Barbara Le Moëne, Maisons

Maisons

 

Ce n'est pas la maison qui voit, c'est moi.
Derrière la vitre souvent, les jalousies parfois,
j'observe encore et encore. Je connais la célèbre
photographie de Picasso en pull marin, j'ai vu son
regard, ses yeux écarquillés. 
Depuis j'essaie de faire grandir la taille de mes
yeux. 
Vivantes plantes vertes.
Plus que d'un lémurien dont les yeux ronds
réfléchissent la lumière amoureuse, je voudrais
posséder les yeux d'un Picasso en pull marin.
Avec ces yeux-là, je n'aurais plus besoin de mes
jambes pour fouler le monde auquel je n'ai pas
accès. 

 

 

Un chemin de pierre traverse le jardin. Sur les
dalles où se posent mes pas me sont apparus
fugitivement les traits d'un visage naïf, puis deux
poissons, aussitôt enfuis. 
Je scrute à nouveau la pierre, mais cette fois-là je
ne vois rien. 
C'est que tu cherches, dis-tu, à percevoir quelque
chose. 
Ta soif est trop grande. 
Ignores-tu que chercher précède parfois perdre ?

 

 

Certains jours je rumine dans les recoins de ma
maison. Je passe entre les bras des mots,
dialoguant avec moi-même —  récits recomposés
du passé, scénarios imaginaires —­  conversations
à voix basse avec les morts. 
Un épuisant bavardage. Ne me laisse pas de répit. 
Je m'enfonce au profond des images. Une image
après l'autre. Se forment comme les nuages,
modèlent toute une ménagerie au ciel. 
Un épuisant défilé. Ne me laisse pas de répit.
Je m'égare.
Ces jours-là je n'entends pas l'appel du dehors. Je
ne vois pas le balancement de l'arbre derrière ma
fenêtre. Il m'appelle pourtant, me fait signe de ses
grands bras mouvants, tandis que je vacille
doucement.

 

 

Parfois, tapie dans l'ombre de la croisée, j'épie les
mouvements de la maison voisine. 
Est-ce le moi fraîchement né du jour ou bien celui
de l'époque enfantine qui me bouscule, me passe
devant et me supplante devant la fenêtre. 
L'enfant a pris ma place et gouverne. 
Epiant comme autrefois il épiait les autres enfants
jouant. 
Attiré, fasciné, par l'hypnotique ballet de ceux qui
font la ronde ensemble sur le théâtre des hommes. 
La blessure secrète est un ru qui court en découpant la
verte chevelure du pré. 
Elle est la sève du saule solitaire et robuste qui
échappe à la hache.

 

Respire la maison silencieuse. 
Une colline de chair au loin s'arrondit. 
Quelle est cette présence qui dénoue les mains de
celui qui dort ? 
Une évidence sourd comme eau fraîche dans
l'appartement clos et boisé. 
Un être se contente d'être.
Et nos simples vies alors dans son souffle passe et
se reconnaissent.

 

Présentation de l’auteur




Joëlle Pétillot, Gadoues et autres textes

Gadoues

 

Parlons de la pureté des gadoues, des rêves en flaques, ces ocres irisés aspirés des semelles.

Chaque fois un bruit de succion emporte un peu de terre qui dit qu’on avance. Les pas jouent à imiter un dernier 
souffle.

 

Oui, un pied peut pleurer quand il porte un corps dont il ne veut pas. 

 

 

Hors

 

A toujours prendre l’autre chemin

Marcher en boitant tout droit

Pleurer à pauvres larmes 

Je sais que j’ai raison de me tromper

 

Je te méconnais par cœur

 

 

Jardin de plomb

 

Dans le jardin obscurci

La presque nuit du jour

Reçoit l’entaille

La diagonale apurée 

Un éclair boutant l’ombre

Qui donne à espérer la paix.  

 

 

L’île-vent

 

C'est une île drapée de vent. Encombrée de vols calligraphes, d'azur plombé.
Vienne une tempête et c'est le phare qui semble écrire. S'écrasent alors des mots intranquilles claquant comme 
des injures. Leurs lambeaux crochent la rocaille, qui ne bouge pas. Le sel brille comme une armée, il faut rire de 
sa blancheur noire. 

Elle ronge, mais la plaie a du goût.

Au milieu, la mémoire enfoncée des pierres ne compte pas de rêves. 

Nous sommes faits d'un sable dont les grains ne savent pas pleurer.

 

 

Silence contre

 

L’éternité aboie depuis le seuil

Je n’ai que du silence à lui opposer

Ce serait cela, l’humain

Une brièveté craintive

Le sourire sourd, envers et contre

Le chien lâché

Pisseux d’attente

La porte trop légère

Qui me protège des crocs

 

            Mais le sang bourdonne

            De la terre-abeille

            Les rêves à mes narines

            Se rêvent encore plus loin car il se tient au cœur du monstre

            Un semblant de pitié

 

L’éternité aboie depuis le seuil

Se tient droit

Mon silence contre.

