Magda Carneci, Poème trans-neuronal (fragments)

4.

Finie la lamentation historique   la pitié de soi-même
   finis les abîmes infra et subconscients

 je sublime leurs mers de vase dans des hyper produits noétiques.

J’ai dépassé la culture des larves de papillons vantards
   derrière moi, une jachère pleine d’espèces expirées
   bloquées dans leur carapace de chitine conceptuelle.

 J’ai dépassé l’atavique marée instinctive-lacrymale 
   je suis sur l’autre rive   ici c’est propre  il fait un peu frais

 je suis enfin arrivée à moi-même 
   une haute tour au-dessus de la nature.

Je suis dans la sainte des saintes, au milieu du cerveau
   dans le programme ultra central

je patauge telle une navette spatiale ivre, béate
   dans mon propre vide neural.

Maintenant c’est le grand jeu qui-vainc-qui 
   l’écume de myéline veut un monde surréel

le tourbillon des synapses attend une nouvelle drogue
   une protéine illimitante

Je le remplirai de nouvelles constellations.

5.

Finie la mélancolie organique, maladive
   je suis un cyborg rebelle   un mutant pertinens

je cherche dans mes poches quelques vieux archétypes 
  ils sont moisis, ils sentent la momie.

Du peu de sable ptolémaïque resté dans les profondeurs 
de mes mitochondries
je modèle la marionnette à mille têtes des civilisations épuisées

je la piquerai d’antennes à fréquence supersonique
je la déchiquèterai avec les appareils analytiques

je la disséquerai avec les scies culturelles
je la nettoierai de toutes les clés ésotériques

j’en sortirai lentement avec la pincette les démons et les monstres
   et je les avalerai.

L’avorton vertueux de cette poupée morte
   je l’enterrerai entre les seins, au-dessus de mon plexus solaire

alors je verrai des cohortes de dieux et de bêtes sauvages
   sortir de la forêt sombre de mon pubis 

se jeter dans l’océan géométrique de ma pensée augmentée
   pulser comme un cristal vivant en expansion extraterrestre.

J’aurai mal au ventre à cause du vide créé
   je me trouverai mal à cause de la planète entière

mais de ma tête jaillira jusqu’aux astres
le laser de l’illumination.

6.

Au milieu de la ville transcirculaire
    je lis un article de journal sur les taches solaires

dans la chaleur de midi je me réjouis du soleil
   je m’imagine pour un instant comme une tache sur le disque solaire

et brusquement, je ne sais pas comment, je suis dans le soleil.

    Je suis dans ma tête et je suis pourtant dans le soleil 
    mon esprit s’est expansé avec le mot terrible soleil
    mon esprit s’est uni à l’idée aveuglante du soleil
    mon esprit s’est transposé dans le vécu ardent du soleil
    mon esprit est devenu soleil   vrai SOLEIL 
    et j’illumine.

Je suis soleil et pourtant je ne suis que pensée
   je traverse l’assourdissant magma en éruption.

Je suis pure pensée et pourtant je suis aussi pur soleil
   il y a ici un point mystérieux qui coïncide dans les deux.

Il a la présence intense à soi de la lumière
   et sa versatilité aveuglante.

De ce point je saute d’un niveau de réalité à l’autre
  par une petite torsion intérieure.

Les mondes s’interpénètrent dans le point, ils y coïncident
Avec ce point je me fixe souplement dans le centre de l’univers

qui est aussi le centre contemplateur de mon être
   devenu lui-aussi un soleil minuscule.

Puis je reviens instantanément sur Terre.

7.

Non, non, non,
    j’en ai fini avec la grotte de l’âme

elle pue le vieux et la peur rupestre
   je suis restée enfermée trop longtemps dans son cloaque 
je veux m’envoler maintenant.

Je mets le feu au sanglier caché dedans
   je l’entends gémir, je l’entends crier

cela sent le sacrifice, j’aime cette odeur
   je détruis des autels pourris et de la myrrhe parfumée 
s’écoule de ma bouche
   j’entends des éclats cosmiques de terreur et de rire.

Partez de moi
   bêtes d’eau et de terre

vous qui traînez, creusez, mordez, vous carnassiers
   je vous dépose tous au musée d’archéologie obsolète. 

Laissez la voie libre, arrive l’avalanche de l’esprit délivré
   un noyau incandescent aux dimensions multi-spirales 

un polyèdre étincelant de lumière éveillée.

8.

Écoulez-vous dans la Lune, cauchemars et fantasmes
   vous n’avez qu’à nourrir le subconscient d’autres systèmes solaires.

Me voilà :
   j’arrache mes racines mortuaires

je me sépare de mes étages inférieurs délabrés
   je suis purifiée maintenant, je suis libre

je détache mes dernières dendrites de la face de la Terre
   je brûle les étages de ma fusée corporelle 

je suis étincelante, je suis cosmique 
   je me remplis de dynamite stellaire.

Le cerveau est ma carte et ma catapulte
   par lui je me prépare à décoller

du sous-sol de mon imaginaire, de ma matrice terrestre. 

Présentation de l’auteur




Julien Bucci, Main de poèmes

passer au rouge

je marchais

je marchais hors de moi

en dehors de mes pas

matins et soirs

mon ombre me sortait

pour aller et venir

elle me sortait

pour faire le beau

il me fallait la suivre

où qu’elle aille

quand je m’arrêtais un instant

pour humer l’air autour

juste un instant

pour effleurer les branches

mon ombre hurlait de rage

elle détalait à toute allure

en tirant sur la laisse

je repartais dans l’instant

hors de souffle

mon ombre était loin

vacillante

et je ne marchais pas

je courais

je courais derrière elle

je rentrais tous les soirs en sueur

en sautant dans le train

mon corps était jeté

projeté dans l’espace

je ne discernais plus

les arbres dans le paysage

les troncs fondaient dans l’herbe

l’herbe et les feuilles se confondaient

d’un coup j’ai été arrêté

on a dû m’arrêter

tout est allé trop vite

on m’a prescrit

un arrêt

on m’a dit

arrêtez

j’ai regagné mon lit

j’ai éteint la lumière

mon ombre s’est couchée sur moi

nous nous sommes arrêtés

tous les deux

l’un dans l’autre

et nous avons fermé les yeux

en écoutant l’eucalyptus

 

tu parles trop

tu parles d'un flot

sans arrêt

ta parole éclate

elle jaillit se

libère elle

n'arrête pas

de couler

ta parole est

avide

fluide

désinvolte

tu ferais mieux de la fermer tu

ferais mieux d'arrêter de

parler

tu parles trop

beaucoup trop tu

parles tellement

vite tu parles tu

parles beaucoup

trop vite

ma parole

ta parole

déborde elle

dégueule

tu devrais la tenir

te contenir la langue

avant même de parler

calme-toi

coupe-toi

la parole

en petits morceaux

prends le temps de mâcher

tes mots sont de plus en plus gros

tes phrases sont épaisses

tu as la langue grasse

ta parole a grossi

tu te négliges

tu exagères

en face elles te regardent

ahuries

sidérées

elles n'ont jamais vu

un homme-fontaine

prendre son pied

en prenant la parole

 

mots de ventre

êtes-vous à jeun ?

avez-vous fumé ?

pris une douche ?

des allergies ?

je réponds

coche à tout

je passe au niveau supérieur

à jeun ?

fumé ?

douche ?

allergies ?

de mains

en mains

je passe

oui

non

oui

non

j'avance

je fournis les réponses

j'arrive au bloc

dernier palier

oui

non

pardon ?

l'anesthésiste

est le premier

à me parler

en creux

de bonnes vacances ?

