Hugues Reiner, Poésies, extraits

N°9

 

D'un regard,
Ouvre la terre
Sur ton épaule.
Je me hisse
Mais trébuche et glisse,
Nain de pierre.

 

N° 31

 

Maintes fois, au seuil de l'échappée du sommeil
Je retenais quelques secondes de conscience...
guettant la grâce...
Absences pesantes sur mon corps
c'est ainsi que je traverserai les lendemains...

 

N° 56

 

Une partie de moi est une ombre
Le reste ira se perdre en chemin
au café des déraillés du train
L'eau dehors les noyés dedans !
L'organiste prépare mes funérailles,
il m'a parlé de la montagne
puis a disparu
le plancher était trop ancien
lourd en tête
balancier des figurants
il était un musicien !

 

N° 57 

 

Au moment où pénètre la nuit,
discrète dilection des heures repenties
le ciel parsemé des paupières
comme une marée majestueuse et solennelle
Vient effacer nos pas et nos vies

 

N° 75

 

Dans cette chambre,
attendre...
Dans un rituel sans mystère
donner ses bras à la potence,
dormir au présent blessé ?
Attendre fébrilement,
équilibriste, mon équipage épuisé...
La lumière se cache,
j'ai trébuché,
tombant de silence
je dormirai le cœur ouvert !

 

N° 84

 

Dans ce chemin doux
oublié des marcheurs
on avance aveugle et fier.

Au gré des vagues stellaires
de pensées et de désirs
on guette toute chimère

Résonne à tout va, au diable
l'hymne symphonique de l'imaginaire !
Mais vous !
Les arbres
et votre galerie d'espèces animales
cohorte d'anges et d'oiseaux prodigieux
de poisson joyeux et de fleurs enchanteresses...
Venez me cueillir et me pêcher
ma candeur n'a plus rien d'humain
et je demande asile en votre sein !

Présentation de l’auteur




Blanche, De drôles d’oiseaux et autres slams

De drôles d'oiseaux

 

On voit de drôles d’oiseaux échoués sur nos plages
De drôles d’oiseaux !
Ils ont de l’écume plein les plumes
Ils ne bougent plus
Du sel plein les yeux qui ne s’ouvrent plus
...Au moins ils ne souffrent plus

Leur ramage se rapporte à leur plumage
On voit de drôles d’oiseaux
Qui arrivent par vagues
Corps mourants qui dansent
Bal atroce
Ils viennent chanter sans voix
Nous parler d’espoir et d’errance
De leur avenir pris dans des ronces
Ils viennent perdre nos regards dans l’vague
Et Bam ! En réponse
On ferme nos ports
Nos cœurs, nos portes
Ils s’enfoncent

Je revois ce petit rouge gorge
Allongé sur le sable
De loin on dirait la ruine d’un monde qui fait l’mort
Oui mais de près c’est un enfant
Qui dort qui dort
Petit prophète deplumé
Craché par la tempête
Minuscule poète
Petit rêve depouillé

On voit de drôles d’oiseaux échoués sur nos plages
Avant sur la rive
on trouvait des bouteilles et on lisait les messages
Mais les prières roulées dans des flacons de chair
On préfère les laisser couler
On laisse les chagrins se noyer
En pleine mer
Y’a tant de sos qui s’perdent
En pleine merde
D’oiseaux messagers qui viennent se crasher sur nos ombres
Et on oublie qu’dans c’monde
On est tous mi-grands mi-p’tits
Mi-grands mi-p’tits

Nous, On voudrait se reposer de nos soucis
Le plus loin possible des bains d’sang
Et ça s’comprend
Ici on d’vient barges alors comment devenir berges ?
On peut pas voir large
On peut que gamberger, se murger
Et puis, Bâtir des murs qui dissimulent mal le murmure de l’animal
Pour oublier que dans c’monde
On est tous mi grands mi p’tits
Mi grands mi p’tits

En restant mutique on s’mutile
En même temps que dire ?
J’me sens si impuissante c’est épuisant
Comment être utile ?
Ni mystique ni politique
Mon seul pouvoir est poétique
Et ce soir très hypothétique
Peut être que mon premier devoir
C’est juste de voir
Et de dire ce qu’en penserait
La petite fille que j’ai été :
Y’a des hommes à la mer
Des enfants en bas âge à bâbord
Et des mères dont les larmes débordent des canots de sauv’tage
Alors pour rester debout demain, humains
Faudra jeter des bouées
Et tendre des mains
Des mains !

Le cœur en miettes sur la main
C’est la que les oiseaux viennent se mourir
La voix tremble, s’étrangle et demande
Sans plier
Quitte à supplier
« Ouvrez les ports
Laissez nous dev’nir terres d’asile
Je me doute bien qu’ c’est compliqué
Mais on peut plus vivre comme des îles...
L’humanité est en péril
Si elle laisse ne serait-ce qu’un d’ces Hommes périr sans pleurer
Quand des corps coulent à pic
C’est l’urgence on agit
Toi tu prends l’temps d’reflechir
Mais leurs poumons qui s’ remplissent sont le sablier
Leurs poumons sont le sablier !
bordel ce gosse ça pourrait être ton fils
T’as toujours pas pigé ?!
Tu oublies qu’ dans c’monde
On est tous mi grands mi p’tits
Mi grands mi p’tits
...Raisonnement elliptique

Je vois de drôles d’oiseaux échoués
Sur mes pages
J’voudrais leur donner des noms
Des noms d’Hommes
Mais ils restent anonymes
Sans figure et sans âge
Masse informe qui dérive
Comme une tache de pétrole, de chloroform’ et d’bile

J’ai le cœur mazouté
On compte les morts !
Humanité j’écris ton nom
Mais je sais pas où t’es...
Alors les yeux salés
Mi ouverts, mi clos
Je rêve
Je vois de drôles d’oiseaux
Je vois de drôles d’oiseaux qui voguent
Et guident des bateaux qui volent
De drôles d’oiseaux qui voguent et guident des bateaux qui volent...
Je rêve et je me souviens
Que dans cette vie
on est tous
Si p’tits et si grands
Si p’tits mais si grands...
Ensemble

06370

 

06370:
Numéro d’série d’mes souv’nirs d’enfance
Retour en terre sainte
Je me souviens, et mes mots rient
Comme cette petite fille
Dans sa petite ville
Non loin de là j’avais des tresses
Le coeur noué
La rue, le banc
Une bicyclette avec un panier vide devant

Je me souviens...
Le rire bête de la sonnette
Le chant des freins, le refrain
Le guidon qui guide plus rien
Ce dédale de pédales sous mes pieds
Et qu’j’avais même plus peur de tomber...
Suffisait d’passer les vitesses
Pour s’griser, dérailler
Sous mes tempes la vie battait
Comme la pluie qui tombait jamais

Je vois ! Je vois tout ! :
Le cèdre bleu
La silhouette des grands arbres
Qui posaient leur couronne sur ma p’tite tête 
Je vois...
Je suis une grande fille
Dans les belles ruines
De ma vieille ville d’autrefois
J’prends des photos de mes souv’nirs
J’prends ma mémoire dans mes bras

06370, j’avance
Soudain, j’ai dans le nose une odeur naze
Mi eau-d’rose, mi sueur rance
Note de coeur: fleur d’errance
Et dans la bouche...
L’aigre douceur s’enfonce
Celle, de l’ogre bouffeur d’enfance
Qui m’a salie
Qui m’assaillit
Depuis, l’eau d’prose c’est ma salive
Je crache la poésie
A la gueule du temps
J’avale le venin des rimes à venir et des mots d’antan
Et même si le temps peste
Même dans la tempête
J’reste, droite, comme le point sur le i
Debout
Le poing qui fait très mal
Qui fait des Aïe avec des trémas,
Met des tremolos dans ma voix

Je me souviens et mes mots rient
Ils savent bien qu’à l’heure
où les souv’nirs surviennent
Il vaut mieux sourire pour survivre
Mes mots sont tout verts,
Ont les yeux grand ouverts
Ils me regardent et se souviennent
Que j’ai le sang tannique et grave
Le pire gravé au creux d’la nuque
C’est par là qu’la vie m’a tenue
Que j’suis la dernière note de la portée
La Blanche pointée, du doigt
Pour avoir refusé l’silence
Mais...
Petite chatte est devenue grande
Petite Blanche est devenue femme,
Et flamme,
Et slame...
Avec sa langue pour lance
Elle tente t’éteindre le diable qui danse
dans le petit bois mort de l’enfance
d’en face...

