Arnaud Forgeron, à la laisse de mer, île d’Oléron et autres poèmes

à la laisse de mer, île d'Oléron (extrait)

variable d'écume
d'eau
à ta lèvre

 

-

 

comme un frêle dépôt
j'irai sculpter ton ombre
avec du sable

le soleil envolera
le peu de mots qui nous reste

et main dans mot

nous ajusterons l'essentiel

les yeux
dans les dunes

nous regarderons le vent
soulever les nuages de sable

les bancs soulever
les prières de l'eau

les vagues qui expirent

 

vaque l'océan

 

vaque le temps

 

vaquent nos âmes

 

-

 

couple en danse

passant ses ailes

aux suspensions des rives

 

 

 Chemin de Rineve  (extrait)

 

réduire
la cadence des pas

regarder le ciel
les nuages se faire
se défaire

entre deux chênes

vue de hamac

 

-

Les univers, c'est comme les nuages de septembre, ça s'écarte, se rencontre, se diffuse, s'éprend, et moi, je me balance sur un tapis de tissus flottant à un petit mètre de la terre.

J'aurais voulu être là quand tout s'est allumé, au grand, au magistral flash de lumière. Depuis combien de temps regardons nous le ciel, depuis combien de temps sommes nous un réceptacle à ces grains de lumière ? Combien de fenêtre nous reste-t-il à ouvrir sur les espaces immenses? Et moi, je me balance dans la stabilité relative des sphères, arrachant des neutrons à ma muse discrète, décalant dans l'insoupçonné vers et proses pour en affiner les saveurs. Ah la discrétion des muses, effeuillant leur surface en photons, en boucle, en jet, en orage magnétique, ne nous disant rien de leur intérieur de gamma. Nous ne pouvons les voir, simplement les pressentir, deviner leur passage rasant nos chandelles, traversant nos chairs délicates, nos muses sont opaques et oscillantes.

-

ce soir
les arbres
coulent leurs racines dans le temps

ou est-ce
le temps
qui coule des arbres

je n'ai plus de direction

 

sur ce chemin
brisé de symétrie

il y a aussi la veille et le lendemain

-

je suis ce que je pèse
la trace

 

 

Mémoire d'après (extrait)

 

chevreuils
bondissants
de ma mémoire

chaque matin

l'élan sauvage
de la nuit

cette fois
je ne reviendrai pas
sur mes pas

-

mare

nuit des amphibiens

anguille qui se glisse
au rêve prébiotique

chaque réveil
est un frisson du monde

un rappel

un appel

un esquif

une sonde

 

Apprendre à aimer chaque pas (extrait)

 

Goutte, filet, rigole, ruisseau, rivière, fleuve, l'eau s'immisce comme les mots, traversant les obscurités et les pleines lumières. Il y a aussi les chevelures scintillantes des comètes frottant leurs peaux à l'atmosphère, leurs désirs ardents de corps de glace.
Il y a les poèmes comme des lèvres d'encres qui préfèrent chuchoter, les icebergs comme des mots de banquise qui se détachent, le chant des oiseaux comme musique du monde, et ce temps qui passe
à ne pas déranger l'ordre des choses.
Il y a, quelque part, ce qui nous manque ici, cette absence, cette présence de l'intouchable, ces bouts de nous-même jamais conquis.
Nous cheminons entre les gravats et les aurores, passant nos regards dans les moindres failles
de l'inconnu, cherchant à tisser l'instabilité de nos doutes, l'effritement de nos pensées
les lignes des lendemains.

Il n'y a pas d'à rebours en deçà de la lumière
nous nous élançons dans l'or et le charbon.

 

Néandertal à Gibraltar (extrait)

 

à notre arrivée sur ce rocher
la première chose fut de regarder la mer
puis de regarder plus loin
de lancer nos battements de cœur

qu'il est beau de voir un monde qui s'en va un autre qui arrive
s'entremêler se broder composer les probables

et dans ces probables un réel à nos chairs
en première ligne

 

 Le gris de l'aube, un chant de l'aube à Jack KEROUAC (extrait)

 

je me cache dans la tristesse secrète de nos nuits
chasseurs de naufrages
chargeurs au long court
mon frère trop large pour les SOUTERRAINS
trop étroit pour l'avenir
je me cache dans l'intuition grisée
de l'aube, j'aperçois, je te VOIS
les rames à la main appliqué au génie
des épreuves de l'existence grisé de
l'éraflure constante de nos DOUTES
je te VOIS à l'EMBOUCHURE
DELTA des innombrables déroutes.
Je VOIS dans notre sillage des étoiles
qui s'effondrent, c'est notre allée DIVINE
bordée de fleurs des appeaux de glorieux camés
de leurs masques loqueteux et livides d'épuisement
c'est notre ALLEE divine des farouches descentes
quand il est moins le quart à la petite
folie, qu'à la porte toque l'IVRESSE et
sa révérence, je me cache dans tes yeux
infligé des PUISSANCES subalternes
dans le BUNKER du PARRAIN AUTOMATIQUE.

 

Je me cache au seuil des visions
de l'impalpable
infra opale
que les mains frôlent
où tu remise la lumière.

Je me cache dans l'intervalle

du dernier battement de paupières

o|ù se sont fermés tes yeux

de soleils noirs.

