Jean-Pierre Otte, L’âme au maquis

Y aurait-il un défi
à ne pas devenir son propre passé,
sa propre mémoire accrochée
ainsi qu'une verrue à la grande

mémoire géologique du monde,
et peuplée de feux éteints et de lits défaits,
de papillons épinglés à la pelote du cœur ?
Le verre plein que tu serres entre les doigts

vole soudain en éclats,
et le vin se répand dans l'épaisseur des draps,
dessinant un large glaïeul rouge
qui n'en finit pas de t'obséder, toi, sans bouger,

immobile entre deux mouvements.

 

 

Il y a des galaxies
dans un grain de poussière,
une moraine dans le moindre mot,
et ce carreau cassé dans les herbes

reflète des images morcelées.
Nous voilà révélés en parties,
l'esprit pareillement, au diapason.
Nul n’ignore plus

qu'un feu obscur brûle dans l'euphorbe
et qu'à l'équinoxe d'automne,
les oies de passage
laissent dans la moelle des os

une phosphorescence bleuâtre.

 

Veille toujours à avoir du temps à perdre,
traînaille avec tes habits de dévoyé,
vagabonde sans hâte,
sans hachures dans l'haleine,

par les chemins qui sinuent
et en même temps s'insinuent en toi-même.
À celui qui le contemple par incidences,
le monde se découvre sans cesse en d'autres facettes

et d'autres lentilles, multiplié à l’envi,
jamais pareil, toujours inédit,
tandis que l'on se hasarde,
devancé par quelques pensées insensées

par les grands chemins clairs.

 

 

 

Foin de toute mystique
qui voudrait saisir
l’effervescence par la fixité,
cherchant ailleurs un sens

qui ne soit pas circonscrit

 

par l'accomplissement de la vie
sur la source qui la décline.
Ce n'est plus le miroir du monde

mais le monde sans miroir,
et l'esprit est à vif et sans ambages.
Regarde, tout est là :
des femmes échevelées,

les jupes retroussées sur les chevilles nues,
foulent à grandes éclaboussures pourpres
les grappes de raisin mûr
à la clarté encerclante des torches.

L'ébriété est donnée par surcroît.

 

 

 

Par-devers nous, 
les feuillages se referment
en larges froissements d'ailes,
alors que l'on se fraye le passage

dans le labyrinthe des buis.
De même, hier, sur la lande des bruyères,
le brouillard bougeait avec nos mouvements,
s'ouvrait devant et se ressoudait derrière.

Ainsi, toujours enclos,
l’esprit circonscrit par le vol de l'autour,
et, au milieu de la chair,
cette clairière intacte,

avec des taches de soleil qui tremblent.

 

 

 

Hiver d'hermine,
le jour pris dans l'ampoule pelue du gel,
l'apparente inertie de la vie hiémale,
avec ses clartés de laiterie nue

et ses géraniums aux fleurs de sang séché.
Le silence nous affine à notre insu
et nos yeux s'emplissent du satin gris des saules.
Le zéro obsède tel un os d'oiseau.

Il y a une lente électricité étrange dans les sens
et, quand on retient sa respiration,
le ciel est tout transparent ;
un grand vide se fait sous la peau

tel un même vertige blanc.

 

 

Pour le voyageur sans voyage,
tout est regards
et tout reste à voir. L'esprit
est telle l'alouette ascendante

qui est tout autant dans son entrain à grisoller
que dans l'entrelacs versatile de son vol.
Dans le moment même
(l'instant, c'est ne pas s'installer),

on rêve d'une langue non récursive
où il n'y aurait plus
la conjugaison des verbes
au passé composé ni au futur antérieur.

L'eau même ne peut dissimuler sa nudité.

 

 

 

 

 

Pour le voyageur sans voyage,
tout est regards
et tout reste à voir. L'esprit
est telle l'alouette ascendante

qui est tout autant dans son entrain à grisoller
que dans l'entrelacs versatile de son vol.
Dans le moment même
(l'instant, c'est ne pas s'installer),

on rêve d'une langue non récursive
où il n'y aurait plus
la conjugaison des verbes
au passé composé ni au futur antérieur.

L'eau même ne peut dissimuler sa nudité.

 

 

 

Après nos cheminements en solitaire,
l'âme vacante et les épaules incurvées
accordées à l'accolade des collines,
après toutes les chicanes à la lune croissante,

les passages à gué et les ponts légers
dans le souffle qui fume en hiver,
nous nous retrouvons au gré des croisées.
Nous revoilà plusieurs,

en même temps que, chacun, nous sommes
plusieurs au partage de notre vie,
multipliés de toutes parts.
C'est toujours l'autre, le semblable distinct,

qui, par sa capacité à nous recevoir,
nous rend capable de ce que nous sommes.
Et la parole nous vient
en ébullition de voyelles,

sans ambages, dévêtue et libre.

 

 

Cette résonance au profond de la poitrine
et qui se propage jusque dans la moelle des os,
tels les cercles excentriques
d'une pierre lancée à la surface des eaux mortes,

voilà qu’elle nous rend à la mesure
et à la démesure du monde entier.
À quoi servirait-il d'être immortel
quand on fait l'expérience de l'éternité

dans l'instant frais qui s'esquive ?

 

 




Michel Gendarme, LES ENFANTS DE MOINS DE DOUZE ANS VOLENT !!, extraits

Le temps est calme

Leurs ailes sont des poisons invisibles
Des pinsons variables dénotent les écorces
L’aire est tendre la chair hélas se laisse prendre

La vitesse du vent est de un nœud
L’enfant maîtrise dans la coïncidence
Maisonnette de sagesse
Lit de poupée réglée
Les enfants sont des songes
Leurs ailes, des poisons d’avril

La fumée monte droit

 

Il y  avait un arbre quand c’était un jardin non pas une entreprise un super commerce une super usine âge de longtemps des longues rives folâtrer pour non sens des lisières c’était à l’ailleurs on pourrait le penser c’est autorisé de rêver une écorce suffit pour une fourmi suffit à peupler le cerveau de jouets

 Charme arbre de plaine à feuilles gaufrées caduques vit sur sol argileux ou calcaire ne dépasse pas vingt mètres se taille facilement en haie bois blanc grisâtre altérable à grain très fin aubier indistinct cercles d’accroissement sinueux rappelant le tronc cannelé résiste particulièrement bien au fendage et à l’usure par frottement

Etals de bouchers et billots vis et engrenages des pressoirs anciens moyeux de roues instruments aratoires maillets rabots serre-joints navettes de métiers à tisser formes de chaussures quilles boules pâtes à papier excellent bois de feu pour les fours à pain

Pourquoi tant de charmes ?