oui je réponds

oui veut dire va

tout va j'ai bien passé

je ne veux rien dire

de suspect

j'attends qu'on m'ankylose

patient que je puisse enfin

ne rien dire

rien prononcer

rien cocher

rien répondre

j'entame le décompte

1

mes yeux se ferment

2

ma bouche

3

je peux enfin

répondre à rien

ne plus être contraint

aux bruits de fond aux mots

qui heurtent

embrouillent

chocs métalliques

les cris crissements

farces et attrapes

4

ils peuvent me parler

dans le vide

dans le vide ils peuvent

parler

de tout

de rien

des bruits qui courent

je n'entends rien

5

s'ils veulent savoir ce que j'ai à dire

ils peuvent explorer tout mon corps

ils ont mon consentement

bientôt ils iront voir à l'intérieur

ils entendront ma parole massée

ce que mon ventre leur dira

ils verront le magma de ma langue levure

pousser s'accroître

et me coloniser

ils entendront les cris primaux

de ma parole

ils comprendront

pourquoi je parle peu

à voix basse économe

ils pourront saisir ma colère

ma triste sourde

et mon désir parfois

de n'en rien dire

 

c’est tout

un poème n'est pas

une épée

un fusil

une bombe

une kalach

un missile

ni va-t-en-guerre

ni va-t-en-paix

un poème n'est pas

engagé

pacifiste

belliqueux

diplomate

un poème ne peut

décapiter

mitrailler

se faire exploser

défendre

pourfendre

pas même décimer

une ligne

ennemie

un poème ne peut empêcher

la folie

la blessure

le chaos

il ne peut rien faire

ni faire la guerre

ni faire la paix

il ne peut pas

il ne peut rien

du tout

un poème voudrait agir

parler

il se terre

il attend

le retour du silence

un poème revient sur le champ

de bataille

avec les femmes et les enfants

il peut alors reconnaître les corps

trouver et répéter leurs noms

et les pleurer

avec les femmes et les enfants

et quelques hommes qui sont restés

dévastés

un poème peut seulement

amplifier le silence

et prendre soin

de la mémoire des morts

et des vivants

les survivants

un poème peut pleurer

les morts

c'est tout

c'est tout ce qu'il peut faire

 

malhomme

tu es un homme

tu le seras

on me l'a dit en boucle

mon garçon

mon bonhomme

mon grand

mon tout petit

mon homme

à force de l'entendre je me suis fait à l'idée

je suis et je dois être 

un homme

alors je suis

nommé

être un homme je n'ai pas compris

jamais bien su ce que ça voulait dire

j'ai toujours été en-dessous

sous la moyenne de l'homme

je ne sais pas réparer ma voiture 

siffler dans mes doigts je ne sais 

pas jouer au foot pas 

retenir mes larmes

on m'a dit 

sois un homme 

on m'a tendu une boîte d’allumettes 

il faut un homme pour allumer le feu 

être un homme ça serait aussi simple que

ramasser du bois et rôtir la pitance

encore faut-il aimer la viande

et ne pas avoir peur du feu

mais non

je fais tout de travers

homme imparfait

malhomme

pas un garçon manqué

ni une femme

je suis

un homme raté

malhomme

l'imperfection au masculin

et je dois être aussi

une femme ratée

j'ai tout raté en somme

je devais avoir 11 ans

j'avais les cheveux longs 

je suis entré dans une boulangerie

bonjour mademoiselle

ça m'a surpris mais pas déplu

cette sortie

je n'ai pas démenti

chaque organe 

pierre

fleur

papier

caillou

feuille

ciseau

corps

un nom

toute chose est ainsi

nommée

nous sommes ainsi pressés.es 

rangés.es classés.s

entre deux planches 

on nous a désigné.es

on nous a consigné.es

je suis votre garçon

votre petit aplati

je suis votre bonhomme

l'homme le bon

je suis l'homme de la guerre

l’homme du feu

mâle homme

j'ai tenu dans l'herbier

le nom de l'homme

j'ai été l'homme de la famille

l'homme de ma mère j'ai été 

l'homme de la situation 

l'homme d'une femme j’ai été

tous ces hommes

l'homme qui sied

l'homme qui va

l'homme qui convient

rassure

l'homme qui ne change pas

je suis cet être mal nommé

dans un corps destiné

avec mes plis mes rides

avec mes os qui ont cassé

je viens de l'homme

et je m'en vais

me voilà hors de vous

vous m'appelez encore

je réponds à voix basse

avec ce mot qui me fait sortir 

de moi-même

et je vous lance des signes

ma main trace des traits longs

aucun trait ne se coupe

je croise à peine les cases

aucun carré ne me contient

même les mots

aucun mot ne convient

pour contenir le tout

je me dessine à main levée

a traits fins et longs traits

dans l’air

Présentation de l’auteur




Alain Snyers, Galerie des mensonges faits main et autres poèmes

Version voix unique pour lecture

Je mens …
Je mens, tu mens, nous mentons …
Tu mens, ils mentent, … je mens …
Vous mentez, elle ment,
Mens-tu ? Ment-il ? Mentez-vous ?
Mentons-nous ?
Vous mentez …
Vous me mentez,
Ils mentent, mentent-elles ?
Je te mens, tu me mens, il vous ment …
Vous nous mentez, mentirez-vous ?
Mentons-nous ? Il ment, elle ment,
Mentirait‘il ?
Je nous mens, je vous mens,
Il vous ment,
Elle leur ment,
Vous leur mentez …
Vous êtes menteur …
Tu es menteur …
Tu es menteuse …
Mensonge,
Menteur, menteuse …
Tu mens, tu me mens,
Mensonge,
Je te mens, je vous mens,
Mensonges,
Mensonges
d’ici et de là
mensonges
tout est mensonge !

Mensonge insensé,
Mensonge affirmé,  affamé,
Mensonge frelaté, édulcoré,
Mensonge frelaté, falsifié,
Mensonge falsifié,
Mensonge mastiqué, buriné,  burlesque,
Mensonge burlesque,
Mensonge carabiné, carabistouille, karaoké,
Mensonge capricieux,
Mensonge pernicieux, litigieux, épineux,
Mensonge gommeux, gominé,
Mensonge erroné, goudronné, assaisonné,
Mensonge astiqué,
Mensonge cravaté,
Mensonge gratté, gratiné,
Mensonge gratiné à souhait,
Mensonge raffiné à l’extrême,
Mensonge tartiné à l’excès,
Mensonge piraté à perdre haleine,
Mensonge tordu, dodu, dissolu, obtus, cocu,
Mensonge dissolu, mordu, bossu, tondu,
Mensonge absolu,
Mensonge nu,
Mensonge vendu, vendu, vendu,
Mensonge vent debout, ventriloque, ventilateur,
Mensonge vente à crédit, vente à l’emporte - pièce, pièce du boucher,
Mensonge bouché,
Mensonge débauché, débranché, débonnaire,
Mensonge vulgaire, vulgaire,
Mensonge vulnérable,
Mensonge véritable, vénérable,
Mensonge intolérable, invraisemblable, impitoyable,
Mensonge immuable, imperméable et implacable,
Mensonge impardonnable,
Mensonge important, imposant et méprisant,
Mensonge sans intérêt, sans vergogne, sans gêne
Mensonge sans gloriole, sans gaudriole ni cabriole
Mensonge agricole, chignole, branquignol, roubignole et farandole,
Mensonge carmagnole d’un rossignol guignol pot de colle,
Mensonge d’école,
Mensonge dés à coudre,
Mensonge débraillé,
Mensonge délicieusement vicieux, vicieux,
Mensonge délicieusement pouilleux, pouilleux,
Mensonge délicieusement globuleux, globuleux,
Mensonge délicieusement crapuleux, crapuleux,
Mensonge poussiéreux,
Mensonge terreux, ténébreux, tellurique,
Mensonge panoramique, panoptique, stroboscopique,
Mensonge maléfique, hypnotique, phobique, diabolique,
Mensonge cathodique à ferveur simulée,
Mensonge chaotique à filament chauffé,
Mensonge pneumatique à forte valeur ajoutée,
Mensonge lubrique à tempérament glacé,
Mensonge glacé d’un embarras gaufré,
Mensonge gaufré d’une angoisse délabrée,
Mensonge délabré d’une chasse pipée,
Mensonge pipé d’une classe givrée,
Mensonge givré d’une carcasse aspirée,
Mensonge aspiré d’une aspiration vidée,
Mensonge vidé d’une pression frelatée,
Mensonge frelaté,   relaté,
Mensonge falsifié, faisandé,
Mensonge fagoté,
Mensonge frit … frit, frit …
Mensonge fricassé,
Mensonge cassé !

MENSONGE !
TOUT EST MENSONGE !