...le monde invisible est trop plein de beautés pour qu'on puisse le traîner devant le tribunal des réalités sociales.  JK

   

La géométrie du choc, quand s'envoleront les dunes de sable...(extrait)

 

Ces pas qui portent un silence.
Ces quelques mailles défaîtes de mon pull de laine
qui retiennent ma présence.
Les visages du jour
les masques de la nuit
je n'ai pas oublié.
Que peuvent accomplir les mots sans la présence?
Le monde est un calque pour exister.
S'y appuyer
mine de rien
passer de l'être à l'existence.
L'infini ne s'habite pas.
S'asseoir désormais à sa place
moulée dans la roche
les yeux comme des calcites
lancer des regards de pierre.
L'on assiste à ce pour quoi l'on est spectateur.
L'eau ne doit pas couler avec le sang.
Je ne pense pas avoir été plus fou
que l'apparence des choses
que l'apparence d'un instant.

 

Oeuvre d'indéfinissables (extrait)

 

Dans mes mains tombe l'invisible.
Dans l'océan tombe le réel de mes mains.
Je porte l'eau à ma bouche.
Je pars ma présence d'absences
d'heures bleues.
Solstice des chromatiques.
Tout un monde se transvase
oscille
bascule.
Le poète en avance
note les apparences.

 

 

 




Radu Vancu, Poèmes

Traduction de Stéphane Lambion

Canto I

 

Il y aura des hommes et ils pousseront le monde plus loin.
Aujourd’hui, il est déjà tard, on construit un commissariat de police en Lego
et on regarde Cars.
Aujourd’hui, le monde ne mérite pas qu’on le pousse plus loin que ça.

Aujourd’hui, je n’ai pas vu le soleil se débattre, tétanisé,
dans le ciel. On dirait presque qu’il n’a pas existé.
Aujourd’hui, Dieu n’a plus été le concept à l’aune duquel
nous mesurons notre douleur, comme le chante John.
Peut-être qu’il avait mesuré les convulsions et la torture du soleil,
je ne sais pas. Pour nous, seule a existé
la lente construction du commissariat de police
et, au-dessus, aucun soleil qui nous empêche d’en venir
à bout.

Nous avons besoin d’un soleil Lego qui brille sans alternative
au-dessus d’un néant Lego. De jeunes paysans Lego
d’une Galilée Lego
prenant sur eux tous les péchés et les déjections Lego.
Nous avons besoin d’enfants Lego qui chanteraient :
« à l’ombre de la croix Lego nous étions assis et nous pleurions ».
D’un John Lennon Lego qui chanterait sur
des dieux, des concepts et des douleurs Lego.
Alors seulement, le soleil se débattra dans
d’heureuses convulsions. Alors seulement, le monde méritera
qu’on le pousse plus loin.

Aujourd’hui, il est déjà tard, on construit un commissariat de police en Lego
et on regarde Cars. Le lait
se réchauffe lentement dans la tasse blanche en métal.
Rien, et c’est le moins qu’on puisse dire – vraiment rien
ne peut nous pousser plus loin.

 

Canto XXVI

 

Papa, tu m’as trop parlé,
            ça suffit, à partir de maintenant c’est moi qui vais te parler.
                       Pas en rêve, mais pour de vrai.

Et je te le dis franchement, d’entrée de jeu :
            peu importe combien j’aime ton suicide,
                       je ne me suiciderai pas.

Peu importe combien la mort est technicolore,
            peu importe comme nous serions beaux tous les deux
                       dans le film de nos suicides, réalisé

par le diable en personne, peu importe combien
            de poésie à l’état pur on trouve dans les manuels de suicidologie –
                       je ne me suiciderai pas.

Moi aussi, avec une lame, je me suis entaillé les bras,
            j’y ai plus de cicatrices
                       que de photos avec nous deux, ou juste avec toi.

J’ai bu de l’alcool méthylique à la bouteille,
            dans l’espoir, terrifié, de mourir pour de bon,
                       de ne pas me réveiller aveugle le lendemain.

Tu penses que je ne sais pas avec quelle douceur
            la lame s’enfonce dans la chair
                       de l’avant-bras, descendant toujours plus profond

dans les rainures juteuses de sang
            par lesquelles passera, éclaboussant tout autour de lui,
                       le char de Dieu aux roues dorées ?

Tu crois que je ne vois pas comme les cicatrices deviennent
            lumineuses telles des enfants gâtés
                       lorsque je pense à toi ?

J’ai été jaloux – je suis encore jaloux à en crever –
            des morts si profondément enfoncés dans leur tranquillité,
                       car ils sont des roses se humant elles-mêmes.

Mais, papa, les roses sont sans pourquoi,
            elles fleurissent comme les hommes se suicident.
                       Elles n’ont pas le choix. Tout comme moi :

Après avoir tranché le fil qui t’entourait le cou,
            tu n’avais pas d’autre regard à soutenir que le mien.
                       Moi je dois soutenir le regard de Sebastian.

Et maintenant, seul au milieu de tes roses,
            tu n’as pas d’autre regard à soutenir que celui de Dieu.
                       Tandis que moi je dois soutenir le regard de Sebastian.

Alors, comprends et pardonne, papa –
           je ne me suiciderai pas.
                       (Et en fait, c’est ça le suicide.)

 

 

Canto XXXVIII

 

Cette nuit d’il y a sept-huit ans
quand tu te promenais dans Cisnădie,
            après deux ou trois jours de beuverie
            suicidaire – zapoi, comme disent les Russes –

et que, sur la place centrale, en face de la mairie,
tu t’es approché du chien qui te regardait
            avec les yeux de papa, que tu t’es agenouillé près de lui,
            que tu as pris sa tête dans le creux de tes mains et que tu l’as embrassé sur les yeux,

lui, il est resté figé, d’effroi ou de surprise
ou parce qu’il savait, et vous êtes restés comme ça un temps indéfini
            sous la pluie qui tombait comme tombent toutes les pluies

sur les hommes et les chiens qui fraternisent –
c’est-à-dire imbibée jusque dans chaque goutte
           d’une insolence typiquement et profondément humaine.

