Pierre Zabalia, Cinq poèmes

1                                                           

alors on prend un poème

pour aller jusqu'à l'horizon,

alors la fin du monde

s'acquitte de mon corps: cette

tiédeur, cette lenteur, on

 

s'y apprivoise, on recommence

et le temps n'est plus cet après-midi

perdu entre ici et toujours mais

une ligne de résonance

piquante et bleue

 

on reste encore dans

l'auberge du néant, dans ce

repos plus souple que le

soleil partout,

 

alors, on se dissout

dans le paysage: on

ne sait plus rien

 

2                                                              

à l’heure atone, dans le déversoir,

à l’heure fumée d’eau, dans

le calme noir, à l’heure- brouillard

de femme, dans ce nulle part

 

déverse sans plus attendre, déverse

sur l’ombre de toi-même, pluie

de mars, pluie dans l’air de mars

dans les ravins de l’âme,

 

dans la poursuite d’un

morceau d’âme – il y a

désir dans le ressac

 

dans le jour abandonné :

c’est une pluie, douleur de personne,

à l’image de l’arbre aux yeux fermés

 

3                                                                                   

Bruissante et tournoyante

la luciole des enfers -

Je ne sais où donner de la tête

dans l'émoi continuel,

je ne sais comment bleuit l'angoisse

dans la forêt d'outre-moi.

 

Je ne sais

à qui parle le jour piquant

de mes entrailles,

je ne sais où

s'enracine ma délivrance, ô

la ténèbre sous ma peau.

 

Bruissante

était la frondaison de l'être – lune.

Qui joue au maître et

qui joue à esclave

dans la pulpe des âmes froissées ?

 

4

Peupliers immobiles

comme le chiendent

de ma désespérance -

 

Peupliers chevillés

à l'hiver et au mots des tendresses :

immense et déglingué,

le chemin des

poésies

luit, il luit le chemin

du jour ancien,

 

le chemin

vertical que

j'emprunte tristement -

 

5                                                                               

Ébouriffé à la pointe du mal,

trébuchant comme

un mal propre

sur une vision – syncope :

j'en viens à radoter

quand se lézarde

mon âme -

 

Y a -t-il

autour de moi

une vision – vision

hermaphrodite, un horizon

noirci, un sérum

terrible et cruellement enfant ?

 

Et la morsure

dans ce qui me tient lieu

de secret et le givre et

l'hyperbole de mon tourment – le

saxifrage perdu de

mon âme.

 

Présentation de l’auteur




Jacques Guigou, CINQ STROPHES

Sans mal

ce littoral et sa bonne nécessité

Sans mal

ces sables ensemençant

Sans mal

l’éphémère consistance de la mer

Sans mal

l’observance de cette lumière

Sans mal

ces fleurs du tamaris d’été

validées par le vent

 

Ce matin

les chaos de la nuit dissipés 

l’ordinaire désir discerné

la distance à la dune dirimée

soudain

l’événement nécessaire de la mer

 

séparé de l’amas

ce rocher noir de la jetée

à demi éclairci

au sel des eaux de nuit

 

 

Dans la lumière incertaine

l’homme aux filets limés 

ne trouve pas

la bonne place pour caler

lui

qui a pourtant traversé

ravi

les âges de la vie

 

 

 

Notre marche quai d’azur

commotion cosmique

de notre rencontre

présence d’avant nos premiers âges

incantation à portée de cœur

évènement de votre voix

vouée à notre vérité

et nos pas nous menant

vers la mer qui nous attend

 

Présentation de l’auteur




Alain Claudot, Essor de la parole et autres poèmes

 

En cette solitude
Notre vanité se dénude

Vent âpre qui lapide
Une terre précaire

Déjà le froid nous prend
La nuit en son désordre nous précède

*

 

Tombées

D’où

De quel ciel

En quelle préhistoire

Pierres

Immobiles

Au plain-chant des labours

*

 

Pays déshérité
Terre inhospitalière
Territoire de la soif

Que seule l’amitié désaltère

*

 

Telle la roche soumise au froid
Ma langue mutilée se délite

Telle joie enclavée
Telle une harpe bègue

*

 

Ruines

À la lisière du vide
Par la nuit noire trop étreintes

Vigies
Levées à contre-ciel

Comme à remords

*

 

Le vent
Toujours plus large

Épuise le rossignol

L’aube du long partage
Lui redonnera souffle

*

 

Au carrefour minéral
Pour un instant
Encore
Ma langue s’arrache au néant

*

 

J’emprunterai la voie étroite
La route blanche de l’ascèse

Au large
Des bergeries de pierre sèche

Où la source de parole
Ne tarit pas

*

 

En cet asile
Un souffle nu m’escorte
Et déporte mon corps

Hors des ornières qui blanchissent
Ma liberté grandit

*

 

Soudain

La horde des arômes

Cet œdème bleu qui bourdonne

La déchirure de l’essaim nuptial

Le cérémonial de l’urgence

*

 

Au terme
Des terres réfractaires

Ma gorge s’élargit
Sous le surcroît du jour

∗∗∗

 

Notre-Dame de Lure

Notre-Dame de Lure
En ta très haute solitude

Notre-Dame des devineurs d’eau
Des fontaines avaricieuses

Notre-Dame du vent têtu
Soufflant du bleu à perdre haleine

Notre-Dame des humbles des pénitents
Des récoltes frugales

Notre-Dame du bon secours
Étoile de miséricorde

Notre-Dame des mauvais jours
Ta barque pétrifiée au cœur noir des hivers

Ô rose minérale

Notre-Dame des nuits d’été
Bergère des chemins lactés

Notre-Dame des orages acerbes
De la foudre jetée en pâture aux errants

Notre-Dame des terres opiniâtres
D’où montent les parfums votifs

Notre-Dame des hommes noirs et des reclus
En ton insatiable désert

Notre-Dame des abeilles
Aux ruches limoneuses

Notre-Dame de Lure
Pour l’obole de ton silence

 

Enfances

La forêt
son flanc que  meurtrissait la roche
et des rochers encore arrachés au néant