06370:
J’taille l’espoir dans l’incendie
J’sais qu’on n’a rien sans dire
Des étincelles plein les cils :
Regard embrasé d’ceux
Qui n’s’embarrassent pas et refusent d’apprendre les règles du feu
Mascara charbonneux :
Oui, j’ouvre les yeux !
Mascarade carbonisée:
30 hectares d’illusions partis en fumée
J’crache de l’au-delà et de l’eau-de-vie
sur les cendriers
Le destin m’a pété les dents !
Qu’en ai-je à foutre, hein ?!
qu’elles soient grises, jaunes ou bien cariées... Rien à carrer !

Je me souviens, je vois tout
Les mots fusent... et j’me sens
mi-détresse mi-Apollo 13
Qu’est ce qui pourra m’arrêter ?!
J’vois ! :
J’boite vite
J’bois pour n’plus oublier
J’bois le vers qui rêvait d’être
à moitié rime
à moitié libre
et toujours ivre, plein d’poésie
Je bois à la santé
de tous les micros aphones
de tous les corps sans personne
qui tentent de susurrer les mots censurés
et d’crier les sens interdits

Retour en terre sainte, enceinte
Sur la terre de mon enfance tachée d’sang
j’ai mis au monde un innocent pour l’quel j’tremble
06370, pour lui j’avance
J’revois mes rêves mourants partout
Je me relève avec mes lèvres
En terre vermeille
Suis à l’heure où je me réveille...
J’pars décrocher l’soleil mais
Suis- je à l’heure pour les merveilles ?
Même dans la tempête
Et même si le temps presse
Je marche, je ne cours pas
Certains ont les mains sales
Moi j’ai ma cadence propre
Ce soir je vais me coucher sur le flanc
Et puis me cacher pour écrire...
J’me mets tell’ment à mal
J’me mets tell’ment à nu
Je n’sais même plus si j’suis un animal à plume, ou à poil...
Peut-être qu’avec le temps je suis un animal à voile...
Qui dérive, tout douc’ment, sur sa tache de mémoire sauvage...
Toujours plus loin du carnage,
Car j’nage à contre courant

06370:
Numéro d’série d’mes souv’nirs d’enfance
Je n’oublie pas l’pire mais...
Je me souviens d’tout:
Non loin d’ici
Le cèdre rouge
Le soleil qui s’lève dans les roues d’mon vélo mauve
Mon frère qui court tout autour
Le chant du vent dans mes cheveux...

Retour en terre peinte:
J’dis : 06370, numéro d’série d’mes sourires d’enfance

Poids lourd

 

La
J’ai un poids lourd sur l’coeur
Un semi-r’mord
Et dans la r’morque j’me trimbale
Trois tonnes de tristesse de détresse de...

J’me r’garde dans l’miroir et il m’semble
Que j’ressemble à cet angle
Mort
Eh attend ! Temps mort

Dis moi
Dis moi qu c’était pas ton sang sous le blouson de cuir
Dis moi qu j’avais pas les mains sur l’volant avant d’m’endormir
Dis moi que ce n’est
Que de la tôle froissée
Qu’tu r’passeras
Pour l’constat
Qu’on n’est pas pressé
Dis moi qu’ tout roule s’il te plaît

Mais putain qu’est ce qu’il s’est passé ?!
Tout y est
La route y est
Mon camion y est
Ta bécane y est
Et toi t’y es... resté

T’es cané...
T’es qu’un égoïste
T’es qu’un inconscient
T’es qu’un salopard
Qui... qui passait par la
Qui m’est passé d’vant
Pour... pourrir ma vie
T’es qu’un abruti!

...t’es qu’un innocent
T’étais qu’un enfant...
Un petit motard
Un petit fetard
Un petit veinard
Un petit connard !

Toi tu pars à vie
C’est le paradis
T’iras pas en taule
Tu seras aux anges
Tu s’ras une étoile
Ou bien une mésange
Mais moi...
Moi je suis foutu !
Moi j’suis plus personne
Si, j’ai mes papiers...
Mais j’sais plus qui j’suis
J’ai tout oublié
La sur le klaxon
Je sais pas qui t’es
Mais mon new reflet c’est ta face à toi !
Qu’est ce qu’elle a ma gueule ?!
Elle ne me revient pas...
Elle est restée sur la chaussée
Dans le fracas dans les éclats
Mais putain qu’est ce qu’il s’est passé ?!

Et ma voix vrille, s’tord
Elle grille les stop les virgules
Elle sent ma vie qui bascule entre ses cordes
Je revois ton corps
Valser dans l’decor
J’regarde dans l’retro
Main sur le pommeau
Y’a plus d’marche arrière
Y’a plus de barrière
J’suis en roue libre
Comme un cretin
Sur l’autoroute de la misère
J’conduis ma vie sans les mains
Les yeux un peu trop ouverts
Gare de péage du destin: on a payé un peu trop cher

Le soir c’est comme si...
J’sais pas...,
C’est bien ma tête sur l’oreiller
Mais sous les draps j’crois qu’c’est tes pieds...
Je sais pas si tu baises ma femme...
En tout cas moi j’l’ai plus touchée
Parce que quand j’rentre
j’m’allonge dans la canopée
Je mate ma vie en HD
Depuis mon arbre déraciné
Je mate ma vie sans l’son
Je n’comprends plus le français
Ma BO c’est l’bourdon
Le criss’ment d’mon pied au plancher

Mais putain qu est ce qu’il s’est passé ?
qu’est ce qu’il s’est passé ?!
J’suis pas chauffard moi
J’suis pas un faucheur, non !
J’suis pas un chauffard !
J’suis pas un faucheur...non !

Présentation de l’auteur




Marco Geoffroy, SUR UNE ÎLE, IMMOBILE, et autres poèmes

Micro-moment
Une seconde
Ou deux
Tout ce qu’il me faut pour me faufiler
Entre tes mots
Une fraction
Entre lune et soleil
Un craquement de doigt

Du sud au nord de mon être
Le cul au neutre
Car ici on ne souffre pas
Le monde n’a pas encore corrompu ses eaux
Les poisons sont patients
Tout viendra

À la tombée de nous
Les yeux dans les ouvrages
Les sangles du livre
Laissant place à l’absence
Ce monde en couleurs
Épiant le soleil
À des kilomètres de tout

C’est un fait
C’est documenté
Une cymbale sait trancher une gorge

 

À JEAN-PAUL DAOUST,
POUR PARAPHRASER TON AMÉRIQUE ÉPINGLÉE D’ÉTOILES

 

La danse tributaire des Amériques
Transcendée dans l’oubli
D’un profond complot perdu sur la photo
de la Révolte mal armée
est exécutée sur les pavés de vos ruelles désertes.
(Jean Sioui)

À défaut de sang bleu
L’Amérique s’invente des dynasties
De pétrole.
(Jean-Paul Daoust)

 

Amérique Star-spangled banner
LAND
OF
THE
FREE
liberté maudite
Amérique pudique
ludique
Amérique compacte
tes disques roulent dans tous les lecteurs
Amérique parabole
tes symboles dans les printemps de nulle part
L’Amérique s’étend
se tentacule
méduse sans corps aux quatre coins cardinaux
elle agrippe mes testicules
les traîne dans l’amour
Amérique obscène tu peux me tutoyer de tes valeurs
m’inculquer tes rites
m’enculer avec tes cultes
d’une religion qui engraisse sans cesse
qui ajoute de la chair autour des os
d’une Amérique carnivore
du luxe au besoin
de l’opulence à la famine
stars anorexiques
vos défauts en caractères gras