Mensonge fait main,
Mensonge à portée de main,
Mensonge à portée de main pour faisander sans façon un mensonge pompeusement assaisonné d’une frivolité ostentatoire aux schémas dérogatoires d’un giratoire mensonger suprêmement superfétatoire.
Mensonge chronique de pure tradition falsificatrice issu de l’authentique mensonge boulimique de la véritable supercherie emphatique de l’unique mensonge véritablement ironique.
Mensonge subtilement perfide d’une fourbe manœuvre trompeuse guidée par la sournoise expression de l’insidieuse équivoque mensongeuse.
Mensonge de menteurs bonimenteurs dignes d’escamoteurs falsificateurs à toute heure d’un dire imposteur pleinement mensongé.
Mensonges à tous les étages ….

Ils ont menti, ils mentent, ils mentent tous …
J’ai menti, je vous ai menti

TOUT EST MENSONGE !

Je mens ….

∗∗∗

L’ENVERS DU VERT

Une couleur retournée

VERT-NID

VERT-OLÉ

VERT-SOT

VERT-TUE

VERT- RUE

VERT-SOIR

VERT-LENT

VERT-TIGE

VERT-MINE

VERT-GLAS

VERT-SŒUR

VERT-ROUX

VERT-ROND

VERT -SANG

VERT-BALLE

VERT-MI-SEL

VERT-BALISE

VERT-GLACÉ

VERT-MOULU

VERT-ROUILLÉ

VERS-LA-SORTIE

∗∗∗

LE JARDINIER AVENTURIER

Unique phrase XXL de 901 mots

(dépassant le record de Marcel Proust -858 mots).

      Désirant trouver l’authentique pierre philosophale pour ses nouveaux semis printaniers, le chef-jardinier carnivore officiellement en charge du parterre du paradoxe fleuri et de l’ineptie pertinente, abandonna temporairement sa brouette herbivore à l’orée du bois doré réputé pour ses incroyables mystères aussi attractifs que pernicieux pour oser y pénétrer dans la plus grande discrétion à la quête d’un jardin secret détenteur de vénérables cachotteries de jardinerie et d’alchimie illusionniste aptes à résoudre dans la lumière finement filtrée d’un sous-bois funeste l’énigme de secrets de polichinelle qu’une courageuse expédition clandestine pouvait permettre de découvrir le long d’un risqué cheminement pédestre au cœur des filaments filandreux d’une futé cafardeuse composée de majestueux arbres généalogiques qu’il dû contourner pour accéder au tronc commun de sa branche professionnelle, le jardinage, nourrie par l’influence souterraine de ses racines familiales ce qui, dans la progression de sa recherche intéressée, l’aida à se rapprocher des feuilles de calcul et de route pour le conduire le plus rapidement possible vers les profondeurs réfractaires et ténébreuses du labyrinthe forestier en lui évitant ainsi d’avoir à s’asseoir sur une branche qu’il aurait sciée par mégarde au détriment de son objectif qu’il poursuivit avec conviction et persévérance au contact d’un chêne déchaîné et d’un frêne effréné alignés en rang d’oignons en face d’un emphatique bosquet de peupliers pliés et dépliés dans une prétentieuse arrogance qui nullement ne l’impressionna ni entrava pas sa marche ambitieuse au ras des pâquerettes qu’il évita soigneusement de piétiner pour ne pas à avoir à se justifier et à raconter de bancales salades qui auraient fait rougir des tomates espiègles et qui l’aurait écartées de sa haute quête philosophale dont, malgré l’agressive exubérance d’un luxuriant parterre orthocentré d’une généreuse nappe séculaire d’une impressionnante infinité et variété de champignons lichénisés particulièrement revêches et pestilentiels, il maintenait le cap avec une sincère force inébranlable et une méritoire opiniâtreté, gardant ses objectifs initiaux l’amenant à naturellement secouer le cocotier afin de séparer le bon grain de l’ivraie et de mettre du beurre demi-sel dans les épinards sauvages de cette auguste forêt dans laquelle des indices indicibles lui permirent néanmoins d’accéder directement et infailliblement au pot aux roses dominant une majestueuse clairière claironnante abondamment envahie de mousses aux mille parfums qui, avec exubérance, recouvraient sans retenue une triomphale concentration hasardeuse de pierres aussi peu précieuses que muettes qu’un brutal coup de bambou frappé sur l’écorce bavarde de l’arbre à palabres voisin réveilla d’un silence somnolent et minéral ce qui illumina avec joie et franche pétulance la face subitement devenue écarlate du téméraire jardinier carnivore, qui fébrilement, le cœur battant et la bouche entre-ouverte, se pencha sur cette large étendue de caillasses discrétionnaires afin d’y repérer et surtout d’y trouver le caillou recherché pour ses vertus philosophales qui, suite à un long processus discursif et déductif issu d’une très fine analyse préalablement préparée et appuyée sur un solide corpus de témoignages plutôt fiables, apparût dans une absolue nudité et vérité ce qui permis au chercheur de la pierre magique de l’identifier sans hésitation parmi l’hétéroclite amas minéral du site, et il le mit dans sa poche droite de sa blouse vert bouteille de jardinier professionnel, en le dissimulant sous une écorce corsée et prit sans attendre un chemin retour plus direct vers l’extérieur ce qui l’obligea à escalader un perfide merisier zygomorphe à doubles radicelles falciformes pour accéder à la sensuelle et panoramique canopée afin d’atteindre par un saut démesuré les cimes bourgeonnantes du chêne champêtre monogyne noueux à glands spinuleux à doubles coques ramollies et du majestueux bouleau à temps partiel campanulé aux écorces cordiformes à figures géométriques avant de se laisser brutalement glisser le long du tronc commun mi-figue mi-raisin sur un tapis de fines herbes prétendues médicinales et de piques d’asperges qui lacérèrent dramatiquement sa veste de jardinier carnivore ce qui ne l’empêcha pas de poursuivre sa marche à grandes foulées enjambant sans scrupule la carcasse abandonnée d’un jeune hêtre mésophyte rupicole membraneux semi-lactescent à feuilles d’or et d’avancer sans se retourner ni lever la tête vers un bouquet litigieux de pommes de discorde se balançant aux branches basses d’un jeune pin perdu lancéolé à aiguilles caduques palmées cachant de sa superbe un groupe de tilleuls pauciflores paniculés piriforme à rosettes rostrées méthodiquement bouturés en crossette traditionnelle qu’il évita tout en serrant dans sa main le caillou tant désiré qu’il craignait de lâcher dans ce vertigineux dédale de fibres végétales et optiques qui ne favorisait pas une sortie aisée de ce parcours d’embûches de Noël et de flaques d’eaux croupies qu’il traversa péniblement à gué afin de rejoindre en toute sécurité le grand châtaignier arachnéen héliophile aux folioles ramifiées repéré comme borne limitrophe du bois doré à la feuille dont qu’il put enfin sortir et être à la lumière et voir enfin la précieuse pierre qu'il avait réussi à se procurer au prix d’épreuves téméraires au centre de la forêt et de subitement réaliser que ce caillou ressemblait comme deux gouttes d’eau à tous ceux qui jonchaient déjà sur l’allée centrale du parterre du paradoxe fleuri et de l’ineptie pertinente de son jardin, alors, dépité, il regarda alternativement sa brouette herbivore et la pierre qui perdit à ses yeux toute sa magnificence, secrets de polichinelle et charges existentialistes à connotations philoso-minérales la renvoyant subitement dans le champ de la banalité du galet ordinaire et du mal entendu ce qui l’incita sans scrupule à jeter la pierre dans le jardin du voisin.

Alain Snyers - 2021.

∗∗∗

LA DISPARITION DE LA DISPARITION
Variante lipogrammatique à partir de La disparition de Georges Perec

 

Étant donné le début du roman La disparition (1969) où l’auteur a appliqué un lipogramme1 en « e » :

« Anton Voyl n’arrivait pas à dormir. Il alluma. Son Jaz marquait minuit vingt. Il poussa un profond soupir, s’assit dans son lit, s’appuyant sur son polochon. Il prit un roman, il l’ouvrit, il lut ; mais il n’y saisissait qu’un imbroglio confus, il butait à tout instant sur un mot dont il ignorait la signification.

Il abandonna son roman sur un lit. Il alla à son lavabo ; il mouilla un gant qu’il passa sur son front, sur son cou.

Son pouls battait trop fort. Il avait chaud. Il ouvrit son vasistas, scruta la nuit. Il faisait doux. Un bruit indistinct montait du faubourg.

