Violette Guyot, Je marche et autres chansons

Je marche

Je marche, 
pour oublier les gnoufs, 
les sales bêtes les têtes de veaux
les sots
tous les balais à chiotte
et les savons d’Alep.

Les squés
les téflons usagés
panachés tièdes éventés
les couards
qu’ont rien dans la cervelle
dans le lard ni les bretelles !

Je marche,
je rembobine le film
vers l’avant et vers l’arrière
je veux
dissoudre leurs têtes en creux
dans la boue et dans le feu

À ces cons
ces raclures de bidet
qui me font perdre la raison
ces vaches
korrigans fous à lier
avec ou sans poils au nez …

Je boxe
mes mots comme des poings
le temps d’chanter ce refrain
je cogne
comptine sans artifice
mais qui peut rendre service

Il faut
bien s’défouler un peu
pour oublier les grincheux
les fiers
les moches les orgueilleux
les p’tits chefs et les vieux pneus.

 

La musarde

Assise dans la nature
je pose mon armure
et je laisse mes pensées
vagabonder.

Un gros lièvre s’invite
quand son gros œil me voit
il se sauve très vite
et m’abandonne là.

Je me prends pour Alice
et je bâille aux corneilles
sur l’herbe bienfaitrice
je m’émerveille.

Le bourdonnement fait rage
sur le parterre de fleurs
je trouve ce babillage
culpabilisateur.

Les insectes travaillent
et moi je me prélasse
ignorant cette pagaille
j’abandonne ma carcasse.

 

Immortelle

Elle s’amuse avec les anges 
dans une autre dimension
joue à courser les mésanges
dans son vaisseau en carton
ses voisins trouvent qu’elle est folle
elle a jeté sa télé
elle s’en fiche des paraboles
elle, elle fait ce qui lui plaît

Elle voyage sur le net
explore les autres planètes
elle rejoint le train fantôme
à la recherche du génome
apprend la philosophie
en prévision d’autres vies
elle profite car à son âge
ça s’rait trop con d’être sage.

Dans son p’tit appartement
où il n’y a plus d’enfant
elle jongle avec les étoiles
tchattant la nuit sur la toile
elle partage ses espoirs
avec avec d’autres cosmonautes
bien seule, elle attend le soir
le retour des internautes.

Elle s’fait pas d’souçis la belle
elle sait qu’elle est immortelle
à grands coups d’respirations
se nettoie des pollutions
fait la paix avec son âme
grâce aux mantras qu’elle déclame
elle soigne sa solitude
en cherchant la plénitude.

Elle s’envole avec son ange
sur le dos d’une mésange
terroriste homéopathe
vers le désert des Carpates
elle cherche son cheval gris
pour rejoindre son paradis
elle s’en moque de ses voisins
elle joue avec son destin.

 

Alexia D et A7

Alexia est bien morose
elle ne voudrait voir personne
il faudra pourtant qu’elle ose
sortir car en bas ça sonne …
Elle descend c’est sa voisine
qui l’attend sur le palier
elle a besoin de farine
pour faire sa pâte à beignets.

La voisine demande comme ça :
Comment vas-tu Alexia ?
Alexia avoue inquiète
qu’elle n’est pas dans son assiette.
La voisine est très aimable
elle adore rendre service
aussitôt elle s’emballe
et c’est un feu d’artifice !

Y faut pas t’laisser aller,
tu devrais faire ci ou ça,
va donc un peu t’promener
la campagne te calmera.
Va voir le docteur Breutel,
tu sais y fait des merveilles,
à mon frère de Neuchâtel,
il a greffé treize orteils !

Essay’ aussi les bains d’sièges,
le gogi, la pimprenelle,
les pommes d’amour de Blanche Neige
l’parachute ascensionnel !
Si t’es encore déprimée
on ira au salon d’thé
engloutir un pithiviers
arrosé de bière ambrée …

 

 

 

Alexia aimerait bien
qu’sa voisine cesse de parler
elle commence à saturer
d’ses conseils qui riment à rien.
Pendant qu’sa voisine carbure
ell’ commence à rêvasser,
s’envol’ vers la côt’ d’Azur
dans les bras d’Christophe André.

 Tu devrais manger du chou
le chou ça c’est bon pour tout
même le Valnet il en parle
c’est très bon pour le moral !
Y’a aussi un vieux chinois
qui soigne avec des bouts d’bois
ça fait mal ça laisse des traces
mais c’est très très efficace !

Y’a même un ostéopathe
qui a réparé l’Agathe
de son grand chagrin d’amour
en la massant à rebours.
Sinon y’a le vin d’groseille
la prune et la mirabelle
l’extrait de salsepareille
les bonn’ crêpes de Gwenaëlle !

 Là Alexia n’en peut plus
elle décide de s’éclipser
elle en a trop entendu
elle est prête à exploser.
Elle se sauve donc en courant
laissant sa voisine en plan
qui s’obstine à proférer
ses conseils dans l’escalier !

 Y’a aussi le silicium, les antennes de gorgones, 
l’escargot et le psyllium, l’argile verte, la papaïne, 
les chakras, les vitamines, le thé vert, le jus 
d’citron le chocolat par kilos et la crème de 
marrons. L’huile de courge, le sans gluten, les 
gélules de foie de morue, le chlorure de 
magnésium, le pollen, la g’lée royale, le régime 
de Cro-Magnon, le crétois, le macrobiote, 
adopter un chihuahua et la cure de pleurotes !  

 

 

 

Violette Guyot, "Pot-pourri", Concert à la librairie Scrupule de Montpellier en novembre 2019, une vidéo proposée par Le Chant des Muses.




Plume Linda Ruiz, extraits de Planète Velcro

Textes et musique de Plume Linda Ruiz, extraits du spectacle "Planète Velcro"

TRAGUS

Hémoglobine

Sur tes lobes dénudés

Ta peau est fine

Et le sang goutte à goutte

Répand sa chaleur

Sur le sol exsangue de couleur

Plus ça fait mal et plus tu te régales

Très lentement quand l'aiguille déchire ta chair qui se tend

C'est là que tu es vivant

 

Visage passoire

Cartilage étendoir

L'amour

La peine

Piqués dans ton ADN

 

Ton nombril où l'eau passe

Ton arcade cloutée

Ta langue calebasse

Sont des perles orphelines d'un collier magnifique

D'un bijou organique

 

De Venus à Pluton

Du tragus au téton

Le trajet disparait

Et la douce douleur se marie au plaisir

Qui poinçonne ton sourire

 

Visage écumoire

Epiderme œuvre d'art

T'es pas étanche

Mais ton royaume est immense

Quand j'serais bouffée par des cloportes

On pourra dire en quelque sorte

Elle a pas percé à Paris

Mais dans la dermatologie

 

 

Pleine Lune

 

On peut voir au loin se noyer les sirènes

Notre indifférence leur fait d'la peine

A peine un rêve de temps en temps,

C'est tout ce qu'on accorde aux dryades, aux dragons

A tourner le dos comme çà, par maladresse,

Nous on se disperse, et eux disparaissent

Ya plus grand monde à Brocéliande et dans les tréfonds du Loch Ness

 

Si l'on oublie de les regarder,

Il n'y aura bientôt ni gobelins ni fées

Pas plus de griffons ni d'oréades

Pour embusquer nos promenades

Nous réveiller au milieu de la nuit

Nous rappeler qu'on est dotés de plein d'envies

Multiples visages, de la fantaisie des virages

Qu'on peut prendre

Poignées De songes pas très sages avant de se rendre

 

Ils sont en voie de déraison, d'abdication, de dilution

Menacez-les, menacez les …d’apparition !