On a érigé un dôme par-dessus les décombres
des souvenirs douloureux
on castre les blessures
dans les Opéra-Rock
les guerres à grand déploiement
levons nos verres Amérique saoule
qui voit double
à voile et à vapeur
America twin-enginebolides d’enfer
Toys-R-Us jouets de 
fer et barres à clous
baromètre de la Terre
jauge du Cosmos
mère de nos habitudes de nos secrets
et de tous nos vices
nos vies solitudes
Amérique Poor Lonesome Cowboy
And a long long way from home
Amérique blonde loin de notre noirceur

Nos vies américaines font la guerre
nous sommes victoires
nous sommes Amérique interrogatoire
Commission McCarthy
chasse aux sorcières
le devoir la bannière
Guantanamo Bay
Amérique militaire
John F. Kennedy Nineteen-sixty-three
Amérique Sniper
NRA - In Guns We Trust
le meurtre prospère dans cette Amérique révolver

Améri-K-K-K
les tuniques blanches
Amérique crucifix
croix de fer croix de feu
en fusion
Amérique sacrifice
la race suprême
l’Amérique plurielle
Amérique pirate
les os croisés tête de mort sur fond noir
Amérique Jolly Roger plein la gueule
la destruction massive
Amérique ogive
Amérique monochrome
de Speak White à White Power
de meurtre blanc à mort noire
une couleur une saveur
Ku Klux Klan Happy Hour
je m’en lave les mains qu’elles redeviennent blanches
putain d’Amérique Sold Out

Amérique exponentielle
Amérique obèse Supersize
duo Hamburger & French Fries
ton amazing graisse
coule et laisse des flaques arc-en-ciel
sur les trottoirs du Walk of Fame
le paradoxe d’une Amérique Hollywood
droite mince comme un Catwalk
qui rend le rêve possible
nos hommages à ton drapeau silicone
tes lignes rouges et blanches bien bandées
tes étoiles Fight For Freedom dans ton ciel bleu bien encadré
tes murs à mettre sur pied
il faut se protéger
Because on a absorbé tous les pays
recyclé toutes les guerres
on envahit la terre de notre propre paix
coup de poing coup de balai
la fin du monde est prévue pour le générique
Amérique Box-Office

America
tes symboles dans les printemps du Monde
Amérique pure
grandiose
armée jusqu’aux dents

 America the beautifool
HOME
OF
THE
BRAVE
Amérique
ton drapeau flotte là où je m’endors
Amérique barbiturique

 

 

 

 

LE NACRE DE LA DOULEUR

 

Ce baume est plus lourd que la blessure
le sang de l’amour bat le cœur des statues
la scène coule les têtes roulent
les arômes fendent les eaux
les musiques enfantent des refrains
dans la chair du silence
sur le bûcher les verbes tombent
comme des points d’exclamation

Sens contraire à son corps
une bonne-sœur éponge sa poésie
efface ces lignes blanches qui tachent nos moustaches
ces doigts qui s’attachent aux crevasses des mélodies
aux commandes de la vérité
les ordres sont les ordres
avides de bruits
les soldats piétinent la cacophonie automnale
des feuilles dans les courants d’air
dans un combat à finir
les tranchantes lames de cette douleur
ricochent sur nos peaux

La guillotine suit son cours
s’étendent les amours animales
les amours rasoirs
les amours normales
un visage sans langage vole l’espace
et ses silences mortels
il répand les combustibles
étale ses contraires partout
dans le vivant
dans le fond de boîtes à musique
s’étend un passé
drogué jusqu’aux ongles

Nus face aux astres
un masque à gaz dans un champ
dans la nuit blanche et bruyante
cette douleur est contagieuse

 

Présentation de l’auteur




Philippe Labaune, Tokyo drone et autres poèmes

 

le général me disait on pourrait être des héros juste un jour je crois me disait des héros  je marche vers mon rendez-vous vers ma totale disparition je marche dans Yanaka Ginza l’heure du silence et tout fermé les boutiques les petits marchands les jouets lumineux les odeurs de cuisine rien rebel rebel m’avait-on chanté dans le bureau de l’ambassade cette nuit en me donnant l’adresse – 54 -  et maintenant au petit matin dans la rue vide le métro aérien les fils téléphoniques j’avance en dansant courbe de la rue façades aveugles tout écrit dans la verticale tout clos courbe du pont suspendu je suis la tache de couleur électrique dans cette carte postale en noir et blanc je penche je pense à l’amour que j’ai pour elle qui brise mon cœur en deux chorus des cuivres je marche dans un film muet tout dans la tête je suis l’agent double et secret je cherche le contact l’indicateur le mystérieux porteur de message - nom de code Xenon -  tout ce silence autour de mes pas je marche et n’avance pas comme dans la brume en mon royaume solitaire je suis une étoile noire en pleine nuit l’adresse n’existe pas le monde vide les ondes invisibles autour et en moi un désert urbain c’est l’accident industriel mon cœur en fusion comme une légère vibration dans l’air mes pieds touchent à peine le sol dans cette avancée statique un monde dessiné au crayon mon nom partout sur les enseignes illisible mais partout le monde s’est ouvert à mon passage je regarde à gauche grilles baissées ombres collées aux parois métalliques - où es-tu Xenon ? - je regarde à droite palissades le ciel à dix mètres porte tes yeux par ici Xénon où que tu sois ton magasin vend des coquilles d’oeufs je suis au paradis mes cicatrices ne se voient pas et maintenant je cherche ta main et sa clef m’a dit le général une clef pour faire son office le ciel si blanc et opaque sur mes yeux et le sol noir de graphite un jour tout le monde me connaitra la rue en courbe immensément vide comme morte regarde par ici mec je suis en danger je n’ai plus rien à perdre je plane si haut au ras du sol que ma tête me tourne - ça ne me ressemble pas ? penses-tu - je suis le merle bleu celui qui décode les clefs - d’où vas-tu venir mon amant secret mon agent terrible ? - je vivrai comme un roi dans cet extrait de rue en courbe ne penser qu’à ton cul mon caché mon innommable j’ai des cicatrices qui ne se voient pas et que je te montrerai – le texte dévisse peu à peu - à hauteur du 53 à deux pas puis 55 manque une case une fissure dans l’espace un blanc dans le regard une percée une ouverture où saisir la clef Xénon j’appelle ma voix ne sort pas rien pour faire vibrer l’air agiter les radiations comme s’il y avait un calque sur l’image dans laquelle j’avance – aucun retour possible - cri blanc déchirant Xenon mon secret approche-toi tends le bras le général m’a pris les mains hier et nommait les lignes mon général au teint pâle - non pas demain maintenant - le fou dans la zone chaude la musique est à l’extérieur elle cogne sur les parois du ciel de craie et je marche entre deux murs de rythmes et j’ouvre la gorge pour chanter la sale leçon du chœur pour t’appeler Xenon je te sens l’enfer derrière les rideaux de métal quelque chose dans mon ciel quelque chose dans mon sang qui cogne pour toi la clef la clef la clef qu’arrivera-t-il quand tu la poseras dans ma paume je ne verrai même pas ton regard ton visage impossible dans la nuit tout le souvenir des années mortes s’il y avait seulement une sorte de futur je crois que j’ai perdu mon chemin je suis cinq ans de plus dans Yanaka Ginza et ses fantômes - où sont-ils tous ? - pauvre mon âme je suis l’espion debout si près je cours dans le vide sur place pour l’éternité saisi dans une suspension du temps le général l’ambassadeur le code - je me souviens - la mission la rue bruyante comme vidée 54 n’existe pas même de profil ça n’entre pas des tambours sonnent derrière les murs aveugles de la rue ça s’approche et je ne vois rien suis une silhouette stationnaire dans cette rue de Tokyo -  ne veux-tu pas être libre ? - la poussière de lune finira par me recouvrir repas et mort dans un monde de lumière bleue envoyé ici pour toucher l’invisible distillation fractionnée de l’air liquide où sont-ils dans le silence le métro dans mon rêve m’a déposé au cœur de la supernova comment revenir peu à peu m’efface avalé par le vide de la rue morte confusion des lignes et des sons à gauche à droite sans fin quatre notes attaquent ma mémoire c’est un vol simulé un entrainement - où êtes-vous général ? - je suis l’insecte qui gratte le sol un crayonné sombre dans un paysage vide pour l’éternité dans cette zone de sécurité cette rue je vis d’heure en heure la mort de l’homme sans odeur lorsque rien n’est rien vanité est trop lente il n’y a pas d’enfer je nage dans la rue Yanaka Ginza en trompe-l’œil quelque chose de trop complexe pour un homme simple je ne sais plus ce que je suis venu faire ici sinon disparaître il n’y a pas d’enfer il n’y a pas de honte mon général juste devenir bleu et retenir son souffle – good timing drone - il n’y a pas d’enfer il me faut rester à l’écart de l’avenir ma vie se perd dans les feuilles mortes et dans le vent tout est arrêté tout est dérangé il n’y a pas de clé – aucun contrôle – je suis maintenant un homme brisé celui qui perd son nom les flammes brûlent mon corps invisible cette rue n’existe pas il serait bien d’avoir de la compagnie pour de grandes conversations en regardant les démons au travers des fenêtres appelez ça un jour rêver de sommeil je suis avec le nom caché des baisers et des morsures inspirant-expirant  donnez-moi une fois de plus que je sente encore la douleur comme de la neige –couvre-moi couvre-moi – profondément enfoui dans l’air mort un zéro dans le tissu du temps lui-même j’aurais voulu vous ramener à l’entrée de la rue j’aurais voulu vous ramener au moment où tout a commencé

