Marie Allègre, Le Nom-Dit et autres poèmes

Le Nom-Dit

Quand cela ne s’appelle pas
Ne s’appelle rien

 Tiny tender shells of a look, of a touch,
Of a kiss
Glittering nuts of a possibility
Sparkles of a shivering hope1

Tes flèches
Cercles d’azur glacé
Rieur pourtant
Ces deux puits de ciel froid
Comme un orage brûlant grondant
Dessous le front
Voilà qui m’arrête le cœur

Ton cou est un poème
Tu me fais comme du velours couleur blé
Au fond du ventre

Insoutenable pointe de la plus belle des teintes
Déferlement de bleu floutant tous tes contours
Tu me perces les yeux
Ta chaleur me dissout

Tu me fais craindre
Ce que je connaissais
Et l’ordinaire n’est plus

L’empreinte de toi dans l’air
Ombre à portée de nez
Cruelle messagère
Avant coureuse acmé

Mais quand tu cèdes enfin tout contre moi tremblant
Tout est encore possible

 

 

Éden

L’Éden de tes bras et de tes mains
Ton corps est mon jardin

Je m’abreuve à ta voix
Me nourris de ta peau

Et jamais rien n’égale
Un instant de tes yeux

Il me faut te le dire
Je m’y noie à loisir
A dessein

Le dessin de ta bouche
Miracle de douceur
Quand tu la poses
Sur le brasier de mon ventre

Je n’ai jamais ou presque
Lu deux fois le même livre
Mais je pourrais
Te méditer
Jusqu’à l’épuisement

Le goût de ta présence 
Le parfum de tes mots
En t’attendant mon cœur
Ô ma jolie crevure
Je me régalerai
Du son de ton absence

 

 

Tempête

Il y a de la pluie et de l’orage dans tes yeux quand tu m’embrasses.

Deux iris de lumière grise
Nectar de nuage guerrier
Éclair abrasif et dardé
Tombent
Sur la terre mouillée des miennes
Qui te boivent et s’abîment

Je sens que je vais aimer tes tempêtes.

 

Croissant de toi

Couchée contre ton dos
Je passe ma main sur toi

Chaque élan de mes doigts
Te dit je t’aime

Je fais couler ma langue entre tes deux épaules
Au creux de la colonne
Au gré de ma folie

Tu es vaste
Mon miracle
Et je t’explore

Ma forêt de peau tendre
Ma montagne bénie
Fleuve d’amour
Courant de force
Tu tiens de l’infini

 

 

Voile Acté

Attends que le sommeil te recouvre de son voile sombre
Qu’il t’enveloppe de son étreinte rassurante et calme
Que la nuit t’isole de la terre où les soucis t’accablent
Qu’elle t’emporte vers mille et un ciels
Que des rêves veloutés t’entourent de leur ronde joyeuse
Que le doux réveil lève la cape foncée du sommeil
Et que le jour écarte la robe mystérieuse de la nuit
Pour envahir tes yeux de la beauté du monde

 

 

Note

1 - Minuscules coquilles tendres
     Regards, gestes, baisers
     Coquillages scintillants de possibles
     Eclats d’espoir tremblants

 

Présentation de l’auteur




Corinne Le Lepvrier et Vincent Motard-Avargues, 3 vidéo-poèmes

3 vidéo-poèmes de Corinne Le Lepvrier alias Köré la jeune fille in collection « mon côté fleur bleue je me fais plaisir pour autant je n’irai pas jusqu’à chanter »,
avec des musiques de Vincent Motard-Avargues.
 

des coquillages je crois ; 2019

vous souriez ; juin 2019

à bras le corps ; juillet 2019




Florence Saint-Roch, L’Autre chemin, extraits

Poèmes écrits en regard des encres de Roselyne Sibille.

 

Pour les sombres lueurs, II, collection particulière.

 

Le chemin donne sa parole

Là-bas vois-tu je t’emmènerai

Les lointains confirment

L’arbre te laisse passer porte son ombre du bon côté

Comment ne pas y croire

 

Pays profond te fait signe

Toi aussi tu veux t’engager

 

 

 

Avant le silence, II, collection particulière.

 

D’un bord à l’autre tu interroges

Quel nom s’écrit tandis que je marche

Une échancrure s’est ouverte

Le silence a pris ses quartiers

Tu touches du doigt la paisible réponse

Tous les mots ont déjà parlé

 

Avant le silence, III, collection particulière.

 

Le chemin avance sous le couvert

Tes yeux se plissent

Tu cherches à deviner

L’épaisseur palpite

Rien à craindre à éluder

Aller jusqu’au bout de l’énoncé

 

 

Avant le silence I.

 

Ce pays comme parfois les heures

Sombres abattis élans brisés

 

Tu enjambes les troncs inclinés

Tu traverses tu tires un trait

 

Les oiseaux s’essayent

Leurs cris tournent un soleil

Le ciel approuve la relance

Je me reformule voudrais rencontrer

Cheminant, II, collection particulière.

 

La rivière dirait-on est l’événement

Chemin faisant elle invente ses rives

 Les aborde doucement

 

Matin ou après-midi qu’importe

Joncs et feuillages eux-mêmes ne savent pas

Le temps est là

Tu en ignores l’aval comme l’amont

Pourquoi toujours étreindre

En ciels fins se rêvent les collines au loin.

 

À peine devant je suis dedans

Collines endurantes épaisseurs des forêts

Tu te frottes à ce qui vient

 

Tu prends l’accent des montagnes

T’accordes aux herbes et aux broussailles

Chaque contour devient le tien

 

A PROPOS DES ENCRES

Roselyne SIBILLE

 

Durant l'été 2011, j'étais en résidence d'écriture en Corée du Sud. C'était la mousson. Il pleuvait tant et si fort qu'il m'était à peu près impossible d'aller marcher dans la vallée, contrairement au séjour que j'avais fait dans ce même lieu en automne 2009. Écrire toute la journée, impossible.