 

Nourrit la naïade qui s'ennuie de n'être plus qu'une égérie

Qu'une légère muse qu'on dévêtît devant les pages de poésie

Traque en toi le troll truculent, troque tes craintes contre une inspiration

Fais toi acolyte du korrigan, allié en écho de ses tribulations

Dans le sillage d'un cumulo nimbus, saluer solennellement une licorne

Camouflée en nuage et la est l'astuce, toujours la caresser dans le sens de la corne

 

Caresser l'idée d'une porte toujours ouverte aux frasques d'un farfadet de passage

La table dressée et l'âme prête pour une ivresse de gorgone ou de sage

De l'ambroisie au frais, la nymphe en raffole,

Pour combattre notre éthique qui s'étiole

Et quelques fioles d'hydromel, aussi pour le voyage

C'est pour ses ailes, pour l'énergie du décollage

 

 

*

 

Tapisserie décoration - Planète Velcro

 

TAPISSERIE DECORATION

 

Je n’entends que des rires Je voudrais prendre l’air

Et je sens le piano qui transpire

Mon collier me serre

J’ai trop chaud

Je chante pour les paravents Pour le mobilier

A jouer pour des malentendants J’aimerais autant qu’ils soient

muets

Je t’en supplie viens me chercher avant que je prenne racine

 

et qu’on vienne m’arroser Je sens déjà la chlorophylle Tu croyais que je chantais Que je chantais des chansons Mais non

Je fais tapisserie décoration tapisserie plante de salon

Quelquefois, bien heureusement

Quelques personnes écoutent

Et çà remet d’emblée du piment

Dans la soupe de mes doutes

Une jolie dame couverte d’or

S’avance pour me demander

Pouvez-vous jouer moins fort on ne s’entend pas parler »

 

Je t’en supplie viens me sauver Avant que le mur m’absorbe Et que l’on vienne accrocher Des tableaux dans les trous de mes lobes

Tu croyais que je chantais

Que je chantais des chansons

Mais non

Je fais tapisserie décoration tapisserie plante de salon

 

PAP PAP PAPIER PEINT STAP STAP STRAPONTIN PLAP PLAP PLACOPLATRE BAP BAP BALDAQUIN

 

Les heures défilent de profil

Et plus les visages se froissent Et l’ombre des mamies de cires

Dégouline en douceur dans leurs tasses

Et leurs canines qui brillent

Qui s’allongent dans la glace

Et le micro et son fil

Et l’étranglement qui menace

Je t’en supplie viens me chercher

Avant qu’on me plaque au sol

Minuit vient de sonner Je sens déjà la camisole Tu croyais que je jouais que je jouais du piano But NO !

 

Je fais AGORAPHOBIE / CONVULSION / NARCOLEPSIE/ DECORATION

 

*

 

OCCIPUT

Par quelle déliquescence un peu valétudinaire,

Mon hypothalamus a failli opiner

C’est très panégyrique

Mais comme un antépénultième borborygme,

Sans anacoluthe je voudrais rappeler

A l’époque j’étais callipyge,

Je portais de petites galvardines

J’étais d’une inextinguible probité

Mais vous êtes tous ici des cénobites

Si vous pensez que j’évitais les furetières

C’est pourtant là que je l’ai rencontré

Il était Nyctalope

Moi moi j’étais ambidextre

Il me massa l’occiput

Et l’on trouva un consensus

C’est superfétatoire mais par outrecuidance

J’ai partagé sa passion pour la cuniculiculture

Une telle accointance fait

Que même dans des cas graves de priapisme

Notre amour restait thaumaturge

Et lorsque j’étais cyclothymique,

Il devenait juste un peu plus anachorète

Et l’on riait ensemble de son alopécie

Pour son anniversaire j’organisais

Des parthénogenèses dans le noir

Sans vouloir flagorner c’était l’ataraxie.

Ce n’est pas une raison/ Quand on peut voir la nuit

D’accumuler les oraisons / jaculatoires au pied du lit

Et d’empêcher son monde/ de trouver le repos

En miaulant des diphtongues/ en jouant sur les mots

C’est d’un truisme dithyrambique, Mais ce céladon concupiscent

Vitupérait sur mon occiput comme un cathaphrygien

Si tu ne sais pas où se trouve ton occiput

Tu pourras regarder dans le dictionnaire

Je connaissais un thesmothète qui en avaient un.

Il était somniloque

Moi j’avais des acouphènes/ j’aimais les sots l’y laissent

Il me massa le plexus

Et l’on trouva un consensus

*

Pommeau de Douche

Tu voudrais tu voudrais comprendre, tu de demandes, tu veux savoir pourquoi

Pourquoi il répond pas au téléphone pourquoi il te rappelle pas

Pourquoi ton cœur est plein, ses yeux sont vides quand il te touche

Autant l’oublier, autant être amoureuse d’un pommeau de douche 

 

Il te disait t’es hyper belle, t’es hyper bonne t’es hyperbole

Tu répondais t’es plutôt beau, t’es plutôt homme, t’es plutonium

 

Et tu voudrais partir, larguer les amarres, partir, toutes voiles dehors   

Partir, voguer sur les flots, partir, mais t’es pas un bateau

 

Alors le soir tu rentres seule dans ton appartement, ou tu es seule, il n’y a personne, tu te sens seule, il n’y a personne, tu es si seule, y’a tellement personne, tu appelles, personne répond, car tu vis seule

Alors tu rentres dans ton bain tu trouves un peu de réconfort,

Il n’y a que ton pommeau de douche qui sait s’occuper de ton corps

 

Et tu voudrais Partir partir avec lui, partir sans peur et sans cris

Partir, avec ton pommeau, mais lui il est vissé au tuyau /

 

Alors tu prends une tenaille tu tentes de le dévisser

Ya du calcaire dans les entrailles, le joint est mort, il est bloqué

Alors tu te mets à cheval sur le rebord De la baignoire

Et c’est là que tu sens comme une lueur d’espoir

 

Ça te laisse un p’tit peu rêveuse/   la matière est miraculeuse

Il en faut peu pour être heureuse quand la paroi est granuleuse

 

Et tu voudrais... Rester telle une amazone

Rester comme sur un podium

Rester sur la porcelaine

Savoir Te donner de l’amour à Toi même

Présentation de l’auteur




Alexia Aubert, Je m’efface et autres poèmes

Je m’efface

Passe-temps, passe t’en !
Le temps passe, nous oublie,
La vie brasse du vent.
Le train passe à minuit,
Tu ne montes pas dedans.

Je m’efface, je m’efface,
De ton regard, m’habille.
Je ressasse, je rends grâce,
A ce ballon de nuit.

Passe-temps, passe-t’en !
Le temps chasse, les amours,
O serment de printemps.
Les vents tournent tout autour,
De ce vallon vert d’antan

Je m’efface, je m’efface,
De ton corps me vêtis.
Je me glace, je remplace
Les roses par les buis.

Passe-temps, passe-t’en !
Le temps casse et nous fuit,
Le givre se répand.
L’aile s’étend sur nos vies,
Battant comme un cœur souffrant.

Je retrace
L'allée de nos pas à suivre.
Je me lasse,
Sans toi je ferme le livre
 

Le fruit d’été

Mélancolie
Quai de Seine
Les passants s’y promènent,

Mêlant joli
Baie de peine
L’existant se gangrène,

Mélancolie
Corporelle
L’hiver s’habille de dentelle,

Mêlant folie
Violoncelle
Sentiments accidentels,

J’ai l’âme en colline,
Le fruit d’été,
Pensées divines,
Heures habillées,
Puis abusées.

Mélancolie
Meurtrière
Sur le pays des chimères,

Mais l’embolie
Pulmonaire
Sur l’abbaye des colères,

Mélancolie
Paquebot
La traversée du ruisseau,

Mais la polie
Nélombo
Aime-t-elle vivre sous l’eau ?

J’ai l’âme en colline,
Le fruit d’été,
Pensées divines,
Heures habillées,
Puis désabusées.

 

Deux cerfs en partance

Petits châteaux de bohème,
L’effraie des clochers,
La brume de Bargème,
La caverne de Lortet,
Où se miraient Jadis
Deux cerfs en partance…

Le clocher de Palisse,
L’automne d’un poème,
La trace d’un berger,
Le silence d’un « Je t’aime »,
Le Sancy enneigé,
Les roses qui s’ouvrent

Et nous, dans l’idéal.