 

 

Canto XL

 

Je l’avais oubliée, celle-là, pour de bon : je vois
la photo de Cisnădie avec le mûrier en noir et blanc
derrière la maison de grand-mère et mon ventre
se colle à ma colonne vertébrale –
là-bas, on avait notre maison en haut du
mûrier, construite par le cousin Claudia,
de qui j'étais très amoureux.
J’avais l’impression qu’on restait là-bas des
semaines entières, à regarder les rats grouil-
lant sur le bitume du toit
et à nous remplir l'espace entre le ventre,
la colonne vertébrale et l’âme avec des mûres noires.

En dessous de nous il y avait le jardin, à des kilomètres
de nos âmes pleines de
mûres noires. On y descendait de temps en temps
comme Dieu descend quelquefois
sur le monde, cléments et
impitoyables. On enflammait tout
avec nos épiphanies

jusqu’à ce que, comme des bulles d’eau minérale,
se lèvent des halos au-dessus des rangées
de persil, de céleri et de carottes.
Puis s’élevaient sous les halos les anges
du persil, les anges du céleri et les anges
de la carotte
et ils nous chantaient des hymnes de gloire jusqu’à ce
que le sol fasse ploc-ploc de plaisir sous
nos pas.
Ils chantaient jusqu’à ce que le monde devienne
paradisiaque et instrumental,
comme un objet dont Dieu
se servirait en permanence.
On officiait sous le cocon de buissons de mûres américaines
et l’air était fait d’immenses blocs d’amour
qui se renversaient toujours et écrasaient toujours
quelque chose sous eux et
riaient toujours.

Nous grimpions à nouveau dans la maison
en haut du mûrier, étincelants et avec nos globules
aussi gros que des reins de porc. Grand-père mourrait
depuis plusieurs années dans la maison en dessous de nous,
le cerveau broyé. Et nous, on écrabouillait,
heureux, les mûres, tout comme la lumière
écrabouillait, heureuse, nos cerveaux. Plusieurs années plus
tard, les blocs d’amour devaient se
renverser sur moi et sur papa et nous
écraser et rire de nos cerveaux
broyés comme celui de grand-père.
Cela, je pense que je le savais déjà. Les taches
noires des mûres partent très difficilement
au lavage.

 

 

 




Daniel Biga, Poèmes

VAGUES D’ÉTOURNEAUX

 

vagues contre vagues flux avec reflux
des cents d’étourneaux battent la mesure
                       de l’air
                       la terre
n’en voit pas un seul posé

les vols se désunissent au soir
chacun à ses affaires va
sur quelques mâts ou antennes

la nuit réunit
avenue de la gare
boulevard de l’océan
chaque tilleul est une ruche d’oiseaux noirs :

 

étornnants tornitruants étornissants tourbillonnants
étourtereaux étourterelles étourdissants détonnants étourneaux

 

***

 

 

POURQUOI

 

…les sources roucoulent -elles
quand le monde est en danger ?
pourquoi élaguer un orme énorme ?
pourquoi Tahar a-t-il peur en enfonçant sa main
 toute entière dans le trou sur la berge du fleuve ?
pourquoi sur de longues tiges d’herbe
les fourmis font-elles leurs Tarzanes ?
pourquoi aimons-nous l’eau claire
dans un verre transparent ?
pourquoi faut-il méditer ? ou au moins écrire ?
pourquoi faut-il lire Arno Schmidt et Tarjei Vesaas
 et André Dhôtel et Aaron Shabtaï…  et…
( pourquoi les noms s’effacent-ils de ma mémoire ?
quand ? tant qu’il est temps

ces questions essentielles  superficielles
et tant d’autres
ALIMENTATION GENERALE tente de poser sinon dr
 répondre           

 

in Alimentation Générale, Unes, 2014                     

 

***

 

CAPITAINE DES MYRTILLES 
( disait Emerson de Thoreau)

 

et moi aussi
j'ai été huissier des chants
appariteur des couleurs
berger d'enfants
et instituteur des caprins et ovins
 j'ai été ingénieur des bétons et bitumes
manœuvre des dossiers et paperasses
j'ai eu une chaire associée de gynécologue du cœur
et de pharmacien des âmes
mais c'est toujours jardinier de fourmis et scarabées
brocanteur des mûres et chanterelles
troisième classe des eaux et forêts
que j'ai été parfaitement à l'aise
comme le gardon dans son élément
car il n'y a pas un paysage pas une vie végétale
pas une plante au monde
dont je ne me sois jamais senti l'étranger

mais que dirai-je de l'homme?