Un jour que j'étais allée au supermarché de la ville la plus proche (Wonju) pour acheter de la nourriture, je suis passée au rayon papeterie, regarder (parce que j'aime les merveilles papetières) et chercher – peut-être – un stylo. Mon attention a été attirée par des rouleaux de papier de riz très fin, celui dont se servent les enfants pour leurs exercices de calligraphie. J'en ai acheté un rouleau, et aussi de l'encre de Chine et des feutres calligraphiques. Puis, dans ma chambrette, devant la baie vitrée me protégeant de toute l'eau de la mousson, j'ai cherché comment utiliser ce matériau qui m'était inconnu. Un papier extrêmement fin, se déchirant très -trop- facilement dès qu'il est mouillé. Cette encre très noire, ces feutres avec leurs biseaux, feutres gris, beige, noir. Que faire de cela ?

J'ai expérimenté et commencé à créer ce que j’ai appelé des "poésies graphiques" : il s’agissait de formes abstraites -des taches- déchirées et recollées sur un papier de fond plus solide, blanc ou noir, assemblées pour créer un équilibre visuel. J'ai passé des heures dans le son de la pluie et ma chambre cocon, à chercher, poser de l'encre, déchirer, assembler et puis écrire dans les interstices quelques mots des poèmes brefs qui me venaient en tête dans cette ambiance asiatique. Comme les poèmes inscrits dans les peintures chinoises, japonaises, coréennes. Et différemment. Ces mots s’installaient dans l’équilibre des masses, ils roulaient comme les torrents à la sortie des rizières, ils créaient du sens en mouvement. Ils étaient nécessaires et j’avais grand plaisir à les inscrire à la place qu’ils demandaient. Ils faisaient partie de l’ensemble. Ces créations ont été exposées au Centre Culturel Toji avant la fin de ma résidence. Je les ai remportées en France, et rangées soigneusement dans un port-folio.

Occupée à répondre à mille sollicitations, je me mettais peu à créer d’autres encres. Ecrire me semblait plus simple que de me retrouver en chantier avec les papiers que j’avais rapportés. Quelques-unes sont nées à mon retour, pas beaucoup. Et surtout un triptyque format carte postale alors que celles que j’avais créé en Corée étaient de grands ou longs rectangles. Des années ont passé, mes encres entre elles, rangées à l’ombre.

Invitée au Salon du Livre d’artiste de Rives en septembre 2018, il m’a été demandé d’exposer sur les panneaux derrière mon emplacement. Que mettre qui ne soit pas un livre d’artiste ? Ce triptyque, encadré, y a tout à fait trouvé sa place. Ainsi il était remonté à la surface.

Encore quelques mois de gestation, et voilà qu’un soir de solitude et de janvier 2019, m’est venue l’envie de ressortir l’encre, les papiers de leurs rouleaux et de créer, simplement, pour moi-même.

J’ai déroulé une feuille et fait des taches puis une autre feuille et d’autres sortes de taches avec des instruments différents. J’ai commencé à déchirer, recoller, chercher ce qui venait grâce à ces petits fragments.

Ce qui est apparu, sur un papier de support de format 13,5 x 17,5 c’est un de mes paysages intérieurs. Juste des taches qui, s’assemblant, devenaient paysage. J’étais étonnée, ravie de ma création comme un enfant devant son château de sable.

Et, de soir en soir, je me suis donné rendez-vous avec mes papiers et mon encre. J’ai eu besoin de créer un plus grand nombre de « bases », de feuilles tachées. J’ai cherché comment obtenir de la variété : j’ai ramassé des petits bouts de bois filandreux lors de mes promenades en colline, j’ai utilisé des instruments improbables, constitué une sorte de « tachothèque », chaque sorte dans une pochette transparente, toutes gardées pour cet usage.

Ainsi cette création s’est mise à m’habiter : dénicher, mettre en réserve, apparier ce qui doit l’être : l’encre et le bois, les morceaux de papier et leurs enveloppes… et puis m’installer devant mon bureau et me lancer, sur ce petit format, dans des constructions visuelles de toutes petites taches se confrontant. Les paysages naissent, simplement de leur équilibre de noirs et de blancs, pendant que je me mets au service de l’image qui veut se hisser hors de la page. Je suis surprise et enchantée.

Les heures passent dans le silence, je me sens très proche d’un mystère. Je lui offre mes doigts qui s’imprègnent de colle et que je vais laver de temps en temps, ce qui me permet d’oublier le paysage naissant et de le retrouver avec une distance de quelques instants. Je vois alors autrement la direction de l’ensemble, ce qui manque, là où il faut un élan vigoureux, un espace, un fourmillement de minuscule, un autre angle…

Aujourd’hui, un an plus tard, j’ai créé quatre vingt encres, toutes différentes mais je constate qu’elles forment des séries, parfois des triptyques, parfois des diptyques, comme si mes paysages avaient besoin de s’associer en ambiances visuelles du même ordre. Je ne contrôle pas tellement. Je reste tranquille, juste avec l’envie d’être là, seule devant mon bureau, avec ce papier étonnant dont je découvre sans cesse des possibilités qui m’intéressent, avec ces taches qui ne ressemblent à rien individuellement mais qui peu à peu, extériorisent ce que je porte en moi.

D’où viennent ces paysages ? Vus, arpentés, admirés, en tous cas alchimisés. Je ne sais pas qu’ils sont en moi, je les vois apparaître et je sais alors à peu près où je les ai captés. Plus que des lieux géographiques, ce sont des ressentis de collines caillouteuses, sèches, calcaires, des montagnes enneigées aux arbres noirs, des flancs de montagnes au printemps quand la neige fondant dévoile des noirs dans le blanc ou le contraire, des lacs entourés de reliefs, des ambiances de Camargue, d’eau plate dans des rives esquissées, des côtes rocheuses, des îles et puis des arbres, des arbres, des arbres, des troncs, des feuillages, des frondaisons, des arbres touffus, des sous-bois clairs. Ainsi il y a déjà trois séries qui se nomment L’épais des forêts du nom de l’anthologie de poésie du même nom initiée par une amie poète.

