Bénédicte Montjoie, Rumeurs

Le vent
épouse les balançoires
croise des oiseaux
bagués
esquive
les hommes

Un arbre hésite
à troquer
sève contre
pelures du langage

 La terre ne connaît pas le doute
elle abrite
celui des hommes

Laisse-moi juste
empoigner la vie
ausculter ses splendeurs
et planter ton sourire.

 

 Route

Un matin
on prendrait la route
braconnant la poussière
des chemins

laissant
les tristesses
matelassées
d'injonctions généalogiques
cloquées
sous la morsure
d'un crayon

On regarderait
les secondes
user les minutes
on quitterait le temps
la corrosion des heures

La parole de l'eau
étancherait nos peurs
on hésiterait
à douter.

 

Rumeurs

J’aime  entrer dans la nuit
graver mes pas sous la lune

écouter

l'éclosion des étoiles
mobiles et rebelles

tresser mon sang
à celui des galaxies
sangler
les sanglots
contempler les halos

écouter

le rythme orphelin
des rumeurs de l'horizon
le galop
d'une larme
quelques résidus cosmiques.

 

L'enfant

Derrière ses doigts
l'enfant
sans cabane
se cache

sans refuge
pour dévêtir sa peine

                 Le temps passe  comme un flocon planté
                 Le petit jour se greffe  sur la cime des syllabes

 Ses bras libres labourent l'espace
esquisse d'une seule caresse
boxée par l'absence
la pulpe du vent.

 

 

Présentation de l’auteur




Christophe Condello, Entre l’être et l’oubli

il n’y a pas de hasard
les arbres se répètent
à l’infini
il n’y a pas de hasard

 des branches se contredisent

Le crépuscule dépose son manteau
un effleurement
qui protège
je sens monter en moi
des pierres

 la migration des saisons

 

Des sosies rôdent
au fond des uns
d’autres habitent une image
plus ou moins convenable

 l’aurore nous révèle
divers horizons

 

Je prononce ton nom
sans vraiment le connaître
il ne reflète rien
que notre nudité
et le rose rouge
des épines

 

Un pas de plus
m’éloigne du monde
j’ignore d’où je viens
si je ne me perds pas

 ma pensée est un oiseau

 

Présentation de l’auteur




Cathy Jurado, Hourvari, extraits, Forêt je suis venue

J’ai d’abord visité un ventre nocturne

(il ne m’en souvient pas)

avant que de venir parmi les neiges

chasser

si maladroite

avant que de changer tous les plans renverser tous les vases de cristal et crever tous les pavillons

des oreilles délicates

si gauche, cherchant Reina depuis toujours,

j’ai tous les gestes de l’éléphant et tous les cœurs de porcelaine

j’ai sans doute hérité la maladresse et la peur

et peut-être aussi

(de frères et de sœurs oubliés autrefois dans la nuit)

les nidations de papier

au milieu des déserts blancs

qui sait

Sur les cartes numériques des landes et des zones

je suis le point qui se déplace seul et anarchique

tournant dans le sens contraire

des impasses périphériques

et je regarde toujours les femmes en contreplongée

comme un chat dans la foule des villes

une enfant perdue dans la topographie

du grand peuple adulte des espèces

 

Je me tais jusqu’à m’en faire les lèvres bleues

Je surveille tous mes pièges à loup

Je piste le poème boréal

guettant le gargantexte

je cherche à débusquer Reina

mon enfance est toujours en embuscade

et les forêts d’orage qui tournent-voltent

défont les nids les tissus les paperolles

les paraboles

Mais il y a toujours un petit cheval fou tissé de désir

bouche cousue quelque part dans l’obscur

(là où naissent les lettres d’amour et les forêts d’images et les neiges nouvelles

parmi le souvenir de grands périls)

J’ai cherché aussi dans les villes, parmi leurs réseaux de lumière et de pluie, dans les faisceaux croisés des hauteurs et des rues — abscisses et ordonnées de nuit sonores où l’on croit parfois comprendre quelque chose du monde.

Reina fuyait toujours en avant dans le hasard des huttes humbles, aux abords des chantiers ou des périphériques, dans l’herbe interstitielle traversée parfois d’un frôlement plus proche comme une onde de fourrure.

J’ai cherché longtemps, dans les villes, ce qui aurait pu être aussi ma nature et mon monde. Je n’ai trouvé que la moelle de ma liberté. Le désir est ailleurs ; Reina fuit en avant, dans la nuit de toutes les cités.

Dans les flaques d’eau au pied des cheminées d’usine

flotte Reina comme un grand corps de nuage

sa peau épaisse de baleine bleue ciel

à présent rose vapeur

et la voilà

sa chair immense vaisseau inerte

ventre contre ciel

émergée à peine

sombrant au rythme des jets de sang

chaloupant sur la houle du soir

requins voraces en embuscade

veilleurs de nuit

 

Reina a fui.

 

Amarres d’automne

J’ai cru capturer Reina

dans le baiser d’un roi de chair

Inscrivez cela :

Seul, on n’habite que ses limbes

la neige n’est jamais que la neige

le silence une peur

et les corbeaux de novembre un présage de nuit

Il fallait que tu sois là

corps hanté par l’amour

il faut que tu sois là

avec tout ton poème

pour que l’automne devienne une nappe d’oiseaux mobiles  

pour que la solitude soit un festin

et la douleur une racine solide

Ecoutez donc cela :

je dirai à nouveau son nom sans le dire

à chaque morsure de ma langue

car c’est te prononcer

toi,

Reina,

averse et sable et pollen

et poussière

Dispersez cette parole encore

sur les routes stellaires :

il est amour le souffleur de vertige

il est la veilleuse sur la table

l'astre portuaire

la voûte de l’été

Annoncez cela :

Nous avons choisi un village et un pont

Comme escorte et caravane.