 

Présentation de l’auteur




Tom Viry, Déchirer la nuit (extraits)

1.

C'est une vision un esprit fou 
accroupi sur sa branche
qui se griffe les joues
                             de nuit
                                       de jour
il jette parfois très loin 
des mots amers 
d’admirables jurons

portés par le vent 
                             happés par la mer
et ça brille
                             dedans la nuit

 

2.

Voilà que pendent les restes du monde 
défroqués jusques à la moelle

voilà ces faux visages
qui ne disent même plus rien 
et transpirent de regards morts

et puis voilà ce qu'on ne voit plus 
de brefs sourire miteux
comme des oiseaux en cage

et puis
le vent n’a pas tout dit 
il reste de quoi pleurer 
il reste de quoi frémir

et peut-être qu'au fond
ce ne serait que ça
un peu d’air frais dans les cheveux 
un peu de vide dans la caboche
un brin de rien au fond des yeux

 

3.

À trop regarder les étoiles
j'ai comme un vide au fond des yeux

sur les parkings où dort la neige
les vieux loups blancs sont morts de trouille 
mais à la nuit toujours viendra le jour

et toi t'es là dans cette rue
comme le chat gris du vieux faubourg

 

4.

L'aube sur son radeau 
s'accroche au toit du monde

l'horizon vêtu de bleu 
referme ses volets

il y a entre les deux 
quelques gouttes d'existence

et ce vent rageur 
qui tente de crier
un mot

 

5.

J'ai tant crevé les nuits
au travers des carrefours 
à visiter les ombres
de l'homme à l’insecte 
qui arrache sa peau
mon âme est quelque part 
au-dessus de ma tête

ma poésie n'est rien de plus 
qu'un tas dégueulasse

 

6.

Crac
noir
dehors dedans
la nuit qui fait crever

Plop
blanc
lumière d'aurore 
entre les yeux

Crac 
Plop
noir blanc 
noir
à l'infini

 

7.

J’ai dit mille fois les mots 
un par un
peut-être trop bas
ou peut-être trop mal
mais je les ai dits bon sang 
alors pourquoi
ne les vois-je pas briller 
là-haut dans le noir
où sont-ils dis-moi
sont-ils restés dedans ma tête

 

Présentation de l’auteur




François Rannou, Camera oscura

Camera oscura

 

1

 

les rayures du

matin sur

ton visage tracent une

grille pour tes rêves presque

enfuis déjà

         alors que tes

paupières battent com

me des papillons à

la fenêtre

 

                  ton père s’éloigne à

                  l’ombre le volcan derrière

                  lui

                       toi « les pieds dans l’herbe

                        du jardin » tu cours

                        vive, vers lui

 

mais le jour neuf réveille

le feu de tes cheveux tes

lèvres s’ouvrent même si tu fermes

encore les yeux

mes pas sur la mosaïque

rejoignent tes balbutiements ce matin

 

j’écarte les persiennes

 

 

2

 

cette femme dont les

yeux seuls

sont visibles pose le

fleuve contre sa

tempe pour

la première fois 

 

ces mots repris

dans sa mémoire « la

luxuriance du jardin, du

sycomore et de la source à

l’entrée d’Héliopolis »

apparaissent sur

le mur

 

l’eau jusqu’au

trait d’angle

             les rues

seraient des étoffes noyées

où se rayent nos

mains tes fesses len

tement glissent

 

à hauteur des lampes

 

 

3

 

allongée sur le

lit visage mouillé tes

cheveux striés par

le store

 

je traverse les photos

         passées d’un

vieux livre tandis qu’en

         bas dans

le jardin sans herbe  ton carnet

 

de rêves tombé un

         enfant

énerve son chien lui

         jette

son ballon en criant près

 

des doigts

relâchés

je te

rejoins

mot à

mot

 

 

 

4

 

aux yeux de John Maynard Keynes l’accumulation de l’argent

pour l’argent, l’obsession du taux d’intérêt relèvent d’une

attitude morbide dont rien de valable ne

peut émerger. Il appelait de ses vœux un FM

I dont la monnaie supérieure serait le bancor

indexé sur le cours de l’or et distribué aux

états en fonction des puissances éco

nomiques respectives. Il était soucieux

de redistribuer des richesses aux

plus pauvres — pour soutenir la

consommation tout en en contenant

les tentations spéculatives

car une fois que les flux é

conomiques seraient

bien maîtrisés il pen

sait que nous n’aurions

plus qu’à nous consa

crer à la beau

té et puis

à l’a

mo

ur

 

 

 

5

 

de derrière les yeux

tout nous aurait traversés

avant même ces

histoires dont on

connaît tous

les débuts : reprises

reliées, défaites, ornées

brodées, ensorcelées qui

 

croire ? d’une langue

à l’autre du globe tu casses

le son dur des amants qui

s’ignorent

 

           n’aurions que

ces images pour

dérober nos lèvres

aux bribes trop claires

ton visage nos adn

disparus dans la poussière

 

crépitent copeaux

 

