Jacques Merceron, Coiffures et mégalithes pulvérisés

Dans le salon de coiffure
Teinture
Balayage
Lissage
Tous les –ages sur fond
De musique insipide
Tandis que je tente de lire pour tenter
De m’incruster plus avant
Dans l’intimité de la pierre
Dans les vertigineuses spirales de Gavrinis
Dans le squelette abattu
Des géants de granit
Désenterrés

Radicale mémoire des pierres
Des menhirs et dolmens
Des cairns des tombes à couloir
Et l’aventure des pionniers
De l’archéologie mégalithique

Mais fait irruption
Balayant tout
Dans l’instant de grâce
Louis Armstrong et son
What a Wonderful World
Voix mélodie m’enveloppent
Toute lecture cessante

Armstrong me saisit
De sa poigne
À la racine des cheveux
M’entraîne dans la spirale
Balancée de sa voix rauque et
Suave

Oh ! paradoxe
Percuteur et polisseur des métronomes
Implacables

Pas exagéré de parler de
Charme envoûtement
Moment de suspension
Absolue du Temps
Pendant
Ah !
Deux minutes et dix-huit secondes

Impossible à reconstituer
Impossible à prolonger
Mais purifié
Deux minutes et dix-huit secondes

21 avril 2022

*

Gnossiennes de Satie

Cliquetis
Plumetis de notes produites
Sur des gammes légèrement
Désarticulées désaccordées

On gravit en déhanché
Et redescend des degrés
En spirales
On glisse sur
D’entêtants anneaux de Moebius

On emprunte
Des escaliers d’Escher 
Où de loin en loin
Des marches font défaut

Aube ou crépuscule
Du monde
On attend un lever de rideau
Qui ne vient jamais

On progresse peu dans ce
Château de Marienbad

Ô lourde
âpre fluide hypnose de ses miroirs
Biseautés
Tout en girations

Dans ses grands parcs labyrinthiques
En trompe-l’œil
On croise de belles et lentes processions
De femmes errantes échappées
Des tableaux de Delvaux

Et dans le lointain
Tournent encore
Mis au pas

Silencieux

Des chevaux de manège
Autour de l’orbe du ciel

14-16 mai 2022

*

Satori arcueillais 

Me plaît le guingois de Satie, Erik
Le clinamen arpégé de sa triade
De morceaux en forme de poire

Leurs chevaux de bois soudain
Échappés du carrousel
Leur vaillant petit trot et
Leurs ruades nerveuses
Pétaradantes 
Leurs soubresauts
Claquant comme éventails
Ou bien leurs pas solennels
Cadencés
Un rien hallucinés
Puis

Clau
di
quant
Iront s’abreuver
Au Chat Noir
Beau matou
Dont la queue ébouriffée
S’électrise aux nuits
De Montmartre

Toujours assoiffés de vie
Hennissant à la barrière d’Enfer
Et pivotant à la Vache Noire
Vers l’aqueduc
À Arcueil rejoindront
(cortège oh ! tant tantrique
que satyrique)
Le bouc enguirlandé de Ronsard  
Et Bibi-la-Purée (qui jadis cirait
Les pompes de Verlaine)
Et puis retrouveront Satie-Socrate
Et les blanchisseuses des bords
De Bièvre (mais point
Donatien marquis de Sade)
Pour des agapes dionysiaques
Et rosicruciennes
Sous l’œil gai et brumeux
Du géant Sire de Malassis

25-28 avril 2022

Présentation de l’auteur




Sébastien Coccoz, Écrivant chemin

L'un à l'autre
où que tu sois
apostrophé
sur des chemins
de terre
où les ombres
se couchent
à force d'inventions

L'un à l'autre
en ces lieux
d'une fois
qui nous tissent
et nous lient
par des anneaux
imaginés

L'un à l'autre
par le toucher
des multiples
regards
qui patientent
au seuil
de nos paupières

L'un à l'autre
par nos paroles
offertes
comme des secours
établis
qui jalonneront
nos solitudes

L'un à l'autre
sans rien
qui nous délivre
des aubes
de nos rencontres

L'un à l'autre
enlaçant
l'heure dernière

L'un à l'autre
menant
jusqu'à nos noms

L'un à l'autre
survivant

∗∗

Ici s'invite
en mon absence
la vie introuvée

dans le partage d'une ombre et d'une lumière
où la vie et la mort s'entrouvrent avec la même évidence

Présences qu'aucun crible ne conserve

Vibrato de cordes et de hautbois jamais entendu

Imagine un arbre qui se délesterait
d'une branche morte

ou un mur qui s'effrite
dans les longues journées de son abandon

C'est une lutte des feuilles et du vent
pour recueillir tout le silence
présent dans les heures quelconques

Je comprends cet humble secret qu'une ronce murmure

Je le tairai 
C'est loyal 

On ne trahit pas la parole des eaux vives et des mousses 

Sait-on si elles cessaient 
ce que nous conserverions de notre propre mystère

Forêt conforme à mon amour 
réalité où j'appuie le front de mes vouloirs 

 