L’oripeau des hivers jeté sur nos épaules
pour nous forger une âme

La fièvre des étés sur nos fronts calcinés
pour congédier l’effroi

Ainsi nous grandissions

Les fleuves indociles les rivières vespérales
et les vallées où l’on ployait l’échine
pour nous donner un cap

Le mépris où nous étions tenus attisait notre orgueil

Penchés à la périphérie des sources
les larmes étaient notre lisière

Ainsi nous grandissions

Dans le secret des nuits
mûrissait l’autre langue
l’alphabet nu de ses syllabes

Pour proclamer les vraies couleurs du monde
la rage turbulente du multiple
ses joies et ses blessures

Pour que le feu des mots  invective nos cendres

 

Passage des chimères

Mère j’ai parcouru
bien plus de la moitié du chemin
à ce jour
et me voici désormais ton aîné de trois ans

Je reste pourtant cet enfant
qu’aux beaux soirs
en été
le chant du merle traversait
comme une épée

Et tu passes toujours
tes doigts inquiets dans mes cheveux

Pourquoi m’as-tu rendu le goût des larmes

En ton lointain pays de brume
tes peurs d’oiseau blessé ont été congédiées
et les muettes étendues ne te font plus offense

Le pays où peu à peu je viens

Où tous deux
lentement
nous descendrons
la route ancienne de l’église
jusqu’à la place près du fleuve
où jamais tu n’allas

Et je tiendrai ta main

 

Le sourire de ma mère

Dans quel repli du temps se cache désormais
l’ombre de ton sourire

Dans quelle obscurité des nuits que je parcours
cherchant obstinément
ne serait-ce que ton fantôme

Mais si se croisaient à nouveau nos chemins
pourrais-je seulement te reconnaître
masquée que tu serais de cendre et de douleur

tu passerais
les yeux fardés de la couleur des peines
plus anonyme que le vent

Et je m’éloignerais
vêtu de silence et de brume
courbé sous le faix de l’absence

 

Présentation de l’auteur




Michel Diaz, Quelque part la lumière pleut, extraits

il te reste à passer quelques matins rugueux, plus habités d’attente que le sont les songes des
eaux esseulées qui portent la rivière, suivant les courbes de leur pente calme avec, au bout, là-
bas, la profondeur pensive de la mer

ici, à cette heure d’alcôves, tièdes encore des sommeils, le soleil est nu et tremblant comme un
enfant que l’on réveille, la vitre froide à la fenêtre, le ciel en crue déjà par-dessus le noyer de
la cour, comme à portée de main

il règne des lueurs qui viennent se jeter dans le peu de mots qu’on prononce, décousus,
indécis d’eux-mêmes, que rien du jour n’allume encore, hésitant sur l’issue de leur voie
incertaine

 

∗∗∗

céder, tenir, trop tôt, plus tard, et rien, peut-être, qui ne soit égal à ce qui croit le contrarier

tant apprendre pour tant oublier, reprendre chaque jour le nom que l’on habite, ne rien trahir
ni de ce que l’avait semé de doutes ni de ces tremblantes clartés, ces rasantes lueurs au
lointain des questions

il y a pourtant quelque chose, qui demande encore à y être et brûle silencieux dans l’ombre,
qu’il délivre

mais qui cherche à se souvenir de quels fruits tombés de la nuit peut se nourrir ce qui
prolonge, dans l’espace clos de la pièce, au-dessus du café qui fume, le grand silence

indifférent du monde

vivre demande de s’en emparer, sans d’abord le comprendre, avant que visages et corps y
reprennent lèvres et voix, que le matin éveille d’autres lieux, que s’y
poursuive le récit des êtres et des choses

∗∗∗

il te faudra passer ce jour où ne t’occupe plus la signification de toute chose sur quoi l’œil
arrête la pensée, où tu as appris à ne rien attendre qui ne soit frappé au sceau du pur
étonnement et de la plus simple amitié
où incroyable est de te sentir être, de te croire toujours vivant, réel et existant, de devoir défier
encore quelque chose du temps et du désordre tapageur du monde, et la nécessité d’une
destination qui divague d’une heure à l’autre qui annonce la suivante, sans aucune trace où
poser tes pas
mais suivant l’unique fanal d’un matin retrouvé, dans un désir poli à vif, la seule chose qui
importe, sans même en connaître l’objet

juste la soif d’un autre jour que tu distinguerais comme un pays où habiter, où tu te sentirais
chez toi, en exil enfin consenti, n’y aurais plus rien à poursuivre que d’essayer à exister plus
sûrement, sans céder aux appels des sombres nostalgies, sous un ciel tout entier offert au vol
des passereaux, ouvert à toutes les blessures de la terre et penché sur un soir que tu n’aurais
pas dû connaître

∗∗∗

il reste sous tes doigts l’éloignement des rêves, inexorablement, la couleur des paroles
perdues, rien qu’un souffle de vent, à peine deviné, la paisible inquiétude d’un nouveau soir
qui tombe, ce moment de soi-même où se rassemblent tous nos âges

où il est tout aussi incroyable de croire que l’on est pas mort encore, de se croire soi-même
l’illusion d’un autre ou une âme privée de son corps, la porte entrebâillée pour le passage de
ces ombres, réunies au jardin pour pleurer sur la solitude du vieux noyer qui s’affaisse sur ses
racines ou accompagner la belle agonie d’un cerisier en fleurs

 

Présentation de l’auteur




Guillaume Janin, Bruits de Sibérie

Nuit en train

Par la fenêtre, les étoiles roulent
Sous les ronflements du ciel
Je regarde l'aube mourir
Dans les yeux de mon voisin
J'avance, toujours, j'avance
Droit devant
Des lanières pendent comme des lianes
Avec au bout des morceaux de rêves.
Les fées ont cessé d'exister
Dans ce monde merveilleux

 

