jean-Marc Barrier, Poèmes

 

Amer      d’une sève sans sillon
premier mot      sang   
sans racine dans le monde évanoui

 sans corps encore le son
lui fibre     lui nœud     aisselle ligneuse
et moi corps perdu     verbe flotté

 premier mot vers

 archet au cœur du tronc
agrafe muette

mot premier     clos     vert
plus lourd que l’air
articule      l’anatomique folie
d’un possible amer     tendre

 

 

∗∗∗

 

J’étais l’aile du corbeau
j’étais l’accident

là où le rocher imite le rocher
qui imite le silence
je penchais dans les brumes

antérieur pour toujours  
essoré debout  
j’attends encore l’aiguille du jour
les démentis du lac

le froid ment
même la frontière est chaude
et je tiens sur l’eau
et je tiens sur l’air
et le temps revient
        rien ne renonce

je serai rouge    rouge encore
je soulèverai ma robe
et la rive sera mienne.

 

∗∗∗

 

Tourne en arbre    torse    
tourne noir    ces lentes mémoires
en brûlis philosophe   
vis la cadence du passage
sens des pluies la corde oblique
le silence aux yeux noirs
arbre bercé     recousu d’amour
dans cette pluie de l’être   
scarifié     tendre  goutte à goutte
sois céruse claire
une main vers le bleu
du bois noir à la pousse torse
égare ce grain de blanc coton
où s’étire muet le
corps de l’amant brûlé.

 

∗∗∗

 

Ostinato

dans l’eau veloutée des bois
le désir dans sa ruine
grogne      hume l’absence

flèche de soi dans les paumes
cette ouïe mobile
s’amourache d’une nuit noyée
pleure sa joie sombre 
perdue dans les irrévocables

il trouvera les élégies fauves
la fleur sonore du gésir
cadence qui sonde parmi
les débris de frairies nocturnes

errance coriace devant

et les scories du mort-bois
le coursent entre tête et sexe.

 

 

∗∗∗

 

Vous trouverez mes sandales
et il n’y aura pas de volcan

J’ai quitté le temps de la nuit   son épaisseur
je bouge et c’est un grand ciel décomposé
où le vouloir s’échappe
au fond     dessus dedans   
il est question de lumière     de vent léger

sur ce lieu de rien      cet instant de pente
je goûte la possibilité d’un déséquilibre
j’habite les branches et l’envers des feuilles

ce temps de rêve et de chute      il est à toi
ce temps exact tu le respires
il pulse dans un cœur que tu n’entends plus
tu tombes      peut-être

tu le sais tu ne sais rien
sinon qu’un geste t’attend    entre deux phrases
un pied un mot que tu poses te redresse

déjà je penche.

Paru dans la revue Décharge.

 

 

∗∗∗

 

Goutte à goutte longtemps
ce qui s’ouvre
dans la fondamentale

de source en larme
et s’éloigne la poésie des ruines

être élargi
être élargi et toucher
le pardon à mains nues

vacance des mains sous l’œil
voix proche
oiseau de nuit espace autour

le solitaire dépli.

 

Présentation de l’auteur




Alain Brissiaud, Chemin de montine, inédits

 

Tu ne sais pas où loger tes pensées
ronces que cela
étourderies
descendant le chemin tu songes
à ces choses
qui surgissent venues
et t’obligent à dire
parler
pour comprendre avec eux
tous

qui sont-ils
si nombreux
recouverts de feu de terre
d’or diront-ils
non
pas cela
ceux qui passent ont plus que de l’or
juste le visage d’homme
et toi
tu veux tenir tout au bout de ta main
leurs beaux regards bariolés

 

Ce n’est pas rien le maintien
la belle allure
derrière la haie cortège de flammèches
tu songes à mettre en ordre tes pensées
ronces que cela
personne ne t’attend ils passent
juste

une autre fois il pleuvait
allongée  près de moi
dans le silence
ta peau reflétait une lumière crue
il n’y avait plus de dehors

et cette pluie plus forte plus puissante à mesure
sonnait dans le ciel
donnait tout d’elle
elle était notre toit de fortune
nous ne pouvions comprendre

tes yeux vibraient de la folie

 

Devant le miroir
nous avons déjeuné de pain
doucement
à nous dévisager

étions-nous ces amants si pâles

dis-moi
es-tu celle rêvée

 nous dormions séparés par la glace
depuis ce jour d’autrefois
au premier temps
de toi
si vite oublieuse de ma présence

 je pioche  dans ta mémoire
indistinctement
sans rien attendre
ni voir
la main tendue aux vents

 

 

Tu t’approches
lui montrant la vallée
et soudain
il connut l’irruption de la douleur
se souvenait-il
mais comment oublier
ce qu’il était venu chercher

pourquoi
être allé si loin

rejetant le passé
il dit encore quelque chose
qu’il est épuisé
qu’il veut rester dans la lumière
et ne peut se poser

dire sa marche
et au-delà

aussi
partir vivre comme on va mourir

 

 

 

Présence de ton corps au bord de l’arbre
dans le cri des corneilles
sur la lisière
où tu t’avances vêtue de lait de braises
tu lis un poème
alors des couteaux de larmes viennent
irriguer tes rêves

tu songes au regard que je te porte
celui
qui te traverse
et te mène au lieu du langage

quelle vérité que cela

 