∗∗

Quoi qu'il arrive
la vision de l'existence tient dans un mot
de la taille d'une offrande

par tes yeux bleus ou noirs

Comme une maison pour attendre
que toute vie devienne

Je maintiendrai cet éveil en moi
par des insomnies répétées

Espoir qui restera à la fenêtre
guette un combattant qui revient de la bataille

Car il n'a pas de tombeau il faut qu'il vive

O volontaire
O météore

Sous tes pas ce sont nos bouches qui te nomment
à seule fin de dissiper un malentendu

∗∗

 

Notre propre chemin est une parole 
suivie d'un acte 

Bien sûr c'est l'assurance de n'arriver nulle part 
qu'au sommet de notre force invisible 

Voici donc un monde qui n'existe que dans le contour de notre regard 

J'écris pour en raconter les possibles au-delà 
sans jamais m'éloigner de mon intuition qui me sert de boussole 

La seule incertitude est le lieu où enterrer le retour 

 

∗∗

Entre ciel et terre est l'horizon 

Entre toi et moi aussi 

C'est la raison pour laquelle 
nous n'emportons jamais rien
quand nous partons 

Tout est dans le regard que tu maintiens posé 
sur les territoires que j'invente 

Et où je vais est ton visage 

 




Étienne Faure, 3 croquis de Vaché, interprète des tranchées

  Quel trou-quel trou-quel trou ! 

Vaché, Lettre à A. Breton, 1916.
Lettres de guerre

 

Souvent caressant les troncs des futaies, revient la 
fibreuse énergie mêlée d’écorce, sève et liber,
dès 1916 éclatée d’obus, rendue déchiquetée
à la désertion des ciels de toute idée
végétale, animale, terre détruite où Jacques
Vaché avance, traducteur des tranchées,
à rire tout en réserve et radicalité, disant
c’est compliqué, nous sommes piqués, les (h)êtres
(h)umains passés de forêt à trépas en quelques nuits
ou jours, on ne voit pas, tout s’équivaut sous les racines,
les restes de fûts grêlés d’éclats qui dans vingt ans
reverdiront entre deux fémurs remontés des 
profondeurs de la terre –de profundis, futaille, mitraille, 
maintenant chaque essence d’arbre a ses feuilles,
égare les scrutateurs d’horizon naguère bleu,
arbre à foudre, à justice, foudre de guerre,
fagus orangé, pare-feu de l’automne
qui jaunit sitôt noir, point de mire des yeux.

(les) hêtres umains

 

Jaune pâle puis jaune paille, le soleil entre 
par n'importe quel œil dans nos vies, 
hors saison poudroie puis console de l'ordinaire
lueur à même le sol d'antan, traverse
nos séjours sur terre en pleine heure creuse 
d'hiver puis d'été -le front n'avançait pas, nous étions
inhumés sur notre lieu littéral d'enterrement,
littéralement 
portant dans la main le cœur des Flanders Fields,
coquelicots puis bleuets enfouis avec
nos grades et nos unités, nous étions
couchés dans l'herbe, amoureux de la bourrache
bleue du même ciel craquant où l'on rend la justice à 
huis-clos puis ouvertement éclatant,
à nous sentir déjà pousser de l'herbe dans le dos
un été sur un pré légèrement pentu, au regret
de l’avoir échappé belle pour rien,
comment dit-on ça en anglais.

un été en Somme

 

Et puis finir sans plus aucun futur, averti
de l’inutilité théâtrale (et sans joie) de tout,
beau pêle-mêle des choses à venir en cet hôtel
résolument de France et de farce où chantèrent les
oiseaux fluets à la voix de stentor,
Vaché devenu mentor à son corps défendant,
riant, écrivant, ultime umore, avec de si belles 
mains à solitaire
 une ixième lettre à André Breton
le 19 décembre 1918 : Les belles choses 
que nous allons pouvoir faire –MAINTENANT !
interprète des tranchées, des cadavres
exquis avant l’heure, en croquis et dessins signés
Tristan Hylar ou Harry James, souvenirs remués
avec la boue sans âge de la jeunesse,
les ennuis et les pensées recluses, lui rentré de
lugubre mémoire, étable à cochon, umour noir
du néant, vide d’idées, enregistreur inconscient
secrètement passé par les larmes –pof –
et tout est maintenant All right.

croquis de Vaché, interprète des tranchées

Présentation de l’auteur




Lea Nagy, Attente permanente et autres poèmes

Nous bégayons tous, chacun à notre façon.
Lea Nagy

 

L’une des moitiés du lit est vide.
Le coussin y repose pourtant,
la couverture pliée avec soin,
et la serviette, au bout du lit.
Cela provoque toujours de l’attente
en moi,
comme si à tout instant
déboulait quelqu’un,
ici,
dans cet appartement,
où je passe mes vacances d’été,
et il se lancerait,
ce quelqu’un,
il déplierait la couette pliée
avec soin,
et se coucherait dessus, juste comme ça,
pendant que l’une des moitiés du lit reste vide.

∗∗

Feu rouge

 La peur, une partie de moi élémentaire.
En quelque sorte, les trams clignotant
dehors le sont aussi.
Des gens y sont assis,
je les vois flous,
leurs contours,
comme
cette fille
ronge ses ongles,
feuillette des papiers,
puis regarde sa montre,
soupire.
Le tram démarre,
devant le feu rouge
resté là un temps.

