En souvenir de Joëlle Gardes-Tamine (1945–2017)

La rédaction a reçu, de la part de ses lecteurs et collaborateurs, de nombreux témoignages de respect et d'affection pour Joëlle Gardes-Tamine, linguiste, universitaire, poète, essayiste, traductrice - et femme engagée, qui vient de nous quitter...

Afin de marquer notre participation à ce mouvement de remémoration, nous avons décidé de vous proposer le poème "Hôpital", donné par Angèle Paoli, qui l'avait publié dans l'anthologie 116 Femmes poètes contemporaines.

Ce texte, qui évoque un vécu intime des dernières années de la poète, est suivi de l'hommage de Jean-Charles Vegliante, qui a eu la chance de travailler avec l'humaniste férue d'italien et la passeuse de culture qu'était cette grande dame discrète.

 

Joëlle Gardes - © Adrienne Arth

Joëlle Gardes - © Adrienne Arth

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HÔPITAL

Il flotte une odeur de désinfectant de tristesse et d’espoir meurtri
des voix s’élèvent dans les couloirs sans briser le silence
un tunnel de lumière blafarde aspire celui qui est couché sur le lit aux montants métalliques

Une parenthèse s’est ouverte dans la vie ordinaire dont on ne sait quand elle se refermera
si elle se refermera

L’esprit flotte au-dessus du corps
la goutte qui tombe dans les veines scande un temps de passivité et d’attente
un temps inhumain

Et puis il y a la nuit
la pensée s’affole tourne et retourne sur une même note d’angoisse
des lumières tremblent au loin derrière la vitre sale
des phares traversent un espace auquel on n’a pas droit auquel on s’interdit superstitieusement de penser qu’on aura droit à nouveau
parce qu’on est nu
qu’on a déposé les armes du maquillage et du vêtement de ville
parce qu’on se confond avec un numéro de chambre ou le nom d’une maladie

Et puis il y a la nuit fangeuse à traverser et l’on atteint épuisé la rive
bruits de chariots
odeur de café insipide
ersatz de vie

Ni les êtres qui lui sont le plus chers
ni les projets auxquels il croyait tenir ne rattachent le malade au monde
Il dérive au rythme lent du liquide qui s’écoule dans les tuyaux
Demain ne sera plus jamais un autre jour mais le même encore moins lumineux et plus vacillant

Et soudain elle pense au bain matinal l’été quand les tourterelles roucoulent dans les pins et que les mouettes tournent en piaillant au-dessus du bateau de pêche qui rentre au port
elle pense à la chaleur des galets aux cris des enfants qui s’éclaboussent
au goût de sel sur la peau
et demain lui paraît lointain mais autre et elle sent le fil qui la rattache au monde.

Joëlle Gardes
Texte inédit pour Terres de femmes (D.R.)

 

Que peut-on dire quand un être aussi plein de vie, chaleureux et exigeant, d’une telle compétence – si évidente qu’elle s’imposait d’emblée sans besoin de son autorité – et d’une parfaite disponibilité, vient à disparaître ; alors que, bien que devant suivre un traitement médical, jusqu’aux derniers jours il a dispensé intelligence et gentillesse, a partagé un travail intellectuel et poétique de premier ordre, a continué de produire et de traduire de la vraie poésie, la sienne et celle des autres ? Que tout est injuste sans doute, et injustifié, ce qui au demeurant est parfaitement trivial, inutile. Je n’étais pas pour elle un ami de longue date, mais j’ai su tout de suite que Joëlle Gardes nous faisait un vrai cadeau en demandant à se joindre à mon petit groupe de traduction de l’italien, auprès de la Sorbonne Nouvelle (plus tard, elle nous a dit qu’elle était professeur émérite à l’autre Sorbonne, Paris 4). Nos travaux complexes de pratique-théorie traductive, elle s’y est plongée aussitôt, nous apportant – outre sa grande sensibilité littéraire – quelques lumières stylistiques et grammaticales de francophone, ce dont nous avions bien besoin (ses fréquents rappels à l’ordre sur l’ordre des mots, si fluctuant en italien, ne sont pas près de s’effacer de nos mémoires) ; la métrique, l’un des fermes piliers de nos orientations – et comment faire autrement, quand il s’agit par exemple des Chants de Leopardi ou de formes fixes employées par certains contemporains ? – ne la prenait certes pas au dépourvu (rappelons, proches de Molinié, ses ouvrages sur rhétorique et poétique). Elle traduisait du reste déjà de l’italien, nous ne le savions pas tous à vrai dire tout au début, en particulier du jeune Tommaso Di Dio, chez Recours au Poème (où chacun s’en souvient bien), puis (avec moi) de l’un des plus marquants poètes italiens du début de ce XXIème siècle, Mario Benedetti. Par ailleurs, rejoignant les intérêts de nombre d’entre nous (surtout Mia Lecomte), elle nous avait confié récemment qu’elle avait un livre de poèmes d’Edith Bruck, bilingue, quasiment prêt chez un éditeur français. Les plus jeunes chercheurs découvraient ainsi peu à peu combien elle, Mme Gardes Tamine, avait déjà à son actif.

Joëlle continuait de venir souvent à Paris, entre autres bonnes raisons pour ses petits-enfants. Les séances du séminaire CIRCE étaient bien sûr ajustées en conséquence. Mais nous avions aussi l’habitude d’échanger idées, propositions et critiques par voie électronique, tant privée que circulant sur notre petite liste. L’un de ses derniers messages, de début juillet 2017, portait un très ordinaire : « Cher J.C., voici le dernier texte [… des traductions de Benedetti]. Je rentre du bain, un pur délice. Je penserai bien à vous cet après-midi [Séminaire Leopardi], avec regret. Amitiés ». Le traitement allait bientôt restreindre ces sorties, mais jusqu’à la fin, encore une fois, l’activité intellectuelle et l’attention amicale ont continué intactes aussi bien pour son écriture que pour ses traductions, que pour sa participation à nos propres travaux poétiques et universitaires. Le 13 septembre, j’ai dû annoncer la brutale nouvelle de sa mort à notre « compagnia picciola », alors que chacun se réjouissait d’imminentes retrouvailles, autour de Leopardi et de nouveaux hyper-contemporains : je recopie : – Elle a été pour nous un apport précieux en tant que poète, traductrice, grammairienne.
Son nom complet, pour qui ne l'aurait pas su, était Gardes Tamine, universitaire de renom, mais sa modestie lui faisait séparer travaux scientifiques et poésie et/ou traduction. Elle a donné récemment à notre revue DANTE un remarquable article à propos (et à partir) d'une nouvelle traduction de La Comédie en vers, "Ô qui dira les torts de la rime" (Dante XIII, 2016-17) – vous pouvez trouver cette publication sur les présentoirs de notre B.U. Son dernier recueil : Histoires de femmes, dessins de S. Lovighi Bourgogne, éd. Cassis Belli, Cassis, 2016.
Et vous pouvez consulter facilement : http://www.joelle-gardes.com/. [J’apprends que cette grande amie a été incinérée le lendemain, dans l’intimité, à Aubagne ; à côté du cimetière des Fenestrelles. Oui, “le temps a une façon de rire qui est répugnante”, F. Fortini].

 

– Lire aussi, entre autres, l'hommage rendu sur le site Fabula.