Un carillon, plus lourd qu’un glas, plus sourd qu’un tocsin, plus profond qu’un bourdon, non loin sonna trois coups. Du canal Saint-Martin, un clapotis plaintif signalait un chaland qui passait.

….. ».

Variante A : lipogramme augmenté en b, c, d, f, g, h, , j, k, l, m, n, p, q, r, s, t, v, w, x, y et z. Les lettres supprimées sont remplacées par un signe visuel, ou lors de lectures publiques, par un geste de la main.

« A--o- -o-- -’a--i-ai- -a- à -o--i-. I- a--u-a. -o- -a- -a--uai- -i-ui- -i---. I- -ou--a u- -ro-o-- -ou-i-, -’a--i- -a-- -o- -i-, -’a--u-a-- -u- -o- -o-o--o-. -- --i- u- -o-a-, -- -’ou----, -- -u- ; -a-- -- -’- -a-----a-- --’u- ----o---o -o--u-, -- -u-a-- à -ou- i---a-- -u- u- -o- -o-- i- i--o-ai- -a -i--i-i-a-io-.
I- a---o--a -o- -o-a- -u- u- -i-. I- a--a à -o- -a-a-o ; i- -oui--a u- -a-- -u’i- -a--a -u- -o- --o--, -u- -o- -o-.
-o- -ou-- -a--ai- --o- -o--. I- a-ai- -au-. I- ou--i- -o- -a-i-a-,---u-a -a -ui-. I- -ai-ai- -ou-. U- --ui- i--i--i--- -o--ai- -u -au-ou--.
U- -a-i--o-, --u- -ou-- -u’u- --as, --u- -ou-- -u’u- -o--i-, --u- --o-o-- -u’u- -ou--o-, -o- -oi- -o--a --oi- -ou--. -u -a-a- -ai----a--i-, u- --a-o-i- --ai--i- -i--a-ai- u- --a-a-- -ui -a--ai-.
…. ».

Variante B : traitement lipogrammatique de la version A par un lipogramme en a, i, o et u.

« ----- ---- -’-------- --- - ------. -- ------. --- --- -------- ------ -----. -- ------ -- ------- ------,- ’----- ---- --- ---, -’-------- --- --- --------. -- ---- -- -----, -- -’------, -- --- ; ---- -- -’- ---------- --’-- --------- ------, -- ------ - ---- ------- --- -- --- ---- -- -------- -- -------------.
-- ---------- --- ----- --- -- ---. -- ---- - --- ------ ; -- ------- -- ---- --’-- ----- --- --- -----, --- --- ---.
--- ----- ------ ---- ----. -- ----- -----. -- ------ --- --------, ------ -- ----. -- ------- ----. -- ----- ---------- ------- -- --------.
-- --------, ---- ----- --’-- ----, ---- ----- --’-- ------, ---- ------- --’-- -------, --- ---- ----- ----- -----. -- ----- ------------, -- -------- -------- --------- -- ------- --- -------.
….. ».

Au final : une lecture silencieuse ou gestuelle.

[1] Lipogramme : contrainte Oulipienne consistant à bannir une lettre d’un texte.

∗∗∗

LES COULEURS DÉTRAQUÉES, versus bleu
Hissez les bleus !

 

Si le blanc était bleu, le bulletin blanc serait bleu, le Mont-Blanc, serait le Mont-Bleu et les cols blancs, les cols bleus ! Blanche-neige n’aurait plus rien de blanc !
Alors, le petit blanc du bar deviendrait le petit bleu, bleu comme le drapeau blanc.
La carte blanche serait la carte bleue, une carte cousue non plus de fils blancs mais de fils bleus désormais connus comme le loup bleu !
La page bleue serait bleue comme neige et l’arme à balle à bleu deviendrait une arme bleue en fer-bleu.
Depuis son mariage bleu, le blanc-bec est devenu le bleu-bec qui a donné son bleu-seing pour renverser une sauce bleue sur la page bleue lors de sa dernière nuit bleue en tentant de montrer patte bleue.
En voyant la vie en bleu, le rose du poteau se changera en bleu alors le nouveau poteau bleu passera aisément inaperçu malgré les appels du téléphone devenu bleu, bleu comme l’eau de rose !  
Si le jaune était bleu, les œufs auraient un bleu d’œuf et ne manqueraient sûrement pas de provoquer un rire bleu et peut être même une fièvre bleue !
Audacieusement, le gilet bleu osera dépasser la ligne bleue qui n’est pourtant pas celle des Vosges !
Ne pouvant se mettre au vert, mais au bleu, la volée de bois bleus sera bleue de rage et de jalousie tandis que le feu passera au bleu.
Une agile main bleue agitera un chiffon bleu pour remplacer le rouge par le bleu.
La lanterne deviendrait bleue, le peau-rouge sera le peau-bleu et le rouge-gorge, le bleu-gorge et finira dans le bleu si il suit la ligne bleue.
L’ancien révolutionnaire rouge devenu bleu, à cause d’un carton bleu, se fâchera tout bleu pour sortir du bleu et tirera sans hésiter à boulets bleus sur la liste bleue d’un gros bleu, bleu de colère.
Bleu bien sûr comme le bleu à lèvres qui voit bleu tout en étant bleu de honte !
Le bleu-c’est-bleu remplace désormais le noir-c’est-noir de la chanson,
Par le travail au bleu, les idées bleues des gueules bleues du marché bleu broieront du bleu par une magie bleue qui, sans humour bleu, remplira la caisse bleue de la chambre bleue.
Par une nuit bleue, la bête bleue, à l’œil au beurre bleu, se fera prendre dans un trou bleu par une terrible marée bleue.
          Et si le bleu est vraiment bleu !
La fleur bleue reste bleue,
Le bas bleu reste bleu,
Le cordon bleu reste bleu,
La zone bleue reste bleue,
Le col bleu reste bleu,
La colère bleue reste bleue,
Le bleu de travail reste bleu,
Le petit bleu reste bleu,
La grande bleue reste bleue,
          Donc le bleu reste bleu !
Le bleu clair reste clair,
Le bleu marine reste marine,
Le bleu horizon reste horizon,
Le bleu pétrole reste pétrole,
Le bleu de roi reste royal,
Le bleu canard reste canard,
Le bleu ciel reste ciel,
Le bleu profond reste profond,
          Profond et audacieux  
Comme tous les incroyables bleus !
L’outremer et son bleu coquin post-outremer,
Le cobalt et son bleu hydro cobalté doré,
Le céladon et son bleu néo-céladon gominé,
L’azur et son bleu croquignolet azuréen,
Le cæruleum et son bleu proto-cæruleum délavé,
Le Prusse et son bleu pur prussien saturé,
Le turquoise et son bleu primo-turquo-pastel,
Le cyan et son bleu maxi cyan caramélisé,
          Et bien sûr,
Le bleu décoratif imitation bleu,
Le bleu archaïque velouté,
Le bleu impérial lustré,
Le bleu asymétrique saturé,
Le bleu corail cramoisi,
Le bleu achromatique nacré,
Le bleu primaire secondaire,
Le bleu écarlate décoloré,
Le bleu moyen supérieur,
Le bleu vicieux satiné,
Le bleu bitumeux gluant,
Le bleu au plomb sauvage,
          Et encore,
Le bleu de Naples attrape-tout,
Le bleu Véronèse ambré,
Le bleu Magenta nomade,
Le bleu orangé écarlate,
Le bleu vieil acajou jauni,
Le bleu émeraude safrané,
Le bleu fuchsia hédoniste dilué,
Le bleu dalmatien survitaminé,
Le bleu Garance brûlé,
Le bleu terre d’ombre rustique,
Le bleu cadmium intermittent,
Le bleu indien semi-mat,
Le bleu arc-en-ciel glacé, givré, figé,
Copié, plié, séché, volé, collé, bouffé,
Le bleu cuivré, argenté, doré,
Et le bleu est doré !
Et le bleu est adoré !