Vient ce qui veut, ce qui se propose. Parfois un paysage très différent de celui de la veille. Chacun demande son moment pour exister. Je me sens humble, appliquée, soigneuse et je jubile aussi de ce qui apparaît, ces sortes de miniatures qui ne sont que tâches, fouillis qui s’ordonne, force de certaines abstractions, douceur d’autres, précises ou énergiques, les tâches simplement qui forment des plans, des entrées dans le paysage, des ouvertures.

Dans beaucoup des encres, il y a des espaces blancs, très blancs. Du vide, ce vide qui permet de respirer, de s’installer, de s’élargir, de se calmer, de s’inviter à être. Ils sont nécessaires à l’ensemble visuel assurément et ils disent aussi de moi ce que je ne peux presque plus dire en mots. Ils portent ma poésie en silence. Dans ces blancs, je pourrais écrire des poèmes comme je l’ai fait en Corée mais non : j’ai moins de mots dans ma tête, ma poésie se montre ainsi maintenant. Elle s’est transformée.

Les encres ne m’empêchent pas d’écrire. Rien n’est incompatible bien sûr : elles montrent délicatement et suivre leur mouvement me complète et me comble. Chacun peut-être pourrait trouver ou écrire dans ces vides ses propres mots de silence, de subtilité, ces mots si fins qu’ils ne peuvent être prononcés, ni même conçus peut-être.

Voilà où se passent les heures de pas mal de mes soirées, jusqu’à ce que piquent trop mes yeux, et que j’aie abouti à un équilibre satisfaisant me permettant d’aller dormir. Le lendemain, mon premier élan est de venir voir ma création de la veille. M’apparait alors avec évidence, le minuscule endroit à retoucher, la tache à prolonger, l’ajustement.

J’appose enfin au verso mon sceau à l’encre rouge (Simplement mon nom Roselyne Sibille, en alphabet coréen). Ce nouveau Paysage intérieur va rejoindre une enveloppe sur laquelle est inscrit le nom de la série. Ou bien elle nécessite une enveloppe supplémentaire parce qu’une nouvelle série se dessine.

Mes mots muets se concentrent dans les titres de ces séries. Ainsi existent déjà (outre L’épais des forêts) :

 

En ciels fins se rêvent les collines au loin
Pour les sombres lueurs
Dans le silence des pierres blanches
Frôle un souffle d’étoiles 
Au milieu des vagues
Des chants pour les trois montagnes
La terre lèche l’eau, ses risées, ses échos
Loin là 
Cheminant
Aux libellules bleues
Voyage dans le monde des rivières
A l’écoute
Et les oiseaux jouent dans le vent
Au-delà des monts visibles

 

Certaines des encres créées en Corée et le premier petit triptyque ont été exposés dans la magnifique salle patrimoniale de la Bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer, dans le Pas de Calais, où j’étais invitée en résidence pour le Printemps des Poètes en mars 2019. D’autres expositions sont à venir. J’en suis la première étonnée ! Ma poésie a changé de forme, elle laisse plus de place à mon silence, au souffle du vide médiancomme disent les taoïstes.

 

Roselyne

31 janvier 2020

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Magda Igyarto, Elle attend et autres poèmes

Elle attend

 

Elle attend                                                                                               
le front brûlant à la fenêtre 
le froid  glacé apaise la fièvre

 Hurler
comme la bête qui sent venir la mort
pleurer
comme l’enfant apeuré que l’amour seul peut apaiser 

 Insondable  fragilité                                                               
lorsque les heures comptent double     
chaque jour jeté sur elle l’ensevelit                     
le ciel noyé dans ses larmes 

 Dans la prison de la souffrance                                                      
elle choisit la lutte         
celle de David contre Goliath 
celle du pot de terre contre le pot  de fer

 Son arme                                                                                       
une écriture qui blessera comme les épines 
une écriture brûlante  qui dénoncera 
qui accusera qui réveillera les consciences 

 Les mots  accumulés en lignes  droites                       
serrées les unes contre les autres                                       
seront leurs barbelés                       
les barreaux de leur prison 

Au bord de son temps compté                                                                
au-dessus du vide de sa jeunesse   
sa mort la privera du sourire 
d’avoir  gagné son combat

 

Magda Igyarto, « Des graines germeront sur leurs pas », éd.le petit Véhicule, 2017

 

 

 

A Rosa Parks

                                          

Vie-mémoire  d’un passé-misère                                         
d’un passé-poussière                   
Des ruisseaux de larmes déferlent 
sur les dos voûtés de honte                                           
ravivent la mémoire-ancêtre 
d’un exil sombre 

Sa vie  éclat d’une mémoire                                
blessure dans son âme                     
creuse sa chair brûlant sa peau d’ébène     
Son regard fier transfigure la nuit en aurore 
défie des siècles injustes où les lanières                                             
des fouets pliaient la volonté des siens

 Du refus d’obéir sourd  une eau douce                             
sur les braises incandescentes                       
Son refus enflamme déjà demain 
fissure en tessons de lumière  l’enfer et la haine 
chante la dignité retrouvée des siens debout   

 

Dans  les sentiers  de cendre elle dresse                                           
sa force tranquille face au pouvoir indigne                       
soulève une brise légère bientôt houle tempête 
ouvrant toutes grandes les portes  de l’espoir     

 

 Magda Igyarto, inédit 2018

 

 

 