 

 

On ressent une très légère brise

Dort dans la maison l’épaisse toison dort
Dort à l’abri l’apaise
Les enfants ont des ailes de papier
Des songes de géants des ailes

La fumée indique la direction du vent
Où vas-tu vas là

À lit à rouler froissé défroissé enroulé
Au frais à faire du chaud des sinuances de l’esprit
Se parer de drap d’humeur mais je me sens mieux comme ça
S’envelopper d’urine chaude dans l’urine chaude
L’enfant dans le marécage de ses rumeurs nocturnes

Urine

La vitesse du vent est de un à trois nœuds

 

 

 

 

 

Pour un refuge planté là sans regrets éternels des larmoyantes strophes les larmes des amants démunis désamiantés un arbre comme un abri anti-automnique des malédictions tectoniques dans les boîtes ils ne connaissent pas cela les piquants sous les fesses à la plante des pieds courir nu au clair de la lune ô encore une fois courir nu sous le clair de ta lune

 Châtaignier arbre de demi-lumière à feuilles caduques atteignant trente mètres sensible au froid pousse sur un sol riche perméable et non calcaire bois hétérogène beige ou brun très durable aux intempéries aubier distinct blanchâtre altérable très bonnes résistances mécaniques en flexion et compression assez fissible

Le bois le plus riche en tanin utilisation en tonnellerie par fendage les tiges fournissent des clôtures de l’emballage des cercles de tonneaux et de merrains les bois ronds sont employés pour les manches d’outils montants d’échelle piquets de clôture ou de vigne les sciages sont utilisés en menuiserie parqueterie et charpente mauvais bois de feu les sous-produits sont transformés en panneaux de fibres

Suivre le châtaignier

 

 

On sent le vent au visage on sent
Caresse douce ma mousse te pardonne
Sonne l’heure ma douce
L’enfant n’est plus à vendre depuis longtemps
Il le sait
Connaît un certain prix

La vitesse du vent est de quatre à six nœuds

Il se lève de cauchemars
Derrière la porte il y a toujours une surprise qui l’attend
Marre marre
Viens viens qui en voudrait
Pendant que les songes se font un placard
La vérité sort de la poubelle 
Elle

La brise est légère

 

Ils ne marchent pas comme nous ont toutes sortes de réseaux invisibles souterrains d’âmes argileuses planques à foutre de silice ils craquellent les distances et surfaces se font dépendances des cavernes avalées tu avales des couleuvres quand tu te couches sous les fougères tu respires un autre paradis

 Aulne arbre dont le port ressemble à celui des résineux pousse au bord de l’eau en pleine lumière peut atteindre trente mètres feuilles caduques d’aspect visqueux bois rosé à grain fin aubier indistinct se polit bien résistance mécanique faible presque imputrescible lorsqu’il est immergé

Piquets de clôture en sol marécageux modèles de fonderie tournerie sabots jouets brosses bobines boutons bols cuillères bon bois de feu pour la verrerie contreplaqué pâte à papier panneaux agglomérés Venise est bâtie sur pilotis en aulne

À l’aulne des lueurs

 

 

 

Tiens une petite brise
On se dirait des mots dans des cachettes d’allumettes
Chouette
Des jeux mauvais rituels des dates assouvies digérées
Hibou
Recrachées
Pour lui faire jouer un autre jeu
À l’enfant

Qu’importe il plante des fanions des éléphants de vapeur
Saute dans la contemplation
Ça pique

La vitesse du vent est de sept à dix nœuds

Ça pique
Se goinfre déjà de futur

Alors les drapeaux flottent

 

Ils collectionnent les sons s’attribuent des symphonies dédicaces écorcées des craquements de nuits de noces des succions de serrements des approches en écho ils résonnent de feutres de glissements en foutoirs mélange végétal en folie rapprochée là juste au-dessus se créent les sons du monde ceux de toutes les langues le babil forestier

 Trois cents espèces sont connues allant du plus petit arbre espèce naine de montagne dix centimètres de haut un centimètre de diamètre à trente ans au saule blanc des bords de rivières en passant par le saule pleureur poussent sur sol humide en pleine lumière bois blanc à gris rose léger et mou pelucheux

Charpente de qualité secondaire volige emballages légers boîtes à fromage manches rustiques battes de cricket jouets perches et échalas claies vannerie grossière chevilles et dents de râteaux meilleurs liens pour la vigne les toits de chaume nasses et petit mobilier des feuilles et de l’écorce on tire l’acide salicylique remède dès le dix-septième contre la fièvre des marais

En équilibre sur le saule

 

 

 

 

 

Ô que la brise est jolie si jolie jolie
Drapeau orange

Grossir ce qu’on lui a donné son travail est tumeur
Boursouflure du langage enflure des mots
Il triture ses bouts de peau arrache des dents aux livres
Se fout de la peinture dans à l'intérieur
L’enfant bourse

Le sable s’envole
Le sable ça veut dire l’océan la plage loin
Le sable s’envole
L’enfant et ses croûtes pleines de grains passés présents futurs loin
Lèche et mélange et titouille vit avec ça
Bourse

La vitesse du vent est de onze à seize nœuds ah ! quand même !

