Narki Nal, Une femme

Chamane

     Le tambour comme un cœur
Fermer les yeux
Être arbre et pierre à lichen
Puis se laisser partir
Rencontrer bêtes et gens
Humains à tête de loup
     Le tambour comme un coeur
Alors devenir louve…
Courir à travers bois sans même toucher le sol
Ne pas redouter les griffures des branches
Vent ondulant les poils
Rencontrer la meute
     Le tambour comme un cœur
Courir sans perdre haleine jusqu’à cette falaise
Surplomber le fracas 
Respirer… Respirer 
Sauter
Être cascade et lac tranquille
     Le tambour comme un cœur
Miroiter
Nager nager nager
Se perdre à l'improbable frontière entre ciel et eau
Flotter dans l'air au-dessus
Un instant
Dans l’espace courbe d’après l’horizon…
Plonger 

 

***

La chaleur dis-tu ?

La chaleur blanche fait vibrer l’air
Ma vision se perd
Le sentier raide devient alors chemin buissonnier
Si bien que mes pas hésitent puis lévitent sur place
Comme le vol d’une libellule
            Reprennent
Je marche cherchant l’ombre vraie du végétal
Celle qui sent l’odeur de feuille froissée
                               J’ai espoir en cette beauté

Ailleurs
La chaleur blanche emprisonne la ville
La compresse exprimant un jus de poisse
Seule l’odeur miellée des tilleuls en fleurs
Me parle de la puissante fragilité de la vie
Je sens la menace chimique qui s’insinue
Mais les volutes de miel gagnent encore
Et parlent à mon cerveau d’une autre cité
Quelque part possible mais introuvable
J’ai peur en cette absence

La chaleur ne masque jamais le froid intérieur
Affrontement si peu original du dehors dedans
Notre lot humain d’incertitude
Notre fardeau magnifique d’être sensible pensant.

 

***

Mycélium

Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie

Je suis Ophélie au fil de l’eau
Vous êtes sur les berges endormies de brume
Où les hautes herbes traversées de vent
ondulent leur caresse
Je passe, je vous vois, vous êtes mon passé
Mon passé qui me regarde sans me voir
Mon passé qui défile comme je vais au fil de l’eau
Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie.

Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue

L’envie de le toucher qui monte puis vole en éclats
Le baiser qui s’approche et qui devient morsure
Ce désir inconstant comme les herbes aux saisons
Cette brûlure qui se glace. Lumière blanche.
Lumière difractée. Fraction du temps. Lame miroir
Éblouissement bref de la rétine. Vois ma vie.
Bobine dévidée. Poitrine évidée.
Sanglot du sang qui afflue…  Pour rien.
Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue.

Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Écrire est une nuit. Mes pas dans cette nuit profonde.
Vertige.Tige de feu. Pensée morbide.Taire. Se taire.
Mycélium de pourriture répandu en soi, en silence.
Lancinant ce bruit sans bruit. Bouffée-désir de l’explosion.
Ma tête qui explose. Éclaboussures d’os brisés.
Mais où est le cerveau ? Dissous.
Violence du refus muet. Dernier voyage.
Le mycélium de pourriture gagne. Cerveau dix sous. Cerveau rien.
Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Je ne suis plus qu’une enveloppe.

 

***

Entre elle et moi

Je marche
Elle marche
Elle marche
à mes côtés
Je ne veux pas la regarder
Je ne peux pas la regarder

Miroir
Le problème est le miroir
Devant le miroir
Le double apparaît
Le regard
Effroi Mon regard s’est vidé de moi

Le miroir me donne à voir        
MOI
Avec à l’intérieur de moi   
une AUTRE…

C’est là dans ce regard symétrique
Que je rencontre l’étrangère
L’échange aggrave l’effet l’altérité
Ce que j’y lis me bouleverse
Une part enfuie de moi, perdue ?
Je la toise, l’Autre, je me fais forte

Je suis dans un espace-temps étrange
ENTRE ELLE ET MOI
Elle étant moi quand même…
Je suis vacillante sur une route improbable
Entre deux mondes, un ancien, un nouveau
Et dans cet entre-deux je voudrais remonter mon temps
Je cherche la machine miraculeuse
…En vain
Peur du regard de l’étrangère dans le miroir
La peur aggrave le désarroi
Et mon corps oscille voulant choisir sa tête…
Vertige. Combat muet

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Et ces aveugles autour de moi
Ne comprennent pas
Ne voient pas
Ne savent pas
Ne sentent pas
S’aperçoivent de rien
Vivent autre réalité

Je marche à leur côté
Mais un indicible nous sépare
Avec la discrétion de l’indicible
La ténuité de l’indicible
Le POIDS de l’indicible

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Pensées flottantes
Toute une vie à chercher le feu
Devenir feu
Mais ne brûle pas tout bois
Mais ne danse pas dans les flammes tout corps

La tiédeur me répugne
Comme la faculté d’oubli

Ne rien perdre
Ne rien oublier
Horreur des portes fermées telle une chatte

Or vous fermez vos portes
Vous déclarez « tout passe »
Vous cultivez l’oubli
Mais rien ne passe jamais

Je ne veux dissoudre ni mes douleurs ni mes joies
Ce que j’ai vécu est à son poste
Quelque part en mon cerveau dans une somnolence légère
Un rien le ranime et le transmet à mon cœur, à mon ventre
Et ma poitrine exulte ou s’écrase à ces souvenirs

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Un être vivant devrait se laisser traverser par ses émotions
Et non les tenir à l’écart
Pas de pilule à effacer les ressentis
Ne savent plus supporter leur vie
Appellent la chimie à leur secours
Ainsi sont morts avant la mort

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Pourvu que celle du miroir
Aux yeux d’absence
Ne fasse pas de moi une résignée
J’accepte la souffrance en la frottant au combat

je suis vivante
je suis vivante

Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Mais l’Autre m’accompagne
Elle m’épouvante

Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Je suis celle qui court
Pour perdre l’Autre moi

 

***

L’insoumise

Je suis-je suis une femme               
Un être maléfique                        
Un être puissant
Un être faible
Un être fort
Sanguinolent à la lune
Un être impur

Je suis-je suis une femme
Un être désirant
Un être mouillé
Un être muqueux
Je suis d’où vous êtes nés
Je suis un sexe troué
Je pue la mer
Je suis d’où vous venez

Je suis-je suis une femme
Je suis clitoris
Je suis orgasmique
Je suis désir
Je suis
Je suis trop

Vous voulez m’abaisser me réifier
M’infantiliser
Me modeler
M’exciser
Me dominer me prendre
Me tromper me laisser
Me souiller
M’humilier
Me violer me massacrer

Tous les dieux me détestent et me craignent

Je suis votre perte
Je suis votre salut
Je sais donner la vie
Vous pouvez me tuer
Mais pas me remplacer

Je ne me plierai pas  

Je suis-je suis une femme   
Je.