Paroles

La nuit est tombée plus soudaine
Ce soir que les autres
Mais le bébé aux grands yeux
Ecarquillés derrière la vitre
N'est pas encore endormi.
Un plat de nouilles
Jonche le plancher des steppes
Dans les bras de sa mère
L'enfant au pullover vert
Parle sans aucun son.
Il parle des maisons de bois
Qui se perdent dans l'horizon
Des poteaux du téléphone
Qui transmettent les ultrasons
Des couples séparés, des vieux isolés.
Il parle de la route qui file parallèle
De son asphalte noir
Des quelques phares qui la sillonnent
Un homme dans un pick-up
Rentre chez lui ce soir.
Il parle de sa vie à lui
Qui grandira pas loin d'ici
Il parle à la nuit
Qui vient le prendre
Avec tous ses amis.
Il parle des policiers
Qui patrouillent, menottes et revolver
Rangés au garde à vous
Juste au cas où
On ne sait jamais.
Il parle des bouleaux, des pins
Des arbres qu'il dépeint
Sur son cahier de coloriage
Dont l'encre séchée
Déborde des pages.
Il parle pour tout le monde
Entre ses quenottes
Encore en terre
Pour la mère qui finit le souper
En attendant ses enfants du siècle passé.
Il parle à n'en plus finir
Mais personne n'y prête attention
Au petit garçon
Qui voit et entend
Tout ce que les hommes ont enterré
Depuis le premier jour.

 

Avikn

Mollets veinés et chevilles gonflées
De la babouchka qui dort,
Aimable voisine
Sur son sac Baci d’Italie
Une bagouze
Pour chaque annulaire potelé
Deux perles grises se balancent
Au gré des rêves
Qui viennent troubler le repos du corps
Avec les sursauts d'une âme
En tous points banale.
Des marguerites semblent prises au piège
Dans ce dédale incohérent où
Les lignes azur s'étirent
Jusqu'à croiser les nues
Tapis brillant à l'infini
Sur lequel le soleil
Étranger d'une autre galaxie
Vient s'étaler (avec délectation)
Pschitt !! Ventoline Ventoline
Pour ne pas que mère Russie
Ne s'étouffe sans un cri
D'un châle noir le visage recouvert,
Un chat miaulant sans fin
Sa féline détresse,
Et ne finisse, beauté alcaline
Rongée par les vers de l'oublis
Un peu d'humus vert et gris
Au pied des saules meurtris
Des iles Sakhalines
Le bruit des tempes
Les turbulences ralenties de l'esprit
Je rame sans me mouvoir
Au-dessus des plaines
De Moldavie
Nappées d'or et d'argent
Jusqu'à enfin tomber
Disparaitre
Dans mon désert de paradis
Engouffrant la carlingue
Et le reste du monde
Dans un lent sanglot

 

Las Ici-bas

Sous les lames du froid
Les maisons de bois
Meuglent et crie
Sous les coups qui broient
Leurs plaintes quotidiennes.
La neige bourdonne
Autour des habitations
Essaim de guèpe
Venus butiner joyeusement
Les fleurs qui poussent
Dans les plaines de Sibérie
Les chiens aboient
La Lada nevia passe
Entre les tours de bois
Que l'hiver réduira
À peau de chagrin
Avant les premières chaleurs de juin.
La cheminée tousse
Un filet qui vient prendre
Les derniers rayons de lumière
Dans ses mailles tendres
Pêcheurs au grand air
Dans les steppes austères
Et les gens dans tout ça ?
Ils sont au chaud à attendre, à s'instruire
À s'activer, à réparer, à construire
De nouvelles maisons
Pour les futures générations.
Certains ont déjà foutu le camp
Loin de cet enfer blanc envahissant.
D'autre que la fatigue a pris
Dans ses lambeaux, ses bras
Noient leurs malheurs tristes et aigris
Dans l'alcool de Taïga
Parfois, un humain un peu bizarre
S'approche un peu et puis repart
Comme un animal sauvage
Mais ce n'est qu'un touriste de passage
Ephémère venu gouter aux charmes exotiques
De ces contrées subarctiques.

 

24.10

Une pause rapide
Dans l'air froid du soir
Dans une ville, un quai
De gare.
Les fumeurs descendent
Et attendent
Que la neige
S'arrête de fumer
Les mains tiennent en tremblant
Le trait longiligne
Lueur louvoyante
Perdue au milieu de nulle part
Des chiens vaquent
Muets aux alentours
L'un semble prêt
Pour le grand départ
Elle entoure, elle embrasse
Et etreint
La taiga partout
S'etire dans l'horizon
Seuls les oiseaux migrateurs
En connaissent la fin
Comme le dit le vieux russe
Au bord du chemin
La glace crisse et craque
Rouée de coup
Le camion est bloqué
Au milieu de la flaque.
Des trains dans tous les sens
Viennent et vont
Avec eux l'espérance
Des jours radieux
Au chaud, derrière la fenêtre
Je contemple chaque seconde
Le spectacle identique
De cet océan blanc
Qui défile sous mes yeux
Caméras au front
Bien décidés
A se déclarer témoin
Du meurtre qui a été
Sous mes yeux ébahis
Mais dans l'indifférence normal
Des hôtes de ces lieux
Une nouvelle nuit est tombée
Sous les balles du jour
La forêt s'endort
Et le train passe.

 

Présentation de l’auteur




Florence Dreux, Sylve et autres poèmes

Sylve

 

                        À Claire Espanel,

La fenêtre est ouverte.
L’est-elle vraiment ?
Le temps toujours
Abolit le cadre.
Alors l’âme apprend l’arbre
Dans l’humilité du ciel
Et s’émeut du vent
Dispersant ses prières.
Deviendront-elles nuages,
Traversées d’oiseaux ?
Qu’importe !
Ici l’air est vaste
Où les mots ne suffoquent pas.
Mais peut-être faudrait-il se taire ?
Ne rien écrire
Pour ne rien gâcher du silence ?        
S’immiscer dans les interstices du langage ?
Mais comment, si ce n’est en empruntant
Les voies mêmes du langage ?

***

Le cœur dit pourtant :
- Célèbre aujourd’hui le vol de l’oiseau :
Milan, mouette ou tourterelle, 
Qu’importe ?
Nulle lutte de classe ici,
Nulle distanciation.
Entre ton œil et leurs ailes,
Entre ton lit et leur ciel
La lumière
Et dans celle-ci, leur ombre.
Est-ce au-delà de la fenêtre
Ou au-delà de toi ?
Qu’importe !
Ici est le lieu
De la conversation secrète.
Si tu ne peux comprendre
Sache écouter.
Habite ce qui t’échappe.