La fille se rongeant les ongles reste en moi,
La partie élémentaire de sa peur. 

Le tram est à l’arrêt.

 

∗∗

Il n’avait qu’un seul but

Une chauve-souris vole au-dessus des sphères.
Le labyrinthe terrestre s’est installé sous la bête.
Dans le dédale, tout ce qui bouge
paraissait minime et sans couleur.
Des points transparents,
sans destination,
et même
sans direction.
La petite bête n’avait qu’un but :
voler au-dessus de l’univers
comme organisme noir ébène,
pendant que tout reste éclatant,
dans ce jeu sans issue.

 

∗∗

Rétrécissement

 Le chat est arrivé.
La lumière de la porte-fenêtre
lui scinde le visage en deux.

 Il grimpe sur la tête chauve de son maître.
Il se fait les griffes sur son dessus-de-tête,
dans l’ivresse de la nuit glaciale.

 La bête grandit dangereusement.
Alors que le chauve ne fait que rétrécir.

 

∗∗

Seulement un moment

Le pêcheur passe par là.
Il s’équilibre sur un buisson épineux.

Le temps s’arrête.
Seulement un moment.

Tout. 

La lune commence à luire.
Elle tourne toute seule.

Des cigales se cachent dans la poche du pêcheur.

Un vieux trompettiste dans un coin du cimetière.
Il se met à jouer à l’aube.

Le ciel change d’allure.
Des fourmis se pressent sous le banc en bois.

Une petite fille chantonne toute seule.
La mer a délavé sa robe blanche.

Sa mère la cherche depuis des jours.
Dans deux mondes différents.
Séparés de quelques mètres.

Elles se parlent à travers des tunnels.

Le vieux a attrapé un poisson.
Il a glissé dans le port salé.
S’écrasant sur son pied gauche.

Fendu en trois.

Les larmes de la petite fille dans les blessures.
Le pêcheur s’exclame.
Ils s’exclament ensemble.
Dans une barque qui tangue.
Un moment seulement.

 

Présentation de l’auteur




Claire Legat, Promenoir des déracinés

Aura papillon

 

par delà les haies de cris

il y a

en pure perte

la voix du paysage

 en marge de nos gestes

se déjoue 

l’équation du temps 

 

m’apprendras-tu

 

la pyramide fraîche de l’aube 

et

ta présence

hors des phalanges secrètes

de l’eau

  

que je sois

fleur

encore

 pour que tu me

respires

∗∗

Autant que le grain

 

autant que le grain de sable
le caillou  le rocher
violentés
sans avoir eu l'octroi du temps

   j'ai charge 
de
commencements 

une enfance
affleure à nouveau les quais

presqu'île
en
partance 

réinvestie dans l'oeil initial

   je m'affranchis
 d’un recel 

    dans la filiation
des
silences

∗∗

entre la veille

entre la veille
et
le sommeil
dans l'intimité de l'itinérance
mes doigts auraient tressé
ce
berceau vivant
style malle de voyage
prête à appareiller sur mon vaisseau d'osier
j'aurais négocié ce que l'un et l'autre
pouvaient m'offrir
ou me laisser en gage
le cyclone
son oeil
la pluie sa perle
le scolyte ses galeries rayonnantes
le rouge-gorge son carnet de rendez-vous
le martin-pêcheur
l'exclusivité d'un bleu intemporel

    qui parle d'héritage
j'ai reçu j'ai rendu j'ai donné mes baies
aux passereaux
mes noisettes aux écureuils
ma chair et mon sang à mon enfant

en son temps
dans la mise au monde
j'ai revendiqué 

ma douleur de femme
mon bonheur

∗∗

et

cette
conque

 hier propice à l'élection du silence

 cette conque
paupière
d'île

palpite le désir

convergent les mythologies

 cette conque

se répondent les échos à naître

se font et se défont les noeuds de l'extase

 escale
permanence de l'impermanence

des
gestes
s'achèvent
d'autres
recommencent

 sans discontinuer

 la chorégraphie de la solennité

∗∗

éventail
angle vivant

    ondoiement du souffle 

   transe
  du
  corail 

    stridence de l'offrande
     virginale
      diaphanéité 

       m'atteler
      à l'avant-dernière     

    larme

∗∗

piège
stratagème

 cri
dérouté à l'infini

 en hachures
exfoliées

 en écheveaux d'énigmes
à
la
dérive
en réconciliations
existentielles

témoins
l'arbre
le rocher
scarifiés par solidarité

comme pour ceindre malgré elles
les constellations
rebelles

∗∗

la fontaine
proche ou lointaine
n'a rien à envier
au
cerisier

  monologue sans voix

   chacun
est
offrande
chacune a sa neige
et moi
au coeur de la déferlante
avant-dernier rempart de l'absurde
des termitières
des
cimetières
j'attends l'inventaire des êtres
le répertoire
des
roselières