 

Présentation de l’auteur




Maria Luisa Vezzali, Versi di esperienza e di amnesia, Vers d’expérience et d’amnésie

 

                                                                                                        Traduction de Chantal Bizzini

 

del mondo

chini la testa per passare la porta e al di là della soglia il mondo respira
di visione, un’onda impaziente che trasporta gli odori delle case, umidità
ruggine, cenere, benzina, età che turbinano verso il bruno
gli occhi passano in volo le teste chine sui tavoli, la mano sul telefono
la sosta al bar a metà mattino, il freddo che canta, la pelle
che riflette l’assenza di un gesto
grumi di luce che tornano cose di luce in un sorriso mite
sotterraneo

 

du monde

tu penches la tête et passes la porte : au-delà du seuil, le monde respire
de visions, une onde impatiente qui charrie les odeurs des maisons, humidité
rouille, cendre, essence, âges qui tournent au brun
les yeux survolent les têtes penchées sur les tables, la main sur le téléphone
on s’arrête au bar dans la matinée, le froid chante, la peau
reflète l’absence de geste
des caillots de lumière deviennent formes de lumière d’un doux sourire
enfoui 

 

 

 

 

delle fondamenta

tutto cade nell’imbuto al suono disperso del gallo
diventa la misura della propria caduta
il meccanismo della propria struttura
giù verso l’alto
la macchina che gira nel labirinto
ha fondamenta di sudario
rotazione ciclopica su cardini di stelle
mantici che pompano costanza
dell’espansione e implosione che
custodisce
che lava

 

 

des fondations

 

tout tombe dans l’entonnoir au chant perdu du coq
devient la mesure de sa chute
le mécanisme de sa structure
du bas en haut
la machine qui tourne dans le labyrinthe
a des fondations de linceul
elle pivote, titanesque, sur les charnières des étoiles
ses soufflets pompent la constante
expansion et l’implosion
qui soutient
et qui lave

 

 

 

 

 

dello splendore

 

la luce procede verticale
ma nell’impatto irradia dalle mani
ti plasma sul palmo teso
nella nudità silenziosa
inghiotti dalla tua ebbrezza
la lezione della meraviglia
 

 

 

 

 

de la splendeur

 

la lumière tombe verticalement 
mais dans l’impact irradie des mains
te façonne sur la paume tendue
dans la nudité silencieuse
tu engloutis dans ton ivresse 
la leçon de la merveille

 

 

della vittoria

 

l’ultimo pasto lo consumi sul campo di battaglia
pesante di vite
nella mandorla del destino
la carne innocente si consuma
all’olio della fiaccola
quello che conquisti
lo porti inchiodato sul fianco
come una rosa nella cintura

 

 

de la victoire

 

l’ultime repas, tu le consommes sur le champ de bataille
lourd de vies
dans la mandorle du destin
la chair innocente se consomme
à l’huile du flambeau
ce que tu conquiers, 
tu le portes rivé au flanc
comme une rose à la ceinture

 

 

 

 

della bellezza

 

bellezza è quell’armonia dolcemente
crocefissa nel rilievo dell’onda
che riconosci come un luogo
frequentato a lungo in un passato
che non è nel tempo
ma sul tetto della piramide
sfinge scava senza fine nel petto
il pozzo del dono che non fa rumore

 

 

de la beauté

 

la beauté est cette harmonie crucifiée
doucement dans le relief de l’onde
que tu reconnais comme le lieu
longtemps fréquenté d’un passé
qui n’est pas dans le temps
mais sur le toit de la pyramide
le sphinx creuse sans fin dans la poitrine
le puits du don qui ne fait pas de bruit

 

 

della violenza

 

vieni, taglia il ramo che il germoglio non brucia
taglia la maniglia della porta, il raggio
della ruota che non gira, taglia
la strada che non sfiora le lontananze
vieni, taglia il vento che tossisce al buio, accendi
il sangue che s’imbarca  fischiando verso il danno
quello che può succedere succederà  per te
nelle cose vicine come nelle cose nascoste
e tu non saprai neppure quando, cosa
non saprai minimamente fino a dove, saprai solo
allo sportello della banca radicale
il valore di cambio del timore

 

 

 

de la violence

 

viens, coupe le rameau que le bourgeon ne brûle pas
coupe la poignée de la porte, le rayon
de la roue qui ne tourne pas, coupe
la route qui ne touche pas les lointains
viens, coupe le vent qui tousse dans le noir, enflamme
le sang qui s’embarque en sifflant contre la perte
celui qui peut arriver arrivera par toi
dans ce qui est proche comme dans ce qui est caché
et tu ne sauras ni quand, ni quoi
tu ne sauras pas jusqu’où, tu sauras seulement
au guichet de la banque radicale
la valeur d’échange de la peur

 

 

 

dell’amore

 

cadi qui
nel peso che non si può portare soli
nella sete che ti percorre la schiena
lasciandole in pegno due binari d’ustione
nel ventre che s’incurva
quando l’audio dell’esterno si spegne
e nel cerchio di caldo  è apparecchiato il letto
l’obbedienza stolida delle cellule
segue l’odore scuro che comanda sulla pelle
e tu non vedi che il tuo stordimento nel viso di fronte
sotto le palpebre la grana scarlatta
che è la coesione del sangue

 

 

de l’amour

 

tu tombes ici
sous le poids qui ne se peut porter seul
dans la soif qui te parcourt l’échine
laissant ce signe : deux rails de brûlure
sur ton ventre qui s’incurve
quand le son du dehors s’arrête
et que dans le cercle de chaleur est préparé le lit
l’obéissance vulnérable des cellules
suit l’odeur noire impérieuse sur la peau
et tu ne vois pas que ton vertige dans le visage en face
que sous les paupières le grain écarlate
est la coagulation du sang