 

Présentation de l’auteur




Guillaume Simon, Au Parc et autres poèmes

Au Parc

 

Erik Satie m’accompagne. 
Art nouveau, organique, végétal. 
Une sève urbaine irrigue mes organes, les sédiments donnent le La. 
Un parc en miniature a poussé rue de la Roquette. 
Les familles le traversent comme elles ont traversé leurs vies,
comme elles se sont pardonnées. 
Ceux qui croient tout savoir le transpercent de rires idiots. 
Le gardien a disparu sous le sable et des années de coupes budgétaires. 
Les enfants ne jouent plus sur les toboggans,
à quoi bon glisser sur des objets qui ne sont même pas connectés. 
Ils ne tombent plus sur les sols mous. 
Les points d’eau ne coulent plus. 
Pourtant, cette fois-ci,
la mélancolie perd la partie. 
Le printemps joue au prozac. 
Un loulou sur son vélo roule enfin sans les petites roues. 
L’orchestre s’accorde,
la baguette est levée, en suspension, 
les dièses, triolets et appoggiatures s’apprêtent à rhabiller les foules
et rallumer les cellules. 
Le blues devient majeur.
Allons goûter au bonheur.

 

Travelling

 

L’hiver a eu raison de mes ambitions nocturnes.
J’ai marché, tête rentrée dans les épaules,
le 5ème s’étalait sur Macron,
la ligne 7 ne mène décidément nulle part,
Pont-Marie, dos à la Seine, face au public des mauvais soirs,
Le Marais, où sont-ils passés,
Bastille, ses pommes d’amour, son majestic usé
et ses bandes d’amis qui crient d’ennui,
rue de la Roquette, la misère allongée entre les guichets automatiques,
rue de Lappe, où les âmes se salissent,
la mairie du 11ème, ni gaie ni triste,
puis l’avenue Parmentier,
si familière,
si souvent empruntée.
Les nuits sans envol ont aussi droit à leur travelling.

 

Si les briques s’effritent

 

Et si rien ne se passe, je recouvrirai ma peine,
je l'étoufferai avec un plaid,
je la coincerai sous le chauffe-eau,
je la noierai dans l'acide, la jetterai dans le vide,
je me moquerai d'elle, 
chaque soir, devant le miroir,
je la rendrai ridicule, je l'appellerai machin bidule,
si rien ne se passe,
si la déception l'emporte,
si les sentiments fondent, là, sur ce trottoir rayé,
si les briques s'effritent
je commanderai le pire des vins,
je ne paierai rien,
si rien ne se passe,
je changerai les saisons,
et si ce n'est toujours pas assez,
je rejouerai la partie,
même perdu d'avance,
je retenterai ma chance.
Pourvu que tu sois là.

 

14h49

 

J'ai envie d'écrire à quelqu'un.
Personne n'écrit jamais à 14h49.
C'est une heure sans objet, sans lumière, sans dessein.
Les corps s'écrasent et disparaissent au creux des fauteuils à roulettes.
Le café ne promet plus. 
C'est la traversée, celle de la Manche, celle des Ferry,
des tables en plastique et des horizons aplatis. 
A  l’aventure.

 

Un mot 

 

Trouver un mot qui soulage. 
Un seul,
même ridicule,
même compliqué. 
L’accorder à ses humeurs. 
Le faire sonner sur son coeur. 
L’écrire aux autres. 
Passer le mot. 
Guérir.

 

Présentation de l’auteur




Janine Modlinger, Le Séjour

 

LE SÉJOUR

 

L’émotion surgit. Perce la glace du sommeil, de la peur, des habitudes.

Dehors, la merveille. La montagne diffuse le silence, le seul qui convienne.

On se met à l’écoute de ce silence. On écoute la montagne, la roche, les sapins
agglutinés sur la paroi, l’eau qui descend de là-haut.

À l’écoute du silence, de la joie. La montagne scintille, éveille en soi un lieu
secret, dense, ignoré.

Un lieu qui apparaît et disparaît, comme un feu follet.

La montagne, flamme d’eau vive.

Tout à l’heure, leurs corps allongés l’un près de l’autre, dans la nuit de
l’ignoré.

Fondus dans l’immense.

Maintenant, il lui dit: « J’étais à Venise, très jeune. J’allais en bateau d’un lieu
à l’autre, j’allais à ta rencontre. »

Comment ont-ils pu traverser la nuit, la longue nuit de la douleur, pour se
retrouver maintenant, dans l’eau claire de la présence ?

Écrire. Écarter l’obscur. Tracer des mots de silence, éclats de présence peut-
être.

Être venu à vie, comment faire pour que cela ne soit pas une anecdote, une
histoire vaine entre les plis du sable, déjà oubliée, close pour toujours, un
remuement sans signification.

Elle ne sait pas. Elle continue à creuser l’ignoré.