Les perles de rosée,
Les forêts de rouvres,
Le lac du Bourget,
Les prémisses d’amour,
Les burons perchés,
La main de St Flour

Les chevaux au galop,
La fragrance oubliée,
Le râle de l’eau
Dans son lit débordé,
La lisière des cieux,
Les cénacles passés

Et nous, dans l’idéal.

Les yeux dans les yeux,
La forteresse d’aimer,
Les majuscules immenses
De lettres commencées,
La vraie quintessence
De nos lèvres emmêlées

Et nous, dans l’idéal.

 

Caussols

​Sensible,
Passer
A la montagne. 
Au crible,
Passer
En bas le bagne.

Souffler
Pardon
Sur les lumières. 
Flatter
Le son
Du brame des cerfs.

Sur le plateau,
Sur la colline
Vois, tout là-haut,
L'oubli du spleen,
A Caussols,
A Caussols.

Le reste,
A penser,
Dans un panier. 
Le zeste,
Insufflé,
D’amour épleuré.

Verser
L’ambiance,
Ne pas avancer.
Aimer
La danse
Dans le vert du pré.

Sur le plateau,
Sur la colline,
Vois, tout là-haut,
L'oubli du spleen,
A Caussols,
A Caussols.

L’auberge
A fermé,
De mars à mai. 
Héberge
La forêt
Nos pas mêlés.

La route
S’est couverte
D’un tapis de neige. 
Le doute
Se prête
A quelques arpèges.

 

Le clair de lune en soi

C'est dans vos pupilles
Que je me suis rencontrée
Pour la première fois.

C'est l'inassouvi,
Tressant parfois l'orée
Aux calanques de vos bras.

Puis bayer aux chimères,
Ouvrir le parapluie,
Adorer sans prétendre,

Regimber tête à terre,
Au col de l'hérésie
Parfilée de maux tendres,

Donner sa langue au chat,
Qu'il retombe sur ses pattes,
Sept vies ne lui suffisent.

Le clair de lune en soi,
Voyez-vous je me tâte,
Sur le gâteau, la cerise.

Vous dire ou ne pas dire,
Repenser mon amour,
A la courtepaille.

Vous fuir ou ne pas fuir,
Recenser les détours
Des Je t'aime en pagaille.

 

Présentation de l’auteur




Arnaud Beaujeu, Exils et chemins

1

Où le chemin commence, les pas sont magnifiques : un tapis d’aiguilles atténue

les voix. Le grand air nous invite, on marche sans un doute, aimantés de nature,

on s’enchante de tout

2

Un chemin nous rassure de ses arbres et de ses lumières, de ses cailloux clairs, de

ses joies. Un autre passe dans les bois, parmi de petits tas de pierres – il faut

enjamber le ruisseau pour longer un champ

3

A la croisée des voies, le vent nous aveugle. Comme à colin-maillard, on tourne

sur soi. On prend ce chemin-là, sans savoir où il va, s’il y aura un replat, une route

4

Celui-ci tourne à gauche, il faut passer un gué, cerné de genêts… Est-ce une

impasse ? Celui-là monte droit, puis casse d’un seul coup ; il se poursuit pourtant

en passant le pont

5

Au mitan du parcours, on a la tentation de rebrousser chemin et, en même temps,

ce serait dommage de ne pas aller voir plus loin

6

Un chemin ne dit rien. Empierré de matière, il vibre sous les pas et ne s’ouvre

qu’à lui. On revient sur ses pas. Est-ce que l’on s’est perdu ?

7

Mieux vaut continuer, reprendre le bon cours, c’est plus beau, plus intéressant en

allant de l’avant. Tout au bout du chemin, il y aura autre chose : peut-être une

aventure, peut-être une autre voie

8

Fragile douceur de vivre dans le courant des jours qui sans cesse s’enfuient.

Instants d’être en sursis, bonheur du temps de vivre. Le retour de la vie au plus

profond d’en vivre

9

A l’arrivée que reste-t-il : une attente au bord de la mer. La vie continue de

tourner. Les uns remplacent les autres et les vagues continuent sans relâche de

frapper le rivage des années 

10

Toujours le même toujours, tout aussi insensé. La vie s’agite en mille couleurs,

mille folies traversées, que le vent balaie une à une, jusqu’à épuisement

11

Demain nous irons traverser d’autres folies d’autres chimères, en attendant

12

Un exil au bord de la mer agite les rideaux légers. Les carreaux-ciments sont des

pierres inanimées. Un fort se détache en lumière, enlacé d’un bougainvillée. Nous

irons jouer dans la mer au bonheur retrouvé

13

Tournent les heures de la journée. Chacune est belle d’une unité de tons et de

couleurs. On passe cette vie dans le bleu dans la joie d’exister pleinement, jusqu’à

n’être plus

14

La mer se lève le matin avec tous les noyés, les morts, les trépassés. Elle se réveille

d’un long sommeil pour les ressusciter. Certains font la planche, d’autres nagent

le dos crawlé, puis ils se sèchent au soleil avant de petit-déjeuner

15

On se promène souple et léger dans les rumeurs du jour. A peine a-t-on le temps

de se retourner que déjà le soir arrivé

16

Etre là, sans trop savoir pourquoi, au milieu des jeux et combats, laisser passer les

jours, ronds et pleins chaque fois, vivre d’amour et d’eau salée, jusqu’au prochain

échouage

17

La mer parle la nuit, elle raconte des histoires à dormir debout, elle parle toute la

nuit. Et tous les âges de la vie se retrouvent en ces heures où le soleil luit

18

La maison sur la mer aux colonnes d’arbres imaginaires est suspendue dans le

matin éblouissant de vert. Au partage de l’horizon, le bleu ciel répond au bleu

tendre de mer

19

Le lieu est un mystère, où souffle légèrement la brise d’un passé enchanté de

lumières, de rires, d’éclats de voix profondes, passagères

20

L’ombre appelle la lumière. Leur présence est nourrie de tout un monde

intermédiaire que les souvenirs révèlent imperceptiblement

21

Le fantôme d’un sourire s’esquisse soudain, la forme émue d’un corps, la poigne

d’une main. S’y adjoignent peut-être le grain d’une voix flutée, l’éclat d’un œil

malin

22

Au gré des rafales, le temps s’accélère, les vagues se renforcent et à coup de

mistral, emportent dans l’instant ces allures éphémères

 23

Saccage des émotions, les maisons sont restées debout, mais éventrés, les

souvenirs dans les nuits se sont désagrégés comme pauvres errants, l’église est

bouche d’ombre, le toit s’en est allé

24

Un matin, les gendarmes sont venus les chercher : il fallait quitter le village,

abandonner les tombes, les arbres, les vergers, il n’y aurait plus de troupeaux, à la

place : des bombes

25

Le portail de la grange à présent ne dit plus grand-chose, c’est déjà loin tout ça…

mieux vaut ne pas trop y penser… Mais les rues dévastées continuent de hurler

leur oubli jusque dans les choses, leurs cris s’égarent dans les champs, au pied des

peupliers

26

Les femmes ont pleuré leur tout petit, leur village, du fond de leur passé. Grand-

père passait du cirage sur ses souliers. L’été, les ruches bourdonnaient, l’orage

s’éloignait, revenait, sur les soirées ensoleillées

27

Ainsi nos existences, bien construites et closes, finissent-elles par s’effilocher.