 

 

 

 

della comprensione

 

alle domande non ti neghi
rispondi con il gesto
notturno delle spalle
con la piega degli occhi, il collo chino
la mano sul capo
poggi i piedi sull’orlo
di una rampa erta e dura
da cui salgono strisciando a labbra aperte
incisi dai giorni e dalle spine
sei la saliva nutriente che li bagna
sei la coppa di terra che li accoglie
prometti quel che c’è da piangere
sai che frutterà

 

de la compréhension

 

les questions, tu ne les refuses pas,
et réponds du geste
nocturne des épaules
du pli des yeux, le cou incliné
la main sur la tête,
tu poses les pieds sur le bord
d’une rampe raide et dure
de là, ils montent en rampant bouche ouverte
gravés des jours et des épines
tu es la salive nourricière qui les baigne,
la coupe de terre qui les accueille
et promets ce qu’il faudra pleurer,
sais ce qui fructifiera

 

 

 

 

 

della sapienza

torre fiorita nel deserto
preparami a
spegnimi
sembravi così in fondo, così
lontana
eppure, più vicino di me a me stessa, un respiro
si diffonde, produce la voce percepibile formata
di fuoco, acqua e respiro
che sono anche nord, sud ed oriente
sabato di pane, sono
calma
sono senza gola
esplosa d’alba
sono
la linea
della tua
ombra

 

de la sagesse

 

tour fleurie dans le désert
prépare-moi pour
éteins-moi
tu semblais si au fond, si
lointaine
et pourtant, plus proche de moi que moi-même, un souffle
se diffuse, produit la voix perceptible, formée
de feu, eau et souffle
qui sont aussi nord, sud et orient
samedi du pain, je suis
calme
je suis sans voix
explosée d’aube
je suis
le contour
de ton
ombre

 

 

 

 

 

 




Maria Pia Quintavalla, Parmigiana, I et autres poèmes

                                                                                 Traduit de l’italien par Viviane Ciampi

Parmigiana, I

 

Tutti gli amori ti furono infelici perché ci credevi,
tutta vi aderivi, alle promess
dell’essere - al suo centro
ti innamoravi della vita del paradiso
dalle palme lente e dolci dell’amore
improvviso nelle dita degli amanti napoletani
della forza che ti travolgeva
ma di messi astrali, bianche
dita di una stella carnale

 antiche passeggiate e dolci mani,
della vita sentivi lì la forza intatta infrangersi
stupita appartenente a corse, statue di gaggie
erano tonfi al cuore, desiderio e copule del mare.
Forti le braccia i baci le lusinghe,
per amore della vita che perdevi
e lenta nell’amore ti perdeva.

 

                                                       II

 

 

Rivorrei la mia infanzia una triste
prigione del cuore - dissi
a lei che più non capiva da dove
tutto questo avesse inizio, così
mi mandò a dire, Vattene un po’
all’inferno vattene, sì vai via,
la tua finestra più non ci appartiene
né mai lo fece, Esci di scena.
Stanca sconsolata lei assentì, ma l’altra
da lì stette fuori tappata,
bocche e orecchie spaventata la guardava,
né poteva più rispondere.

Rivorrei la mia infanzia con le finestrelle
chiuse ottuse, lì nascosta poco di sotto
al cuore - ritornava ritornello infelice

 

 

 

De Parme, I

 

Tous tes amours te furent misérables car tu y croyais,
toute entière tu y adhérais, aux promesses
de l’être – en son milieu
tu t’éprenais de la vie de l’Eden
des paumes lentes et douces de l’amour
soudain dans les doigts des amants de Naples
de la force qui te submergeait
mais de moissons astrales, doigts
diaphanes d’une étoile charnelle

anciennes balades et douces mains,
de la vie tu percevais la force intacte à sa brisure
étonnée appartenant à des courses, des statues d’acacias
comme des coups au cœur, désir et étreinte de la mer.
Puissance des bras des baisers des flatteries,
par amour de la vie que tu perdais
et lente dans l’amour elle te perdait.

                                                     

                                                              II

 

                                                                               

Je voudrais retrouver mon enfance une accablante
prison du cœur – dis-je
à celle  qui ne comprenait pas par où
tout cela commençait, ainsi
elle me dit, Va-t’en donc
aux enfers va-t’en oui, va
ta fenêtre ne nous appartient plus 
ni jamais ne nous appartint, sors d’ici.
Fatiguée attristée elle acquiesça, mais l’autre 
resta dehors protégeant,
bouche et oreilles apeurée la regardant,
sans pouvoir répondre.

Je voudrais retrouver mon enfance avec les fenêtres
fermées butées, là, à peine cachée au-dessous
du cœur – revenait un refrain malheureux

 

****

China era prodigio di canzone

 

Quando di China si vedette il volto salire in aura,
in benvoluta gloria, China
già più non era là seduta, ma distante
volgersi e dire in addio serena
le ultime care frasi della notte:
quelle che di cantari, gesta e sacripanti
donzelle e mostri, essa mostrava
sé capace a recitare:
modeste cupole, già case per la mente,
di una speranza che la villa di Castiglia
più non udiva.

 

*

 

Morì. Tradì, scoppiò, dissolse sé, disparve

 

non fu mai dato di sapere, ma servì a capire
che China era prodigio di canzon
meravigliosa creatura in luogo chiaro,
corso di virtù serena -
gioia nel corpo cibo della mente - angelo
al tocco dei bambini salvi nel fiume
corso della sua esistenza,
frumento pane di virtù mai sorte,  

sentimento del mondo, sua dizione.

 

*

 

 

 

 

China était prodige de chanson

Quand de China on vit le visage élever son aura,
en gloire appréciée, China
n’était déjà plus assise ici, mais lointaine
se tournant pour dire en un adieu paisible
les dernières phrases de la nuit :
celles de trouvères, conteurs et chenapans
demoiselles et  monstres, elle se montrait
capable de réciter :
modeste coupoles, déjà maison de l’esprit,
d’un espoir que la ville de Castille
n’entendait plus.