Elle regarde les tables, les serveuses, ceux qui mangent, la disposition
méthodique des choses, des jours, l’aller et venue des gens.

Insignifiance ou plénitude ? Parfois elle ne sait pas. Elle chavire dans l’entre
deux, dans l’ignorance, dans la perplexité.

Elle attend.

Elle songe à son regard bleu, bouleversant, toujours neuf, elle songe à ses bras
entourant sa taille, les mains caressant le silence. Elle songe à la simplicité, à
l’évidence de l’amour.

Ils sont allés dans le blanc. Dans les neiges. On voit mieux dans le blanc que
dans la pleine clarté. La brume permet la vraie vision. Celle qui est autant vers le
dedans que vers le dehors.

Elle sort l’appareil de photo, appuie sur le bouton et regarde. Il n’y a presque
rien. Une cabane de bois recouverte de neige, quelques sapins et l’immensité du
blanc tout autour. La joie s’approche d’elle.

Venue ici pour célébrer en mots, en images, la présence.

Il faut avoir connu enfant la perte absolue, la disparition d’une mère, l’attente
interminable, suffocante de son retour, pour ensuite saluer la présence.

Pour ne pas mourir à son tour, on va border le silence avec des mots. On va
remailler l’absence sur la feuille d’écriture. Faire le travail humble et patient de
la tisserande.

Étoffe à partager avec les autres, les lecteurs. Nous sommes venus ici pour
donner.

Elle pose des mots sur la feuille blanche, des mots simples, comme des petits
cailloux pour retrouver son chemin.

L’existence aura été vaine si la parole et l’écoute n’ont pas été portées à
hauteur d’homme. On aura vécu comme des ombres avant de retourner à
l’obscur.

Se parler, s’écouter, laisser le flux s’écouler, dans la tranquillité de la
présence.

 

***

 

 

Ce silence a sans doute tué Paul Celan, venu à Todtrauberg dans l’espoir que 
quelques mots venus de bouche humaine seraient dits par le grand penseur.

    À genoux devant les mots : ceux qui vont me donner la vie, me ressusciter, 
me sauver. Ceux qui peuvent me défaire, me mettre à mort.

    Parallélisme, sans doute exagéré, entre l’absence meurtrière de mots chez 
Heidegger, et les cataclysmes intimes où l’absence de mots m’a terrassée.

    Regarde. Toutes ces couleurs, fondues l’une en l’autre, ces lieux aimés,
célébrés, l’aventure du vivre, cette manière de se mouvoir malgré l’absence.

    Cette grâce : être mort plusieurs fois et avoir rencontré, à l’instant fugace, la 
vraie vie.

    Mais renaître est la tâche de chaque jour. C’est comme une neige qui
encombre le chemin et qu’il faut sans cesse déblayer.

 

***

 

 

Durant tout le séjour, le soleil avait disparu. Le paysage était d’autant plus
beau.
    Il était voilé.

    Apparition, disparition, les brumes s’étalent à l’horizon, s’agenouillent, 
regardent le monde avec bienveillance, puis s’en vont. L’essentiel est dit :
apparaître, disparaître, naître, mourir.

    Elle aime ce qui se cache, ce qui est voilé. Elle sait que l’essentiel 
s’appréhende lentement. À pas lents, à pas comptés.

    Dans la démesure ou dans l’extase, parfois.

    La brume permet d’avoir la vraie vision. Celle qui est tournée vers le dehors
et vers le dedans.

    Elle avait sorti son appareil de photo, non pour capter l’insaisissable, mais
pour le suggérer.

    Elle sourit devant la merveille : la nature a inventé ce qu’il y a de plus
impalpable, de plus ténu, cette grâce accordée au ciel, cette ouate aérienne. La 
brume flotte là-haut si légère, et voici qu’elle songe à l’Ange de Reims, à la 
beauté d’un sourire, à un baiser d’amour.

    Oui, la légèreté existe, se dit-elle, réconciliée, en regardant le déploiement 
souverain des nuages là-haut.

    Entre le visible et l’invisible, tel est le lieu de notre existence.

    Dans les brumes, le paysage s’abandonne au monde.

    Fondus, confondus l’un en l’autre, il y a comme un acte d’amour 
entre le ciel et la terre.

    Comme là-bas, entre les sables et la mer.

    Le ciel s’incline vers la terre, et la terre s’unit au ciel.

La vie apparaît dans sa dimension plénière : dans son clair-obscur.

    Quelle jubilation de deviner les sapins, les roches, les sommets cachés 
derrière le fin rideau de nuages.

    Voilés, dévoilés, en mouvement, en mouvance.

    Tout ce qui est élevé, l’amour, l’Éros, le religieux, apparaît voilé.

    Le voilé recèle ce trésor qu’elle aime, la pudeur, l’effacement.

                  Car tout est mystère. L’écriture veille sur ce mystère.

 

***

 

 

C’est justement cette blessure que j’aime.