 

Stations du chemin 1983-1987 In Babel Bigarrures, Tarabuste, 2018

 

***

 

LES RÊVES SE RACONTENT ÀL’OREILLE

 

miel de père lait de mère œuf du poème
 (belle rencontre de miel avec  l’ours d’or au festival de Berlin)
 l’enfant qui n’aime plus guerre le lait
           l’adolescent qui le vend
le poète de quarante ans son œuf de poévie:

dans les rayons le miel se goutte avec le doigt
dans les rayons d’abeilles de propolis de cire les rêves 
            les rêves se racontent à l’oreille

dans la trilogie de Yussu les films de Semih Kaplanogu
miel –lait-œuf honney-milk-egg hourra ! le réalisme spirituel
hourra ! l’enfant se voit de l’autre côté du miroir
de l’autre bord du torrent il de voit lent faon :

           « je bois la lune je bois l’eau de la lune pleine
             j’avale la pleine lune tombée dans le seau
             je plonge la tête dans l’eau du seau et
             j’avale le reflet d’un reflet tombé… »
             les rêves se murmurent à l’oreille

 

***

 

OMBRES INSPIRÉES

 

…présences heureuses veilleuses paisibles bruits raffinés
sirop de cannes à sugar rousseurs panachées
 quiétude au soir armistice noctambule
corps d’esprit une telle nuit d’été sel de mi-nuit
vis à visages Vide Roules d’étoiles serein des c/d/ieux
cent mille fruits cuits bruits de nuit
 hémoglobine animale chasse ni fin ni commencement
           espèces souffles caresses morsures
           soupirs dans l’air – souffrances/voluptés –
autant y-a-t-il d’étoiles au Ciel qu’y a de grains de sable sur Terre
senteurs saveurs sons sueurs chaque inspir
                    innombrable unique

toutes choses que Rien que Tout n’éprouve ni ne prouve
                   signale sans révéler

énergies rondes fréquences modulées (recherches de vocabulaire)
empire des foultitudes
            finitif des débordements des formes déformes
            transformes

les lucioles éteintes l’année prochaine juillet les rallumera
lucioles d’aujourd’hui reviendront plus vieilles et rajeunies

 l’an que ven e reven in QUOLIBETS, L’Amourier, 2018
  

 

 




Martine Callu, Le Possible et autres poèmes

LE POSSIBLE

 

s’il n’y a pas d’oiseau pour l’emmener
où ira le vent levé
où se perdra l’âme égarée
allons camarades de la glèbe
ne trépassons pas trop tôt
ayons le courage d’arpenter le possible

 

 

CHARTRES

 

la Beauce ouverte au ciel mouvante exactitude des marcheurs dans l’ombre des églises closes
maintenant

quel blé quelle moisson

les sillons s’étouffent de tant d’appauvrissement

les pales des éoliennes trahissent le vol des ramiers

les bosquets transparents de tant de coupes peinent à tenir au chaud l’ombre du soleil

pas à pas la poussière

osant le ciel les deux épines de la cathédrale

ces pas si accordés ce sont ceux de Péguy qui nous dépasse il est déjà loin que nous sommes
encore à tarder

il n’a pas fini d’écarter ce qui retient

 

 

EPAULE RONDE

 

faut il que la colère s’enraye pour percevoir l’unité
fut ainsi la démarche
le soleil brille
la terre respire
les arbres croissent
les oiseaux s’envolent
faut il que marcher pas à pas apaise

le sentier lourd de haies pleines de mûres
que la cueillette soit que la confiture prenne

que le sens s’annonce dans la courbe

il y eut des épaules rondes

 

 

LA PREMIERE MARCHE

 

nous sommes sur la première marche
celle qui pèse

on a fait un remblai de cailloux de chiffons de glaise collante
de mots pour tenir l’ensemble
de mots écrits sur les planches
de mots dessinés à la craie
de mots pour le futur

debout sur la première marche

on arrivera peut être à monter sur la deuxième puis sur la troisième
dans l’espoir d’oser regarder qui penche

est-ce le Christ sur sa croix
ou l’ombre d’un bananier précoce

il y avait au carrefour un Calvaire entre deux arbres magnifiques
il n’en reste plus qu’un
l’autre est mort
desséché

mais sans espoir ni désespoir l’oiseau chante à l’unisson des syllabiques errances
quand l’aube jaillit pour plaire

 

 

SOLDAT

 

sen retourna
casque dorties blanches
les fleurs pourrissent vite
sen retourna
breton
le granit tient la route vers le ciel
dur

 

 

UN JOUR DE PRINTEMPS

 

la nappe brodée de soleil et d’air
tranchait sur le vert
ils s’y déposèrent en silence pour franchir l’inconnu paysage
s’y déposèrent de tous leurs os et tendons
de leur âme ils ignoraient qu’elle fut ce lieu de gravitation
ils ne savaient pas qu’ils avaient le droit de croire

un jour de printemps léger de lumière
ils allèrent sur la colline

la nappe si blanche brodée de soleil et d’air
tranchait sur le vert
ils s’y déposèrent en silence pour franchir l’inconnu paysage
s’y déposèrent de tous leurs os et tendons
de leur âme ils ignoraient qu’elle fût ce lieu de lévitation

le pain le vin partagèrent

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Marie-Philippe Deloche, Bleu de juillet, Toujours la langue veut dire

Bleu de juillet

 

Derrière le paysage
attentive,
aux failles
                  aux fractures
                               aux plis 

 

Je suis les lignes

de faiblesse,

l’équilibre des papiers

                                  froissés

 

Je tremble pour recoudre

  lier

      les mots au bleu de juillet

 

 

 

Derrière le paysage

attentive,

aux failles

                aux fractures

                                   aux plis

 

Les sutures suivent les bords

des déchirures

                des paroles

                                murmurées

 

Je tisse, détisse,

   Pénélope,

conjure le temps et l’espace,

                        l’usure des corps

 

 

Je tremble pour recoudre

  lier

      les mots au bleu de juillet

 

 

 

Un phrasévibré

qui vacille

          l’élégance propre aux guenilles

 

Coudre

rapprocher les deux bords

lectures

         écritures chiffonnées

 

 

La langue qui se recompose

accueille le bruissement des êtres

   des plus humbles

                        aux plus savants

 

Je tremble pour recoudre

  lier

      les mots au bleu de juillet

 

 

Le tragique troue le texte

                              les nuages

    traverse le tissu des mots

Ils le referment  

                      aussitôt

 

 

Tissu céleste

bleu de juillet

 

 

1.