Jean-Charles Vegliante

Présentation de l’auteur




Ressusciter Maïakovski, poète de la révolution de la pensée

Secouant les têtes par les explosions de la pensée,
dans le fracas de l’artillerie des cœurs,
se lève hors des temps
une révolution autre,
la troisième révolution,
de l’esprit.

Lettre ouverte de Maïakovski au CC du PCR
expliquant quelques actes dudit Maïakovski

 

Qui est Vladimir Maïakovski ? Un poète contemporain de la révolution bolchévique (il a vingt ans en 1914), y adhérant passionnément, y demeurant fidèle malgré le totalitarisme, poète officiel du régime soviétique (malgré tout, c’est-à-dire avec un costume retaillé par la censure), érigé en monstre sacré par Staline. Un poète qui ne laisse pas indifférent, affublé d’éloges ou de critiques toujours extrêmes, coincé dans une vision du monde dramatiquement binaire opposant les prosoviétiques (communistes, marxistes, matérialistes) aux anti. Cette dualité idéologique a orienté la lecture de son œuvre et en a déformé et appauvri le sens.

Ressusciter Maïakovski (La 5e Internationale), Caroline Regnaut, Editions Delatour France, 192 pages, 16 euros

Ressusciter Maïakovski (La 5e Internationale), Caroline Regnaut, Editions Delatour France, 192 pages, 16 euros

Une fausse image du poète, qui mutile sa pensée

 Maïakovski est peut-être une « star people » victime de son charisme. Il est devenu plus important que son œuvre, au point qu’on ne peut la lire sans le voir. Voyou à la chemise jaune à ses débuts, acteur d’un one-man-show délirant avec sa pièce Vladimir Maïakovski, premier rappeur à scander ses milliers de vers devant les foules déchaînées, comme aujourd’hui les rock stars. Ses amours ont fait l’objet de commentaires et de récits (après sa mort) dignes de la presse à ragots occidentale.

Il a été piégé par son image médiatique. L’esthétique des débuts de la photographie était sérieuse, les portraits adoptaient des poses hiératiques sombres. Ainsi disparaît son rire, son visage gai, enfantin, bouffon, son goût rabelaisien pour la joie, la dérision, qui se lit dans toute son œuvre. Cette iconographie tragique a déformé la lecture de ses textes, comme en témoignent les traductions existantes, comme s’ils avaient voulu faire correspondre ses textes à l’image qu’ils avaient de leur auteur, celle d’un amant maudit, celle d’un porte-drapeau du régime soviétique et celle d’un maniaco-dépressif. Or ces trois aspects, l’amoureux fou et malheureux, le révolutionnaire survolté et naïf, le tourmenté suicidaire, ne sont-ils pas l’archétype de ce qu’on appelle l’âme russe, étiquette réductrice, du même niveau de véracité que de dire que la France c’est « la vie en rose », par exemple ?

Pourtant Maïakovski a adopté deux stratégies pour qu’on l’oublie en tant qu’auteur : il s’est incorporé à son œuvre en tant que personnage, presque partout de façon systématique et très impersonnelle, peu intimiste (son poème L’homme, par exemple, en 1917, est sous-titré « Une chose »). Il s’est chosifié lui-même en donnant aux objets une place originale : ce sont eux qui réclament la révolution, c’est-à-dire une relation d’écoute et une réponse adaptée à leur appel. Dans son poème La 5e Internationale il se dévisse l’oreille puis le cou et monte ainsi pour avoir une vision panoramique puis céleste jusqu’à devenir « quelque chose comme une immense station de radio » pour écouter la musique des sphères.

La seconde stratégie qu’il a mise en œuvre pour éviter qu’on le prenne comme objet d’étude plutôt que ses textes est d’intégrer à ceux-ci leur propre critique, de façon à y répondre lui-même, pour éviter les méprises, les interprétations fausses (toujours dans La 5e Internationale) :

« Excusez, camarade Maïakovski, vous braillez tout le temps : “Un art socialiste, un art socialiste”. Et dans vos vers, il n’y a que “moi”, “moi” et “moi”. Je suis une radio, je suis une tour, je suis ceci, je suis cela. Qu’est-ce que ça veut dire ? »

Il répond en intitulant son paragraphe « Pour les incultes », puis il revient à son poème : « Maintenant le poème lui-même » (c’est-à-dire après avoir exposé la méthode de dévissage et répondu aux critiques).

 Une autre idée de l'amour : l'éveil d'une conscience philosophique

 Peine perdue, car tous ont décrit son « ego surdimensionné », son « âme d’amant maudit », etc. Alors qu’il répète inlassablement le contraire : il est un grain de poussière, un ange, un nuage (Le Nuage en pantalon, 1915), et l’amour pour une femme n’est pas déterminant, il ne parle que de l’amour philosophique, avec Copernic pour rival (Lettre de Paris au camarade Kostrov sur la nature de l’amour, trad. CR) :

 Aimer,
c’est hors des draps
déchirés par l’insomnie
s’arracher,
jaloux de Copernic,
de lui,
et non du mari de Maria Ivanovna,
en le prenant
pour son
rival.

 Pour changer de regard sur cette œuvre, il faut oublier son auteur, le contexte historique et personnel, et les analyses existantes. Replonger dans le mot à mot du texte original fait apparaître, sous la plume de tous les traducteurs, des déformations surprenantes. Chaque vers traduit cache un sens étouffé, y compris le titre du poème Про это, par exemple, qui est à traduire simplement par À ce propos, en faisant le lien avec son poème précédent, La 5e Internationale, dont il est en réalité la troisième partie annoncée par le dernier vers (en prose, exceptionnellement) :

Le plus intéressant, bien sûr, commence maintenant. Personne d’entre vous ne connaît précisément les événements de la fin du XXIe siècle. Moi, je les connais. Et c’est ce que décrit ma troisième partie.

« Ce long poème (une cinquantaine de pages) est organisé en trois parties : "la ballade de la geôle de Reading", "la nuit de Noël", "la requête adressée à (s’il vous plaît, camarade chimiste, complétez vous-même)". Chaque partie est composée de sous-parties titrées en marge, 11 pour la première, 21 pour la deuxième, et 3 pour la dernière ("Foi", "Espérance", "Amour").

Le titre (Про это) a été traduit par "De ceci" ou encore "Sur ça". Maïakovski a l’art des titres slogans, des mots ultrasimples, des raccourcis percutants. Le sens de ce titre n’est pas dans le mot это, mais bien dans про ("à propos de, au sujet de, sur, quant à"). En réalité c’est surtout la préposition qui a une signification et c’est à dessein que это ("ça") doit être vidé de sens, puisque ce dont parle ce poème est innommable, comme le dit explicitement le prologue :

SUR QUOI – SUR ÇA ? À PROPOS DE QUOI ?

 Dans ce thème Dans ce thème,
personnel, à la fois personnel
domestique, et petit,
chansonné par mille rechanté pas une fois
et mille voix, et pas cinq,
j’ai tourné, écureuil poétique, j’ai tourné, écureuil poétique,
et veux tourner encore une fois. et je veux tourner encore.

[...]

Le nom Le nom
de ce de
thème ce thème :
c’est l’a... ! ...... !

*  *  *

ПРО ЧТО – ПРО ЭТО?