 

Extrait de la série Drones, octobre 2018.

La ballade de Desert Eagle

  1. Swing pied droit dans l’écran de la téloche ça bave bleu partout la mire en giclées plein la tête du blue et un et deux et vlan Suicide joue jukebox babe ouch peux plus les voir les trop de signes d’objets d’images démolissons même les ruines et bang jean chemise bretelles jaune blanche rouges tenue du dimanche encore un coup last time dessiné gros fort et à la bière you’d better work bitch
  1. Aspiré par la machine recraché de nuit au désert ouesterne comme j’en rêvais petit j’entends les têtes parlantes et les serpents à ssssonnettes chanter salut cow-boy qu’est-ce que tu mattes sur ton cheval dans le bleu de la nuit américaine comme l’éclair sur mes pompes vernies dans le sable tu glisses de l’autre bord de la colline et c’est indolore et c’est moi dans quelques heures la puissance d’un cheval à l’arrêt

Interlude - Saupoudré de gris un geste de la main la besace et l’ennemi qui guette ça tangue dans la maison en mouvement j’entends encore les trompes du désert je chante et ça répond en chœur lève un bras et l’autre l’assaillant de baisser la garde et me prendre contre lui fin de la guerre d’Espagne en électrofunk à suivre l’avilissement continu avers et revers d’un monde de bruit et de fureur William sors de ton trou

  1. La fille à la Cadillac en plein soleil bientôt ici votre pavillon avec piscine quadrichromie quatre par trois à l’américaine y a quoi dans ton coffre je descends la bute le soleil comme une râpe sur l’échine le skaï du volant va me cloquer les paumes ça pue à l’arrière on a tous quelque chose à cacher je pratique l’anesthésie sensible l’opérateur verbal cogne sous le capot brûlant je ne regarde plus pour voir
  1. Caterpillar à fond les ballons en plein milieu d’un grand rien jaune je l’ai appelé une fois deux fois et à chaque fois bridge impossible fonce droit dans la faille et fume fume little loader ça me rappelle une chanson de Franckie l’esquimau souffle sur le sable et c’est la tempête pourquoi ne pas manger la neige canari et la chenille déroule ses accords électriques à toute berzingue et racle et plonge dans le désert en feu et sonne la sirène et tout foutu en l’air le parc d’attraction mondial aucun exercice de soumission et les vapeurs du diesel dans les yeux

Interlude – sous le désert un salon dans la mer et une sirène qui embrasse les dormeurs on change de dimension tout allongé plus rien d’un carré une poche sans oxygène tout fluide le chant des baleines pour oreiller aucun signe extérieur de rébellion je suis le souvenir d’un rêve ce nageur énigmatique et sa poupée gonflable misère

  1. enfin enfin presque le métro transglobal et creuse et fore et perce et sape une Joconde de profil on dirait ma copine Alice un rat dans le moteur avec ses airs de ballerine c’est une grosse basse qui avance sous le crâne passe-moi la clé et le mambo encore et encore ta musique de froussard et chante avec les sept nains de la mine oh joie du travail
  1. c’est piscine on est tous là avec nos gueules de déterrés Alice William Franck Yma Sumac attention sol glissant ne pas courir manqué l’éclipse qu’avons nous appris de notre roman d’aventures technicolor akétibotiptipbombodirabambum maintenant toute l’essence dans le sang et la sagesse et la trahison des images dans des vapeurs de fuel non à la torpeur et à la mort oui à la couleur

 

Extrait de la série Drones, Juillet 2018.

First burning attraction

intérieur nuit de l’hôpital lumière clignotante du néon - .S.O.R.T.I.E. -  je compte les cliquetis de l’ampoule couché 80 bpm c’est l’issue de secours mon lit et son alèse de plastique légère moiteur du corps qui colle aux draps quelque chose sort du noir c’est ma dernière photographie pâle mon corps sur le lit blanc des siècles de surexposition très loin une petite sonnerie - comme une alarme - depuis un très profond sommeil et une note tenue - presque une voix - une lanterne rouge flotte dans l’air noir - suspendue et en mouvement à peine - va et vient de la couleur sur la rétine quelqu’un frappe à la porte mais loin les bruits du monde comme tamisés  – peu à peu - d’autres corolles rouges sortent du noir et avancent sur le chemin je les vois depuis mon lit mais ce chemin n’existe pas dans ma chambre ce sont des enfants - des fillettes - les coups sur la vitre - la porte – insistent de la vaisselle brisée et fourchettes et couteaux et cuillères qui tombent sur le sol de carrelage - cascade de métal - un homme me parle à l’oreille c’est une plainte il est si loin - comme un astronaute - dans la nuit du ciel les fillettes avancent encore toutes blanches et sans visage - juste un ovale plus sombre - les lanternes à la main un champ de coquelicots en mouvement dans la nuit une marche - si lente - si silencieuse - j’entends le réfectoire – au rez-de-chaussée - qui entrechoque – brise - un torrent de couverts en inox l’autre me parle encore c’est – à peine - un message de Jim Lowell je n’entends que sa peur qui grince et racle comme un vaisseau à la dérive dans les galaxies 160 bpm plus de vingt lanternes rouges maintenant je n’arrive pas à faire le point un grand flou sonore une masse informe de respirations et les images mobiles avancent les fantômes d’enfants et deux

sur le bord grimpés

sur un mur

sous le poteau télégraphique

deux ombres qui me désignent du doigt

halos écarlates progressent depuis le fond du noir les petites princesses-sorcières s’approchent du lit lanternes à la main dans ma tête je clignote maintenant et peu à peu effrité mon corps de sable grain à grain se défait une absolue sécheresse - un désert sur le lit - Jim à l’intérieur de mon oreille - une plainte - on dirait qu’il pleure la note ne faiblit pas et tourne et ronfle et gonfle et envahit l’image une première attraction brûlante c’est un cortège funèbre qui passe à côté de moi c’est une roue qui frotte glisse le long du lit fillettes sans regard - le vent dans leurs cheveux - le vent dans ma chambre de malade très en-dessous - sous l’hôpital - sous les sous-sols - la note vibre et circulaire c’est le son des guirlandes rouges - le son d’Apollo - qui dérive et flotte mon lit sur les épaules des petites mortes c’est un cri qui ne peut pas - inarticulation de la douleur -  leurs pieds ne touchent pas le sol - ont-elles des pieds - je ne peux pas aller plus loin reste une note qui s’éteint dans le brasier des sons

 

Extrait de la série Drones.