 

 

Boivent ce qu’il y a d’humide dans ce monde faut bien chercher la goutte rompre la solitude molécule de calcul ils incrustent la soif c’est une racine aussi supportent l’abstinence le sacrifice la tradition du jeûne mais qu’on ne leur coupe pas la route un monde ça se construit les rhizomes sont à la recherche tout le temps

 L’hêtre est grand de trente cinq à quarante mètres ne dépasse guère trois cents ans préfère l’ombre les sols riches et légers l’humidité atmosphérique de la Suède à l’Italie bois fin homogène sans aubier distinct couleur variable du blanc au rougeâtre se cintre et se ponce très bien assez cassant en flexion peu durable n’est pas un bois de construction

Ébénisterie contreplaqués spéciaux bois comprimés-bakélisés mobilier scolaire de cuisine établis étals articles de ménage brosses formes de chaussures sabots semelles de galoches jeux et jouets bobines pelles de boulanger boisseaux sièges et porte-manteaux pâte à papier textiles artificiels bois de feu traverses de chemin de fer

L’hêtre de la question

 

Présentation de l’auteur




Alain Brissiaud, 1000 retours

pour ma fille Marie

Maintenant sur la voie rapide
revenant vers la ville
l’auto s’enfonce dans la mémoire et remonte le temps
Mère courage si lointaine maintenant là gisante cassée
ta vie ne pèse plus bien lourd
nos mains enlacées voudraient tout retenir
juste ça
filer libres
souviens-toi quand tu chantais

ciel ouvert vers les hauts bâtiments et
le rire de jeunes femmes
comme un écho à ton souffle          
mille malheurs          
l’espace est saturé de non sens
vie heurtée
vie contre vie à tout donner

je me tourne vers le mur
au- delà des vitres le ciel est plein de ta voix
ton chevet jaune reflets bleutés agitation sursauts rides maigreur
Mère tu dors dans l’avant mort
légèrement de biais lèvres closes et râles
allant et venant dans la chambre
depuis ce monde je te regarde
ancienne jeune femme me donnant la vie
jaillissant d’entre tes cuisses
pour quel avenir pourquoi

dis
quand ton premier frisson
quel timide jeune amoureux
posant un baiser sur ta bouche 
déjà ce père unique amour

et plus tard débâcle captivité          
le père prisonnier solitude enfants malades
je suis en toi ce soir pour tout voir de ce temps
j’ai voulu connaître où il était           
mettre mes pas dans les siens
comprendre ma propre vie
comprendre  Mère par ta souffrance pour me comprendre
par ce père figé comme un dimanche        
pouvoir me dire « ça va »
partir vers le pont de la photo à sa rencontre
comme il devait aller vers toi
depuis l’autre coté de la ville le dimanche matin
mains d’amoureux doigts serrés
peut-être des caresses sur ta peau 
fantômes tardifs
et si vite père malade retour du corps à la maison

dans le sillage de l’ambulance je refais le compte

je m’épuise à comprendre votre histoire

ton courage sous la peine

que penser

chemin d’Allemagne encore
descendant vers le pré dans la lumière finissante
cherchant ses pas dans les beaux paysages        
Sylvie aide-moi
je dissimule mon émotion
tout retenir pour comprendre*
kommando captivité votre séparation
Bavière air bucolique maisons jolies          

le pont métallique de la photo soudain devant moi           
bouffées manque d’air je perce soudain tes silences
vague sourire             droit digne                  propre
même allure rare maintenant
si loin il disait
« ne fréquente pas ma sœur »        il voulait par delà la distance diriger ta vie
sans rien savoir de tes souffrances
mort des parents traîner Jean à l’hôpital    passer la  ligne         
à son retour tu reprends ta place
en arrière
effacement ta force être une ombre
juste te rendre indispensable
provoquer l’amour
s’attacher l’amour

soudain tu hurles
« maman ! maman ! » son souvenir t’assaille
tes bras tournent sur ta tête
tu appelles depuis l’abîme
« maman ! maman ! »
son absence résonne dans la pénombre
elle te manque tu as peur
perdue si tôt
véritable souffrance   tu en parles comme on caresse
que t’aurait-elle donné
tu es partie si vite t’occuper des autres
fille enfant fille maîtresse

je t’imagine gamine
à quoi rêvais-tu
et jeune femme aimais-tu ton corps 
et plus tard quelles caresses sur ton ventre 
nous n’avons pas parlé rien dit de ces choses
ta jeunesse vendue pour servir les bourgeois
et Jésus bel amant au-dessus de tout       
tu appelles ta mère
tu voudrais cloisonner ton esprit
mais avancer c’est se perdre          

je suis las de tant d’échecs je n’ai rien compris à ta vie
je touche ton front    
je touche ta joue : « ma peau se dessèche »
« pense à ramener la crème »
« qui est là »
étrange ces présences qui volent atour de toi
quelle est cette réalité          

ce soir mes pensées cavalent  
et puis la mort de Claude dans le journal
si soudaine
je n’ai rien compris

cris d’homme maintenant : « arrêtez-ça  arrêtez-ça  »
voix tendues
la souffrance toute entière dans ces cris
quel ancien cruel remord 
quel drame enfoui 
cette folie inonde l’espace de sombres pressentiments
nos rapports se sont détraqués
comment construire nos vies
trouverais-je la paix dans toute cette démence

revenant du pont vers l’hôtel faussement touriste
mon cœur déchiré
incapable à dire mon désarroi
comportement déflagration
mon esprit s’enraye cette nuit

Sylvie je voulais tant m’ouvrir 
couler en toi
apaisé
douloureux d’amour
vers ton ventre m’écouler
mais souillures de ma vie

Mère tu disais
« vas là-bas - je suis usée - tu bouges trop - hors de moi »
maintenant je m’accroche
je jouis de ton usure
reprends-moi reprends-moi
ne me laisse plus
me souvenir de ces nuits de dortoir
le grand me touche sous le drap
le grand me guette dans l’ombre vers le fond attend l’occasion
mettre son sexe dans ma main
par gentillesse disait-il
m’offrir ses névroses
lui aussi manque d’amour
mère pouvais-tu imaginer
et toi père absent que je cherche maintenant

vers la fin tu guettais ses allers et venus vers l’atelier
« Alain - il prend du vin »
« Alain - sors de moi »

<
« Alain - tu vois mon ventre dans le bois »
je sors en courant dans la nuit
fuir

vaines souffrances
ce don de toi payé au prix fort
tu disais tout résoudre par l’amour la prière
tes années défilent comme un livre d’images
dans la lumière du crépuscule
tu sautes sur ta couche rempli de doutes
comme une peau nouvelle un bonheur enfui
ça n’est pas un chagrin un malaise
tes croyances ne sont pas les miennes
pourtant nous attendons la même chose
la même délivrance
ta beauté apparaît maintenant que tu pars
Marie Hélène prie à mon coté
Il fait si chaud
Mère que vois-tu

maintenant sur la voie rapide
vers la maison
la radio joue long way you run 
neige sur le bord de la route
marques de vie manque d’amour
tous à la merci les uns les autres
tous la même vaine histoire

absurde après-midi  

hiver 2004

 

Présentation de l’auteur




Jean-Claude tardif, Les chemins dérisoires, extraits

La nuit s'étend sous mes paupières,

j'attends mes rêves

sans plus y croire vraiment.