***

Mais déjà les longs fûts gris s’élèvent
Tout chargés d’âmes.
Si la nuit te tient éveillée,
Ne l’empêche pas ;
Elle seule a pouvoir de renaissance.  
Avec elle, un autre chant ;
C’est Orphée s’enfonçant
Jusqu’aux plus profondes racines
Où l’espoir s’est niché 
Sous la morsure du temps.
Dis-moi,
Comprennent-ils, tes frères humains,
Qu’ici se trouve leur fondement ?
Et toi, sauras-tu descendre ?
Retrouver la terre du commencement ?
Dans tes veines, sens-tu couler
La sève devenue sang ?

***

Racines en toi se perdent
Que tu ne soupçonnes pas.
Cherche, 
Explore
Ce qui existe déjà
Et ce qui n’est pas ;
Ce qui est en-deçà de toi
Mais pas encore toi.
N’essaie pas de démêler l’entrelacs,
Le nœud est trop puissant.
Trouve l’intervalle
Espère en ton silence. 
Si dire ne se peut,
Ecrire se doit.
Mais déjà le ciel s’incline
Et tu gis,
Horizontale.
Pardonne-leur,
Ils ne savaient pas.
A eux, il reste les étoiles.

***

Le jour est déjà là,
Les vers de la nuit
Perdus.
Qu’importe ?
Les riches eaux t’emportent
Au pied des aubes nues.
Poussé par le désir de sève,    
L’arbre s’époumone :
- Je viens du sol d’où sourd la lumière ;
Qu’importe si mes branches n’embrassent que l’air,
Elles seules connaissent l’amour du vent !
Survient alors le grand éploiement :
Feuilles, plumes
Corps et rêves                                                
Jaillis du fleuve vert
Où chacun en l’autre s’écoule.
L’écorce se tait
- Rivières et torrents ont tant de choses à raconter-
Et tu entres, comprise, dans la pensée organique du poème.

***

Sur tes lèvres, une parole :
- Même abattue je reste ;
Embrassée par le regard de l’enfant
Je croîs.

 

Peuplier I

À Gabriel, ces « paroles d’entre les paroles »

 

Nichée d’air dans le grand peuplier
Poudroiements
Pulsations de lumière

Une brassée de ciel                                        
Absorbe l’œil
 La fenêtre

Affranchie
L’oreille explore
L’oreille espère

-Que dit l’oiseau devenu feuille ?-

Frémissements
Des murmures de sève
Saisissent le pied, la main, le bras
Eploient le corps d’écorce

Envolement

 

Peuplier II

Ballet fantasque dans le vent
Branches de  nuages
Gonflées de pépiements

Les feuilles s’ébattent
Les milans

L’oreille convoque l’œil
L’interpelle

-Que dit la feuille devenue oiseau ?-

Tressaillements

Les trilles syncopés
Secouent  le cœur, le ventre, les reins
Débordent  l’arbre

Commencement

 

Le saule

Le trille de l’oiseau
Pour seul réveil
La rosée
Son éclat en toi
Et le souffle du saule
Au-delà de toi

Le cerisier blanc

À chaque Printemps
Virginité renouvelée
Par le Vent déflorée

 

 

Le grand acacia

Pour Marcelle, in memoriam

Bourrasque dans le grand acacia
L’orage a emporté les feuilles
Parmi elles, ta vie

Ce matin, pourtant,
Dans l’œil de la tourterelle
Les mêmes bleus, verts et blancs ardents

Les mêmes ?

Observe d’une âme plus attentive
La Nature jamais ne te désavoue

Ce nuage
Cette fleur
Cet éclat
C’est encore un peu de toi
Dans notre devenir  

 

Les cheminantes

                                                                                  À Patrick Chamoiseau

Les longues mains    
Se ferment                             
S’ouvrent  
Sur les blés étonnés

Capturent
Captent plutôt
Le réel

En  présences
En absences

Promènent
Leur rêve de tourterelle
Autour du grand peuplier vert

Effeuillent
Le chant de l’oiseau qui ne chante plus

Appellent                                                                                                                
L’humus
La voix antérieure                                                                                                                                                    
Acceptent
Inventent
Rassemblent
L’enfant

Parcourent
Le pont des ailleurs
L’indicible entre-là

Ainsi vont les cheminantes
Au silence radieux

Yeux renommant toute chose
En ne nommant pas

Comprenant tout

 

Présentation de l’auteur




Christophe Pineau-Thierry, La saveur de la joie et autres poèmes

la saveur de la joie

 

se libérer de l’empreinte des sources

les paroles enfouies de tes lèvres

le fragile de nos touchers suspendus

 

une vie qui savoure la joie de l’aube

l’herbe assise à l’écoute du vent

le battement des vagues de l’océan

 

ta force au soleil

la fraicheur de tes mains

au creux de l’argile des mots

la beauté de ton souffle

dans l’évocation de l’avenir

 

l’instant de tes regards

nos pierres cousues d’herbes

et le dessin de nos joies

l’ombre de ta force au soleil

 

le simple des mots

une feuille de pluie

ce chant dans ma tête

l’appel d’un jardin

 

un texte qui frémit

le souffle des images

ce jour nous regarde

 

les scènes d’un carnet

le cadeau d’un son

cette simple beauté

 

nos paroles de silence

cette parole du soir

cousue des mots de l’aube

a le sourire des tendres

 

le dessin de nos souffles

parle de l’univers

et du silence des étoiles

 

dans la liberté de nos pas

cette caresse du jour

est la pierre de l’éveil

Poèmes extraits du recueil Le regard du jour publié aux Editions du Cygne en 2021.

Présentation de l’auteur




Datcho Gospodinov, Devant la gare routière et autres poèmes

Traduit du bulgare par Krassimir Kavaldjiev

Le vent fleurant le gazole brûlé
saisit soudain
de la poussière et des tickets déchirés
et en remplit
la sébile du mendiant.

