Elliot Serin, Primes carmes

 

Plume ambrée, sur ses lèvres le carmin

et la douce mystique d'une voix féminine.

Du halo le parfum qui encercle son corps.

Repetto ; elle porte de l'Orient quelque part

 

Des ahans que grognaient mes pensées,

me voilà longer le délinéament de son corps.

Il me faut me servir d'une myriade de syntagmes,

essaimée dans mon esprit,

et articuler en arial ce ravissement 

auquel elle m'affecte. 

 

 

Dans le monde vorace 

savoir équilibrer

ses revendications.

 

S'arracher un temps 

à la quête tortueuse 

d'un sens obtus.

 

Retrouver plutôt 

la parole transgressée

et l'écho puissant 

des choses invisibles.

 

 

Devant la pureté des azulejos portuans

sur les humbles murs de la terre et des hommes

la vérité du ciel est retranscrite 

majesté bleue.

 

 

Tu pourrais prendre cela 

de si grand sur toi 

et désormais dire 

de manière générale 

oui au monde.

 

Tu pourrais à ton gré

aménager du moins l'affront

à travers l'assurance de ses lèvres

et l'enseignement grandiose 

de vies précédentes

 

Bien qu'il te soit dur 

de rétracter la défense 

fauve de tes principes,

bien que l'humilité soit là

il faudra faire carrière

comme tu le pourras.

 

Oui au monde

tant que tu optes pour le biaiser

sans jamais assoupir ta liberté 

dans l'affairement gris.

 

 

Seules tes églises, Rome,

 me calment du désir ambiant

tentaculaire 

de ces foules qu'attirent tes ruines. 

 

Tes musées archéologiques,

seuls déserts que tu abrites, 

nous informent :

on vient pour se faire voir sur ton échine, 

on vient pour les autres 

qui t'arpentent ou te jalousent.

 

Un hymne à la séduction 

tu, mais constant.

 

Une folie sans race,

tant que l'on croit plaire.

 

Sur le forum, 

un lupanar 

à deux pas de l'autel. 

 




Jean-Pierre Boulic, IMPRESSIONS et autres textes

IMPRESSIONS

Le jour passe l’épaule
Le moineau gris
Sur le talus s’immisce

Le parfum des fougères
Ne gêne en rien
Le songe d’un vieux trèfle

Sur la dune et les champs
L’air est léger
Et son souffle invisible

Le présent est si beau
À la Saint-Jean
Dans l’élan du solstice

Je vis ces lieux aimés
De la lumière
Qui perle goutte à goutte.

                       *

 

CHEMIN

Sagesse des passereaux
Et louange des ombellifères
Humus aux parfums boisés
D’une allée où l’on trouve son âme

Lueurs des pierres
Et souffle de la création
Sous le regard du soleil

Mes lèvres s’ouvrent
S’accordent d’un cœur émerveillé
Au chemin de l’invisible.

                       *

 

ENVOL

Son plumage s’ébouriffe
Et de son pas étoilé
À l’instant de son envol
Il trace l’ordre des choses.

Non ce n’est pas la blessure
De la neige du jardin
Sous le dur soleil d’hiver
Mais le saut d’un rouge-gorge.

Retiens sa magnificence
Au point de faire silence.

                       *

 

DÉCRYPTAGE

Tombée du jour sur le port
Oiseaux à même les quais
Nos pas chuchotent, écoute
Les feux s’allument en mer.

À la barre d’horizon
D’un ciel sans convulsion
La lampe rouge du phare
Arrimé aux pierres noires.

Le temps semble s’échapper
Un signe nous est donné
Regarde et vois, seul demeure
Le beau silence incréé.

                       *

 

OISEAU

Oiseau gardant les yeux ouverts
Tu vas si difficilement
Sur le satin des jours des nuits
Par la forêt ses châtaigniers
Et les chuchotements de l’ombre
Parmi les landes et bruyères
La vaine terre les clairières
Des parcelles de vie.

 

 

 

EN PENSANT AU 26 JUILLET 2016

                                                    in Père Jacques Hamel

 

Offrant à jamais le sacrifice
D’un Christ relevé,
Avec une poignée de fidèles
Le vieil homme au regard émacié
A vu ses bourreaux
L’exécuter sans raison sinon
Celle cruelle sortant alors
D’un cœur de misère
Ignorant ce qu’il fait d’être ainsi.