Un chant se lève 

Un chant se lève en elle
son corps en pur espace
d’une résonance translucide

 Son corps s’ouvre à une vibration                                                                        
 qui la traverse

 Un chant de louve solitaire
aujourd’hui apprivoisé
qui vibre tourbillonne
dans toutes ses cellules 

Un chant qui la bouleverse
s’élève comme un solei
dans une aube d’une transparence 
infinie absolue

Elle se présente au monde

Pleinement présente dans sa conscience
tous les sens aiguisés 
par ce chant qui monte en elle 
l’inonde tout entière

 la relie à sa dimension de femme
à hauteur de son cœur

lumineuse sous ses paupières

nouvelle
vivifiée
transfigurée par ce chant 
aux vibrations inconnues

Le chant de son corps de femme

 

Elle porte l’enfant de leur amour 

                               

Magda Igyarto, « Amour de sel et de sang », inédit, 2018

 

 

 

 

 

Je  t’attendais      

                                                                                                             à Iléana

Je t’attendais comme l’assoiffé espère le verre d’eau
sous un soleil torride
comme l’affamé dévore des yeux la main
qui lui tend le pain

Je t’attendais comme l’égaré  attend le jour
pour retrouver son chemin
comme l’esseulé le cœur en loques et en misère se surprend à rire 
quand un rayon d’amour lui ouvre les paupières

Je t’attendais comme le paysan scrute l’horizon brûlant
quand son blé doit mûrir et que la pluie
tarde à abreuver son champ

Je t’attendais le long des routes des mois d’ombre
quand  l’espoir tarde à pousser le portail
de la joie le long des journées en ronde solitaire
où le temps accrochait en berne la lumière

Je t’attendais sans reconnaître l’attente
comment peut-on projeter l’arrivée
d’un nouvel être passante des heures à vivre
dans ce que la vie m’offrait comme plat du jour

Ta naissance a repoussé au dehors de la mémoire
les fenêtres fermées les stores baissés les lanternes éteintes
Tu as rallumé  un à un les réverbères des rues désertées
par l’espoir pour les illuminer de tes babils
de tes sourires de ta force de vie

Toute ma ville intérieure s’en trouve 
étrangement rafraîchie par une brise 
qui chante en plein mois de mai l’arrivée du printemps
Tu me surprends à rire un peu folle enivrée
par cette joie immense du cadeau de la vie 
qui pousse dans mon jardin tout à coup si tendre
si plein de cette belle lumière magique qu’apporte toute naissance

 

Magda Igyarto, Sens à vif, éd. La Bartavelle, 2013

 

 

 

 

Transformation alchimique

 

Impossible d’exprimer en mots tant de maux

Où l’esprit égaré allait à vau l’eau

L’habituel a sombré brutalement

De ce naufrage naît un jour nouveau

 Une nouvelle avidité de vivre s’engouffre 

Dans le cœur dans les os

Une perception de tout le vivant 

Dans son essence

Un frémissement d’une joie subtile

La vibration profonde de la vie

 

Le moindre souffle de vent

La moindre pluie

Le moindre rayon de soleil

Bouleversent mon âme

Qui s’émerveille encore et encore

Comme si elle découvrait le connu et l’inconnu

D’un regard neuf d’un regard d’enfant

Eblouissement permanent

Qui palpite autour de moi et en moi

Rosée de l’amour qui nourrit chaque jour

  

Le tourbillon de la vie extérieure

Avec ses élans ses espoirs ses misères

M’atteignent sans me submerger

 

D’avoir perdu la chair de ma chair

D’avoir souffert de ne rien pouvoir faire

Pour aider ceux qui me sont chers

A mis de la distance une réelle distance

Avec l’absurdité du monde

Ses folies ses apparences

Sa vanité ses incohérences

 

 

Après la souffrance l’apaisement

Non une résignation douloureuse

Mais la foi sereine en l’existence d’une vie après la vie

 

La certitude que l’amour ne périt jamais

Que les êtres aimés continuent à vivre 

En nous avec nous au - delà de la mort

 

Que la meilleure manière d’apprivoiser la mort

Est d’en faire une amie

 Et surtout

Que la meilleure façon d’apprivoiser la mort

Est de vivre tout tout de la vie

De la boire jusqu’à la lie

Comme un merveilleux présent

Qui se répète chaque jour

 

                                    Magda Igyarto, Abrasement et Transparence, éd. Baudelaire, 2011

 

 

Les fusains sont extraits du recueil Cris de Femmes paru en 2014.




Ile Eniger, Solaire, extraits

 

Orage sec, on entend l'été armer ses fusils. Les cuivres du soleil martèlent les heures jusqu'au blanc des façades. C'est encore le temps des cerises dans les mémoires printanières que déjà, gorge dure tendue, la terre craquelle sous la charge de juillet. Un plomb incandescent dessèche ses crevasses. Chaque tonnerre sans eau plisse davantage les sols. Haletantes, des bouches de soif vident les sources. Les portes des granges sont ouvertes, les bêtes en alpages, les mouches abandonnées dans l'air poussiéreux. Aux remblais faméliques, s'affaisse le jaune étique des herbes altérées. Les cigales psalmodient au brasier de midi et dans le mûr des blés quelques coquelicots exaltent la récolte. Ici, ailleurs, partout, la vie respire à petits coups, pendue au clou brûlant de la forge estivale.

 

∗∗∗

 

Un jour je suis entrée dans la maison de ton nom, c'était l'exact de ce que j'attendais. J'y suis restée et plus jamais je n'ai eu froid et plus jamais je n'ai eu peur. Qu'on ne me parle pas de cage, il s'agit là de la plus haute, de la plus absolue des libertés.