 

La fille du café

La fille rentrait les parasols –
ailes ballantes.
Et le lendemain
– pour la quantième fois? –
elle les rouvrirait
au-dessus de la bière aux tables dehors
et du bavardage quotidien.
Les parasols frémiraient au vent
sans jamais
                   jamais s'envoler...

La fille étreignait
des ailes ballantes.

 

Poéte

Vulnérable de façon peu moderne. Et illogique :
tu cherches le filet de l'univers
dans l'essence propre...
Irréel au milieu du terre-à-terre humain.
Vrai –
  dans le cosmodrome du rêve
    (au bout d'inquiétudes inachevées).
D'où –
  chargé d'attentes,
    explosé de mots tus –
      avec ton vers le plus exquis
        tu t'envoles...
Sans même avoir atteint
la perfection poétique,
nécessaire à présent
aux dimensions touchées par l'amour.

Présentation de l’auteur




Khalid EL Morabethi, Poèmes inédits

Ma viande possède une connotation…La meilleure volonté. Je m’efforce de réfléchir, ce n’est pas mon point fort, je ne pense surtout pas aux conséquences et j’engage l’essentiel de mon existence. Je suis fier de ma cuisine, alors, c’est ma viande qui parle, donc, c’est ma viande qui contrôle la continuité de mes textes. Je suis fier de mes miroirs qui entourent ma salle de bain. Je soutiens mon regard et devant l’analyse accrochée au-dessus de mon lavabo, je prends mes réflexes. Ma viande me représente, elle me guide vers l’évidence. Tout agent rêve d’être un architecte, il faut juste que l’esprit soit préparé à accueillir l’idée.

∗∗∗

 

Je sors de mon front. La démesure a beaucoup de formes. Je sais quel titre je vais recevoir. Alors, ça n’a aucun rapport, la folie est drôle. Donc, ça n’a aucun rapport, c’est les témoins choisis qui ont choisi d’être pas drôle. Surtout, ça n’a aucun rapport, il y aura des entretiens pour connaitre la vérité sur le titre que je vais recevoir. Je ne suis pas sous hypnose, c’est un avantage. Les conseils d’orientation professionnelle ne sont pas sous hypnose, c’est un grand avantage. Ma propre définition de l’essentiel sort de mon front rouge.

∗∗∗

 

Tentacule me pousse. L’évocation avant l’évolution. Il met le labyrinthe dans une phobie en cours de construction. Je porte une tombe en bâtière. La procédure avant la mise en place. Normalement, je ne la porte pas vraiment, je la pousse. L’entrainement avant la mise en scène. Je pousse des tombes depuis l’âge de dix ans. Il me répète que c’est un exercice, que cet entrainement me rend de plus en plus puissant. Je me prépare avant tout avant le combat. Je pousse. Maintenant ça fait 731 tombes. C’est mon nouveau record.

∗∗∗

 

C’est une carapace. Désormais et systématiquement, je mange pour m’intégrer. Pour que ce soit possible. Pour avoir le droit de marcher dans la foule. Pour circuler normalement et poliment parmi les gens. Je pense, mais il y a une autre existence et ça se forme comme un trou, qui se met en face de moi et qui me parle lentement, qui articule et qui n’a pas le même tentacule au-dessus de la tête et au-dessous du cerveau. Donc, je prends la logique au second degré. Le tentacule fait tout ce qu’il veut et il met la réalité dans une boite des c’est-à-dire. Voilà, je prends la logique avec de l’eau salée. Le tentacule coud mes pulls et à partir de là, cela permet d'oxygéner plus efficacement ses cellules.

C’est supposé être drôle. Ce n’est pas n’importe quel passage, ce n’est pas n’importe quel sentiment, ce n’est pas n’importe quel organe, ce n’est pas n’importe quels mouvements des mains, ce n’est pas n’importe quel mutant et ce n’est pas n’importe quel regard. Il faut que tu crèves tes yeux pour que tu me voies, pour que tu voies et pour que tu le voies.  Au fond de l’attitude absurde à l’égard de la carapace tout court.

∗∗∗

 

Tentacule prend le pouvoir. La part de la température raisonnable. La part du bien qui pue les cadavres fascinés par la fatigue.

J’obtiens mon billet, il n’y a pas de perplexité, je n’ai pas besoin de mentir, j’ajoute du sucre, je mettais quatre, mais aujourd’hui, je mets exactement une et demi, pour que je ne garde pas la même odeur et pour que le téléphone fixe sonne.

De manière certaine, je me retrouve avec mes preuves. Mes yeux me donnent plusieurs choix et je leur donne plusieurs chances.  Je réchauffe mon thé. Ça va avancer la carrière du pousseur. Je me retrouve avec mes bons résultats. De manière gratuite. Ça va. Ma carrière avance. Je pousse.

Tentacule branche ses prises. Il explore son appartement. Il n’y a pas de flash-back. Il y a une peinture dans le mur, il ne doit pas l’enlever.  

Mes discussions m’énervent comme les décisions de ma première année. Mes interventions m’énervent comme mes premières compréhensions. Voilà, je dois continuer de construire des places, des pièces, des plateaux et des chaises. Personne ne peut m’attacher par la cheville. Il faut que je prenne le temps. Mes arguments m’énervent comme mes crachats aux gueules.

∗∗∗

 

Oui, je déteste les forêts, c'est trop. Je prends vraiment tout ce que je reçois. J'ai besoin de construire des bâtiments, je suis en train de construire des bâtiments et des autoroutes, c'est le futur, mon propre futur, c'est le bon futur. Je dois construire des ponts, beaucoup de ponts, personne ne peut construire des ponts comme moi. Oui, il y a dix observateurs à la peau orange que je dois payer tous les trois mois et surtout payer leurs impôts. Oui, j'ai fait un casting, j’ai bien sélectionné ces dix observateurs qui font bien leurs travail, qui m'observent en train de construire des restaurants, des bâtiments et des autoroutes, des labyrinthes, des escaliers et un zoo où les visiteurs peuvent voir mes volontés me prier.