Ouvertes aux quatre vents, elles ne savent plus grand-chose du passé

Présentation de l’auteur




Christine Lonjou, Les Mots de plus à trembler les oreilles, extraits

Qu’ils aient arraché le cœur de la femme au rocher
Plus rien ne ressemblait à rien
Que la femme sans larme ait pleuré
De l’homme d’homme échappée
Que le sang coule        c’est payé
Alors fichez lui donc la paix
Qu’elle hurle fort
Tout disparaît
Les cicatrices de son corps
Un oiseau fou les a léchées
Un regard dort quand tout se tait
Regret de l’homme à l’homme
Aux vies désespérées

***

Moi je suis l’homme terre
Je répands l’horizon
J’agrémente la trêve
Mon corps est ta maison
Moi je suis l’homme feu
Je traverse les terres
En embrasant les lieux
Réchauffer le cordon
Moi je suis l’homme espace
Entre tenu de rien
Je suis là je m’efface
Peu importe mon nom
Je suis l’homme parle
J’ouvre grand ma maison

***

Il fallait ne rien faire
Le temps allait passer
On ne pouvait rien dire
Tout paraissait défait
La coquille de faire
Transparence
Dedans il est une âme vive
Dedans tout à compter
Au cœur qui bat              en tremble
Un monde                        apparaît
Le sourire de l’ange
Les hommes d’à côté
Une prière étrange
La voix était portée
Chant ciel
De l’homme à l’homme
Ton mur est                     de côté
Dehors tout carillonne

***

 

Par l’homme que tu sais
Il est une musique
Les notes sont jetées
La fanfare                        résonne
Un silence se tait
Dehors tout tourbillonne
Les cheveux sont défaits
Qui pourra les coiffer
Le chapeau que tu donnes
Au grand bord                 étiré
On y mettrait des plumes
Et du rouge doré
On y peindrait des lettres
Pour tous les mots           discours
On y mettrait un voile
Si grand                           il pourrait s’envoler
On y mettrait la femme
Elle n’aurait qu’à danser
Les pas de par coté          prélude
Les corps décor               Sang frais
Entrance
Par les tes

***

 

Tout revenait à tout
Et la femme d’aller
Son chant
Ses mots nul ne les sait
De sa langue d’étrange
Des sons je
Des sons dits
La musique qu’elle place       décors
Il y aurait couleurs                 doux sœur
Il y aurait de l’âme
Les hommes son secret
De la clarté des voies
On pourrait naviguer
La musique t’emporte
N’attends pas de crier
Le mauvais sort de l’homme
Lui seul peut s’échapper
A écouter la flamme
De l’ange                                la volée
Les chaines traines d’hommes
Tu peux les arracher
Homme qui cri                       tu deviens l’homme
Tu
Par le ciel et la terre
(A jamais réunis)

 

Présentation de l’auteur




Anne Barbusse, A Petros. Crise grecque, extraits

Poème 1

Sounion glacial
des oranges ornent les arbres de toutes les rues - près des ambassades, avenue large, maisons plus anciennes, des musées, un vaste parc exotique et grouillant, verdoyant et touffu -
Sounion empli d’un vent qui fléchit les corps historiquement perdus
la mer au pied se moire dans nos regards - de l'autre côté la mer dessine l’écume des vagues irréprochables - Sounion glacial - à fleur de mer l’hiver grec souffle sur des images - nous
sommes dans un décor inventé le temple se dresse dans le froid qui claque et les colonnes ne disent rien
l’hiver est un souffle de vent sur de la mer consentante
de l'autre côté des villas et des pins et des figuiers
la nuit les deux corps dorment l’un contre l’autre
à Sounion le vent bat la coulpe des terres froides et dures
la nuit les deux corps se cherchent
dans la crique un hôtel couleur de boue défigure le silence
il faudra bien que les dieux s’en mêlent
des ruines de maison et une petite église sur la colline inhabitée  du monde qui fait face
peu de choses - les terres tombent dans la mer avec l’aplomb de la perfection de la Méditerranée sûre de son horizontalité antique - seul le froid fait douter - que
faisaient les dieux dans pareil hiver - nous nous
souvenons de Borée et de notre enfance éclatée
- Sounion glacial -
le temple a le vent entre ses bras et le laisse hurler
au bas la mer attire nos yeux dispersés
nous ne voyons rien nous ne sommes que vent traversé de froid
nous ne sommes que mer abrupte et lissée de vagues  - nous sommes
la mer et le vent si lointains qui traversent nos corps séparés - ce sont les images que tu as capturées entre le vent et le soleil blanc comme hiver grec - là le froid
la veille du départ là le froid palpable comme ta peau tiède et brune - la nuit dans ton lit
plus rien ne peut m’atteindre du monde laissé derrière moi et du jardin taiseux - je puis
acquérir une autre vie malgré l’indécision du ciel gris d’Athènes et de décembre finissant - je
puis parcourir la route sinueuse et les constructions éparses sur la route de Sounion avec la Grèce muette et inconnue la Grèce de décembre qui me parle la langue froide de sa beauté moderne  - beaucoup de quatre-voies de train de banlieue de voitures et de panneaux publicitaires mais des maisons et des objets qui ne trompent pas - j’entre
dans mon monde
avec le vent hurlé de Sounion et le temple qui tient face à l’hiver qui tourne autour des colonnes de décembre - et une petite réparation de briques romaines et rouges au milieu du socle
sûr - avec le vent qui plaque la mer contre le monde et frappe nos corps hivernaux
Poséidon hurle avec la passion du monde
au retour aux mines du Laurion des bateaux pour partir à l’île de Sappho des bateaux en attente de Mytilène et un port mort au bord de l’hiver court
des oliviers avec de l’herbe si verte au pied et touffue - comme un printemps d’avant l’hiver -
il y a les mines fermées et l’argent introuvé et les ferries qui ne partent pas
il y a la route effrayée de la veille du départ
les heures qui plongent le monde dans le vent et Poséidon qui résiste
il y a - encore - un homme qui conduit pour moi
la nuit tombe tôt sur l’Attique d’hiver

 

Poème 2

la ville vendait toutes les marchandises inventées par les hommes et les kiosques vendaient les cartes téléphoniques internationales
la ville offrait des policiers casqués et porteurs de boucliers et les manifestations criaient et chantaient lentement autour de Syntagma
la ville avait le pas tuméfié de la neige froide et la clarté de sa poussière
au coin des rues le béton entretenait la laideur de la douleur
à peine un balcon, à peine ai-je ouvert la fenêtre, les derniers jours, dans le soleil
les cabines téléphoniques étaient en panne
le jardin derrière Syntagma était sombre
le bas de la ville grouillait et regrettait les rocs clairs qui respirent - Acropole, Lycabette, colline de Philopappou - le reste s’effrayait de poussière et de voitures - la ville
avait tué ses rêves - les rues avaient froid - peu à peu
dans le déploiement de mes marches j’ai appris avec mon corps le plan inconnu d’un territoire
j’ai usé les heures pleurées pour que mes pas montent à l’Acropole d’hiver et que la neige soit réalité de mars
cela ne grouillait plus à terre - en haut on tâchait de restaurer la beauté
- du Lycabette, Acropole et mer derrière, au sud, de l’Acropole, montagnes au nord et mer au sud, de Philopapou, Acropole et neige sur les hauteurs vers le nord - on variait les points de vue on essayait la caméra les angles de vue pour ne pas haïr la ville - il fallait sauver l’essentiel parer au plus pressé ne pas haïr la ville en sus de l’amant - la neige
n’avait aucun mot
je ne tuerai pas la ville avec mon malheur de femme
devant le parlement, à la nuit tombée, un beau travelling d’hommes jeunes et bruns, serrés, avant la ligne des policiers, je passe devant cette ligne d’hommes très beaux, je voudrais filmer la jeunesse de l’humanité révoltée et calme
le sigle des drapeaux - allons - la témérité des corps debout
dans la grande avenue une librairie silencieuse, un homme qui lit a oublié son sandwich sur une table, un rayon de livres anglais, une citation de Gertrude Stein disant en substance que
l’homme seul veut être avec les autres et que l’homme avec les autres veut être seul -
des livres de grec ancien avec la traduction de grec moderne sur la page d’en face- on mesure les siècles qui ont modifié les mots, les esprits, la qualité des phrases, les accents - des livres de poésie ou de mythologies pour les enfants - le calme - Anne did you eat something - la tranquillité des livres et de sa voix - une première paix
la ville me laisse filer vers l’hôtel avec mes pas de femme
la longue ligne des hommes bruns devant le parlement
la ville est femme indigène
demain il aura reconquis son calme d’homme d’été et de décembre
la neige de mars fondra avec la facilité éclatée de la folie
demain il me préparera l’huile d’olive et les figues
la neige deviendra confuse et Athènes reconquerra la luminosité maritime d’une amoureuse