∗∗∗

 

Des traces de mots sur la neige de papier. Un chant d'alouette dans la gorge. Des miettes de paix sur le fracas des hommes. L'eau, le sel, le pain. Et même si le fer-blanc du jour fait muraille, même si la terre crevasse, même si les mains rident comme arbres d'hiver, nous sommes ceux qui ont marché pour ceux qui marcheront. Nous sommes le chemin qui porte. L'avant, l'après, pendant, autour, tout, rien, jamais, toujours. Irrationnels, réels, nous sommes le chaos, l'incertitude, et surtout l'immortel espoir. Enfants et frères du vivant toutes formes confondues, nous sommes l'appel et la présence. Et quand la houe du vivre laboure nos passages pour je ne sais quelle moisson, encore nous sommes le possible amour.

∗∗∗

 

Terre de septembre, ma Mère, comme toi je suis des derniers fruits et des guerets sanguins. Comme toi, je protège la parole donnée et la graine à venir. Au soir de lune orange sur le portant de vignes, au portail de l'ultime saison, je sais les mots de feu et les pas qui inventent la route. Des sols charnus jusques aux cimes, j'accueille tes éléments, ta généreuse constance. Dans la coupe des mains, je bois à ton exactitude. Des crinières d'arbres aux persévérances d'herbes, je chevauche tes traces avec les plumes d'ange et les abeilles en miel. Je ne cèderai rien aux dormances d'hiver, je les traverserai, riche de tes promesses. Et c'est debout, en lumière montante, que je l'écris à l'encre rouge au mordant d'un ciel qui s'embrase : solaire, je suis légitime d'aimance.

 

Extraits de Solaire – Éditions Chemins de Plume

Présentation de l’auteur




Louise Brun, HURLE le ciel

 Présentation :

Ces quatre poèmes ont été écrits à des moments différents, sans lien particulier entre eux, tout au moins a priori. Les réunir ici est pour moi l’occasion d’en percevoir les résonnances et les vibrations communes, leurs communautés d’espace.

 

 

 

 

 Lieu Non Lieu (Vide)

 

On dirait que quelque chose

 

Cette nuit

              (Une nuit, cette nuit-

               Là)

 

S’est produit au plus intime

            De l’inconnu

 

Au plus secret

De ma nuit

 

(ou de l’ombre, qui bascule, cristalline, nuit lumineuse et cristalline, qui bascule, lieu invisible pourtant, presque indicible, d’où émerge l’image de ces parois de verre miroitantes à n’en plus finir, miroitantes à n’en plus finir,  fragile château de verre sans aucune

 

Image

Où seuls les reflets se reflètent,

A l’infini ou

à en perdre la

raison)

 

 

On dirait que quelque chose

 

S’est produit,

Est revenu, oui,

Revenu

Revenu de plus loin encore, (mais d’où ? Où ? Où seulement se répète l’écho des lieux)

 

 

Quelque chose d’un lointain sommeil réveillant un autre sommeil

 

                                        Sommeil à l’intérieur d’un sommeil lourd, presque figé

 

 

Oui, on dirait que quelque chose (de si longtemps éteint, ou étouffé)

S’est réveillé,

                  A fait

                         signe

 

                                         //déplaçant à peine une frontière de soi

                                        à soi, mais suffisamment pour que

                                        quelque chose

                                        imperceptiblement

                                       s’émeuve

 

 

D’un sommeil presque inaccessible ou

Dangereux

Là où le corps commence généralement

A se

 

tordre 

 

Quelque chose, pourtant, sans que l’on sache quoi

                      Exactement/. Quelque chose d’un lieu vide, ou écho vague d’un « non-lieu » ? Echo de
                      ce qui a toujours manqué, n’a pas eu lieu 
                                                     N’a pas

 

Eté. Eté. Eté.

 

Non

                                     Lieu

                                                  D’un lieu en soi, qu’on ne soupçonnait peut-être

                                                                                                                                 Même

                                                                                                                                                Pas

 

 

Et qui pourtant n’en finit plus désormais d’égrener des

                                     Perles

                                              De

                                                                  Vie

                                                                                 Ou d’Eros

 

 

Dans le jour, la nuit aussi. A peine plus perceptible que le très léger mouvement d’un corps

Endormi, rêvant  …à quoi ?

 

La fin d’un rêve, peut-être

 

La fin d’un rêve de rêve

              De mort, oui, c’est comme se sortir au réveil du rêve d’un rêve qui ne nous
              appartient pas
              Totalement, et convenir que celui-ci
                                                                          Semble

 

 

 

                       

Aboli (et de nouveau l’espace est rempli de vibrations, de sons, de sens)
                         Aboli, (évanoui plutôt qu’effacé,
                         Aboli, abolissant presque par
                         Hasard
                         Tout sentiment de
                        Vanité, leurre du 
                        Rêve, d’un rêve
                        De mort

 

 

                       - Qui ne lui appartenait pas tout à fait

 

 

                                                                                                                                               et où régnait

Un espace de terreur
intérieure presque sans

 

Limites, presque
Sans

 

 

 

                      Submersions 

                                  Possibles 

                       Sans possible

                                   Subversion

 

 

 

Lieu non lieu//de toutes les érosions//Possibles//De toutes les brûlures//Incandescentes
Et dérisoires,

                                 Incandescences (ou bien, rien

 

                                Le vide, vide)

 

 

 

 

 

 

On dirait que quelque chose s’est produit réinventant

                                                                                    Le jour, ou bien rendant incontestablement le jour

 

                                                                                                                                                                                          A la nuit

 

 

Là où depuis si longtemps la nuit se tenait retenue par

Le jour

 

Coite et prisonnière, sans plus de
Respiration (et ces images de corps attaqués à coups de becs
d’oiseaux, ces images crues et violentes où les corps étaient si
violemment attaqués et déchirés, les chairs dévorées ou brûlées,
images elles-mêmes dévorantes, comme vouées à disparaître,
surgissant pourtant de nulle part, avant ou après l’effacement de
la possibilité même
Des images,  ne pouvant auparavant être
Retenues (la mémoire, non, ne voulait pas, rien en soi, voulait,
ne pouvait
Supporter cela), ou ne serait-ce qu’avouées, ou vues…et qui
filaient dans le fatras de ce qui/file (lc corps qui dort, et se tord)