Où sont nos compagnons
le sais-tu
l’ocre du ciel
et l’herbe douce

nouveau temps 

de quoi ont-ils besoin
je tremble sous le figuier méditant
sur ces choses 

l’hiver reverdit
le temps se sépare
pourquoi nous ont-ils laissé ce qui se perd

Ils ont bu à la santé de ce moment
de ce temps
qui continue à venir
ils ont trinqué
comme on rit d’un rien
pour oublier
comme pendant un discours
une messe

quand le temps se fige
accroché aux souvenirs
et personne ne s’étonne

 

 

personne n’est vraiment triste l’on se tient l’un à l’autre
sans pouvoir se quitter

on chanterait presque
alors
circule un gobelet de vin
il est chaud de chacun
vit dans chaque main
fiévreux comme un enfant

après
nous sommes seuls dans la blancheur de ce moment
démunis
à dire tout un long jour des choses bêtes

 

Ce soir
que reste-t-il
de ton regard

peut-être la transmission de ton regard
la terreur du vide
cette mémoire qui se refuse
teigneuse
comme un bouquet d’absence au monde

peut-être
la contrainte de ce lieu
impossible et calm
qui nous obsède et nous encercle

ce nouvel état de la vie

plus tard longtemps après
tu vins jouer dans mon sommeil

comme hors de toi
retournée

 

 

 

 

Cet autre rêve dans la chaleur
assoupi derrière le muret
tu viens vers moi
indélicate
et merveilleuse
tête à l’envers
me donner ton odeur
ta déchirure

plus tard
assise sur le seuil
au lieu d’éclats
enragée
une brèche à la taille

tu me regardes même vieillir

insolence de ce moment

et puis ce temps nouveau
bouquet d’absinthe
roule
sans rien de ce qui fut
même plus la mémoire
tout a sauté
sombré par le fond

 

 

 

Temps d’ivresse
ta lèvre est un cœur
de silence
tu tais la fièvre
tu fais l’ensevelie
tu es la corde

alors

je n’écris plus de beaux poèmes
plus de lumière
je te regarde aller venir

juste j’attends ce moment

le rire que tu portes
sera notre fardeau

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Marie Tavera, Le temps vient

 

quelque chose dure

quelque chose comme une aile

une plaine

je traverse les pas les chiffres qui avancent

l'allure de la forêt

vers le corps

au milieu des hectares il y a un sentiment

ou la durée du champ

jusqu'au bord

 

*

 

depuis la langue

le pas depuis la langue ailleurs est autre chose

comme une solitude

une flaque de verre

ce qui quand se construit

autre chose                     autre part                   

une durée longue

 

dans l'espace dépassé d'une demeure la lumière dépassée

atteint le jour

atteint le ciel blotti de nos bras

l'orée du bleu

les accords tangibles

on marche dedans c'est la neige

 

 

touchant le temps de se le dire

cette nue solitude                              

a pénétré l'espace au plus clair de nos doigts

 

 

*

 

quitter le jour

 

quitter le jour qui vient

 

nous quittons nos mains de velours pour partir nous n'avons

pas de place

pour partir

l'espace trop grand au bord vient le temps de le dire

l'une après l'autre chaque chose

 

                                                           disparaît

            chaque chose égarée

la place des arbres ou le bruit des fenêtres

il n'y a rien à dire

de cela dans le silence

mais tout s'écoule

la neige est forte comme les graines

du silence passe

on met la main autour du silence passe

dans les ajours des doigts

la neige lourde recouvre d'un bruit de passereau

ou de source

 

 

*

 

le temps dévoré

distinctement

une plaie ouverte au sol

on recouvre sans arrêt le lieu ouvert de soi

Présentation de l’auteur




Philippe Leuckx, Ce fragile chemin des choses, extraits

 

La lumière arrache aux murs

leurs derniers lambeaux de fête

la maison se désole

de n'être que ruines

quand le coeur continue

de battre en dépit des naufrages

∗∗∗

 

Tu entres rue verte

dans le petit couloir

de sa maison

ombreux et calme

silencieux

depuis ce janvier 79

la mémoire seule

restitue l'air dense

sa présence

au coin du feu de Louvain

∗∗∗

 

Le poème peut porter
à plus de clarté
le coeur
s'il cède un peu

∗∗∗

 

J'ai attendu longtemps

avant de poser des mots

sur les berges du livre

comme une main attentive

à ne pas bousculer

l'ordre des choses

le temps de la lumière

la vie des souffles

Je venais boire

à la source

la beauté

les ombres du recours

∗∗∗

 

La brume énonce le jour.

Le ciel s'évince sans un cri.

Parfois la peur gomme la parole.

On se retient à une rambarde.

On se fait plus petit que la lumière.

∗∗∗

 

Tu tournes certains jours

autour des mots

comme dans une chambre

froide

où il n'y aurait plus

que des ombres

quelques traces aimées

inanimées

et vagues

∗∗∗

 

Parfois, le mur tourne.

La vie recluse s'éclaire d'un geste.