Nous chassons ensemble à présent

Relevons nos pièges à l’orée des nuits

Nouons nos mains sous la tente d’affût.

A travers les éclipses de la rivière

J’ai longé le chemin des troupeaux

Jusqu’à une forêt aux arches solides.

Tout au bout

Sous les lampion des terrasses

Le soir était un verre de liqueur

Dans la fraîcheur de sa main d’homme

Il regardait venir la nuit

Attendant que je dépose mon manteau.

 

Reina nous observait toujours depuis la rive.

 

A paraître en 2021.

2. Forêt

                                 foule dans le dos

On entre ainsi en moi : 

                                    houle dans les mots.

 

Un franchissement du temps

                                            une lisière spatiale.

On progresse       

                  et pourtant on entre toujours par effraction.

Franche frontière lente acclimatation

on

off

comme un commutateur.

On est devant moi

                            et soudain on est dedans

                                                              soudain on est moi.

 

On me cherche

ou s’attend à moi  parfois

mais on ne décide pas de l’instant de mon dévoilement

on reçoit ma nudité

                           comme un chant sauvage lancé soudain dans le silence

                           comme un chuchotement de chamane invisible

                           comme une flèche sans archer

dans les ramifications du désir et de la présence.

 

Le sentier qui mène à mon corps est fait pour les truffes           et les groins

c’est un chemin fraisier   qui va des herbes aux futaies

                                     qui part des grandes graminées gracieuses graineuses

— froufrou papillonnant d’un air palpable, danse floutée —

                                     jusqu’aux vertes ombelles

                                     pour mener ensuite aux hampes

                                                                       aux fleurs en artichauts

                                                                       aux feuilles basses et rampantes mêlées à des écharpes de feuillages laineux agrippant les souches

                                              puis aux écorces et aux colonnes ligneuses vertébrales déployées tournoyeuses dans le vertige des têtes renversées.

 

Et à présent le sursaut de la fraîcheur :

         les premiers troncs

                                    guerriers

                                                     tartares bruns

 

                                            de grands bans d’insectes et de rayons

tendant leurs tentacules traversés      de minuscules poussières de mousses et

                                            de feuilles séchées flottant dans tous les interstices solaires     

comme un plancton pulsatile.

 

Ici l’on sait :

                           je suis issue des multitudes symphoniques

 

on me reconnaît brusquement

         à l’immobilité vivante de mon corps tout autour des corps

         à l’humidité de mon épiderme

                           transpirant à l’intérieur des papilles des peaux animales qui me traversent

         à l’inextricable enchevêtrement des êtres qui composent mon être

         à la forme colossale d’un silence tissé vrombissant comme celui des orages

         à la surprise de l’ombre architecturale

                           soudain rassemblée en nuée connectée et courbée  voûtée sur les têtes.

 

Plusieurs mètres au dessus des fermentations court le frisson de la houle chlorophyllienne

— qui ramifie à l’infini et formule ma peau

         tandis qu’on marche parmi les rampants et les rhizomiques

                           les tapis de spores et les résurgences

                                    les courses immobiles de bulbes et de larves à l’odeur décomposée

d’ici on entend le grand ressac dedans la canopée

         qui palpite plus bas dans tous mes organes

         avec le parfum de chanterelle

 — rien ne se limite ou ne s’arrête

tout se relie en moi et se rebranche              se reboute

 

le dehors est dedans

les parfums animaux se compénètrent

mon sol qui brume         et bruine      et vibre d’insectes

 

est un ciel inverse

 

— tandis que les voix limpides des hauteurs se posent sur les souffles en pluies de partitions.

 

Plus loin                       les clairières :

dans le cirque baigné de lumière où gisent au sol

                                            les miroirs de centaines de bouches rougies

                                                                                sous le couvert des hêtres

quelques fantômes minéraux                     

silencieux

semblent laisser parfois dans ce tapis froissé une empreinte frémissante

                                                      une essence

                                                      un parfum

                                                      un souffle furtif

— à la nuit tombée

                           ils rappellent que je suis

                                                              une liane-tribu.

 

Je suis venue, extraits

 

       Je suis venue, il y a longtemps.

Je suis née dans les secousses d’un grand chaos

dans les hauts le coeur d’un siècle mortel pour le monde

qui a vu pourrir le coeur battant des océans et des forêts.

Je suis née mourante, seule.

J’ai trouvé la mort au dedans et le chaos dehors

ou l’inverse, je ne me souviens plus.

J’ai trouvé le silence

quand tout un peuple de langues criait à l’intérieur

j'ai trouvé que je ne venais pas avec la même langue

que tous les autres

que j’étais une Babel à moi seule

mais que j'avais peut-être des frères

quelque part.

J’ai trouvé que j’avais une chair

que ma chair demandait à être caressée

à vibrer sous l’amour

quand les autres avaient des gestes en lames de rasoir

et m’absentaient dans leur discours.