     au pied du volcan

       statuaire en instance d'inspiration
   je transcode
  les scories du futur

 clé
      pour la mise en abyme

∗∗

la gifle  la griffe  l'étreinte

défieront-elles 

la patience à toute épreuve

du poème à naître

et sa chance rendue au coquillage

 de s'éveiller 

bourgeon  lèvre  étoile

émergence

de

 l'absolu

∗∗

la ride en fleur
sur
ton
visage

 onde
fragrance
restée
en
transparence

  avec ce qui est
ce qui existe
ce qui se crée
dans
l'irréalité émergée 

    la ride en fleur
   au coin de l'oeil
a-t-elle
séduit
le
bouvreuil

∗∗

mieux que nous
leurs ailes
réconcilient nos trajectoires 

ils ne feront de nid
dans la blessure
ni
à la fourche
où rosit entrouverte la boutonnière
de
l'abandon

ordre désordre
peu importe 

tant que je frémis sous l'écorce
que je me coule dans l'incision de l'éclair

 que je me décline de siècles
en
décennies
de secondes en miettes
d'
agonie 

au risque de devenir
insolvable

∗∗

hors pistes 

il m'incombe de rester
passerelle
crédible
vers
l'incréé

 il m'incombe de vibrer encore 

quand
la beauté me taraude
me
fracasse
jusqu'à la moelle

me 
trahit
pour la magie de la plus belle eau

essor de serpents

grelots

c'est ainsi que des coquelicots
ont poussé
dans mon coeur

∗∗

irisée par la caresse
sertie
dans mes vrilles
promise
à
l'univers révélé

je revisite la partition de l'infini

moi
et
moi

mon souffle accordé aux claviers du vent
mon double
anticipé dans le futur du passé
ma châsse de miroirs impactés par les printemps
d'exil
incandescents

 moi et moi
tous feux éteints
à la fracture de l'humain

à mains nues

mon escalade en solitaire

vers

les années-lumière

 

∗∗

glaciers blancs devenus bleus
au clair de
l'onde 

me reconnaîtrez-vous
quand j'orchestrerai la poussière
et
les
transes
jusqu'à la tendresse
infinitésimale

serez-vous au pied de la lettre
pour exacerber
ma nudité
et
styliser mes absences

demeurerons-nous
l'âme ratissée jusqu'à l'os

écueils  ressacs  récifs 

angle mort
s'il en est

témoins et acteurs
du
génie de la vie

∗∗

ferveur
ma richesse
hors d'atteinte
dans ma racine extrême

autour de moi
à travers
moi
des doigts de saules transitent
pour arborer l'au-delà

survivre
surmourir

 avec ou sans toi les sources
s'
émeuvent 

le ciel palpite sans preuve

or
le champ de blés
qui  rêve  d'oiseaux
contestera
bientôt
la
souffrance
du
pain

∗∗

I

il se peut que par pur hasard
on découvre
sous l'écorce rosée
d'un
bouleau complice
la nostalgie de mon premier
sourire
ma cicatrice d'humanité

n'en déplaise au vent
passeur
non identifié

n'en déplaise à la pluie
qui
redistribue jusqu'à nos larmes
qui
abolit
dans la clandestinité
les fermetures
à
glissière
de l'être et de la chose 

avec
cette élégance baroque
de ne jamais noyer
l'
espoir

∗∗

I

implacable 

le puits des puits 

 

chute libre

 

vers les abysses
 les corridors
en
anneaux

  les mosaïques
de
cristaux 

jusqu'au tréfonds 


un sanglot
ferait
déborder
la
mer

 

∗∗

I N T I M I T E    D E    L  '  E X T R E M E

souffles
harmonie du chaos
poser mon front plus haut ou plus bas que l'horizon
faire comme si le hasard existait
ou
n'existait pas
désirer
la part équitable de la pluie 

VERROU  GEANT
A TIRER SUR L'ENVERS DU
MONDE 

à l'instant où je m'effrite dans le chas de l'aiguille
un arbre me traverse
dans l'aube
qui
s'ignore

si j'ose
je revendiquerai les stigmates
de l'extrême
la
syllabe égarée
archivée pour la postérité

quelles cimes rehausser pour échapper aux cendres
par quelle ride
remonter
jusqu'à la trace
de
mon
sillage

 quel silence soutenir
pour que le sacrifice des uns
bénéficie
ou
pas
aux autres

VERROU GEANT A TIRER SUR L'ENVERS DU MONDE

 

parée de mon collier de bourgeons de chair
et
de braises
je m'abandonnerai jusqu'au flirt initial
à genoux
dans la fragrance des citronniers
feuilles fleurs
fibulées en bracelets
à mes chevilles
à
mes
poignets

trousseaux de clous
balisant le périple

aimanté
de nos pas recomposés

 me hisser jusqu'aux créneaux
d'écoute
jusqu'à la signature sonore des étoiles
prisonnières
du
vide

MON EXISTENCE

au nombre des constellations
des citadelles des cathédrales des exoplanètes
au nombre des cités des îles des demeures
aériennes
mon existence signifiée
par ma toute première goutte de sang
en résonance
au tout premier pas du tout premier enfant 

gerbes d'oiseaux
échappés de nos  chevelures
des
tombeaux 

VERROU A TROUS FRONTIERES VITRAIL EN MIROIR

 

