foule dans le dos
On entre ainsi en moi :
houle dans les mots.
Un franchissement du temps
une lisière spatiale.
On progresse
et pourtant on entre toujours par effraction.
Franche frontière lente acclimatation
on
off
comme un commutateur.
On est devant moi
et soudain on est dedans
soudain on est moi.
On me cherche
ou s’attend à moi parfois
mais on ne décide pas de l’instant de mon dévoilement
on reçoit ma nudité
comme un chant sauvage lancé soudain dans le silence
comme un chuchotement de chamane invisible
comme une flèche sans archer
dans les ramifications du désir et de la présence.
Le sentier qui mène à mon corps est fait pour les truffes et les groins
c’est un chemin fraisier qui va des herbes aux futaies
qui part des grandes graminées gracieuses graineuses
— froufrou papillonnant d’un air palpable, danse floutée —
jusqu’aux vertes ombelles
pour mener ensuite aux hampes
aux fleurs en artichauts
aux feuilles basses et rampantes mêlées à des écharpes de feuillages laineux agrippant les souches
puis aux écorces et aux colonnes ligneuses vertébrales déployées tournoyeuses dans le vertige des têtes renversées.
Et à présent le sursaut de la fraîcheur :
les premiers troncs
guerriers
tartares bruns
de grands bans d’insectes et de rayons
tendant leurs tentacules traversés de minuscules poussières de mousses et
de feuilles séchées flottant dans tous les interstices solaires
comme un plancton pulsatile.
Ici l’on sait :
je suis issue des multitudes symphoniques
on me reconnaît brusquement
à l’immobilité vivante de mon corps tout autour des corps
à l’humidité de mon épiderme
transpirant à l’intérieur des papilles des peaux animales qui me traversent
à l’inextricable enchevêtrement des êtres qui composent mon être
à la forme colossale d’un silence tissé vrombissant comme celui des orages
à la surprise de l’ombre architecturale
soudain rassemblée en nuée connectée et courbée voûtée sur les têtes.
Plusieurs mètres au dessus des fermentations court le frisson de la houle chlorophyllienne
— qui ramifie à l’infini et formule ma peau
tandis qu’on marche parmi les rampants et les rhizomiques
les tapis de spores et les résurgences
les courses immobiles de bulbes et de larves à l’odeur décomposée
d’ici on entend le grand ressac dedans la canopée
qui palpite plus bas dans tous mes organes
avec le parfum de chanterelle
— rien ne se limite ou ne s’arrête
tout se relie en moi et se rebranche se reboute
le dehors est dedans
les parfums animaux se compénètrent
mon sol qui brume et bruine et vibre d’insectes
est un ciel inverse
— tandis que les voix limpides des hauteurs se posent sur les souffles en pluies de partitions.
Plus loin les clairières :
dans le cirque baigné de lumière où gisent au sol
les miroirs de centaines de bouches rougies
sous le couvert des hêtres
quelques fantômes minéraux
silencieux
semblent laisser parfois dans ce tapis froissé une empreinte frémissante
une essence
un parfum
un souffle furtif
— à la nuit tombée
ils rappellent que je suis
une liane-tribu.