 

*

 

 Elle mourut, trahit, éclata, se défit, disparut

on ne put jamais savoir, mais cela fit comprendre
que China était prodige en chanson
ravissante créature dans la clarté,
un fleuve de sereine vertu -
joie du corps nourriture de l’esprit - ange
à la caresse des enfants sauvés dans la rivière
au cours de son existence,
froment pain de vertus jamais écloses, 

conscience du monde, son récit.

 

 

****

Mater : Due sono una

 

È forse questo il tremito
in occhi sconosciuti i m
ei, già conosciuti -
è forse vero il verso che dice il tocco,
i salti della voce. Lei è cresciuta
non parla la tua voce.
Presa per mano ti guardava tornare, e poi andare,
mi seguitava il corpo, ne assecondavo
il suo respiro, due sono una
ora è uno e uno. Ora
i suoi occhi luccicano con una margherita
appesa al lobo ma di luce propria
senza infingimenti e lei là, un gran andare
per una corsa sua segreta,
tra fili d'erba e treni, caramente
d'oro il suo sorriso.

 

      

 

 

 Mater : Deux je suis une

 

C’est sans doute ce frémissement
dans des yeux inconnus les miens, déjà connus -
c’est vrai sans doute le vers qui dit le doigté,
les écarts de la voix. Elle a grandi
ne parle pas ta voix.

Tenue par la main elle te voyait revenir, et puis t’en aller
le corps me suivait, j’en soutenais
le souffle, deux sont une
maintenant c’est un et un. Maintenant
ses yeux brillent avec une marguerite
suspendue au lobe mais de lumière propre
sans imposture et elle là-bas, un départ infini 
pour une course secrète et bien à elle, 
parmi des fils d’herbe et des trains, oh d’or
si précieux son sourire.

 

 

Présentation de l’auteur




Patricia Ryckewaert, Entre ses doigts frêles…

Entre ses doigts frêles

elle a saisi un grain rosé de l'aube
et l'a planté dans son limon de femme.

S'est tenue là, patiente

à attendre que viennent l'inouï du jour
et la tendresse des hommes.

∗∗∗∗∗∗

 

Il a posé son regard ébloui
sur la ligne d'horizon

sur les branches
et tous les bourgeons
d’elle,

à se vouloir oiseau
à se sentir des ailes

et dans le bleu naissant
et les prières d'avril

a fait danser ses doigts
sur la matière vivante

et l'a mise en mouvement
dans le souffle de l’air.

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

Elle est née d’un dialogue entre eux                                          
indicible

elle avance à pas de loup et parfois elle rampe dans l’ombre
froide des herbes bleues et l’odeur des églantines.

à l’affut de tout ce qui se dresse vers le vif du ciel                                  
et en survie dans la chair des mots
elle le guette

parfois elle est un poème enroulé autour de lui comme le
souffle et le cuir cinglants d’un lasso

 

∗∗∗∗∗∗

 

J’habite la lumière au naissant du jour
et la matière qui fait la terre et les hommes.

J’habite chaque grain de peau et son histoire

les bouches pleines du jus des fruits
les bouches pleines des autres bouches
et celles qui ont soif.

J’habite le souffle de mon enfant
le battement des cils et des coeurs
et l’humanité de ceux qui s’essoufflent.

∗∗∗∗∗∗

 

À tous ces mots fondus sous la langue
ces mots-bonbons, ces mots-baisers

au goût de l’autre,

À ces mots coincés entre deux dents,
à tous ceux crachés à la face du monde

et à ceux restés dans la gorge serrée,
à tressaillir.

 

Présentation de l’auteur




Laetitia Extrémet, Nouveaux aquapoèmes

ÎLE

 

Ile, m’a semblé dans ta dérive
Mèches que le vent égare
Ta chevelure cuivre, tes rives
Et tes lunes éparses
Bruiner le givre à l’onde de tes yeux
Sur tes cils, tes ailes graciles
Qui papillonnent la baie de ton regard ;
A l’ogive des jours, j’ai vu hyaline
La danse de la pluie
Un rideau d’amertume assombrir
L’étende de tes beaux rivages
La lame fluer et refluer en ruisseaux
D’agates, tes larmes ;
Et dans tes coquillages j’entends
J’entends encore,
L’inconsolable mélancolie de tes vagues
L’orage
Ile que le vent égare,
J’entends
Dans ta chevelure cuivre, tes rives
L’évase et ton regard.

 

 

À MES CIEUX TES RIVIÈRES

 

Danse alors la pluie
Tes nuages à mes cieux
Gris, que la brise
N’a pas pu chasser,
Et aujourd’hui si j’ai mal
A ton onde versée
Maintenant que là
Ton cri ne m’est plus
Qu’un silence froissé,
Pour que cesse l’orage
De tes mots indicibles
Qui de toi me laissent
Vaine, vide,
Je peine à taire l’inverse, et
Même si je ne sais vers quel désert
Ton absence me mène
J’aurai pour étancher ma soif
A mes yeux tes rivières
Que la brise
L’effleurement du vent sur mes cils
N’aura pas pu sécher.

 

 

TES YEUX INSULAIRES

 

Et je boirai tes rivières
Les lunes qui perlent aux agates de tes yeux
Quand tu baisses les rideaux de tes cils
Sur tes bleus océans,

Je boirai tes rivières
Déversées sur les grèves de tes sables clairs
Je remonterai le cours de tes aiguières
Pour puiser à la source de tes aquarelles,

A l’épanchement de tes fenêtres
Là tout au bord, je resterai
Pour abriter les orages                                                                                                                      
Et les petits moutons blancs
De tes flots firmaments,

En ton âme diluvienne
J’irai prier les sirènes
Et pleurer les fontaines
De tes îles noyées.

 

 

AU LARGE DE MES ASSECS

 

Où courais-je
Que le vent m’éparpille
Désagrège les pages
Furieusement scellées
De trop de résonnances
Cousues à mes oreilles
Et de beaucoup d’orages
Pour me réconcilier
Avec les mots échoués
Qui m’ont disséminée,

Où courais-je
Et m’avale cette eau
Que je voudrais voguer
Pour étancher la vague
Goûter au plus profond
De la page gravée
Que le vent éparpille
Au large de mes assecs
Et dont l’écho résonne
D’une rage muette,

Où courais-je
Et pourquoi ces gravas
Sur ma grève séchée.