    Cette trouée, parmi les arbres, cette peau de la montagne blessée à vif. Ce 
sang blanc.

    La nuit tombe maintenant, une encre bleue se répand. Le contraste entre le
blanc des neiges et l’ombre des sapins s’accentue. Ces nuances me ravissent, 
m’illuminent.

    Sommets plongés dans la brume, bientôt dans les ténèbres et le froid.

    Hautes solitudes des roches là-haut, et aucun regard pour veiller.

    Mon regard caresse l’immense trouée qui creuse la roche, sépare la montagne, 
la fend, coulée de blanc, d’innocence, du haut jusqu’en bas.

    C’est par là que la montagne respire, chair palpitante, vivante, ouverte.

    On dirait qu’un torrent de neige s’écoule, une eau bruissante, une blessure qui
chante.

 

***

 

 

  Ma demeure est le présent. Plénitude précaire.

    Entre deux battements de porte, dans ce présent fragile, je nidifie.

    J’ouvre les portes du regard et de l’écoute. J’ouvre les vannes. Tout flamboie.

    Le réel s’avance, souverain, inconnu. Je titube, entre éblouissement et
détresse.

    Et ce silence dehors, ce silence invraisemblable, sécrété en cet instant par les 
montagnes.

    Les voici dressées, barrière de roche et de silence, à la fois réelles et 
immatérielles.

    Des montagnes, pas seulement. C’est devant l’univers lui-même que je suis.

    Devant l’inouïe beauté, devant l’univers terrifiant.

 

***

 

 

Si grande, la beauté, plénière, énigmatique. J’en éprouve un vertige, je vacille
sur l’immaculé de la neige.

    Il faudrait creuser en soi une vastitude pour l’accueillir.

    Il faudrait s’amplifier, se simplifier.

    Mettre en soi des étendues de blancheur, de silence, de générosité.

    Comme toi ce matin, recueilli sur le piano virtuel de ta tablette, te mettant
soudain à créer. Je t’ai entendu t’élancer vers la beauté, l’accueillir de tout ton 
souffle d’homme. Tes doigts ont effleuré les touches, la musique est venue à
mon âme.

    Adossée à la beauté, confiante, l’effleurement du bonheur, peut-être.

    Savamment, doucement, chaque fois que je l’accueille, la beauté se dépose en 
moi, nidifie, devient source, eau vive, lumière.

    Entre les plis de la roche, de l’arbre, du ciel, il y a encore à voir, à respirer, à
goûter. Le goût de la vie est comme une semence inépuisable.

    La beauté, surplombant l’absence, dans un combat interminable.

 

Présentation de l’auteur




Benjamin Demeslay, Bivouac, extraits

Atomes et secret

 

Son essence – tu ne sauras la saisir et peux-tu,
« T'en approcher ? » Question s'attise :
Tends l'oreille au secret, tressant les muscles de ton corps 
Contre les molécules qui te couvrent en manteau de souverain : 
Il s'irise contre toi, encore faible de ta nuit
Sous les appels solaires et les enveloppes de brume.

Saine s'approche – la tendre vivifiante, 
La réponse en l'aurore.

Elle s'approche ; dans la danse primitive. 
Technique. Évanescente des atomes
Te forgeant la couronne de subtiles étincelles
Sans couleur et véritables comme ton but
Désormais dans la bruine te louant, de le quêter ainsi : 
Choc de matière – et globe de vie

Dans l'affrontement de la question, et ses murmures dans les gouttes 
D'eau éclatant sur la peau blanche et rose.

Telle ; elle est la réponse du chantre au chœur et
Déploie la liturgie et l'averse – où gît le dernier mot Amen ! – mille fois encore 
Dans la terre meuble, et la fugue de tes atomes
Se résorbant dans le bruit blanc
De ton sacre au secret ô

Migrateur.

 

A Space Odyssey

 

Ne les regarde pas ! Il n'est pas à fixer, leur nombre.
Si tu dois les sonder depuis le puits : les étoiles
Écoute seulement comme tinte, le monolithe lui qui déjà se réverbère
Le monolithe. Et la vue de ta vue, se réfractant en tes milliers, l'infinité de tes instants ? 
Composition-décomposition de ta scène

Il provient ton regard, identique à l'étoile : il a des branches
D'une autre époque de râles de fissures d'explosions jusqu'à la suspension ; l'absence du son le noyau :

Le temps – se tournant sur lui-même en l'attente de ta prunelle.
Combien de rotations, lors que tu nais et meurs en psychédélismes ? 
Lors que tu nais et meurs, Dans la répétition d'autre que le rêve, sous les étoiles ouvertes :

Mauves les outils de ta crainte, que t'offre la lumière
Les particules élémentaires, seuils et départs de tes faisceaux 
D'exploration plus rapides au regard, que le tissage
Des Parques au défi ; de ta pupille et des photons.

 

Bivouac et entrailles

 

Les vêtements : lourds de la sueur froide.

