Philippe Mac Leod, Le vif, le pur, Le Passeur éditions, 2013, 92 pages, 15 euros.

Bien sûr, comment ne pas penser alors à la présence du Ressuscité, dont le corps radieux s’élève depuis l’aube de Pâques dans l’infini de la lumière ? Tout est lié à lui, invisiblement, par la puissance vivifiante de l’Esprit. L’homme de prière, qui est aussi poète, laisse sa prière « devenir présence », laisse monter du fond de l’âme, dans le silence, la vie divine qui y est enclose. Pour que cette aube advienne, il faut faire silence, s’ouvrir au plus loin et au plus haut.

le clair ! l’ouvert !
où tu respires enfin
sans qu’il soit besoin d’être grand
l’infini au bout des mains
et le silence, son fouet à pleine gorge
 mais sans ivresse, pas à pas
 jusqu’au sommet où vivent les humbles.

C’est sur cette cime que nous engage à monter Philippe Mac Leod. Il nous invite à voir le plus ténu, à respirer l’air le plus vif, à écouter « un murmure de la terre », à avancer sur un chemin « haut dressé », tout intérieur mais « tissé d’un fil d’horizon ». S’adressant à ce chemin lui-même, il termine ce très beau livre en s’exclamant :

apprends-moi l’oubli, la perfection du bleu, pour avancer plus léger que l’oiseau blanc, plus rapide que l’écume grisante
jusqu’au bout
jusqu’au bout d’un élan qui te revient.

Son œuvre dessine une sorte de ligne de crête poétique et spirituelle, où la vraie vie, pure, fraîche, nous est offerte, « la vie lisse / dans un grand regard bleu/ qui pourrait être le nôtre. »

Chronique du veilleur

Retrouvez l'ensemble de la Chronique du veilleur, commencée en 2012 par Gérard Bocholier




Les chemins de traverse d’Angèle Paoli (2)

De grands  aplats sur les murs blancs habitent l’espace. Frappent de plein fouet. Déclinaison de l’identique, silhouettes vides, visages encapuchonnés, masques mortuaires. Blafards. Ni décor ni paysage. Parfois une grille. Un barreau. Le vide qui incarcère. Le silence. Le désarroi. La solitude. Immenses.

Les couleurs sont sans effets de reflets. La peinture sans épaisseur. Huiles et cires sur toile. Monochromie lisse, d’un seul tenant. Nul jeu sur. Le gris. Le noir. Le blanc. Le vert (sapin ? émeraude ?).

 Vert. Toute détermination est superflue.

 Froid. Uni. Vert.

Les silhouettes – homme/femme- chancellent. Titubent. Sous le regard. Errance oblique. L’observateur chancelle  aussi. Coup de poing. Perd  le souffle. L’équilibre. Les silhouettes se déplacent, à l’identique, désincarnées. Répétition du même. Démultiplication. Épaules voûtées, mains dans les poches, têtes baissées. Elles poursuivent du regard. Le vêtement est fluide, uniforme. Il tire sur l’informe. Désabusé. De là vient son mouvement. De sa propre négation. De son absence.  Les visages  sont plats, réduits à. Une ligne. Un contour. Et pourtant. On est surpris par leur force. L’acuité de leur regard. Désarçonné. Le désespoir gagne. On se tient au bord du cri. On s’efforce de. Trouver quelque chose. Une anecdote. Un fil. Elle, ce serait Patti Smith. Même dégaine même maigreur noyée dans la redingote noire. Cheveux lâchés sur les épaules. Et l’abandon ? Lui, l’émigré. Dans son archétype. Sur fond lavande, ces visages blêmes coupés par leur capuchon, le profil de Savonarole ? Probablement pas. L’Algérien dans son burnous. Peut-être. Flottement désabusé des corps. Hors d’attente. Vibration. Onde de choc. Qui sont-ils ? Qu’ont-ils à dire dans leur mutisme ? Quelque chose de nous passe dans ces corps jusqu’à nos corps flottants. Quelque chose qui interroge notre regard, le provoque jusqu’à l’insoutenable.

Je sors de la galerie. La lumière, plein fouet. Les parfums. Le ciel. La chaleur, écrasante. Le crissement continu des cigales.  Les collines apaisantes de la Conca d’Oro.  Les visages inconnus de certains invités. Pas tous. Ange Leccia passe.  On entre ; on circule d’une salle à l’autre ; on échange quelques mots. Je feuillette le catalogue de l’exposition. Je découvre une œuvre, un peintre. Djamel Tatah. Il sera là tout à l’heure. Il est là. Grandeur nature, pareil à ses silhouettes. Je reconnais son visage. Je l’ai rencontré dans ses toiles.  Le regard pétillant en plus. Et le sourire.

