Bonnes feuilles PO&PSY : Alexandre Hollan

 

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Né à Budapest en 1933, Alexandre Hollan vit à Paris depuis 1956. Dès cette époque il prend l’habitude de s’isoler une partie de l’année dans le Sud de la France, en contact intime avec la nature, les arbres. Depuis 1984, il passe l’été au milieu des vignes et des chênes verts, dans son mazet de l’Hérault. Le reste de l’année, il peint dans son atelier parisien, approfondissant sa recherche de la couleur, et dans son atelier d'Ivry, développant en grand format les études d'arbres.

 

Dans ses Notes sur la peinture et le dessin (rééditées ici en un livre unique) qui interrogent au plus près de son surgissement l'expérience picturale, Alexandre Hollan réfléchit en poète sur cette "force nouvelle" qui émane des impressions produites par le monde extérieur, une force "qu'il faut comprendre et sauver". 

 

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Extrait de la préface de Jean-Yves Pouilloux :

On assiste dans les pages ici réunies à la poursuite, obstinée et en un sens parfaitement déraisonnable, d’une exploration aussi pleinement consciente que possible de notre relation au visible. Avec une persévérance et une ténacité à bien des égards énigmatiques, Alexandre Hollan examine soigneusement sa propre pratique, tente de traverser les réactions automatiques et découvre à l'œuvre des dispositions complexes et confuses, qu’une attention fine va révéler dans leur fragilité même, alors qu’elles constituent la teneur essentielle de notre perception présente. Chacun, j’imagine, en le lisant pourra trouver l’occasion de reconnaître certains de ses propres mouvements inaperçus. Du moins c’est ce qui m’est arrivé personnellement, et j’ai l’impression en plus d’un moment d’avoir pu, grâce à ces notes et grâce à lui, le peintre, ouvrir les yeux sur ce qui était devant moi et que pourtant je ne voyais pas. Ces Notes sur la peinture et le dessin sont bien autre chose qu’une réflexion

« technique » sur la pratique picturale, elles évoquent un apprentissage des tours et détours, parfois des ruses, qu’il faut accepter pour essayer de parvenir à une relation vraie au monde et à soi. En ce sens on pourrait dire qu'elles relèvent d'une poétique.

 

 

 

 

Notes choisies :

 

Le monde autre qu’humain, le monde de la nature est habité par l’inconnu. Certains arbres sont des portes. (1989)

 

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Accepter l’inconnu qui rôde dans l’arbre. L’accepter, pas le capturer. Parfois il fait grandir le connu. (5.9.08)

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L’arbre existe sans moi. (...) Devant l’arbre ma chance est d’entrer directement en contact avec l’inconnu, le "pas moi". Cela donne un sentiment de liberté. (8.93)

                                                

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Avoir de l’énergie n’est pas nécessaire pour dessiner un arbre, seulement un peu de calme. L’énergie est dans l’arbre. (8.85)

 

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Le visible reste caché dans l’invisible, la lumière dans le noir, le vert dans le rouge, le rouge dans le vert. Je vais vers l’invisible pour voir. Vers le sombre pour trouver la lumière. (12.89)

 

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Appel de la profondeur, car le monde quotidien est sans lumière, même quand le soleil inonde mon atelier.

Oui, je crois que les ténèbres c’est "moi", ma peur, ma vanité, ma ruse, mes amours, mon art… et je dois "faire avec", je dois les traverser pour atteindre la lumière, peut-être. C’est si important de ne pas me confondre avec moi-même. (1991)

                                                                                    

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La peinture me mène là où je suis déjà. (11.5.97)

 

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"Créer". Créer une forme durable. Le besoin de "faire" des dessins est une nécessité intérieure (comme parler, bouger, toucher…). Tous les enfants adorent gribouiller. C’est la même chose. Mais le besoin de garder, de prolonger la vie est moins automatique que le besoin d’exprimer. Cette prolongation part d’une énergie retenue, déjà personnelle. "Je crée car je suis". Je m’oppose à moi-même pour être. Je commence à penser au lieu de suivre les événements qui m’attirent. Cette résistance produit l’énergie, la force intérieure du départ. L’énergie a ce caractère charnel, résistant, révolté. C’est dans cette force que le "désir de durer, d’être" apparaît. (17.4.04)

                                                                                               

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La vie extérieure procède par impressions. Elle suggère un dépassement. Elle crée un désir. Ce désir appelle une énergie. Cette énergie doit venir d’ailleurs, par dépassement. Ce dépassement vient d’un « désespoir » (compréhension qu’à cet instant, la tranquillité est mortelle). Mais dans l’impression du monde extérieur, à part l’échec (le constat que « ce n’est pas ça »), il y a quelque chose. Au milieu du chaos, du drame, de la perte (tout ce mélodrame qui est mon affaire personnelle est probablement secondaire), il y a une force nouvelle à comprendre, à sauver. (24.8.08)

                                                                                               

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La vie secrète - pas vraiment secrète, mais presque toujours invisible - apparaît parfois dans les formes, arbres, objets. Elle les traverse, les habite, et vient vers nous.

Voir, c’est sentir cette transformation de la réalité, le plus simplement possible. Cette transformation apporte une énergie neuve, inconnue. Donner à ces forces invisibles une place, une fluidité, une résistance : le dessin, la peinture sont là pour cela, les rendre visibles.

Dans cette relation avec la part invisible de la réalité, je reconnais trois chemins : celui de la vitesse qui crée le mouvement, celui de la lenteur qui crée la profondeur, et celui du rythme, une alternance entre forme et espace. (09.06)

                                                

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Le monde extérieur est un monde intérieur. (10.7.10)

                                                                                               

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Une calme urgence travaille nos vies. Urgence à ne rien faire, à laisser travailler les forces naturelles. Elles ont mis du temps à se faire connaître, à rester séparées, hors du monde.