Ils pèsent encore, quand les espèces vacillent comme la flamme et crépitent et craquent vertes comme le bois,

Mis à nu s'envolant en cendres et couloirs et spirales dans l'âtre

La plus vaste où l'homme est indistinct, de ces tisons de plumes et d'écailles.

De la peau lisse, ici – et par la grâce insensible à sa propre extinction. Qu'espères-tu du « savoir », et de l'existence ?

Il n'y aura, rien qu'au-travers le foyer de ces flammes et la certitude impossible :Sois bête sublime maintenant.

Et combien d'ères pour nous ? Il fallut se survivre, aux temps du gel et des éclipses, résorptions des lignées d'autres en toi et :

Des étoiles en visions ; par les regards de feu pareils au verre ; à la glace fine. C'est par quoi se lisent les entrailles.

De ceux qui doivent venir depuis le feu,

Depuis le bleu de la flamme où y ils pourront se porter à leur point d'avènement, de combustion ; presque entre les paumes des deux mains

Au milieu de la nuit et du matin le moment

Où la chair ploie comme le creuset de chorégraphies chaudes du fixe et du souple et des courants.

Bleu-jaune-noir hypnotique.

Les paupières sont lourdes et les pas les futurs .jusqu'au repos de la chair se peuvent comme le feu – oscillant.

 

Chien de bât

 

Et tous espèrent. A-t-il toujours des crocs ?.Et peut-il mordre encore ?
Réminiscences viendront : de la serre chaude au monde,

De sa première nature et du mot ; l'inaccessible – on l'a caché sous la lime :
Primordial.

Revêts-le, le domestique de ses bandes synthétiques :.il porte enfin la charge des sauts, 
Parmi les souches les ronces et les taillis.– Vitesse rend grave alors
Sa gueule liquide et blanche et pour seule expression : palpitements et rien d'autre que 
Simplicité ; l'apparente.

Les épaules lourdes et contractées – les sanglées de sa force
Ainsi la flèche en accomplissement de la joie
Sans le concept et les dilemmes : par-dessus et par-dessus, cette branche encore
Lors qu'il marche et court et persiste,
De cercles en cercles se meut, dans le sillage de sa propre chair, et heurte
Les sacs de bât ou les sceaux de mémoire,.contre le tronc d'un frêne, la jeunesse des noisetiers lorsque 
Le rayon perce déjà les surfaces de l'averse.

Artifice : tu es à l'origine de l'instinct ainsi

Que la mémoire des pistes, les traîneaux sur la neige qui coule dans leur 
Grande Chasse au temps de l'homme du sauvage ;

Intraduisible Wild en sa recherche des fardeaux contraintes
De la source que taille, encore tes mains et :2 x 5 phalanges de gants, poussiéreuses ces œuvres des longues

heures, générations.
Elles frôlent encore les houx.

 

Présentation de l’auteur




Lucien Wasselin, et autres poèmes

 

saint rémi

 

15 janvier 1919 Rosa Luxemburg

sur ordre de Gustav Noske
social-démocrate bon teint
la répression éradique Spartakus

Rosa fut frappée à coups de crosse
abattue d'une balle dans la tête
et jetée dans le Landwehrkanal

le poème ne dit pas le bruit
des coups de crosse ni du révolver
ni du corps jeté dans l'eau

 

sainte prisca

 

18 janvier 1943 Emilienne Mopty

elle fut à la tête des manifestantes 
dans les Indes Noires en 1941
lors des grèves de mineurs

trahie et arrêtée par la gestapo
elle fut décapitée à Cologne par les nazis

fait-on des vers 
avec l'horreur
soixante-dix ans après

si ce n'est pour conjurer l'oubli

 

sainte sandrine

 

2 avril 1943 Jules Boussingault

assassiné par un kapo 
lors d'un appel au camp de mauthausen
à coups de manche de pelle 
il éclabousse son voisin
de fragments de cervelle

légende ou réalité
je ne sais

 

 

sainte alida

 

26 avril 1937 Guernica

la bataille continue de nos jours
comme elle continua après 1937

à otto abetz regardant une photo
du tableau de Picasso
et lui demandant "c'est vous qui avez fait cela"
le peintre aurait répondu "non c'est vous"

aujourd'hui encore les chiffres
sont revus à la baisse
on est passé de 1654 morts à
300 voire à 100

il n'y aura bientôt plus
que des survivants

reste que franco la muerte s'est lavé les mains
dans le sang des habitants de Guernica

reste que Picasso a peint
le tableau le plus célèbre du monde
pour dire son horreur et sa colère

reste qu'un seul mort
est un mort de trop

souvenirs souvenirs
emportez !