∗∗

L'ETERNEL ADIEU 

un matin nous nous retrouvons bouche à bouche
dans l'asphalte
le coeur noué d'algues et de mésanges
une main écarte nos paupières
nos bras d'écume portent le poids du ciel
l'haleine de l'aube traverse
nos
visages
nous sommes nus
 lianes
vrilles de verre

apprivoisées
dans la fusion de nos veines
en filigrane dans la geste d'éveil
en
    métamorphose
des
moissons
d'
amour
transfusion d'encres
sous les grilles
d'où pleuvent
les
soifs
     paraphes de nos
    blessures

           dans l'immanence du retour
         dans la vitesse inversée de chaque élément
        l'éternité à reculons
        aurai-je intégré mon temps
         celui d'après-demain
           avons-nous prévu une seconde de réserve pour l'éternel adieu 

tu précèdes tes
enfances

en grappes autour de ton double
en archipels dans l'empreinte
fluide
de cette nuit
à l'intérieur de la nuit
ne te retourne pas sur les pointillés
d'amour

tu viens de naître parmi les matins bien rangés
d'un sursaut de la terre en charpie

d'une hémorragie d'alphabets
de hoquets primitifs
tu entames
la symphonie sans voix des étoiles muettes
dans notre ciel
souffle d'un silence cadenassé
en
mailles de chair
te voici riche
de réponses sans  questions
en décalage de ton ombre
dans la vallée d'aurore
l'état d'urgence
vers
l'
escale
de tes yeux
en confinement sous la chape de cristal
où le pied musical de la gitane
épelle
le cri des héros
où l'inflorescence du jour
est devancée par le reste du monde

Présentation de l’auteur




Catherine Pont-Humbert, Poèmes

Il existe des lieux de songe
Des lieux clairs et secrets
Où se fabrique l’imaginaire

Il existe des lieux sauvages
Où une langue intime nous tire de nous-même

Des lieux qui nous entraînent sur des chemins imprévus
Nous relient à la présence invisible du monde

Il existe des lieux bouleversants qui guérissent et qui sauvent
Des lieux par lesquels se consoler de notre condition

*

L’océan s’est dressé en murailles d’écume, dérobant l’horizon

Sa voix m’est parvenue
Il était là, poitrine luisante d’une pluie furieuse
Les yeux dilatés par l’orage
Ses cheveux noirs ruisselaient sur mes seins
Des avalanches d’eau frappaient nos corps, battaient nos peaux glacées

Il était la terre où j’accosterai
Le pli de mer qui marquerait mon horizon

Dans un envol pesant, les mouettes ont tournoyé en s’insultant
La mer s’est retirée
Tout son sel collé sur lui

*

La joie explose
Lumière intérieure qui se déverse au grand jour
Se répand en gouttes claires

Une étoile filtre dans le regard
A surprendre son éclat, on se sent troublé

On croit toucher le secret du monde
Ce lointain message parfois lancé jusqu’à nous

 

Extraits de Légère est la vie parfois, Jacques André éditeur, 2020

∗∗∗

La page blanche

Une page blanche s’étire devant moi
Draps lissés, tendus du lit

Plage infinie, ouverte aux vents de mon rêve
Offerte à mes divagations

J’ouvre le lit intact, immaculé
Pages vierges du livre à venir

Parfaite blancheur, vertige du vide qui m’appelle

Aveuglée, je caresse la surface luisante qui m’attend

Je peux enfin entrer dans le livre
Me glisser entre ses draps
Renouer avec les mots perdus

*

 Au chevet des lits

La solitude du premier livre, je la garderai à jamais

J’étais seule et je voulais embrasser la mémoire du monde

De ville en ville
De lit en lit
Le livre a grandi
Dans le geste lent et maladroit du mot balbutiant

Au chevet des lits du monde où je me suis glissée
J’ai laissé quelques traces
Elles attestent ma présence
Elles disent que j’ai bien dormi là

J’ai dormi dans tant de lits
J’ai emprunté tant de chemins pour arriver jusqu’à moi

*

L’attente

Ecrire c’est attendre
Attendre que les mots surgissent

Egrenés au fil des heures lentes
Etirés vers une invisible frontière

Perles d’un patient collier
Ils roulent dans les embrasures de la nuit

Ne pas les laisser tomber par inadvertance
Ne pas trop les couver non plus

Ephémère construction riche de ses seuls doutes

Ils mordent la chair du rêve

Dans le buisson du sommeil
Ils s’envolent sans un cri

Au matin, les mots renaissent sauvages et impétueux
Enigme du souffle toujours présent
Aussi fragiles qu'un songe chevauchant le petit matin
Avant de se perdre dans un ailleurs broussailleux

Ils glissent sur l’or des fenêtres
Tissent un voile somptueux au banquet du jour

Un chant s’invente avec eux
Avant de disparaître emporté par un vent mousseux

Brûlure de l’attente
Proche d’une extase filée de mots paresseux

Écrire c’est attendre

 

Extraits de Les lits du monde, éditions La Rumeur libre, 2021

Présentation de l’auteur




Fabrice Farre, Des équilibres

Appelle, appelle à nouveau pour voir où nous sommes,
somme de deux seuls ou bien écho, miettes infinies voilà,
épice au vent, foule muscade si bonne qu'elle relève le goût
tandis que dans nos bouches roule le bois rond avant d'avoir 
été moulu : la parole, enfin. À nous deux resserrés jeunes
comme on chuchote son heur, on trouve sous l'écorce des
mots et cris le rouge vif d'au moins deux grains de grenade.