∗∗∗

 

Les crises sont toujours en cours de constructions. Puis l’opération. Pas d’enfance. Conduire les souvenirs vers une autre province. Pas d’anniversaires. Pour que je sorte. Les crises font des miracles. Il faut que je me noie pour que je me prépare. Il faut que je me noie pour que mon esprit se sépare en 4 parties, 2 parties, 8 parties, 631 parties. Il faut que je me noie pour un remplaçant libre. Puis l’opérateur. Pas de vertige. Pour que je sorte. Les crises suppriment la faiblesse. Il faut que je me noie pour que je ne doute jamais. Il faut que je me noie pour que je sorte de l’autre côté de la construction. Il faut que je me noie pour que je voie le grand regard honnête. Pas de mensonges. Prendre le risque. Pour que je sorte. Les crises pénètrent les consentements. Il faut que je me noie pour que j’articule. Brûler le ventre. Les crises m’apprennent. Arracher la chair. Les crises m’entourent. Voir plus clair. Les crises se présentent comme remède. Pour que je sorte. Pas d’hésitation. Il faut que je me noie pour que je sorte.

∗∗∗

 

L’avantage. Je trouve en moi des facultés. Je traverse la croûte de lave. Je pose des ceintures. Je lance un défi. J’essaie de faire une blague sur la gravité. Je donne mon point de vue sur n’importe quel sujet. J’analyse. Mais surtout.  Je trouve que je ne suis pas juste logé dans son corps. Le tentacule n’est pas juste logé dans mon esprit. Mais surtout. Je trouve que je ne suis pas juste logé dans ses propres variations. Mais surtout. Je suppose. Nous ne sommes pas juste logés dans un grand hôtel, ailleurs dans… Au milieu de… Bien loin de. Je prends mon doigt et je vise.

∗∗∗

 

Au début, je collectionnais des formes carrées, puis je me suis penché sur la définition parfaite de la forme ronde. Aujourd’hui, chaque matin avant de me laver le visage, je dessine sur mon front une forme triangulaire.  

Mon attitude. Je me rends compte que ce n’est pas du poids que je suis en train de prendre. Je compte comme les clefs qui accentuent mon rôle. La force du compte à rebours.

Je force le contrôle. Je me rends compte que ce n’est pas du bois que je suis en train de couper. Je prends des photos de mon sourire. J’attends comme le chiffre onze.

Je prépare mon propre petit déjeuner comme si je prépare mon déménagement. Je me lève tôt pour être en forme. Je fais des exercices abdominaux. C’est sourd comme les remboursements des dettes financières.

Mes tentatives sont constantes. Chaque dix minutes, j’ajoute un organe comme le code qui représente l’antagoniste. Chaque douze minutes, j’ajoute une série comme le code qui met toute sa force à répandre l’agitateur.

∗∗∗

 

Ma concentration sort de mon mode d’emploi. Je sors de la salive architecturale, elle est pourpre. Ma conscience sort de ma salive, elle est professionnelle. Je peux utiliser toutes mes capacités maintenant. Ça se voit, je peux frapper mon entraîneur au visage, il faut dire qu'avant ça me prenait cinq heures, juste pour un coup faible qui le faisait rire, mais maintenant je peux en une minute, le frapper, entendre sa mâchoire et le voir saigner.

∗∗∗

 

Tentacule observe mes positions sur la fondrière. Et l’aspect définit mon regard vide fait  comme. Ce n’est pas par pur hasard. Il habite dans une création qui se tourne sur elle-même comme. Ses mains prennent les assiettes sans faire de bruit, mais cependant. Mes mains se tournent vers moi comme. Il habite dans une enquête, mais cependant. Il ne laisse aucune trace comme. Je ne laisse jamais la porte du laboratoire ouverte, mais cependant. C’est curieux. Je reste calme comme. J’habite dans une interrogation.  L’atmosphère est curieuse, mais cependant. Je roule par terre. Il fait des instruments non-musicaux avec mes os. L’eau salée sort de mes poumons comme. Le tunnel, mais cependant. Le seul objectif, c’est la survie comme.

∗∗∗

 

L’imprimante est dans le cou du poumon. Je discute avec la forme triangulaire et puis, une grande soucoupe volante de marque Toyota.  J’assiste à un grand processus.  Je suis kidnappé. C’est imprimé.  Je suis sauvé par une masse gélatineuse. Je suis placé au milieu. Prendre l’évidence bornée.  C’est comme un contrat qui s’imprime. Je signe. Prendre la parole. Me prendre au sérieux ! Je signe.

Présentation de l’auteur




Marie-Noëlle Agniau, Nuit. Tombe. Sur. Univers

Nuit. Tombe. Sur. Univers. Clair.

 