J’ai trouvé que le Monde est une boule de cauchemar

roulée par un rêveur que nous imaginons heureux

que le Monde est le crime angoissé d’un dément en cavale

j’ai trouvé

que le Monde est une Méduse aux charmes venimeux

j‘ai trouvé qu’on se salit à regarder le Monde dans les yeux

quand on est nu

et puis

j’ai regardé le Monde

et les serpents dressés

j’ai regardé la Méduse dans les yeux,

je suis restée nue,

à m’inscrire dans les marges du regard sidérant

à écrire hors champ

hors zone

hors d’atteinte

dans les zones interlopes

- écriture frauduleuse

langue clandestine

langue assassine

hors Temps -

j’ai trouvé cela,

cela seul :

écrire, c’est du Temps mort.

c’est tuer le Temps.

et il le faut, parce qu’il nous tue.

dent pour dent.

Je ne veux pas que le temps guérisse

qu’il mette du miel sur les douleurs

et l’eau du Léthé sur les peurs

qu’il fasse oublier ceux qui me quittent

ceux qui rongent le monde de leur avidité

ceux qui répandent la destruction dans l’air et sur les eaux

et le sabre qui me ronge le coeur

je veux travailler désormais à rendre le monde comestible.

me pencher, telle une lavandière, sur l'ouvrage du présent,

faisant jouer les chairs tout contre les forces du monde,

paume à plat sur la hanche, doigts bleuis de savon.

Et puis rentrer au soir, pâle et alanguie,

cheminant par les voies où bêtes et hommes

s'enroulent en un long ruban odorant;

regagner la tanière et la chaude présence,

la soupe et le vin

le fumoir et la couche.

Je veux sentir la lame

parce que c’est vivre

vivre nu

et il le faut

alors tu vois

j’ai trouvé

œil pour œil

la grande croisade contre la mort qui croît et fleurit en moi,

c’est écrire

 

Présentation de l’auteur




Bernard Pikeroen, Ages et voyages

CONDENSATION D'ENFANCE

    Papillon au ciel, tu t’envoles par dessus l’église où, in-
visible, oscille le fil. Paumes enfantines, plus rien ne vous 
relie aux nuages tant aimés.

    Un cri s’échappe.

    Les silhouettes lentes disparaissent du parvis, sans 
conscience de ce bouleversement, habituées, d’âge en âge,  
à contempler la terre.

    De cette perte, une liberté se conçoit, silencieux ac-
complissement, cristallisation secrète. Où l’enfant s’émer-
veille aux quatre points cardinaux de la girouette, l’adulte, 
gorgé d’infini, se condense.

          cerf-volant rouge au couchant
         –  seul le chant des psaumes
         file vers la nuit

 

APRÈS

    Que le rosier avait soif !

    Au bout de l’allée des tombes, les hautes falaises, emb-
rasées au soleil d’or, s’ouvrent au visiteur du soir.

    Anémones, vous jaillissez, mauves, aux interstices des 
scellés. Qui entend l’infini murmure de vos pardons aux 
étoles du silence ?

          immenses, les ombres
          des ifs franchissent les murs
          – crissé du gravier

 

SUIVANT UN PAPILLON

 

    Je me promène seul au désert des feuillages. Là-bas 
dans la plaine, le socle pesant d’une charrue ne s’est pas af-
franchi des labours. On entend au lointain les bribes d’un 
moteur. L’air soudain est dense, pourtant nul orage. 

    Compagnon, tu viens vers moi, papillon aux ailes de 
rouille et de hasard. Le ronronnement d’un moteur à hélice, 
se rapproche, douce complainte.

    Tu quittes la fleur d’ombelle, dont l’oscillation est im-
perceptible. Tu te poses sur celle de l’églantier, rosier des 
chiens dont la racine guérissait les morsures. Tu te nourris à 
ces corolles innocentes qui fleurissent, tu le sais, cette terre 
de maquisards. 

    Compagnon, dans tes yeux myosotis s’élide le dernier 
éclat du jour au P38 Lightning de Saint Exupéry.

          le papillon rouille
          vole vers le ciel -
          
          à peine les voix des hommes

 

EN TRAIN

    Tu apercevras, dans les feuillages des vitres, dans la 
brasure des wagons, dans le sillon d’un 
quai, l’ombre d’un visage.

    Emporté par le roulement lourd et irréversible, il dis-
paraîtra.

    Tu le chercheras au bord du fleuve, au lent défilé des 
lumières.

          croisé des regards
          entre les quais –  s’il vous plait
          un billet pour l’ange

 

DANS LA BASILIQUE 

 

     Je foule vos épis constellés de stigmates, vos meurtris-
sures vives.

    Sous vos airs de chêne séculaire, vous suintez la fumée 
des cierges et l’encens déposé des liturgies ferventes.

    Parquets de la vieille église, gardiens possessifs des 
cires, la litanie des ans a noirci vos veinures.

    Vous luisez, lourds des confessions secrètes, creusés 
de conversions troubles, nourris des vocations saintes.

           une chevelure
          se défait à l’oratoire
          –  craquement du bois

 

Présentation de l’auteur




Katia-Sofia Hakim, Halogène et autres poèmes

Je suis l’insecte
brûlant qui fume
sur une ampoule
pendant
que tes vertèbres se tassent
à écrire
je m’évapore
dans un drapé de métal.

Il te restera de moi
cette odeur
ocre au plafond
une odeur vive
et hurlante d’un temps
écroulé.

 

Les argonautes du net

J’aime. Des monstres marrants vrombissent leurs commentaires.
J’aime. Tandis qu’au bord d’une coupe son fils drague Phèdre.
J’aime.

Un mot passe. Troué de chiffres. Sept fois six. J’aime. Une peau de
brebis égarée. J’aime. Une femme voilée d’un bateau. L’exil crache
sa lumière bleue. J’aime. Le mot s’oublie.