Le sang du vieil homme
Vivante parole
Allant aux jointures et moelles
A coulé sur la légèreté
De cet été au pied de l’autel
Et sur les parvis de l’Éternel.

Depuis Abel jusqu’à Zacharie*((*Luc 11,51))
Et celui du mort au Golgotha,
Un lieu-dit sinistre,
Tous martyrs d’aimer sans renoncer
Le sang a coulé
De la plus petite pauvreté.

Le sang a coulé
De ceux qui ont vécu l’indicible
De la liberté
Dont certains veulent briser la clé.

De son sang versé
Le geste d’abandon du vieil homme
En toutes villes et les bourgades
Allume la lampe
Qui peut éclairer l’amour du monde.

 

                                           

 

 

 

 




Jean-Jacques Marimbert, La Fresque et autres textes

La fresque

Oh, frontispice de mes nuits, fresque de sable blanc,
Scènes gravées, à la lumière d’un halo italien. La rue
Baigne dans l’orbe du lampadaire muet. Les temples
Donnent sur le ciel, la mer et des portes, oh, à l’infini.

Chaque porte cache une énigme. Aucune ne s’ouvre.
Aucune pourtant n'est fermée, et j’entends des bruits
Ambigus. Râles d’extase et de mort, paroles étouffées
Et chuchotées. Éventail de cris et de rires. Rhapsodie

Houleuse qui annonce meurtre ou jouissance, orgasme
Ou dernier souffle, vengeance acide ou secret d’amour.
Je croise toujours un enfant, et une silhouette fugitive.

J'accroche une voile au soleil. Je découvre la fresque.
Une place ombragée, le reflet d'une île sur l’herbe. Je
M'y réfugie, consolé, oui, pour glisser dans l’inconnu.

Brume d’été

Dans le reflet d’une vitre passe, déjà enfui, le
Souvenir d’un drame, soleil couchant, l’épave
Naufragée d’une buée d’espoir. Souffle coupé,
J’ouvre grand la fenêtre, et tente de dire, quoi.

Touffeur, brume d’été. Pluies aveugles du fond
Des marais, lambeaux de lumière percés d’yeux
Inquiets, visage retourné dans un reflet de lune.
La rivière est d’argent, le ciel, criblé de songes

Hurleurs. L’essaim du désir frissonne. Le temps
Désincarné, à la nuit nue, coule à travers champ.
La voix blanche des éclairs de chaleur teinte la

Musique joyeuse des insectes prêts à mordre la
Vie, à aimer l’entrelacs des herbes lascives, oh,
Dans le labyrinthe d’une blessure immémoriale.

Fuite ou sommet

Si longtemps cette chute, je ne suis sûr de rien.
Est-ce un sommet à gravir ou un col à franchir,
Dans le vent chaud de la confiance. La lumière.
Soudain le sol se délite, nuage poussiéreux, de

Sang, non, de coquelicots épars. Tendre la main.
Oh, soleil des peurs, soleil des nuits, lamparo et
Longs couloirs où je fuis. Est-ce un puits, un pic.
Si longtemps cette chute. Non, remonter, tu sais,

Remonter, s’accrocher. Ne rien entendre, ni croire.
Tout fuit, s’effondre, matins dorés, sable des jours.
Chercher un regard. Je vois un parc et des statues.

Sublime sagesse, force, indifférente beauté. Ai-je
Failli. Leur voix me caresse, et les arbres chantent.
N’abandonne pas, oh non, aimer n’est jamais vain.

Ouvrir

J’essaie d’ouvrir, qu’y a-t-il. J’ai beau accueillir, est-ce
Moi. Ce volet, tous les matins. Rien n’y fait, ni tristesse,
Ni rage, non, un voile cache le soleil. Je me suis éveillé,
Pour jouer, levé, dans le couloir, oh, la forêt de tes yeux.

Voir, essayer, embrasser. Je refuse de marcher, ne veux
Plus. Dans un jardin, une statue, moi. Aimer le marbre
Et les rosiers, manger le ciel et dormir. Voir les oiseaux
Posés sur mon bras, les enfants me lancer des cailloux.