Présentation de l’auteur




Michel Saint Dragon, Nymphose et autres slams

Nymphose

Avouer les vagues
Comme la flaque chuchote
Le bruit de la pluie

Les alcalis sombres
Épousent les feuilles mortes
L’humus est une mémoire

Et qu’il est bon de vibrer
Là où la feuille bruit
Pareil au chant de l’oiseau

Dans la brasse du vent
Sifflant soufflant la plume
L’épistolière de l’âme

Je suis une bactérie dans l’œil de l’épicycle
L’origine de la vie, la source et puis le cycle
Et je retourne à la terre, ultime métamorphose
Je fais le chemin du voyage, des réminiscences, du souvenir

Je me souviens chrysalide traversant la nymphose
Dans les veines de l’arbre j’entends le cœur de la forêt
Je me revois papillon aux ailes chiffonnées
Je sais l’air et la terre j’en connais les secrets
Je me rappelle imago, baignant dans l’atmosphère et l’ivresse de l’argon

De cendres et de poussières
Enfin je suis la terre
Fossile dessin de pierre gravé
Roche de calcaire

Je me souviens chrysalide traversant la nymphose
Lovée dans la sève de l’arbre j’entends le cœur de la forêt
Je me revois papillon, dernière métamorphose
Mes ailes chiffonnées, je vais me déployer
Je me rappelle imago, battant dans l’atmosphère et l’ivresse de l’argon

Cendre, cristaux de glace, oxygène, fines poussières
Ma Terre mon élément ma place, l’Air mon atmosphère !

Je me souviens chrysalide, je suis le cœur de la forêt
Je me revois papillon, mes ailes déployées
Je suis la Terre et son secret
Je me rappelle imago, baignant dans l’atmosphère et l’ivresse de l’argon

Je me souviens chrysalide
Exuvie et nymphose

Je me revois papillon
Je me métamorphose

Je me rappelle imago
Ivresse de l’argon

Mémoire de cendre
Empire de poussière

Rêve sans matière
Je retourne à la terre

 

Cent slams en tête

 

J’ai des slams plein la tête à pourfendre du poète
Ça joue du tambour et de la trompette, je feins la fuite, mais en fait
Je peux pousser la chansonnette et t’en chanter à tue-tête
Car j’ai cent slams plein la tête à pourfendre du poète

 

J’ai des oiseaux sous ma casquette enfermés dans une cache secrète
Que tu ne vois mais dans ma tête ça tourne ça chante et puis ça pète !
Des larmes aussi dans les mirettes, parfois je mets trois graines dans une assiette
Je protège mes rêves dans des cachettes juste à côté d’une brunette

 

Celle-ci d’ailleurs, mais quelle nymphette ! Elle en connaît des pirouettes !
Fesses de déesse et yeux noisette, belle petite fleur, ma pâquerette
Cela n’est pas des sornettes, range-la ta mine tristounette
Faut-il encore que je répète que j’ai cent slams plein la tête ?

 

Au cou j’accroche des amulettes, la nuit je prie mes statuettes
C’est de la magie noire aux aiguillettes à faire pleurer les malhonnêtes
Mais je suis malade et j’interprète le petit mot le moindre geste
À faire partir les amourettes, ça tourne tellement dans ma grosse tête

 

Que je me demande qui est le poète que je veux pourfendre… C’est moi en fait !
Vas-y, fais sonner la trompette, je me suis trouvé c’est moi l’arpette
Sans balais sans pelle mais une baguette, ce sont mes rêves que j’époussette
Sans artifice et sans fumette pour une vision beaucoup plus nette

 

Et vous, vous parlez tant mais qui vous êtes ? Vous prenez-vous pour des prophètes ?
À me lorgner dans la lunette vous ne décochez que des fléchettes
Donc j’ai une pomme sur la tête, vas-y prends-la ton arbalète
Fais attention dans la tempête, ne te loupe pas que ça en jette

 

Que tu sois le roi de la planète, que tu me voles la vedette
Moi je m’en fous, j’ai cent slams dans la tête à pourfendre du poète
Mais détends-toi et fais risette, je ne suis pas le roi de la gâchette
Il y a mille bonheurs et cent mille recettes dans ce petit monde où on furète

 

Puis je t’ai oublié depuis belle lurette, j’ai mon bonheur dans ma pochette
Je ne crie pas l’amour à la sauvette mais si tu n’as pas compris je le décrète
Une dernière fois : je suis en quête avec cent slams plein la tête
Jette-moi la haine aux oubliettes, chantons l’amour pas les paillettes

 

Laisse-moi tomber ta clarinette tes idées fixes tes étiquettes
Ce ne sont que des réglettes destinées à te mettre perpette
J’avance ici à l’aveuglette, une vision folle dans la serviette
Avec cent slams dans la tête, amour, c’est tout ce que je souhaite !

 

On est plus fort que ça

Quand ça commence à vriller
C’est là que tu peux faire des gros trous
Ce sont des murs que nous avons à percer
Il y a tellement de haine autour de nous

Alors il faut s’engouffrer
Alors il faut s’enfoncer profondément dans les abysses
Parfois il en sort de l’art, parfois il en sort du vice
C’est dément

Avec nos vies d’artifices
Sorties de nos fissures qui grandissent
On ne sait jamais de quelle blessure on gravera nos cicatrices

On ne sait jamais quels mots vont changer la donne
Il y en a tellement de laids qu’on se prend en pleine gueule, tu m’étonnes
Que ça tombe que ça crève que ça se défonce que ça se cachetonne
Cette vie est une meule ! Et on se fait aiguiser ! Toujours être plus tranchant !

On se fait presser comme un citron et on prend tout dans les dents
Ça n’arrête pas ça n’a pas de fin, tu respires à peine la bouche hors de l’eau
Eh oui ! c’est ça mon ami ou tu acceptes et tu te traînes, ou tu te noies et tu restes sur le carreau

Mais putain où on vit ?
Tellement on crève pour rien !
Tellement on crève pour rien !
Tellement on rêve pour rien !

Pour trois heures de calme
Pour trois grammes de came
Avec de l’alcool et un peu de fumée
On rêve d’une vie qui reste à inventer

Mais on étouffe dans le commerce de ce monde en marche, le tonnerre gronde
De tout ce barouf ils nous bouleversent les ondes
Et puis ils cravachent nos frères, ils sont immondes !

À bouffer sur nos rêves, à nous faire rêver la trêve
L’amour dans le costume, non, surtout le chèque dans l’urne
Moi je n’irai plus jamais voter
Au lieu de ça le dimanche j’écrirai que je les déteste tous
Je leur ferai voir la détresse dans laquelle ils nous poussent

Les soirées de semaines à huit heures et demie je suis ivre
Eh ouais ! il faut que j’oublie que j’ai une sacrée chienne de vie à survivre

Tous ces moments ça ne tient plus la route
On pourfend les poètes on s’abreuve du doute
Tous en quête d’un meilleur plumard
Tous, on se guette le refuge et on se partage l’art
On se donne de l’amour ? On deale nos toujours !

Toujours plus de rêve
Toujours plus de haine
Toujours plus de peine
Mais toujours plus d’amour !

La drogue ou les lettres
Moi j’ai choisi la poésie
Mais putain où on va ?!

Alors, je n’ai pas l’habitude de dire ce qu’il faut faire ou ce qu’il faut dire
Mais cette fois, mes amis, si on veut s’en sortir
Il faudra qu’on rentre dans la vie et qu’on vive de tout ça
Il faudra s’enfuir dans cette vie encore plus que ça

Et si ça ne suffit pas, il faudra qu’on lui coupe les bras
À cette mort qu’on nous vend et qui nous court après
Qui veut absolument nous rattraper !
Non !

On est plus fort que ça !