La présence vient de loin, se connaît, se reconnaît dans le mouvement silencieux. Elle passe - pour moi - par et dans la nature, par la forme des arbres. Formes où quelque chose la rejoint. Attente active. Capter et patienter. (12.6.06)

                                                                                                                       

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Quand les démonstrations de force sont passées, il reste un peu de vide. Et une musique lointaine, venant à travers les arbres : des lignes aériennes, lentes concentrées. Elles n’ont rien à voir avec le corps de l’arbre. Pourtant, l’arbre les chante. (22.9.11)

 

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Rouge contre nuit (6), Tout ce qui manque, avec Jean-Baptiste Pedini

 

Indice de neige ou danger, le titre se prolonge dans le premier poème du recueil où la neige noircie de la nuit le rappelle.

Tout débute confusément :

« Quelqu’un secoue des ombres à la fenêtre. »

Quel fantôme ? Quelle couleur trouver où tout semble sombre ?

Quelqu’un ou personne, en ce début murmuré en prose, tout incline vers l’absence ou ce qui s’altère : poussières dispersées, « pages cornées », l’obscurité sourde et lourde de minuit, l’hiver. En « éclaireurs », les « peurs et les mots », associés, sont gagnés par la saison. Ici les poussières et la ville sont personnifiées, placées au premier plan, devenues matière de la nuit d’hiver alors que le poète hésite dans le « on » brumeux de l’indéfini.

La perception est orientée vers ce qui est au diapason de ces premiers indices : glaçon, « l’horloge » qui « a basculé », « la roue tourne ». L’air lui-même ressenti comme « compact », les autres signes qui pourraient percer « pour desceller les souches noires de la nuit » sont atténués. Sans vigueur suffisante, ils ne peuvent éclairer ni le climat ni la couleur. La neige noire est souillée d’empreintes. Impossible de les arrêter, les signes noirs gagnent leur territoire, la maison. Perspective fragile contre laquelle apparaissent des obstacles pour qui veut la retrouver, porte « gelée » qui nécessite d’attendre avant de rejoindre. C’est que l’immobilité gagne les lieux et ceux qui pourraient les parcourir, l’être perçoit ce morcellement qui s’exprime aussi dans la perception de la neige. Elle n’est pas immaculée dans le recueil de Jean-Baptiste Pedini, elle est noircie par la nuit et souillée par tout ce que l’hiver transporte, hiver à peine réchauffé par le chocolat fumant qui rassemble autour d’une table. Les êtres ne sont pas nommés, pas identifiés, toujours ce « on » et la privation : redondante et révélatrice de l’hiver, la préposition « sans » est déclinée, collée aux groupes nominaux pour une énumération morcelée (elle revient par intervalle) de tout ce qui manque.

Les infinitifs complètent la toile d’un univers saisi dans ce qui échappe, le retour de l’hiver et l’arrêt de ce qui vit et vibre.

A plusieurs reprises, en fin de poème, une tentative, une amorce de vie : on est « attelé à la luge de l’aube » ou l’on veut « attiser le feu du jour », ce commencement cependant s’éteint dans le début du poème suivant :

« Rien ne va ce matin. »

Tout concourt, tout va vers la tristesse qu’exprime la neige mêlée de sel, confondue aux larmes. Ce qui apparaît : tout ce qui manque sans être précisément nommé (rien n’existe plus de cela qui éclairait).

A la fin, dernier écho à la neige, « l’angoisse » « [t]rop blanche » venue clore le livre pour attendre. Demain peut-être, la saison des possibles.

 




Regards sur la poésie française contemporaine des profondeurs. Margo Ohayon

Il y a longtemps. Il écoute une interjection. Elle se prolonge, se prolonge, bruit lancinant, peut-être un élancement, loin vers un nœud inextricable.
Est-ceune pelote, un enchevêtrement, un réseau ? Tout en sort, tout y retourne.
Il déroule un ruban, le ruban n'a pas de fin, dessus on peut lire un poème qui serait une charade.
Il tire un deuxième fil, et voilà que celui-ci le mène vers une autre section de ce poème.
Ainsi est-il conduit sur divers segments du langage qui appartiendraient à un ensemble.
Lui, l'ignore. Dans cette affaire il est le seul ignorant.
Le monde autour regarde et voit ce qu'il ne peut pas percevoir. C'est ce qui se forme, cet ensemble. Lui, le contemple du dedans, d'un centre qui ne fournirait pas des contours mais des points de vue des parties de cet ensemble en train de se constituer. Sa vision serait intérieure. Pour voir l'ensemble il lui faudrait être dehors.
Il n'est pas enfermé mais d'un côté qui appartiendrait à un élément essentiel du langage, lequel serait lui-même un élément d'une équation écrite, élément sans quoi les jeux à l'intérieur de cette équation ne pourraient pas se faire, c'est-à-dire acquérir une mobilité qui agirait aussi sur celle des pièces formant cet ensemble.
Ces angles de vue seraient telles des facettes, facettes qui seraient telles des ailettes susceptibles de se mettre en mouvement. Ainsi peut-on voir tourner de petits ventilateurs encastrés dans la vitre d'une fenêtre.
Ceux qui voient la forme globale de la découpe sont à l'extérieur.
Lui, de l'intérieur fournit des façons de voir les parties qui composent l'ensemble regardé du dehors.
Cela relève d'une bizarrerie vitale comme la nature sait en fabriquer : état d'évidence d'une étrangeté pratique, dont lui, le poète, suit le mouvement, emprunte la ligne du trajet qu'elle infléchit.
Il est un homme du moins celui qui, à sa place, tente de remplir son rôle pour que fonctionne le mécanisme.
Voilà ci-dessous les tentatives d'expression d'un de ces points de vue : le silence.