Toujours la langue veut dire

     insiste

                pulse

 

la mer    le ciel jamais fini

les humeurs de nuages ourlés

le jeu des mécaniques disjointes

les secrets sans partage

                                       le ratage

 

 

Vivre dans une bibliothèque

de correspondances

                                et d’écarts

pour le hasard et les épreuves

                                               d’une vie

Des guillemets volettent autour

comme des fantômes

au-dessus d’un corps alangui

 

 

2.

Toujours la langue porte en elle

cette dynamique cachée

qui mène

                aux changements de mondes

 

De débordements en éclipses

le désir s’exalte et s’étire

                                        mais il va

 

Il ignore l’histoire qu’il construit

 

 

3.

Toujours la langue veut dire

     insiste

                pulse

La langue portée par les hommes

organise des formes libres

         avant de les disperser

                                   dans un souffle

 

 

Redéplier la langue le jour

comme un vêtement àrepasser

qu’on a déjàtrop replié

                                    trop reprisé

et qui s’effiloche et se troue

pendant la nuit

 

 

Pure électricitédu réel

                 Toujours la  langue  veut  dire




Jacques richard, six poèmes extraits de Sur rien mes lèvres

De moi à moi
appel d’un lieu
d’où nul ne parle
lieu-dit sans nom
non-lieu

je n’entends pas
ce que je dis
j’entrave pas
ce que je parle
c’est que ma langue
m’est entrave
qui trop me lie
au dire

ma bouche s’ouvre
sur rien mes lèvres
c’est à ce là
que je dis moi 
c’est à ce lui
ce moi que je
suis sourd

silence
suspens
avant tout
d’après moi
maintenant qui
n’a pas de lieu

 

***

 

Étreint que tu es de naufrages
inconnus dans les océans
de nulle part le pas-fini
où tu reviens si tard déjà
marquant le pas au bord de la
dernière des premières fois

étreint que tu es de naufrages
sans appel dans le sans après
où tu reviens de ce que tu
appelais loin le sans ici
qui t’absorbe comme si tu
n’en étais pas encor venu

 

***

 

Sous la surface lisse                        
au revers de la plaine                          
obscure et sans dessin                      
que l’étole du jour                                  
efface de ton rêve
et vole à tes remords

tu t’enfonces
t’en vas
tu es là où tu
n’es pas

pas là
tu es absence
de toi
absence autour
de toi

pas là
pas de mains
à tendre
dans l’absence d’autres
à prendre

pas là

pas d’absent autre
d’absence
que ton absence
à toi

pas là

de toi à toi
sans fin
l’absence
et seul

pas là

que l’étoffe du jour
efface du dessin
de tes rêves la plaine
obscure et sans limite
la surface trop lisse
qu’attendent tes remords

 

***

 

Être pierre
sur la terre
pierre parmi les pierres
dans les arêtes raides
et le rugueux des regs

être pierre
au soleil
écrasée de lumière
éclatée dans le soir
au milieu des étoiles

être pierre
au désert
être aveugle être sourd
se mouvoir seulement
du mouvement des pierres

être pierre
sur la terre
n’avoir d’avoir de nom
n’avoir de sens à être
et que cela soit être

 

***

 

Cela
ouvert dans la lumière
arrivé à celui
cet enfant débarqué dans le temps du soleil
et qui prononce moi
et qui déjà se sait
seul
possible de cela

cours au long du désert la tartine à la main
narine emplie de vent
mal au ventre
musique

seul moi
seul ici et seul temps
où rien n’est là en vrai que par ce moi d’où sortent
deux mains presque deux bras
deux pieds presque deux jambes
et seul
à qui cela arrive

cours au long du désert la tartine à la main
narine emplie de vent
tête ventre
de bruits

ce sac
de déjà plein d’un mal
et qu’aucun autre n’a
et qu’aucun autre n’est
rien n’est moi comme moi irremplaçable enfant
et tout
qui n’est plus là s’il part

cours au long du désert la tartine à la main
narine emplie de vent
mal au ventre
musique

 

***

 

Cendre que tu es cendre
dans le gazon fondu
tu es cendre fondue
ton sourire tes yeux
qui pleuvaient jour à jour

qui répétaient le ciel
l’herbe plus verte ici
et récitaient là-bas
où c’était oh c’était

cendre que tu es cendre
tu coules en rigoles
entre les pieds des gens
goutte-à-goutte passant

théorie grave et grise
et blonde et rose et brune
étirée moi à moi
qui pleuvent jour à jour

musique noire musique
moire du temps échu
mélangée nuit à nuit
à ta cendre fondue
ton sourire tes yeux

 

 

 

 




France Boucher, En gerbes sur le pas, et autres poèmes

 En gerbes sur le pas

 

Nouveau rêve à portée de main  
scintillent les sables
de l'exil

Pourtant le désert
déracinera ses intuitions
ses défenses
en un rituel obsessif

...