Jardin. Flux. Mécanique. Eau. Flux. Cascade. Soleil. Incessant. Chaleur. Épaules. Genoux. Pastilles. Jaune. Yeux. Pouces. Yeux. Feu. Trèfles. Bleu. Mouches. Vent. Là. Herbe. Tremblement. Léger. Gramme. Or. Creux. Main. Jardin. Flux. Mécanique. Incessant. Fort. Incessant. Faible. Cris. Chien. Enfants. Eau. Torrent. Véhicules. Lents. Véhicules. Vite. Flux. Cascade. Fleuve. Mécanique. Herbes. Couchées. Vent. Grand. Nuit. Tuiles. Feu. Herbes. Pli. Force. Courbe. Terre. Peur. Enfants. Fenêtre. Nuit. Pli. Bruit. Chien. Cris. Peur. Bleu. Nuit. Éclair. Éclair. Éclair. Image. Nuit. Vent. Feuilles. Courbe. Casse. Flux. Fluide. Mécanique. Eau. Soleil. Pluie. Chaleur. Poids. Chaise. Corps. Longue. Nuit. Courbe. Torrent. Boue. Feuilles. Vol. Claque. Porte. Panique. Fort. Faible. Jour. Tombe. Blé. Vert. Long. Mer. Roule. Vent. Courbe. Sol. Haut. Couché. Yeux. Eau. Flux. Tonnerre. Éclair. Bruit. Vent. Herbe. Roule. Mer. Vagues. Herbe. Yeux. Orage. Fenêtre. Casse. Vent. Gouffre. Sol. Herbes. Trèfles. Mouches. Bleu. Pouces. Yeux. Jaune. Soleil. Voir. Air. Vent. Peau. Chaude. Lourde. Chaise. Corps. Descendre. Herbes. Trèfles. Terre. Sol. Verre. Eau. Claire. Main. Fraîche. Vitre. Orage. Fenêtre. Cris. Question. Porte. Claque. Eau. Trèfles. Verre. Mouches. Air. Ombre. Yeux. Mouches. Air. Soleil. Chaud. Coton. Terre. Fleurs. Fraîches. Ombre. Acacia. Feuilles. Trous. Maximum. Air. Soleil. Ombre. Avance. Frais. Sombre. Épaule. Froid. Frisson. Nuit. Orage. Vite. Fenêtre. Pluie. Ouverte. Pluie. Fraîche. Sol. Herbes. Terre. Ombre. Vent. Feuilles. Jardin. Flux. Mécanique. Arbre. Feuilles. Ombre. Parasol. Trou. Visage. Chaud. Tête. Cheveux. Sentir. Bon. Eau. Flux. Gorge. Cascade. Eau. Sentir. Flux. Blé. Roule. Herbes. Hautes. Prairie. Grande. Herbes. Hautes. Maximum. Toi. Taille. Elles. Herbes. Hautes. Courbe. Casse. Herbes. Fleurs. Trèfles. Eau. Flux. Pollen. Yeux. Gloire. Ombre. Goutte. Eau. Pli. Yeux. Sérum. Nu. Mains. Flux. Incessant. Fort. Faible. Moins. Peu. Nul. Rien. Sol. Trèfles. Chaise. Longue. Peur. Corps. Remise. Tôle. Froid. Pluie. Vent. Tempête. Pluie. Eau. Bleu. Vert. Soudain. Nuit. Air. Électrique. Masse. Eau. Herbe. Verte. Nuit. Bleu. Blanc. Colline. Eau. Nuit. Tuile. Bruit. Toux. Poussière. Nul. Toux. Herbes. Bêtes. Plumes. Nid. Corps. Peur. Peuple. Nuit. Herbes. Casse. Vent. Clair. Frais. Nuit. Genoux. Eau. Flux. Cascade. Pré. Bêtes. Gros. Grasse. Herbe. Lait. Âge. Rouge. Blé. Nuit. Vent. Beau. Loin. Fort. Herbes. Hautes. Corps. Dedans. Feuilles. Carré. Ivoire. Boutons. Yeux. Pollen. Rouge. Creux. Parfum. Yeux. Terrible. Sol. Feu. Pré. Herbe. Grasse. Nuit. Vent. Soleil. Tombe. Nous. Corps. Ombre. Chair. Seule. Jour. Nuit. Terre. Seule. Ombre. Chaleur. Yeux. Main. Pluie. Lourde. Vent. Casse. Herbes. Tôle. Feuilles. Branches. Nid. Trèfles. Blé. Vert. Haute. Herbe. Rose. Pétales. Rouge. Noir. Nuit. Non. Eau. Bleu. Courbe. Brille. Vent. Noir. Dedans. Nuit. Clair. Fort. Seul. Flux. Grand. Ivre. Peur. Sel. Noir. Yeux. Nuit. Jardin. Flux. Soleil. Corps. Nul. Nuage. Sombre. Blanc. Oiseau. Haut. Meule. Chaud. Chaleur. Soleil. Roule. Corps. Sieste. Boule. Meule. Rien. Nuit. Jour. Herbe. Sel. Eau. Tremble. Tête. Front. Yeux. Bleu. Eau. Coule. Joues. Jardin. Flux. Mécanique. Juste. Nuit. Tombe. Sur. Univers. Clair.

 

Du sol vivant a surgi …

 

    1

 

Du sol vivant a surgi le doublon de l’homme et du poisson. La cordée d’une pêche miraculeuse. Loin la mer derrière la plage immense. Le pain par les miettes avance tout de suite. On tient le chapeau en papier volatile. Lui le grand innocent. Du sol vivant a surgi la ronde tambour et le cri droit – hélas, la perspective est close. Hauteur dont les genoux cognent. Ils marchent à l’abri du temps dans un linge usé et cette œuvre inédite ravale la face de Dieu. Ils avancent, un filet d’or sur l’envers. La nuque est tranquille avec son collier de vents. Du sol vivant a surgi la courbe d’un dos. Le poids de l’être. Le cuir d’un poisson. Ils n’ont pas eu peur de s’accoupler en ouvrant grand la bouche. Du sol vivant a surgi l’huile – le pigment pour écrire – la couronne et l’assise : rouge sang. Un bébé de neuf jours. Son crâne est mou comme une éponge. Les souvenirs s’agglutinent et perçoivent l’orée du fond.

 

               2

 

En marchant avec toi qui marches lent. Non loin de la verdure, l’avant-dernier jour d’un nom. On rajoute à minuit ce qu’il faut de secondes – la masse lourde d’une Terre surchargée d’elle-même. Témoin : la vie muette.

Dites – quelle forme avons-nous ? Un corps semé de particules luminescentes. Nous voyons trouble. Que voyons-nous ? La patte d’un insecte soudain fractionné. Est-ce une seconde ? Peut-être moins ? Lichen de feu ? Dès qu’on y pense. Quel est ce corps qui happe les collisions ? Un sentiment dans l’être humain.

                        3

 

Et les méduses changent de couleur.

Est-ce que ça flotte les billes ?