∗∗∗

L’APPEL DADA / CABARET DADA, 06 février 2016

Artistes, êtes-vous là ? oui
      Pacifistes, êtes-vous là ?
Poètes, êtes-vous là ?
      Amis des arts, êtes-vous là ?
Touristes, êtes-vous là ?
      Zurichois, êtes-vous là ?
Voltairiens, êtes-vous là ?
      Créateurs, êtes-vous là ?
Provocateurs, êtes-vous là ?
      Rénovateurs, êtes-vous là ?
Conspirateurs, êtes-vous là ?
      Dénonciateurs, êtes-vous là ?
Débroussailleurs, êtes-vous là ?
      Navigateurs, êtes-vous là ?
Spoliateurs, êtes-vous là ?
      Liquidateurs, êtes-vous là ?
Imitateurs, êtes-vous là ?
      Renifleurs, êtes-vous là ?  oui  - Reniflez tous !
Vaporisateurs, êtes-vous là ?
      Rémouleurs, êtes-vous là ?
Déménageurs, êtes-vous là ?
      Copulateurs, êtes-vous là ?
Ravitailleurs, êtes-vous là ?
      Rouspéteurs, êtes-vous là ?   oui   Rouspétez !
Cache-radiateurs, êtes-vous là ?
      Retardateurs, êtes-vous là ?
Décapsuleurs, êtes-vous là ?  oui - Décapsulez -vous !
      Accumulateurs, êtes-vous là ?
Ensorceleurs, êtes-vous là ?
      Ventilateurs, êtes-vous là ?  oui  - Ventilez-vous !
Sanibroyeurs, êtes-vous là ?
      Antidouleurs, êtes-vous là ?
Inspirateurs, êtes-vous là ? oui  - Inspirez fortement !
      Horodateurs, êtes-vous là ?
Boursicoteurs, êtes-vous là ?
      Quadrimoteurs, êtes-vous là ?  oui  - On doit vous entendre, les quadrimoteurs !
Ambassadeurs, êtes-vous là ?
      Aspirateurs, êtes-vous là ?  oui - Aspirez !
Acuponcteurs, êtes-vous là ?
      Bonimenteurs, êtes-vous là ?
Tripoteurs, êtes-vous là ?  oui - Tripotez votre voisin !
      Manipulateurs, êtes-vous là ?
Camionneurs, êtes-vous là ?
      Postillonneurs, êtes-vous là ?  oui - Postillonnez !
Perturbateurs, êtes-vous là ?
      Blagueurs, êtes-vous là ?
Pleurnicheurs, êtes-vous là ?  oui - Pleurnichez !
      Spectateurs, êtes-vous là ?
Emmerdeurs, êtes-vous là ?
      Dadaïstes, êtes-vous là ?

Présentation de l’auteur




Jane Angué, Cinq poèmes

Chartres, campagne 1982 : amphore

Écorchant la peau boursoufflée
des siècles, nous mettons à nu
muscles et nerfs noueux,
écartés à coup de pioche.
J’incise, sondant les chairs froides,

fouillant les os de ta cité,
les os de tes langues anciennes,
les os de ton nom, ton voyage ;
ensemble, mêlés à la moelle friable
nous nous trouvons.

À genou dans la poussière grasse
de cendre et tuile, j’extrais les tessons,
laissant dans la gangue le négatif,
pièce manquante
empreinte de ton cachet.

Vidant seaux et brouettes,
funambules glissant sur les planches
qui ploient, nous quittons novembre,
raclant la boue sur nos bottes,
sortant du puits du passé.

Calés dans le bac de sable, tes flancs
fracturés, courbes en arc brisé.
Temps attendant, sous les gargouilles,
arcs-boutants soutenant l’air d’hiver,
cathédrale scellant ton histoire,

la pluie nous regarde derrière la vitre
posés devant le jardin
de l’évêché ; sortis du puits du passé 
déconstruits, je te reconstruis,
ton argile la couleur de ma main.

Corps à Corps

À cor et à cri
son étiolé en sourdine

chasse en chassé-croisé
regard à la lisière

d’entente malentendue
ce corps à corps déphasé

pas de deux cerclant disharmonie
sondant consonance à demi-mot

crachant sang d’encre
courant à corps perdu

vers voix à court de verbe
ancrés encore au cœur

corps accords
criant créant écrit

Arrière-goût

Il y avait trois gâteaux.
Nous nous parlions encore.

Du bout des doigt
il me tendit un morceau,

l’approcha de ma bouche pour goûter.
Je l’ai pris du bout des lèvres

et j’acquiesçai.
Pour éviter les miettes

sur la jupe que je portais,
il posa une tranche

avec une attention surprenante
sur une serviette en papier.

De sa main à la mienne,
je l’ai mise sur mes genoux

et je ramassai,
comme chaque mot

qu’il avait prononcé,
miette

après miette
du bout d’un doigt mouillé.

Bicéphale

Ce silence solipse se glisse
le long des pas en cadence

dans un couloir qui résonne
soliloque polyphonique

pensée unique cantonnée
aux cantiques des poètes

refrains réciproques réfrénés
des cordes acoustiques.

Ce silence se hisse
sur la pointe des pieds

histoire ancienne adoucie
faire un clin d’œil

au creux de l’oreille
précède l’ambivalence

et nous suit, pause ;
à contrepoint nous sourit.

Arabesques

Six heures s’étirant, le cercle s’allonge, orteils en alerte
tâtent le carrelage et une nouvelle fronde se déroule

par la fenêtre ouverte, un cercle se scinde, cintre une copie
de la matrice. L’air de la nuit se rétracte, brouillard rose-ambré

fait entrer ce jour ; un toi de plus ouvrant la porte
sans te retourner, cette volute s’arrête mort-née en attendant

la boucle suivante qui s’apprête, ondulant encore, par chemins
d’arabesques poussant sans racine pour s’achever mi- courbe,

déferlements de traits en pointillé, chaque jour
coupés quand la porte se ferme, aucun lien pour réunir

les écarts, aucun entier à tenir. Quand tu pars, c’est le tout.
Tasse de café, cigarette, les mots s’évaporent en fumée

et vapeur, les anneaux roulent, s’enlacent, se dissolvent
pour reprendre, prendre fin et fin, miroirs enguirlandés,

ombilicales spirales sectionnées avant conspiration
et retournement ; conversations inachevées, creuses,

glissant à la surface patinée, polie par usage désabusé,
éternel comment ça va ? Et on va sans voir.

Je ne puis faire pousser les feuilles, celles que nous sommes,
répétitions de flux tronqués, continuum d’interruptions,

éclipses diurnes, rythmés par sonneries qui coupent
la question, coupent court à l’approximation, malentendus.

Dernière heure, dernière minute, jusqu’au temps à venir,
piège en arabesque, enfer inextricable, virevoltant,

viendra, reviendra par déroutement, main tendue, déliée.
Par ce présent de commencements, en avant, me déployer.

Présentation de l’auteur




Thibault Loiselle, Poèmes

Lost Highway

Voilà le ciel si noir 
qu‘il laisse le chant 
des cigales nu et 
mort. Voilà le ciel – 
figures de cire étranglées, 
couleurs léthales comme 
des poignards plantés 
aux yeux de la nuit.

Voilà à quel point le ciel 
est aveugle quand on l’allume 
avec des phares.

Sais-tu qui nous sommes ?

Deux lobes brillants 
dans la nuit des temps :
une averse de bandes blanches 
qui éjaculent le pare-brise, 
les feux une plaque d’acier
qui rampe le noir comme 
une armée de mygales.

Tu m’as saisi les yeux 
dans la bluette – 
comme si tu pensais 
pouvoir prendre plus 
qu’une ombre. Tu m’as 
saisi les yeux, baissé la vitre,
puis tu as tendu le revolver 
vers la mer. Clic. Une comète 
qui éclate sur ma rétine. Puis 
la détonation qui me remplit
comme un encens 
dans une conque.

J’ai la rage de n’avoir que 
ces yeux pleins de chair pour l’orage mais
la joie de pouvoir te les confier, 
le temps qu’un éclair prend 
pour balafrer la nuit
et se rabattre dans son ventre. Le revolver 
encore chaud de ta paume 
qui noie mes mains
dans la moiteur d’astres ensablés.
Puis je rate ma cible. Je rate 
ma cible
 pour trouver

l’étoile enfouie.

Sais-tu qui nous fûmes ?

Les couleurs pures de paix 
qui fusillent la nuit lorsqu’elle
s‘assoupit. Tu laisses le sable
galoper ta peau nue. Comme 
d’habitude tu es froid comme neige
mais tes gestes ont la chaleur 
de celui qui sait la récolter
au creux de sa main,
la voir fondre
sous sa langue en prononçant un voeu, tout bas :

soit aimé – soit le pas 
sans raison que l’oeil fait
pour dévêtir le ciel.