Des anonymes démembrés. Des seins plats comme un écran qui
veille. Mais t’aime qui, Bordel ? J’aime. La toile est tendue, viens
m’aider.

On sème des dents,,

 

(Sans Objet)

Un écran de mots,
miroir dénué de sens.

S. aime S.

Deux lacets se croisent
à l’interférence de chemins ;

deux lettres courbées
qu’on sonne en silence.

S., ô, S. !

Appel au secours.
Appel sans retour.

Pour qui sont ses tocsins,
sonneries et klaxons ?

S. aime S.

Un écrin de mots,
miroir dénudé de sens.

 

 

 

 

Châtelet-les-Halles

Châtelet-les-Halles

 

Aladin a perdu sa lampe. Il frotte en vain du revers
de sa manche l’écran noir d’un téléphone éteint. Ici
les tapis ne volent pas. Ils roulent. Les escaliers ne se
prennent que dans un sens. Ceux-là montent. Ceux-là
descendent. Tous s’aplatissent au départ et à l’arrivée,
en panne d’inspiration…………………

 

 

 

 




Violette Guyot, Je marche et autres chansons

Je marche

Je marche, 
pour oublier les gnoufs, 
les sales bêtes les têtes de veaux
les sots
tous les balais à chiotte
et les savons d’Alep.

Les squés
les téflons usagés
panachés tièdes éventés
les couards
qu’ont rien dans la cervelle
dans le lard ni les bretelles !

Je marche,
je rembobine le film
vers l’avant et vers l’arrière
je veux
dissoudre leurs têtes en creux
dans la boue et dans le feu

À ces cons
ces raclures de bidet
qui me font perdre la raison
ces vaches
korrigans fous à lier
avec ou sans poils au nez …

Je boxe
mes mots comme des poings
le temps d’chanter ce refrain
je cogne
comptine sans artifice
mais qui peut rendre service

Il faut
bien s’défouler un peu
pour oublier les grincheux
les fiers
les moches les orgueilleux
les p’tits chefs et les vieux pneus.

 

La musarde

Assise dans la nature
je pose mon armure
et je laisse mes pensées
vagabonder.

Un gros lièvre s’invite
quand son gros œil me voit
il se sauve très vite
et m’abandonne là.

Je me prends pour Alice
et je bâille aux corneilles
sur l’herbe bienfaitrice
je m’émerveille.

Le bourdonnement fait rage
sur le parterre de fleurs
je trouve ce babillage
culpabilisateur.

Les insectes travaillent
et moi je me prélasse
ignorant cette pagaille
j’abandonne ma carcasse.

 

Immortelle

Elle s’amuse avec les anges 
dans une autre dimension
joue à courser les mésanges
dans son vaisseau en carton
ses voisins trouvent qu’elle est folle
elle a jeté sa télé
elle s’en fiche des paraboles
elle, elle fait ce qui lui plaît

Elle voyage sur le net
explore les autres planètes
elle rejoint le train fantôme
à la recherche du génome
apprend la philosophie
en prévision d’autres vies
elle profite car à son âge
ça s’rait trop con d’être sage.

Dans son p’tit appartement
où il n’y a plus d’enfant
elle jongle avec les étoiles
tchattant la nuit sur la toile
elle partage ses espoirs
avec avec d’autres cosmonautes
bien seule, elle attend le soir
le retour des internautes.

Elle s’fait pas d’souçis la belle
elle sait qu’elle est immortelle
à grands coups d’respirations
se nettoie des pollutions
fait la paix avec son âme
grâce aux mantras qu’elle déclame
elle soigne sa solitude
en cherchant la plénitude.

Elle s’envole avec son ange
sur le dos d’une mésange
terroriste homéopathe
vers le désert des Carpates
elle cherche son cheval gris
pour rejoindre son paradis
elle s’en moque de ses voisins
elle joue avec son destin.

 

Alexia D et A7

Alexia est bien morose
elle ne voudrait voir personne
il faudra pourtant qu’elle ose
sortir car en bas ça sonne …
Elle descend c’est sa voisine
qui l’attend sur le palier
elle a besoin de farine
pour faire sa pâte à beignets.

La voisine demande comme ça :
Comment vas-tu Alexia ?
Alexia avoue inquiète
qu’elle n’est pas dans son assiette.
La voisine est très aimable
elle adore rendre service
aussitôt elle s’emballe
et c’est un feu d’artifice !

Y faut pas t’laisser aller,
tu devrais faire ci ou ça,
va donc un peu t’promener
la campagne te calmera.
Va voir le docteur Breutel,
tu sais y fait des merveilles,
à mon frère de Neuchâtel,
il a greffé treize orteils !

Essay’ aussi les bains d’sièges,
le gogi, la pimprenelle,
les pommes d’amour de Blanche Neige
l’parachute ascensionnel !
Si t’es encore déprimée
on ira au salon d’thé
engloutir un pithiviers
arrosé de bière ambrée …

 

 

 

Alexia aimerait bien
qu’sa voisine cesse de parler
elle commence à saturer
d’ses conseils qui riment à rien.
Pendant qu’sa voisine carbure
ell’ commence à rêvasser,
s’envol’ vers la côt’ d’Azur
dans les bras d’Christophe André.

 Tu devrais manger du chou
le chou ça c’est bon pour tout
même le Valnet il en parle
c’est très bon pour le moral !
Y’a aussi un vieux chinois
qui soigne avec des bouts d’bois
ça fait mal ça laisse des traces
mais c’est très très efficace !