 В этой теме,
и личной
и мелкой,
герепетой не раз
и не пять,
я кружил поэтической белкой
и хочу кружиться опять.

[....] Имя
этой
теме:

. . . . . . !

*  *  *

Le thème du poème n’est pas l’amour, il a prévenu lui-même cette méprise, en ridiculisant la poésie intimiste des amoureux malheureux gémissant sur leurs chagrins personnels ("La poésie c’est reste assis et gémis sur une rose..."). Sans le comprendre, on lui a même reproché d’être tombé dans l’ornière qu’il avait raillée, parce que le point de départ du thème de ce poème est une séparation prolongée d’avec la femme aimée. Mais expliquer l’œuvre d’un poète par sa biographie c’est la réduire et non l’éclairer, et s’il intègre l’anecdotique de sa vie dans son poème, il faut en chercher la signification dans son œuvre elle-même et non dans sa vie.

Ce thème est celui de la recherche d’une pensée différente, qui ne peut émerger que dans la solitude (dans la "geôle de Reading" où il s’est enfermé), qui aboutit à une transmutation (il se transforme en ours blanc), à une mort et à une résurrection symboliques, et fait accéder à une autre vision du monde, une autre compréhension de la vie : c’est la révolution intérieure. Ce thème est donc "à la fois personnel et petit" car c’est un travail sur soi en tant qu’individu (et non en tant qu’élément d’une classe sociale), et il concerne non l’ego (le moi psychologique qui enfle à mesure qu’on l’analyse) mais le je "petit", dans lequel se reflète l’univers. Le travail sur soi n’est pas grandiose, spectaculaire, il est invisible. La révolution intérieure s’opère par une inversion de la pensée qui, de dualiste, plate et verticale, devient ainsi une roue circulaire comme la cage de "l’écureuil poétique". Ce thème révolutionnaire est l’unique objet de toute son œuvre, chanté plus d’une fois et même plus de cinq (le chiffre cinq a son importance), c’est-à-dire déjà à travers Vladimir Maïakovski (1913), Le Nuage en pantalon (1914), La Flûte des vertèbres (1915), La Guerre et le Monde (1916), L’Homme (1917), Mystère-bouffe (1918), 150 000 000 (1920), J’aime (1922), La 5e Internationale (1922). Et si Maïakovski ne le nomme pas autrement que par des points de suspension, ce n’est pas pour jouer aux devinettes, car il utilise toujours un langage non sibyllin, le plus direct possible. C’est pour désigner littéralement l’indicible, suivi d’un point d’exclamation – l’émerveillement, la joie. 

Cette étude analyse ainsi les œuvres du poète quasi dans l’ordre chronologique, à travers cinq axes ((Qui seront les axes qui vont définir la théorie de la pensée symbolique développée dans mon essai suivant, une nouvelle épistémologie apte à décrypter toute œuvre d'envergure.)) :

« La première partie de cette étude démystifie le thème de l’amour, qui n’est pas un sentiment mais un concept philosophique pour accomplir la révolution de la pensée. La deuxième partie dirige le projecteur sur le théâtre, instrument de l’appel, qui est l’appel des objets. La troisième partie analyse l’alliance, c’est-à-dire le lien de l’individu au langage créateur, à travers la poétique comme programme révolutionnaire. La quatrième partie montre comment les œuvres de propagande servent une autre révolution, non politique mais philosophique. La cinquième partie décrit à la fois le moteur de cette révolution, la joie et l’enthousiasme caractérisant l’esprit d’enfance, et son but, la résurrection, l’éveil. »

Elle propose une retraduction et une analyse rigoureuse des grands textes (les poèmes font plusieurs dizaines de pages), depuis Le Nuage en pantalon (1915) jusqu’au dernier, À pleine voix (1930), en passant par La Flûte des vertèbres,J’aime, La Guerre et le monde, L’homme, À ce propos... Sans oublier les cinq pièces de théâtre, Vladimir MaïakovskiMystère-bouffe, La Punaise, Les Bains, et Moscou brûle. Mais aussi de nombreux vers (poèmes courts), entre autres ÉcoutezÀ Sergueï Essenine, Vers sur le passeport soviétique, Vers posthumes.

Ce livre présente de larges extraits bilingues des œuvres analysées, dans la traduction existante avec en face à face la retraduction littérale proposée par l’auteur, suivies du texte en russe. Même les titres des poèmes sont retraduits pour respecter le mot à mot. Cette démarche est conforme à l’esthétique de Maïakovski, qui était contre toute volonté de faire du beau, de la poésie bien léchée.

L'appel à la révolution intérieure

Ainsi Maïakovski est le porte-drapeau non d’une révolution politique mais bien d’une révolution intérieure ayant pour modèle le Christ lui-même, figure qui a été censurée, puis très minimisée, incomprise. Le Nuage en pantalon devait s’intituler « Le 13e apôtre », titre refusé par la censure. Le programme de ce poème était : à bas votre amour, à bas votre art, à bas votre ordre, à bas votre religion. Tout en étant athée et anticlérical, il n’a pour tout horizon que la conscience christique, à travers les thèmes omniprésents de la crucifixion et de la résurrection. Il parle de sa vie comme d’un Évangile (dans L’Homme, poème singulier, ni religieux ni parodique), il se crucifie en permanence, dès le Nuage :

Mais moi parmi vous je suis son précurseur ;
je suis là où est la douleur, partout ;
sur chaque goutte du flot de larmes
je me suis crucifié sur la croix.
Dans la Flûte des vertèbres :
Je porterai mon amour,
comme l’apôtre des temps anciens,
par des milliers et des milliers de chemins.

...

La fête et ses couleurs, pour le jour d’aujourd’hui.
Que la magie
naisse, pareille à la mise en croix.
Voyez,
je suis rivé au papier
par les clous des mots.

Alors Maïakovski serait un maniaco-dépressif suicidaire ? L'analyse de son œuvre montre qu'elle est conduite avec une grande rigueur, la conscience lucide d’un projet global qui peut avoir pour seul titre La 5e Internationale, définie comme l’avènement d’une nouvelle ère d’amour universel. Une fois son œuvre achevée en ses huit parties annoncées, l’auteur décide de mettre fin à ses jours, mort préparée, en laissant quelques vers signifiant non un inachèvement mais sa résurrection, sa parole posthume.

Car il a demandé, dans les pages finales d’À ce propos (« Foi»« Espérance» et« Amour», thèmes typiquement christiques), à être ressuscité par ses mots, tel le Christ par son verbe (trad. CR) :

Ressuscite
au moins parce
que moi
en poète
je t’attendais,
j’avais rejeté l’absurdité quotidienne !
Ressuscite-moi
au moins pour ça !
Ressuscite
je veux finir de vivre ce qui est mien !
Afin qu’il n’y ait plus d’amour servile
conjugal,
concupiscent,
alimentaire.
Afin que, maudissant les lits,
se levant de sa couchette,
dans tout l’univers l’amour soit en marche.

La résurrection est sans aucun doute le véritable sens de sa démarche révolutionnaire, qui vise la révolution de la pensée et l’éveil de la conscience individuelle.