Poème 3

un voyage pour que s'élèvent des signes - trajets illusoires, vanités, fin d’hiver -
un canal, le long du Rhône, deux petits ponts de pierres, vieux, les vagues du Rhône,
le Rhône, toujours le long des mes histoires amoureuses
une masure avec des chèvres
les centrales nucléaires, un enfant peint sur une cheminée, deux éoliennes, la menace et l’énergie, l’une tourne l’autre pas
je refais un voyage de décembre, les voyages ne touchent rien, mars n’est pas Noël,
un aviron quatre hommes deux cygnes
une femme qui porte un œil bleu, dans le métro, à Lyon de la première chute,
I will never be your boyfriend what is the truth - unforgettable - 
il est plus difficile de se séparer des vivants que des morts - le choix est l’abstraction de notre malheur - nous n’embrassons que des totalités émiettées - les jacinthes embaument sans notre vouloir - les violettes ont succédé à la fugacité des crocus et des âges -
le lyrisme est ébréché l’amoureuse a eu froid dans la neige
Athènes était glaciale
entre nuages et soleil qu’avons-nous à dire - nous ne survolons que l'à-plat de nos mystères - au-dessus des nuages la lumière ne dit rien aux avions qui ne savent que le passage
nous étions les spectateurs démunis de nos rêves - North by Northwest, un homme sillonne l’espace, cherche un homme qui n’existe pas tout en étant pris pour cet homme qui n’existe pas - le rien à l’œuvre, mais tout de même le happy end - c’est ici que la vie se démarque du cinéma - il n’y a aucune larme - la magie ne fonctionne plus
y aura-t-il de la neige à Athènes
une femme ne se suicide pas parce que la neige tombe à Noël
- en décembre il faisait doux, j’ai pris un bain dans la mer, les corps étaient tièdes -
la nuit tombe plus vite à Athènes je rentre à l’hôtel au milieu des hommes qui passent
j’apprends une langue je n'ai peur que de mon errance - mais les hommes - nous détruisons tous deux avec la peur enfantine - au Pirée je n’ai rien trouvé -
je répète les mots de ta langue je prononce avec le revers de la passion
au Pirée j'ai traversé un tunnel de béton tagué de frais et j’ai vu les banlieues solitaires
je ne t'ai rencontré nulle part
j’ai marché sur les décombres expulsés de mes rêves
enfin la plage - une piscine très bleue où des gens nagent dans la lumière de mars, des voiliers minuscules, des baigneurs isolés, enfin la plage -
je ne vois pas la mer au Pirée mais des policiers traversent un square à moto tandis qu’une mendiante mendie
une île petite et sûre, tombée par hasard dans la baie, muette et scandaleuse de beauté
you are not even a relative
à l’arrivée, aéroport sombre, Syntagma et Omonia plus sombres encore - il a plu -
tu m’apprends le retournement de la figure humaine - un chien paralysé des deux pattes arrières, la réalité d’Athènes est laide, ta voix agressive comme les villes -
l’hiver n’a pas la tiédeur de l'automne plus amoureux que notre histoire
les roadmovies s’achèvent souvent dans la mort, j’aurais dû savoir - Thelma and Louise, Easy Rider, Zabrisky Point, Badlands - je te parle encore - Pandore a encore oublié l’espoir
en refermant la boîte - tu as basculé au bord de la haine - il n’est guère que l’happy end de Sailor and  Lula mais c’est un conte - je tombe - je ne puis que
te tuer de mots - je n'ai pas levé l’âme du Pirée, je n’irai pas dans les îles - you
destroy
 et l’hiver marche vers le printemps - deux fois je suis allée au Pirée, j’espérais un salut de la mer - rien ne nous a sauvés - au retour les jacinthes ne m'avaient pas attendue -
le monde continue en dehors de moi - je suis monstrueuse d ‘amour - tu es le monstre
aux sentiments tranchés - maybe we are two difficult persons - peut-être le monde
est-il plus difficile que la mer

 

Poème 4

et pourtant
en haut de Philoppapou un violoniste jouait en regardant l’image calculée de l’Acropole blonde
au bout d’avenues rectilignes brillait la mer du Pirée sans parler
la prison de Socrate n’est pas la prison de Socrate
je ne savais pas où était le violoniste
juste vu un clochard, plus bas, installé dans son campement sur la colline, un Diogène avec une tente, un chien, des bâches fixées sur bancs et tables de pique-nique, des sacs plastique, de l’ordre, il lit son journal, le violoniste joue - c’est ainsi
que se juxtaposent les objets et les hommes du monde
le violoniste tâche d’enclore l’Acropole dans sa musique, en haut, appelé par le ciel
j’aurais aimé aller au cinéma mais tu es fatigué
les désaccords ont le chemin de croix du Christ de Socrate de Diogène
et pourtant il joue
les passants ne pourront voir son visage, tourné vers les temples, absorbé par les dieux et la musique possibles - il ne faut pas le déranger, un seul intrus peut détruire les paradis
misérables - il joue - le violon face à l’Acropole, mon amertume qui regarde l’après-neige
ceux qui marchent dans la poussière des rues ne voient plus l’idée des temples
ceux qui mendient sont au ras de la terre ceux qui vendent sont engloutis de
l’humanité dérisoire qui rampe parmi les objets des supermarchés
les rues grouillent de médiocrité
mais ceux qui manifestent - le cordon de jeunes hommes beaux et bruns - peut-être ne
suis-je plus amoureuse - mais comment renoncer à la précision des corps - jouer
du violon tout en haut du monde - les vestiges des dieux dans la modernité pure - aller
manger avec toi au bord de la mer et des deux îles - ou jouer du violon face à l’Acropole -
la mer ou les dieux - les hommes ont trop de peines - les hommes mendient l’humanité - un seul s’en va avec son violon, il a les cheveux longs, il nous quitte - les dieux sourient -
les hommes de Syntagma ont les visages graves des révoltés - ils vivent encore -
sont-ils dieux modernes, ou ombres niées de dieux

 

Présentation de l’auteur




Mattia Scarpulla, Les cent pas et autre poèmes

I

Les cent pas

 

À Peppino Impastato

1

Depuis le Chili A. arpente le métro montréalais se sent en sécurité parmi les inconnus     à cause de ses cauchemars d’enfants mère père sœurs frères assassinés A. ne peut pas s’endormir sur un siège     A. se condamne à marcher dans un métro parcourant la ligne orange jusqu’à son terminus et repart dans un métro de la ligne verte ou jaune     le soir A. se cache avec l’aide des gardiens d’origine iranienne et des souris québécoises     en compagnie de deux caribous acadiens rescapés d’un génocide dans une forêt de Gaspésie tous trois s’endorment en s’étreignant dans la chaleur d’un placard rempli de balais et de blattes slaves qui leur portent le café le matin      chaque matin A. recommence à parcourir les dédales du sous-sol et les couloirs et les entrepôts et les rames du métro et à retenir sa dernière liberté

2

B. n’a plus de cœur  B. l'a arraché juste avant de monter sur un cargo pour quitter le Venezuela  B. a arraché ses mains sa langue son nez ses oreilles ses yeux     résister à trop de souvenirs     B. possède deux jambes et deux pieds musclés et marche du matin au soir en face du consulat du Venezuela    aller-retour aller-retour     les employés lui demandent en français en anglais et en vénézuélien pourquoi     aller-retour aller-retour      B. hurle que leur gouvernement encourage la mort et la misère dans leur pays      aller-retour aller-retour     les employés nés au Venezuela maintenant citoyens canadiens ont des maris des femmes des enfants québécois une maison deux voitures un chalet dans les Laurentides ou les Cantons de l’Est un arbre de Noël non synthétique et ne supportent pas la neige et le froid et leur passé vénézuélien n’existe finalement que comme une légende       les employés sortent et frappent B. à mort      