 

Images alors vouées à disparaître (comme à retenir ce qui d’Eros…ne pouvait
Vivre ? )

 

                                    Et assombrissaient

                                                              Le jour

 

 

 

Mais commencer à distinguer, à

Reconnaître, ce qui pourtant

Commençait à se

 

                             Figer

 

Et commencer à

 

                           imaginer

 

Ce qui ne cesse de filer, Ne cesse de filer//la nuit, ce qui ne cesse de

tisser

Ne cesse de tisser, figée, une

nuit et/ou l’image d’une

nuit

de plus en plus

oppressante,

 

 

Qui ne cesse de tisser le vide qui emprisonne, dans ce lieu

                                                                                                                Non

                                                                                                                         Lieu

                                                                                                                         Ce lieu qui n’existe que

                                                                                                                         De ne pas

 

                                                                                                                         Exister

 

 

Sommeil dans le sommeil

                                    Là où quelque chose

                                                              Précisément là où

 

 

Quelque chose

Vient de

 

 

 

                                           bouger, émouvoir, s’émouvoir, changer (ainsi faut-il parfois imaginer le
                                           long processus de transformation, métamorphose, du corps et de la chair
                                           dans ce lent
                                           Sommeil, le fil qu’il faut tirer d’un amas de fils et autres lieux

 

 

 

Dans le

Sommeil

Du sommeil

Où je ne dors

 

 

 

plus) 

 

 

Mais où commencent

 

                                          A apparaître

 

 

                                                                                          Des signes, et encore

Imaginer grâce aux instants peut-être, ou moments où

 

En

          Ce lieu

                     Vide de tout lieu

                                Vide

 

Se sont posés

Des regards

Presque à l’insu

De//

Soi

 

///

Donnant forme

Ou existence

A ce

non

Lieu

Lieu

Là où le vide

Envahissait

Les

Corps

Devenus presque

Pierres

 

Là où les mots résonnaient presque

Pierres

 

 

 

Et enfin dans le ciel,

ces battements d’ailes, ou les oiseaux de nuit aux becs aiguisés devenus

Doux,

chassant eux-mêmes les rêves de mort les plus

ancrés,

 

les plus

brûlants (de ceux qui brûlent le corps à l’intérieur

 

Du

                         Corps

                                           Dans le    

                                                          non

                                                          Lieu

                                                          Non

                                                          Vide

 

//les plus brûlants

 

Ceux qui dévastent, tourmentent et font se tordre les corps de (presque) pierre brûlants de

fièvre, lorsque la bouche asséchée de mots ne peut plus boire l’eau qui voudrait dire, redire
encore, prononcer,                                   et se perd

                                                                                       dans les méandres du sommeil

                                                                                                  du

                                                                                                           sommeil 

 

 

Pour finalement se réveiller de ce sommeil

(presque) létal pour,

 

dans le sommeil même 

 

Retrouver un Désir d’être

                                              Au plus profond

                                                         De Soi

 

Se tenir là, devant soi, s’apercevoir

                       Que le corps

                                   Tient,

                                               Vit,

 

 

Dans la légère

Et précise

Incidence

D’un regard

 

 

Présentation de l’auteur




Franco Costantini, Contretemps, extraits

Un cimetière
comme lieu de rencontre
pour satyres et naufragées.
Nous pourrions y voir animaux d’autres
temps
comme oursins, abeilles et lucioles.

Du lac s’élèvent
les cloches qui appellent à la guerre
les chiens le savent
et hurlent de terreur
mais vaches et lézards nocturnes
ne sourcillent même pas,
il leur suffit d’une lumière
pour pouvoir se regarder,
ils savent attendre,
le silence n’est qu’une obscurité acoustique,
l’attente une obscurité du temps;

           comme les poissons insomniaques,
me trahissent les cercles concentriques
que peut-être tu seule peux voir
du haut lointain où tu te trouves,
allongée sur la ligne directrice d’un été
qui se perpétue ultime.

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

Mourir et puis renaître
et puis mourir encore
et ne renaître plus.
Aller d’îlot en îlot
sans se soucier du vent et de l’essence
sans se gâcher le corps
s’endormir dans les rochers;
si j’étais femme ou herbe au moins
mais au fond
être homme n’est qu’une intermittence,
je vais me coucher avec les héros
et le temps ne me servira.

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

Aujourd’hui aussi ne finira jamais,
il devra bien continuer quelque part,
le travail des instants ne peut pas
le détromper.
La terreur des rues boisées
carrefour et phénotype de l’attente,
perdure pendant la nuit,
inaperçue.

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

J’ai rêvé une fois
que la forêt de Nara brûlait;
il faudra que j’en écrive un jour.
Le silence du feu
la nuit
ne creusait dans le ciel
plus d’espace qu’il ne lui fallût.
Les temples étaient vides.

                      Les daims fuyaient les flammes,
sans trop de conviction et l’herbe
n’était pas touchée.
C’était un feu qui bouillait;
l’oxygène brûlait
gaiement, sans réserves
et l’obscurité
cherchant à étouffer l’incendie
ne laissait à l’enthousiasme de la lumière
que des fuites horizontales.
Le pacte conclu,
l’homme était absent.

                     Sans propagation, créé et inextinguible,
l’élément du feu
occupait la place
entre le toit étanche de la nuit
et la terre noire.
Seuls les arbres,
ayant abandonné leur traditionnelle pudeur,
semblaient avoir compris la situation.
Changés en lanternes
ils assumaient l’office des verbes.
A l’horreur des bêtes ils opposaient
le sens ultime de leur résignation.