 

 

ALLUVIONS

 

Je n’irai plus
Vêtue de goémons
Mon âme effilochée
Frayer les chemins d’algues
M’enfoncer dans la boue
Dans la poussière d’argile
Et dans les illusions ;

Je n’irai plus risquer l’envasement
Suffoquer dans la tourbe,
Sombrer dans la ravine,
Gît dans son lit mon ombre
Le dépôt de mes armes
Mes liquides amarres
Et quelques alluvions ;

Je voulais juste éprouver l’infertile
Et voir la pluie tomber
Tant pis je n’irai plus.

 

 

 

Présentation de l’auteur




Marie Allègre, Le Nom-Dit et autres poèmes

Le Nom-Dit

Quand cela ne s’appelle pas
Ne s’appelle rien

 Tiny tender shells of a look, of a touch,
Of a kiss
Glittering nuts of a possibility
Sparkles of a shivering hope1

Tes flèches
Cercles d’azur glacé
Rieur pourtant
Ces deux puits de ciel froid
Comme un orage brûlant grondant
Dessous le front
Voilà qui m’arrête le cœur

Ton cou est un poème
Tu me fais comme du velours couleur blé
Au fond du ventre

Insoutenable pointe de la plus belle des teintes
Déferlement de bleu floutant tous tes contours
Tu me perces les yeux
Ta chaleur me dissout

Tu me fais craindre
Ce que je connaissais
Et l’ordinaire n’est plus

L’empreinte de toi dans l’air
Ombre à portée de nez
Cruelle messagère
Avant coureuse acmé

Mais quand tu cèdes enfin tout contre moi tremblant
Tout est encore possible

 

 

Éden

L’Éden de tes bras et de tes mains
Ton corps est mon jardin

Je m’abreuve à ta voix
Me nourris de ta peau

Et jamais rien n’égale
Un instant de tes yeux

Il me faut te le dire
Je m’y noie à loisir
A dessein

Le dessin de ta bouche
Miracle de douceur
Quand tu la poses
Sur le brasier de mon ventre

Je n’ai jamais ou presque
Lu deux fois le même livre
Mais je pourrais
Te méditer
Jusqu’à l’épuisement

Le goût de ta présence 
Le parfum de tes mots
En t’attendant mon cœur
Ô ma jolie crevure
Je me régalerai
Du son de ton absence

 

 

Tempête

Il y a de la pluie et de l’orage dans tes yeux quand tu m’embrasses.

Deux iris de lumière grise
Nectar de nuage guerrier
Éclair abrasif et dardé
Tombent
Sur la terre mouillée des miennes
Qui te boivent et s’abîment

Je sens que je vais aimer tes tempêtes.

 

Croissant de toi

Couchée contre ton dos
Je passe ma main sur toi

Chaque élan de mes doigts
Te dit je t’aime

Je fais couler ma langue entre tes deux épaules
Au creux de la colonne
Au gré de ma folie

Tu es vaste
Mon miracle
Et je t’explore

Ma forêt de peau tendre
Ma montagne bénie
Fleuve d’amour
Courant de force
Tu tiens de l’infini

 

 

Voile Acté

Attends que le sommeil te recouvre de son voile sombre
Qu’il t’enveloppe de son étreinte rassurante et calme
Que la nuit t’isole de la terre où les soucis t’accablent
Qu’elle t’emporte vers mille et un ciels
Que des rêves veloutés t’entourent de leur ronde joyeuse
Que le doux réveil lève la cape foncée du sommeil
Et que le jour écarte la robe mystérieuse de la nuit
Pour envahir tes yeux de la beauté du monde

 

 

Note

1 - Minuscules coquilles tendres
     Regards, gestes, baisers
     Coquillages scintillants de possibles
     Eclats d’espoir tremblants

 

Présentation de l’auteur




Corinne Le Lepvrier et Vincent Motard-Avargues, 3 vidéo-poèmes

3 vidéo-poèmes de Corinne Le Lepvrier alias Köré la jeune fille in collection « mon côté fleur bleue je me fais plaisir pour autant je n’irai pas jusqu’à chanter »,
avec des musiques de Vincent Motard-Avargues.
 

des coquillages je crois ; 2019

vous souriez ; juin 2019

à bras le corps ; juillet 2019




Florence Saint-Roch, L’Autre chemin, extraits

Poèmes écrits en regard des encres de Roselyne Sibille.

 

Pour les sombres lueurs, II, collection particulière.

 

Le chemin donne sa parole

Là-bas vois-tu je t’emmènerai

Les lointains confirment

L’arbre te laisse passer porte son ombre du bon côté

Comment ne pas y croire

 

Pays profond te fait signe

Toi aussi tu veux t’engager

 

 

 

Avant le silence, II, collection particulière.

 

D’un bord à l’autre tu interroges

Quel nom s’écrit tandis que je marche

Une échancrure s’est ouverte

Le silence a pris ses quartiers

Tu touches du doigt la paisible réponse

Tous les mots ont déjà parlé

 

Avant le silence, III, collection particulière.

 

Le chemin avance sous le couvert

Tes yeux se plissent

Tu cherches à deviner

L’épaisseur palpite

Rien à craindre à éluder

Aller jusqu’au bout de l’énoncé

 

 

Avant le silence I.

 

Ce pays comme parfois les heures

Sombres abattis élans brisés

 

Tu enjambes les troncs inclinés

Tu traverses tu tires un trait

 

Les oiseaux s’essayent

Leurs cris tournent un soleil

Le ciel approuve la relance

Je me reformule voudrais rencontrer

Cheminant, II, collection particulière.

 

La rivière dirait-on est l’événement

Chemin faisant elle invente ses rives

 Les aborde doucement

 

Matin ou après-midi qu’importe

Joncs et feuillages eux-mêmes ne savent pas

Le temps est là

Tu en ignores l’aval comme l’amont

Pourquoi toujours étreindre

En ciels fins se rêvent les collines au loin.

 

À peine devant je suis dedans

Collines endurantes épaisseurs des forêts

Tu te frottes à ce qui vient

 

Tu prends l’accent des montagnes

T’accordes aux herbes et aux broussailles

Chaque contour devient le tien

 

A PROPOS DES ENCRES

Roselyne SIBILLE

 

Durant l'été 2011, j'étais en résidence d'écriture en Corée du Sud. C'était la mousson. Il pleuvait tant et si fort qu'il m'était à peu près impossible d'aller marcher dans la vallée, contrairement au séjour que j'avais fait dans ce même lieu en automne 2009. Écrire toute la journée, impossible.