Assis sur un banc, je lis. L’écureuil m’observe, j’essaie
De parler. Les mots coulent dans l’herbe, bouche sèche.
La joie des fleurs s’évapore dans la poussière d’un vélo.

Il fait nuit, oh, soudain. Pâleur des fontaines, les arbres
Sont inquiets. Les pages de mon livre sont des miroirs.
J’ouvre les yeux. Fin d’après-midi, caresse de l’ombre.

Les dieux de marbre

Aimer le marbre et les rosiers, tandis que les acacias et
Les tilleuls dansent. L’autan furieux, embruns des fleurs
Aux pétales froissés, harpon du temps planté dans l’eau
De la fontaine. Peindre cela, et non des tripes les tracas.

Sait-on ce qui, du corps au pinceau, au fusain, passe et
Change le monde, non, le crée. La main trace les lignes,
La vie de la main est dans l’ombre laissée, nue, au reflet
Des échos, au remous des cellules, aux images fuyantes.

On voit l’attente et la mort, de longs voyages sur l’océan,
Les muscles battus par le vent et le rêve des baleines, les
Côtes lointaines approchées de nuit. On entend, enfin, le

Chant des villages brûlés et les dieux de marbre. Il suffit
D’un oiseau pour que la terre tourne, que la main prenne
Au vol un regard, une caresse, oh, le bonheur d’un matin.

 




Alain Morinais, Une ombre et autres textes

Une ombre - 272 -

 

Et
Le regard se cherche
Au delà des mots
L'intention de la voix
Blanche
D'avoir trop dit
La bouche
Tordue
En appel à son cri
Les yeux
À tourner les pages
Se mouillent d'encre bleue
La tête s'alourdit
Cicatrices de cendres
Couvertes des silences
Arrachés aux ongles de la nuit

 

 

De la valeur des choses - 270 -

 

Les yeux s'arrachent à l'instant
Les poings enserrent déjà la prochaine pierre
Pierre à pierre sans rêve autre que la suivante                     
L'ascension ne prépare aux vertiges des cimes
Des sommets l'horizon est appel aux abîmes
Sauf à verser de l'autre côté du monde
et s'y oublier

Eau vive à dévaler les pentes
Les chemins de glace perdent la mémoire
Les déchirures d'écorce endormies s'effritent entre les doigts du temps

Et la beauté est l'éclat du sourire d'une souffrance au regard fier

 

 

L'atelier à ciel ouvert - 266 -

 

À user le temps
le tourneur de jour
parsème les nuits de copeaux de soleil
jusques aux limailles amoncelées
au matin du grand œuvre

Ignorant les tours à usiner encore
le noyau du futur s'amenuise

Céleste mécanique d'insaisissable horizon
ou machine outil de réelle précision ?

Le ciel court après tant de nuages
Le vent seul semble maître d'ouvrage

 

 

Derniers mots - 260 -

 

Plume à scarifier l'oubli
Écrivailleur pressé
             de s'attarder encore

À l'encre parfumée d'épices
              les mots
                           à chaque porte se bousculent

La dernière s'ouvre
             au champ d'immortelles

 

 

 

 




Leilah Beani Yamine, J’aime le thé prolétaire et autres textes

 

J’aime le thé prolétaire

J’aime les pauvres gens

Qui n’ont rien

Qui n’ont même pas

D’histoire

Ni de quoi se payer un voyage

J’aime aussi ceux

Qui n’ont pas une épaule

Sur laquelle

Reposer leur tête le soir

J’aime les gens qui n’ont rien

Dans leurs poches

Souvent personne

Dans leurs lits

Et qui vous tendent un grand sourire

Comme un soleil

En plein hiver

 

 

J’aimerais vous parler de solitude

 

J’aimerais vous parler de solitude
De bras serrés autour des genoux
De tirs sur fond de musique
Celle que l’on se joue au dedans de soi
Dans un film les ruines s’ouvrent en images
J’aimerais vous décrire
Le jouet qu’un adulte
Rêvait d’offrir à son gamin
Un pays qui ressemble
A un ruisseau. Et une berge
Le bruit de l’eau qui coule
Dans un tintement de dents de lait
J’aimerais vous dessiner
Sur du papier doré
Un enfant qui dort dans les bras
De son enfance
J’aimerais vous raconter
Qu’il n’y a pas un chat
Qu’il n’y a pas âme qui vive
Et que la pierre a oublié
La voix humaine
Dans ma langue maternelle
Une rue vide est une rue
Qui siffle
Des ombres de voyous morts
Y circulent
On y est longuement seuls
Quand on vous saigne à blanc
Et que les capteurs de songes
Universels
Pourchassent
Jusqu’à vos souvenirs

 

 

J'habite une maison cachetée 

 

J'habite une maison cachetée à la cire
Aux grilles fermées avec des chaînes d’acier
J’y vis seule en compagnie d’un sol
En terre battue qui ne s’en plaint pas
Conservant une odeur humide
D’avoir été si souvent lavée
A grande eau et balai de chanvre
Personne ne vient me rendre visite
En dehors des ombres traversantes 
Vêtues de leurs habits de vent
Qui lorsque le soir grimpe comme un lierre
Rejoindre du ciel la soie noire
Volent les voix de personnes aimées
Pour me narrer des récits vains
Je ferme les yeux pour les entendre
Comme j’écoutais jadis Grand-mère
Leur répertoire est toujours le même
Faute d’avoir d’autre compagnie 
Je laisse leur voix faire des entailles 
A même ma peau, à même mon cœur
Elles me racontent par détails cruels
La mort d’êtres auxquelles me relient
Des mystères de chair et de sang
Elles me décrivent sans rien omettre
L’instant où celles-ci rendirent l’âme
A je ne sais qui que je ne connais pas
Ma vie est une planche à savon
Si le monde est petit il n’en est pas moins loin
Glissant et au bout du monde
Introuvable il est comme une aiguille
Perdue dans une meule de foin

 

 

Je désobéis souvent

 

Je désobéis souvent

A ma vie

En prenant les chemins

Les plus longs

Par étourderie

Les seuls jeux

Que je sache jouer

Sont celui de m’extasier

Devant une bulle de savon

D’y voir le bout d’un toit

D’une maison

D’un rayon de soleil

Timide à me faire rougir

De sa pudeur 

De transparence

A une aile ;

De prendre du bout des doigts

Des gouttes de pluie

Dépaysées de s’être éloignées

D’un nuage

De croire un instant

Que mes mains tendues

Vers le ciel

Complètent

La ligne verticale

De l’eau

Quand il pleut.

 

Je désobéis souvent

Aux routes tracées

D’avance

Pas par goût de la fronde

Mais par absence

Au béton

A l’asphalte

Aux enseignes

Lumineuses

J’aimerais pourtant

Pouvoir devenir amie

Avec ceux qui tendent la main

Ou un journal

Dans la rue

Cette femme

Postée tous les jours

Devant le Monoprix

Avec des brochures

A recettes

Et des jeux

Que personne

N’achète

Je ressens

Une tendresse

Infinie pour

Son visage

De femme

Sans fard

Et sans regrets

Vaste et blanc

Postée sur ses deux pieds

Pendant des heures

Je me dis que

Je l’aime

Des fois je me dis aussi

Que je lui ressemble

Qu’elle est moi

Que je suis elle

Et cet homme

Que je ne connais pas

Ces personnes

Ces amis

Ces passants

Ce que j’aimerais

Leur dire

M’attendre à …

Que par désobéissance

Aux chemins battus

  • Et pourquoi battre les chemins

Jusqu’à ce qu’ils en deviennent

Les proies de nos lassitudes

Et nos monotonies ?