L’âme russe peinte par la pensée dualiste serait une attitude non maîtrisée dictée par la primauté brute des émotions, l’excès des réactions impulsives, l’impuissance désespérée d’un engagement collectif. Alors que Maïakovski réalise un projet fondé sur la raison mathématique, la lucidité implacable, la sagesse d’une conscience éveillée. L’appel à un éveil individuel n’est typique d’aucun peuple, mais universel. À moins que justement cette conscience humaine, proprement christique, à la fois orientale et occidentale, soit une sensibilité particulièrement russe, qu’aucun athéisme ne peut effacer et qu’aucun dogme religieux ne peut contraindre.

Présentation de l’auteur




Edito : La Poésie, métier de pointe

 

Outre le plaisir de parcourir, au fil des allées, la presque totalité de la production poétique hexagonale et internationale, le traditionnel Marché de la Poésie de la place St Sulpice en juin réserve celui de rencontrer des initiatives originales. Et quoi de plus original que cette intervention, installée sur le parvis de l’église, en cette année 2017, où de jeunes gens en blouse blanche, munis de stéthoscopes et de carnets d’ordonnance, interpellent les passants, en leur proposant une « consultation de poésie générale » ? Nous nous y sommes pliées, et stéthoscope aux oreilles, avons écouté la voix de notre « médecin d’âme » murmurer un poème – mais est-ce encore écouter que d’entendre si près du cerveau que les mots vous pénètrent intimement ?

Il n’en fallait pas davantage pour susciter notre curiosité, et interroger les jeunes acteurs devant leur camionnette, tranformée pour l’occasion en cabinet médical-barnum avec hauts-parleurs et mégaphone. C’est Claire de Sédouy, du « TéATe'éPROUVète » qui nous a présenté le projet, dont Jean Bojko est le metteur en scène-poète.

 

 

 

« Le théâtre-éprouvette a son siège dans la Nièvre, en Bourgogne, département rural  qui souffre de désertification  médicale. C'est un problème que nous ne pouvons pas régler directement, par notre métier d’acteurs, en revanche, comme c'est aussi un désert poétique, nous avons décidé de lutter dans les deux directions à la fois,  en ouvrant des « cabinets de poésie générale » un peu partout - c’est ainsi, comme nous sommes mobiles, que nous sommes venus à Paris.

Notre but, c'est que la poésie soit présente dans le quotidien des gens, que ce ne soit pas un divertissement de fin de semaine, une lecture une fois de temps en temps, mais une pratique régulière. Nous proposons des plaques indiquant "cabinet de poésie générale" à poser sur des bâtiments publics, des écoles, des commerces, chez des particuliers également, partout dans l'espace public, de façon à faire paraître l'idée de poésie un peu partout, avec le numéro du standard poétique, 03 72 42 00 77 : il fonctionne sur le modèle des standards d'entreprise– par exemple : « pour Apollinaire, taper 1, pour Victor Hugo, tapez 2... » -  et permet d'écouter de la poésie à toute heure du jour et de la nuit. Vous pouvez également y proposer votre voix pour dire des poèmes, ou proposer vos propres textes...

Nous avons fait notre cette  phrase de René Char : « la poésie est un métier de pointe » ». Nous éditons des ordonnances poétiques, que nous glissons dans tous nos courriers, que ce soit des courriers administratifs, des courriers amicaux, amoureux... même aux impôts, même à l'URSAF, à chaque fois, une ordonnance !

Nous proposons  à tous ceux qui le souhaitent de faire la même chose et de diffuser de la poésie dans tous les interstices du quotidien.

A tous ceux qui rejoignent notre action en ouvrant un cabinet de poétique générale, et qui posent cette plaque sur leur maison, nous remettons un carnet d'ordonnances, pour qu'ils puissent à leur tour prescrire de la poésie. Ce carnet contient 150 prescriptions détachables à diffuser autour de vous, de la main à la main, ou dans le courrier, avec une posologie différente à chaque fois. »

 

 

Je ne puis m’empêcher de relier cette action à une réflexion de Jean-Paul Michel, dont nous ne saurons trop conseiller la lecture, dans le recueil de ses entretiens (1984-2015) aux éditions Fario, (acheté au Marché de la Poésie, évidemment, ce qui nous a valu un échange autour de la méconnue poésie daina de Lettonie[i], et une belle dédicace),

Dans ce livre, intitulé  L’Art n’efface pas la perte, il lui répondII, au cours d’un entretien avec Tristan Hordé, en 1999, Jean-Paul Michel déclarait que « La science n’est pas moins une insurrection poétique à l’endroit du non-sens, que nos épopées, nos chants, notre théâtre, notre musique, notre œuvre-peint, mais elle a pris le parti, réaliste, de borner des champs locaux». La différence tenant au fait que le scientifique succombe de nouveau au réel, au non-sens général, sorti de son laboratoire. Alors que la poésie (au sens large), ose le « décrochage logique », le « détour par un point d’impossible autorisant l’audace de risque la folie du pari d’art « impossiblement » devant l’impossible à penser réel » (p. 48).

N’est-il pas temps, dans l’urgence du moment où tout se précipite, où les catastrophes se profilent dans les discours politiques, de se lancer corps et âme, dans ce détour, de se fier totalement, follement,  au Recours du poème ?

Nous le croyons, et vous invitons à nous suivre !

 

 


·      

  [i] On peut consulter l’ouvrage publié par Jean-Paul Michel  sur ce sujet : Vaira Vike-Freiberga, Logique de la poésie: Structure et poétique des daïnas lettonnes, 299 lpp. William Blake and Co Edit, 2007.

ii - Jean-Paul Michel, L'Art n'efface pas la perte, il lui répond", Entretiens(1984-2016), éditions Fario, 2016, 256 pages, 22,50 euros.

 

 

 

 




Les Bonnes Feuilles du Castor Astral : Kevin GILBERT, “Le Versant noir”

 

Kevin Gilbert (1933-1992), Wiradjuri (peuple aborigène au centre de la Nouvelle-Galles du Sud, Australie), est un emblème de la lutte engagée contre les injustices subies par les Peuples des Premières Nations. Ardent défenseur de leurs droits, il pourfend dans sa poésie et ses actions politiques les miasmes délétères de la colonisation. Il a reçu, mais décliné, en 1988 (année où fut célébrée le Bicentenaire de la colonisation) le prix de Littérature des Droits de l’Homme pour son anthologie de poésie aborigène (40 poètes présents) Inside Black Australia. Kevin Gilbert compte parmi les auteurs majeurs ayant contribué à l’émergence de la littérature aborigène. Il est auteur d’œuvres iconiques : manifestes politiques, théâtre, poésie. Dans Le Versant noir (The Blackside : People are Legends and other poems) (1990), Kevin Gilbert offre sa voix aux peuples aborigènes. Elle devient ce canal précieux pas lequel s’entend l’humanité de chacun. La lecture de ces poèmes permet une plongée dans ces existences douloureuses mais toujours vibrantes. Eleanor Gilbert, dans l’avant-propos à la version française, écrit « qu’il a donné ses dons aux autres pour qu’ils soient entendus ». Ecriture atemporelle : aujourd’hui encore, la lutte contre la disparition se poursuit avec la même âpreté et nécessité. Dans ces poèmes du Versant noir, respire et chante une culture millénaire. La traduction a exigé une empathie bouleversante et le désir profond, intègre, de faire entendre ces voix dans leur authenticité et leur beauté. Cette première parution en France en version bilingue, aux éditions du Castor astral, d’un recueil intégral d’un grand poète aborigène est un évènement majeur pour tous les peuples des Premières Nations, et une chance pour le lectorat occidental d’aller à leur rencontre, « Peut-être ces poèmes vous montreront-ils notre vrai visage, et peut-être lieront-ils notre humanité à la vôtre » écrit Kevin Gilbert dans son introduction. Ce livre en a le pouvoir.