 

(S)ilence & (M)urmures

Ailleurs si 
j’écris. Avant
si je compte

jusqu’à trois,
tu reprendras
ta peau de nuit

et la coudra sur
mon nom pour
ne pas le perdre

si la tienne
brûle à vif. Car 
le nom dépend 

d’heures que
je n’ai pas, où
tu n’es pas

sans être à
personne
d’autre. Car

on croit que 
c’est croire 
jusqu’à ce
qu’une nuit
pleine de
 
lanières bleues
s’emmêlent. 
On croit que c’est
une peau jusqu’à

ce qu’elle se tende
assez
pour en faire
une carte.

Hérétiques

Ou encore : je n’ai été chrétien qu’au jour où le septième ciel

était presque assez haut pour que retomber en vaille la peine.
Car je n’ai jamais su mieux aimer la terre qu’à tes pieds

sur la pédale d’accélérateur, le monde une pluie de phares

qui mouillent la nuit jusqu’à ce que les mains noires du cèdre 
grelottent ton visage. L’intime de ta danse semblable à une couleuvre

lorsqu’elle se dénude au soleil pour atterrir dans le rêve

le plus blanc. Est-ce qu’il se brisera dans la foudre, ou 
durera-t-il comme une pluie d’été ? C’est ce que les

mots implorent en s’effaçant – la ligne noire et funambule
sur laquelle je cours. Après tout je ne crains plus de passer pour faible.

Ce que je crains, c’est que ma faiblesse s’arrête de faire des

entailles sur ma peau. Après tout, l’origine n’était qu’une poussière 
avec la précision d’une flèche. Après tout, l’origine n’est qu’une poussière

face au soleil qui la fait durer en la criblant - en l’aimant.

Présentation de l’auteur




Maëlan Le Bourdonnec, Embarcadères

nue Maude à la fenêtre

de toi je garde l’attente pluvieuse. le genévrier mouillé. la chair en-dessous

je suis revenu dans la cuisine où la vaisselle d’hier est restée.

rémanence. en dehors pourtant de toute photographie,

même très nue

la maison que nous habitons a des parfums – ce que l’on accroche aux murs – il y a de
nombreux bocaux de sauce tomate. la poussière et la cueillette en été cela se produisait par ta
main

à la fenêtre se joue la peinture de ton corps attendu. de nombreuses géographies défilent sur le
téléviseur

assoupie, cueillie, élucidé ton visage qui se couvre un peu de la lumière d’autres pays, semant
en nos gorges d’autres langues.                          

la mienne est serrée.

de toi. de toute toi,

                             et de toi sur le rebord

[j’ai connu la mer et ce qui mène à la mer. ses voiliers
emportés. les premiers pins. le pique-nique éprouvé par
le vent. car Maude est une « impeinte », une oubliée du
chanvre et de ses paroles ne reste qu’une enfance. qu’un
joli timbre de carte postale à la devise inconnue]

il n’y aurait plus de quais ni d’embarcadères.

même très enfuie de moi tu es tout près

indue

comme un roman dont on retarderait la fin                                                             jusqu’à la mer.

Présentation de l’auteur




Nil Didier, présentée par Marc Delouze, Poèmes

Un livre des naissances

Un noyau emmuré dans un fruit oublié des oiseaux, par ce vers extrait du poème inaugural, me vient l’envie de définir ces textes comme tombés d’un nid dont on ignorait l’existence. Ce pourrait être le Livre des Naissances. Naissance d’une poète : Nil a de très peu passé la trentaine. N’a jamais publié. Pas encore entendue. Déjà étonnement audible ! Naissance du poème, qui impose d’emblée sa scansion singulière. Avec force et légèreté. Naissance dans la langue d’une autre langue, qui dit la naissance d’avant la langue, puis de l’inquiétante étrangeté d’avoir à se frayer un chemin entre, sans distinction, / les instants perlés et les instants sombres.  Naissance, par effraction dans le temps, d’une graine qui nous dépasse, irruption dans le monde du vivant d’un « ce-qui-fut » dans le « ce-qui-advient ». On le sent, je le sais : la langue de Nil est grosse de poèmes (que j’espère avoir le temps de découvrir). En voici la première promesse.

Marc Delouze, Fécamp, 4 novembre 2022

L’année de ses trois ans, l’enfant comprit qu’elle déposerait un jour l’anse de son chemin. L’idée de
la mort fut celle de la solitude intacte, éblouissante ; l’ivoire marin qu’elle avait ramassé sur le visage
d’une passante quelques jours auparavant. Un noyau emmuré dans un fruit oublié des oiseaux.

*

 

J’ai ouvert une ligne en son centre ;
y coulait quelques gouttes de liquide amniotique
dont tu avais laissé un petit réservoir
pour l’avenir d’un langage qui s’ignorait.

*

 

S’étendait sous ses pieds le damier des décennies semblables à des cales de bateaux.
Il y avait demeuré entre deux mondes, imperceptiblement logé sous le niveau du fleuve mais tenu
à respirer l’oxygène ballotant la petite embarcation que sa mère avait lancée sur le courant le jour
de sa naissance.
Nous pouvons croire à tout ce qui nous serre le cœur : la somme des rives perdues, la somme des
rives invisibles.

 

*

 

L’enfant joue à remonter le courant à cloche pied.
Il crie : jadis j’avais deux pattes, maintenant une arme unique.

 

*

 

De tes bois tu crains la poussée puis la chute des velours.
Tes os te connaissent mieux que nous ; ils conservent la roue des syllabes qui résonnait sur les
pavés de ton enfance.
Une clarté, une clarté, une épaule, une sève.
Un treuil.

 

*

 

Je pouvais croire, en observant ce rêve au microscope, qu’il avait parcouru plusieurs fois le tour de la chambre.
Ses cellules se serraient les unes contre les autres.
En tournant la molette, le noyau enveloppé dans les bras de chacune d’entre elles devint plus précis.
M’apparue une première bâtisse au milieu des champs, inusable soliste vu du ciel.

 

*

 

L’audace fiance sa fourrure au sol, la colonne fumante
et, d’un mouvement inattendu,
rompt subitement l’étreinte.
J’ai rêvé de cette citerne d’élan, de ce solstice de bouche.
Aide-moi à faire pousser l’œil jaune, l’iris bondissant 

*

 

Nos vies amphibies cognent dans notre poitrine.
Toute vitesse éponge ce qui devrait former un lac.

 

*

 

Le sommeil fêlé laisse entrer la nuit dans la chambre et déplie des heures insulaires bordées de
signes.
Enfant, j’ai appris rapidement à faire la planche.

 

*

 

Sur le glacier noir, le guide avançait quelques mètres devant nous.
Un craquement débouchait sur un craquement.
Un chat entrait sur un parquet ancien ;
chaque latte sur laquelle il s’engageait échangeait avec lui un son contre un contact.
Ni peur de poursuivre
Ni destin modifié
Un son contre un contact.
Je jetai un œil derrière moi et pris sa suite.
Mon père avait son visage d’enfant sur son visage d’homme, son regard de chimpanzé sur son
regard d’homme.
Ni peur de poursuivre
Ni gerçure de l’être
Un son contre un contact.

 

*

 

 

La seconde qui précède le souvenir dresse une falaise lisse ; celle qui lui succède nous consent des
cavités où jouer, par temps de pluie, des parties d’escalade.

 

*

 

Il prit trois longues inspirations.
Trois fois tu apparus dans sa gorge, descendant en rappel, le regard franc. Trois fois son torse se
couvrit de fruits.

 

*

 

Nous serions soulagés de confier aux fourmis nos symptômes,
qu’elles traversent les étendues successives à notre place,
les hiéroglyphes emmaillotés sur leur dos robuste.
Soulagés qu’elles les introduisent dans la terre,
les tirent au fond de leurs galeries ; que d’autres individus les absorbent dans leur propre
labyrinthe.
Alors, nous pourrions attendre, filet à la main,
des choses petites,
partiellement desséchées,
partiellement vivantes ;
deux ou trois idées dégrafées du cours de nos pensées.

 

*

 

 

Au commencement de la nuit, nous saisissons nos rames. Le goût de la farine nous avait laissé
penser que la chasse aux épaves était ouverte. Mais c’est le futur que nous suivons.