∗∗

Ea, ea (1), traineaux, neige et chiens noirs. Qui arrive,
haletant, au territoire dont l'horizon arrête l'iconnu ? Cours
chercher qui manque, avant que la vapeur du souffle
disparaisse. On trépigne pour l'égaré, l'impatience le
ranime, il revient, le voici. Le blanc respire bientôt, il aura à
cœur de raconter un temps les traces bleues sous les
glapissements suspendus. Ea, ea, chiens, neige, labours.

∗∗

Bien trop timide, le cours des choses, sous la mousse verte
des bords de la géographie intime, ruisseau. Avec la rivière,
une peine rassérénée lave le granite et l'apprivoise. Écueil
de noble matière et toi, marin d'eau douce. Le cours
toujours entraîne, dessine un bras de mer lointaine qui
viendrait serrer. Joie fluviale, aux mailles ramendées de la
seine demi-poisson d'argent ; huppée l'aigrette s'échappe.

∗∗

Parti de chez Chapelard & Fils, l'étiquette de nylon, moins
qu'une illusion, l'indique, Impasse 100, traversant l'avenue
avec ton cœur proche, entourant ton cou lui-même animé
par ce rythme identique, je fais les cent pas et quelques 
en ta compagnie, perce la maille chagrine, fibre à rompre :
je suis l'écharpe fabriquée par des mains séculaires ainsi
qu'il est dit, maille à l'envers, à cet endroit maille à partir.

∗∗

Ma noire nourrice a le corps couvert de plis de sagesse,
elle voue à ses Saints le chant du lait d'où naissent
promesses et retour. Une fois franchi le seuil de son
sourire, la chambre unique d'une seule fenêtre fixe le bol
de terre où trempent les lèvres du vieil enfant. Et le cuivre
solaire, roulant sur les vieilles terrasses de béton désarmé,
regrette un or convoité dans la mine profonde à ciel ouvert.

Présentation de l’auteur




Chantal Bizzini, D’un pays inconnu 

Charles Borromée

Sous l’arcade à hautes baies,
visages levés et bras
tendus vers lui - mais sans force,
ils se tournent comme ils peuvent,

les malades, sur leur natte
ou leur matelas au sol,
implorant qui vient à eux
d’yeux perdus et brillants.

Le soir tombe, et cette femme,
à la lumière des torches,
voit sa fin et son salut
que ce visiteur lui tend.

La mort est sur le visage
pâle et l’abandon des membres ;
mais voici la Compassion,
en ange blanc, parmi nous.

4 novembre 2021

∗∗

À Esquirol1

Esquirol est là, de bronze
vert bleuté, inaltérable ;
à ses pieds, l’être tombé
qu’il a pris dans son manteau.

Verlaine en 87,
en 90 aussi,
est tombé à ses genoux,
comme lui, pieds nus et défait.

Dans le grand parc, une femme
demande une cigarette ;
plus loin, un homme qui boite,
l’infirmière l’accompagne ;

dans l’allée, sous les hauts murs,
couverts de lierre tombant,
il semble nous regarder,
il nous semble le connaître.

8 novembre 2021

∗∗

François, sur le chemin de Bevagna2

Pieds nus, penché vers le sol,
où sont venus les oiseaux -
d’autres arrivent encore… -
il les regarde, absorbé

dans une méditation
qui n’a pas de fin,
sur eux, sur nous et lui-même
son regard intense voit,

sa bouche parle, et le chant
des oiseaux se fait entendre
dans l’espace vide et bleu
où ses mains volent aussi.

Il n’y a pas de plus bel
olivier, d’étonnement
plus vrai que celui du frère,
bouche bée, qui l’accompagne.

20 novembre 2021

 

∗∗

Vincent de Paul

Vincent se tient dans le froid,
devant les portes muettes,
les hauts portails des églises
où l’on dépose l’enfant.

Je me le rappelle ainsi,
sur une image de livre
d’histoire où sa vie semblait
si simple et faite d’amour.

Mais ce n’est jamais ainsi.
De légende il en est peu
de si vraie et dont on veuille
tellement sur cette rive

que de ce berger, esclave,
et aumônier d’une reine,
secourable aux galériens,
aux enfants qu’on abandonne.

30 décembre 2021

Notes

[1] Jean-Étienne Dominique Esquirol, 1772-1840, est un aliéniste français, il est à l'origine de la loi de 1838 concernant les aliénés, qui met fin aux décisions d'internement arbitraires. Il travaille à l'aménagement de la nouvelle Maison royale de Charenton en 1825 et formera la majorité des aliénistes de son temps.

[2] Village italien d’Ombrie, près duquel eut lieu le sermon de François aux oiseaux.