Il faut tout écrire du peu

qui nous bouscule.

Dans la foulée des jours

le coeur s'écharde

floué.

 

(Extraits de "Ce fragile chemin des choses, 2021, inédit)




Cinq poèmes d’Adam Zagajewski

L'automne

L’automne arrive trop tôt.
Les pivoines sont toujours en fleurs, les abeilles
construisent toujours un État idéal,
quand soudain dans les champs luisent
les froides baïonnettes de l’automne et se lève
le vent.
D’où vient l’automne, pour quoi détruit-elle
les rêves, les pergolas vertes et la mémoire?
Une puissance étrangère entre dans la forêt qui se tait,
la colère s’approche, la peste rampe
et la fumée des incendies, les cris rauques
des Tatares
L’automne arrache aux arbres leurs feuilles, leurs noms,
Leurs fruits. L’automne efface les traces et les frontières,
éteint les lampes, les bougies, les cierges; la jeune
automne aux lèvres pourpres pose un baiser
mortel sur les créatures vivantes et vole
la vie.
Les sèves coulent et le sang de l’offrande coule,
coule l’huile, coule le vin, les fleurs coulent,
les fleuves jaunes gonflés de charognes,
la malédiction coule, la boue, la lave,
l’avalanche
Essouflée l’automne court et des couteaux
bleus brillent dans son regard vide.
Elle coupe les noms comme les herbes d’une faucille
tranchante et il n’y a pas de pitié dans son feu,
son haleine. Marche l’anonyme, la terreur, l’armée
rouge.

∗∗∗

Essaie de chanter un monde estropié.((lecture par l'auteur à écouter ici ))

Souviens-toi des longs jours de juin
des fraises et des gouttes de vin rosé.
Des orties qui envahissaient méthodiquement
les demeures abandonnées par les bannis.
Tu dois chanter un monde estropié.
Tu as regardé d’élégants yachts et des bateaux
l’un avait devant lui un long voyage
seul le néant salé attendait l’autre.
Tu as vu les réfugiés partir vers nulle part,
tu as entendu les bourreaux chanter de joie.
Souviens-toi des instants où vous étiez ensemble
dans une chambre blanche où ondulait un rideau.
Reviens en pensées au concert où éclatait la musique.
À l’automne, tu as ramassé des glands au parc
alors que les feuilles tournoyaient sur la terre blessée.
Chante un monde estropié
et la plume grise perdue par une grive
et la délicate lumière qui erre et disparaît
et revient.

∗∗∗

Les nouvelles expériences

Nous avons fait de nouvelles expériences—
joie, amertume de la défaite, tristesse,
regain d’espoir –
de nouvelles expériences qu’on retrouvera
peut-être aussi dans des mémoires datant
du dix-neuvième siècle.
Qu’ont-elles donc de nouveau ?
L’amitié ? La tendresse ?
Les liens entre les gens ?
Le courage libéré pour un instant puis
renroulé comme une bannière.
Un battement de cœur ? Cet instant, au petit matin,
Où il nous semblait
être vraiment ensemble, délivrés non seulement
de la peur, mais de la séparation ?
Le son des cloches d’église, léger
et pur comme le chant de la libellule ?
Survivre à l’émiettement ? À la connaissance ?
Aux points d’interrogation ?

∗∗∗

La pluie tiède

Un soir, dans une ville inconnue, je marchais
dans une rue qui n’avait pas de nom.
Je m’enfonçais de plus en plus dans l’étrange,
dans l’épais printemps, sur des marches de pierre.

Une pluie tiède tombait et les oiseaux chantaient
doucement, la tendresse était dans leurs voix lointaines.
Les sirènes des bateaux pleuraient dans le port,
disant adieu à la terre familière.

Dans les fenêtres grandes ouvertes des maisons
se tenaient les figures de mes rêves et des tiens,
et je savais que j’allais vers l’avenir dans une époque
révolue, tel un pèlerin à Rome.

∗∗∗

Poème rapide

J’écoutais un chant grégorien
dans une voiture qui filait
sur l’autoroute en France.
Les arbres étaient pressés. Les voix des moines
louaient un Seigneur invisible[à l’aube, dans une chapelle tremblante de froid].
Domine, exaudi orationem meam,
imploraient des voix masculines aussi calmement
que si le salut poussait au jardin.
Où allais-je ? Où le soleil se cachait-il ?
Ma vie déchirée gisait de chaque côté
de la route, fragile comme une carte routière.
En compagnie des doux moines
j’allais vers les nuages, gris,
lourds, et impénétrables,
vers l’avenir, vers le précipice,
avalant les dures larmes de la grêle.
Loin de l’aube. Loin de chez moi.
Au lieu de murs – une mince tôle.
La fuite au lieu de la vigilance.
Le voyage au lieu de l’oubli.
Au lieu d’un hymne – ce poème rapide.
Devant moi
courait une petite étoile fatiguée
et luisait l’asphalte de la chaussée,
indiquant où se trouvait la terre,
où se cachait la lame de l’horizon,
et où était la noire araignée du soir
et la nuit, veuve de nombreux rêves.