Publié dans l'anthologie Chant de plein ciel - Voix du Québec

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Chantal Bizzini, TRANSFERTS

TRANSFERTS

(en écho à l’œuvre Different Trains  de Steve Reich)

1.America—Before the War

 

The sun’s moved to Jersey, the sun’s behind Ho-
boken.
    Covers are clinking on typewriters, rolltop desks
are closing ; elevators go up empty, come down
jammed. It’s ebbtide in the downtown district,
flood in Flatbush, Woodlawn, Dyckman Street,
Sheepshead Bay, New Lots Avenue, Canarsie.
    Pink sheets, green sheets, gray sheets, FULL
MARKET REPORTS, FINALS ON HAVRE
DE GRACE. Print squirms among the shop-

worn officeworn sagging faces, sore fingertips,
aching insteps, strongarm men cram into subway
expresses. SENATORS 8, GIANTS 2, DIVA
RECOVERS PEARLS, $800,000 ROBBERY.
    It’s ebbtide on Wall Street, floodtide in the
Bronx.
    The sun’s gone down in Jersey.         
—JOHN DOS PASSOS, Manhattan Transfer.

 

 Le soleil s’en est allé vers Jersey. Le soleil est
derrière Hoboken.

Les couvercles des machines à écrire décliquent,
les rideaux des bureaux se rabattent.
 Les ascenseurs
montent vides, redescendent bondés.
 La marée
descend dans le quartier des affaires et monte à Flatbush,

Woodlaw, Dyckman Street , Sheepshead
Bay, New Lots Avenue, Canarsie.

 Feuilles roses, feuilles vertes, feuilles grises.
« CÔTÉ DU MARCHÉ, RÉSULTAT FINAL
 DES
COURSES AU HAVRE DE GRÂCE. »
 Les journaux palpitent sous les visages penchés, fatigués
par la vie de magasin et de bureau.
 Bouts de doigts
douloureux, pieds endoloris, homes aux bras
robustes entassés dans les métros express.

« SENATORS 8, GIANTS 2, DIVA RETROUVE
SES PERLES. VOL DE $$ 800x000. »
Marée basse à Wall Street. Pleine mer au Bronx.
Le soleil s’est couché derrière Jersey

 — JOHN DOS PASSOS, Manhattan Transfer.
[I]((Traduction Maurice-Edgar Coindreau, Paris, Gallimard,1928.)

 

 

Toujours cet homme, à travailler, en face de moi ;
il ne regarde pas la pluie, ces hachures
sur la vitre, qui brouillent le paysage,
la campagne, ce soir…
est-ce un visage, ce reflet qui s’y superpose sur la vitre noire ?
est-ce un paysage réel, pour filer ainsi,
comme une pellicule
qui se consume et part en nuages d’encre ?

Dans la salle de projection, suite
en noir et blanc d’images mouchetées, sombres, rayées,
décalées maintenant,
L’homme qui rit,
l’enfant,
la neige, ses pieds nus,
son rire fixe,
dans la douleur même, et la peine,
la machine s’emballe,
la bande crisse, fond, se crispe, se tord,
l’écran est mangé par la lumière
le film a pris feu…

Vers le Sud, vers l’Ouest ; il refait la route de son enfance,
autrefois de New York à Chicago,
un destin confié aux roues ;
en sens contraire à ceux qui fuyaient vers le sud,
ou qui progressaient vers l’ouest ;
et les hobos, quel manque décidait leur fuite,
comment s’accrochaient-ils
au train-destin
et à son battement régulier ?

En route, les pistes qu’on abandonne se dispersent,
et les cris ne sont plus ceux d’animaux,
traqués dans le désert ou les montagnes,
mais ceux du vent dont la vitesse multiplie la puissance.

Les animaux se sont cachés, loin
des pistes, loin des rails qui mènent
aux concentrations humaines
— certains capturés, tués, mangés,
ou bien élevés en captivité, torturés, mutilés —
où les êtres se rencontrent, travaillent, se multiplient,
dans la misère et la répétition.

Cependant, sur la tapisserie, pré pacifié semé de fleurs,
les animaux sourient :
licorne et lapins, oiseaux…

Il y a une direction : que signifient
ces noms de villes
pour celui qui les dit :

— Chicago, New York 

quand la voix
et la mémoire résonnent-elles ?
Quel est leur écho maintenant ?
… mesurer ces ondes

Sur tes genoux, ce livre, le tracé des lignes,
tissage des vies, cartes raturées, pliées, usées par
ces allers-retours
traversant le paysage
– mais de part et d’autre des voies
vit tout ce qui échappe au tracé rectiligne
du côté des bois, du côté des montagnes
et des sources ;
quelle vie s’y réfugie encore ?

Le courant de ce fleuve ne fait plus battre cette nouvelle terre
industrielle, il ne donne plus vie ni ivresse,
ni ne permet l'abandon au voyage
vers le delta, puis le golfe,

Sur ton chemin de chaque jour (que signifie chaque jour ?),
quelle variation dans la répétition ?
Des trains différents mènent à travers les orages,
voir passer ne permet pas de comprendre…
sur place, sifflets du progrès,
les rails, et ce battement syncopé…
Directions : d’un point à un autre,
emportés par l’expansion,
pouvait-on envisager alors… ?
aller vers plus de bonheur, peut-être…
comment le soleil luit-il
aujourd’hui, ou
pleut-il ?
… demain…
mais toi,
es-tu deux fois le même ?