 

La mode des rencontres

 

Les rencontres brodées du hasard, au gré des canevas d’errance
Ça nous aiguille tôt ou tard dans le chas d’un bonheur immense
Cela agite le foulard en soie, parfois sur le quai d’une gare
On se départ de l’accessoire, en réseau ou pourquoi pas dans un bar

Où s’assaille le comptoir des dentelles, de la geste des couturiers
Ça raille en rêvant d’arcs-en-ciel, c’est la valse des cœurs brisés
L’union de fragrances de sourires, gravitent autour des turpitudes
La lance de l’ivresse et des rires empale les pourpres solitudes

Voilure du prêt à consommer ou confectionné sur la durée
Piqûre au fil suave et doré, le verbe qui suture en surjet
Haute couture de l’élégance et parfois du prêt-à-porter
Les rencontres sont une chance mais quelquefois faut s’en défiler

Parce que quelquefois le bonheur immense, eh bien ça peut vite se déchirer
Il faut prendre garde à la chance qui pourrait bien vite embrocher
Le cœur et laisser la raison émiettée, patron décousu
Et pourrait aussi faire chanter à la gloire du « non, non jamais plus ! »

Cette fois c’est qu’on n’aurait pas eu de pot ou qu’on n’a pas bien essayé
On se retrouve dans un paréo qui nous va beaucoup trop serré
On essaye de coudre un bouton puis une fermeture éclair
Mais d’histoire n’avait que le nom et la doublure d’un éclair

Le bouton pète, la fermeture se grippe, on revoit notre savoir-faire
Découd la couture on traîne aux fripes la mélancolie à l’envers
On finit par vendre le fil d’or, aussi notre machine à coudre
Jurons sur la vie et la mort, on envoie l’amour se faire dissoudre

On peut alors se faufiler, après de longues heures en guenilles
Dans la collection lingerie, ici c’est l’histoire qui se déshabille
Celle-là où règne le passepoil, où la reliure peut s’enfuir
Ça rafistole sans grand style mais au moins ça ne brûle pas le cuir

Plus rarement il y a la grande maison, du sur-mesure pour âmes sœurs
Ceux-là s’habillent de grandes créations et deviennent leurs propres tailleurs
Tunique en soie estampillée de la griffe mannequin de la durée
C’est la mercerie des aimés, ils en font un métier à tisser

Ils peuvent être un peu énervants pour qui est seul dans sa jupe
C’est vrai que la peau sans collants, en hiver c’est un peu abrupt
Mais au fond on les aime, même si on leur taille un costume
Car si des rencontres, on a le rhume, on peut en faire couler la plume

 

Présentation de l’auteur




Morgan Riet, Euphémisme et autres poèmes

                                               pour Elliot.

 

« Il fait une petite chaleur »
vient-il de dire,
comme s’il tenait
à n’offenser
ni le ciel, ni personne,
à nous rassurer un peu
sur les suites
de l’entreprise.

Bouchée franche
des regards,
sans périphrase
autour des sandwiches,
il fait bleu de sourire
ductile
dans l’éclair
de ce pique-nique

en bordure de pluie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des voisins

 

Avec eux parlant
de la pluie et de l'herbe
tondue ou à tondre ;
avec eux c'est simple
comme bouger un pied
spontanément après l'autre -
et ainsi de suite,
allant son train bonhomme,
le moindre échange
sans arrière-pensée
au balcon ou bien devant
nos garages respectifs -
Avec eux il y a comme
l'effet d'une pierre
de sucre      candide
qui volontiers vient fondre
au milieu quelquefois
d'une amertume passagère.

 

 

 

 

Acquiescement

 

                                                 pour Olivier.

 

Alors que nous courons,
une parole entraînant l’autre,
tu en viens à évoquer
des tranches de vie,
ce que nous ne rattraperons plus,
ce qui nous brûle,
étape après étape,
et revient là,
en coup de sang, dans nos cœurs,
par petits tas de cendres.

Pour toi, comme pour moi,
le plus âpre dans tout ça,
c’est d’accepter ce train
qu’impose le temps
avec toutes ces gares,
ces incendies de parcours,
ces aiguillages humains
au goût d’amitié ou d’amour parfois
amers.

De tout notre souffle,
nous tranchons, en dépit
d’un ciel pesant de pluie et de larmes,
dans le vif des regrets,
et repoussons impuissamment la fin,
au gré des paysages traversés
d’images        en nous.

 

 

 

 

 

 

 

 

Plongeon

 

Rideau à peine
baissé du soir,

nous traversons
sa douceur et la rue
piétonne.

Rideau à peine,
baiser du soir -

les terrasses
y fourmillent
de langues, d'alcools,
de fumets divers,
baignés d'une sorte
de légèreté commune.

Rideau à peine -
oublieux         de savoir

nager      et des regards
qui me sont terre
ferme,

voilà que je plonge
avec le jour,
lourd de tous mes sens,
au large d'une pensée
fugace,
dans la houle
des récits possibles.

Rideau, sur ce,
troué d'étoiles...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bis

 

Ici, ça ne dure pas,
toujours ça tourne à l’orage,
et y r’pleut
comme on dit par chez nous.

Un cri de mouette,
pour nous rappeler l’été,
zèbre soudain ce tonnerre
d’abattement grisâtre.
(Toboggan, balançoire,
rêvant de cigales,
ont depuis belle lurette
enjambé le mur                   du jardin.)

Et c’est ainsi que tombe
de nos mains moites,
comme le poids maussade
d’une vache sur nos tongs,

la faible perspective
d’un château de sable.

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Arnaud Vendès, Silence et autres poèmes

Nous glisserons ensemble
vers les sommets rongés
de nos doutes séculaires

Seul, je tisserai contre la ville
les liens serrés,
de l'instinct noir du vide.

Le silence offre la cécité bienveillante
du sommeil promis,
aux égarés des songes premiers.

Les cendres grises couvrent la plainte consumée
des amants trahis vers la lumière du jour.

Nous laisserons ensemble,
une empreinte figée dans le fer et le sang séché.

 

 

 

 Les heures blanches

 

Un calme de lune
Un rire de terre grasse
Abandonné aux seuls amoureux des heures blanches
Où la lumière mouille de son halo vivant,
Le dernier chemin ouvert sur demain.

La pluie détruit à grands traits de malice,
La porte sucrée,
Passage unique, des histoires rendues folles de ton absence.

Le vol inquiet de tes bras
L'air battu d'une plainte sonore,
Rappel sur la glaise,
Ton corps secoué du doute.

Tu es partie !

 

 

 

 

Une île dans le ciel

 

Les larmes effilées au tranchant de feu
Sèment à la volée le grain chargé d'ivraie.

Le visage éteint, ton silence
Réveille les douleurs en souffrance.

Accroché aux reliefs écroulés
De notre mémoire infidèle,
Un sourire une caresse
Délivre la lumière aux tisons noirs.

Par des allées vert-citronnelle,
Les lambeaux rouges du soleil
Peignent des îles dans le ciel
Et des ombrelles si fragiles.

Plaines fertiles en bonheur, lendemains creusés de victoires volées,
Que dansent des reflets dorés, sur les récoltes à mon cœur incendié !

 

Ton empreinte

Les larmes de pierre dévorées à nos lèvres serrées
Perdent leur gangue en perle de calcaire

Attise le feu des croyances ocre rouge. 
À tout perdre elles tombent.
Offertes aux lois de l'ombre.

La sagesse résiste, attaquée, prise au piège.
Un seul nom sur la liste, feu de joie perpétuel,
Le jardin aux supplices, vague sourde, destructrice.

Blonde et triste, la lumière craque.
Source profonde de silences profanes.

L'aveu creuse le chemin colore les murs,
De fresques éphémères, que le soleil disperse.
La première peur, le dernier geste.

L'amour ne rend pas les corps. 

 

Crépuscule

 

Le soleil boit l'océan par dégoût
Et le crâne vidé, l'artiste se soûle de néant.

Au chevet du jour ridé,
L'espérance accompagne le moribond,
Guide ses pas évanouis d'attente vaine.

Il ne reviendra pas ?

Les derniers traits incarnats,
Doigts de lumière liquide,
Trépassent en jets parfumés.

Le sépulcre est avide en conversation stérile,
Quant à la gloire intrépide d'une pensée humide.

Rêve donc de bonheur !

En partie dévêtue,
Le visage peint, le sein, pierre ruisselante de larmes.

La nuit coule sur tes yeux.   

 

 

 

Étreinte

Je dessine sur ton corps une fenêtre secrète.
D'un bleu de ciel lavé fait ton cœur apparaître.
L'histoire de ta peau, frêle enveloppe d’écume,
À mon doigt perdu, signe la route du bonheur.

Le sang frappe son langage de feu,
Vibre le désir, Calme l'étreinte.
Et meurt, prisonnier des jours de plomb.

La fortune salée tire ses rideaux de pluie.

Ton rire de cathédrale éclate d'une ondée fertile
Et libère des créatures fantastiques.
Au chevet de notre joie, le pâle ennui, en rêve chante.