Terre de feu, 1994

Les textes en polonais sont accessibles sur le site https://poezja.org/wz/Zagajewski_Adam/

Présentation de l’auteur




Rémy Soual, Ouverture et autres poèmes

Ouverture

Il y a cette ligne à dessiner
comme un sillon sur le sable.
Ô tracement perpétuel,
entrelace tous les linéaments
vers une autre trajectoire,
décris ta courbe confidente,
fais du paysage traversé
le gardien de l’énigme,
tourbillonne en souffle vigoureux,
loin de balayer sur ton passage,
épouse contours et replis,
étends le silence jusqu’au geste,
le geste jusqu’au voyage…

Extrait de L’esquisse du geste, 2013.

 

La nuit souveraine

Clarté,
clarté de l’aube,
clarté de l’aube naissante,
soleil levé sur une terre vibrante
où sur la pierre
la révolte
se trouve
gravée.

Les rayons apparaissent
et tout autour demeure
le carcan des heures
mais au fond de l’être
s’illumine
l’aspiration
à une vie plus digne.

Clarté,
clarté de l’aube,
clarté de l’aube naissante,
jour souverain
où émergent d’autres possibles
à même de tracer ses contours salvateurs.

Clarté du mur qui se fend
clarté de l’instant,
clarté du temps,
clarté de chaque seconde,
clarté de l’air vif,
clarté du ciel bleu.

La tiédeur du matin
augure d’âpres luttes
contre tout ce qui humilie,
mais en toi, en moi,
se loge la flamme
à conjurer l’horreur.

La terre a reconquis
la précieuse incise,
conviant
à écarter le sort.

La rosée annonce
le ruissellement des eaux
qui irrigueront les vallées sauvages
pour que germe la graine de la liberté.

Clarté du chemin,
clarté de l’étoile,
clarté de la chaleur,
clarté de la joie,
clarté de l’ami,
clarté de l’aimée.

La lueur retrouvée
est ce noyau de sens
à garder au fond de soi
comme un éclat.

Nous voilà libres d’explorer
toutes les dimensions
pour remplir nos besaces.

Que la lumière
et sa compagne,
la chaleur,
accompagnent
longtemps
chacun de nos pas…

Extrait de La nuit souveraine, 2014.

 

L’ocre bleu

            Bleu, bleu nuit des secrètes fantasmagories, bleu outremer des grands voyages, bleu
ciel des ultimes espérances, bleu, bleu, bleu encore, à perte de vue, magnétique, salvateur.

            L’apaisement de la couleur ne doit pas nous faire oublier les bleus des coups, acharnés 
à  nous cogner pour trouver la percée d’azur, d’art sûr, serein, à la lisière du minuscule et du 
sublime, cosmos des trous noirs et des nébuleuses mirifiques.

            Bleu comme un sésame qui ouvre la palette intérieure de l’âme, cette énigme du corps 
qui invoque un peu plus de sens, un peu plus d’absolu, de grandiose, dans ces à-plats presque 
divins s’étendant au-dessus de nos têtes.

      1.

            J’ai cherché le bleu toute ma vie, dans une quête de toiles en toiles, de poèmes en 
poèmes, qui fasse de moi l’oracle d’une couleur s’avérant bien plus qu’une 
couleur, une légende de lumière et d’infini.

            J’ai écarté le bleu jeans de ma civilisation pour élire l’émeraude de mes aspirations où 
le souffle intime ne fait qu’un avec le grand vent de l’univers, tous unis vers…

            Le bleu me dépasse, il me relie, impalpable, à tous les êtres qui me 
sont chers, me donnant ce vague à l’âme plus profond que l’excitation des nerfs, ce blues primordial qui 
parcourt les chants noirs des origines.

            2.

J’ai cherché encore dans le mauve trouble de la mort et des violettes que l’on cueille 
pour des séparations qui ne se nomment pas, mélange impossible de ruptures, de deuils, et de 
renouvellement.

            Dans cette seconde couleur rougie, le bleu était la ressource, la mer où plonger, sentir 
les embruns, nager, marcher, nu comme les premiers hommes à la conquête du monde, le bleu 
était la clé des possibles.

            Oui, le bleu du possible, de la perspective qui s’ouvre, de la rencontre inattendue, des 
retrouvailles inespérées et des découvertes essentielles, la fenêtre sur le dehors du dedans…

            3.

           Dans les variations chromatiques, il était le repère, l’écrin de l’arc-en-ciel comme un 
fuseau de lumières dans son fourreau si intense, avant de décrocher la flèche du printemps.

           Bleu du ciel contre l’ocre du sable sur cette plage sans fin qui invoque l’été des jeux 
solaires, où le tutoiement des deux éléments ; la terre-rive et la mer-ciel, me prend à rêver 
d’un oxymore qui dépasse les déclinaisons.

 L’ocre bleu, ce sera l’ocre bleu...

          4.

Pour mon étoffe,
j’ai trempé dans le bleu du ciel
et dans l’outremer des océans.

J’ai puisé dans le rouge sang
et le vert si jeune.

Pour mon étoffe,
j’ai volé
l’éclat jaune de l’astre,
la noire ébène de la nuit,
et la blancheur du jour.