Demain ne sera pas un autre jour,

juste la silhouette oubliée des heures perdues.

Je compte sur mes doigts le frisson des horloges,

les petits matins me trouvent perclus,

apeuré. J'ai perdu mes enfances.

Où sont les ventres de mes femmes

et de quoi se souviennent mes filles ?

D'un premier cri - toujours le même -

qui nous vient de derrière les mots

pour nous raconter notre histoire ;

celle que nous gravons sans cesse

à l'inverse de nos paumes

loin des lignes de vie et de chemins de fer.

 

*

 

 

 

Mes yeux accrochent leurs linges

à l'étendoir du ciel ;

le crépuscule ravaude ses draps.

Soudain derrière la vitre le vieux livre de la nuit

et la mer entre les lignes, filigrane.

L'écume a une odeur de cuir

qui déplaît aux oiseaux marins.

Le vent est immobile et je suis loin du monde.

Sur l'envers de mes paupières

le corps de cuivre d'une grive égarée

piétine l'ombre qui nous lie.

Je la regarde comme un autre

moi-même.

 

 

Écrire un poème, à quoi bon ?

Le monde n'y tient pas,

il s'en moque

comme il se fout des mots qui le nomment.

Le monde n'est pas un poème

simplement

l'ombre qu'il projette, peut-être,

sur une page blanche

 

que nous ne savons pas.

 

 

Parfois je dors ; je fais semblant,

j'écoute ma respiration sans la reconnaître.

Suis-je un mammifère, un poisson,

une pierre tombée d'une poche

ou simplement

une météorite qui se serait perdue ?

 

Souvent je fais semblant, je dors.

je me perds un peu dans le drap du silence,

je suis une à une les lignes

au fond de ma paume. J'ânnone

une histoire trompeuse qui me ressemble

et je ne sais plus soudain si ma peau

porte en elle la mémoire

qui le soir venu me fait défaut.

 

*

 

Longtemps j'ai bredouillé l'alphabet

lettre à l'être, petits riens que j'ai portés

faute de poches convenables

au revers de la langue

comme on le fait d'une fleur sur une boutonnière.

Myosotis peut-être à moins que

ce fut un coquelicot, poison insignifiant ;

plume au milieu du foin, dans l'intervalle du vent

au creux des jalousies et des corps qui se donnent

à la façon d'un monde .

 

 

Présentation de l’auteur




Franck Bouyssou, Carré de mars

Un silence de rive morte souffle sur les pas de tes rues. Ville. Ma ville.
Pendant tout le jour la nuit t’appelle à l’abri du vide qui peu à peu t’absorbe. La nuit t’appelle à son seuil de pierres froides.
Même jaunes les étoiles ne réchauffent rien.
Dans la nuit qui t’appelle tu cherches le printemps à tâtons dans l’herbe humide des jardins publiques. Et tu frôles le manteau oublié d’un rêve qui tremble au bord de la saison.

Confinement. Ce mot est doux comme du coton.
Confiserie ou firmament ?
C'est comme un rêve qui tourne en rond. Un carrousel.
L’œil se multiplie, longe des façades où vibrent des sourires d'enfants.
Au tournis voici la nausée. Entends-tu ? Entends-tu ?
Ce mot qui nous enferme. Du ciel dans un bonbon.

Ennui. Tâche d'huile. Tu allonges tes membres croyant remplir plus de vide. Croyant augmenter la matière, croyant que l'ennui est un vide.
As-tu oublié qu'il y a un nom pour toute chose ? Un nom énorme qui solidifie toute chose. Et qu'en désignant toute chose à l'aune de son nom, la source coule comme une lumière de mai.
Nomme cet arbre un cyprès, nomme cette sensation l'ennui.
Dans la pénombre du mot, alors se plaira ton séjour dans l'ennui.

 

Un ciel plaqué d’une pâleur bleue presque abstruse ternit la promesse vide du soir.
Une lumière à l’abandon tombée d’un lampadaire découvre la rue
Bientôt asile des chats errants.
S’appliquer à se taire
Et dans la paume d'un monde qui hésite à fuir
Boire l'éphémère.

Présentation de l’auteur




Narki Nal, Une femme

Chamane

     Le tambour comme un cœur
Fermer les yeux
Être arbre et pierre à lichen
Puis se laisser partir
Rencontrer bêtes et gens
Humains à tête de loup
     Le tambour comme un coeur
Alors devenir louve…
Courir à travers bois sans même toucher le sol
Ne pas redouter les griffures des branches
Vent ondulant les poils
Rencontrer la meute
     Le tambour comme un cœur
Courir sans perdre haleine jusqu’à cette falaise
Surplomber le fracas 
Respirer… Respirer 
Sauter
Être cascade et lac tranquille
     Le tambour comme un cœur
Miroiter
Nager nager nager
Se perdre à l'improbable frontière entre ciel et eau
Flotter dans l'air au-dessus
Un instant
Dans l’espace courbe d’après l’horizon…
Plonger 

 

***

La chaleur dis-tu ?