 

 

*

 

L’hiver cicatrise.
Je trouve en ton œil une marmite fumante.

 

*

 

J’observe le glacis du souvenir d’enfance,
mince film formé entre nos pattes tandis que nous butinions,
sans distinction,
les instants perlés et les instants sombres.
Au-delà de notre conscience.

 

*

 

Et l’ossature attire les chemins le long desquels remonter contre le vent.

Présentation de l’auteur




Carmen Penn Ar Run, Il y eut des jours… et autres poèmes

Il y eut des jours qui ne furent pas des jours
il y eut des nuits qui ne furent pas des nuits
car les jours s’évanouirent dans le vide
tandis que la nuit intensifiait leur chute
sacrifiant tout au silence.

L’âme, elle-même, louvoyait dans la vase
et les rêves stagnaient sans jamais parvenir
à atteindre le noyau terrestre où l’étoile
de cristal appelait de ses douze bras
la consonance humaine.

J’attendais l’algorithme du jour véritable
   la simplicité d’une barque affrétée par le ciel 
mais rien de désirable ne vint calmer
l’arythmie de mon horizon où seul le chant
de la mer sous le déploiement des vagues.
avec ma solitude se risquait à l'amble.

Je ramassais des galets polis à la perfection
ils étaient menus comme les cris que ma respiration
suspendait à la verticale de mes aspirations
    des dents de lait, pensai-je !

Dans ma folie d’écrire
les mots ne lèvent pas des cailloux
ni ne secouent la boîte des dents, petites
sur les consciences
tout n’est que mur de feuilles
et l’arbre est caduc - bientôt
il perdra son rideau vert -
peut-être verrons-nous, cet hiver
son œil pâle se fendre de milliers de fenêtres
pour peu qu'on ose considérer les vides.

Chaque feuille du décor
est à saisir telle que branche l’offre
qu’elle soit parfaitement configurée
ou que ses contours soient grignotés.
Le crayon de bois est plus tranchant
qu’un canif, il entaille l’écorce de l’âme
feuillage pour y graver des initiales - des jours !
Il consigne les existences
dans la persistance de la beauté

                            **

Celle qui a perdu la mer 

Je suis celle qui a perdu la mer et creuse le sillon.
Je suis celle qui contemple les nues et tisse des arcs-en-ciel.
Par l’alchimie du verbe je ressuscite mes sœurs,
les filles de Nérée,
et les séraphins transfusent leur ardeur.
C’est d’un même chant que s’élèvent nos voix
afin que vibre sur la Planète une imposition plus légère
     une lumière rayonnante et joyeuse
conçue                                         en terre plénière. 

                           ** 

Soir de novembre aux Sables d’Or

Glacial - le vent giflant sur la plage d’or -
et le sable grinçait        sous l’ivoire des dents
Souffle coupé et chardons bleus
au fond des gorges             ouvertes

La lune allumait les vagues déferlantes 
- une ligne de démarcation frétillante
entre la mollesse de la grève et la mer létale -
Dans la turbulence   la feinte de l’air      dure

L’homme plus fragile qu’un oyat de la dune
en terre noire ne peut aligner ses pas
ni choisir la voie qui résiste au vent
Il marche dos offert   à la pression de la bise

On entendait la plainte des amants naufragés
Vent et chant funèbre hurlaient leur tristesse

                                ** 

Psychose

Elle avait déchiré le voile et elle souffrait,
infiniment. Ses maux griffés dans le silence
d’une chambre de jeune fille troublaient son âme

Elle ne possédait de la vie que mille voix
qui la  hantaient, la laissant là sur le carreau
brisée, parmi les tesselles de ses rêves.

Seule, elle écrivait :

« Citadelle enflammée au bout du mirage...
Et l'avenir se retourne
Sur les pas de l'homme qui marche... »

N’oubliez pas l’enfant que le lait de l’existence
n’a pas nourri. Sa vie était de famine
et sa mort certaine. L’esprit avait fui la citadelle.

N’emmenez pas l’enfant, elle n’est pas oubliée,
elle dort dans la mémoire des vivants qui l’aiment,
son absence est un éveil que les pleurs trahissent.

Seule, elle dansait :

« Noé a brûlé son Arche
Et la jungle s'est faite reine
Au milieu des catacombes... »

Les songes qui l’habillent sont des parchemins
où s’égarent les élans de joie dans les suintements 
d’un monde déchiré de sauvagerie qui lui est interdit.

Étrangère à la jungle elle se pare de grâce,
s’excuse de ne pouvoir annoter à l’encre
du réel les signes qui chavirent son arbre de vie

Seule, elle pensait :

« Les ordures fleurissent par tous les temps
Et la dent arrache les pétales.
Pour manger l'âme hostie ! »

À la lisière de l’éternité je tends
des feutres de couleurs, dans l’espoir que fleurisse
une  thérapie douce, avant l’extinction des étoiles fragiles.

                                    **

Fenêtres ouvertes une nuit d’été

La pelouse compte sur ses doigts d'herbe
les étoiles que les rêves d'août étourdissent

Les fenêtres laissent courir dans la maison
l'énigme du sommeil. L'arbre s'en brouille

Les sons, les couleurs migrent dans la nuit
la vie serpente d'un nid d'hirondelle au cosmos

La transhumance résonne dans l'immobilisme

                                **

Les corbeaux

Les gouttes d’eau
sur les ailes des corbeaux
sont autant de boules de cristal
que la flèche des regrets amène
depuis nos nuits cataleptiques

On laboure le ciel
et s’envole l’âme des arbres
                            en paradis
On déracine le calvaire
ainsi se plantent les maisons
dans l’immobile
d’un espace bétonné d’ennui

et les vieilles routes s’oublient
au bout d’une impasse
tandis que la vie             cherche
sa voie autour des ronds points

Les gouttes d’eau labourent le ciel
et du miroir de son granit
le calvaire reflète un champ
que les corbeaux colonisent

                          **

Automne en friche

Elle a retourné la terre de ses sentiments
il ne reste plus rien de ses tourments
pas la moindre résurgence n’offre son accroche
à la lumière blanche du jour naissant.

Maintenant son jardin est devenu plage
où roule la joie, s’encoquille l’espérance
qu’il suffit de ravir – trésor à collectionner
puis à livrer aux caresses intemporelles.

Même celles du temps gris, celles du temps lourd
du temps à prendre comme il vient, comme il s’en va
comme on détresse ses angoisses, comme on agite
un mouchoir de rêve pour disperser ses larmes.

Sur la plage n’être que roseau sans racine
laisser nos pieds explorer les passions fertiles
les frissons remonter le long de notre tige
      une colonne où file l’énergie, aérienne.

Au-delà des nuages elle cueille la lumière
elle danse sur sa parcelle défrichée.
Où qu’elle s’aventure se coule un tapis
de sable blond comme l’or de l’automne.

Ne pas croire cette gymnastique facile
les coups de vent viennent amplifier la lame
au fond de laquelle trépide le dé de l’espoir.
Elle danse, simple graminée, sœur des oyats.

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Reha Yünlüel, rehaïku, et autres poèmes

rehaïku V

toplu şiir yazmak
nasıl bir suçtur ?
:
cocuk suçu

 

rehaïku IX

şâir dediğin nedir ki ?

bir ağaçtan bir ağaca
ibret-i âlem için
asılan salıncak

 

rehaïku XX

Röne Şar’a ve Paskal’a

en civcivli yerinde
hançerden keskin
bir fırtınanın,
sapına,
hançerine kadar
saplanmış bir kuşun
senin için
hep üşüdüğünü

rehaïku V

écrire un ball’ade en commun
où est le crime ?
:
des mineurs co-accusés

 

rehaïku IX

mais qu'est le poète ?

une balançoire
qu'on pend entre deux arbres
pour servir d'exemple au monde

 

rehaïku XX

pour René Char et Pascale

tu le verras,
au plus fort de l'orage
plus tranchant qu'un poignard
l'oiseau perce
de sa lame
poignardé à son manche
jusqu'à la garde
et frissonne toujours
pour toi

rehaïku V

Eine Ballade zusammen zu schreiben
wo ist das Verbrechen :

minderjährige Mitangeklagte

 

rehaïku IX

Was ist aber der Dichter ?

eine Schaukel
die man zwischen zwei Bäumen hängt
und als Beispiel für der Welt zu dienen

 

rehaïku XX

für René Char und Pascale

Du wirst es sehen
mitten im stärksten Gewitter
schärfer als ein Dolch
bohrt der Vogel
mit seiner Klinge
an seinem Griff geheftet
und zittert stets
für dich

 

Extraits de Rehaïkus  (avec les illustrations de Firuz Kutal), Editions du Petit Véhicule, Nantes-2022, pp. 10-11, 16-17, 26-27. Traductions : Belkis Sonia Philonenko et Pascale Gisselbrecht avec la complicité du poète ; Übersetzung Marc Chaudeur.