 

margo ohayon




Vies imaginées (3)

 

Le miroir de Venise

 

Un bahut dont la clé en tournant réveille l'odeur du papier, comme échappée d'un flacon ; une bibliothèque où se tiennent, debout et alignés, des volumes reliés, dont un pansement pour l'âme: Les fleurs du mal; une fenêtre que le bureau évite, l'Auteur préférant le coin ombreux, fleuri de matières rares; des lancers d'oiseaux sophistiqués, onyx indestructibles – des chuchotements, là où d'autres chantent, là où d'autres hurlent, où la musique, de son épaule nue, a travaillé, malaxé le musicien, le rendant musicien de tout. Un débarras plein de malles, où sont archivées et classées des notules antérieures; des tiroirs coulissent, chargés du Mystère; fleurs exfoliées d'un doigt, au centre desquelles la négative exclut toutes les autres; et une lumière de biais parvient par instants à toucher le bois ouvragé du bureau. Si, incidemment, elle se pose sur sa main, elle endure et porte ce qu'il a porté puis éclairci en lui et dans sa langue, et comment du langage il est arrivé à sa parousie. Sachant que sa vie se pense les yeux baissés, suivant l'aléa de la plume, au rythme d'une oscillation. 

Ce sont effectivement les ciels mornes, les sarcophages, le sombre squelette de la femme aimée, étendu sur un divan en son accoutrement de peau, l'étoile distante ou la lune émaciée qui l'ont poussé à dépiauter Baudelaire. Et cette vision lui apprend le froid, la capitale sous la neige, le cœur gelé. Il s'imprègne d'elle. Elle monte en lui comme un limon.

 

Il se regarde dans le miroitement d'une cuillère, il lit la boule pâle, statique, le fait que chaque haussement de sourcil soit une virgule sur une gueule cassée. Quelque chose depuis des semaines l'empêche dans sa langue et lui prend ses mots. C'est dans la gorge, dans la bouche, sur les lèvres, le nez, le front et les oreilles. Ça coule, sinueux, marchant par lignes. C'est le thème de l'homme qui chemine à côté de son ombre. Son double le suit sans l'embrasser. Lorsqu'il doit traverser la rivière, qui le rejoint, qui se moque, est-ce la rivière ou le contact de l'eau glacée? une tête affleurant à la surface, sur quoi les eaux par moments se referment, et, au bout d'un combat sans merci, une saillie de branchages, l'homme s'y maintient, sort de l'eau, poursuit son chemin, ne se retourne pas – en aucun cas. 

Il bute sur cette image dans son miroir de Venise. Sa pensée est molle. Elle erre. Il se voit emporté par le courant. L'aphasie dont il souffre mine son humeur autant que son geste, toujours le même, d'aller à tâtons vers le miroir. Le nom lui emplit la bouche mais il ne peut le prononcer: Venise, associée à l'image de cette lave qu'un artisan étire, souffle et forme.

Torride, le futur objet brille en brûlant dans le four qui le rendra solide. L'épaisseur du verre, comme rayé par endroits, lui évoque les poignets en verre filé de Marie, son épouse. Il veut demeurer seul dans cette pièce pendant un temps indéfini, s'acharner. Ce « pot d'encre »... ces « rinçures », dira Rimbaud de ses propres poèmes... Il veut être seul, au moins quelques secondes. Qu'une femme aille et vienne à travers la maison, peu importe, pourvu qu'elle ne brusque pas la poignée, qu'elle ne vienne pas mêler au sien son reflet. 

Avant de sortir d'ici, il voudrait mieux sentir l'effluve du papier racorni, replié sur lui-même en étoile de mer; revoir le pain magique des Fleurs du mal, donné chaque matin, genre d'or ambigu; revisiter aux ciseaux et à la main les notules, la liasse de lettres reçues; alors, le pain devient amer, l'eau tourne et avec elle l'homme tombe, tout se gâte.

La rivière coule, quoi qu'il arrive.

Il en est des hommes comme des blés, écrit Van Gogh à Théo: « certains seront broyés ».

Stéphane-Étienne Mallarmé y échappe. Le temps n'est pas encore venu du spasme à la glotte, de la fin: il mourra sur un tiret, ne pouvant élire un seul mot contre tous les autres.

La rivière coulerait. Là-bas. 

 




Regards sur les poésies de langues allemandes. La poète Sarah Kirsch a 80 ans ce mois-ci

Sarah Kirsch, poète des deux Allemagne et de la planète évanescente est morte en printemps 2013.

Presque en secret comme elle a vécu dans le coin reculé d'Allemagne du Nord, entre deux mers, où depuis trente ans elle tenait son poste d'observation et d'écoute : à transcrire ce qui lui parvenait d'une nature aussi rude que tendre, plantes, bêtes, humains, et du grand vent, comme à travers les ondes; aussi ce qui résonnait en elle d'un passé légendaire, littéraire. Grande amoureuse des êtres et des choses proches comme éloignés dans le temps, elle a obstinément évoqué dans sa poésie ce que nous possédons encore sur notre terre et en nous-mêmes et ce dont nous encourons la perte.

 

Née en 1935 dans le Harz, elle a écrit la première partie de son oeuvre en RDA, la seconde en RFA . Titulaire de nombreuses distinctions littéraires dont le prix Petrarque, Heine, Hölderlin et le renommé prix Büchner, elle s'est trouvée à l'avant-scène littéraire surtout pendant les années 70/80, avant et après son passage d'une Allemagne à l'autre. Si son « petit pays réchauffant » l'avait aidé à trouver sa voix, cette voix, libre et vive, a eu bientôt une résonance à contrecourant des contraintes imposées par un système figé. La rupture fut déclenchée par l'expatriation du chanteur W. Biermann contre laquelle Sarah Kirsch était des premiers à protester, exclue ensuite du cercle officiel des écrivains comme du SED et persona non grata en RDA.

Elle a, dans l'autre partie de son pays et du monde d'alors, emporté le besoin inné de contrebalancer dérives et manques, maintenant de façon plus générale, « globale ».  Réfractaire à toute récupération et à la médiatisation, elle s'est après quelques voyages (Italie, France, USA) créé son bastion vert à « Bordumonde » « avec mes ancres jetées/ enfants, chats, amants cent/ bulbes de tulipes dans la terre » pour y vivre, aimer, écrire comme une mission à accomplir.

Dans ses poèmes l'espace est aux dimensions intérieures de l'auteur: espace entre ciel et terre, hauteur et fond de la mer, espace de liberté aussi pour le lecteur selon ce qu'il peut et veut trouver en lui.  Mouvement dans cet espace par le rythme et le son du langage, entrainant, emportant de ligne en ligne avec souvent le poids sur le début de ligne après la chute de l'une dans l'autre.

 

                                                                                              Marga Wolf-Gentile

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Sarah Kirsch, Dichterin der beiden Deutschland und des bedrohten Planeten, ist im Frühjahr 2013 gestorben.  Fast verborgen, wie sie seit 30 Jahren lebte in einem norddeutschen Moordorf zwischen den Meeren, von dem her sie Ausschau hielt und in ihre besondere Sprache einfing, was zu ihr drang: aus der so herben wie sanften Natur im Umgang mit Pflanzen, Tieren, Menschen, dem grossen Wind und aus der entfernteren Welt.  Auch was dazu in ihr aufklang aus einer weiträumigen Sprach- und Dichtungsvergangenheit.  In heftiger ausdauernder Liebe zum Allernächsten wie,  zunehmend, in Trauer und zorniger Sorge um das Ganze, hat sie nicht aufgehört, durch ihre Dichtung  zu beschwören, was wir auf unserer Erde und in uns selbst noch besitzen und was droht verlorenzugehen.

1935 im Harz geboren, hat sie den ersten Teil ihres Werks im östlichen, den zweiten im westlichen Teil ihres Landes geschaffen.  Vielfach ausgezeichnet, u.a. mit dem Petrarka-, Heine-, Hölderlin- und dem Büchnerpreis, war sie das dichterische Ereignis vor allem in den siebziger und achtziger Jahren, vor und nach dem Wechsel vom einen ins andere Deutschland.  Ihre Lebenswärme und innere Unbegrenztheit wurden Gestalt in Reaktion auf ein zunächst bergend « wärmendes », später beengendes Land und erstarrtes System.  Dort wirkte eine Stimme wie ihre gegenläufig belebend.  Zum Bruch führte, dass Sarah Kirsch als eine der ersten gegen die Expatriierung des Sängers W. Biermann protestierte, was ihr den Ausschluss aus dem Schriftstellerverband der DDR und aus der SED einbrachte.

Sie hat in die « zweite Hälfte » ihres Landes und der damaligen Welt ihre innere Freiheit, den seelischen « Kompass » mitgebracht gegenüber dem Lauf auch dieser und jeder Welt.  Resistent gegen Vereinnahmung und die Mediensphäre vermeidend, hat sie sich nach einigen Reisen (Italien, Frankreich, USA) an ihren grünen « Weltrand » versetzt « mit meinen ausgeworfenen Ankern/ Kindern Katzen Geliebten einhundert/ Tulpenzwiebeln im Erdreich...», um dort zu leben, zu lieben, zu schreiben, wie man einen Auftrag erfüllt. 

In ihren Gedichten ist immer Raum, konkret in einer Landschaft, zwischen Himmel und Erde, Höhe und Meeresgrund, auch fast unbegrenzter vielschichtiger Innenraum als Freiraum für den Leser, den er füllen darf gemäss der eigenen Dimension.  Und Bewegung im Raum, getragen von Rhythmus und Sprachklang, oft fortgetragen ohne Halt von Zeile zu Zeile mit dem Gewicht auf dem Zeilenanfang nach dem Fall der einen in die andere.

 

 

                                                                                                          Marga Wolf-Gentile

                                                                       ***

 

2 livres de Sarah Kirsch (Erdreich / Terre & Schneewärme / Chaleur de la neige) traduits par Jean-Paul Barbe ont été publiés par les Éditions "le dé bleu" dans les années 90. Après la cessation d'activités de l'éditeur, le stock des livres invendus a été remis au Centre Culturel Franco-Allemand de Nantes (1 rue Du Gesclin — ccfanantes@gmx.net — 0240 35 39 43)

 

 




Rouge contre nuit (5)

 

« aux failles des pentes », avec Angèle Paoli

 

Journal d’une observation.

Le regard est-il témoin de certitude ? Observation des « merveilleux nuages » : nuances du temps. Maturation secrète des cieux sur « la ligne de crête ». Le poète la suit lorsque le ciel et la terre, confondus en leurs couleurs (« fondu des gris ») unissent « la limaille » et la «pierre blanche».

 

« Rocaille sertie de lumière
le brun des laves se fond
au schiste noir
                     brume
en suspens
aux failles des pentes »

 

Est-ce la Corse, avec ses roches volcaniques ou ses schistes, vue rêvée, assortie dans la perception et l’imaginaire de la marcheuse ? Monte Cinto, plus haut sommet de l’île, montagne ceinte d’une couronne de neige ou de nuages ?

On peut penser à La Montagne magique de Thomas Mann : son héros, venu passer quelques jours sur la montagne à l’air pur, n’en repart que sept ans plus tard, transformé. Le monde aussi change terriblement : la guerre (celle de 14-18) vient de commencer…

Plus loin, est-ce voyage en Picardie, et rêverie devant Laon, butte marine de sable et de roches posée sur la craie, montagne couronnée d’une cathédrale ?

Sur la page, longueur inégale des poèmes qui suivent un relief heurté, celui qui domine la végétation, souvent simple « [r]ocaille », / « en suspens aux failles des pentes ». Ce paysage veut être lu par un devin déchiffrant les signes clairs du ciel :

 

« Ton regard scrute le ciel
en partance ».

 

Lecture d’un voyage perçu dans les aspérités de la montagne comme la douceur lente et mobile de nuages pèlerins. « Attente » ou « partance » ?

Un combat dans ce laps du regard devinant les dieux tutélaires ou les traces d’une Renaissance flamboyante :

 

« les draperies flottent
au vent       camp du drap d’or »

 

C’était plus au nord, près de Calais. Le magnifique François Ier y renversa à main nue le moins magnifique et trop lourd Henri VIII. La guerre pouvait commencer. Plus à l’est, c’est le Chemin des Dames, autre temps autre guerre, « autres combats autres visages ».