Présentation de l’auteur




Muriel Couteau Mauger, L’Amie

       Comme des morceaux de bois prêts à mal mourir, de longs lambeaux d’oiseaux migrateurs survolent un lac dont on aurait éteint les reflets. Nous sommes en automne, une ligne de cendre ourle les champs à la frontière dite des chevaux et le monde se gonfle et se dégonfle d’imperceptibles pertes, décomptées, dénommées, faute d’amour possible. Ainsi dit la-voix-dit et redit appelle et revient, décomplète et prévient. L’histoire de cette nuit est encerclée par la plainte des chevaux cependant, dans la cage du récit, des oiseaux s’affrontent, s’envolent et se rassurent : le jasmin, le bleu, tandis qu’un autre revient tout petit mais infiniment rouge. Il y a l’âme, le tranchant de l’herbe, une hésitation de l’autre côté de la nuit ou du  jour et la marche de l’aile boiteuse qui conduit le monde. Comme un rien du tout, j’en recueille un autre à la fourrure grise et le balance dans ma poche. On l’appelle le milieu, l’effroi, la pente, le perdu.

      D’identiques fleurs se reproduisent à l’infini. Dans le bourbier des dieux, les mottes de terre dégorgent des formes bovines effondrées de fatigue et les herbes apeurées coupent des bandes de paysage dans le lisier où s’embourbent le pauvre état de nos cœurs. Les nuances humides de la terre délivrent leur senteur de miracle pourri. L’île seule, trous d’eau d’être morts où baigne la couleur tuméfiée des yeux. Les corps effondrent leur matière murmurée et lèchent aux endroits réjouis de peur leur questionnement de chair. L’île seule, le corps violenté d’un enfant, une piste sous la flambée des astres impassibles, l’île seule, les mains défaites, coupables, meurtries, les mains mécaniques du mal. Les chagrins font alliance et violence, là tout en dessous de l’espace où les lames profondes renversent le sens de la pluie où l’amour s’enroule au vent violent de l’occident là, où de fond en comble, l’oiseau jamais ne reprend son vol.

      Notre amour est rond dit la-voix-dit, revient, complète et décomplète de quelques mots ce qui s’écrit. Des questions floconnent dans l’air, ravissantes, mais la neige brûle l’espace indécidable, l’irradie. Les miroirs de nos mots dans la gorge des oiseaux crachent dans le ciel surexposé nos obscurités. L’épreuve d’un cheval agenouillé disparait dans le vent, nos pas vers des banlieues d’oiseaux noircis, vers le bleu nuit meurtri de l’échine où se rompent les promesses.

       Cri cave, cri cave mur à cent lieux de la force de l’océan dans le ventre un coup de sabot une longue phrase d’excuses, inaudible concerto d’instruments arrachés à l’aveugle matière, corne caverne et cages, est-ce si exténué ? Si nu à ne jamais atteindre la délivrance ? Sans muse ni bible au fin fond des chairs asservies sans d’autres issues que l’éternelle nuit, le rugissement des grands fonds marins et les guirlandes d’entrailles offertes aux usines. Les beuglements ne déchirent aucun cœur, à bout de vie, laissent tomber les corps et délivrent à la terre tremblante leur résonnance. Les corneilles noires du jardin d’hiver s’envolent et criblent la toile du ciel. Javelot d’oiseau mort parce que mort qui rode dans les sommets du ciel, se plante dans l’échine, glace le dos du dedans, fait le froid animal où s’éprouve le cri d’âme d’amour.

     Elle annonce toujours la neige perdue dans le gravier des villes, ma petite toute gelée, qui avance. Sur un coin de peau, ma petite cabossée est le monde entier. L’innocence feinte des flocons blancs font vibrer son vide et triballent l’insu avec une certaine légèreté. Elle faisait en sorte que la forêt tienne tête au ciel. Oiseau de bois sec noué à mon doigt comme une bague, oiseau de peau morte, je fais un lieu à ton chant défait. Aile d’eau mauve, source du rêve où s’incarne l’humaine dissidence, je m’en remets à ta semblance. Lorsque je ferme les yeux, je vois un film où des morceaux de mer se tournent vers la lune et elle y avance comme dans un rêve, Bluejasmine, ta douceur effondre les vérités, ta joie s’empare du monde aussi vite que l’angoisse, Bluejasmine.

     Avec un petit bout d’oiseau, on a mis nos vies de rien l’une contre l’autre et on a formé une totale planète à s’enrouler l’une dans la longueur de l’autre à réconcilier nos courbes parlées, nos creux respirés. Aile d’eau mauve qui élargit le cœur d’un monde mauvais, âme chaude qui se glisse au bord des yeux avant de nous quitter. Que rien ne nous soit du était chose connue de ceux qui tissent nos existences avec le fruit bleu de leur cœur et reformulent comme un bonheur à partir d’une trouvaille, du souvenir d’un reste de fleur dans un fond de poche.

    Des boules d’âme d’amour roulent sur un monde de fleurs séchées, de mots de fleurs séchées à bâtons rompus.