 

∗∗∗

-cauchemar mouvant-

sablier dans la main
nous les statues de sable
passons toutes nus dans ce désert dévorant
qui était une belle plan’te d’antan
à son chevet un vieux cercle vicieux maintenant 
migrant pas à pas grain à grain
sabliers dans le sablier
trou dans le trou
tombons par cette porte noire
sans nous en rendre compte
en ribambelle
telle une étoile filante qui s’abat
dans un cendrier teinté
nous les statues de sable
consciemment inconscientes
vert désormais
est une couleur oubliée
sauf pour la moisissure sauf pour la mort
pas un chat pas un insecte
l’horizon est un sanctuaire
un abîme un immense cimetière
tout calciné
la terre est une belle pierre brulée
par cette crème solaire
jusqu’à en être consumée

savourons la fumée !

 

∗∗∗

Retour à la ligne, poème de Reha Yünlüel  lu par le poète-philiosophe Philippe Tancelin.

∗∗∗

instantanés de vie sans hobby, sans phobie, sans toutou, ("instantanés de vie sans hobby, sans phobie, sans toutou") poème de Reha Yünlüel lu par le poète-philosophe Philippe Tancelin.

Présentation de l’auteur




Francis Coffinet, Le signe vertébral sécable

Poésie et Fictionnalisme scientifique

Ou cette part du souffle glissée dans la mort que l’on incise.

***

1/ Si l’on considère la substance de notre lendemain comme l’unique possibilité de  nous identifier dans le temps, nous pouvons alors tenter par le subterfuge de la langue poétique d’en entrouvrir la chambre, que nous définirons comme secrète : glissement à l’intérieur de notre bouche d’un caillot de verbe qui pourra  déployer dans notre corps fractal et fictionnel  [éternel ] le principe actif romanesque, la formule chimique: le sel des possibles. 

Tous les écrits sacrés sont nés ce même principe de Fondation.

L’écriture comme nouvelles tables de la loi revient, conglomérée, comme un boomerang vers la grande épopée romanesque de chacun.
Elle nous  fixe ainsi  un coin dans le cœur - et  le tient entrouvert - 
Elle vampirise le vide  et nous assure une descendance  réelle dans la pensée. 

2/  Le jour où nous pourrons mesurer les constantes sanguines de nos rêves nous remonterons le fleuve des morts.

La fiction est en quelque sorte un art quantique, et la rétine  est pour chacun «  la boîte de Schrödinger ». Qui  se risque à briser l’oeil connaîtra la fin de l’histoire. 

Dans l’enlèvement de Patrocle par Achille de Fussli / on assiste à un combat cosmique où à l’inverse des  stratégies déployées en ce monde la fiction aspire  notre vie et notre sang.

« Visite l'intérieur de la terre ». · « En rectifiant ». · « Tu trouveras la pierre cachée. » peut on entendre dans la tradition.

« Avec de l’ici on biffe du là-bas » écrit Michaux 

Il faut non seulement analyser toutes les combustions mais sans relâche jeter la fiction  dans le foyer du réel pour l’alimenter et tenter la mise en orbite du sens.

"Patience, patience, patience dans l'azur ! Chaque atome de silence est la chance d'un fruit mûr !" écrit Paul Valéry- Notre histoire c’est aussi  cette patiente observation de la germination des symboles… [ à regarder longuement mûrir la foudre  on en devient le maître plus que la victime].

3/ Mâcher la fiction comme du kath, en écraser les aspérités sous la dent , et avancer, à tâtons , dans le système nerveux central. 

Ainsi nous conduisons le Vaisseau fantôme dans les coronaires.
Nous hissons le grand mât du fictionalisme à hauteur du réel - et nous pouvons répondre au chant des fées qui nous appelle.

Paul Éluard introduit une phase quasiment chorégraphiée du verbe :« On rêve sur un poème comme on rêve sur un être »  / ainsi il existe une sémantique génitrice dans l’écriture, ( une captations d’image(s) et de racines  qui équivaudrait, par un geste de la main, à la capture d’un papillon  en plein vol - / au réveil nous en gardons les traces sur les doigts/.
Figer  le vivant à hauteur de lévitation et de mythologie comme un lac d’huile nous  met à l’arrêt tel un  fixeur devant le réel.

***

Un texte reprend forme comme une fleur de thé dans le pavillon de l’oreille et vient porter la promesse jusqu’en l’aire de Wernicke, là où se forment, en quelque sorte, la lave et  la compréhension du mot. Voilà ce qui initie le nourrisson à la durée et à la construction du soi.
Un monde de chair nommé croît dans le jardin des fictions . Mais il faut le nommer et le renommer sans cesse afin qu’il persiste.

Concept percé au foret le jour ou transmis comme un onguent par  imposition du verbe la nuit. Golem et cataplasmes de terre humide ne nous quitte plus. Il faut savoir se battre avec la fièvre [ derme, épiderme et organes] comme avec un tigre.

4/ Mutation de l’être / lent déplacement  dans l’espace mental, il n’en tient qu’à nous que la chorégraphie du mot ouvre un geste, une échappée dans le monde physique. Le léviathan sommeille toujours à nos pieds. 

Nos corps prêts à danser sous l’impulsion de la secousse tellurique qui dessinent notre futur par frottis. 

L’épistémologie, c’est le babil des dieux.

Une symbolique des arcanes de la sémantique et de la grammaire qui à chaque fois  donne un tirage différent.

Ce nouveau codex recèle sur le recto de chaque page les griffures écrites et sur le verso la cristallisation de la matière même du vivant. Le papier qui porte l’une et l’autre, c’est cela que nous appelons fiction. 

***

Le livre de la grande science humaine se tiendra là, ouvert,  tant que quelqu’un pourra sans hésiter, sans peur du risque, se saisir à main nue de la lame aiguisée qui à la fois pourrait lui ouvrir les veines et lui permettre en même temps la découpe de chacune des pages. 

Toute la substance du temps , selon saint Augustin, tient dans l'instant indivisible qu'est le présent.

***

« C’est l’alouette ou c’est le Rossignol ?  » écrit Shakespeare dans Roméo et Juliette bien avant que Deleuze et Guattari ne songent à mêler ( dans la philosophie du rhizome) le chant des deux oiseaux donnant ainsi tous  trois la réponse dans une même trille. 

***

Poèmes extraits du Signe vertébral sécable

Le corps non exempt de corps

et l’œil :  petit cadran qui implose

 sous la ligne de flottaison du visible.

Premier principe alchimique :

à chaque fois que tu me tournes le dos, une saison se fane -

ou bien : 

en raclant les cellules de l’intérieur de la bouche 

on y trouve ton schéma, ta crête biologique-

ou encore : 

ouvrant une toute petite trappe dans ta joue

                       j’y glisse un destin à ton insu. 

  ∗

Une langue pour désapprendre,

une langue, à l’inverse du baiser,

 pour dénouer une à une les 

                                   bandelettes du sens.

Ligature

 

parole dissoute 

 

lumière criblée de sel

 

petit ange lingual.

 

Grain de fleur et pression sur la phalange de la tendresse-

 

l’aube évide le jour de sa matière

 

- dans chacun de tes os résonne l’une de tes vies –

 

quatre baies posées sur ton corps suffisent à m’en ouvrir les portes.

Toute lumière s’accroît de la somme des sourires qu’elle incise-

une chirurgie sans fin

où chaque corps touché reste en équilibre sur le fil –

je mords la chair

j’ouvre les deux plaies

j’appelle en toi tous ceux de l’intérieur-

le poids de chaque organe est un code chiffré :

même densité pour le cœur, l’âme et la rétine.

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur