Sara Bourre, Un jour on se retourne

UN JOUR ON SE RETOURNE

 

Un jour on se retourne

Le feu a pris la mer

- Il ne reviendra pas -

Les roses ont du chagrin

- Elles sont devenues folles -

Le ciel se fend la gueule

Nos peaux claquent des dents

Les enfants ont des yeux

Qui vous tranchent la gorge

Plus rien ne tient ensemble

 

∗∗∗∗∗∗ 

 

Les hommes

Tu les as vu retourner la terre

Avec leurs dents longues comme des couteaux à viande

Tu les as vu au petit jour

Essuyer leurs mains sales sur le bleu du ciel

Leurs mains de sang de sperme et de merde

Leurs mains rouges de honte

Leurs mains

À tâtons dans la lumière du jour

Cherchant la gorge du soleil

 

Tu claques ta langue sur ton palais

Tu t'imagines reine des sous-bois

Autour de ton cou rugit un triangle de feu

Tu t'offres toute entière

À la géométrie du ciel.

 

∗∗∗∗∗∗ 

 

Le cri

Creuse ton corps

Ta viande ressasse les gouffres

L'histoire toujours recommencée

D'une main dans la nuit

 

Creuse ta bouche

Pour y jeter des fleurs

 

Creuse

Loin derrière la langue

Loin derrière la mort

 

Creuse avec tes ongles

Un trou dans ta poitrine

Pour que passe le vent

Les chiens

Les dieux

Pour que coule la nuit

Dans ton corps divisé

 

∗∗∗∗∗∗ 

 

Le soir tombe

La chair est vive

L'enfant coud des soleils

À ses cris

 

Tu peux t'assoir

La poussière a des genoux

Et des bras en forme d'oiseaux

Tu peux écrire avec les dents

Sur les pierres

Des mots fluorescents

À l'approche de la nuit.

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Anne-Cécile Causse,  STABAT MATER

 

 

" Il y a ce que nul n'a vu ni connu sauf celui
qui cherche dans le tourment des mots
à traduire le secret que sa mémoire lui refuse. "

  Louis-René des Forêts,
Ostinato

                                            

 

La ville parle pour elle-même. La ville déplace dans le soir de petites figurines humides. Je repose
la lampe. De l'autre côté du fleuve, la route progresse rapidement, en lacets. L'âme est silencieuse,
logée dans quelque cendre, les nuages grisonnants, sans cesse, d'autres nuages. Peut être l'âme,
peut-être rien. J'arrête d'un geste la route, je referme la main, étonnante prière.

Le balancement de l’arbre répondait à l’achèvement du corps. Et cette pensée éclairait, on ne savait
quoi. 

 

 

***

 

Je ne ramasse pas les pétales lorsqu'ils tombent. Je les préfère après la chute, recroquevillés, après la
lumière. Comme je préfère un tissu froissé, une silhouette inclinée, une démarche qui se fane.
Comme je préfère aux angles de ton corps, les rides qui parlent d’aimer.

Près de toi, le temps se tait. Et rien ne pleure.

 

***

 

La lumière semble n’éclairer qu’elle. Elle fait tenir les branches. Je dépose sur la page l’église
aperçue par la fenêtre du train pour ne garder que le froid de ses pierres. Le soleil de décembre avait
déjà repris. On en déduisait alors qu’il avait donné quelque chose.

Je laisse le froid descendre et manquer, je laisse ces quelques flocons meurtrir la lumière matinale,
je les laisse s'efforcer d'être.

 

 

***

 

Il y avait cette matière de sel qui venait des larmes que l'on ne voyait pas mais que l’on devinait.
Une barque aux abords, l’eau sans doute, cachée par l'herbe que l’on ne coupait plus.

La pluie vient troubler la surface essoufflée de l'image.

 

Dans une parenthèse confirmée par la vitre, la libre trajectoire court pour épouser les autres. Une
larme prend de la vitesse, artère confuse de la mémoire, écho souterrain de la vie : "quand tu
vivais". Tout partait d’un cadre, de battants d’arbres.

 

***

 

Un peu de bleu dans un creux de ciel. Le nuage l’aura bientôt comblé. Les rayons obliques sculptent
pour défaire et jamais la forme ne reste. Ton front penché vers la mélancolie n’affirme rien, ne dit
rien.

Il n’y avait pas d’heure. Un bateau passe pour repartir.

Le volet encore fermé laisse présager de regards qui se perdent. Des rires d’enfants s’entrechoquent
dans le couloir éteint. On recouvre la rive d’un gris léger, le gris d’un rêve qui se reprend. Trois
silhouettes se rappellent à la surface de la mémoire, dans une verticalité de passage.

 

***

 

Des bribes de mots frappés tombent sur une surface de laine ; le soleil ne déçoit pas. La chaleur de
ton corps suffit, mouvement seul après la main fermée.

Le bateau n’apparaît que pour réinscrire les vagues. La lumière occupe l’entre-mer.

 

***

 

Je découvre la rive sur laquelle on me dit que tu as trouvé refuge. La promenade s'estompe, mes
allers et venues sans doute, frottements sur l'image unique.

Les notes d’un piano s’épuisent sans pouvoir dire ce qu'elles ont aimé. Le rythme tombe.
L'empreinte sur la rétine est silencieuse et ton fantôme circule sur mes couleurs. Il ondoie plus qu'il
ne peint cette rive aux oiseaux, ce mirage.

 

***

 

Les dernières lueurs ombrent, mirent, emportent le peu de sensations suggérées. Comme une femme
soutient l'eau, j'éprouve les lignes en remuant fort les bras. Une petite présence de plus sur le papier.
Je t'y retrouve, à mots couverts. Ton souffle s'intensifie près du sol, prévoit la terre. On brûle au-
delà du quai.

Tu es cette incidence répercutée dans la mémoire.

 

***

 

Incapable de voir, je rejoins les berges, celles où j'apprends à te perdre. Le bateau glisse un peu plus
loin, sur la partie du fleuve que l'on ignore. Les chœurs ont cessé de chanter. Il a fallu la nuit pour
envelopper et couvrir de laine ces voix d'église. La nuit surprend la peur et son goût inconsidéré
pour les visages que l'on sème.

Le silence et la matière font secrètement connaissance. Le quai crie tout en bas. Le bateau imprègne
un paysage empressé de regards, les environs blessés, les coureurs de pierre, le décor si bien
reconstitué de leurs vies. J'entends le possible naufrage.

 

***

 

La réverbération est une occasion pour le fleuve de grandir davantage. Les étoiles accélèrent dans le
tissu bleuté de ta robe. Une suite d'oiseaux tranquillement se perd. Le chemin est incompréhensible
et il me faut regretter l'étrangeté de la langue.

 

***

 

A l’enfant, je dis que je choisirai un langage qui traduira la traversée d’une eau aux accents de
sable. Ce ne sont pas ces mots-là qui pourront le dire mais les champs de glace que je n’ai pas
connus et que tu contais, qu’inlassablement tu contais.

 

***

 

Je retrouve la ville, ses océans par endroit, petite foule penchée. Je marche dans d’étranges
retrouvailles. Je délaisse la photographie de ton visage, ses traits aventureux, je suis des profondeurs
involontaires. Je glisse sur ton épaule.

 

***

 

Un bout de comptoir. Le manteau réchauffe un bras replié. Au premier plan, la main dépose le verre
et le mouvement silencieusement se découd. Les doigts semblent caresser autre chose. Sans
basculer, le verre a brisé le silence et toute tentative de signification. Le parquet taché de peinture
grise n’empêche pas le fin tracé d’une joue, le relief qui perdure, l’enchantement des paupières. On
y a vu un jour se décomposer la lumière, en lueurs affectueuses, en étroits souvenirs.

Le soir esquissait un départ quand l’ombre gagnait en prouesses, incitée par une flamme et par la danse.

 

***

 

Le printemps crie ses premiers oiseaux. Le verre poli filtre ce qui reste du jour et ce qui ne pèse pas. 
A l'ombre de la bougie, le temps s'apparente au relief. La peau, sans âge, aurait pu naître hier et
pourtant tremble un peu.

 

***

 

La douceur d'un jour et un soleil qui se tait, le vent dans des gestes de branches. Tu parlais d'écueils,
de routes mal formées, d'airs irresponsables et de couloirs. Je n'en voyais pas l'étendue, je la
pensais. Déroute dans le bas d'une langue que l'on ne vous apprend pas. Son corps m'apprend à
parler comme on pose une pierre puis une autre : la dernière, plus haute, paraît.

La journée que je perds se recroqueville, dans un mouvement aigu de croire.

 

Présentation de l’auteur




Huguette Bertrand, En quelques mots, elle est & autres poèmes

 

EN QUELQUES MOTS ELLE EST

 

Dehors comme dedans

la lumière est partout

dans nos crevasses elle s'insinue

et rayonne dans l'ombre des tourments

et les broussailles du quotidien

elle est poésie dans les plaines

comme sur les balcons

agit dans la mémoire de l'essentiel

...

Publié dans l'anthologie Chant de plein ciel - Voix du Québec

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Guy Allix, Troy Davis, A mes amis syriens…

Troy Davis

 

La nuit dernière
Un homme est mort
Qu’avait-il fait ?
Que n’avait-il pas fait ?
Nul ne le sait
Hormis ceux qui savent
Ou croient savoir
Envers et contre tout
Envers et contre l'homme

Un homme parmi les hommes
Frère des hommes fragiles
Qui se tiennent vivants
Et se soutiennent et s'aident
Contre l’adversité
Contre le dernier mot

Un homme parmi les hommes
Et ne restent que les larmes

Il est mort
Et ne restent que ceux
Qui ont permis cela
Qui ont commis cela

Hommes inhumains...
A jamais

                                 22 septembre 2011((jour même de l'exécution, à Savannah,  de Troy Davis, jugé coupable du meurtre du policier Mark McPhail survenu le 19 août 1989, en dépit d'une importante mobilisation internationale d'associations et de personnalités visant à contester sa culpabilité et du fort écho de cette mobilisation dans les médias.aux Etats-Unis.))

 

 

À mes amis syriens de l’été 2001

 

Il y avait votre rire
Il y avait votre joie
Il y avait votre amitié
Votre vie et cette chanson de la France
Qui traversait les frontières

Vous me disiez
Viens chez nous partager notre pain
Viens voir notre beau pays plein de notre fête

Plein de fraternité

Mes amis d’un été
Mes beaux témoins de la rencontre d’un amour

Avec vos mots on rêvait d’un pays de soleil on rêvait
On rêvait d’une terre et la terre était belle à vos pieds
Gonflée de vie gonflée de ce rêve même
Et de votre chaude poignée de main

C’était avant tous ces morts
Tant plus de morts tant plus de morts
Qu’on n’ose en dire le nombre

Je ne sais où vous êtes
Mais vos rires et vos chansons se sont éteints
Et gisent eux-mêmes comme des morts comme des morts

Et vous-mêmes
Peut-être poussière déjà pour certains
Ou pourriture sous les bombes
De la pourriture immonde qui vous assassine

Aujourd’hui tant d’années ont passé
Tant de morts tant de morts tant de morts
Comme pour compter le temps
Et mon pauvre poème a mal à la poésie
Qui pourtant foudroie la page mais ne peut rien faire d’autre
Que témoigner crier s’insurger contre l’infâme et la haine
Contre l’absurde et la barbarie

Et rêver encore et toujours un pays de vrai soleil
Et tenter de tisser de nos mots de nos mains le seul poème
Une terre enfin juste à nos pieds enfin belle
Par-dessus tous ces morts tous vos morts

Par-dessus vous
Qui étiez si vivants

 

 

 




Elisabeth Rossé, Oeil dit et autres poèmes

Au mouillage

 

Paupière à la renverse
Autre jour
Calfeutré
Sous la peau

La mémoire est en fuite
Et certains chants s’y tiennent
Idiomes mécaniques
Etendus à l’écoute
Murène, ô murène, donne-nous la marée la plus belle !

Le monstre se faufile
La marée
Galante se cambre
Ouvrant le grand tiroir
Où sècheront ses os

 

 

 

 

Œil dit

 

Œil dit
La moisson
Excentrique
Et centrée des cils
Battus

L’œil
Les cils battants
La brèche
Du temps
            – Ouvert
Observe comme
Enivré

Œil
Par le sel
             – Ouvert
A la moisson
Aux larmes
Par le sel
            – Ouvert

La pupille est féconde
Savante
Les larmes sont solidaires
De la brèche
Du dire
            – Ouvert
De l’œil

Œil dit
L’ouverture magistrale
Et courbe des cils
Mouillés encore
De mémoire
            – Ouvert
Sans pâturages
Mouillés toujours
Par le sel
Sans raison
Par le sel
Qui rend les champs stériles
            – Ouvert
Aux chants
Excentriques
Et centrés
Sur le déploiement des cils

 

 

Œil dit
Le déploiement des cils
Le déploiement des cils
L’atermoiement du sel
Dans la lourdeur du jour

C’est dans l’air
          – Ouvert
A la moisson
Inexorable
C’est dans l’air
            – Ouvert
Que l’œil dit
Qu’il ne peut rien y faire

 

Affaire à suivre

 

L’œil

Est une jolie affaire

On ne sait plus
Si le regard est sérieux
Une affaire
De surface
Evaluée
Sans partage

L’œil

Est une jolie affaire
Apôtre aveugle du temps
Vieux
Unique roi
Par principe
Clôture du territoire

L’œil

Est une jolie affaire
Lorsque la vue se tait
L’image nous saisit
Et veuve de lumière
Affole l’amnésie

Œil
Enchâssé
A la mémoire qui claque
Equilibrant l’attente
Apôtre vulnérable
Sensible à la poussière

(Silence)

 

Opaques et polis sont les choses les miroirs vus d’ici

 

 

A voir

 

L’œil
Est grand ouvert

Etendue muette
Il faut se taire
Devant l’échange

Silence

Ne jamais le fixer
Œil pour œil
Par crainte des reflets
Et des enjambements

Et par manque d’appui sur sa texture saumâtre

Cheminer sur la rive
Suffit pour aujourd’hui
Et contourner les cils
Pour poser les jalons
De chemins de traverse

La naissance
Est
Un autre pays
Sage
Mais bavard
Et surgi d’une branche

L’œil
Prend son envol
Oiseau
Au-dessus de la mare
Avide de répit
Prisonnier des orages

 

 

 

 

 

Spectre

 

La main est un os
Agile
Sceptre parmi les nuits fastes
Décomptées
Des horloges

C’est en silence
Que les jours sont ôtés 
A la moindre phalange
Et que le jeu s’étend 

Ici les doigts
Sans aucune bague précieuse
Se glissent sous l’arcade  
Apitoyée de l’aube

L’ouverture de l’œil
Est un acte
Artisanal

Le premier regard
Est dangereux
Et couvert d’un rideau
Les images s’y croisent
Spectres ravitaillés
Comme des loups au fourneau

 

 




Françoise Vignet, Journal de mon talus, extraits

1)

         Le pays d’ici.

      Ici, la nuit est sombre, parfumée et la petite route, parfois inondée de lune pour une balade improvisée – la
maison,  posée au bord de la Voie Lactée.

     Ici, l’on écoute le silence : bruissement de ce jet d’eau végétal qu’est le tremble, roucoulement des
tourterelles turques, froissement d’ailes dans les feuilles touffues, appel plaintif de la hulotte, friselis des
maïs séchés sous le vent…

     Ici, la fenêtre ouvre sur un coteau brodé de vignes hautes et sur le méandre de la départementale, qui s’étire
en pente douce vers le clocher.

    Ici, les petits chemins mal goudronnés portent en leur centre une ligne herbue, parfois hachée, parfois ornée
de touffes vertes, et, sur leur côté ensoleillé, un double feston, tout noir : l’ombre des fils du téléphone.

   Ici, au détour d’un virage grand ouvert sur l’espace, c’est l’horizon à nu qui soudain vous saisit… et le cœur qui bondit !

         Août.

 

2)

       Un grand vent de soleil et de feuilles naissantes promet,  entre les frênes,  la vie légère !     

La lumière danse et éclabousse. La lumière nous invite au bal !

         Avril.

 

 3)

     Il est midi.

     D’un long trait de silence, un oiseau bien peigné s’élance,  du toit de tuiles à l’arbre. Seul, bruit le tremble :
son bruit d’eau  rafraîchit.

     Et l’instant se blottit dans l’abri bleu du ciel comme, dans le corps,  la joie.

         Juillet.

 

4)

     A contre-ciel, le tremble ne bruit plus – ses feuilles d’or frais sur le pré vert éparpillées.

     L’été s’en va contre un ciel bleu rosé. Lentement chutent les feuilles ensoleillées : cérémonie discrète, léger
bruit sec. S’annonce le temps du dépouillement.

   Tremble sois-tu – et de bois vert : à toi de bruire en tes feuillets.

         Septembre.

 

5)

 (Platanes, ce qui n'est pas dit)

     Plus que jamais les feuilles au long des fûts s’élancent - en un élan d’or transparent, de temps secret –

vers la lumière qui les aimante.

            Octobre.

 

6)

    Arbres d'hiver, maisons de branches dans les airs,  en transparence sur le haut ciel.

 A leur pied,  un tapis de chaumes,  roux  à peine au ras du soleil.

    Agile, l’enfant-cœur y grimpe et contemple, à califourchon,  les drapés d’ors du couchant.

         Janvier

 

7)

          Plaqueminier.

     Immense dans le soleil, il  rutile en plein hiver. Le regarder est un mirage.

Du levant au couchant, à ses branches étagées,  il suspend ses fruits cuivrés, inaccessibles - comme au Jardin
des  Pommes d’Or.

Et pourtant il en fait don : sa beauté nous est une arme. Au verger d’ici, il est l’Arbre.

     Fi du Dragon : le chemin s’offre à notre allant, de terre boueuse et de plein ciel.

          Janvier.

 

8)

    En un instant,  le large nuage - taffetas gris luminescent  à peine ourlé  de feu rosé - s’éparpille et  s’éteint sur
le bleu du crépuscule : splendeur fugace qui tout efface.

    Divisé, il va son chemin.  Seule demeure, dessinée au fusain, l’ossature éployée du grand chêne.

         Mars

 

   9)

  Plissées avec soin,  de petites feuilles - satin vert frais, soleil acide - apparaissent  sur les arbres qui  jaillissent
en bouquets dans  la transparence du ciel,  tachetée à peine de frondaisons -  légères, légères....

     Et nous allons sous les platanes  -  voûtes naissantes  de feuilles fraîches -  comme sous berceaux de plumetis
    L’encre a coulé dans la lumière.

          Mars.

 

   10)

     Le tremble a retrouvé ses feuilles,  vert jade en forme de cœur : à  leur attache un collier, dentelé.

 (Ce sont de petits grains vert sombre qui s’ébourifferont en pincées de coton, envolées sur le sentier.)

     Que tu sois souffle, pluie d’été ou bruissement - tremble,  tu  appelles le Chant.

           Mai.

 

  11)

   Immobiles dans l’air tiède,  les frênes  aux (déjà) feuillages d’été  filtrent le chant du coucou –

qui vient effleurer  la lumière sur l’herbe du talus.

    En la douceur  le temps s’abolit.

         Mai.

 

12)

Frêne aux cinq branches - évasées d’un tronc puissant  vers les  cinq orients  en lyre de chaque jour - donne-
moi ton élan.

          Août

 

 13)

    Non loin des frênes dénudés,  le tremble palpite encore.

    A chaque souffle ses rares feuilles ébruitent dans le froid soleil  un chant ténu. 

Dansent les feuilles qui sont d’or, au bleu le plus clair du ciel, le bleu qui tremble en nos corps

 -  à jamais nus.

          Novembre.

 

 

Reproduction avec l'aimable autorisation des Editions Alcyone
Copyright Editions Alcyone.




Elisabeth Rossé, Oeil dit et autres poèmes

Au mouillage

 

Paupière à la renverse
Autre jour
Calfeutré
Sous la peau

La mémoire est en fuite
Et certains chants s’y tiennent
Idiomes mécaniques
Etendus à l’écoute
Murène, ô murène, donne-nous la marée la plus belle !

Le monstre se faufile
La marée
Galante se cambre
Ouvrant le grand tiroir
Où sècheront ses os

 

 

 

 

Œil dit

 

Œil dit
La moisson
Excentrique
Et centrée des cils
Battus

L’œil
Les cils battants
La brèche
Du temps
            – Ouvert
Observe comme
Enivré

Œil
Par le sel
             – Ouvert
A la moisson
Aux larmes
Par le sel
            – Ouvert

La pupille est féconde
Savante
Les larmes sont solidaires
De la brèche
Du dire
            – Ouvert
De l’œil

Œil dit
L’ouverture magistrale
Et courbe des cils
Mouillés encore
De mémoire
            – Ouvert
Sans pâturages
Mouillés toujours
Par le sel
Sans raison
Par le sel
Qui rend les champs stériles
            – Ouvert
Aux chants
Excentriques
Et centrés
Sur le déploiement des cils

 

 

Œil dit
Le déploiement des cils
Le déploiement des cils
L’atermoiement du sel
Dans la lourdeur du jour

C’est dans l’air
          – Ouvert
A la moisson
Inexorable
C’est dans l’air
            – Ouvert
Que l’œil dit
Qu’il ne peut rien y faire

 

Affaire à suivre

 

L’œil

Est une jolie affaire

On ne sait plus
Si le regard est sérieux
Une affaire
De surface
Evaluée
Sans partage

L’œil

Est une jolie affaire
Apôtre aveugle du temps
Vieux
Unique roi
Par principe
Clôture du territoire

L’œil

Est une jolie affaire
Lorsque la vue se tait
L’image nous saisit
Et veuve de lumière
Affole l’amnésie

Œil
Enchâssé
A la mémoire qui claque
Equilibrant l’attente
Apôtre vulnérable
Sensible à la poussière

(Silence)

 

Opaques et polis sont les choses les miroirs vus d’ici

 

 

A voir

 

L’œil
Est grand ouvert

Etendue muette
Il faut se taire
Devant l’échange

Silence

Ne jamais le fixer
Œil pour œil
Par crainte des reflets
Et des enjambements

Et par manque d’appui sur sa texture saumâtre

Cheminer sur la rive
Suffit pour aujourd’hui
Et contourner les cils
Pour poser les jalons
De chemins de traverse

La naissance
Est
Un autre pays
Sage
Mais bavard
Et surgi d’une branche

L’œil
Prend son envol
Oiseau
Au-dessus de la mare
Avide de répit
Prisonnier des orages

 

 

 

 

 

Spectre

 

La main est un os
Agile
Sceptre parmi les nuits fastes
Décomptées
Des horloges

C’est en silence
Que les jours sont ôtés 
A la moindre phalange
Et que le jeu s’étend 

Ici les doigts
Sans aucune bague précieuse
Se glissent sous l’arcade  
Apitoyée de l’aube

L’ouverture de l’œil
Est un acte
Artisanal

Le premier regard
Est dangereux
Et couvert d’un rideau
Les images s’y croisent
Spectres ravitaillés
Comme des loups au fourneau

 

 




Raphaël Monticelli, Les Creux de l’ombre et autres poèmes

LES CREUX DE L’OMBRE

Pour Gérard Serée

 

Branches lianes ronces langues encres longs enchevêtrements poussées violences ce qui cherche la lumière la cache là où elle n’est pas atteinte elle perce troue trouve passe ondulations végétales qui suivent les combinaisons imprévisibles de la lumière du vent des accidents de la terre des obstacles des branches des ruptures tu pousses cherchant dans les creux l’ombre et accumulant les traits tu accumules ce qui cache le blanc le trouve où il n’est pas atteint il reste et passe il suit et dessine les combinaisons imprévues de ta lumière de l’air des accidents de la plaque des obstacles de la résistance des traces des carrefours creux ornières trous gravant à force le cuivre et croisant le gravé je pousse cherchant dans les mots l’encre et les accumulant du sens accumule ce qui masque le papier le crée lui donnant sens le trouve où il n’est pas atteint il perce trouve espace qui suit les combinaisons imprévues de ma lumière de l’air du temps de la langue de ses trous ses creux ses croisées ses pertes sa lourdeur sa gravité ses ruptures branches lianes ronces langues encres traces voix elles giflent fouettent attaquent griffent la main les écarte le bras les pousse passe les repousse  comme elles le repoussent et attaquent au visage le giflent fouettent égratignent griffent les bras comme d’un nageur à bout de souffle les écartent cherchent à trouer l’ombre la nuit main Lucifer trouée d’air comme tu pousses et tires la pointe le grattoir le burin égratignes grattes érafles griffes écorches la plaque ou la donnes à mordre puis obstiné soignes ses creux ses scarifications ses cicatrices ses douleurs les encres frottes pour combler les manques les comblant les faire apparaître et longtemps tu frottes pour faire disparaître l’encre du métal intact comme je pousse et tire gratte rature biffe reprend superpose raye reprends redispose pour chercher à faire apparaître ceci arbres bras branches hanches ronces corps encres traces voix sirènes traits mots comme un nageur perdu cherchant son souffle la lumière la trouée d’air ou encore la lente ondulation des algues de la langue du corps qui suit sans qu’on puisse savoir à l’avance comment et pourquoi les tensions de l’eau sa danse ses remous quand elle heurte les obstacles que patiemment elle réduit ou quand elle charrie ses propres obstacles et tout en les roulant s’y heurte s’y entoure s’en dessaisit les reprend les écharpe les algues se saisissent des membres s’y collent  s’y enroulent et leur rotation va à l’inverse du mouvement de saisie elles s’y attachent les retiennent et tes mouvements pour lutter contre elles donnent plus de force à leur mouvement il faut se laisser aller suivre leur force accepter leur dessin aller dans son sens se donner force de leur force en abandonnant les gestes de sa main à la tension de la plaque aux traits antérieurs aux mouvements du regard à la rotation de la presse qui essuie le papier dans ses langes et l’encre dans le papier aux bruits assourdis de la langue à ses remous quand elle charrie ses propres obstacles et tout en les roulant s’y heurte s’y enroule s’en écharpe s’en dessaisit s’y retrouve et sans cesse s’y perd pour en naître comme en ceci où sourdement dansent arbres bras branches hanches ronces corps encres traces voix sirènes traits mots        

 

∗∗∗∗∗∗

TRAVERSÉE DU TRAPÈZE

 

Pour Daniel Farioli

 

Poussant la porte entrebâillée je m'ouvre à l'assaut des peuples de la mer Ils se pressent grouillantes multitudes derrière la surface de l'eau si aucun cri ne sort de leurs bouches c'est soit que leurs voix sont couvertes par l'empire impavide de l'eau soit que leur étonnement ou leur douleur se forgent dans des zones où ni le temps ni le bruit n'ont prise Dans l'entrebâillement de la porte de l'eau je me livre à l'assaut des peuples de la mer C'est le frémissement infiniment figé l'équilibre précaire où se stabilisent les tensions où elles s'apaisent c'est le lieu où dans l'entrebâillement des yeux court le fil ténu où le monde s'inverse entre eau et ciel l'un à l'autre s'ouvrant ou s'entrouvrant Horizon C'est le frémissement infiniment figé l'équilibre précaire où les tensions s'apaisent là où les regards d'en haut et ceux d'en bas se croisent entre l'eau qui se ressuie et celle qui indéfiniment retirée  en son mouvement se fige Entre l'eau trembleuse qui boit les reflets pâles de l'à fresque et celle qui durcit ses chatoiements dans la sourde lueur des mosaïques c'est le bord qui se mire et s'inverse où gisent au plus profond des miroirs silencieux tous les corps des enfants que nous fûmes Poussant la porte entrebâillée je suis assailli par la fureur de souffles chargés de poussières et d'odeurs étrangères La mer charrie le linceul de Leucate où dansent des ombres pâlies aux seins de violettes elle roule vineuse des corps irradiés de la lueur d'îles pierreuses Voici l'aube et près du bord où des caresses pleines de larmes parcourent des ombres mourantes je file ces mots de sable mesure d'un temps qui entre l'eau de la fresque et celle de la mosaïque se fige dans l'intervalle d'un clignement de l’oeil

 

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FANTAISIE DE LA MANGROVE

 

Pour Jean Marie Cartereau

 

 dans ce monde incertain qui grouille comme au creux de mon crâne dans une indécision de limbes ce qui est dit aussi qu’autre chose pourrait être que toute chose pourrait être autre évidemment puisque je pourrait être l’autre ou un autre

dans ce monde comme au creux de mon crâne ou au creux du crâne autre au cœur du plexus des viscères ce qui remue est indécis c’est dedans dit-on mais dedans dit aussi que toute chose pourrait être du dedans ou du dehors comme je qui pourrait être cet l’intime ou l’ailleurs et l’en dehors de soi comme l’est ce crâne multiple dans lequel chaque je infiniment baigne immensément la langue nos langues

dans les limbes espace creux qui n’est ni vie ni mort ni salut ni perdition « ce qui n’est pas » déjà  grouille comme allant être ce qui fut n’est pas encore dissout mais déjà autre ou pas encore là mais déjà créant le vide de sa non encore apparition c’est cet espace dont on dit qu’il est l’innocence là où le pas encore est déjà où le déjà plus remue encore

c’est d’avant tout espace ou d’en dehors du temps l’art se faisant dans son espace et dans son temps propres l’artiste poussant de la main des doigts des épaules même l’aiguille de plomb ou d’acier le rameau de charbon ou la touffe de poils orientant les ruisseaux et les torrents fugaces qui charrient les poudres de pierres d’arbres de fleurs ou de fruits dans la tension et le projet de l’œil comme rivé aux doigts et aux circonvolutions du cerveau du dedans du cerveau du dehors

tout comme on suit la piste d’un animal il a laissé sa trace on ne sait quand elle est là lui ailleurs et la projection de ma vision est telle qu’il est à la fois la permanence de lui même dans la trace et le surgissement de son futur dans mon projet ou même comme on voit aux ridules de l’eau l’effacement de l’animal dans le silence des eaux et je dans ce silence encore enfant sans voix mais déjà désirant et déjà projetant

c’est suivre la piste du possible quand au creux de mes crânes limbes grouille le monde et du monde ce que je pourrait dire et autrement que dire je l’art comme une forme toujours autre et ni vie ni mort mais sans cesse projet actant infiniment possible projet

 

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ARIA

(Extrait de FATA)

 

Pour Leonardo Rosa

 

Les morceaux de nuit se retirent dans leurs propres replis
(Ainsi le font les oiseaux dans leurs ailes
Qui s'abandonnent au sommeil).
L'aube vacille et chancelle, chassant les chiffons d'ombres.

Au dessus des eaux, dans les fluidités terreuses qui montent des roseaux immobilisés et des bois flottés,
L'air
Tremble
Encore
Incertain
De l'à peine ébauchée d'un fruit au premier plan
Ou de l'improbable présence d'un massif suspendu, dans le lointain, à la légèreté des gouttes de lumières.

Bientôt les horizons se chargeront de transparences bleues;
L'air le plus proche s'échauffera progressivement,
Et dans l'or pauvre des pailles usées par le temps,
Vapeurs lentes des rêves de renaissance,
Se dilateront nos regards.

 

 

 

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VOL INVERSE

Pour Pierrette Bloch

Oiseau tranquille au vol inverse  oiseau
qui nidifie en l’air
Guillaume Apollinaire

 

Attaquer le vide le
grignoter pousser la vie lancer
la vie

excroissance

là où il n'y avait rien

là où
il aurait pu ne jamais rien exister
et de ma main serrant les fibres
et de mes doigts les nouant
creuset
où se construit la lenteur
la chimie du temps de la lumière de l'espace et des mots

Ariane en tes détours construis le labyrinthe

ce que tu pièges c'est la mort

végétation animale
et ses pauses moussues s'élancent
oublieuses des creux et des sources
nuageuses
respiration ténue et tenace
postée au seuil du silence

la main
tenant la plume sur les chemins de la feuille
tenant les fibres

liant le vide
il n'est d'autre canevas que l'infini à combler
d'autre métier que la main
attentive
postée au seuil du vide
filant l'espace à l'opposé des pouces

 

 

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TROUÉES

 

Pour Martin Miguel

 

Écrire les couleurs du monde Regarde tes mains la vie en dépend elles tremblent Tous les souffles retournent au bleu ta voix s’enfonce dans ta gorge la caresse de l’air fait un cri l’espace remue Diluer l’espace trouble le cri te traverse le corps Torpiller le temps bousculer les soubassements du monde leur implosion produit des musiques profondes te cloue Tu ne sais jamais si tu parles ou si tu dans une coulure soudaine hantes ta propre mort retournes à l’eau des origines Tu nais des transformations de tes mains les mots voguent se glacent Tu devais nous dire un jour ce qui t’effraie voici que le monde s’ouvre sous tes mains tu les unis  Mais le pourrais-tu si elles ne contenaient le ciel paumes et doigts joints Ton effroi étouffe les mots tu serres en toi le tranchant et l’acide sans cesse renouvelés la lame et le poinçon Bruit de la mort des mots bourdonnent au bout des doigts l’aigu et le grave Toutes les couleurs du monde les larmes et les sources effondrement des voix qui bourdonnent au bout de nos doigts glaces et buées Tu as recueilli le sang et les cendres Trouant nos langues de constellations Basculant l’envol de tes mains émiette le cri Pourquoi faut-il qu’écrire soit si hésitante frontière entre vivre et mourir




Ivan Dmitrieff, Sente (extrait), et autres poèmes

SENTE  (extrait)

une absence native procède à l'espace, rien ne manque ; pierre, et transparences, dans le jet du temps ; cet amour, ce silence ; ce qui arrive d'herbe, de racine, d'ombre claire sous la trouée des buissons ; d'oiseau de ton pouls dans la lumière ; de danse d'arbre et d'air, de sente et de pas ;

une énergie ; emplit, et déborde ; vallonnée de ciel et de buissons, terre assise, racinée, oiseau jeté dans le vent ; alors tissée du vert et du nuage, de la sente et du gué ; toujours venue à la beauté, à l'instant ; jouant l'horizon et le soleil, arbre et ronce, et ruisseau ;

une présence, ouvre ; paisible, où survient toute lumière : transparences et cri d'oiseau, pierre sous les feuillages, ombre et trou ; que ta main repose sur l'herbe est aussi son visage, infini ; ce rougeoiement des baies, ce ciel-au-dedans, témoin du jour ; ce repos et ce mouvement d'un corps, vécu par la vie ;

 

DANS LA LUMIERE EN FILIGRANE DE L’OUVERT ( extrait)

et au sein de toutes choses, matière et esprit se réorientent continûment vers la résonance d'un nouvel équilibre, leur chant est la demeure de l'invisible qui toujours se déploie dans le peuplement des pierres et des corps, dans la vibration intime de leur présence que poètes nous apprenons patiemment à voir, nous lisons de l'univers le poème, et c'est lui qui nous lit, et c'est lui qui nous dit lorsqu'en notre cœur nous disons du poème l'infinie parole, le chant ininterrompu qui depuis les nues primordiales forme dans l’éther le visage de chaque existence, et nous tendons profondément l'oreille pour accueillir du chant singulier de chaque être du ciel et du sol, et de nous-mêmes, la langue, et poésie originelle, dont nous sommes tous en ce monde le chemin et le voyage qui sans fin vibrent avec la lumière

 

 

 

 

 

ENTONNE

 

 

Entonne
entonne le chant vivant de l’ouvert
entonne
entonne
c’est le chant de ton voyage
le chant vertigineux de ton voyage
dans la densité des mondes
entonne
entonne
c’est lui ton chemin d’existence
c’est lui ta boussole de réalité
chant donné qui conduit le souffle
à travers les forges de la matière
chant donné qui conduit le souffle
au-delà du temps et de l’espace
chant donné qui conduit le souffle
à la bouche de l’ange
chant donné qui conduit le souffle
aux tréfonds du très haut silence
entonne
entonne le chant qui est en toi
ce voyage de vie
de toutes les nuits
et de tous les soleils
ce chant manifesté
de l’océan des mondes
des paysages millénaires
sculptant des montagnes émeraudes
des sommets éclatants du soleil
offerts à la neige
des jours qui tanguent
telle une barque de lumière à la dérive
des épreuves initiatiques du cœur
dans les labyrinthes de l’expérience
rouges et déroutants
des rebonds terribles de colère et de doute
des épines d’une douleur de cauchemars
dardant les plaies de l’âme
des doigts frais de la lumière
levant les rideaux d’un long sommeil
des étreintes de l’aube étincelante
et du feu naturelle de la joie
entonne
entonne
c’est le chant du voyageur suprême chant
de cette jouissance d’être lancée
dans les étoiles chant
du voyage de l’ouvert entré
dans la danse des seuils chant
d’exploration du vivant éployé
dans l’entrelacs d’amour
entonne
entonne
ce voyage !
ce chant !
ce voyage !
ce chant ! de ton existence
offerte à l’existence
comme elle est à la beauté autant qu’à la boue
comme elle est aux délices autant qu’aux larmes
qui traverse les terres innombrables du ciel
comme elle est à l’éternité autant qu’au moment offerte
à l’existence multiple de ses vies simultanées offerte
à l’ instant de chacun de ses possibles offerte
à ce jeu parfait de l’immensité consciente
entonne
entonne les mots et le sang du cœur entonne
les formes du voile de l’ombre entonne
les rives flamboyantes de la lumière entonne
les sonorités du vase humaine
car c’est ton étreinte céleste des pôles de la vie
c’est ton voyage infini du chemin du retour
ton chant ému du soufre de l’âme
ton chant ému du caducée du corps
ton chant ému du gui du temps nouveau
vers le centre absolu de toi-même
chant
de ta réalité manifestée
dans le miroir des formes
entonne
entonne
entre encore et encore
dans la profondeur de ta matière
car c’est elle seule ici-bas qui te mène
vibrant et solitaire
dans l’espace vivant entre les choses
vers le seuil de ton être
entonne
entonne
du jeu divin de l’ouvert
enchante le monde
enchante le monde

 

 

 

 

 

 

 

 




Judith Rodriguez, Extases /Ecstasies (extrait)

traduction de Marilyne Bertoncini

reflection

 

A glass so clean it shines.

The base hives light.

Glassily, there I am

half out of water, half in,

sodden short-tails bellying

and ribs rimmed with wet.

 

©Judith Rodriguez, The-cup-at-David's-1977

 

réflexion

 

Un verre si pur qu'il brille.

Le pied diffuse la lumière.

Vitreusement je suis là

moitié hors de l'eau, moitié dedans,

les basques trempées toute renflées

un ourlé  humide sur les côtes.

 

 bird life

 

In another life

I shall return as a bird

in a part of the wood so deep

I shall see no human

except when a girl

wanders there forlorn

and lost till I sing her home

to her little sister.

 

Vie d'oiseau

 

Dans une autre vie

je reviendrai en oiseau

dans un bois si profond

que je ne verrai pas d'humains

sauf quand une jeune fille

s'y enfoncera  délaissée

et perdue et mon chant l’accompagnera

vers sa demeure et sa petite soeur

 

 

 I am held up

 

I am held up in the arms

of all my friends, held up

by the Indian taxi-drivers’

tales of family and home,

by the smiling sellers of food,

by bright eyes suddenly remet

at encounters. Held up, I am held.

©Judith Rodriguez, Hand Circle, 1978

 

Je suis soutenue

 

Je suis retenue par les bras

de tous mes amis, retenue

par les histoires de famille

et de maison des taxis indiens,

par les souriants vendeurs de nourriture

par des yeux brillants soudain revus

à des rencontres. Retenue, je suis tenue.

 

dog alive

 

And I marvel at the dog Ashur,

his coursing the lawns and his rolling

crashing through ferns, his flattening,

his hasty way past mounds,

his paws on my shoulders.

 

chien vivant

 

Et je m'émerveille du chien Ashur,

ses courses sur les pelouses ses rouler-

bouler à travers les fougères, sa façon de

s'aplatir, d'accélérer devant un tertre,

ses pattes sur mes épaules

 

wind-change

 

Under the young sky

poplars glitter

the pond’s jets waver

shaken in morning airs

and fling out silver.

An oak pours wind.

 

Till round the walk

eddying from their game

up a beach of lawn

come three with racquets

headed for deck-chairs

and the still end of day.

©Judith Rodriguez, Old-playground,-El-Bosque,-Armenia-1975

 

le vent change

 

Sous le jeune ciel

les peupliers scintillent

les jets de la mare tremblotent

secoués dans l'air matinal

et font jaillir l'argent.

Un chêne verse du vent.

 

Jusqu'à ce qu'au détour de l'allée

sorties en trombe de leur jeu

sur un coin de pelouse

arrivent ces trois avec leurs raquettes

qui se dirigent vers les transats

et la douce fin du jour.