 

Est-ce que ça flotte les billes ? Se demande celui qui regarde à travers comme on cherche à voir l’entrechoc des mondes. Est-ce que ça flotte avec la lumière et son tilt indéchiffrable ? Est-ce que ça flotte les billes dans l’eau claire d’une rivière ? Dans la main de l’enfant qui joue à Jonas saisissant la baleine ? Est-ce que ça flotte comme une feuille ? Comme la lotte ? Est-ce que ça flotte comme le sens ? La répétition des leçons ? Est-ce que ça flotte comme le mime qui balaie tout langage ? Ou bien l’ombre qu’on bouge pour s’éloigner de soi ? Se rapprocher ? Est-ce que ça flotte ? Comme les noms que ça porte ? Les agates ? Les araignées ? Les tornades ? Les dragons ? Est-ce que ça flotte depuis longtemps ? Depuis toujours ? Depuis qu’on joue ? La première roue ? Est-ce que ça flotte dans les parois ? Avec quelle main ? Est-ce que ça flotte avant de couler ? Combien de temps ? Peut-on le voir ? L’instant d’avant ? Avant de couler ? Est-ce que ça flotte ? De quelle couleur ? Faudrait-il un filet ? Pour les garder ? De couler plus bas ? Est-ce que ça flotte les billes qu’on partage en deux tas ? Est-ce que ça flotte comme la nef qui sauve Hélène ? Est-ce que ça flotte les billes qu’on jette en colère ? Est-ce que ça flotte les billes qu’on n’a pas ? Qu’on a perdues ? Qu’on palme entre ses doigts ? Pour nager avec ? Est-ce que ça flotte les billes en terre cuite ? Qui ne cessent pas – jamais – de jouer. Est-ce que ça flotte ? Comme une toupie ? Multicolore.

 

Marelle

 

De la terre jusqu’au ciel, marelle, rien ne défait le jeu noir ni la nuit ni le vent. Les enfants ont grimpé à cloche-pied sur le sol. Sont tombés plusieurs fois en jetant les cailloux. Fallait-il ou non mordre la ligne ?

Tu n’es pas rentré alors que j’avais un récit à te faire. Celui de ma journée – désormais en souffrance. Tu vois, il y avait des abeilles ou peut-être des guêpes dans un crâne de chien. Le nid était sûr. S’agitait furieusement à l’approche des enfants. Au Muséum d’Histoire Naturelle, une jeune fille dont j’ai su le prénom, disait d’un ton décidé à son petit ami que les dinosaures – non vraiment – n’ont pas pu exister. Il n’y avait pas d’hommes alors et les hommes ont tout inventé. En plus, les squelettes sont des faux et comme la verrière est cassée, il pleut sur les os. Moi, je préfère les bocaux avec les fœtus. La leçon de vocabulaire fut atroce. On installait un cirque d’hiver pour les animaux. Dans les grandes villes, on cherchait de quoi manger. S’achetaient parfois des grillons et des fourmis grillées à l’épicerie fine. Il y eut un incendie au moment des travaux : une étincelle, des grésillements, un feu de prise et puis de l’eau. On jouait à trap-trap dans les écoles. Un coup de vent a fait chuter les marronniers et sous les coquilles d’œuf brisées – une paire de chaussons taille 28. Le sang fuse dans mes petites artères. Partout la paille brûlait et des humains coulaient au fond des mers depuis le canoë. Ailleurs, de gentilles personnes s’occupaient des ancêtres à les faire manger et boire, les langer comme des bébés et leur parler comme aux braves bêtes. J’avais perdu mon doudou dans les rayons d’un grand magasin. Le temps était maussade : il fallut remettre à la maison le ronron du chauffage au fuel et comme toujours en ce début d’automne, on s’étonnait à l’avance de voir les décorations de Noël accrochées aux fenêtres. Mais qui peut hâter les jours ? Au fond d’une cour – un jeune homme eut l’œil perforé par un morceau de verre. Les raisons de l’attaque sont restées troubles avant d’apparaître comme une histoire de cœur. On ramasse à la pelle des insectes tout secs, un bout d’aile de papillon jauni par le manque d’oxygène. Le démantèlement des centrales nucléaires terminait à peine. Des êtres hybrides poussaient leurs cellules. De jeunes cancers couraient partout. À l’hôpital, le plus ancien organisait les courses de bolide. Dans les couloirs, le jeu du requin faisait des ravages avec la taie d’oreiller. Sur un fil à linge, les cintres tintinnabulaient comme les ô ma d’un catamaran. En un mot, fallait dire, l’orthographe s’effondrait. Dans mes cahiers d’école, tous les émoticônes pleuraient. On installait au bord des routes des groupes électrogènes. Un bleu de ciel kilowatté. Je n’ai pas vu Didi tomber de la voiture. Les gens ne savent plus lire et rêvent pourtant des anneaux de Saturne. En chemin, les cinémas montraient la plus belle des fictions : la guerre rendait les armes et les morts se relevaient au jardin d’éden. La lampe solaire du colibri vibrait la nuit toutes les 5 secondes. Il y avait des graffitis sur la table, gravés peut-être au compas. Des écritures obscènes ta race ! Les enfants avec des bouts de bois fabriquaient des ponts. Pimpon. Pimpon. La bibliothèque bruyante disait 1, 2, le vol de livres n’est pas autorisé. Les ondes harmoniques cherchaient des portes dans les ordinateurs et la suprématie quantique. Le tambour des machines tournait très vite et la douleur est un circuit supraconducteur, logique ! Des conflits militaires agitaient toujours la même bande de terre. Entre deux raids, les mamans lavaient les enfants dans une jolie bassine. L’eau n’était pas bien comestible et des poupées à la tête coupée regardaient le ciel. Nul ici ne se connait. Ce sont d’autres enfants que les mères nettoient. Et d’autres mères que les enfants enlacent. Au passage à niveau, j’hésitais entre vertige et rouge phare. Dans le train, paraît-il, une grande sœur consolait son petit frère de la longueur du voyage. J’avais dans mes oreilles le bruit du IPod. Les oiseaux n’existaient même pas. Les hommes se partageaient le souvenir de la Terre à travers des tablettes. La poussière collait aux écrans et la pulpe des doigts. Un bébé naissait sans visage mais les jeunes aiment bien faire de la glisse urbaine et descendre en vitesse les éléments du skate-park. Mon sac à dos pesait lourd et les affaires d’école. J’eus même l’idée de peser chaque mot mais seules les choses ont un poids : mystère et boule de gomme.

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