 

3

C. liste ses courses compte les arrêts de bus apprend leur nom      connaît le nombre de pas pour monter jusqu’à l’Oratoire Saint-Joseph       quatre kilomètres cinquante minutes exacts de marche entre le parc de La Fontaine et le marché Jean Talon      marcher et respirer     C. apprend les noms des bières de microbrasserie des entrées plats desserts de ses restaurants préférés où on l’informe aussitôt des nouveautés     C. connaît les noms prénoms de ses voisins leurs âges leurs signes zodiacaux grecs latins et chinois      C. a étudié et travaille comme archiviste      on connaît son talent partout dans les ministères parce que C. trie même les poubelles     dans lesquelles on jette par inadvertance une facture qui pourrait équilibrer un budget       un gobelet qui pourrait sauver l’écologie      et C. répète dans sa tête les noms répertoriés dans les archives du Service Secret Communiste Roumain       depuis dix ans ouvertes publiques transparentes       la dictature s’est écroulée le dictateur a été exécuté mais la dictature se poursuit aujourd’hui la dictature ne peut pas être oubliée C. répète les noms de ses amis et de ses proches qui ont collaboré avec la dictature  les noms de ses amis et de ses proches qui ont été torturés et éliminés par la dictature    C. attend que les collaborateurs survivants obtiennent un permis de séjour pour le Canada     C. attend de les croiser dans une rue

 

4

Peppino Impastato a protesté seul et s’est fait trucider par la mafia dans son petit village sicilien      par malchance il s’est réincarné dans un corps italo-canadien à Montréal      malgré lui Peppino a repris son combat et marche ses cent pas des institutions fédérales jusqu’aux institutions provinciales jusqu’aux bâtiments des entreprises de l’immobilier jusqu’aux maisons des mafieux de Montréal qui règnent avec la bénédiction de l’État   Peppino marche et crie ses cent pas en attendant sa prochaine condamnation à mort      en espérant qu’il ne sera pas seul cette fois à marcher      en espérant avoir la chance de se réincarner dans un corps non-italien qui aime oublier qui aime Ashton le Hockey et la chasse à la perdrix et non à l’humain

 

 

 

 

 II

L’écriture d’ongles sur ma peau

les livres brûlent dans la bibliothèque   les vitraux explosent    les cendres étouffent les gorges de leurs bourreaux    les pages crient pendant que les mots s’effacent avec les histoires     les pierres en chute libre écrasent tout le passé

on est venu chercher mes livres    on a rempli des cartons et des sacs     on a critiqué leur lourdeur    la poussière sur les étagères    leur odeur leur moisissure    on a ouvert des livres et lu des paragraphes en grimaçant les voix et les mimiques des personnages    on en a fait des chapeaux et des avions     le soir ma voix explorait en écho la solitude de mon corps dans mon bureau devenu un désert infini

on m’a enlevé mon ordinateur    mes disques durs     on m’a appris que la lecture servait à s’orienter dans la ville     à communiquer les nouvelles     à donner des ordres     on m’a appris à ne pas imaginer d’histoires       à ne pas imaginer les gens      à suivre une direction      un trajet univoque     établi   bien défini avec une seule destination plusieurs seuils et trappes       j’ai appris à répondre je n’existe pas

on m’a arraché mes crayons mes cahiers mes stylos mes photographies mes collections de timbres de pièces      on m’a appris à ne pas savoir écrire      que l’écriture n’a jamais existé que le langage était une illusion que je pouvais montrer un pouce pour recevoir mon plat de viande et légumes

on m’a coupé les pieds et on m’a cloué sur une chaise pour aider dans une cuisine près d’un lit où je vivrai travaillerai mon existence      pourtant la nuit la lumière éteinte les yeux fermés je trace avec mes ongles sur ma peau       j’invente des vies picaresques     mon sang me lave de la torture et de l’ignorance     mes cicatrices me rappellent mon existence

 

 

Mattia Scarpulla lit un extrait de son premier roman Errance, une vidéo Ulaval nouvelles.

III

Chairs amies

je me réveille et je ne me souviens pas si j’ai vingt trente quarante ans     j’enfile mes plus vieux vêtements      eux aussi ont traversé la France le Canada la Belgique la Roumanie et l’Italie et l’Italie et l’Italie et l’Italie       j’ouvre la porte et je suis à Rome ou à Gênes ou à Turin     j’ouvre les yeux et je me retrouve à Québec      je désintègre mon passé présent en sueur dans ma course du matin      

je croise en courant mes librairies préférées en France et Italie   des manifestations toujours défaites sur Place de la République à Paris sur la place du dôme à Milan sur la place de l’Union à Cluj-Napoca     je m’essouffle en traversant les Galeries royales à Bruxelles      j’accélère en m’extirpant de mon corps et je m’enfonce dans un vortex de sensations

avec son livre son appareil photographique et son vélo mon amie Aglika contemple les gestes les plus simples des passants      mon ami Mouthé pédale d’un campus universitaire africain à l’autre en évitant les explosions de Boko Haram et en cherchant à transmettre le plus de libertés possibles à ses étudiants       Katia et Marie organisent en riant un thé une randonnée un apéritif      Miriam Carolina Niels commencent un périple de conversations et de chansons en consumant leurs pieds dans une nuit métropolitaine qui ressemble un peu à Rome et un peu à Barcelone

on se retrouve tous à seize ans dans le bus 56      le même conducteur forcené qui parle de soccer et de pizza      vers l’école de nos premiers désirs et de nos premières erreurs       avec la migraine de bière du dernier amour       avec des ambitions d’écrivains cuisiniers photographes sportifs et avec

tous les matins je cours avec les jambes de Katia      les poumons de Marie     avec les bras de Mouthé     le sourire de Carolina      le cœur de Niels     les yeux et le nez d’Aglika       les pieds et les mains de Miriam      je retrouve leurs odeurs dans l’effort       je suis prêt à commencer ma journée 

IV

Mari et femme

 

la femme ne sait plus où se trouve la tête de son mari      son mari maniaque de l’ordre     il nettoie nettoie nettoie      et il l’oblige à nettoyer à nettoyer à nettoyer     le connard elle me répète en rigolant       et moi je les aime mari et femme     lui pour sa danse qu’il a apprise au Liban avant de partir en Europe pour les études     elle pour son odeur musclée qu’elle amène d’un territoire à l’autre d’une guerre à l’autre et parce qu’elle hurle pendant l’amour en se rappelant l’explosion des corps de sa famille      lui rit en me racontant leurs exploits sexuels toute une nuit ou tout un dimanche finissant inévitablement par l’entremêlement de leurs orgasmes et de leurs larmes       

mais le mari est mort      bêtement       un cafard avalé de travers       ça aurait pu être une réaction allergique à la piqure d’une guêpe grande comme un lion     ou un vase tombé du dixième étage d’un gratte-ciel sur le pauvre mari qui danse en chemise blanche jupe noire et talons aiguilles rouges     le connard me vole toujours mes vêtements    sa femme me répète en rigolant     on peut aussi mourir à cause d’une veste oubliée quand il fait moins vingt degrés        à cause d’un doigt enfoncé et bloqué dans la narine tout en pensant à sa propre mère qui interdit avec un index tendu de mettre ses doigts dans le nez     le résultat des accidents de notre existence belle merveilleuse riche magnifique est tragiquement le même        le mari est mort    

le mari est mort en avalant un cafard de travers pendant qu’il me racontait ses exploits sexuels avec sa femme      sa tête ne lui servant plus je la lui ai volée et sa femme la cherche      je me coupe la tête et la remplace par celle du mari       

le mari voyait des étoiles filantes en plein jour     était attiré par l’odeur de gâteaux et de plats de viande et de pommes de terre au four      souriait aux inconnus jusqu’à se faire tabasser      pendant un rendez-vous de travail il aimait s’imaginer les femmes et les hommes nus et il éclatait de rire      rêvait de changer de ville de pays d’essayer d’autres corps et d’autres têtes

j’apporte ma tête à la femme     elle hurle sur la tête de son mari vissée sur mon corps      elle m’engueule j’ai trahi notre amitié      lasse elle prend ma tête et la met sur le corps de son mari qui se met à ronfler       en écho à son ronflement je me souviens du village et de la plage de mon enfance       je pleure dans les bras de la femme qui se souvient d’une comptine apprise au temps de la guerre     nous nous dénudons et faisons l’amour en retombant en enfance et en guerre bercés par mon ronflement surgissant de ma tête sur le corps du mari