J’aimerais que

Cet homme donc

Appelons-le ainsi

Ne me tende plus

Des morceaux de lui

Qui complèteraient

Le puzzle

De son visage

Le coin d’un œil

Par un rictus amer

 

Je désobéis souvent

Au monde

En osant croire

Encore

Qu’aimer est la réponse

Que ceux que j’aime

Cachent la partie

La plus belle de la lune

Même si

Dans une chambre

Sur un mur

Ou dans un miroir

Il m’arrive d’entrevoir

Mon visage

Le leur

Désormais

Méconnaissables

Dans une romance

Qui fut la leur

La mienne

Ailleurs

Au temps où

Les mots étaient beaux

 

 

Le prénom de la caissière

 

Le prénom de la caissière

Est rayé au feutre noir

Elle porte son badge

Epinglé à sa chemise

Ses cheveux noirs sont noués

Sa voix épouse l’air

Avec lenteur

La caissière

Cache son prénom

Montre un visage

Dont le seul accent

Est deux notes suaves

Sa collègue

-Charlotte qu’elle s’appelle-

N’a pas froid à son nom

Ni à ses taches de son

Dehors sur le parvis

En plein nuages et vent

Un homme m’interpelle

Il est si gracieux

Que je n’ose m’éloigner

De ses mots

Il tremble en racontant

Qu’il est sans toit

Qu’il n’a pas mangé

Depuis trois jours

Ni sa moustache grise

Ni l’étoffe soyeuse

De son manteau safran

Ne laissent transparaître

Les misères qu’il narre

Qui font pâlir de honte

Les pièces que je lui tends

Les immeubles sont hauts

Ils grattent le ciel  

Les nuages traversent

Un hélicoptère

Bourdonne

Avec l’acharnement

D’une mouche

Des gardes stationnés

A chaque entrée

Demandent à voir

L’intérieur de nos sacs

Et nos vestes

Ils sont pour la plupart

Arabes ou noirs

Ceux portant une barbiche

Ont le profil parfait

Du terroriste des médias

Ils nous protègent

D’on ne sait qui ou quoi

Devant l’école de ma fille

Des soldats en faction fourmillent

Nous abaissons

Les paupières

De nos morts

De nos défaites

Et faisons notre chemin

 

De quoi demain sera-t-il fait ?

D’une jeune femme

Sans prénom

De jeunes écoliers

Avec des fusils

Au bout de leurs manuels

D’histoire

De sans abris

Errants sur le toit

D’un monde

Sans toit

 

 




Philippe Barma, Ault-Onival

Falaise de calcaire
au bord d'une blancheur

Sur l'enclume des eaux
respire l'immobilité feinte des rêves

Ouverture des maisons
au vent noir de la pluie

Bruit de silex
dans la rouille du doute

Brisement de la mer
contre la tombée

de la lampe allumée
sur de grands oiseaux blessés

 

****

 

Sur la plage
l'arbre de la mer
aux feuilles de sable calme
s'exténue dans la nervure des ridins

 

L'arbre aux feuillages de vagues
est là sur le sable
immobile
il écoute seulement

le bleu silence des écumes
avant que de retourner
vers le clocher de Quend

Il ira peut-être jusqu'à Rue
portant sa croix
de Résurrection
a travers les ombres
rouge sang
d'un matin de novembre.

***

 

le regard boit la mer
comme une coupe d'eau
qui déborde de silence

 

***

 

Ce matin
le rose des sables
pleure à peine sur la branche
nue des sables

les écumes de ciel empourprent
la haute lenteur des nuages

Comme une vibration du simple
la couleur  par-dessus le vert
là-bas chante le silence

 

****

 

Arbre de la mer
aux racines de sable et de sel
Effeuilles de vagues sans cesse agitées
par un vent de glaise profonde

parfois un fruit roule sur la pente du ciel
a pas légers de nuages vermeils

Peut-être vont-ils
pleurer Verlaine
du côté de l'Arrageois
où campent les Atrébates
peuples aux cheveux longs et bleus
de la Gaule Belgique

et c'est un soleil de miel
au fond d'un peu de lait
déposé comme une offrande lyrique
sur les bords de la Somme mystique

 

***

Jamais le jour n’a coulé plus  haut par-dessus nos têtes. Il finira par
déborder sur les patiences de la pierre. Il pleut à peine sur la vitre où
les araignées tissent le hiéroglyphe de nos prochaines forfaitures. Les
gouttières engrangent le blé malgré les jalousies de l’ivraie.

 

***

 

Une main de nuit subsiste dans le carnage de l’épaule sanguinaire. Elle
porte une  corbeille de plâtre noir. Les fruits de l’hiver luttent contre
le retour de la mémoire. La cendre recompose la  trace d’une rigueur
éteinte. La courbe du deuil combat inutilement un soleil de Résurrection

 

***

 

Un cri de cormoran blesse le crépuscule. La voile blanche des cerisiers
lève du côté de Valloire par-dessus un  cloître de verdure.