La chaleur blanche fait vibrer l’air
Ma vision se perd
Le sentier raide devient alors chemin buissonnier
Si bien que mes pas hésitent puis lévitent sur place
Comme le vol d’une libellule
            Reprennent
Je marche cherchant l’ombre vraie du végétal
Celle qui sent l’odeur de feuille froissée
                               J’ai espoir en cette beauté

Ailleurs
La chaleur blanche emprisonne la ville
La compresse exprimant un jus de poisse
Seule l’odeur miellée des tilleuls en fleurs
Me parle de la puissante fragilité de la vie
Je sens la menace chimique qui s’insinue
Mais les volutes de miel gagnent encore
Et parlent à mon cerveau d’une autre cité
Quelque part possible mais introuvable
J’ai peur en cette absence

La chaleur ne masque jamais le froid intérieur
Affrontement si peu original du dehors dedans
Notre lot humain d’incertitude
Notre fardeau magnifique d’être sensible pensant.

 

***

Mycélium

Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie

Je suis Ophélie au fil de l’eau
Vous êtes sur les berges endormies de brume
Où les hautes herbes traversées de vent
ondulent leur caresse
Je passe, je vous vois, vous êtes mon passé
Mon passé qui me regarde sans me voir
Mon passé qui défile comme je vais au fil de l’eau
Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie.

Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue

L’envie de le toucher qui monte puis vole en éclats
Le baiser qui s’approche et qui devient morsure
Ce désir inconstant comme les herbes aux saisons
Cette brûlure qui se glace. Lumière blanche.
Lumière difractée. Fraction du temps. Lame miroir
Éblouissement bref de la rétine. Vois ma vie.
Bobine dévidée. Poitrine évidée.
Sanglot du sang qui afflue…  Pour rien.
Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue.

Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Écrire est une nuit. Mes pas dans cette nuit profonde.
Vertige.Tige de feu. Pensée morbide.Taire. Se taire.
Mycélium de pourriture répandu en soi, en silence.
Lancinant ce bruit sans bruit. Bouffée-désir de l’explosion.
Ma tête qui explose. Éclaboussures d’os brisés.
Mais où est le cerveau ? Dissous.
Violence du refus muet. Dernier voyage.
Le mycélium de pourriture gagne. Cerveau dix sous. Cerveau rien.
Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Je ne suis plus qu’une enveloppe.

 

***

Entre elle et moi

Je marche
Elle marche
Elle marche
à mes côtés
Je ne veux pas la regarder
Je ne peux pas la regarder

Miroir
Le problème est le miroir
Devant le miroir
Le double apparaît
Le regard
Effroi Mon regard s’est vidé de moi

Le miroir me donne à voir        
MOI
Avec à l’intérieur de moi   
une AUTRE…

C’est là dans ce regard symétrique
Que je rencontre l’étrangère
L’échange aggrave l’effet l’altérité
Ce que j’y lis me bouleverse
Une part enfuie de moi, perdue ?
Je la toise, l’Autre, je me fais forte

Je suis dans un espace-temps étrange
ENTRE ELLE ET MOI
Elle étant moi quand même…
Je suis vacillante sur une route improbable
Entre deux mondes, un ancien, un nouveau
Et dans cet entre-deux je voudrais remonter mon temps
Je cherche la machine miraculeuse
…En vain
Peur du regard de l’étrangère dans le miroir
La peur aggrave le désarroi
Et mon corps oscille voulant choisir sa tête…
Vertige. Combat muet

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Et ces aveugles autour de moi
Ne comprennent pas
Ne voient pas
Ne savent pas
Ne sentent pas
S’aperçoivent de rien
Vivent autre réalité

Je marche à leur côté
Mais un indicible nous sépare
Avec la discrétion de l’indicible
La ténuité de l’indicible
Le POIDS de l’indicible

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Pensées flottantes
Toute une vie à chercher le feu
Devenir feu
Mais ne brûle pas tout bois
Mais ne danse pas dans les flammes tout corps

La tiédeur me répugne
Comme la faculté d’oubli

Ne rien perdre
Ne rien oublier
Horreur des portes fermées telle une chatte

Or vous fermez vos portes
Vous déclarez « tout passe »
Vous cultivez l’oubli
Mais rien ne passe jamais

Je ne veux dissoudre ni mes douleurs ni mes joies
Ce que j’ai vécu est à son poste
Quelque part en mon cerveau dans une somnolence légère
Un rien le ranime et le transmet à mon cœur, à mon ventre
Et ma poitrine exulte ou s’écrase à ces souvenirs

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Un être vivant devrait se laisser traverser par ses émotions
Et non les tenir à l’écart
Pas de pilule à effacer les ressentis
Ne savent plus supporter leur vie
Appellent la chimie à leur secours
Ainsi sont morts avant la mort

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Pourvu que celle du miroir
Aux yeux d’absence
Ne fasse pas de moi une résignée
J’accepte la souffrance en la frottant au combat

je suis vivante
je suis vivante

Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Mais l’Autre m’accompagne
Elle m’épouvante

Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Je suis celle qui court
Pour perdre l’Autre moi

 

***

L’insoumise

Je suis-je suis une femme               
Un être maléfique                        
Un être puissant
Un être faible
Un être fort
Sanguinolent à la lune
Un être impur

Je suis-je suis une femme
Un être désirant
Un être mouillé
Un être muqueux
Je suis d’où vous êtes nés
Je suis un sexe troué
Je pue la mer
Je suis d’où vous venez

Je suis-je suis une femme
Je suis clitoris
Je suis orgasmique
Je suis désir
Je suis
Je suis trop

Vous voulez m’abaisser me réifier
M’infantiliser
Me modeler
M’exciser
Me dominer me prendre
Me tromper me laisser
Me souiller
M’humilier
Me violer me massacrer

Tous les dieux me détestent et me craignent

Je suis votre perte
Je suis votre salut
Je sais donner la vie
Vous pouvez me tuer
Mais pas me remplacer

Je ne me plierai pas  

Je suis-je suis une femme   
Je.