Y’a même un ostéopathe
qui a réparé l’Agathe
de son grand chagrin d’amour
en la massant à rebours.
Sinon y’a le vin d’groseille
la prune et la mirabelle
l’extrait de salsepareille
les bonn’ crêpes de Gwenaëlle !

 Là Alexia n’en peut plus
elle décide de s’éclipser
elle en a trop entendu
elle est prête à exploser.
Elle se sauve donc en courant
laissant sa voisine en plan
qui s’obstine à proférer
ses conseils dans l’escalier !

 Y’a aussi le silicium, les antennes de gorgones, 
l’escargot et le psyllium, l’argile verte, la papaïne, 
les chakras, les vitamines, le thé vert, le jus 
d’citron le chocolat par kilos et la crème de 
marrons. L’huile de courge, le sans gluten, les 
gélules de foie de morue, le chlorure de 
magnésium, le pollen, la g’lée royale, le régime 
de Cro-Magnon, le crétois, le macrobiote, 
adopter un chihuahua et la cure de pleurotes !  

 

 

 

Violette Guyot, "Pot-pourri", Concert à la librairie Scrupule de Montpellier en novembre 2019, une vidéo proposée par Le Chant des Muses.




Plume Linda Ruiz, extraits de Planète Velcro

Textes et musique de Plume Linda Ruiz, extraits du spectacle "Planète Velcro"

TRAGUS

Hémoglobine

Sur tes lobes dénudés

Ta peau est fine

Et le sang goutte à goutte

Répand sa chaleur

Sur le sol exsangue de couleur

Plus ça fait mal et plus tu te régales

Très lentement quand l'aiguille déchire ta chair qui se tend

C'est là que tu es vivant

 

Visage passoire

Cartilage étendoir

L'amour

La peine

Piqués dans ton ADN

 

Ton nombril où l'eau passe

Ton arcade cloutée

Ta langue calebasse

Sont des perles orphelines d'un collier magnifique

D'un bijou organique

 

De Venus à Pluton

Du tragus au téton

Le trajet disparait

Et la douce douleur se marie au plaisir

Qui poinçonne ton sourire

 

Visage écumoire

Epiderme œuvre d'art

T'es pas étanche

Mais ton royaume est immense

Quand j'serais bouffée par des cloportes

On pourra dire en quelque sorte

Elle a pas percé à Paris

Mais dans la dermatologie

 

 

Pleine Lune

 

On peut voir au loin se noyer les sirènes

Notre indifférence leur fait d'la peine

A peine un rêve de temps en temps,

C'est tout ce qu'on accorde aux dryades, aux dragons

A tourner le dos comme çà, par maladresse,

Nous on se disperse, et eux disparaissent

Ya plus grand monde à Brocéliande et dans les tréfonds du Loch Ness

 

Si l'on oublie de les regarder,

Il n'y aura bientôt ni gobelins ni fées

Pas plus de griffons ni d'oréades

Pour embusquer nos promenades

Nous réveiller au milieu de la nuit

Nous rappeler qu'on est dotés de plein d'envies

Multiples visages, de la fantaisie des virages

Qu'on peut prendre

Poignées De songes pas très sages avant de se rendre

 

Ils sont en voie de déraison, d'abdication, de dilution

Menacez-les, menacez les …d’apparition !

 

Nourrit la naïade qui s'ennuie de n'être plus qu'une égérie

Qu'une légère muse qu'on dévêtît devant les pages de poésie

Traque en toi le troll truculent, troque tes craintes contre une inspiration

Fais toi acolyte du korrigan, allié en écho de ses tribulations

Dans le sillage d'un cumulo nimbus, saluer solennellement une licorne

Camouflée en nuage et la est l'astuce, toujours la caresser dans le sens de la corne

 

Caresser l'idée d'une porte toujours ouverte aux frasques d'un farfadet de passage

La table dressée et l'âme prête pour une ivresse de gorgone ou de sage

De l'ambroisie au frais, la nymphe en raffole,

Pour combattre notre éthique qui s'étiole

Et quelques fioles d'hydromel, aussi pour le voyage

C'est pour ses ailes, pour l'énergie du décollage

 

 

*

 

Tapisserie décoration - Planète Velcro

 

TAPISSERIE DECORATION

 

Je n’entends que des rires Je voudrais prendre l’air

Et je sens le piano qui transpire

Mon collier me serre

J’ai trop chaud

Je chante pour les paravents Pour le mobilier

A jouer pour des malentendants J’aimerais autant qu’ils soient

muets

Je t’en supplie viens me chercher avant que je prenne racine

 

et qu’on vienne m’arroser Je sens déjà la chlorophylle Tu croyais que je chantais Que je chantais des chansons Mais non

Je fais tapisserie décoration tapisserie plante de salon

Quelquefois, bien heureusement

Quelques personnes écoutent

Et çà remet d’emblée du piment

Dans la soupe de mes doutes

Une jolie dame couverte d’or

S’avance pour me demander

Pouvez-vous jouer moins fort on ne s’entend pas parler »

 

Je t’en supplie viens me sauver Avant que le mur m’absorbe Et que l’on vienne accrocher Des tableaux dans les trous de mes lobes

Tu croyais que je chantais

Que je chantais des chansons

Mais non

Je fais tapisserie décoration tapisserie plante de salon

 

PAP PAP PAPIER PEINT STAP STAP STRAPONTIN PLAP PLAP PLACOPLATRE BAP BAP BALDAQUIN

 

Les heures défilent de profil

Et plus les visages se froissent Et l’ombre des mamies de cires

Dégouline en douceur dans leurs tasses

Et leurs canines qui brillent

Qui s’allongent dans la glace

Et le micro et son fil

Et l’étranglement qui menace

Je t’en supplie viens me chercher

Avant qu’on me plaque au sol

Minuit vient de sonner Je sens déjà la camisole Tu croyais que je jouais que je jouais du piano But NO !