 

*

Extraits :

 

BAAL BELBORA– The Dancing has Ended

 

Baal Belbora

Baal Belbora

the end the dancing has stopped

the warrior lies dead where his broken spear fell

beside the high pinnacle rock

 

Baal Belbora

Baal Belbora

his lubra lies dead on the slope

the mounted trooper who mounted and raped her

had slashed her black throat when she pleaded with hope

the child that she suckled

lies dead on the grasses

the grey quivering brains smashed out with cold steel

 

Baal Belbora

Baal Belbora

the dancing has ended

now ask me whiteman

how do I feel

 

La danse est finie

 

Baal Belbora¹

Baal Belbora

c’est la fin la danse est finie

le danseur gît près de la flèche brisée

sur la cime du haut rocher

 

Baal Belbora

Baal Belbora

sa lubra² gît dans la boue

le cavalier de la police montée

qui l’a mise en selle et enlevée

a tranché sa gorge noire

quand elle suppliait grâce

l’enfant qu’elle allaitait

gît dans les herbes

les morceaux gris des cervelles

défoncées au métal froid tremblent

 

Baal Belbora

Baal Belbora

la danse est finie

maintenant demande-moi homme blanc

comment je me sens.

 

_____________________

 

¹Baal Belbora : Ce poème a été inspiré par Baal Belbora la danse est finie, livre de Geoffrey Blomfield paru en 1981 relatant l’invasion de la région des Trois Rivières (Hastings Manning Macleay) en Nouvelle-Galles du Sud et le massacre des populations aborigènes par ses ancêtres. Kevin et Geoffrey correspondaient. Une amie d’Eleanor Gilbert vivait près de chez Geoffrey. Quand le voisinage a su qu’il écrivait un livre sur ses ascendants ayant participé aux massacres des Aborigènes, ils l’ont aidé à s’installer. Il possédait une terre près de l’une des rivières. Mais il a eu d’importants problèmes avec ses employés licenciés pour travaux défectueux. Il a été frappé et gravement blessé. Il est parti vivre en Angleterre où il a fini son livre. Renseignements donnés par Eleanor Gilbert. ²Lubra : femme en aborigène. (NdT)

 

*
 

THE CELEBRATORS ‘88

 

The blue green greyish gum leaves

blew behind the bitter banksia that bent

in supplication silently bereaved

bereft of the black circle that once sat

around its base to stroke and chant its songs

that made the rivers flow and life wax fat

the legends and the river now replaced

by sheep-torn gullies and a muddy silt

that sluggishly and sullen in retreat

throws up its mud to signal its defeat

the carking crows have changed their song grown deep

from tasting human flesh that left to reek

beneath the unpolluted sun in pioneer days

now veiled in smog so spirits cannot peek

the river-dove grown silent fearing song

will bring the hunter with his thundering death

the kookaburra laughs in disbelief

then waits again in fear with bated breath

the legislators move their pen in poise

like thieves a'crouch above the pilfered purse

how many thousand million shall they give

to celebrate the bicentenary

and cloak the murders in hilarity

and sing above the rumble of the hearse.

 

 

CÉLÉBRATION 88

 

Les feuilles vert-bleuté du gommier gris

s’envolaient derrière l’amer banksia¹

en supplique courbé silencieusement dépossédé

dépossédé du cercle noir où on s’asseyait autrefois

autour de lui pour caresser et chanter ces chants

qui faisaient couler les rivières et s’éployer la vie

les légendes et les rivières sont à présent remplacées

par des ravins aux moutons éventrés et une vase boueuse

qui lentement épand sa boue pour signaler sa défaite

et se retire sombrement

tourmentées les corneilles ont changé leur chant

jailli de très loin quand elles ont goûté

à l’époque des pionniers

sous le soleil vierge

à de la chair humaine laissée pour empester

désormais voilée par la brume

afin que les esprits ne le voient pas à la dérobée.

La colombe des rivières fait silence

elle redoute que son chant

attire le chasseur et ses mortels fracas

incrédule le kookaburra² rit

puis attend à nouveau en retenant son souffle

Les législateurs écrivent avec élégance

comme des voleurs s’accrochant à leur bourse

combien de centaines de millions donneront-ils

pour célébrer le Bicentenaire³ 

et chanter par-dessus le grondement

des corbillards.

 

_____________

¹Banksia : arbre ligneux d’Australie à grandes têtes florales. ²Kookaburra : martin-pêcheur d’Australie. Son nom aborigène (en wiradjuri) signifie Kookaburra rieur (son chant ressemble à un rire). ³Bicentenaire : Commémoration en 1988 du bicentenaire de la fondation de l’Australie. (NdT)

 

*
 

KIACATOO

 

On the banks of the Lachlan they caught us

at a place called Kiacatoo

we gathered by campfires at sunset

when we heard the death-cry of curlew

women gathered the children around them

men reached for their nulla and spear

the curlew again gave the warning

of footsteps of death drawing near

Barjoola whirled high in the firelight

and casting his spear screamed out "Run!"

his body scorched quickly on embers

knocked down by the shot of a gun

the screaming curlew's piercing whistle

was drowned by the thunder of shot

men women and child fell in mid-flight

and a voice shouted "We've bagged the lot"

and singly the shots echoed later

to quieten each body that stirred

above the gurgling and bleeding

a nervous man's laugh could be heard

"They're cunning this lot, guard the river"

they shot until all swimmers sank

but they didn't see Djarrmal's family

hide in the lee of the bank

Djarrmal warned: 'Stay quiet or perish

they're cutting us down like wild dogs

put reeds in your mouth - underwater

we'll float out of here under logs'

a shot cracked and splintered the timber

the young girl Kalara clutched breath

she later became my great grandma

telling legends of my peoples' death

the Yoorung bird cries by that place now

no big fish will swim in that hole

my people pass by that place quickly

in fear with quivering soul

at night when the white ones are sleeping

content in their modern day dreams

we hurry past Kiacatoo

where we still hear shuddering screams

you say: Sing me no songs of past history

let us no further discuss"

but the question remains still unanswered:

How can you deny us like Pilate

refusing the rights due to us.

The land is now all allocated

the Crown's common seal is a shroud

to cover the land thefts the murder

but can't silence the dreams of the proud.