 

« La montagne couronnée
veille sur le temps
des hommes tambours
battants de la bataille »

 

Ce qui est révélé traverse alors l’histoire, lie la vue et l’ouïe, en une perception qui abolit le nœud de l’espace et du temps. Le poème devenu franchissement rayonne en ce point d’union. Il peut porter une empreinte dont la géométrie fabuleuse délivre des secrets :

     

« Trois merlettes traversent

 

triangle
épi                    vol

leur cri est semblable
au silence des lys ».

 

Triangle d’or, règle perdue qu’une secrète assonance de nuages martèle au soir. Le poète entend, lie les lignes au corps du signe. « [A]u fil des trames », dans les « couleurs passées », point une icône, « couronne d’or », celle de La montagne couronnée. L’or s’y déploie liant l’adverbe alors au métal précieux devenu constante du temps mais aussi lettre d’or lue depuis la terre alors que « des hommes tambours » rythment le travail des « bœufs attelés ».Merlettes silencieuses, sans bec ni pattes…

L’histoire dit que des attelages de bœufs montaient les lourds matériaux nécessaires à la construction de l’imposante cathédrale de Laon. Elle dit aussi que l’un d’entre eux, étant mort brutalement à la tâche, un autre bœuf apparut instantanément par miracle pour le remplacer. Depuis, seize bœufs de pierre nous observent du haut des tours de l’édifice. Les hommes ont besoin des miracles.

Souvenirs de batailles ou de travaux quotidiens, au présent comme autrefois se jouent les tâches répétées, ritualisées ou les identiques luttes lues en ce ciel de montagne qui porte en sa couronne les vestiges et ce qui est.

 

La montagne, plus qu’un élément du décor, est une piste où lire, comme dans les nuages filant dans le ciel, une histoire répétée et réinventée. Des chants la secouent : la « hulotte » et ses « trois notes discrètes et tristes », comme les trois sommets du triangle figurant la montagne. Alors, les fleurs deviennent couronne, pétales d’or des « bruyères /des cistes et des genêts ».Vue et odorat car le parfum révèle lui aussi le printemps « à même le ciel ». Les plans confondus du ciel et de la terre brodent la toile du jour menant au « tremblé du soir ». La métaphore filée du tissage liée à la mémoire fonde une représentation mythique du voyage immobile et porteur du poème.

 

Voile et toile, « empreintes » lisibles « dans l’azur du vitrail » :

 

« Couronne d’or posée
aux cimes des sentes

l’étoile signe de son nom
le mystère d’Édesse
parvenu jusqu’à toi

versants de sable ».

 

Est-ce une tapisserie ? Ou ce vitrail de la cathédrale représentant Véronique et son voile qui dirige la rêverie du poète vers ce royaume d’Édesse1, premier royaume chrétien, au nord de la Mésopotamie, dont l’histoire raconte que le roi Abgar, atteint de la lèpre, envoya un messager à Jésus pour lui demander sa guérison. Celui-ci prit un linge (le mandylion) dont il s’essuya le visage et qu’il donna au messager. Le roi Abgar guérit. Le mandylion2 portait le visage du Christ. Miracle, encore.

 

« Voyage des fils de couleur
treillis tissage dans la toile
carré d’ivoire

tendu dans la mémoire
des sentes traversières

empreintes seulement
images « non peintes
de la main de l’homme »
zeugma entre les mondes
invisibles

souffle ».

 

« [V]eraicona », dit le poète méditant, comme le disent les chrétiens orthodoxes du mandylion. Tapisseries qui s’effacent, vitraux, architecture, ciel, nuages, roches, végétation, générations qui se succèdent… Mystère de la vie.

Un zeugma3 associe le concret et l’abstrait, lie ce qui relève de sphères étrangères. Et c’est bien ce que font cette image non peinte de la main de l’homme, ces tapisseries aux couleurs passées, ces vitraux au bleu céleste, cette haute cathédrale. Ainsi que ces quelques poèmes.

 

« tu traverses le temps
l’espace
déserts de vents de nuages »

 

Cette histoire nourrit l’imaginaire et le désir de celui qui observe et cherche, dans l’énigme de la couronne, un symbole chiffré « aux avant-postes /du désir //vertige ». Il fait songer à celui du miroir4 dont le reflet multiple renvoie à l’un. Les signes mis à nu (à vif) entrent dans le vers. « [V]ertige » d’une « braise //incisée / dans la chair ».

La montagne couronnée en est le fruit.

 

 

_________________________

1Ville appelée Oroès dans l’antiquité. De nos jours Şanliurfa (ou simplement Urfa) pour les Turcs, Riha pour les Kurdes. Elle se trouve au sud-est de la Turquie, à quelques kilomètres de la frontière avec la Syrie. Les prophètes Abraham et Job y seraient nés.

2Le mandylion a connu beaucoup de vicissitudes. Volé par les croisés,  perdu, retrouvé, disparu à nouveau… Il aurait été un temps gardé par le roi Saint Louis dans sa Sainte Chapelle et aurait définitivement disparu pendant la Révolution française. Les chrétiens orthodoxes le disent acheiropoietos (« qui n'est pas fait à la main »). Il aurait servi de modèle aux premières icônes peintes. Certains y voient une légende née du Saint Suaire de Turin. Le mystère subsiste…

3Exemple de zeugma (ou zeugme) célèbre : « Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques, / Vêtu de probité candide et de lin blanc », dit Victor Hugo de Booz.

Ajoutons que cette figure de style peut également s’appeler attelage (et revoici les bœufs de la cathédrale de Laon).

4 À propos de miroir, lire cet autre livre d’Angèle Paoli : De l’autre côté, Éditions du Petit Pois, 2013 (24 pages – 12 €).

 

 

 

 

 

 

 

 

 




La poésie de Dominique Boudou

 

Dominique Boudou dans la collection Poètes des profondeurs
de Recours au Poème éditeurs 

 

 

Pour découvrir et / ou se procurer le livre, cliquer sur le titre

 

Poète de la face nord

de Dominique Boudou

 

 

 

Biographie

 

Dominique Boudou a publié deux romans, (Un grand silence, éditions le Bord De L'eau et Les boîtes noires, éditions Gallimard). Grâce à Federico García Lorca, il découvre à treize ans la poésie dans une langue étrangère et commence à apprivoiser sa propre langue. En 2001, il publie Fragments pour une dormeuse aux éditions Opales, partiellement traduit en allemand. Suivent Quand ta mère te tue en 2007 aux éditions Pleine Page et Battre le corps en 2013 aux éditions Le Nouvel Athanor. Il figure dans quelques anthologies (l'Athanor des poètes aux éditions éponymes, Enfances aux éditions Bruno Doucey, Poème/ Ultime recours chez Recours au Poème éditeurs, et Terre à ciel). Il s'essaie aussi à la traduction, Pas perdus dans des rues vides du poète madrilène Raúl Nieto de la Torre, et écrit, toujours en espagnol, des poèmes pauvres. Comme un retour à la source où la langue balbutie.

 

Extraits

 

Le souvenir du commencement de l'écriture, on ne l'a jamais. On cherche la première fois dans les dépouilles de l'enfance. On l'invente puisqu'on n'a rien gardé de nos mots qui trébuchaient. On fabrique le décor d'une chambre nue, d'une chaise qui grinçait, de la page qu'une ampoule en surplomb jaunissait grain à grain. On imagine la position du corps penché. Maladroite. Corps et mots c'est pareil.

Comment faire pour qu'ils tiennent debout ?

*

On ne sait pas que le chemin durera toute la vie. On ignore même qu'il s'agit d'un chemin. Les mots se perdent trop vite. Ils n'ont pas la force encore de figurer des cailloux.

*

[ Je me souviens d'un carnet bleu à petits carreaux. Rempli de bouts rimés qui allaient de travers. J'avais treize ans. Rabougri sur mon silence. Pierre Boujut  écrivait de la poésie et fabriquait des barriques pour le vin. Au bord de la Charente alanguie. Je lui ai envoyé mon carnet. Il me l'a retourné avec un mot d'espérance et quelques numéros de sa revue La tour de feu. ]

*

Naître à la langue qu'on n'a pas reçue. Avec laquelle on a marché de travers sur des chemins qui n'avaient pas de lignes pour aboutir. Dans une solitude qu'on emplissait pourtant de conversations à voix haute. Et qui effrayaient jusqu'aux oiseaux. C'est là, peut-être, non un commencement mais une origine. Qu'on cherchait dans une fièvre dont on ignorait tout. Puisqu'on ne savait rien, de là d'où on venait.

*

Le début de la face nord. Dans cette absence qui ne se connaissait pas.

*

(…)

On cherche dans la pensée un bout de chemin qu'on pourrait prendre. Pour mettre de l'ordre dans ce qu'on ignore. Et tracer des signes qui raconteraient peut-être un peu ce que l'on a cru vivre. Avec le sentiment, une fois encore, qu'on restera sur le seuil.

Dans un vertige interdit.

*

Une pensée pour Thierry Metz, qui arpentait la face nord car c'était la place qu'il s'était assignée, parmi les hommes pauvres et les mots pauvres, souffrant comme une bête.

*

 

 

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Recours au Poème éditeurs

 

 




Nouvelles Nouvelles de poésie (8). Confidences et bibliothèques idéales

 

D’Alain Absire à Frédérick Tristan, sous la houlette de « L’Atelier Imaginaire », ils sont 18 écrivains à se soumettre aux confidences d’origine qui expliquent comment ils en sont arrivés à devenir écrivains ou poètes. De surcroît, ils nous confient leur « bibliothèque idéale », celle qui les amena à rêver avec des mots pour le dire.

   Au fond, cet exercice « obligé »  réserve bien des surprises et des enseignements et il faut féliciter LE CASTOR ASTRAL pour l’initiative.  Comme l’écrit le premier préfacier de l’ouvrage Livres secrets, Guy Rouquet, le défi relevé par les auteurs sollicités « vivifie l’esprit et l’imaginaire de ceux qui, à l’instar de Rainer Maria Rilke, ont découvert soudain qu’ils ne pourraient pas vivre sans écrire ». De surprise en surprise, j’ai découvert quant à moi des auteurs que je croyais connaître, avec qui j’ai lié en un demi siècle des liens d’amitié, et qui me sont apparus pourtant comme des découvertes, des étrangers parfois même !

   Ainsi, avec grande émotion, sans l’ombre d’une mièvrerie, j’ai appris que Jean-Yves Reuzeau n’avait jamais vu son père  « tenir un livre dans ses mains. Jamais ». En effet, pour lui, ces objets « étaient totalement inutiles » (sic).  Ainsi, le milieu de son enfance fut à l’opposé du mien (ma famille prétendait représenter  une élite maurassienne !). Du trop et du pas assez peut naître cependant une vocation semblable. Ce constat est encourageant pour tous. Et quand l’adolescent Jean-Yves cédait à la boulimie de lecture et de musique électrique, et au charme de l’insoumis Boris Vian, j’apprenais à me révolter dans La nausée de Jean-Paul Sartre, déniché en cachette dans la bibliothèque de mon père Jean-Pierre Maxence qui fut l’un des premiers critiques nationalistes à saluer pourtant le talent immense du philosophe. Énigme des destins. Qui pouvait deviner que peu après 1968, après avoir été concurrent direct du Castor Astral en créant L’Athanor, l’humour de nos vies d’ « éditeur-découvreur » allait faire de Jean-Yves et de moi, mieux que des camarades de même combat poétique, des connivents regardant dans la même direction éditoriale, en quelque sorte ?

   Au surplus, en lisant Livres secrets, j’ai aimé particulièrement les souvenirs arabes d’Hubert Haddad, à l’heure de « Kit Carson », puis son achat des Fleurs du mal en édition de poche (alors qu’il avait quinze ans). En revanche, je me suis foutu d’apprendre que Jean Orizet maîtrisait l’espagnol et l’anglais, mais agréablement étonné par sa rencontre passionnée avec Borges  à son domicile de Buenos Aires. Côté femme, j’ai eu envie de lire Cécilia Dutter, après avoir pris connaissance de ses rapports avec son père de sang qui expliqua ses premières lectures édifiantes (la bible et les évangiles) et son obsession plus tardive de bâtir un pont entre Terre et Ciel. Enfin, j’ai rêvé debout en imaginant l’enfance de l’excellent poète Seyhmus Dagtekin revenu de son village du Kurdistan… Au fond, Livres secrets illustre par analogie la diversité des origines de nos scribes contemporains. Ce livre souligne avec grand bonheur qu’il n’y a pas de recettes pour faire naître une vocation d’écriture. Et puis, une fois refermé, il nous donne le désir de soumettre au jeu de questions quelque peu indiscrètes d’autres poètes absents ici. Ainsi, en lisant le tout dernier recueil du « Spinoziste » Jacques Viallebesset publié par Al Manar (Sous l’étoile de Giono),  je me suis interrogé sur le pays d’origine du poète. Devient-on chantre classique de la nature souveraine par apprentissage in situ ou a contrario ?

    Quoi qu’il en soit, l’enfance et l’adolescence d’un auteur  sont toujours des clefs de compréhension pour le contenu d’une œuvre. Nul ne peut mentir ou biaiser avec les tempêtes de sa famille d’origine. Alain Absire le dit fort bien, une « véritable géographie de territoires d’écriture » est « aussi variée que la carte du monde où les hommes vivent » ! Les désirs ne s’affirment qu’au fil du temps, sous la houle des révoltes primitives. 




Les 5 nouveaux livres de poésie de Recours au Poème éditeurs

 

Les livres de mars 2015
chez Recours au Poème éditeurs

 

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Les livres Recours au Poème éditeurs peuvent être lus par tout le monde : epub ou mobi (liseuse/tablette) ; pdf (pour qui n’a pas ces équipements).

En cliquant sur les titres des livres ci-dessous, vous pouvez consulter nos parutions de février, avec des extraits

 

Linda Pastan, Une semaine en avril. Poèmes choisis (1981-1995) traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Raymond Farina, collection Ailleurs

 

 

 

Dominique Boudou, Poète de la face Nord, collection Poètes des profondeurs

 

 

 

Marilyne Bertoncini, Labyrinthe des nuits, collection contemporains

 

 

 

Elizabeth Brunazzi, Le commencement prend fin ici, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par l’auteur, collection Ailleurs

 

 

 

Yves Roullière, La vie longue à venir, collection Poètes des profondeurs

 

 

 

Toujours disponible :
Poème / Ultime recours

Coordonnée par Matthieu Baumier et Gwen Garnier-Duguy, cette anthologie de la poésie contemporaine actuelle des profondeurs présente des poèmes de 51  poètes contemporains :

Gabrielle Althen.
Marc Alyn
Gilles Baudry
Matthieu Baumier
Géard Bocholier
Xavier Bordes
Dominique Boudou
Pascal Boulanger
Jean-Pierre Boulic
Arnaud Bourven
Michel Cazenave
Dominique Cerbelaud
Judith Chavanne
Pierrick de Chermont
Christophe Dauphin
Samuel Dudouit
Marc Dugardin
Michel Dugué
Raymond Farina
Elie-Charles Flamand
Gwen Garnier-Duguy
Matthieu Gosztola
Bernard Grasset
Albert Guignard
Paul Guillon
Déborah Heissler
Mathieu Hilfiger
Gaspard Hons
Marie Huot
Sabine Huynh
Jean Maison
Marie-Christine Masset
Marie-Dominique Massoni
Jean-François Mathé
Margo Ohayon
Etienne Orsini
François Perche
Bernard Perroy
Alain Raguet
Louis Raoul
Yves Roullière
Nohad Salameh
Alain Santacreu
Jean-Marc Sourdillon
Muriel Stuckel
Harry Szpilmann
Richard Taillefer
Bruno Thomas
Serge Venturini
Serge Torri
Jacques Viallebesset

Elle est une sorte de livre « manifeste » (tout en poèmes et en libertés plurielles) de Recours au Poème éditeurs  et de la revue Recours au Poème.

« Révolutionnaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la, vous ne la trouverez nulle part ailleurs », Makhno

couverture

 

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Entre poésie et philosophie (2). Variations autour de Porchia

 

« Ma pauvreté n'est pas totale : j'y manque. » 14

      Manquer soi-même à sa pauvreté, à son dénuement, c'est, semble-t-il, être moins pauvre... Ce qui encombre, la plupart du temps - outrance de la psychologie et de l'obsession du sens qui l'accompagne -  c'est soi-même. Etre désencombré de soi, ouvert, généreux, c'est aussi être nu. Dès lors la condition sociale de pauvreté, le manque d'avoir, est moins confondu avec le manque d'être. Paradoxalement je suis, dès lors, un peu. Pas suffisamment pour m'enorgueillir, mais suffisamment pour éprouver la vibration d'être sans trop d'usurpation.

 

 

« Tu es tellement honnête que tu ne suis personne : pas même toi. » 923

      Au principe de l'écriture de Porchia, il y a assurément ce que Nietzsche avait appelé la probité, voire, au risque du pléonasme, la probité intellectuelle. Ne suivre personne, dire la singularité de ce qui est éprouvé, la distinction de l'expérience, avec les mots les plus justes. Il s'agit de ne pas se payer de mots, d'éviter les lieux communs de la flagornerie. Ne pas suivre soi-même, refuser a priori toute tentation de complaisance « narcissique ». Il s'agit finalement de n'être dupe ni de la propension des autres, ni de ma propension, à croire...