 

saint donatien

 

24 mai 1871 Semaine sanglante

les morts sont coupables
on ne sait jamais qui se cache dans un cercueil
passage Tivoli à Paris
l'armée versaillaise arrose de balles
un corbillard qui mène au cimetière
un habitant du quartier mort dans son lit
les chevaux s'enfuient tirant au diable
le convoi funèbre les fers résonnent
rue d'Amsterdam un croque-mort tombe
il passera de vie à trépas dans la nuit
l'ankou et le kapital ricanent

 

 

été

 

21 juin 1957 Maurice Audin

éternel évadé de la vie
incarnation de l'homme aux semelles de vent

il fut torturé et n'en revint pas

la lumière n'est pas faite
sur l'éternelle disparition

le sera-t-elle un jour
au terme du parcours Maurice Audin

 

saint firmin

 

11 octobre 1914 Jean-Julien Chapelant

quadrature du cercle
et paroles perdues dans le vide

capturé par l'ennemi
il s'évade malgré une blessure à la jambe
et regagne son régiment

accusé de capitulation en rase campagne
il est condamné à mort
fusillé pour l'exemple
attaché à son brancard
dressé contre un pommier

combien faut-il de balles
pour abattre un arbre




Patrick Chavardès, Un ruisseau

 

 

I

 

Je désire une fin

sans moyens

Qui voudrait d' une stèle

je ne désire rien d'autre que

me coucher sous l'arbre et que l'arbre soit

comme un arbre

 

Je le désire sans cesse

 

Les pierres se souviennent que je chantais

et dansent autour de moi

 

J'ai aimé les débuts

je ne sais plus de quoi

débuts de n'importe quoi

un pas n'importe où

un mot dit à quelqu'un

vraiment n'importe qui

 

Je me revois 

à Anvers ou ailleurs

un parmi plusieurs

 

Soudain tu n'y es plus

tu demandes s'il y a quelqu'un

mais tous muets

même sourds

tournés vers je ne sais quel mur

retournés au temps compté

 

Pierre roule pour moi

sans rien amasser

sois un sourire dans sa voix

une chance qui sait

une image arrêtée

au bord des lèvres

 

A moi de me tourner 

vers toi 

obnubilée

violes et voiles contre le vent

 

Vies ricochets

suées de l'habitude

glace fondue trop vite

à la fin

le nez dans un ruisseau

c'est la faute à personne

 

un ruisseau

 

   II

 

Tu t'esseulais tranquille

coutumier d'un conte

où les questions s'oublient

sur un chemin neuf

 

Un geste défaillant aurait trahi ton double

tu n'avais qu'un modèle toi

Une nuit te vit nu

vouloir briser la glace

 

Amsterdam ou Venise peut-être ailleurs

quelqu'un se gondole de rire

dans la vitrine

les mannequins tournent la tête

 

Sous la caresse d'une muse

ta plume s'est durci

Tu accuses la glace

de haute trahison

 

Jouissance morte et plus de souffle

ton lit est un chemin usé

et ton coeur plus vide qu'une auge

après que la bête a passé

 

Rêver d'encre qui sait de Chine

où toute pensée s'arrêta

Du rythme des ombres qui dansent

dans la glace suis-je prisonnier

 

Roi peu fleuri de ton vivant

chauve mais pas couronné

tu pleures  de n'être pas pleuré

ni regretté par avance

 

Peut-être qu'on est déjà mort

du moins ça bourdonne en nous

Mille mouches nous attendent

où le temps creusa un trou

 

Aller grand erre mais non

faire des zags et des zigs

pour ne pas voir la route

sous tes pieds 

 

Adieu rites sans flambeaux

où l'électricité est reine

je m'en vais porter la plainte

d'une forêt d'arbre en arbre

 

puis d'une autre encore une autre

et de toutes décimées

O chanterelle de la scie 

vous tairez-vous à la fin

 

Je plaide coupable

 abus de langage

 gaspillage de papier 

et phrases inachevées

 

Telle fut cette semblance toi

puit de regrets de peurs de doutes

et ces reflets dans la glace

d'une sombre nonchalance

 

III

 

Je t'oublie dans le soir

j'efface ton nom ton visage

La mort m'attend

mais je n'y pense pas

 

Tiens je n'y pense plus

il n'est pas question d'elle

 

Je ne sais pas à quoi tu rêves

ni ce que tu crois être toi

 

Tu prends l'éternité pour ta mère

Le monde n'est pas une cathédrale

Il est beaucoup trop petit

pour contenir une seule prière

 

Qui a jeté ce grand manteau de silence

sur les épaules de l'éternité

et la mort jardinière fauche dans les allées

Je marche de travers

 

pour éviter l'une et l'autre

Je sais que c'est impossible

mais je marche quand même

Je déambule à travers les courants d'air

 

je m'élève en pensée

sur un sommet décisif

où je tremble de froid

Je t'oublie chaque jour

 

Le ciel est si grand

le coeur vide je m'abandonne

je ne sais même pas à quoi

Ce n'est pas triste

 

ni mélancolique ni tragique

C'est une sérénité curieuse

un peu animale

Madame ne fait que passer 

 

une attente sans objet

tourné tantôt d'un coté 

tantôt d'un autre

mais je ne sais pas d'où le malheur viendra

 