 

***

 

La mer efface toute vague qu'elle ne peut corriger

 

***

 

Un oiseau sur la Somme recoud les fièvres du vent et sacrifie les hautes
pierres aux pluies brûlantes des orties
Quai Jeanne d’Arc. Longue promenade qui embrase les confusions du sel pour
éclairer les gestes de la Somme. Les tilleuls sont amarrés  aux feuillages
de l’hiver.
Du côté du Courtgain, près du calvaire des pêcheurs, Degas est là.
Immobile. Il regarde les toits de Saint-Valéry-sur-Somme comme une promesse
de peinture construite.
Pays aux pluies horizontales  où la lumière pleut les souffrances du gris

 

***

 

La baie de Somme gésit dans les toiles de Braquaval. Celui-ci a lutté de
vive lutte pour libérer sur sa toile le fluide de la mer mêlée à celui de
la lumière changeante et variante. Alors le vaste ciel de Picardie maritime
occupe les deux-tiers de sa toile. Et la baie de Somme n’est plus qu’une
ouverture symphonique en gris de lumière. Et le ciel nuageux fait  à lui
seul comme dans les marines hollandaises tout le concert sur l’effacement
et la sourdine des terres environnant cette baie à jamais close sur
l’infini du Ciel.

 

 

***

 

Je réveille les aubes sèches de la lune. Mon jour rassemble les limpidités
des rivages  éteints. Dans l’inquiétude de voir se lever la nuit comme
une clarté, mon pas mesure l’improbable de l’herbe à l’aune d’un
peu de foi.

 

 




Christiane Prévost, Poèmes

JONCS

Les joncs allongés
Ploient sous le vent
Quel est ce mystère
Le silence du lieu déserté
Quelle est cette lumière
Qui se dresse dans ces lieux aimés

Les joncs ploient sous la lumière
Quel est ce calme
Qui achève de cimenter ces ruines
Et ce fleuve englouti

Les strates
O lumières
Dans les couches de terre
Qui recouvrent ses yeux

 

IVAN

Près de la mer
Les sabres sont levés

Les portes s’ouvrent
Dans le couronnement du siège de Kazan
Les princes asiatiques
Ont vu sous le Christ
Luire la pierre l’Orient

Ivan
Dans le couronnement des bois
Les chevaux drapés d’hermine

Ont recouvert ta chevelure
Des pierres de l’Orient
Et les pluies d’encens sur ta bouche
Ont immolé le cri du tsar enfant

 

LES HERAUTS D’ARGENT

La salle brillait des éclats de l’héliotrope
Les couverts étaient mis
Les mains gantées offraient en silence
Le témoignage de la vertu

La cape sur les épaules des chevaliers d’honneur
Rejoignait sous le cliquetis des armes
Les paroles épanouies des hérauts d’argent
Qui vêtus de leurs souliers de satin

Se répandaient parmi les tables
Pour apporter aux convives en mal d’aimer
La blancheur excessive de leur destinée

 

HIEROGLYPHES

Des perles de sang coulent de la lune tranchée
Sur la terre Sienne des regards introuvés
Luit l’hiéroglyphe secret de l’oiseau-lyre

Sur la mer calme et bleue affleure l’aigle
A la recherche de la parcelle de feu à voler aux Dieux
De son combat nocturne jaillit la lumière de la vérité déchiffrée
Les pierres parlent à travers les signes disparus de leur langage
Des temps anciens où Cléopâtre se donna la mort par amour pour Antoine
Mais aussi pour échapper à l’Empereur César Auguste venu l’emprisonner
Le serpent aspic enfoui dans les pommes dorées par le Soleil de l’automne
A fixé à jamais dans ses yeux noirs l’aveu de son serment de mourir libre
Seul l’illustre savant dans les palais des inscriptions figées
A découvert le sens secret de nos sourires inassouvis

 




Dana Shishmanian, Brahma… extraits de Fruit Obscur

 