 

 

KIACATOO

 

Sur les rives du Lachlan ils nous ont attrapés

dans un endroit appelé Kiacatoo¹

au coucher du soleil on était réunis près des feux de camp

quand nous entendîmes le cri de mort du courlis

les femmes mirent les enfants près d’elles

les hommes saisirent leur flèche et leur nulla²

le courlis mit à nouveau en garde

contre les pas de mort se rapprochant

Barjoola dans la lumière du feu tourbillonnait haut

et lançant sa flèche hurla : « En avant ! »

son corps vite brûlé par les braises

blessé par une arme s’effondra

le sifflement strident du cri perçant du courlis

fut noyé dans le fracs du tir

à mi-course les femmes et les enfants s’écroulèrent

et une voix hurla : « Il n’y a plus rien à abattre »

plus tard seuls des tirs résonnèrent

pour calmer chaque corps qui remuait

au-dessus des gargouillements et flots de sang

le rire nerveux d’un homme se faisait entendre

« Ils sont rusés ceux-là, surveillez la rivière »

ils tirèrent jusqu’à ce que chaque nageur ait sombré

mais ils n’avaient pas vu la famille Djarrmal

cachée à la rive sous le vent

Djarrmal mit en garde : « Restez tranquilles ou vous mourrez

mettez des roseaux dans votre bouche - dans l’eau

sous les rondins nous flotterons hors d’ici »

un tir claqua et fit éclater le bois

la petite fille Kalara prit son souffle

plus tard elle devint ma grand-mère

et m’a raconté l’histoire de la mort de mon peuple

désormais l’oiseau Yoorung³ crie en cet endroit

aucun gros poisson ne nagera plus dans ce point d’eau

mon peuple traverse ce lieu rapidement

l’âme frémissant de crainte

la nuit quand dorment les hommes blancs

satisfaits de leurs rêves du jour moderne

on traverse très vite Kiacatoo.

 

___________________

¹Kiacatoo : lieu situé près de la rivière Lachlan en Nouvelle-Galles du Sud dans le territoire des Wiradjuri. ²Nulla : terme dérivé de nulla-nulla : bâton nu ou peint utilisé pour la chasse ou pour les cérémonies. ³Yoorung : yurang, dérivé de young man, jeune-homme. (NdT)




Une poésie par le chemin d’une voix irremplaçable

 

à propos des Elégies de Bierville de Carles Riba

 

Des douze élégies de Carles Riba, il est difficile de rendre la forme hypnotique des vers, la densité de la texture. On ne trouve que des mots comme : énigme, mystère, présence mystique, pour former une escorte intellectuelle à cet ouvrage d'une grande intensité. Cependant, on peut peut-être dégager deux choses : le rapport du poète à la matière (aux matières devrait-on mieux dire) et sa relation à Dieu. Il faut aussi parcourir les deux préfaces de l'auteur, pour solidifier son idée. On y trouve une réflexion du poète sur la poésie, dans des termes généraux mais très pertinents, qui facilite l'accès à cette poésie pleine, habitée, à la fois spirituelle et sensuelle. 

 

[...] La Poésie, il faut la chercher là où l'on sait qu'elle est. [...] Elle attend, comme la vérité à laquelle elle est unie, comme la source la plus cachée et la plus pure vers laquelle la soif ouvre le chemin. Comme l'Amour, dont on s'approche en aimant, comme Dieu qui s'aime en celui qui apprend à s'aimer. 

 

 

 

Tout est là, au croisement de l'homme dans sa nature charnelle, son habitus physique, et la divinité, présence lumineuse et complexe. Il s'est avéré assez vite que la perspective de la symbolique empédocléenne pouvait être un accès. C'est-à-dire, une pertinence de l'évocation des quatre éléments fondamentaux de la cosmologie d'Empédocle : l'eau, le feu, l'air et peut-être encore ici, la terre. Car cette poésie qui nous vient de la prosodie catalane, offre une sorte d'univers un peu archaïque, une profondeur antique disons, où l'on peut rencontrer Homère, Orphée et bien sûr les paysages hellénistiques et méditerranéens qui hantent ces élégies.

 

[...] Oh grand coeur satisfait, oh plus pleine
possession de moi depuis l'idée d'un dieu !
Pur en mon énigme, j'ai chanté, sûr que la flamme
qui parlait en moi ne toucherait que mon corps; 

 

Et puisque nous évoquons la Méditerranée, on pourrait élargir le propos à la science des fractales - que l'on compare parfois aux déchirures des côtes maritimes. Car l'observation de ces déchirures, cette rencontre avec l'infractuosité, ici dans le texte français, permet de comprendre et d'englober les nombreuses siginifications qui animent ce chant un peu désespéré du poète catalan. Mais il faudrait alors faire un ouvrage scientifique pour cette recherche et là n'est pas notre propos.

 

Dieux fraternels ! Ainsi abreuvé et inondé de mon propre
pur retour, j'ai traversé, par le dedans de mon âme, vers où vous êtes [...]

ou encore

[...] Tu veilles, blanc sur la hauteur, 
sur le marin qui grâce à toi voit son cours bien guidé; 
sur l'homme, ivre de ton nom, qui au travers de la garrigue nue,
vient te chercher, extrême comme la certitude des dieux;

 

Il reste cependant très certain que la relation du poète à Dieu compose un arrière-fond imaginaire, un répertoire presque mystique qui lui aussi pourrait faire l'objet d'une étude à part entière. Car cette relation au sacré n'empêche pas le recours aux éléments empédocléens. Nous connaissons tous ce verset de Paul : "Notre Dieu est un feu dévorant". On pourrait aisément discourir par exemple sur ce simple mot de Rosée, auquel le poète met une majuscule, pour entrevoir comment cette simple manifestation matutinale et liquide, dépend du feu des cieux et se ressent autant qu'une larme, peut-être, une sorte de coupe de lacrima christi avec son ivresse et sa joie. Cette poésie énigmatique et belle, entêtante comme un un vin, profonde en même temps comme un mouvement intérieur et personnel, permet de saisir l'ombre et la lumière de la Méditerranée, comme une clairière qui se justifie par la forêt.

 

La recherche de la pureté, de l'absolu : dans les mots, dans les rêves profonds de la nuit (ceux dans lesquels on retrouve l'inspiration, qui sait si plus loin encore). Toute innocence est antérieure et est intime (l'âme semplicetta). Attire (?) : peut-être que là où il nous est donné de le sentir le mieux c'est dans l'amour.

 

Et là sera notre conclusion, à laquelle il faut ajouter que l'ensemble du livre, en dehors des douze élégies de l'auteur, en présentation bilingue, s'assortit des deux préfaces aux éditions de 1949 et 1951, d'une petite biographie succincte mais suffisamment outillée, d'un avant-propos du traducteur, et des notes manuscrites de Carles Riba lui-même écrites en regard de la plupart des élégies. Donc, cet ouvage nous livre en français une bonne part de cet auteur, et nous instruit d'une poésie originale et pénétrante.

 




Miguel de Unamuno, Berceuses

 

Miguel de Unamuno

 

Berceuses

 

L’un des événements majeurs de la vie du poète, romancier et philosophe Miguel de Unamuno (1864-1936) fut, en janvier 1896, la naissance de son troisième fils, Raimundo, atteint d’hydrocéphalie. Après de nombreuses tentatives pour stopper la maladie, il fallut se résoudre à une mort prochaine. C’est à ce moment-là qu’Unamuno décide de prendre soin à temps complet de Raimundo, en l’installant dans son propre bureau de recteur de l’Université de Salamanque à partir de 1900. Ces trois berceuses ‒ fort célèbres en Espagne ‒ datent de ce face à face qui durera un an et demi, Unamuno assistant impuissant aux atroces souffrances de son fils générées par la croissance continue de son cerveau. Raimundo mourut en novembre 1902.

Ces vers ont été recueillis dans le premier recueil de l’auteur : Poesías (1907).

 

YR

 

 

À l’enfant malade

 

Dors, petit bonhomme,
car le croquemitaine
emporte les petits
qui ne dorment guère.

Populaire

 

    Dors, fleur de ma vie,
dors tout tranquille,
    car le rêve de la douleur
est ton seul asile.

    Dors, mon pauvre enfant,
jouis sans chagrin
    de ce que la Mort te donne
en consolation.

    En consolation et en gage
de sa tendresse,
    de ce qu’elle t’aime beaucoup,
mon pauvre enfant.

    Elle viendra vite empressée
de te recueillir,
    celle qui t’aime tant,
la douce Mort.

    Tu dormiras dans ses bras
du sommeil éternel,
    et pour toi, mon enfant,
il n’y aura plus d’hiver.

    Plus d’hiver ni de neige,
ma fleur cassée ;
    elle te chantera en silence
une douce chanson.

    Oh, quel triste sourire
dessine ta bouche...,
    ton cœur peut-être
touche sa main.

    Oh, quel triste sourire
ta bouche dessine,
    que dis-tu donc en rêve
à ta nourrice ?

    À ta nourrice éternelle
toujours pieuse,
    la Terre où en sainte paix
tout repose.

    Quand le soleil se lèvera,
ma pauvre étoile,
    à l’aube disséminée
tu t’en iras avec elle.

    Tu mourras avec l’aurore,
fleur de la mort,
    la vie te rejette.
Quel magnifique sort !

    Le sommeil à n’en plus finir
dort tout tranquille,
    car la mort de la douleur
est ton seul asile.

 

                                                 

 

 

    Dors, mon cœur

 

Dors, mon cœur, dors,
    dors et repose,
dors dans le vieux berceau
    de l’espérance ;
    dors !

Regarde, le soleil de la nuit,
    père de l’aube,
par-dessous le monde
    passe en dormant ;
    dors !

Dors sans sursauter de peur,
    dors, mon cœur ;
tu peux te fier au sommeil,
    tu es à la maison ;
    dors !

En son sein serein
    source de calme
incline la tête
    si elle est lasse ;
    dors !

Toi qui supportes la vie
    angoissée,
à Ses Pieds laisse tomber
    ton angoisse ;
    dors !

Dors, car Lui de sa main
    qui engendre et qui tue
berce ton propre berceau
    désarticulé ;
    dors !

« Et si de ce sommeil-là
    je ne me réveillais... »
Cette angoisse ne passe
    qu’en dormant ;
     dors !

« Oh, c’est au fond du sommeil
que j’éprouve le néant… »
Dors, c’est de ces sommeils-là
que le sommeil sauve ;
dors !

« Je tremble devant le sommeil lugubre
    qui n’en finit jamais… »
Dors et ne t’angoisse pas,
    il y a un lendemain ;
    dors !

Dors, mon cœur, dors,
    le jour se lèvera,
dors, mon cœur, dors ;
    demain viendra…
    Dors !

Dans le berceau de l’espérance
    il s’est endormi…
Ma triste espérance aussi…
    Y aura-t-il un lendemain ?
    Dort-il ?

 

                                        

 

 

    Pendant que tu es réveillée,
ton âme dort,
et ton âme se réveille
quand tu t’endors.

    Dors donc, ma vie
‒ le sommeil est léger ‒,
dors avec ton âme en attendant
qu’elle ne se réveille.

    À travers tes paupières
quand tu t’endors,
je vois comme tes yeux
fixent une autre lumière.

     À travers ta poitrine
lorsqu’elle s’endort,
mon cœur sent le tien
qui s’agite.

     Avec mes bras pour tout berceau
aie confiance et dors,
car je voudrais voir ton âme
blanche comme neige.

      Dors, dors dans mes bras
qui te défendent,
donne, donne-moi ton âme
qui me protège.

      Pendant que tu es réveillée,
ton âme dort,
et ton âme se réveille
quand tu t’endors.
Dors !

 

(Traduit de l’espagnol par Yves Roullière)

 




“Mahnmal Waldkirch” et quatre traductions

 

Mahnmal Waldkirch

von Eva-Maria Berg

 

 

Frage an uns

in Schmerz Scham Trauer

angesichts des Unfassbaren

hier erinnernd

jeden Einzelnen

der 138272 Menschen

Mord an Kindern Frauen Männern

zumeist jüdischer Herkunft Litauen

auf Befehl

eines Bürgers aus Waldkirch

und seiner Mittäter

Frage an uns

Wo stehen wir

wo stehst du

was tust du fortan

du an deinem Platz

wenn Menschen aufgrund von

Aussehen Glauben Denken

in Frage gestellt werden

was tust du um entgegenzuwirken

mit deiner Kraft

da du gefragt bist du

 

 

 

 

 

 

traduction en français :

 

La question nous est posée

dans la douleur la honte le deuil

devant l´inconcevable

ici en mémoire de

chacun d´entre eux en particulier

138272 êtres humains

meurtres d’enfants de femmes d’hommes

pour la plupart juifs assassinés en Lituanie

sur ordre

d´un citoyen de Waldkirch

et de ses complices

La question nous est posée

Où sommes-nous

où es-tu

que fais-tu désormais

toi à ta place

si des êtres humains en raison de

leur apparence leur croyance leur pensée

sont mis en question

que fais-tu pour t’y opposer

avec ta force

toi ici la question t´est posée

 

               (Traduction de l'auteure avec l´aide d´Alain Fabre-Catalan)

 

 

 

 

 

traduction en lithuanien :

 

Tai klausimas mums

iš skausmo gėdos gedulo

nesuvokiamybės akivaizdoje

čia prisimenant

kiekvieną iš 138272 žmonių

vaikų moterų vyrų iš Lietuvos

daugiausia žydu kilmės

nužudytų

Valdkircho miestelėno įsakymu

jo bendrininkų

Tai klausimas mums

Kur stovime

Kur stovi tu

ką nuo šiol darysi

savo aplinkoje

kai ties žmonėm

bus padėtas klaustukas

dėl išvaizdos tikėjimo mąstysenos

ką savo išgalėm darysi

kad pasipriešintum

tik tu gali atsakyti tu

 

(iš vokiečių kalbos vertė Laurynas Katkus)

 

 

 

           traduction en hébreu :

 

traduction en anglais :

 

Question posed to us

in pain shame mourning

in view of the incomprehensible

here reminding

each single person of

138,272 human beings

murder of children women men

mostly Jews

in Lithuania by command of

a citizen of Waldkirch

and his accomplices

Question posed to us

Where do we stand

where do you stand

what do you do from this moment on

you from your position

when human beings based on

appearance faith thoughts

are called into question

what do you do to resist

with your power

while you are questioned you

                     (Translation: Yehuda Hyman)

 

 

 

 

 




Eva-Maria Berg, poème pour le Mémorial de Waldkirch

Nous vivons une période trouble de transition, ballotée par les flux et reflux d'une histoire où le futur tarde à éclore, et nous laisse envisager le plus radieux, comme le plus terrifiant.
Nous vivons dans une société froide et mondialisée où nationalismes frileux, intégrismes religieux ou économique, fanatisme et populisme, se nourrissent des peurs, des frustrations et rancoeurs, et semblent chaque jour étendre leur domaine, tandis que dans ce délitement des liens sociaux, des liens avec l'histoire et la culture, l'humanité semble chercher son âme perdue. 
Pour éviter le naufrage de notre civilisation, la perte des valeurs qui sont les nôtres - et celles de l'humanité dans son ensemble -  il  importe de ne pas oublier ce penchant négatif de l'histoire : rendre hommage à ceux qui disparurent /disparaissent à cause de la barbarie est un acte vital, un acte de survie. 
Eva-Maria Berg, poète et humaniste - mais peut-on être l'un sans l'autre? - contribue  à ce devoir mémoriel : son poème, gravé sur la stèle dressée par sa ville,  Waldkirch,  à travers  les nombreuses victimes du nazisme auxquelles elle rend hommage, nous rappelle que le ventre de la bête est toujours fécond, et notre devoir de résister.  La chaîne de traduction suscitée par ce texte témoigne de notre force d'hommes - et de femmes - de bonne volonté pour faire re-naître l'avenir. (M.B)

 

Texte écrit pour le Mémorial de Waldkirch

 

Leurs bourreaux avaient été des membres de la Police allemande et des acolytes lituaniens.
D´après le rapport manuscrit du commandant de la Police de Sûreté (SIPO) et du Service de renseignement et de sécurité de la SS (SD) de Kovno, de février 1942, avaient été exécutés aux dites dates:
138.272 personnes, essentiellement juives, dont 55.556 femmes ainsi que 34.464 enfants.
Le responsable de ces crimes , SS-Standartenführer (colonel), avait été un citoyen de Waldkirch et, de sa profession, facteur d´orchestrions.
Par ce mémorial, les citoyennes et les citoyens de Waldkirch rendent hommage aux victimes de la barbarie nazie en Lituanie.

 

 




Hommage à Jean-Louis Vallas

 

Jean-Louis Vallas (1901-1995) est un poète, écrivain français couronné par l’Académie française.

L’œuvre de l’homme de lettres est largement consacrée à la description passionnée de l’âme de Paris et de celle de Montmartre1. Elle se plonge également dans la célébration de la beauté de l’amour et de la femme végétalisée au fil des poèmes. On y trouve aussi, notamment dans son recueil Rimes Buissonnières, des poèmes évoquant Lyon, Lille et le Nord (« Les Terrils« , « Les Moulins de notre Flandre« , « Lille et Lyon« , »Ballade des petits pavés lillois« ,…).




Quelques “paroles d’Afrique”

 

Ce 19ème Printemps des poètes aura été l’occasion de découvrir quelques jeunes voix africaines ou de confirmer la connaissance que nous pouvions en avoir, par exemple à travers les émissions populaires de Soro Solo sur France-Inter. Voix aussi variées, bien sûr, que l’on pouvait s’y attendre, l’Afrique étant un continent extrêmement dynamique, comptant plus de cinquante pays différents, et non une entité unique qui serait « en face » de nous, au delà de la Méditerranée. Les aîné(e)s Tanella Boni, Nimrod, ou encore Alain Mabanckou ne nous en voudront pas si nous concentrons quelques regards, au demeurant rapides, à leurs trois cadets invités (et en résidence à la Cité des Arts de Paris) : par ordre alphabétique Harmonie Dodé Byll Catarya, Ismaël Savadogo et Kouam Tawa. Moyenne d’âge 34 ans et demi. Éditeurs principaux Du Flamboyant, Lavoir Saint-Martin, Lanskine ; pays d’origine Bénin, Côte d’Ivoire, Cameroun.

Il est bon d’avoir entendu ces trois personnalités, déclamant ou lisant, en slam, en tirade théâtrale, en murmuration,  accompagnés ou non de fond musical, avant de se plonger dans leurs livres publiés. C’était là une sorte d’épreuve préliminaire du matériau mental et sonore : elle a été on ne peut plus réussie, testée de surcroît dans des espaces aussi différents que le Musée du Quai Branly, l’Auditorium de la Cité des Arts ou le petit local de l’Association L’Autre Livre.

Pour ce qui est de la très jeune Harmonie Dodé Byll Catarya, rien ne remplace l’écoute de sa voix, que l’on pourra trouver très distinctement, par exemple, ici : https://www.youtube.com/watch?v=Lk85N_H8E9Q . Mais les textes se suffisent aussi à eux-mêmes, insolents et frais, comme dans cette adresse à un Juge pour lui expliquer que la jeune fille ait préféré le slam à la comptabilité (et c’est tout un environnement scolaire béninois qui surgit devant nos esprits à l’écoute : M. le Juge, au fond j’ai toujours aimé écrire ! / Pas étonnant qu’aujourd’hui je slamme à plaisir !...). L’énergie d’Harmonie (et dans ces deux paroles pourrait consister l’essentiel du poétique) est communicative, comme on peut le voir aux réactions animées de l’assistance. Le message est d’amour universel, que dire de plus ?

 

Partout ma plume s’agite
L’univers, lui, crépite
À sa guise, ses devoirs de devin,
Il est un esclave de la nature
Qui chante sans cesse ses aventures !

 

Tout différent, Ismaël Savadogo doit visiblement forcer sa nature pour élever un tant soit peu la voix et faire entendre le fond de tristesse – véritable basse continue dans son écriture – de son Afrique déchirée, endeuillée, cherchant dans un cheminement sans fin mais non sans espoir, une quête qui semble parfois mystique, des raisons de ne pas désister. Tout cela n’est que suggéré, murmuré dirait-on sans emphase ni éclats (ce n’est pas la peine), creusé au plus bas de la réflexion intime et du travail dans la langue. On devine, çà et là, une adolescence blessée, le refuge solitaire à l’ombre, propice à la rédaction de fragments peu à peu décantés et rassemblés. C’est ici plutôt la crainte d’en avoir déjà trop dit :

 

On prend des notes
sur ce qu’on trouve à son passage

parce qu’on n’en sait pas plus
sur ce qu’on pourra voir après
une fois le jour venu.

Après la nuit, nous revenons chaque fois
à l’autre bout du temps
comme lorsqu’on entre et sort d’une maison :

une mémoire se refait alors au fil des jours.

 

La joie de créer en mots, de « verber » comme il l’affirme lui-même, se dégage dès l’abord de la présence intense de Kouam Tawa, auteur déjà affirmé dans des expressions diverses. Son long poème, Je verbe, a fait écho vaillamment au slam de sa jeune consœur  et a su enflammer ses auditeurs. L’engagement est ici assumé, mais en poésie, avec toute l’épaisseur des lectures (de Césaire à Brook à Neruda) et de la culture orale des djélis traditionnels. Notre écoute s’y abandonne bien volontiers :

 

Verber
Pour munir la parole
De la fureur
Du feu
Et brûler les ivraies
Qui murent les tympans[…]    
Et moi
Je verbe
Pour m’augmenter
Comme
On s’entraîne
Pour entraîner

Un jour
Sans avancer
Et je me sens
Reculer
Aurait dit
Carlos Gomez

 

Pour ne rien refermer ni conclure : merci au Printemps des poètes et à son directeur Jean-Pierre Siméon pour ces « Afrique(s) », au moment où le salon du Livre Paris accueille le Maroc (invité d’honneur) et ouvre un grandiose pavillon des Lettres d’Afrique à la Porte de Versailles. La poésie n’aura pas été oubliée.