J'ai tiré les rideaux sur la jalousie

Un peu de feu un peu de lumière

 j'aperçois les hautes herbes dans le vent

et mon âme danse avec elles

 

Plus de saison dit-on

Je déteste aujourd'hui 

cette façon de parler sans parler

d'écrire sans écrire

de regarder par en-dessous

comme un catoblépas

 

Toi tu n'étais qu'un ange terrible 

avec des rondeurs nuageuses

qui m'ont fait chanter les louanges

d'un saint que je ne connais pas

 

La durée est dans le temps

comme feu dans un buisson

l'insecte aveugle me survivra

 

Paix les muses Assez

que faites vous dans ma cave

vous effrayez mon rat blanc

tout à son festin de livres

 

Mais que ferais-je si

ne me conviennent ni

les dieux innombrables et bigarrés

pas plus que l'Unique

qu'il faut craindre et aimer

yeux ouverts dans la nuit

 

je préfère la faune hétéroclite

innocente et rebelle à tout commandement

mais comment marcher ensemble

et rester libre en même temps

 

IV

 

Ne dis pas qu'une intention fait la moitié du geste

ni qu'un horizon achève le regard

non 

il le coupe

 

et cette ligne est perpétuelle prison

 

Un soleil saigne sur la montagne

tandis que des yeux enragés refusent la fin du jour

et la crête brise la brise 

tout m'enflamme

 

O mort d'avant la mort

creusant une évidence si proche d'être nous

une page restée blanche

une page tournée noire

et un silence

 

et combien d'autres lignes de vie

Toi tu n'en as qu'une

garde la sans la plier

afin que tes paumes fassent un nid 

Quelle chance cette langue de boue

 

cette période ranimée par le vent

N'aie pas peur d'un ruisseau

 

dont la pente t'épuise

couche ta phrase à terre et dors

le dernier mot n'importe plus

il t'emporte

Derrière cette ligne une autre vie

 

Présentation de l’auteur




Alain Brissiaud, La Parole solide

Lui montrant la vallée derrière la colline
invisible
il connut l’irruption de la douleur
se souvenait-il
mais comment oublier

ce qu’il était venu chercher
pourquoi
être allé si loin
rejetant le passé

il dit encore quelque chose
qu’il est épuisé
qu’il veut rester dans la lumière
 et ne peut se poser

dire sa marche
et au-delà

aussi
partir vivre comme on va mourir

 

∗∗∗∗∗∗

 

Nous dormions séparés par la glace
depuis ce jour d’autrefois
au premier temps
de vous

déjà oublieuse de ma présence

allant  selon votre mémoire
indistinctement
sans rien écouter du remous des blés
derrière la maison
et voir
la main tendue des vents

ni soupir

ô
votre belle indifférence
je la vois maintenant
si nette et
si présente

dans l’altérité du matin finissant

 

∗∗∗∗∗∗

 

Une autre fois il pleuvait
si fort
tu t’es t’allongée  près de moi
dans le silence
ta peau reflétait une lumière crue
il n’y avait plus de dehors

et cette pluie plus forte plus puissante à mesure
sonnait dans le ciel
donnait tout d’elle
elle était notre toit de fortune
nous ne pouvions comprendre
tes yeux
immenses vibraient de la folie

devant le miroir
nous avons déjeuné de pain
doucement
à se dévisager

étions-nous ces amants si pâles

dis-moi
es-tu celle qui n’est pas

 

∗∗∗∗∗∗

 

Tu ne sais pas où mettre tes pensées
ronces que cela
étourderies
descendant le chemin tu songes
à ces choses
qui surgissent venues
et t’obligent à dire
parler
pour comprendre avec eux
tous

qui sont-ils tu songes
à leurs regards
avec eux recouverts de feu de terre
d’or diront-ils
non
pas cela
ceux qui passent ont plus que de l’or
juste le visage d’homme
et toi
tu veux tenir tout au bout de ta main
leurs beaux regards bariolés

étourdie ne pas lâcher
la fraiche blessure
qu’ils t’apportent tenir bon

tu sais
ce n’est pas pour rien le maintien
leur belle allure
derrière la haie cortège de flammèches
tu songes à mettre en ordre tes pensées
ronces que cela
personne ne t’attend ils passent

juste

 

∗∗∗∗∗∗

 

Et si profonde dit-elle de ne s’user
qu’en ta présence
c’est écrit dans tes mains tu sais ces mots parlés
dits et ressassés sans cesse
usés                                                                                                                         
à force d’être là
si près
collés à toi qu’ils se rendent détestables
qui disent quelque chose d’une langue
qui ne se parle pas
vont te broyer te faire disparaitre
déjà tu chavires tu te perds
tu t’absentes

où sont tes mains Jeanne

l’arbre de la cour n’arrête pas le vent
tu le dis dans l’herbe
quand tu cours les mots à nus
tant
ça fait trop mal de ne pas exister

c’est dommage

elle épie
présence ôtée

 

 

 

Présentation de l’auteur