 J’ai mélangé les couleurs
et à ma grande surprise
l’ocre-bleu de la terre a surgi.

 

Extrait de Parcours, 2017.

 

Figures

Peuple dans l’ombre
ou peuple dans la lumière,
montreras-tu un visage
dont nous puissions
être fiers,
celui des héros
interrogateurs ?

Peuple dans l’opprobre
ou peuple dans sa gloire,
goûterons-nous aux fruits
qui rendent nus
mais droits
comme des i ?

Peuple en jachère
ou peuple en récoltes,
serons-nous les laboureurs
des sillons de la mort
ou du creuset de la vie,
à l’infini ?

Peuple en poussière
ou peuple en vertèbres,
redresserons-nous l’échine
contre les tyrannies
faciles
qui nous mettent
à genoux ?

Peuple à l’écoute
ou peuple anathème,
resterons-nous
les maillons d’une chaîne
ou deviendrons-nous
les fers de lance ?

Peuple que j’abomine,
peuple que je chéris,
ou atomes épars,
entends-tu
l’appel
à conquérir
ce que tu as perdu ?

Peuple à demi-mots,
vulgaire foule,
à moins que ce ne soit
cette silhouette
que je devine
et qui m’est plus chère
que mon rang ?

Cette silhouette
que je devine,
et trace.

Extrait de Variation(s) 3042, 2020.

 




Gorguine Valougeorgis, TEMPS MORT

Temps d’arrêt

 

Quelquefois un papillon se pose

Sur un doigt en silence

 

Comme si c’était une fleur

 

Il n’y a plus besoin de parler alors

 

Ni d’écouter

 

Il n’y a plus besoin de respirer

 

Juste de sentir sur ses joues la légère brise qui effleure

Qui tient cet instant

 

En éveil

 

Et regarder patiemment les millions d’années

Qui se logent dans ces ailes

Si frêles

 

Si on a su disparaître suffisamment

 

Les ocelles vibreront

Comme des mains qui applaudissent

Pour dire

 

Merci

 

Puis

 

Comme des mains qui remuent 

Pour dire

 

Adieu

 

Avant de s’en aller tranquillement

Remercier

Une autre fleur

 

Extrait de matin midi soir, Polder 189
Ed Gros Textes / Décharge

 

Ça fait longtemps

 

 

Ça fait longtemps que je n’allume plus mes nuits

pour mieux éteindre mes jours

 

Somnambule

tu passes d’un bar à l’autre

d’un verre à l’autre

d’une fille à l’autre

d’un rire à l’autre

jusqu’au moment où l’autre

 

c’est toi

 

Alors tu cherches au fond des cendriers

le reflet des souvenirs

mais n’y trouve

que des cendres de rires bruyants

 

La jeunesse est de mauvais conseil

ses épaules larges

elle a le temps

vénère les muses

sacrifie tout pour le geste pour

l’instant

 

La nuit a encore consumé

dans sa fumée abyssale

les peurs évaporées

 

puis la terreur au réveil

de ne pas voir de traces

 

Assis au bar

un inconnu par le col

me chope cherche

moucheron à écraser

après je ne sais rien

la vie est belle

un papillon dans le coin

sourit il offre

les clopes mais vend le feu

le bleu

mon identité interroge

mais je la cherche depuis

si loin

la vie est belle

un papillon dans le coin

sourit il offre

les clopes mais vend le feu

fait la chanson de mon enfance

 

Ça fait longtemps

que je ne mange plus

au kébab de ma rue

à 4 heure du mat’

et que je n’entends plus

les oiseaux à l’aube

m’indiquer

le chemin pour rentrer

dans le lit me coucher

les chaussures aux pieds

 

Ça fait longtemps que je n’invite plus

de parfaits inconnus

rencontrés

au hasard des rues

aux arrêts de bus

au marché aux puces

à la maison boire

un coup

et me faire les poches

quand j’ai le dos tourné

pour servir des verres

à la santé

de la fraternité

et à la mort éternelle

des fachos

aux crânes rasés

de près

 

Ça fait longtemps que mes mains sont blanches

comme mes yeux

ne sont plus rouges

de la fumée

de mes errances

 

Ça fait longtemps que je ne sème plus

dans n’importe quel troquet

squat

ou banc de la ville

des morceaux de sommeil

des briquets des portables des bonnets

des papiers le code

de ma CB l’anniversaire

de pépé

Que je ne parsème plus

le sol

de mes os mes poumons mes années

en riant

en riant jusqu’au ciel

en riant et en toussant

à m’en fendre le gosier

à en fendre des poiriers

entiers

 

Ça fait longtemps que je ne ris plus tout seul

 

Que je ne ris plus jusqu’au ciel

en toussant

à m’en fendre le gosier

à en fendre des poiriers entiers

 

tout seul

 

Ça fait longtemps que je n’oublie plus

mes rendez-vous chez le psy

 

Il dit que je progresse

qu’il y a de bons signes

que c’est une question de temps

 

Ça fait longtemps que le temps ne compte plus

ne me manque plus

 

Que les traces

laissées derrières

ne comptent plus

ne me regardent plus

 