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

La stratégie attentiste
a massacré nos rêves.
Mais l’accélération
suit des rythmes non humains.
Ne dépaysons les oiseaux plus que ça
déjà ils ne savent pas
où dépenser l’été qui nous reste.
Les pirates dégainent leur sabre du regard,
par leurs yeux nous sommes poussés
à parcourir la passerelle
et dans le bleu
les essaims des squales n’attendent que nous.

 

 

 




Richard Taillefer, Nous avons fait semblant et autres poèmes

 

Nous avons fait semblant d'être vivants. Nous nous sommes levés chaque matin avant l’aube. Toujours la même usine, par le même chemin. La porte de service, avant qu'elle ne se ferme.

À peine quelques mots. Le café a bon goût pour nous donner du jus. Parfois on souffre de savoir que la vie se poursuit. Cette angoisse qui vous prend à la gorge.

 Pouvoir en rire effrontément.

On s'évade alors dans des rêves que l'on sait impossibles. Singapour au petit jour. La couleur vert émeraude, de l'eau glacée des gorges du Verdon. On n'ose le corail des Maldives, ni Zanzibar au soleil en plein mois de juillet.

Ce soir, nous retrouverons notre pavillon de banlieue
et le jardin clos.

 Une parcelle de nous de toi et de moi !
En jachère d'horizon et de lumière

Richard Taillefer. Nous avons fait semblant.

 

∗∗∗∗∗∗

Marche à vue

Tu marches à vue depuis trop longtemps, le long de cette voie de chemin de fer, entre Charenton et Laroche-Migennes. Isolé dans la cabine de ta Loc. BB 8100 années 60.
Tu fais front avec les éléments extérieurs. En manque de puissance pour tirer le fardeau d'un patachon bien trop lourd. Surcharge inopinée qui dévaste ton crâne en rupture de toutes ces petites choses qui partent à la dérive.

Ce train-train de la vie
Qui te poursuit sans relâche.
Instants de solitude, à broyer du noir.

Ta main arrimée au manche d'un H7A foudroyant, rythmé par les échappements d'air comprimé à te crever les tympans.

Tu refoules en aveugle, manœuvres à contre-sens sur des aiguillages imaginaires, de gare en gare, de faisceaux en faisceaux improbables.

Tu finiras bien au bout de la nuit cet itinéraire sans horaire programmé par acheminer ton MA 80 au port de tes intempéries

 Parfois je pense à toi que je retrouverai à mon retour.
Un soir ou un matin comme tous les autres
Le café encore chaud sur la table de la cuisine.
Un post-it collé sur la porte du frigidaire.

 À demain peut-être !

Richard Taillefer. Marche à vue.

 

∗∗∗∗∗∗

 

Tu seras là

Tu seras toujours là. J’attendrai en vain ton retour qui ne viendra pas. Les armes se tairont. Demain naîtra un jour nouveau.

 Maintenant mon sac est léger.
J’emporte avec-moi ton visage
Qui jamais ne s’efface.

Je vous ai tant aimées, Ô Lili, Ô Marlène, Ô Lydia Lova, ma mère, toi la belle polonaise. Trop tôt disparue. Toi la résistante, capturée et envoyée au camp de Ravensbrück, brisée par la folie des hommes, de cet homme, "Le docteur Hans Gerhart", ce médecin boucher, ce clinicien de la mort programmée.

 « We will create a world for two ».

Je me souviens de cette loge des Folies Bergères où gamin pas plus haut que trois pommes, je gambadais au milieu des filles magiques au corps nu et toi tu dansais, dansais sur la scène de la rue Richer.
La vieille lanterne s’allume encore et m’accompagne par tous les chemins de galère. Le mur qui nous séparait les uns des autres est tombé.
Oubliés « la femme des ruines », l’enfant orphelin livré à lui-même, la faim sur les os, abandonné comme un chien.

Dans le brouhaha de Berlin
S’élève un impossible rêve.

Blücherplatz, de jeunes gens colorés, défilent tout le long d'un immense carnaval des Cultures underground.
Entends-tu, depuis ton drôle de vélocipède, cette musique Pop/Techno parade et cette folle clameur des marteaux piqueurs, bramer un air fragile de liberté ?

« Notre part de nuit nous égare parfois. »
La mémoire n’est pas qu’un détail.

Richard Taillefer. Tu seras là.

 

∗∗∗∗∗∗

Que vienne la pluie

Que vienne la pluie cogner aux carreaux de nos silences ! La nuit contre le jour dans la prophétie des ombres.

La sale poussière grise a recouvert les siècles de ses drames. De blancs ossements parsèment encore les camps de la mémoire.

On dit : « Voilà le printemps » ! Souviens-toi, nous étions hier de jeunes gens, les yeux ouverts sur les autres. Jeunesse, retrouvez vos couleurs. Fuyez le matin les tigresses féroces, fuyez le soir les énormes serpents.

Ils aiguisent leurs dents
Pour vous sucer le sang.

 Document officiel en main, ils crient " il faut les rejeter à la mer". A cette pensée, la honte me monte au front.

Plus je les sens forts, plus mes poings se serrent. Le sentier aux monstres simples et triomphants est recouvert de mousse brune.

Où sont ces papillons
Qui habitaient nos rêves ?

 

Richard Taillefer. Que vienne la pluie.

 

 

 

 

 

 

 

∗∗∗∗∗∗

Il y avait bien une gare.

Il y avait bien une gare. Une femme, seule au milieu de nulle part. Sans rien dire, sans penser, dans le silence de la nuit, elle erre poussant un caddie rempli du peu de chose qu’il lui reste. Un survêt usagé, rouge et noir, une paire de baskets Adidas trouvée dans une décharge de la rue de Charenton.