 

Je fais AGORAPHOBIE / CONVULSION / NARCOLEPSIE/ DECORATION

 

*

 

OCCIPUT

Par quelle déliquescence un peu valétudinaire,

Mon hypothalamus a failli opiner

C’est très panégyrique

Mais comme un antépénultième borborygme,

Sans anacoluthe je voudrais rappeler

A l’époque j’étais callipyge,

Je portais de petites galvardines

J’étais d’une inextinguible probité

Mais vous êtes tous ici des cénobites

Si vous pensez que j’évitais les furetières

C’est pourtant là que je l’ai rencontré

Il était Nyctalope

Moi moi j’étais ambidextre

Il me massa l’occiput

Et l’on trouva un consensus

C’est superfétatoire mais par outrecuidance

J’ai partagé sa passion pour la cuniculiculture

Une telle accointance fait

Que même dans des cas graves de priapisme

Notre amour restait thaumaturge

Et lorsque j’étais cyclothymique,

Il devenait juste un peu plus anachorète

Et l’on riait ensemble de son alopécie

Pour son anniversaire j’organisais

Des parthénogenèses dans le noir

Sans vouloir flagorner c’était l’ataraxie.

Ce n’est pas une raison/ Quand on peut voir la nuit

D’accumuler les oraisons / jaculatoires au pied du lit

Et d’empêcher son monde/ de trouver le repos

En miaulant des diphtongues/ en jouant sur les mots

C’est d’un truisme dithyrambique, Mais ce céladon concupiscent

Vitupérait sur mon occiput comme un cathaphrygien

Si tu ne sais pas où se trouve ton occiput

Tu pourras regarder dans le dictionnaire

Je connaissais un thesmothète qui en avaient un.

Il était somniloque

Moi j’avais des acouphènes/ j’aimais les sots l’y laissent

Il me massa le plexus

Et l’on trouva un consensus

*

Pommeau de Douche

Tu voudrais tu voudrais comprendre, tu de demandes, tu veux savoir pourquoi

Pourquoi il répond pas au téléphone pourquoi il te rappelle pas

Pourquoi ton cœur est plein, ses yeux sont vides quand il te touche

Autant l’oublier, autant être amoureuse d’un pommeau de douche 

 

Il te disait t’es hyper belle, t’es hyper bonne t’es hyperbole

Tu répondais t’es plutôt beau, t’es plutôt homme, t’es plutonium

 

Et tu voudrais partir, larguer les amarres, partir, toutes voiles dehors   

Partir, voguer sur les flots, partir, mais t’es pas un bateau

 

Alors le soir tu rentres seule dans ton appartement, ou tu es seule, il n’y a personne, tu te sens seule, il n’y a personne, tu es si seule, y’a tellement personne, tu appelles, personne répond, car tu vis seule

Alors tu rentres dans ton bain tu trouves un peu de réconfort,

Il n’y a que ton pommeau de douche qui sait s’occuper de ton corps

 

Et tu voudrais Partir partir avec lui, partir sans peur et sans cris

Partir, avec ton pommeau, mais lui il est vissé au tuyau /

 

Alors tu prends une tenaille tu tentes de le dévisser

Ya du calcaire dans les entrailles, le joint est mort, il est bloqué

Alors tu te mets à cheval sur le rebord De la baignoire

Et c’est là que tu sens comme une lueur d’espoir

 

Ça te laisse un p’tit peu rêveuse/   la matière est miraculeuse

Il en faut peu pour être heureuse quand la paroi est granuleuse

 

Et tu voudrais... Rester telle une amazone

Rester comme sur un podium

Rester sur la porcelaine

Savoir Te donner de l’amour à Toi même

Présentation de l’auteur




Alexia Aubert, Je m’efface et autres poèmes

Je m’efface

Passe-temps, passe t’en !
Le temps passe, nous oublie,
La vie brasse du vent.
Le train passe à minuit,
Tu ne montes pas dedans.

Je m’efface, je m’efface,
De ton regard, m’habille.
Je ressasse, je rends grâce,
A ce ballon de nuit.

Passe-temps, passe-t’en !
Le temps chasse, les amours,
O serment de printemps.
Les vents tournent tout autour,
De ce vallon vert d’antan

Je m’efface, je m’efface,
De ton corps me vêtis.
Je me glace, je remplace
Les roses par les buis.

Passe-temps, passe-t’en !
Le temps casse et nous fuit,
Le givre se répand.
L’aile s’étend sur nos vies,
Battant comme un cœur souffrant.

Je retrace
L'allée de nos pas à suivre.
Je me lasse,
Sans toi je ferme le livre
 

Le fruit d’été

Mélancolie
Quai de Seine
Les passants s’y promènent,

Mêlant joli
Baie de peine
L’existant se gangrène,

Mélancolie
Corporelle
L’hiver s’habille de dentelle,

Mêlant folie
Violoncelle
Sentiments accidentels,

J’ai l’âme en colline,
Le fruit d’été,
Pensées divines,
Heures habillées,
Puis abusées.