 

V

Prêt au combat

effondré mon cœur vide     ma peau en sueur glacée     je crains une nuit de solitude angoissante      je devrais sortir et crier la douleur de Rick Grimes      son fils Carl mordu par un zombie      je ne peux pas dormir et regarde encore dix épisodes The Walking Dead en me demandant si cette tragédie était le destin de Carl en buvant de l’eau pétillante en mangeant deux pizzas et en laissant à sept heures du matin un message à ce zombie de secrétaire de mon chef      pas de travail aujourd’hui     deuil deuil deuil deuil     pas tous les jours que Rick perd son enfant       que nous perdons Carl  

mon sommeil agité de cauchemars      mes collègues de travail et mes amis du soccer veulent me mordre         je me réveille courageux mange huit œufs crus comme Rocky Balboa bois du thé vert pompe mes bras en flexion hurle après mon centième abdominal    je me douche m’habille d’un t-shirt blanc d’une veste et d’un pantalon en jeans et passe une demi-heure à coiffer avec du gel mes cheveux frisés comme ceux de Rick Grimes      je vérifie tout en ordre dans les armoires les tiroirs    je plie encore une fois des chaussettes. je déplace deux coussins lave et essuie la vaisselle    c’est mon destin      je suis prêt au combat 

nous vivons le temps des zombies    la neige nous ensevelira l’océan dévastera la terre le soleil nous brûlera     et nous arpenterons le monde en survivant     nous vivons le temps des zombies     nous ne savons plus marcher sommes branchés aux voitures boîtons dans des chaussures achetées sur Internet en répétant de brefs trajets de l’épicerie à la banque du travail à la maison en répétant des codes des chiffres pour nous identifier      mais moi je suis prêt au combat en attendant l’apocalypse

Place d’Youville je regarde les gens descendre du bus les passants traverser    les zombies imitent bien les humains    cette vieille femme s’aide d’une canne pour cacher sa démarche incertaine     je la suis et mesure son crâne d’un coup d’œil       je m’approche d’un adolescent aux pieds plats et aux épaules courbées       je mesure l’épaisseur de ses genoux en pensant à la lame qui pourrait les sectionner      je suis une itinérante aux mouvements lents et elle s’enfuit après m’avoir découvert reniflant son cou      je m’assois dans les cafétérias près d’étudiants qui râlent qui grognent les yeux figés sur leurs écrans     je regarde dans la bouche d’hommes de femmes d’affaire qui parlent dans leur cellulaire    je veux assister à la chute de leurs dents premier symptôme de la dégénérescence de leurs fonctions vitales      j’esquive leur morsure quand les mâchoires se resserrent à la vitesse d’une guillotine     oui    j’observe et me prépare au combat      fort et courageux      demain je me porterai de nouveau malade au travail     je trouverai les couteaux et les tournevis adéquats pour trouer des cerveaux d’un seul coup

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Barry Wallenstein, poèmes inédits extraits de Pandemonium

Ces poèmes, traduits par Marilyne Bertoncini, et inédits en Français, sont extraits du  CD Pandemonium (( Cadence Jazz ecord, 2005))

Barry Wallenstein dit "How the day begins"

How the Day begins

the day starts out as still

as a windmill caught in a calm absolute

that dreamy divagation

holds the man alive well into his future

thinking of it.

the day begins this way :

there's a bustle around the house

four kids, two his owns and two visiting,

are, literally, banging life into the place

thinking of it

the day starts out with windmill blades

holding the sunlight, and in the evening,

with moonrise, the fins again glow, and

there is no fire, no alarm

no one thinks of it.

the day resumes its burden

working deep into a leafless March

which stalls till mid-month,

holds its breath and releases April

think of it : April.

the day dissolves to evening

as in the old days

and lowers its eyes to the light ;

and every thought on the edge of dread

buries itself in night.

 

Comment démarre la journée

la journée démarre aussi doucement

qu'un moulin à vent par un calme absolu

cette errante rêverie

maintient l'homme bien en vie pour son futur

penser à cela.

la journée commence ainsi:

ça s'agite dans la maison

quatre enfants, deux à lui et deux en visite,

y font, littéralement, exploser la vie

penser à cela

la journée commence avec des ailes de moulin

retenant la lumière du soleil, et le soir,

au lever de la lune, les nageoires à nouveau brillent , et

il n'y a pas de feu, pas d'alarme

personne n'y pense.

le jour reprend son fardeau

de profond labeur dans un Mars dépouillé

qui stagne jusqu'au milieu du mois,

retient son souffle et libère Avril

y penser : avril.

le jour se dilue en soirée

comme autrefois

abaisse ses yeux à la lumière;

et toute pensée sur l'arête de la peur

plonge dans la nuit.

Pandemonium

They, driven by doubt and a whim, opened the box

and out everything jumped, fluorescent

and fearsome, and the box became famous

for its nightclub/late nighttime release and later

worse, that rumble befor the joists gave

and the bleeding call to the world,

but the world wasn't listening

with its nations pinpoint pressed to the wall ;

the nations'armies slouch in lassitude and fog

while the generals speed to their offices

to calculate scores, the scores of blame, long

having forgotten the box and its many tongues of flame.

Pandemonium

Eux, poussés par l'incrédulité et un caprice, ouvrirent la boîte

et hop! tout en sortit, fluorescent

et terrifiant, et la boîte devint célèbre

pour ses nightclubs/ exclusivités de minuit, et plus tard

encore pire, ce grondement avant que les solives ne cèdent

et la fascination du monde pour tout ce sang.

mais le monde n'écoutait pas

avec ses nations épinglées au mur, sur la carte ;

les armées des nations, lasses,  se traînent dans le brouillard

tandis que les généraux filent à leur bureau

pour calculer des scores, le score de leurs fautes, chacun

ayant depuis longtemps oublié la boîte aux mille langues de feu.

Lorelei

Cast a different set of dice

direction Lorelei

an island of spices

a package tight as Lorelei

sprung from a dream

and a good luck toss -

this straight backed head high

visage of Lorelei.

In earlier days the dice said :

love that tree for its knothole

the blades of grass for their fancy

and anything that moves without speaking.

So I did and shared the loneliness of the grass,

the shame of the tree,

and rolled again till the bones came yes

the swift gait and swaying - Lorelei ascending.

Bending, she blows on the sand - golden to the eye

and a cloud goes up shape shifting - breath of Lorelei.

Lorelei

Lance à nouveau les dés

direction Lorelei

une île à épices

un joli lot, bien ficelé, comme Lorelei

jailli d'un rêve

et d'un heureux coup de dés -

surgissant, tête haute,

ce visage de Lorelei

Jadis, les dés disaient :

aime cet arbre parce qu'il est creux,

les brins d'herbe pour leur fantaisie

et tout ce qui bouge en silence.

Ainsi faisant, je partageais la solitude de l'herbe,

l'humiliation de l'arbre,

en relançant les osselets jusqu'à ce qu'ils apportent

la démarche légère et ondulante - l'apparition de Lorelei.

Penchée, elle souffle sur le sable - dorée au regard

et la forme fluctuante d'un nuage s'élève - souffle de Lorelei.

Performance de Barry Wallenstein à la cave Romagnan, Nice

THE JOB, 2008

Sometimes this air I’m in

is so sulfurous, thick and unworthy,

I need to take much shorter breaths

to widen the zone of gasping.