Que tout ce qui importe

est de retrouver

au pied de la porte

tes chaussures mal rangées

aux côtés des miennes

 

Géométrie variable

 

On nous apprend d’abord

A définir un carré

Comme une forme géométrique

Différente du rectangle

Du cercle ou du triangle

De par ses côtés de même longueur

Et ses angles de 90 degrés

 

Puis on nous apprend

A définir le cube

Solide à six faces carrées égales

Utile pour mesurer les volumes

 

Puis on apprend

A multiplier les cubes

En centaines de milliers

De petits cubes

Pour pouvoir y ranger

Comme des boites à outils

Tout ce que la vie nous apprend d’autre

 

Puis on se rend compte

Que pour le rangement

Ikea est ce qui se fait de mieux

En matière de cubes

 

Et que le seul qui prévale vraiment

Pour la vie

Est le petit cube blanc

Avec des points noirs sur chacune de ses faces.

 

Alors

On sort de nos cases

Et le cercle s’élargit.

 

L’arbre à linge

 

Elle étendait son linge

Sur l’arbre à linge

Les chaussettes à côté des chaussettes

Les culottes à côté des culottes

Les tee-shirt à côté des tee-shirt

Et ainsi de suite

Se répétaient sans passion ni musique

De façon ordonnée et logique

Comme elle avait appris petite

Les mouvements robotiques

Presque inconscients

Répétés depuis des années.

 

Soudain

 

Elle remarqua que la chaussette

Qu’elle plaçait à côté de sa chaussette

N’était pas la sienne.

 

Elle prit du recul

Et s’aperçut que l’arbre entier

Etait un mélange de ses habits

Et des siens,

Celui avec qui elle partageait

La machine à laver.

 

Elle l’entendit ranger la vaisselle.

 

Un bonheur immense la traversa

D’un coup

De part en part

Une ombre imperceptible

Et évidente

L’ombre de toute ces années

Passées à ses côtés

Où elle ne se rendait même plus compte

Qu’elle étendait son linge à côté

Du linge de celui avec qui

Elle partageait sa machine à laver.

 

L’arbre à linge

Prit la forme

Du plus bel objet du monde

Et même le visage

Du meilleur ami

Fidèle et fort

Qui porte années après années

Sans broncher

Sur les mêmes épaules

Aussi fiables que propres

Côte à côte

Leurs secrets les plus intimes

Leurs secrets les plus secrets

Sans jamais les salir

Sans jamais les souiller.

 

Puis elle revint à sa chaussette

Qui n’avait pas son double.

 

Elle sourit

En pensant à sa rêverie.

 

Puis termina d’étendre le linge.

 

Et l’arbre ne perdit pas une feuille

Une fois encore.

 

 

Fleurissons les arbres morts

 

Je vois avec tristesse

Les arbres tous les ans

Pleurer leurs feuilles

Tombées à leurs pieds

 

Les temps de bonheur

Sont comptés

Et leurs traces

Emportées par les vents

 

Même si l’arbre est

Plus sage que moi

Et plus profond, beaucoup,

Par ses racines

 

Je ne peux m’empêcher de croire

Qu’à chaque automne sa sève

Est amère

De la chute de ses cheveux

 

J’en veux aux saisons alors

D’exister si brutalement.

Mais pas avec autant de douleur

Qu’à l’Homme

Et ses abatteuses

Qui démolissent les branches

Sur lesquelles fleurissent

Les arbres morts

Et pépient

Les nids vides.

 

Présentation de l’auteur




Chantal Bizzini, Dioramas de l’enfance, (extraits)

Enchantés

Et tout cela dans le silence
d’un autre monde,
au cœur d’un août profond
où l’on est transporté,
et, n’étaient ces ombres belles,
signes du temps qui passe,
qui ne se croirait là pour toujours ?

Ne sommes-nous pas déjà
dans l’au-delà,
exilés, morts,
dans les limbes, chétifs,
relégués au fond du Temps,
désormais visités par le soleil seul,
enchantés par le merle,
gros pompon noir,
piqué de jaune,
qui se pose au coin du toit
et s’en va dans l’autre cour,
parmi ses hautes plantes.

Bientôt c’est la nuit,
celle des fêtes clandestines
que l’on donne,
rires,
conjurant
on ne sait quoi,
bris de verre,
son à fond, pour voir,
si les murs explosent,
ou pour le fun
et les rectangles brillants
ne quittent pas les mains
des amis,
autour du barbecue,
éclairent, déforment, bleuissent
les visages
de leur lumière surnaturelle.

 

Magie

Nous voici
aux confins de la terre
et du temps,
sur ces îlots isolés, divagants,
et nous ne regardons plus en arrière
où n’est plus rien que de détruit,
ni au sol noir et stérile ;
au loin, des vagues grises,
aux creusements verts, opalins,
- brume diffuse,
entre l’orange et le violacé,
nous nous perdons.
Et, plus haut, c’est le ciel, et tout l’espace
blanc, que l’on sait violé
- mais ça ne se voit pas.

Le futur est captif
de ce jour assombri.
La séparation,
où nous gisons sans souffrance,
est lente anesthésie.
Et peu importe,
puisque nous avançons encore,
amoindris, et persévérons,
lancés vers ce qui n’a plus nom
d’infini ou d’éternité.
Et quelle magie ! Nous voyons l’absence,
entendons le silence.