 

 

« Tu croyais que détruire ce qui sépare, c'était unir. Et tu as détruit ce qui sépare. Et tu as tout détruit. Parce qu'il n'y a rien sans ce qui sépare. » 474

      Porchia a rédigé des « voix ». Il s'agit de se mettre à l'écoute des voix, une écoute active bien sûr, une attention. Ce qui implique de commencer par laisser parler ces voix. Et commencer par une voix, celle-ci par exemple...La voix s'adresse à un « tu » ! Qui est ce « tu » auquel la voix s'adresse ? Dans la poésie, dans le journal intime, le « tu » est souvent celui du dialogue intérieur, une forme d'adresse à soi. Le « tu » est coutumier dans ces écritures... La voix peut également être adressée à un proche... Dans les deux cas ce pourrait être un reproche, à soi-même ou à un autre ! Un reproche dont le funeste résultat est d'avoir tout détruit.

      Le « tu » pourrait alors être une adresse qui nous conduit vers l'universel, un dialogue intérieur ou bien un dialogue avec quelqu'un qui nous fait toucher un aspect universel des choses. Rien n'accompagne cette adresse : aucune illustration, aucune anecdote. Et si on se tenait là devant une erreur humaine : l'erreur humaine par excellence ?

      « Tu croyais que détruire ce qui sépare, c'était unir. Et tu as détruit ce qui sépare. Et tu as tout détruit. Parce qu'il n'y a rien sans ce qui sépare. »  Mettons en perspective cette voix 474 avec la voix 473 : « Quand elle raisonne, la vérité est démence. » Porchia se positionne ici contre le principe de raison suffisante qui peut conduire à l'hyperrationalisme. On peut peut-être, alors, oser une lecture de ces deux voix dans leur complémentarité.

      La séparation ontologique est notre condition, et la logique de l'esprit de rationalité ne permet pas de le comprendre. Au contraire elle nous égare dans la destruction qui vise l'union.La raison veut la paix, et c'est pourquoi sa logique est celle de l'union. Elle pense qu'en unissant on résorbe les antagonismes. Elle raisonne en vue d'unir. Elle peut même préconiser la guerre pour réaliser la paix. Au moins faire la guerre à ce qui sépare (ce qui n'est pas romantique, angélique, fusionnel, possessif, « politiquement correct »), à ce qui ne vise pas l'unité, à ce qui supporte, plein d'espérance, que deux fassent deux, et ne désire pas le deux-en-un, à ce qui se refuse à rapporter l'autre au même, à ce qui n'amalgame pas ! Elle peut faire la guerre à ce qui distingue, à la distinction même, à ce qui, jugeant, hiérarchise, à ce qui ne refuse pas l'aristocratie de la pensée. La raison, jusqu' au populisme, cherche à régner sur les foules par l'adhésion des masses...

      Or, la séparation ontologique est notre condition. Nous sommes séparés dans l'espace, séparés par le temps. La suppression de l'espace, c'est le néant. La suppression du temps, c'est la mort. Vouloir supprimer la séparation est une hérésie contre notre condition qui est nécessairement tragique ! L'espace est entre nous, nous séparant ; le temps est en nous, nous esseulant : nous sommes à jamais séparés, esseulés, n'étant que par tout ce qui sépare... Cette place même où nous sommes, dans la séparation, n' étant qu' usurpation :

« Celui qui doit te faire vivre, il ne doit presque pas vivre, pour te faire vivre. » 983

 

 

« Je viens de ce que je vais mourir, non d'être né. D'être né je m'en vais. » 19

      Je vais mourir m'entraîne loin d'être né. Voilà le sens du chemin ou de la séparation (c'est la même chose). Vivre ou mourir sont un seul, la séparation elle-même. Ce qui nous porte, ou nous déporte : être de moins en moins...

 

 

« Pour ceux qui meurent, cette terre est pareille à la plus lointaine étoile. Cela ne devrait pas nous préoccuper autant, ce qui se passe...sur la plus lointaine étoile. » 424

      Les mourants deviennent indifférents. Oublions-nous que nous sommes ces mourants, mais qui ne savent pas se rendre indifférents ? Porchia se tient près de Pascal : nous oublions notre condition en nous divertissant. C'est la seule façon, paradoxale, de supporter cette condition, si l'on n'a pas la foi. Et pourtant il serait sage de nous rendre indifférents. Mais Porchia n'est pas bouddhiste...pas plus que stoïcien. Il est du côté des penseurs tragiques, c'est-à-dire de ceux qui ne veulent supprimer ni la séparation, ni la tension.

      La tension, peut-être le terme qui caractérise le mieux les « voix » d'Antonio Porchia.

      Pourquoi la pensée pure est-elle tendue ? Parce que les pensées sont denses, qu'elles portent le poids d'une vie et ses contradictions. Parce que l'écriture est parcimonieuse : les voix ont été rédigées tout au long de la vie de Porchia ; il a donc peu écrit. La densité et la rareté sont liées.

      Ni philosophie : Porchia répugne à se laisser contraindre par la raison qui donne un ordre, fabrique une logique, pose en principe la non-contradiction ou la dialectisation de la contradiction. Le concept ordonne la réalité à sa maigre mesure.

      Ni poésie : Porchia refuse les contraintes formelles, esthétiques. Il ne court pas le risque de la joliesse ou du sentimentalisme. Il est poète, essentiellement, comme Nietzsche ou comme Rimbaud.

      Et probe : « Oui je souffre tout le temps, mais rien qu'à certains moments, parce qu'il n'y a qu'à certains moments que je pense que je souffre tout le temps. » 450 . On ne court pas, ici, le risque de l'inauthenticité. Le sentiment n'est que le sentiment exprimé, pensé...L'existence d'un homme probe est indissociable de sa pensée. Sauf lorsque l'activité conceptuelle se développe contre-nature, ou lorsque la joliesse a raison de la pensée.

      Il s'agit d'essayer de dire, d'écrire, au plus près du souffle de la vie, à ras de vie. L'esprit...

      Là où la beauté, les sens et la séparation ne font qu'un :

« Même les fleurs, pour exhaler leurs parfums, ont besoin de mourir un peu. » 1007