My odd job is

to remember and write down,

with pencil, not pen,

the names of the ones disappeared,

then I hand the paper back 

to the state.

I’m not very good at this

and soon expect a reprimand.

I confuse Joe with Josephine,

Michael with Michelle,

Sally with Sally – gender errors.

And, on occasion, I reverse the truths

of their expirations.

Stupid me.

They all went quickly I report.

The few law suits die in court.

When the air is really bad

we all lean westward

and curse our jobs.

But if I lose this assignment

I may have to be pushing buttons again,

as during that sorrowful time 

melting by the Equator,

that was not a job to talk about.

 

LE BOULOT, 2008

Parfois, l'air dans lequel je suis

est si sulfureux, épais et dégradé,

que je dois inhaler de plus courtes bouffées

pour écarter la suffocation.

Mon petit boulot, c'est

de me souvenir et d'écrire

au crayon, pas au stylo,

le noms des disparus,

puis je rends le papier

à l'état.

Je ne suis pas très bon à ça

et je m'attends sous peu à une réprimande.

Je confonds José et Joséphine,

Michael et Michèle,

Sally avec Sally - erreurs de sexe.

Et, parfois, j'inverse la vérité

sur leurs trépas.

Que je suis bête.

Ils sont tous passés très vite, j'écris.

Les rares suites judiciaires s'éteignent au tribunal.

Quand l'air est trop mauvais

on se penche tous vers l'ouest

et on maudit notre boulot.

Mais si je perds cette mission

il faudra de nouveau que je tire des sonnettes,

comme dans cette période affligeante

en nage, à l'Equateur,

où je comptais des enfants :

c'était pas un boulot dont il faudrait parler.

 

 

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Track listing: 01. Blues Again Lorelei (Barry Wallenstein) - 5:42; 02. A Little Bunch of Could Haves (Barry Wallenstein) - 2:20; 03. Ballad (Barry Wallenstein) - 1:58; 04. Drinking (Barry Wallenstein) - 2:18; 05. At Thoor Ballylee (Barry Wallenstein) - 6:17; 06. The Job 2008 (Barry Wallenstein) - 2:48; 07. Days of the Week (Barry Wallenstein) - 1:58; 08. Backstage To Be Spoken with Grass (Barry Wallenstein) - 4:40; 09. "lifey/Deathy": Sewer and Tree Commintment to a Fog (Barry Wallenstein)- 4:18; 10. Insinuation Crime (Barry Wallenstein) - 5:22; 11. Bigs & Little Prayer (Barry Wallenstein) - 5:05; 12. How the Day Begins (Barry Wallenstein) - 2:18; 13. Footsprints (Barry Wallenstein) - 3:25; 14. A Little Bunch of Could Haves (alternate take) (Barry Wallenstein) - 2:22; 15. The Job 2008 (alternate take) (Barry Wallenstein) - - 3:34

Barry Wallenstein (voix); John Hicks (piano); Curtis Lundy (contrebasse); Vincent Chancey (cor français); Daniel Carter (saxophone, trompette; Serge Pesce (guitare préparée)

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Présentation de l’auteur




Marion Dorval, Par le souffle, IV, Ensemble de solutions

Dans le néant qui revient en écho
il y a le doute
il y a la faute
Je ne choisis aucun des deux

Assaillie par la profondeur
de la voie
je mesure
L'immensité qui n'aura pas lieu

Tressaillir et ouvrir l'oeil
- non par peur -
par déclic
La paupière glissant sur l'horizon violet

En myriades de spirales
lumineuses
insaisissables
Les actes m'apparaissent entremêlés

Le goût du regret
attire
et écoeure
Je m'éloigne vers la clarté

Je choisis
le Souffle qui m'unit à toi

 

 

 

 

 

IV

 

Je te regarde je te décrypte je te dévore 

On est quitte

Des essaims bourdonnants qui m’assaillent

Une seule parole qui vaille

La peine que je répète en boucle, à l’heure, 

Sans me presser

Une seule note que j’aime

Que tu sais composer, souvent, à demi, en douce, endormie,

Vaillante et fière, j’espère souvent qu’elle va venir ranimer

L’envie d’allonger paroles et regards qui s’entortillent

Tu m’arrimes à la cheville de ta pensée

Tu es la seule qui parviennes à me faire aimer

L’orée des mots

Ensemble de solutions

 

Aucune heure ne saura troubler l'instant choisi
Aucune éclipse n'évincera les mots transis
Par la clarté lunaire, j'ai vu l'abysse
Je m'y suis reflétée
Dans tes quartiers d'impasse
Un croissant m'appelle pour compléter la nuit

Le gardien à la clé rouillée
Dort sous le porche bleu
Sur mes joues mouillées
L'odeur d'un récent feu
Tout était correct, je suis entrée
J'avais les codes ad hoc

Trois miles sous la surface
J'ai plongé dans l'interstice
Pour me voiler la face
Ton arrivée subreptice
A fait fondre le plomb
Explosé la serrure
Je pensais tenir bon
J'ai lâché l'armure
Il y a du sel sur ta peau
L'âpre brûlure de l'étau

Des solutions entières
Ou avec des virgules
L'équation du vide amer
L'instant où tu recules
J'ai bu la potion perdu notion
Intervalles disjoints

 

 




Arnaud Vendès, Le pays muet et autres poèmes

Quand tu t'éloignes 
La foule tire des bords en trompe l’œil
Sous l'ombre allongée des feuilles de nuage
Présage immobile 

Tu es le reflet de cuivre et d'or
Des oiseaux tristes
Les ailes brûlées de vérité 
Partis chevaucher l'arc-en-ciel 

Mille traces se perdent dans le blé en herbe
L'oubli te désigne du doigt
Ma mémoire glisse sur les mots
Sans avenir

Je chante dans le noir
Aveugle comme une pierre
Éteint de ta lumière 
Mais ton absence ne peut rien guérir

 Le verrou tiré sur ton visage

Je force la nuit, le jour s'évade
Ta couleur n'existe pas

Je cherche le dernier mot

Un enfant dort sous ta peau

 

Cri du feu

Mon ombre ment elle est infidèle

Canicule du sang le feu s'approche
Aride, tes mains nues
Lissent mes cheveux crin de loup

L'étincelle mendiée au soleil 
Accueille ma nuit en contrebas
J'ai froid

Imposture de la flamme
Les veines ouvertes sur le ciel s'épanchent
Laisse-moi !

Entends les mots de notre « nous »
Fruits mûrs de ton cœur
Plier la vie terrestre

Mes forces s'épuisent
Elles rassemblent tes larmes
En un écrin jade rose

Chaleur de nos corps fondus
De main ferme
Vulcain du cœur

Amour, souffle le fer en or

 

Je n'ai rien fait

Les tambours de guerre
Saignent des rivières de larmes
Éventrent la terre
Plaie ouverte des années vides 

L'eau ruisselle sur la paroi
Couverte de petits visages
En larme de tombeau

La neige noire tapis funèbre
Efface la trace molle
De la chair éteinte

À main nue
Je disperse aux terres arables
La souffrance

La ville se vide des vies inutiles
Vies noires, vies justes
Toutes les morts se valent

Je laisse filer les nuages
En sang et miel
Je n'ai rien fait de ma vie

 

Les lumières de Babel

Le ciel se renverse sur les ruines du mensonge
Langue étrangère 
Chemin aux ornières d'orages

Loin de la ferveur des multitudes
L'air coule dans le désert et la nuit
La terre frissonne

Je sens le souffle d'une femme 
Agenouillée, le corps dénudé 
Elle se lève et marche vers le crépuscule

Sa joie, mon ombre aux plis de sa bouche
Tissus cent fois reprisé, 
Le manteau de son cœur est bien trop léger

Je lui parle comme en plein vent
Les yeux secs
Je déplie une à une les branches d'étoile dans la lumière des siècles

Je ne pense plus, je vois.

 

 

Présentation de l’auteur