Par une porte dérobée les sentiments usés,
Suivent la course de l'été au son triste de juillet.
La brise marine, nous appelle vers le large.
Une poudre d'étoile guide l'amour encore sage.

Sur mes cheveux lisses courent tes ongles de granit.

 

 

 

Dans le murmure des hommes

 

Le désert mime des contes ordinaires.
Dégrafés dans le sens du vent,
Ses bribes se lient d'amitié.

Le vent marin disperse tes mots, notes de musique.
En cet exil minimal, les sons animés, alignés,
Complices d'une partition, concert d'oiseaux en cage,
Voyage sur ton corps baigné de sable brun. 

Les songes déchirés,
À notre ombre nue ondulée,
Souffle des dizaines de secrets,
Absorbés, digérés, parties de l'humus végétal.

Prends mes mains sèches, souffle la vie légère,
Tourne les âmes sans raisons.
La lune crisse bien des soirs.
Connais-tu d'autres histoires ?

La demeure des âges risque ses traits tirés,
De sagesse en partage.

Je sens couler l'eau chaude d'une cascade de vie,
Les larmes impriment le plaisir de ton prénom.
Mes pensées sont plus fortes que les mots.

 

Fleur de brume

 

Je roule entre mes doigts
Les images tièdes
Du jour qui s'éloigne
À l'écume d'une vague.

Zéphyr révolté
Réclame son tribut
Aux roches nues,

Victimes des flots,
Combattants sacrifiés.

Les mains glacées
De l'aurore liquide
Donne un vol limpide
Aux ailes silencieuses
Des frégates.

La semence dispersée
De quelques monstres marins
Chevauche les rouleaux d'argent,
Déferlante concubine,
À la côte déchiquetée.

J'enserre mes bras figés de brume
Aux barques imprudentes
Repues des festins tragiques
Du grand large.

La pluie sèche
D'une foule joyeuse
Lèche le sable vierge
En grappe de bonheur.

Le corps pénétré d'exil
Je glisse, reflux de l'aube lourde,
Vers des promesses d'orient.

 

 

 

 

Le cœur « Vent Battu »

 

Le silence amer de ta vertu vide le lit des fleuves aux berges déifiées.

Attablée parmi les étoiles, ta jeunesse part en jet de pierres. 

J'invente pour toi
Le masque lourd de la tendresse 
Que l'on étire sur les joues.
Je place les mains autour de tes peurs
En pleur la rudesse des contours.

Les lacs brûlent, coulent vers la mer.
Porte le deuil cruel des assauts du vent.
Trouble la vue des sables du désert.

Tu parles la langue circonflexe,
Généreuse, à l'accent brisé, criblé d'injustice.
Si la mort à profusion frappe ainsi les lions,
Le soleil mûrit sous le ciel d'or, dans ton sommeil un avenir.

Au détour d'un rire, j'ai croisé ton regard.

 

Le sommeil du funambule

Endormis trop tard ils sont partis !

Le silence reste
Moi qui aime la tourmente
Un rien me laisse seul
Guide mon regard
Vers ce point d'espoir.

La trahison du nombre 
Sèche les doutes 
De nos instants écrit 
Sur l'écorce du pardon 
Je cherche ma route 

Si ton sommeil existe 
Pluie de feu interdite 
Place forte libérée
Découvre ton sein
Calme ma nuit

Je me souviens des visages amis.
Ils peuplent ma mémoire
Le crâne déchiré d'oubli
Reste sur le seuil

Je prends ton sourire.

 

 

 

 

Mangeur d'ombre

Dans ce pays d'ébène
Les pierres cognent
À la porte des rêves
Les veines tarissent
Du sang des collines épanchées.

Les Grands Vents
Traversés d'épieux
Durcis au feu de forge
Transpirent le labeur
Du mangeur d'ombre.

L'obscurité abrupte
Vibre encore de ta lumière
Aujourd'hui inhabitée, désertée
Des morsures tribales
Qui jadis nous tourmentaient.

Par le ventre fécond
D'une mère affaiblie
Ta violence glisse
Des sommets effondrés.

Que l'enfant seul
Contre mes yeux éloignés
Cherche cette parcelle d'âme
Où se brise les mœurs anciennes.

 

Signe de vie

Dans ce pays sans mémoire
La pluie prie quelques secondes
Les fruits, les fleurs, les enfants,
Mangent la lumière aux pleurs des ruelles.

Consumés, dans une tisane d'embruns sucrée de courage
Les lambeaux de pierre coulent au saillant des ombres qui chantent.
Du lait de tes doigts la terre jaune s'épanche en fièvre de tourments.

Les pieds blessés emportés à midi par le chemin défoncé des pêcheurs
Tu plies sous le boutoir des rêves démantelés.
La bouche retournée du goût âcre d'un fruit vert
Une plage se dérobe à tes pensées.

 

Sous la mitraille et dans les airs, tu suis Icare en son dédale.
La roue inutile des servitudes pourrit les temps de plomb par ton exil libéré.
Tu salives l'inquiétude maternelle, les rires déglutis au soleil de l'enfance.

Les souvenirs sont des plaies béantes léchées d'innocence.

 

 

Présentation de l’auteur




Samy Hassid, Le Vent dans la chambre…, et autres poèmes

Le vent dans la chambre
fait glisser les pigeons ramiers
dans les petites mains rougies
de l'arbre en face.
Par la fenêtre ouverte
des vagues viennent
s'allonger un instant sur le lit
pour aspirer l'odeur
de nos sécrétions intimes
faisant vibrer au passage
les pages des livres
en spasmes éperdus.

 

Avec cette chaleur
me revient l'odeur
de la grenadine à l'eau.
Goûters pris entre deux activités
ou dans le car
de retour d'excursion
les mains toutes collantes de sève.
Énergie brûlée de soleil
les tempes résonnant encore
de courses exténuées
les pieds en feu
mais heureux d'avoir gagné
2 barres de chocolat
allongées sur du pain.

 

 

Mycènes est tombée.
Forteresse minée
par les tombeaux de ses suzerains
strates de poteries polychromes
trésors à même le sol
générosité posthume.
A l'ombre des oliviers
lentement se goûte
l'huile des siècle écoulés
le silence hachuré des cigales.
La mort qui montait la garde
dans l'étroit corridor du “cercle A“
à présent se gorge de ciel
dans les tholos effondrés.

 

 

Essuyées sur la table
extirpées du grille-pain
balayées jusque sur le seuil
les miettes fragmentent la matinée.
Elles gagneront le ciel
dans des gésiers d'oiseaux
tandis que ce fromage
jaune et friable
au goût sans arrière-pensée
reste ici avec moi.
Carence de plénitude.

 

 

Présentation de l’auteur




Michel Baglin, trois poèmes extraits de Un Présent qui s’absente

L’éternité

 

Si nous ne sommes pas assignés à résidence,

nous le sommes à l’instant,

au temps sans fond ni rives

où nous croyons baigner,

que nous portons en nous et produisons

comme le sang.

Ainsi ne seront-nous jamais

Ces morts promis

puisqu’un mort par définition

n’existe pas.

Peut-être croirons-nous nous voir mourir

et nous serons pourtant vivants

aussi longtemps que nous n’aurons pas passé le seuil

que nul ne franchit jamais

sans s’être au préalable dépouillé

de son identité.

Ainsi toujours plus près du terme,

et se sachant mortels,

sommes-nous condamnés à hanter

l’éternité

des derniers moments.

 

 

 

Michel , éditions
Bruno Doucey, 2013, avec l’autorisation de l’éditeur

 

*

Sillage

 

Une vie, à peine un peu

d’écume dans son sillage,

guère plus de traces

que l’oiseau n’en laisse

dans l’air qu’il fend.

 

Une vie, ce qu’il en reste,

cette traînée d’images

dans les mémoires amies

s’évaporant avec les ans.

 

Un vie, une voile, un vol ,

un grain de lumière

dans les sillons du vent.