Un jour que j'étais allée au supermarché de la ville la plus proche (Wonju) pour acheter de la nourriture, je suis passée au rayon papeterie, regarder (parce que j'aime les merveilles papetières) et chercher – peut-être – un stylo. Mon attention a été attirée par des rouleaux de papier de riz très fin, celui dont se servent les enfants pour leurs exercices de calligraphie. J'en ai acheté un rouleau, et aussi de l'encre de Chine et des feutres calligraphiques. Puis, dans ma chambrette, devant la baie vitrée me protégeant de toute l'eau de la mousson, j'ai cherché comment utiliser ce matériau qui m'était inconnu. Un papier extrêmement fin, se déchirant très -trop- facilement dès qu'il est mouillé. Cette encre très noire, ces feutres avec leurs biseaux, feutres gris, beige, noir. Que faire de cela ?

J'ai expérimenté et commencé à créer ce que j’ai appelé des "poésies graphiques" : il s’agissait de formes abstraites -des taches- déchirées et recollées sur un papier de fond plus solide, blanc ou noir, assemblées pour créer un équilibre visuel. J'ai passé des heures dans le son de la pluie et ma chambre cocon, à chercher, poser de l'encre, déchirer, assembler et puis écrire dans les interstices quelques mots des poèmes brefs qui me venaient en tête dans cette ambiance asiatique. Comme les poèmes inscrits dans les peintures chinoises, japonaises, coréennes. Et différemment. Ces mots s’installaient dans l’équilibre des masses, ils roulaient comme les torrents à la sortie des rizières, ils créaient du sens en mouvement. Ils étaient nécessaires et j’avais grand plaisir à les inscrire à la place qu’ils demandaient. Ils faisaient partie de l’ensemble. Ces créations ont été exposées au Centre Culturel Toji avant la fin de ma résidence. Je les ai remportées en France, et rangées soigneusement dans un port-folio.

Occupée à répondre à mille sollicitations, je me mettais peu à créer d’autres encres. Ecrire me semblait plus simple que de me retrouver en chantier avec les papiers que j’avais rapportés. Quelques-unes sont nées à mon retour, pas beaucoup. Et surtout un triptyque format carte postale alors que celles que j’avais créé en Corée étaient de grands ou longs rectangles. Des années ont passé, mes encres entre elles, rangées à l’ombre.

Invitée au Salon du Livre d’artiste de Rives en septembre 2018, il m’a été demandé d’exposer sur les panneaux derrière mon emplacement. Que mettre qui ne soit pas un livre d’artiste ? Ce triptyque, encadré, y a tout à fait trouvé sa place. Ainsi il était remonté à la surface.

Encore quelques mois de gestation, et voilà qu’un soir de solitude et de janvier 2019, m’est venue l’envie de ressortir l’encre, les papiers de leurs rouleaux et de créer, simplement, pour moi-même.

J’ai déroulé une feuille et fait des taches puis une autre feuille et d’autres sortes de taches avec des instruments différents. J’ai commencé à déchirer, recoller, chercher ce qui venait grâce à ces petits fragments.

Ce qui est apparu, sur un papier de support de format 13,5 x 17,5 c’est un de mes paysages intérieurs. Juste des taches qui, s’assemblant, devenaient paysage. J’étais étonnée, ravie de ma création comme un enfant devant son château de sable.

Et, de soir en soir, je me suis donné rendez-vous avec mes papiers et mon encre. J’ai eu besoin de créer un plus grand nombre de « bases », de feuilles tachées. J’ai cherché comment obtenir de la variété : j’ai ramassé des petits bouts de bois filandreux lors de mes promenades en colline, j’ai utilisé des instruments improbables, constitué une sorte de « tachothèque », chaque sorte dans une pochette transparente, toutes gardées pour cet usage.

Ainsi cette création s’est mise à m’habiter : dénicher, mettre en réserve, apparier ce qui doit l’être : l’encre et le bois, les morceaux de papier et leurs enveloppes… et puis m’installer devant mon bureau et me lancer, sur ce petit format, dans des constructions visuelles de toutes petites taches se confrontant. Les paysages naissent, simplement de leur équilibre de noirs et de blancs, pendant que je me mets au service de l’image qui veut se hisser hors de la page. Je suis surprise et enchantée.

Les heures passent dans le silence, je me sens très proche d’un mystère. Je lui offre mes doigts qui s’imprègnent de colle et que je vais laver de temps en temps, ce qui me permet d’oublier le paysage naissant et de le retrouver avec une distance de quelques instants. Je vois alors autrement la direction de l’ensemble, ce qui manque, là où il faut un élan vigoureux, un espace, un fourmillement de minuscule, un autre angle…

Aujourd’hui, un an plus tard, j’ai créé quatre vingt encres, toutes différentes mais je constate qu’elles forment des séries, parfois des triptyques, parfois des diptyques, comme si mes paysages avaient besoin de s’associer en ambiances visuelles du même ordre. Je ne contrôle pas tellement. Je reste tranquille, juste avec l’envie d’être là, seule devant mon bureau, avec ce papier étonnant dont je découvre sans cesse des possibilités qui m’intéressent, avec ces taches qui ne ressemblent à rien individuellement mais qui peu à peu, extériorisent ce que je porte en moi.

D’où viennent ces paysages ? Vus, arpentés, admirés, en tous cas alchimisés. Je ne sais pas qu’ils sont en moi, je les vois apparaître et je sais alors à peu près où je les ai captés. Plus que des lieux géographiques, ce sont des ressentis de collines caillouteuses, sèches, calcaires, des montagnes enneigées aux arbres noirs, des flancs de montagnes au printemps quand la neige fondant dévoile des noirs dans le blanc ou le contraire, des lacs entourés de reliefs, des ambiances de Camargue, d’eau plate dans des rives esquissées, des côtes rocheuses, des îles et puis des arbres, des arbres, des arbres, des troncs, des feuillages, des frondaisons, des arbres touffus, des sous-bois clairs. Ainsi il y a déjà trois séries qui se nomment L’épais des forêts du nom de l’anthologie de poésie du même nom initiée par une amie poète.