Mélancolie
Meurtrière
Sur le pays des chimères,

Mais l’embolie
Pulmonaire
Sur l’abbaye des colères,

Mélancolie
Paquebot
La traversée du ruisseau,

Mais la polie
Nélombo
Aime-t-elle vivre sous l’eau ?

J’ai l’âme en colline,
Le fruit d’été,
Pensées divines,
Heures habillées,
Puis désabusées.

 

Deux cerfs en partance

Petits châteaux de bohème,
L’effraie des clochers,
La brume de Bargème,
La caverne de Lortet,
Où se miraient Jadis
Deux cerfs en partance…

Le clocher de Palisse,
L’automne d’un poème,
La trace d’un berger,
Le silence d’un « Je t’aime »,
Le Sancy enneigé,
Les roses qui s’ouvrent

Et nous, dans l’idéal.

Les perles de rosée,
Les forêts de rouvres,
Le lac du Bourget,
Les prémisses d’amour,
Les burons perchés,
La main de St Flour

Les chevaux au galop,
La fragrance oubliée,
Le râle de l’eau
Dans son lit débordé,
La lisière des cieux,
Les cénacles passés

Et nous, dans l’idéal.

Les yeux dans les yeux,
La forteresse d’aimer,
Les majuscules immenses
De lettres commencées,
La vraie quintessence
De nos lèvres emmêlées

Et nous, dans l’idéal.

 

Caussols

​Sensible,
Passer
A la montagne. 
Au crible,
Passer
En bas le bagne.

Souffler
Pardon
Sur les lumières. 
Flatter
Le son
Du brame des cerfs.

Sur le plateau,
Sur la colline
Vois, tout là-haut,
L'oubli du spleen,
A Caussols,
A Caussols.

Le reste,
A penser,
Dans un panier. 
Le zeste,
Insufflé,
D’amour épleuré.

Verser
L’ambiance,
Ne pas avancer.
Aimer
La danse
Dans le vert du pré.

Sur le plateau,
Sur la colline,
Vois, tout là-haut,
L'oubli du spleen,
A Caussols,
A Caussols.

L’auberge
A fermé,
De mars à mai. 
Héberge
La forêt
Nos pas mêlés.

La route
S’est couverte
D’un tapis de neige. 
Le doute
Se prête
A quelques arpèges.

 

Le clair de lune en soi

C'est dans vos pupilles
Que je me suis rencontrée
Pour la première fois.

C'est l'inassouvi,
Tressant parfois l'orée
Aux calanques de vos bras.

Puis bayer aux chimères,
Ouvrir le parapluie,
Adorer sans prétendre,

Regimber tête à terre,
Au col de l'hérésie
Parfilée de maux tendres,

Donner sa langue au chat,
Qu'il retombe sur ses pattes,
Sept vies ne lui suffisent.

Le clair de lune en soi,
Voyez-vous je me tâte,
Sur le gâteau, la cerise.

Vous dire ou ne pas dire,
Repenser mon amour,
A la courtepaille.

Vous fuir ou ne pas fuir,
Recenser les détours
Des Je t'aime en pagaille.

 

Présentation de l’auteur




Arnaud Beaujeu, Exils et chemins

1

Où le chemin commence, les pas sont magnifiques : un tapis d’aiguilles atténue

les voix. Le grand air nous invite, on marche sans un doute, aimantés de nature,

on s’enchante de tout

2

Un chemin nous rassure de ses arbres et de ses lumières, de ses cailloux clairs, de

ses joies. Un autre passe dans les bois, parmi de petits tas de pierres – il faut

enjamber le ruisseau pour longer un champ

3

A la croisée des voies, le vent nous aveugle. Comme à colin-maillard, on tourne

sur soi. On prend ce chemin-là, sans savoir où il va, s’il y aura un replat, une route

4

Celui-ci tourne à gauche, il faut passer un gué, cerné de genêts… Est-ce une

impasse ? Celui-là monte droit, puis casse d’un seul coup ; il se poursuit pourtant

en passant le pont

5

Au mitan du parcours, on a la tentation de rebrousser chemin et, en même temps,

ce serait dommage de ne pas aller voir plus loin

6

Un chemin ne dit rien. Empierré de matière, il vibre sous les pas et ne s’ouvre

qu’à lui. On revient sur ses pas. Est-ce que l’on s’est perdu ?

7

Mieux vaut continuer, reprendre le bon cours, c’est plus beau, plus intéressant en

allant de l’avant. Tout au bout du chemin, il y aura autre chose : peut-être une

aventure, peut-être une autre voie

8

Fragile douceur de vivre dans le courant des jours qui sans cesse s’enfuient.

Instants d’être en sursis, bonheur du temps de vivre. Le retour de la vie au plus

profond d’en vivre

9

A l’arrivée que reste-t-il : une attente au bord de la mer. La vie continue de

tourner. Les uns remplacent les autres et les vagues continuent sans relâche de

frapper le rivage des années 

10

Toujours le même toujours, tout aussi insensé. La vie s’agite en mille couleurs,

mille folies traversées, que le vent balaie une à une, jusqu’à épuisement

11

Demain nous irons traverser d’autres folies d’autres chimères, en attendant

12

Un exil au bord de la mer agite les rideaux légers. Les carreaux-ciments sont des

pierres inanimées. Un fort se détache en lumière, enlacé d’un bougainvillée. Nous

irons jouer dans la mer au bonheur retrouvé

13

Tournent les heures de la journée. Chacune est belle d’une unité de tons et de

couleurs. On passe cette vie dans le bleu dans la joie d’exister pleinement, jusqu’à

n’être plus

14

La mer se lève le matin avec tous les noyés, les morts, les trépassés. Elle se réveille

d’un long sommeil pour les ressusciter. Certains font la planche, d’autres nagent

le dos crawlé, puis ils se sèchent au soleil avant de petit-déjeuner

15

On se promène souple et léger dans les rumeurs du jour. A peine a-t-on le temps

de se retourner que déjà le soir arrivé

16

Etre là, sans trop savoir pourquoi, au milieu des jeux et combats, laisser passer les

jours, ronds et pleins chaque fois, vivre d’amour et d’eau salée, jusqu’au prochain