 

Présentation de l’auteur




Catherine Lamagat, Il tremble (extraits)

 

Son vrai travail c'est vieillir, vieillir avec l’enfance, vieillir sans
âge, être ce qu’il est, ce qu’il sera. Il se demande pourquoi on dit
c'est bien d'être né, ce qui est si merveilleux alors qu'on ne
connaît rien d'autre. Si j’étais arbre, après tout, qu’on se soit
trompé de vie, de destination quand je suis né.
Il pense à ce qu'il lit, ce qui s'écrit, ce qu'écrivaient les morts qui
continuent d'écrire à l'intérieur de lui. Les mots, pense-t-il
encore, il faut les dire un par un, comme une saveur, et la garder.

 

∗∗∗                                                               

Toute la journée, il dit, on mécanique la pensée, on passe les
doigts sur des écrans, des heures, des années, toute la journée on
vient d’où on va nulle part.
Il oublie tout sauf le présent. Comme les livres quand il les lit,
comme lui quand il s’émiette et se reconstitue.

 

∗∗∗

                                                

L’oiseau, le brin d'herbe, quelle est ma forme à leurs yeux, il se
demande, et qui de moi ou d’eux tremble le plus.
Il est dans un endroit qui le sépare et d'autres jours le lie à tout,
il marche sur la ligne, entre les eaux, entre les temps, les
mondes, c’est ça, le tremblement, l’endroit qui s'ouvre en
permanence, qui fait qu'on est sans cesse une forme puis une
autre.

 

∗∗∗

 

Quand il sort, il prend l'espace, il prend les gens, les émotions,
il prend ce qui est là, visible et invisible. Parfois n'écoute plus
tellement le monde entre en lui. Trop d'autre, trop de mots,
rentre chez lui comme perdu, éparpillé, puis l’horizon se rétablit,
il voit au loin tout le lointain, comme une géographie restituée.

 

∗∗∗

Il attend de  la  lumière, du c'est pas grave, du c'est rien, ça
passera. Ça  passe toujours, comme les nuages. Ils passent
jaunes, là, il pense ce pourrait être la fin du monde.
La nuit il redoute une pluie sans fin qui finirait par déborder du
ciel sur sa tête, le craquement d'un arbre vieux, redoute le jour
qu'il verra, qu'il verra pas, écoute les bruits, s'arrête dans le
silence. Au matin, il s’en remet à lui.

 

∗∗∗

 

Parfois il ne fait rien. Il voit ce que ça fait, rien. Il se désosse,
réveille des choses au fond du corps.
C’est son regard qu’il doit atteindre, dans le miroir, et se
convaincre qu’il est vivant dans un monde qui existe.

 

∗∗∗

Il passe sa vie à voir et ne plus voir. Ce qu'il voit, les autres ne
le voient pas. C’est quand il ne voit pas qu'il est avec les autres.
C’est sans fin deux mondes qui se croisent, s'exécutent, et
s'exténuent.
Avant il écrivait pour les autres, un faux les autres. Maintenant il
écrit, c’est tout, mais le poème, tellement le coupe, ne reste rien.
Cette habitude, couper, dévêtir, finir toujours par désosser.
Écrire, il pense, ça n’a pas de sens, ça circule.

 

∗∗∗

Ce qu’il voit n’est pas ce qu’on voit tous. C’est là, à cet
endroit que lui il tremble, qu’il ne sait pas vraiment s’il est
vivant, s’il existe, s’il est libre, s’il a le droit, le choix. S’il
consultait on lui dirait monsieur vous êtes atteint du défaut
d’être.
Mais les oiseaux il sait les voir, en vol ou pas en vol, les voit
chacun, les reconnaît.

Présentation de l’auteur




Virgine Séba, Ça a commencé comme ça et autres textes

 

Ça a commencé comme ça

Un jour de février à la Fnac

J’ai avalé

Le Costa Rica la Guadeloupe les Canaries

La Réunion et les Antilles

Et j’ai pas vomi

Puis assise dans le métro

Emmitouflée dans ma doudoune

J’ai avalé mon écharpe bleue

avec un gros pompon orange à chaque bout

et aussi mon gros bonnet bleu

avec un gros pompon orange sur le dessus

Et j’ai pas vomi

Puis à la maison

J’ai avalé

Mon passeport

Celui bon jusqu'en 2023

Et j'ai pas vomi

Puis sur mon carnet à écrire les phrases

J'ai avalé des mots

Enfin juste quelques-uns

ceux pas vraiment importants

Oui ça a commencé comme ça

Et j’ai pas vomi

Puis j’ai avalé d'autres mots

ceux qui montrent et qui déterminent

Ceux qui disent et ceux qui agissent

Et j'ai pas vomi

Puis devant la glace

j'ai avalé ma langue

Celle qui parle et celle qui goûte

celle qui montre et celle qui tire

Celle qui crie et qui s'agite

Et j’ai pas vomi

Puis toujours devant la glace

j'ai avalé ma bouche ma gorge et mes yeux

Mes bras mes jambes et mon souffle

Et j'ai pas vomi

Et ça a fini comme ça

Le stylo est tombé

En chutant

Il a chuchoté

Mais j'ai pas entendu

Peau d'homme peau de femme
Où est ma peau ? 