La voie,
est déjà tracée, coupée dans les forêts, dans la pierre,
dans la terre et dans les vies d’hommes ;
et nous y avançons vers cette dissolution,
cette fin,
dans les larges rues, entre les bâtiments
plus ou moins denses selon les reflets
sur le verre ou le métal,
ou le passage des nuages ;

… à l’assaut des hauteurs, mais toujours dans la lumière variable
et le vent,
venu de la mer,
en cette île pacifiée
qui reçoit et qui donne, où la moindre contradiction
n’est pas, à Bryant Square,
la torsion de ses branches d’arbres sur les raies verticales noires et blanches
des buildings,
ou ces grues, au loin, qui montent plus haut encore
et, de leur mouvement, déploient le ciel, les parcs, leurs ombrages,
et les églises ouvertes sur la rue passante s’illuminent
dans le soir.
et la foule va à pied,
parmi les vitrines éclairées…

Voici de minuscules cadeaux japonais,
ces fruits nouveaux, plus sucrés, artificiels
qui fondent sur les lèvres comme le baiser
des fleurs
et ces brassées, en sous-sol, dans la pénombre
du restaurant,
et l’élancement des branches
disposées,

mais tout cela n’est que souvenirs d’avant,
(souviens-toi, ce masque de papier)
— d’avant l’accélération, le danger —
qui voyagent et s’échangent : paroles, lettres, cartes postales, photographies,
voici une nouvelle année où
le progrès nous a menés…
Crystal Palace et Chrysler Building…
nous sommes bien après l’insouciance…
et nous montons,
-Empire State Building
tout en haut, pour voir
la foule naufragée, en bas,
ou bien visitons le musée
où clignote la maquette, un grand jouet :
on peut tourner autour de cette ville miniature,
le temps passe et la nuit et la journée alternent, elle s’éclaire,
puis s'assombrit, tremblante de vie électrique ;

Réfugiés sur ces bords
du monde
ou sans abri,
aveugles,
nous nous heurtons contre les parois,
– ô rivage amer,
qui avait dans la bouche le goût d’une promesse, dans
l’autre langue.

Où faut-il être pour voir encore
se succéder les soleils et les nuits ?
Naufragés,
naufragés à la Nouvelle-Orléans, naufragés
à New York,
naufragés au cœur de la foule
et non plus seulement sur l’île écartée des voies maritimes,
naufrage advenu en chacun de nous ;
porosité des parois, des tissus,
girouettes sensibles aux cris, aux éclats des
phares,
hommes,
animaux
maintenant rendus fous…

un kangourou se dresse, l’œil
agrandi et la mâchoire ouverte, figé
par le faisceau dans la nuit
qui l’a arrêté…




Florence Saint Roch, L’Invention du jardin (extraits) et autres textes

1/Extraits deL’Invention du jardin, Les Cahiers du Museur, 2016.

 

  

D’en haut le jardin

Depuis la mansarde ouverte

 

 

Le cerisier s’élance

On le reçoit en pleine face

 

L’épaisseur de ses feuillages

La puissance du vert

Données là

 

 

Sa densité nous éprouve

On creuse la sensation

 

 

On se tient au rebord de la fenêtre

Non qu’on ait le vertige

Seulement cette modestie

Qui nous vient

 

 

Le jardin occupe tout l’espace

 

On observe  le silence

Un silence solide et précis

Que dans sa hauteur

Il nous prescrit

 

 

Il se laisse détailler

 

 

Il faut bien le reconnaître

On est un peu dépassés

 

Même si les murs font leur important

Il respire plus large qu’eux

 

D’aplomb pulsé jusqu’à nous

 

 

On n’a jamais essayé d’engager conversation

Certains paraît-il s’y entendent

Pour parler aux arbres aux oiseaux

 

On n’en est pas là

 

 

L’évidence devant nous

Le jardin comme il est

Sans qu’on y soit pour rien

 

 

La pelouse s’est oubliée

Depuis longtemps

Entre les murs immobiles

 

Lui tout ouvert

Tenace dans ses développements

 

 

Pas facile de trouver

Le jardin d’où l’on vient

 

 

Ceux qu’on avait traversés avant

Si décevants à chaque fois

 

Celui-là

On l’a reconnu tout de suite

 

 

Son fouillis nous confirme

 

Après tant de tentatives

Notre jardin premier

 

 

 

2/Extrait d’Embarque, Les Venterniers, 2017.

 

 

jette-toi à l’eau il fait nuit encore qu’importe monte dans ton bateau sans rame ni voile ni gouvernail pliées les vergues et les bâtardes relégués les cordages oublie manœuvres courantes ou dormantes sans aide et sans recours ose les tours et les détours les passes improbables les impasses certaines n’aie pas peur la rivière te prend aujourd’hui ni arrêt ni escale qu’importe si la dérive est bon plein ou travers tu cours ta plus belle chance ta volonté se suspend en advienne que pourra quelle sera l’arrivée quel sera l’arrivage ne t’en inquiète pas en cette affaire tu ne décides rien réduits à néant ta commande et ta gouverne ton avis ton suffrage ton ordinaire hâte ta précipitation si souvent tu regimbes renâcles à obéir mais cette fois cela va de soi cette parole est faite pour toi embarque laisse tout là

 

 

3/ Premières pages d’Éclipses, à paraître chez Vincent Rougier, juin 2018.