 

Présentation de l’auteur




Maria Luisa Vezzali, Versi di esperienza e di amnesia, Vers d’expérience et d’amnésie

 

                                                                                                        Traduction de Chantal Bizzini

 

del mondo

chini la testa per passare la porta e al di là della soglia il mondo respira
di visione, un’onda impaziente che trasporta gli odori delle case, umidità
ruggine, cenere, benzina, età che turbinano verso il bruno
gli occhi passano in volo le teste chine sui tavoli, la mano sul telefono
la sosta al bar a metà mattino, il freddo che canta, la pelle
che riflette l’assenza di un gesto
grumi di luce che tornano cose di luce in un sorriso mite
sotterraneo

 

du monde

tu penches la tête et passes la porte : au-delà du seuil, le monde respire
de visions, une onde impatiente qui charrie les odeurs des maisons, humidité
rouille, cendre, essence, âges qui tournent au brun
les yeux survolent les têtes penchées sur les tables, la main sur le téléphone
on s’arrête au bar dans la matinée, le froid chante, la peau
reflète l’absence de geste
des caillots de lumière deviennent formes de lumière d’un doux sourire
enfoui 

 

 

 

 

delle fondamenta

tutto cade nell’imbuto al suono disperso del gallo
diventa la misura della propria caduta
il meccanismo della propria struttura
giù verso l’alto
la macchina che gira nel labirinto
ha fondamenta di sudario
rotazione ciclopica su cardini di stelle
mantici che pompano costanza
dell’espansione e implosione che
custodisce
che lava

 

 

des fondations

 

tout tombe dans l’entonnoir au chant perdu du coq
devient la mesure de sa chute
le mécanisme de sa structure
du bas en haut
la machine qui tourne dans le labyrinthe
a des fondations de linceul
elle pivote, titanesque, sur les charnières des étoiles
ses soufflets pompent la constante
expansion et l’implosion
qui soutient
et qui lave

 

 

 

 

 

dello splendore

 

la luce procede verticale
ma nell’impatto irradia dalle mani
ti plasma sul palmo teso
nella nudità silenziosa
inghiotti dalla tua ebbrezza
la lezione della meraviglia
 

 

 

 

 

de la splendeur

 

la lumière tombe verticalement 
mais dans l’impact irradie des mains
te façonne sur la paume tendue
dans la nudité silencieuse
tu engloutis dans ton ivresse 
la leçon de la merveille

 

 

della vittoria

 

l’ultimo pasto lo consumi sul campo di battaglia
pesante di vite
nella mandorla del destino
la carne innocente si consuma
all’olio della fiaccola
quello che conquisti
lo porti inchiodato sul fianco
come una rosa nella cintura

 

 

de la victoire

 

l’ultime repas, tu le consommes sur le champ de bataille
lourd de vies
dans la mandorle du destin
la chair innocente se consomme
à l’huile du flambeau
ce que tu conquiers, 
tu le portes rivé au flanc
comme une rose à la ceinture

 

 

 

 

della bellezza

 

bellezza è quell’armonia dolcemente
crocefissa nel rilievo dell’onda
che riconosci come un luogo
frequentato a lungo in un passato
che non è nel tempo
ma sul tetto della piramide
sfinge scava senza fine nel petto
il pozzo del dono che non fa rumore

 

 

de la beauté

 

la beauté est cette harmonie crucifiée
doucement dans le relief de l’onde
que tu reconnais comme le lieu
longtemps fréquenté d’un passé
qui n’est pas dans le temps
mais sur le toit de la pyramide
le sphinx creuse sans fin dans la poitrine
le puits du don qui ne fait pas de bruit

 

 

della violenza

 

vieni, taglia il ramo che il germoglio non brucia
taglia la maniglia della porta, il raggio
della ruota che non gira, taglia
la strada che non sfiora le lontananze
vieni, taglia il vento che tossisce al buio, accendi
il sangue che s’imbarca  fischiando verso il danno
quello che può succedere succederà  per te
nelle cose vicine come nelle cose nascoste
e tu non saprai neppure quando, cosa
non saprai minimamente fino a dove, saprai solo
allo sportello della banca radicale
il valore di cambio del timore

 

 

 

de la violence

 

viens, coupe le rameau que le bourgeon ne brûle pas
coupe la poignée de la porte, le rayon
de la roue qui ne tourne pas, coupe
la route qui ne touche pas les lointains
viens, coupe le vent qui tousse dans le noir, enflamme
le sang qui s’embarque en sifflant contre la perte
celui qui peut arriver arrivera par toi
dans ce qui est proche comme dans ce qui est caché
et tu ne sauras ni quand, ni quoi
tu ne sauras pas jusqu’où, tu sauras seulement
au guichet de la banque radicale
la valeur d’échange de la peur

 

 

 

dell’amore

 

cadi qui
nel peso che non si può portare soli
nella sete che ti percorre la schiena
lasciandole in pegno due binari d’ustione
nel ventre che s’incurva
quando l’audio dell’esterno si spegne
e nel cerchio di caldo  è apparecchiato il letto
l’obbedienza stolida delle cellule
segue l’odore scuro che comanda sulla pelle
e tu non vedi che il tuo stordimento nel viso di fronte
sotto le palpebre la grana scarlatta
che è la coesione del sangue

 

 

de l’amour

 

tu tombes ici
sous le poids qui ne se peut porter seul
dans la soif qui te parcourt l’échine
laissant ce signe : deux rails de brûlure
sur ton ventre qui s’incurve
quand le son du dehors s’arrête
et que dans le cercle de chaleur est préparé le lit
l’obéissance vulnérable des cellules
suit l’odeur noire impérieuse sur la peau
et tu ne vois pas que ton vertige dans le visage en face
que sous les paupières le grain écarlate
est la coagulation du sang

 

 

 

 

della comprensione

 

alle domande non ti neghi
rispondi con il gesto
notturno delle spalle
con la piega degli occhi, il collo chino
la mano sul capo
poggi i piedi sull’orlo
di una rampa erta e dura
da cui salgono strisciando a labbra aperte
incisi dai giorni e dalle spine
sei la saliva nutriente che li bagna
sei la coppa di terra che li accoglie
prometti quel che c’è da piangere
sai che frutterà

 

de la compréhension

 

les questions, tu ne les refuses pas,
et réponds du geste
nocturne des épaules
du pli des yeux, le cou incliné
la main sur la tête,
tu poses les pieds sur le bord
d’une rampe raide et dure
de là, ils montent en rampant bouche ouverte
gravés des jours et des épines
tu es la salive nourricière qui les baigne,
la coupe de terre qui les accueille
et promets ce qu’il faudra pleurer,
sais ce qui fructifiera