Le vernissage se poursuit à l’extérieur. Les groupes se forment. L’ambiance est chaleureuse. Charcuterie corse et frappe à volonté. Le vin est servi  en abondance. Nous sommes  à Morta Majo (Patrimonio), dans l’espace d’Art Contemporain du domaine Orenga de Gaffory. C’est l’été.

L’exposition Djamel Tatah se poursuit jusqu’au 29 septembre 2013.

 

 




De mots… à vous (2)

L’Appel muet : poésie de la résilience

 

Dans le premier poème de L’Appel muet (éditions La Porte, 2012), Roselyne Sibille demande de « regarder autour du hublot de ta mémoire ». D’emblée, on se demande pourquoi, et la lecture est portée par le mystère entourant « ta mémoire » (qui est tu ?) : un mystère tu dans le recueil, mais dont on sent la terrible gravité. Ce premier poème, « On aurait aimé croire au mot toujours », annonce le ton du livre : quelque chose s’est terminé, quelqu’un est parti, et l’écriture est devenue impossible. La poète va donc chercher dans la nature – censée veiller sur l’ordre des choses (un leurre ? Pour tromper quoi/qui ?) – la consolation à une absence lancinante. Les textes de L’Appel muet sont d’une beauté lumineuse, mais de cette luminosité qui heurte les yeux : celle, violente, entre deux orages.

 

            Des branches noires
            calligraphient leur mystère sur le ciel

 

L’Appel muet n’est pas anodin, tout en nourrissant le désir de l’être, si l’on prend l’adjectif dans son sens médical : ses poèmes tentent de distiller l’opium qui calmera momentanément la douleur des « mystères », tourments contre lesquels se débat la poète. Sont évoqués « le désordre », « les ombres », « la Nuit », « les brumes », « leurs cris », « l’invisible », « les vertiges », « le brouillard », « les lèvres muettes »... Quelqu’un s’est tu qui a emporté la possibilité de dire avec lui, et les mains creuses de la poète, dénuées de mots, ne parviennent plus qu’à tracer du « noir sur vide ». Elle répète alors, apparemment vaincue : « Je n’écris pas », « je n’écrirai pas », « je n’ai pas écrit ».

           

            Quand s’enchevêtrent les mystères
            que je ne sais plus rien
            je vais chercher
            les senteurs d’herbe dans le vent

 

Parfois l’écriture va chercher si loin que la suivre nous égare, et on en perd la mémoire, la parole. Pour la retrouver, Roselyne Sibille s’accroche de toutes ses forces à ce qui palpite encore de vie, dans une recherche de paix et d’abri qui s’apparente à un désir de fuite : fuir cette réalité où « tout est vraiment vrai », aspirer à un lieu où « tout est illusion ».

 

Pour aller plus loin
j'ai suivi le sentier du Rien

 

S’efforcer, même adossée à la nuit la plus profonde, d’aller de l’avant, vers la lumière, tandis que « le désordre s’évapore vers la transparence du jour ». Vouloir établir sa demeure « dans la poudre de soleil », « à l’estompe des brumes », pour conjurer ces « branches noires ».

 

Des milliers de fines feuilles frémissantes
écrivent sur le ciel blanc
le mouvement naturel du monde

 

L’Appel muet est une imploration adressée aux cieux. « Le ciel est vie », tandis que dans la terre, « les arbres sont enracinés entre tes épaules ». Supplier, pour que le monde, gelé, déréglé, soit « relancé », comme on remonterait une horloge qui se serait arrêtée. Se protéger contre soi-même, en s’armant de soleil, d’été, de lumière « avant que Nuit ne s’en vienne », et ce Nuit majuscule est forcément intenable. 

 

Sur la page indifférente du ciel
les oiseaux virgulent
effacent le blanc

 

L’Appel muet dit magnifiquement la marche « comme un reflet dispersé dans le jour », et la lutte incessante entre cette Nuit et ce jour (qui point malgré tout), entre les étoiles et la rosée, le silence et la poésie. Roselyne Sibille, résiliente, a choisi la poésie, « anodine », sans pour autant oblitérer « les ombres des yeux fermés » : le réel. 

 

Tel Aviv, 18 mai 2013

www.sabinehuynh.com

http://roselynesibille.fr/




Etel Adnan

OISEAU DE NUIT