Les trains, elle les voit partir et s’éloigner emportant ses rêves d’autrefois. Elle était venue d’Afrique pour découvrir Paris et ressentir un air de liberté. Comme toutes les mères du monde, elle a versé toutes ses larmes quand son enfant dans un trou fut jeté comme un chien.

Vers deux heures du matin, les agents de surveillance de la SNCF fermeront les grilles d’accès de la gare, comme tous les jours, elle échangera quelques mots plein de gentillesse avec les vigiles au corps taillé dans le marbre. Sa nuit, elle la passera par un allez retour, d’un terminus à l’autre, sur le siège d’un bus, sous le regard protecteur du conducteur de la RATP.

Ainsi va sa vie, dès l’aube vers les 5 heures elle retrouvera le hall de la gare de l’Est. Son petit univers à elle, comme elle dit.

 Avec ce sourire qui ne la quitte jamais et qui vous traverse de part en part, ce qui nous reste d’humanité.

 

 Richard Taillefer. Il y avait bien une gare.

 

Présentation de l’auteur




Mokhtar El Amraoui, Nos morts et autres poèmes

Nos morts aussi ont leurs caprices,
Quand ils explosent les miroirs
Et circulent dans les veines
De nos eaux et feux !
Leur air emprunte sa musique
A la composition d’un ciel porté
Par leurs épaules qui tracent encore
Une géométrie d’herbes et de rencontres.
A certaines heures calcinées,
La mémoire sait aussi taire
Ses inutiles clameurs pour leur ouvrir,
En douce discrétion, d’autres portes.
Et débute, à rebours, le cri des pas
Dansant le feu et les coeurs
De leurs photos offertes à nos soirées !

 

 

∗∗∗∗∗∗

II/ Ailes de fantômes

Comment encore la dire, elle,
L’absente  lettre
Ou danse des lèvres
Des mots suspendus
A tes yeux sonores ?
Ils culbutent ma transe.

Un silex, oui, de déroute,
C’est-à-dire de retrouvailles !
Je n’attendais de toi
Que cette main tendue
Regardée en nos éveils !
Ton hier, quand tu étais vêtue d’étoiles vertes.
Tes yeux me rêvaient, dans mon silence,
Comme des feuilles de citronnier
L’or d’un ciel visage
Te disant sur le rivage d’autres quais.
Cri de précipices !

Tu rends hommage à l’hirondelle
Qui t’a poinçonnée le sein en masques d’adieux.

Prendre juste un mot
Puis descendre, avec, dans le puits
De chaque lettre et venir
A l’ombre de ses fugues, tes fulgurances !

Les sourires de ton regard,
Quand tu m’aimes, mort bleue !
Comme le rire de cette  impossibilité,
Note distance calculée en caresses
Chaussée de souvenirs
Et ailes de fantômes !

 

 

 

∗∗∗∗∗∗

III/  Images sans contes

Le pollen électrique
Charme la musique stellaire de mon sang.
Il offre ses portées
Aux artères mortes de la ville.
Le cadavre du chat
Et les deux bras de la poupée
Pourrissent dans la canicule du port.
Les plus vieux des pêcheurs
N’ont plus rien à raconter.
Ils regardent la télé.

 

∗∗∗∗∗∗

IV/  Sur le parchemin d’une route 

J’irai, au zénith, 
Redonner mes cendres aux mots, 
Lorsque la fleur sautera 
Sur la fosse aux cris morts. 
J’irai déplier le ciel de ma voix, 
Pour la faire trembler
A l’étendard encore glissant 
De la lumière assoiffée, 
Sur le parchemin d’une route 
S’ouvrant en épines 
Brûlant de questions, 
Entre naissances et agonies, 
Entre regards et déroutes. 
J’irai, sur la rive, 
Regarder ma tombée 
Qui t’a effleurée de mes nuits, 
Qui m’a dit en attentes 
Baignant dans les yeux d’encres 
De mes rêves déchirés !

 

∗∗∗∗∗∗

V/ Aux mâts des silences

Assourdissants cris de la feuille
comme un aboiement d’errance
dans les veines de l’oubli

Rives d’échos et d’appels vains

Le géomètre a la soif de l’arbre
son sein
et des jours d’attentes trompeuses

Le phare gris rêvera encore
le salut d’un retour
ou le rire d’un éclair suspendu
aux mâts des silences

 

Mokhtar El Amraoui lisant son poème Sur le parchemin d'une route.

Présentation de l’auteur




Ar Guens, En guise de biographie et Décor d’intérieur

En guise de biographie

 

Île ivre de lucidité, je suis des nuits d’alcool avec des yeux qui flottent dans un bain d’acide. 
Quand je ne suis pas en cause, je suis en crise…Voilà mon âge qui prend la forme d’un cri archivé dans la cendre quand j’allume une ride flambant neuve. En moi demeurent des larmes incisées par des pluies de météores. Mouillé jusqu’aux trous de mes cratères, mes yeux sans semelle préfèrent marcher dans nuits brisées à chaque orteil. Je n’ai pas de lieu de naissance de résidence mais de dissidence. Plaies des autres, chaque jour est une lutte sans merci et je contemple les étoiles qui tombent dans des puits d’histoires par quête d’anonymat.
Chaque jour, l’océan s’approche de mes villes bleutées endormies au milieu de deux  vils naufrages qui se frottent les yeux au fond des mers. Esclave de cette beauté-là, seules les chaînes témoignent de notre liberté quand on les a brisées. 

 

Décor d’intérieur

 

chemise de nuit
criblée de boutons d’étoiles
regard
assis sur un lit de solitude
cœur
dans de beaux draps

mes os
grains de beauté sur le visage de la terre
semés dans la laideur des fissures

souvenirs
tas de tôle froissée
passés à la casse de l’enfance

du dedans
mourir pour revenir sur ses pas
ainsi mon souffle prend forme
dans l’argile môle d’inattendue
sculpté
à l’effigie des tourments

 

 

Présentation de l’auteur