 

 

 

 

 

della sapienza

torre fiorita nel deserto
preparami a
spegnimi
sembravi così in fondo, così
lontana
eppure, più vicino di me a me stessa, un respiro
si diffonde, produce la voce percepibile formata
di fuoco, acqua e respiro
che sono anche nord, sud ed oriente
sabato di pane, sono
calma
sono senza gola
esplosa d’alba
sono
la linea
della tua
ombra

 

de la sagesse

 

tour fleurie dans le désert
prépare-moi pour
éteins-moi
tu semblais si au fond, si
lointaine
et pourtant, plus proche de moi que moi-même, un souffle
se diffuse, produit la voix perceptible, formée
de feu, eau et souffle
qui sont aussi nord, sud et orient
samedi du pain, je suis
calme
je suis sans voix
explosée d’aube
je suis
le contour
de ton
ombre

 

 

 

 

 

 




Maria Pia Quintavalla, Parmigiana, I et autres poèmes

                                                                                 Traduit de l’italien par Viviane Ciampi

Parmigiana, I

 

Tutti gli amori ti furono infelici perché ci credevi,
tutta vi aderivi, alle promess
dell’essere - al suo centro
ti innamoravi della vita del paradiso
dalle palme lente e dolci dell’amore
improvviso nelle dita degli amanti napoletani
della forza che ti travolgeva
ma di messi astrali, bianche
dita di una stella carnale

 antiche passeggiate e dolci mani,
della vita sentivi lì la forza intatta infrangersi
stupita appartenente a corse, statue di gaggie
erano tonfi al cuore, desiderio e copule del mare.
Forti le braccia i baci le lusinghe,
per amore della vita che perdevi
e lenta nell’amore ti perdeva.

 

                                                       II

 

 

Rivorrei la mia infanzia una triste
prigione del cuore - dissi
a lei che più non capiva da dove
tutto questo avesse inizio, così
mi mandò a dire, Vattene un po’
all’inferno vattene, sì vai via,
la tua finestra più non ci appartiene
né mai lo fece, Esci di scena.
Stanca sconsolata lei assentì, ma l’altra
da lì stette fuori tappata,
bocche e orecchie spaventata la guardava,
né poteva più rispondere.

Rivorrei la mia infanzia con le finestrelle
chiuse ottuse, lì nascosta poco di sotto
al cuore - ritornava ritornello infelice

 

 

 

De Parme, I

 

Tous tes amours te furent misérables car tu y croyais,
toute entière tu y adhérais, aux promesses
de l’être – en son milieu
tu t’éprenais de la vie de l’Eden
des paumes lentes et douces de l’amour
soudain dans les doigts des amants de Naples
de la force qui te submergeait
mais de moissons astrales, doigts
diaphanes d’une étoile charnelle

anciennes balades et douces mains,
de la vie tu percevais la force intacte à sa brisure
étonnée appartenant à des courses, des statues d’acacias
comme des coups au cœur, désir et étreinte de la mer.
Puissance des bras des baisers des flatteries,
par amour de la vie que tu perdais
et lente dans l’amour elle te perdait.

                                                     

                                                              II

 

                                                                               

Je voudrais retrouver mon enfance une accablante
prison du cœur – dis-je
à celle  qui ne comprenait pas par où
tout cela commençait, ainsi
elle me dit, Va-t’en donc
aux enfers va-t’en oui, va
ta fenêtre ne nous appartient plus 
ni jamais ne nous appartint, sors d’ici.
Fatiguée attristée elle acquiesça, mais l’autre 
resta dehors protégeant,
bouche et oreilles apeurée la regardant,
sans pouvoir répondre.

Je voudrais retrouver mon enfance avec les fenêtres
fermées butées, là, à peine cachée au-dessous
du cœur – revenait un refrain malheureux

 

****

China era prodigio di canzone

 

Quando di China si vedette il volto salire in aura,
in benvoluta gloria, China
già più non era là seduta, ma distante
volgersi e dire in addio serena
le ultime care frasi della notte:
quelle che di cantari, gesta e sacripanti
donzelle e mostri, essa mostrava
sé capace a recitare:
modeste cupole, già case per la mente,
di una speranza che la villa di Castiglia
più non udiva.

 

*

 

Morì. Tradì, scoppiò, dissolse sé, disparve

 

non fu mai dato di sapere, ma servì a capire
che China era prodigio di canzon
meravigliosa creatura in luogo chiaro,
corso di virtù serena -
gioia nel corpo cibo della mente - angelo
al tocco dei bambini salvi nel fiume
corso della sua esistenza,
frumento pane di virtù mai sorte,  

sentimento del mondo, sua dizione.

 

*

 

 

 

 

China était prodige de chanson

Quand de China on vit le visage élever son aura,
en gloire appréciée, China
n’était déjà plus assise ici, mais lointaine
se tournant pour dire en un adieu paisible
les dernières phrases de la nuit :
celles de trouvères, conteurs et chenapans
demoiselles et  monstres, elle se montrait
capable de réciter :
modeste coupoles, déjà maison de l’esprit,
d’un espoir que la ville de Castille
n’entendait plus.

 

*

 

 Elle mourut, trahit, éclata, se défit, disparut

on ne put jamais savoir, mais cela fit comprendre
que China était prodige en chanson
ravissante créature dans la clarté,
un fleuve de sereine vertu -
joie du corps nourriture de l’esprit - ange
à la caresse des enfants sauvés dans la rivière
au cours de son existence,
froment pain de vertus jamais écloses, 

conscience du monde, son récit.

 

 

****

Mater : Due sono una

 

È forse questo il tremito
in occhi sconosciuti i m
ei, già conosciuti -
è forse vero il verso che dice il tocco,
i salti della voce. Lei è cresciuta
non parla la tua voce.
Presa per mano ti guardava tornare, e poi andare,
mi seguitava il corpo, ne assecondavo
il suo respiro, due sono una
ora è uno e uno. Ora
i suoi occhi luccicano con una margherita
appesa al lobo ma di luce propria
senza infingimenti e lei là, un gran andare
per una corsa sua segreta,
tra fili d'erba e treni, caramente
d'oro il suo sorriso.