Brahma

Il dort
il sommeille sans rêves
il veille en rêvant
il s’éveille en deçà de son rêve
il amarre ses complaintes aux rives sans espoir
il retourne les cris de joie dans leur tombe
il redresse le cadavre exquis du marquis
il rebrousse chemin sans pieds
s’envole sans ailes plonge sans nageoires
glisse entre le plus haut et le plus bas
au point de réversibilité il s’efface
de toutes les dimensions
il s’enfonce sans fin dans la profondeur du point
suspendu dans l’immobilité
il s’avance sans bouger
s’approche en diminuant
en rétrécissant
disparition infinie

ce qui commence commence toujours
ce qui s’achève ne s’achève jamais

 

 

Révélation

personne n’est lié personne ne se libère
juste la compréhension d’un instant
que tu laisses là dans l’abîme
suspendue
sans toi
tu n’y seras pas
tu souffriras ton martyre dans ta chair
sans aucune issue
seulement tu sauras
et c’est cela le salut –
il n’y a pas de sauvé pas de sauveur
seulement le savoir

 

 

 

Retournement

L’unique instant où tout converge
plus de tiraillements
de contradictions
ni faute ni vertu
une absolution de personne
par personne
tu n’es plus
pourtant rien oublié
juste l’instant
libéré
de toi

 

 

Le renoncement de Prakriti

Je dépose tous mes artifices toutes mes armes de séduction
je me retire de tous mes visages
j’assèche les racines de mes actes
je plante mes pieds dans le vide
dans ma tête s’enfonce le pilier de reconnaissance
de la vérité première

 

 

Définitions

Le royaume est le nirvana
le nirvana est le royaume
la voie est la suppression du chemin
la vie est la vie
la mort est une noyade
le néant est pure conscience

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Kenny Ozier La Fontaine, Nèg, inédits

QUAND JE SERAI POLICIER 

quand je serai policier
quand je serai policier avec mon pote Thomas
on aura de jolies voitures
avec des sirènes Playmobil
avec des roues géantes
et de gros pots de voitures de course
quand je serai policier
je ferai la guerre aux bâtards
" un 45 contre l'estomac "
on portera des robes roses
et des couettes de putes
des robes de princesses édentées
et des pantalons militaires déchirés
et on foutra en taule les idiots
et on portera des Ray-Ban
même la nuit
surtout la nuit
et on dira au diable
viens 
viens
mec
n'aie pas peur !
et on lui fera des mauvaises blagues …
on dira au diable
tiens mange ça
et on mettra de la harissa bien piquante
dans ses burgers
on lui fera passer le goût des flammes à celui là
il fera moins le fier
il demandera pardon
on fera des feux d'artifices dans le commissariat
dans les bureaux
on fera cramer le plafond
on prendra notre pied
c'est nous qu'on commandera
même à dieu ...
les animaux obéiront
ou on leur mettra des coups d'pied
des coups d'savates
on mettra de la mayo sur les bouches des juges
et du dentifrice dans le rouge à lèvre des reines anglaises
on maquillera tous les maquillés
à notre manière
les prêtres seront en culotte le dimanche
l'office ça sera pour rigoler
il y aura plus de loi
on fera la loi
et les pigeons et les idiots
auront qu'à bien se tenir
oui ils seront récompensés en baffes dans la tronche
rien à foutre
tout l'monde à terre !
ou je tire !
on collera des images pornographiques 
partout dans les WC publics
pour foutre la trique aux gens
on attachera des casseroles à tous les chats
à leur queue pour que ça chante dans les rues
à tous les animaux à poil
et qui miaulent grognent reniflent etc.
on inventera une danse cosmique
une danse 
non
un ballet 
la danse du tutu rose
une danse bien méchante
et sexuelle et violente
danse des grosses moustaches
des queues de comètes
que tout le monde devra danser
quand on sera policier 
avec mon pote Thomas
ça va plus rigoler
du tout