Vient ce qui veut, ce qui se propose. Parfois un paysage très différent de celui de la veille. Chacun demande son moment pour exister. Je me sens humble, appliquée, soigneuse et je jubile aussi de ce qui apparaît, ces sortes de miniatures qui ne sont que tâches, fouillis qui s’ordonne, force de certaines abstractions, douceur d’autres, précises ou énergiques, les tâches simplement qui forment des plans, des entrées dans le paysage, des ouvertures.

Dans beaucoup des encres, il y a des espaces blancs, très blancs. Du vide, ce vide qui permet de respirer, de s’installer, de s’élargir, de se calmer, de s’inviter à être. Ils sont nécessaires à l’ensemble visuel assurément et ils disent aussi de moi ce que je ne peux presque plus dire en mots. Ils portent ma poésie en silence. Dans ces blancs, je pourrais écrire des poèmes comme je l’ai fait en Corée mais non : j’ai moins de mots dans ma tête, ma poésie se montre ainsi maintenant. Elle s’est transformée.

Les encres ne m’empêchent pas d’écrire. Rien n’est incompatible bien sûr : elles montrent délicatement et suivre leur mouvement me complète et me comble. Chacun peut-être pourrait trouver ou écrire dans ces vides ses propres mots de silence, de subtilité, ces mots si fins qu’ils ne peuvent être prononcés, ni même conçus peut-être.

Voilà où se passent les heures de pas mal de mes soirées, jusqu’à ce que piquent trop mes yeux, et que j’aie abouti à un équilibre satisfaisant me permettant d’aller dormir. Le lendemain, mon premier élan est de venir voir ma création de la veille. M’apparait alors avec évidence, le minuscule endroit à retoucher, la tache à prolonger, l’ajustement.

J’appose enfin au verso mon sceau à l’encre rouge (Simplement mon nom Roselyne Sibille, en alphabet coréen). Ce nouveau Paysage intérieur va rejoindre une enveloppe sur laquelle est inscrit le nom de la série. Ou bien elle nécessite une enveloppe supplémentaire parce qu’une nouvelle série se dessine.

Mes mots muets se concentrent dans les titres de ces séries. Ainsi existent déjà (outre L’épais des forêts) :

 

En ciels fins se rêvent les collines au loin
Pour les sombres lueurs
Dans le silence des pierres blanches
Frôle un souffle d’étoiles 
Au milieu des vagues
Des chants pour les trois montagnes
La terre lèche l’eau, ses risées, ses échos
Loin là 
Cheminant
Aux libellules bleues
Voyage dans le monde des rivières
A l’écoute
Et les oiseaux jouent dans le vent
Au-delà des monts visibles

 

Certaines des encres créées en Corée et le premier petit triptyque ont été exposés dans la magnifique salle patrimoniale de la Bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer, dans le Pas de Calais, où j’étais invitée en résidence pour le Printemps des Poètes en mars 2019. D’autres expositions sont à venir. J’en suis la première étonnée ! Ma poésie a changé de forme, elle laisse plus de place à mon silence, au souffle du vide médiancomme disent les taoïstes.

 

Roselyne

31 janvier 2020

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Magda Igyarto, Elle attend et autres poèmes

Elle attend

 

Elle attend                                                                                               
le front brûlant à la fenêtre 
le froid  glacé apaise la fièvre

 Hurler
comme la bête qui sent venir la mort
pleurer
comme l’enfant apeuré que l’amour seul peut apaiser 

 Insondable  fragilité                                                               
lorsque les heures comptent double     
chaque jour jeté sur elle l’ensevelit                     
le ciel noyé dans ses larmes 

 Dans la prison de la souffrance                                                      
elle choisit la lutte         
celle de David contre Goliath 
celle du pot de terre contre le pot  de fer

 Son arme                                                                                       
une écriture qui blessera comme les épines 
une écriture brûlante  qui dénoncera 
qui accusera qui réveillera les consciences 

 Les mots  accumulés en lignes  droites                       
serrées les unes contre les autres                                       
seront leurs barbelés                       
les barreaux de leur prison 

Au bord de son temps compté                                                                
au-dessus du vide de sa jeunesse   
sa mort la privera du sourire 
d’avoir  gagné son combat

 

Magda Igyarto, « Des graines germeront sur leurs pas », éd.le petit Véhicule, 2017

 

 

 

A Rosa Parks

                                          

Vie-mémoire  d’un passé-misère                                         
d’un passé-poussière                   
Des ruisseaux de larmes déferlent 
sur les dos voûtés de honte                                           
ravivent la mémoire-ancêtre 
d’un exil sombre 

Sa vie  éclat d’une mémoire                                
blessure dans son âme                     
creuse sa chair brûlant sa peau d’ébène     
Son regard fier transfigure la nuit en aurore 
défie des siècles injustes où les lanières                                             
des fouets pliaient la volonté des siens

 Du refus d’obéir sourd  une eau douce                             
sur les braises incandescentes                       
Son refus enflamme déjà demain 
fissure en tessons de lumière  l’enfer et la haine 
chante la dignité retrouvée des siens debout   

 

Dans  les sentiers  de cendre elle dresse                                           
sa force tranquille face au pouvoir indigne                       
soulève une brise légère bientôt houle tempête 
ouvrant toutes grandes les portes  de l’espoir     

 

 Magda Igyarto, inédit 2018

 

 

 

Un chant se lève 

Un chant se lève en elle
son corps en pur espace
d’une résonance translucide

 Son corps s’ouvre à une vibration                                                                        
 qui la traverse

 Un chant de louve solitaire
aujourd’hui apprivoisé
qui vibre tourbillonne
dans toutes ses cellules 

Un chant qui la bouleverse
s’élève comme un solei
dans une aube d’une transparence 
infinie absolue

Elle se présente au monde

Pleinement présente dans sa conscience
tous les sens aiguisés 
par ce chant qui monte en elle 
l’inonde tout entière

 la relie à sa dimension de femme
à hauteur de son cœur

lumineuse sous ses paupières

nouvelle
vivifiée
transfigurée par ce chant 
aux vibrations inconnues

Le chant de son corps de femme

 

Elle porte l’enfant de leur amour 

                               

Magda Igyarto, « Amour de sel et de sang », inédit, 2018

 

 

 

 

 

Je  t’attendais      

                                                                                                             à Iléana

Je t’attendais comme l’assoiffé espère le verre d’eau
sous un soleil torride
comme l’affamé dévore des yeux la main
qui lui tend le pain