 

      

 

 

 Mater : Deux je suis une

 

C’est sans doute ce frémissement
dans des yeux inconnus les miens, déjà connus -
c’est vrai sans doute le vers qui dit le doigté,
les écarts de la voix. Elle a grandi
ne parle pas ta voix.

Tenue par la main elle te voyait revenir, et puis t’en aller
le corps me suivait, j’en soutenais
le souffle, deux sont une
maintenant c’est un et un. Maintenant
ses yeux brillent avec une marguerite
suspendue au lobe mais de lumière propre
sans imposture et elle là-bas, un départ infini 
pour une course secrète et bien à elle, 
parmi des fils d’herbe et des trains, oh d’or
si précieux son sourire.

 

 

Présentation de l’auteur




Patricia Ryckewaert, Entre ses doigts frêles…

Entre ses doigts frêles

elle a saisi un grain rosé de l'aube
et l'a planté dans son limon de femme.

S'est tenue là, patiente

à attendre que viennent l'inouï du jour
et la tendresse des hommes.

∗∗∗∗∗∗

 

Il a posé son regard ébloui
sur la ligne d'horizon

sur les branches
et tous les bourgeons
d’elle,

à se vouloir oiseau
à se sentir des ailes

et dans le bleu naissant
et les prières d'avril

a fait danser ses doigts
sur la matière vivante

et l'a mise en mouvement
dans le souffle de l’air.

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

Elle est née d’un dialogue entre eux                                          
indicible

elle avance à pas de loup et parfois elle rampe dans l’ombre
froide des herbes bleues et l’odeur des églantines.

à l’affut de tout ce qui se dresse vers le vif du ciel                                  
et en survie dans la chair des mots
elle le guette

parfois elle est un poème enroulé autour de lui comme le
souffle et le cuir cinglants d’un lasso

 

∗∗∗∗∗∗

 

J’habite la lumière au naissant du jour
et la matière qui fait la terre et les hommes.

J’habite chaque grain de peau et son histoire

les bouches pleines du jus des fruits
les bouches pleines des autres bouches
et celles qui ont soif.

J’habite le souffle de mon enfant
le battement des cils et des coeurs
et l’humanité de ceux qui s’essoufflent.

∗∗∗∗∗∗

 

À tous ces mots fondus sous la langue
ces mots-bonbons, ces mots-baisers

au goût de l’autre,

À ces mots coincés entre deux dents,
à tous ceux crachés à la face du monde

et à ceux restés dans la gorge serrée,
à tressaillir.

 

Présentation de l’auteur




Laetitia Extrémet, Nouveaux aquapoèmes

ÎLE

 

Ile, m’a semblé dans ta dérive
Mèches que le vent égare
Ta chevelure cuivre, tes rives
Et tes lunes éparses
Bruiner le givre à l’onde de tes yeux
Sur tes cils, tes ailes graciles
Qui papillonnent la baie de ton regard ;
A l’ogive des jours, j’ai vu hyaline
La danse de la pluie
Un rideau d’amertume assombrir
L’étende de tes beaux rivages
La lame fluer et refluer en ruisseaux
D’agates, tes larmes ;
Et dans tes coquillages j’entends
J’entends encore,
L’inconsolable mélancolie de tes vagues
L’orage
Ile que le vent égare,
J’entends
Dans ta chevelure cuivre, tes rives
L’évase et ton regard.

 

 

À MES CIEUX TES RIVIÈRES

 

Danse alors la pluie
Tes nuages à mes cieux
Gris, que la brise
N’a pas pu chasser,
Et aujourd’hui si j’ai mal
A ton onde versée
Maintenant que là
Ton cri ne m’est plus
Qu’un silence froissé,
Pour que cesse l’orage
De tes mots indicibles
Qui de toi me laissent
Vaine, vide,
Je peine à taire l’inverse, et
Même si je ne sais vers quel désert
Ton absence me mène
J’aurai pour étancher ma soif
A mes yeux tes rivières
Que la brise
L’effleurement du vent sur mes cils
N’aura pas pu sécher.

 

 

TES YEUX INSULAIRES

 

Et je boirai tes rivières
Les lunes qui perlent aux agates de tes yeux
Quand tu baisses les rideaux de tes cils
Sur tes bleus océans,

Je boirai tes rivières
Déversées sur les grèves de tes sables clairs
Je remonterai le cours de tes aiguières
Pour puiser à la source de tes aquarelles,

A l’épanchement de tes fenêtres
Là tout au bord, je resterai
Pour abriter les orages                                                                                                                      
Et les petits moutons blancs
De tes flots firmaments,

En ton âme diluvienne
J’irai prier les sirènes
Et pleurer les fontaines
De tes îles noyées.

 

 

AU LARGE DE MES ASSECS

 

Où courais-je
Que le vent m’éparpille
Désagrège les pages
Furieusement scellées
De trop de résonnances
Cousues à mes oreilles
Et de beaucoup d’orages
Pour me réconcilier
Avec les mots échoués
Qui m’ont disséminée,

Où courais-je
Et m’avale cette eau
Que je voudrais voguer
Pour étancher la vague
Goûter au plus profond
De la page gravée
Que le vent éparpille
Au large de mes assecs
Et dont l’écho résonne
D’une rage muette,

Où courais-je
Et pourquoi ces gravas
Sur ma grève séchée.

 

 

ALLUVIONS

 

Je n’irai plus
Vêtue de goémons
Mon âme effilochée
Frayer les chemins d’algues
M’enfoncer dans la boue
Dans la poussière d’argile
Et dans les illusions ;

Je n’irai plus risquer l’envasement
Suffoquer dans la tourbe,
Sombrer dans la ravine,
Gît dans son lit mon ombre
Le dépôt de mes armes
Mes liquides amarres
Et quelques alluvions ;

Je voulais juste éprouver l’infertile
Et voir la pluie tomber
Tant pis je n’irai plus.

 

 

 

Présentation de l’auteur