 

(ces deux poèmes sous le titre «Faux départs », avec enépigraphe « Quand on ne sait où l’on va, il faut se souvenir d’où l’on vient. » (proverbe africain)

 

*

Extrait de « Jeux de miroirs », avec l’épigraphe de Charles Juliet : « Ecrire, c’est exprimer cette part de soi qu’on découvre chez autrui, cette part d’autrui qu’on reconnaît en soi-même 

 

»

 

3

On dit « l’autre » et l’on pense au migrant, à la faim qui le pousse à l’exil.

On pense aux terres lointaines et aux charters de l’aventure encadrée.

A ce maelström obscène autour de la planète de la misère et du tourisme qui se croisent

- les uns dans les aéroports, les autres dans une galère de clandestins – sans jamais se rencontrer.

On dit « l’autre » mais sait-on qui l’on stigmatise ainsi, qui l’on tient à distance avec un mot,

Quand l’autre reste en nous la part obscure et sans langage ?

La ressemblance rend possibles l’empathie et la fraternité,

mais aussi l’efficacité des bourreaux.

La différence conduit à l’incompréhension, parfois,

mais enrichit l’avenir de tous les métissages.

Ainsi l’autre nous est d’autant plus nécessaire

qu’il a de multiples façons de nous ressembler.

 

*

Le poème suivant est extrait de l'anthologie personnelle,  publiée au Castor Astral sous le titre De Chair et de mots en 2012

 

Cette vie, la porter...

 

Cette vie la porter

jusqu'à l'incandescence

comme un bouquet fragile

d'étincelles sauvées

dont seul l'éclat fertile

aurait un peu de sens.

La porter comme un feu

au temps des hommes nus,

comme un noyau de braises

à transmettre à tous ceux

qui refont la genèse

en paradis perdu.

 

Cette vie, l'arpenter

d'un bon pas de marcheur

qui saurait cependant

qu'il peut se dérouter,

qu'il n'est ni lieu ni heure

pour arriver à temps.

L'arpenter ou flâner,

c'est selon la saison,

la manière qu'on a

de chercher l'horizon

et d'accorder son pas

au monde traversé.

 

Cette vie, l'enchanter

d'un sourire entrevu,

de ces bonheurs fortuits

du passant amusé

et des odeurs cueillies

par hasard dans la rue.

L'enchanter à l'envie,

à petits coups de cœur,

à petits coups de chance,

en quêtant l'âme sœur

ou la clarté d'enfance

dans un regard surpris.

 

Cette vie, l'inventer

contre l'usure des mots,

les lèvres trop prudentes,

les gestes  étriqués

et les rêves falots

qui nous lient dans l'attente.
L'inventer à propos,

puisque le cœur réclame

un peu plus de vertige,

un peu plus d'états d'âme,

et que le chant exige

et la langue et la peau.

 

Cette vie, la jouer,

un peu de jazz au ventre

pour panser la blessure

et que l'eau du large entre

délayer la saumure

des sanglots ravalés.

La jouer triomphante,

s'il le faut contre nous

quand la peur nous défait,

mais n'oublier jamais

cet abîme au-dessous

des ailes qu'on s'invente.

 

Cette vie, l'éclairer

à la danse des flammes

sur une hanche nue,

aux feux de camp des femmes,

à l'étoile allumée

sur un visage ému.

L'éclairer d'allégeances

faites à la lumière,

à la terre, à la pluie,

au navire en partance,

à la fontaine claire

comme à l'alcool des nuits.

 

Cette vie, l'agrandir

par le corps réveillé,

l'infini paysage

qui nourrit le désir

de trouver un passage

et de reprendre pied.

L'agrandir par la mer,

par la vague et par l'aile,

par la voile et le vent.

L'inventer fraternelles

par les yeux grands ouverts

qui nous font plus présents.

 

Cette vie, la fêter

en allant jusqu'au bout

dans la paix et la fièvre,

ayant su la risquer

en se tenant debout

et la caresse aux lèvres.

La fêter en secret

en lui offrant son temps

et croire désapprendre

la peine et les regrets

en leur abandonnant

les jours tombés en cendre.




Silvaine Arabo, Marines Résiliences, extraits

Nous étions deux, hantés par la mer qui nous mouvait, dont nous
étions le vivant regard
Notre âme avait joué de la cadence des poètes du
bruit vert de la vague universelle…
Nous avons été le chantre et l’écume la mouette
inassouvie le passant qui ne s’attarde pas
Nous avons été l’aube et le corps dissous des soleils
lors même que la Conscience n’avait pris la forme ni
l’apparence du visage fragile que nous tenions entre nos mains
Endors-toi et ne rêve pas : volute et souveraine, tu
t’installes aux volets des algues, pour le repos demi
-clos du premier matin du monde
les yeux au bord de la lumière.

 

 

Transparence au monde d’où rivent les grandes
images nues : innocence où la lumière et l’ombre se
rejoignent, où les couleurs ne font plus qu’un
Transparence à l’enfant que nous fûmes, aux
bruyères d’autrefois, aux grandes vérités océanes,
aux seules réalités, aux seules et prodigieuses clartés
multiples Transparence par où s'écoule le filet minci du
silence pour s'ouvrir, tel un ruisseau dans la mer : ne
pas remettre à plus tard l'extase des aubes rosées
Etre l’aube qui se balance : un nouveau silence avant l
’illusion du bruit. Quelque chose qui glisse et
emprunte tous les masques, y compris celui de la
pierre, du minéral le plus lointain.
Transparence qui jouit de sa propre transparence 
puisque tout est dans tout, et l’arbre et la naissance 
et la vie - même figée - des sourcils qui se crispent et 
meurent pour inaugurer le règne assumé du silence.

 

 

De l’invention sacrée qui toujours passe par ton
corps et ressurgit purifiée - feu du noir et poussière
d’or sur tes doigts - je t’invente l’arbre aux
stratagèmes indécis et repeuplé d’oiseaux multiples
Je t’invente aux rites chevelus des oiseaux : cœur de
l’arbre et formes incessantes sous le clignement des
ailes et des paupières errantes
sous le bleu repos - tenace - des astres et de la nuit.
Ainsi tu chemines et je perds nos mots à travers
d’insondables rêves que jamais tu n’auras
désapprouvés : dédale ivre des chercheurs incertains
aux longues plongées sous-marines
Une terre n’est plus rebelle : nous roulons en son
centre où nous devinent mille éléments que nous
baignons et lavons de nos soleils

qui nous sollicitent
nous purifient d’insensées rumeurs
afin qu’éclate, autre soleil, la jeunesse ramifiée.

 

 

Seules fièvres ivres de la musique et blanc tambour
sur quoi palpitaient volaient d’étranges nacelles
des transits pour le battement léger des cœurs au
centre au rythme même de l’univers
Et vous implorerez jusqu’à la racine simple ce
souffle qui nous dessine et nous pétrit et nous
broiera de ses laits bruns et ocres de terre avide
Pour saisir le moindre rythme que d’oublis d’une
mort qui menace d’une vie couleur de
grenade et de soupirs du moindre
Que de linceuls primitifs et intérieurs que de deuils
châtrés !

Et mer qui menaces au centre du cri recouverte du
gris manteau de routine et lame comme un éclair
soudainement comme un éclair de lampe dans la nuit
des temps
Et l’eau sur l’arbre renversé qui se noie image
fulgurée des grands départs loin des voies étoilées
du vol
des voiles - pas même - blanches et bleues des
odeurs cassées au retour très près

Et le pincement qui bruit au cœur de toute chose : à
saisir à reconnaître.

 

Et puis là, autour de la maison, dans la nuit bleue, il
y a l’esprit qui rôde et veille et se déploie : l’arme
qui passe ne le tranchera pas n’anéantira£
ni la pureté de son errance ni le départ libre vers
l’écume et la forêt.
Il glissera le long de la lame, lisse et conscient, sans
haine, sans peur, avec un sourire indicible que seuls
percevront les arbres antiques et la rondeur parfaite
des fruits mûrs au sommet de l’été.

 

Les mots auraient dû se briser sous la grâce
trop intense du sourire : j’aurais voulu psalmodier ma
joie. Les arbres n’étaient pas différents de mon sang
et mes mains-hirondelles ne battaient pas, immobiles,
mais elles tremblaient, scintillantes, comme les cristaux
de neige sur le sol de l’enfance.

 

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