échouage

17

La mer parle la nuit, elle raconte des histoires à dormir debout, elle parle toute la

nuit. Et tous les âges de la vie se retrouvent en ces heures où le soleil luit

18

La maison sur la mer aux colonnes d’arbres imaginaires est suspendue dans le

matin éblouissant de vert. Au partage de l’horizon, le bleu ciel répond au bleu

tendre de mer

19

Le lieu est un mystère, où souffle légèrement la brise d’un passé enchanté de

lumières, de rires, d’éclats de voix profondes, passagères

20

L’ombre appelle la lumière. Leur présence est nourrie de tout un monde

intermédiaire que les souvenirs révèlent imperceptiblement

21

Le fantôme d’un sourire s’esquisse soudain, la forme émue d’un corps, la poigne

d’une main. S’y adjoignent peut-être le grain d’une voix flutée, l’éclat d’un œil

malin

22

Au gré des rafales, le temps s’accélère, les vagues se renforcent et à coup de

mistral, emportent dans l’instant ces allures éphémères

 23

Saccage des émotions, les maisons sont restées debout, mais éventrés, les

souvenirs dans les nuits se sont désagrégés comme pauvres errants, l’église est

bouche d’ombre, le toit s’en est allé

24

Un matin, les gendarmes sont venus les chercher : il fallait quitter le village,

abandonner les tombes, les arbres, les vergers, il n’y aurait plus de troupeaux, à la

place : des bombes

25

Le portail de la grange à présent ne dit plus grand-chose, c’est déjà loin tout ça…

mieux vaut ne pas trop y penser… Mais les rues dévastées continuent de hurler

leur oubli jusque dans les choses, leurs cris s’égarent dans les champs, au pied des

peupliers

26

Les femmes ont pleuré leur tout petit, leur village, du fond de leur passé. Grand-

père passait du cirage sur ses souliers. L’été, les ruches bourdonnaient, l’orage

s’éloignait, revenait, sur les soirées ensoleillées

27

Ainsi nos existences, bien construites et closes, finissent-elles par s’effilocher.

Ouvertes aux quatre vents, elles ne savent plus grand-chose du passé

Présentation de l’auteur




Christine Lonjou, Les Mots de plus à trembler les oreilles, extraits

Qu’ils aient arraché le cœur de la femme au rocher
Plus rien ne ressemblait à rien
Que la femme sans larme ait pleuré
De l’homme d’homme échappée
Que le sang coule        c’est payé
Alors fichez lui donc la paix
Qu’elle hurle fort
Tout disparaît
Les cicatrices de son corps
Un oiseau fou les a léchées
Un regard dort quand tout se tait
Regret de l’homme à l’homme
Aux vies désespérées

***

Moi je suis l’homme terre
Je répands l’horizon
J’agrémente la trêve
Mon corps est ta maison
Moi je suis l’homme feu
Je traverse les terres
En embrasant les lieux
Réchauffer le cordon
Moi je suis l’homme espace
Entre tenu de rien
Je suis là je m’efface
Peu importe mon nom
Je suis l’homme parle
J’ouvre grand ma maison

***

Il fallait ne rien faire
Le temps allait passer
On ne pouvait rien dire
Tout paraissait défait
La coquille de faire
Transparence
Dedans il est une âme vive
Dedans tout à compter
Au cœur qui bat              en tremble
Un monde                        apparaît
Le sourire de l’ange
Les hommes d’à côté
Une prière étrange
La voix était portée
Chant ciel
De l’homme à l’homme
Ton mur est                     de côté
Dehors tout carillonne

***

 

Par l’homme que tu sais
Il est une musique
Les notes sont jetées
La fanfare                        résonne
Un silence se tait
Dehors tout tourbillonne
Les cheveux sont défaits
Qui pourra les coiffer
Le chapeau que tu donnes
Au grand bord                 étiré
On y mettrait des plumes
Et du rouge doré
On y peindrait des lettres
Pour tous les mots           discours
On y mettrait un voile
Si grand                           il pourrait s’envoler
On y mettrait la femme
Elle n’aurait qu’à danser
Les pas de par coté          prélude
Les corps décor               Sang frais
Entrance
Par les tes

***

 

Tout revenait à tout
Et la femme d’aller
Son chant
Ses mots nul ne les sait
De sa langue d’étrange
Des sons je
Des sons dits
La musique qu’elle place       décors
Il y aurait couleurs                 doux sœur
Il y aurait de l’âme
Les hommes son secret
De la clarté des voies
On pourrait naviguer
La musique t’emporte
N’attends pas de crier
Le mauvais sort de l’homme
Lui seul peut s’échapper
A écouter la flamme
De l’ange                                la volée
Les chaines traines d’hommes
Tu peux les arracher
Homme qui cri                       tu deviens l’homme
Tu
Par le ciel et la terre
(A jamais réunis)

 

Présentation de l’auteur