 

1

 

Tandis que le ciel
Lentement vire au gris
Autour s’éloigne s’assombrit

 

Des bandes d’étourneaux s’affolent
Vrombissements d’insectes
Brassages à l’étourdie

 

Plus rien là-haut qui tienne
Avec ce soleil en train de disparaître

 

 

En cette heure particulière
L’espace s’est amolli
La lumière devenue confondante
Le monde flou et circonspect

 

On comprend l’inquiétude des oiseaux
Comme eux on oscille
Entre ce qui n’est plus
Et ce qui va venir

 

 

2

 

Gris tendu sans un nuage

 

On se sent dessaisis
En suspens
Dans cette lumière étrange

 

Oubliés la transparence et l’éclat

 

 

 

Les cris des oiseaux se perdent

 

Vols désordonnés
Trajectoires nerveuses
Comme pour vérifier que le ciel
Reste le ciel

 

 

À chaque déroute pense-t-on
Son explication

 

 

 

3

 

D’un coup la folie de l’air se tait

 

 

L’estompe s’est généralisée
Le ciel vidé de ses occupants
La lumière tout entière partie
De l’autre côté

 

 

Avec ce gris d’argent de tantale
Immobile au-dessus de nos têtes
On accède à un moment
D’avant le premier jour
L’éternité avant qu’elle ne songe
A devenir le temps

 

 

 

On entre dans de nouvelles considérations
Impressionnés de voir dehors
Ce qui se passe souvent
Dedans

 

 

 

4/ Rouge peau rouge, premières pages, en préparation pour Tarabuste.

 

 

On fait corps avec lui

 

 

Rouge dedans rouge dehors

On n’est pas très doués

Pour la dissimulation

 

Toujours il bouge

Variables son épaisseur

Ses rapides ses coups d’éclat

 

On ignore les pâleurs diffuses

Les mondes décolorés

 

 

On vit rouge

 

 

 

 

 

 

 

 

I

Notre sang parle vif

 

Nos jours comme notre peau

Cinabre posé dans son cri

 

 

 

La plaine s’étire devant nous

On ne s’y perd jamais

 

On l’aborde dans les grandes largeurs

Les chevaux la terre brûlée

Les herbes concises

 

 

 

L’impalpable est notre cause

 

On est des drôles d’Indiens

 

 

 

Nos campements sont provisoires

On s’établit dans la course et le saut

La source et sa suite

 

On n’a pas grand-chose entre les mains

Juste un peu de terre

Et contre nos dents

L’amertume des baies sauvages

 

On efface nos traces derrière nous

Notre usage du monde

Tenu et léger

 

Un jour bien obligé

Nous partirons en fumée

Ne restera de nous qu’une poignée de braises

Confiées au vent

 

 

 

On n’a jamais rien déserté

 

L’air vibre sec et court

Déplace la poussière

Fer et souffre mêlés

 

 

 

Rouge esprit

Infusé en tout

 

On fait face

Notre totem planté là

Devant tous

 

Nos colères sont derrière

Flèches au carquois

Bien serrées dans le dos

 

 

 

Que le vent se mette à parler haut à la plaine

Avec lui on flaire les pistes

On déchiffre le secret

Des présences passagères

 

On devine  l’arbre

Tout entier contracté

Dans la graine

 

Sans le voir on sait le torrent

Là-bas qui s’ébroue et attend

 

Les mots comme des images

Oracles courageux

 

 

 

Qu’importe si nos fables paraissent rafistolées

Les voix qu’on entend sont si confuses

Si difficiles à démêler

 

Elles soufflent dans le feu qui crépite

Le frémissement des viornes

L’envol tranquille des oiseaux

 

On n’a pas peur d’elles

 

Avec constance

On leur paye notre tribut

 

 

Poissons plantes fruits gibier

Toutes choses à leur place dans le grand cercle

 

Nous séparer de la terre

Serait comme vendre l’air et les nuages

 

Sûr qu’on est ici

Pour de bonnes raisons

 

 

 

L’autre monde est là

Prêt à sortir de sa réserve

 

Si un jour il nous paraissait petit

C’est que nous aurions diminué

 

 

 

 

 

 

 




Laurence Chaudouët, Ta seule mémoire

Comme une procession de lents taureaux de bronze

L’obstination de la terre aux semelles

J’irai jusqu’au chemin des veines cristallines

Au souffle minuscule dans le brouillard lointain

Presque invisible et ta seule mémoire

 

 

Derrière les murs du jardin de Jouarre les arbres
            étaient portés par une grâce légère

Les feuilles silencieuses ouvraient un chemin dans la pierre
au loin sur de profonds portiques

Mon ombre très loin
suivait le mouvement souterrain des feuilles

Et c’était là
une douce vision de la mort

 

 

C’est dans ton pas que mon pas se fait

Il n’est pas le tien il n’est pas le mien
            Ensemble pourtant ils s’unissent

Il n’est plus permis de prendre les chemins de terre
             Où le souffle se change en cristal

Plus une seule trace pour les yeux

Comme mes yeux sur ton visage
Ne voyaient plus de marques

Et comme
Je n’entendais plus de plaintes

Je ne vois plus n’entends plus que je t’appelle

Nos pas se font pas à pas ensemble

 

 

Il ne cherche pas de l’amour
(ce serait se nier lui-même)

Cet amour qui est de la terre de la lumière et de l’eau !

 

 

Nuit boréale dans le milieu du jour
Toute chose usée par une ardeur blanche
Dont aucune n’est déchiffrable

En glissant rien ne marque
Ni la trame aiguisée des pensées les plus pures

Mais après le silence de craie
On entend une musique
Prisonnière d’une chair invisible

 

 

Mes mots sont des pierres de sable et l’invisible coursier du silence
les accompagne

            Nulle part le tamis n’est si fin que le silence ne puisse l’emplir

            Les mots s’arrêtent à toi seul à toi pour jamais

Il n’est de silence plus insaisissable que la pierre où toute chose se replie et s’absorbe
            Sans atteindre le plus petit atome

            où le saisir minuscule là où ton absence dure
            Toujours semblable et jamais la même

            Mais je t’aime sans nulle limite et quand je te parle le monde me répond
            Par ton absence de parole