Ce matin mets

Peau de femme

Choisis jupe courte rouge

Couleurs rugissent

Bas épais noir pour hiver

Bottes talons

Ça claque c'est moi

Moi en femme

Attend tram sur quai

Conducteur rame approche

Large cabine vision dégagée

Yeux taureau

Il foncé les yeux

Ce matin revêts peau homme

Peau invisibilité

Pantalon rouille

T-shirt Manche longue cramoisi

Décolleté rondi

Gilet bleu pétrole ample V

Pas sweat (à capuche pour homme jeune) pas polo

Baskets dorées au pied

Pas clignotant au loin

Tracer seule dans foule

Fouler sol seule

Sacoche grise toile imperméable

bandoulière corde noire

attaches cuir marron pendent

Pratique

Sac mains libres

Pas sac à mains

Petite

Bande poitrine

Veux pas

Trop tôt

Être chair

Adulte coopère

Adhère

Taille fine poitrine moyenne

Joli joli

Passion un temps

Mets talons

Ouh ouh prends hauteur

Mais oh oh pas pratique

quand veux tracer

Trace pas

Obligée ralentir déhancher

Petits pas

Pas bien à plat

T'adhères pas

Tu te hisses vertige

Perds pied

Mais rattraper

Reprendre pied

Baskets mode jupe robe

Tant mieux

Couper cheveux

Court femme

Puis court... comme un garçon ?

Oui coiffeuse comme un garçon !

Puis lâcher couleur.

Cheveux Blancs tu es

Être Toi

Tracer libre

Porter au choix

Couleurs qui claquent

Blanc gris noir pluie couleurs

Arc sur terre

Tu claques en toi

Tu claques autour de toi

Ça claque en nous

Ça claque pour toustes !

 

Virginie Séba, Je gratte je racle - a contre.

 

Fictionnaire : Lignées de lettres disposées dans un espace commun et Ordonnées par Maître-Mots. Certaines sont plus propres que d'autres. Syn. : Dictionnaire

Ouvrir le Dictionnaire

A la lettre P

Chercher le mot poupouter

Faire glisser son doigt

Sur la raie des mots

Ne pas trouver

Fermer le Fictionnaire

Aérer

Border Fictionnaire

Tendre deux mots

Embrasser

Momoter

Tendrument

Dans ma prison dorée

Ouvrir le Dictionnaire

Chercher le mot table

Y poser son cahier

A recevoir les idées

Chercher le mot qui écrit

Ne pas trouver

Fermer le Fictionnaire

Prendre l’air

Embrasse

ton Fictionnaire

Avec précaution

Reviens me voir

Les ans prochaines

 

Virgine Séba, Ma mère mes silences - a contre.

 

Respiration 

Se poser et visualiser

Une journée sans téléphone

Se poser et poser ses pensées

Hier partir sans pensées

Ou trop pensées

Télescopage dynamitage

Arriver au collège sans ses clés

Sans portable mais

Avoir pris son vélo

Avoir pédalé

Avoir clés antivol

Avoir lunch bag

Manger c'est important

Plus que téléphone en main

Visualiser envisager

Une journée sans téléphone

C'est annoncer claironner

L'oubli qui sera inconfortable

C'est partager aux murs

Aux oreilles à ma tête à vos têtes

Ma journée sans portable

9h sans téléphone portable

Est-ce supportable ?

Serai-je irritable ?

Absurdité rire se moquer

De moi ma dépendance

Ta gouvernance ma tolérance

J’ai compté les heures

Envoyé des emails

Sourire aux commissures

Prévenir m'en rire

Essayer stratégies supplier

Oh mon fils qui travaille à coté

Apporte-moi mon téléphone

Peine perdue "Tu peux faire sans" me dit-il

Seule en détresse sans stress

Je constate ma vilenie

face à cet objet supplice

Moi indépendante ?

Que nenni !

A la colle avec portable

Sans cesse sur facebook liker

Commenter enregistrer

publier corriger écrire

consulter scanner compter

texter whatsapper

zoomer messenger parler

Youtuber écouter visionner

Vie miroir entonnoir

Vie covid impavide

Moi machin toi humain

Toi toi mon toi

Ma moitié mon trois-quarts

Mon tout mon entier

Toi et Moi

Moi en toi

Toi en moi

Pourrais- je vivre sans ?

T'es toi !

Suis-moi !

????????

 

Virgine Séba et Edgar Sekloka, Dame Chique Tache, 2020.

 

J'enferme je sépare je classe je trie je jette 

J'enferme

Denrées dans paquet

J'enferme

Souffle dans masque

J'enferme

Enfants dans crèches

J'enferme

Élèves dans école

J'enferme

Viocs dans Ephad

J'enferme

Méchants dans prisons

J'enferme

Victimes dans la tête

J'enferme

Société dans classes

J'enferme

Classes dans système

J'enferme je sépare je classe je trie je jette

tu adhères ?