Je t’attendais comme l’égaré  attend le jour
pour retrouver son chemin
comme l’esseulé le cœur en loques et en misère se surprend à rire 
quand un rayon d’amour lui ouvre les paupières

Je t’attendais comme le paysan scrute l’horizon brûlant
quand son blé doit mûrir et que la pluie
tarde à abreuver son champ

Je t’attendais le long des routes des mois d’ombre
quand  l’espoir tarde à pousser le portail
de la joie le long des journées en ronde solitaire
où le temps accrochait en berne la lumière

Je t’attendais sans reconnaître l’attente
comment peut-on projeter l’arrivée
d’un nouvel être passante des heures à vivre
dans ce que la vie m’offrait comme plat du jour

Ta naissance a repoussé au dehors de la mémoire
les fenêtres fermées les stores baissés les lanternes éteintes
Tu as rallumé  un à un les réverbères des rues désertées
par l’espoir pour les illuminer de tes babils
de tes sourires de ta force de vie

Toute ma ville intérieure s’en trouve 
étrangement rafraîchie par une brise 
qui chante en plein mois de mai l’arrivée du printemps
Tu me surprends à rire un peu folle enivrée
par cette joie immense du cadeau de la vie 
qui pousse dans mon jardin tout à coup si tendre
si plein de cette belle lumière magique qu’apporte toute naissance

 

Magda Igyarto, Sens à vif, éd. La Bartavelle, 2013

 

 

 

 

Transformation alchimique

 

Impossible d’exprimer en mots tant de maux

Où l’esprit égaré allait à vau l’eau

L’habituel a sombré brutalement

De ce naufrage naît un jour nouveau

 Une nouvelle avidité de vivre s’engouffre 

Dans le cœur dans les os

Une perception de tout le vivant 

Dans son essence

Un frémissement d’une joie subtile

La vibration profonde de la vie

 

Le moindre souffle de vent

La moindre pluie

Le moindre rayon de soleil

Bouleversent mon âme

Qui s’émerveille encore et encore

Comme si elle découvrait le connu et l’inconnu

D’un regard neuf d’un regard d’enfant

Eblouissement permanent

Qui palpite autour de moi et en moi

Rosée de l’amour qui nourrit chaque jour

  

Le tourbillon de la vie extérieure

Avec ses élans ses espoirs ses misères

M’atteignent sans me submerger

 

D’avoir perdu la chair de ma chair

D’avoir souffert de ne rien pouvoir faire

Pour aider ceux qui me sont chers

A mis de la distance une réelle distance

Avec l’absurdité du monde

Ses folies ses apparences

Sa vanité ses incohérences

 

 

Après la souffrance l’apaisement

Non une résignation douloureuse

Mais la foi sereine en l’existence d’une vie après la vie

 

La certitude que l’amour ne périt jamais

Que les êtres aimés continuent à vivre 

En nous avec nous au - delà de la mort

 

Que la meilleure manière d’apprivoiser la mort

Est d’en faire une amie

 Et surtout

Que la meilleure façon d’apprivoiser la mort

Est de vivre tout tout de la vie

De la boire jusqu’à la lie

Comme un merveilleux présent

Qui se répète chaque jour

 

                                    Magda Igyarto, Abrasement et Transparence, éd. Baudelaire, 2011

 

 

Les fusains sont extraits du recueil Cris de Femmes paru en 2014.




Ile Eniger, Solaire, extraits

 

Orage sec, on entend l'été armer ses fusils. Les cuivres du soleil martèlent les heures jusqu'au blanc des façades. C'est encore le temps des cerises dans les mémoires printanières que déjà, gorge dure tendue, la terre craquelle sous la charge de juillet. Un plomb incandescent dessèche ses crevasses. Chaque tonnerre sans eau plisse davantage les sols. Haletantes, des bouches de soif vident les sources. Les portes des granges sont ouvertes, les bêtes en alpages, les mouches abandonnées dans l'air poussiéreux. Aux remblais faméliques, s'affaisse le jaune étique des herbes altérées. Les cigales psalmodient au brasier de midi et dans le mûr des blés quelques coquelicots exaltent la récolte. Ici, ailleurs, partout, la vie respire à petits coups, pendue au clou brûlant de la forge estivale.

 

∗∗∗

 

Un jour je suis entrée dans la maison de ton nom, c'était l'exact de ce que j'attendais. J'y suis restée et plus jamais je n'ai eu froid et plus jamais je n'ai eu peur. Qu'on ne me parle pas de cage, il s'agit là de la plus haute, de la plus absolue des libertés.

∗∗∗

 

Des traces de mots sur la neige de papier. Un chant d'alouette dans la gorge. Des miettes de paix sur le fracas des hommes. L'eau, le sel, le pain. Et même si le fer-blanc du jour fait muraille, même si la terre crevasse, même si les mains rident comme arbres d'hiver, nous sommes ceux qui ont marché pour ceux qui marcheront. Nous sommes le chemin qui porte. L'avant, l'après, pendant, autour, tout, rien, jamais, toujours. Irrationnels, réels, nous sommes le chaos, l'incertitude, et surtout l'immortel espoir. Enfants et frères du vivant toutes formes confondues, nous sommes l'appel et la présence. Et quand la houe du vivre laboure nos passages pour je ne sais quelle moisson, encore nous sommes le possible amour.

∗∗∗

 

Terre de septembre, ma Mère, comme toi je suis des derniers fruits et des guerets sanguins. Comme toi, je protège la parole donnée et la graine à venir. Au soir de lune orange sur le portant de vignes, au portail de l'ultime saison, je sais les mots de feu et les pas qui inventent la route. Des sols charnus jusques aux cimes, j'accueille tes éléments, ta généreuse constance. Dans la coupe des mains, je bois à ton exactitude. Des crinières d'arbres aux persévérances d'herbes, je chevauche tes traces avec les plumes d'ange et les abeilles en miel. Je ne cèderai rien aux dormances d'hiver, je les traverserai, riche de tes promesses. Et c'est debout, en lumière montante, que je l'écris à l'encre rouge au mordant d'un ciel qui s'embrase : solaire, je suis légitime d'aimance.

 

Extraits de Solaire – Éditions Chemins de Plume

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