 

La racine dans la gorge du réel

La fleur-image, silencieuse

 

     Boule d’âmes d’amour, les liens d’oiseaux que l’on trace avec les yeux forment dans le ciel des trajectoires cuivrées : jardin de robes et d’eaux où refleurissent les roses en commun et l’incroyable jasmin bleu. Le grand gris rejoint le ciel, en retient la couleur et le vent dépose la forme des fleurs au fond de nos mains ouvertes au livre des heures. Elle avance dans un film comme on entre dans la mer, dans un rêve, dans la réminiscence d’une vie antérieure ou la forme d’une blessure de l’espace. Passerelles et orages de verre balayés de rose taudis, plumes poudrées de cendres mélangées laissent faire l’écume. Tu lis le ciel à haute voix et il se brise en éclats de verre.  A être ici, presque toute dévastée, dans l’indifférence d’un jardin, dans la main, l’éclat et la coupure. Tout est recouvert de lourds draps d’herbes grasses, parfois cela s’appelle un paysage, une carte maléfique et c’est un coin sombre en soi où s’amoncelle une matière anonyme d’où aucun ange. Le monde se casse les chevilles. Quelle langue nous a fait perdre le sens de notre propre ciel ? Toi, tu te tiens comme une bague à mon doigt pendant que la guerre se continue. 

     Rétive, incompréhensible, l’oiseau endormi de rouge consent à mes yeux à mes mains à mes mots qui lui inventent des fruits, des branches, des arbres entiers. Nos vies fondues, malgré le si loin, la gorge tienne et la cheville mienne ligotées l’une à l’autre si fort. Et elle avance ainsi dans l’antériorité de sa vie, vie trouée de bouts de films, coupable de sa lumière, hantée par des séquences adverses, elle rentre dans la mer pour y mourir.

     Une petite lune rayonne au fond d’un tiroir abandonnée par un roi de porcelaine. Le grand jour qui l’oublie est une fête noire. Oiseau javelot d’un si tangent désir érafle la soie de l’œil traverse la lumineuse lune et perfore l’iris. Mais elle avance sous mes paupières dans le rêve du film qui se tourne. L’amour éclaire une image sur le cou, tatoo à l’envers du poignet. La mort sépare le temps de l’amour perdu qui se reperd toujours. Ne reste que l’allure des images déchirées, le temps ralenti sur des lèvres mortes d’orage. Sur le sentier blanchi, pas de bruit, pas de lettre, elle prie les herbes et le vent de son enfance de lui adresser quelques phrases.

Présentation de l’auteur




Mariela Cordero, Transfigurer est un pays que tu aimes

Mourir est un pays que tu aimais.
Yves Bonnefoy

Tu trafiques avec des noms,

les pactes et les ombres

couds et découds

                l'anatomie fragile

maquilles la voix et l'accent,

incarnes le repos et la rafale

laves la désolation prédestinée

et  l'habilles de joie

qui erre dans la nuit,

tu diminues le sommeil jusqu'à l'éveil,

unis la brume et la lumière

dans la communion d'un ciel de plomb,

humidifies la peau

pour masquer les symptômes de la sécheresse,

tu congèles et fais bouillir le coeur

selon le climat que tu veut posséder.

 

Tu pervertis la dureté

  jusqu'à la blessure

                          tendre

qui ouvre ta main.

Transfigurer

c'est un pays que tu aimes.

∗∗

Les traits pressentis

 

Tous les visages sont perdus

  dans le voyage,

la mémoire affamée

  aspire à les retenir

mais les traces

et les signes

sont dilués dans la marée

de  l'incertitude.

 

Au milieu de la foule

fleurit comme un coup

un aspect unique

                   inconnu

qui devient puissant

et ça te dérange

jusqu'à être percé

pour le bonheur fulminant

 qui crie:

 la recherche est terminée.

 

  Le visage aimé

rassemble

tous le traits pressentis.

 

∗∗

Tu aimais transfigurer.

tu étais la pluie qui a précédé la semaille

la dévastation qui a miné les récoltes.

 

un corps fleuve, un grondement de sève et de lumières

 un cadavre enraciné dans la terre noire

 le feu agité dans la paume de mes mains

 la virulence hivernale qui m'a abrité quelques nuits

tu n'avais pas de nom, ou de sol

ni état terrestre.

Tu étais

 un coup de pinceau né d'un autre,

tu n'as aimé que transfigurer.

∗∗

L'autre moitié des flammes.

 

Tu rêves d'extraire

rien de plus

que la chaleur de la combustion

et aspires à conserver

uniquement

la brûlure embellie

qui  fait plaisir à l'oeil.

Tu ne voulais pas pas posséder

l'autre moitié des flammes.

Tu  fuis du feu total

qui dévaste et transforme

tout mouvement en pierre moulue

tout l'amour en amnésie

tout coeur

                 en cendres.

∗∗

Ce qui ne t'a pas percé.

 

Tu cherches en moi ce qui n'a pas été annoncé

 et ton oeil exhale une prière circulaire.

  Le brouillard persistant ce qui ne t'a pas percé

                             corrompre ton certitude.

Tu cherches en moi ce qui blesse.

un trait fauve

l'incommunicable, qui subsiste

                                         anesthésié

pour la belle enveloppe et les étoiles plastiques.

 

Tu  cherches l'anti-matière palpitante

                                     insaisissable,

 et en sueur

 secoué par le chaos

  te rendes

 à celui qui n'a pas de nom.

 

Présentation de l’auteur