SI J'ÉTAIS LE DIABLE

si j'étais le diable
j'expliquerais aux médecins 
aux pharmaciens
et aux chirurgiens plastiques
ce que c'est
vraiment
le commerce des âmes
je leur dirais "asseyez vous les gars, faut qu'on cause"
je leur dirais " en fait vous pigez rien "
je leur dirais " les gars, je vous ai apporté des clous, des cafards "
si j'étais le diable 
je vendrais des armes mystiques
aux enfant qui s'ennuient
aux enfants qui n'aiment personne
ni les chats ni rien
et qui disent
c'est possible d'étouffer un père Noël avec sa propre barbe
faut lui faire croire 
en lui brouillant sa cervelle
que c'est de la crème chantilly qui lui pends au bec
t'as des oiseaux trop cons 
tu vois
qui avancent à pied
( je sais je sais … sont complet débiles ! )
si j'étais le diable
il me faudrait leurs coudre les ailes avec du gros fil noir
leurs coudre les ailes par-dessus leurs paupières d'oiseaux malades
et les clouer pour de bon
si j'étais le diable
je n'écouterais que les prières adressées à dieu
aux anges
aucune autre !
alors je ne regarderais plus jamais la TV
alors je ne lirai plus de littérature érotique
si j'étais le diable
je n'aurais jamais envie de pleurer
je lècherais passionnément 
des bosses de vieilles femmes
des courbées comme des C
et je dirais très sérieusement 
aux innocents assoiffés
" tenez ! elle sont là, vos glaces au citron 
celles là que vous avez toujours rêvé
goûtez goûtez ! avec la langue les gars"
oui si j'étais le diable
moi aussi j'enverrais des gentils et des moins gentils
au paradis
si j'étais le diable j'allumerais des radios 
au beau milieu de la nuit
quand tu serais déjà endormi
volume max
et je t'enverrais des signaux brouillés
des : frrrssshhhh …. frrrssshhhh ….. frrrssshhhh ….. croustillants
de la grosse friture satanique
le genre tu vois
qui sépare sur les ondes
les voix d'homme du chant des mouches
des prières quoi …
tu comprends ?
des prières qui tâchent les chemisiers, les pantalons, 
si j'étais le diable je ferais croire aux jolies filles
celles avec de jolies hanches de jolis yeux
que les animaux écrasés, prisonnier des roues de voiture
agrafés aux pneus, scellés au caoutchouc
sont des mécanos très expérimentés
capables d'effectuer des réparations très complexes
sur des voitures en mouvement
si j'étais le diable je ferais chanter la pluie d'une voix drôle
et genre une chanson qu'on comprendrait tous
je la ferai chanter cette conne
mais d'une voix drôle
cette fois
d'une voix
de président peut être
celle de Giscard 
ou De Gaulle si je veux
si j'étais le diable je dirais que le diable n'existe pas
je dirais
aux idiots agenouillés à l'endroit 
et à ceux agenouillés 
à l'envers ( les retourneurs de croix, les qui croient que la nuit
c'est l'heure pour faire des bêtises en toute quiétude et d'insulter 
les ombres les miroirs)
je leur dirais aux idiots
vous êtes des idiots

© Kenny Ozier-Lafontaine (Paul Poule) et Vincent Lefèbvre

LAPLI MOFWAZéc1

" an pa vlé, an pa enmé
an byen vlé, men èvè on ti gou sikré
on ti gou si a dou manman
évè bay koko pou savon
an vé pa, pa enmé-y
lanmò lasa,
maké-y évè tan-li pi mové ankò
an toujou ba la ri chenn
an mofwazé évè sòsyé adan glas an mwen
toujou bobi an kat chimen
padavwa an toujou konnèt kay téka bouyi an 
kannari an mwen,

ki dyab lafimé san difé
dyab fwomajé ki patini dowlis
an tan di konsa bòd lanmè pa lwen,
bod lanmè pa lwen,
an byen tan ! ( pa fè wòl manti )
jòd la sé bèlté dèmen sé HAK !
la pli épi HAK !
on jou, bondyé mèsi, kon bag é dwèt,
HA'AK épi ayen

*  *  *

la traduction est de  Liana Ozier-Lafontaine . ce texte est enregistré
les textes paraitront en avril aux éditions du Dernier Cri, en collaboration avec Evelyne Postic

PLUIE NOIRE

" je veux pas, j'aime pas, 
je veux bien, mais avec
des si et des si il vous plaît 
et des si seulement et des si jamais,
je veux pas n'aime pas
mourir,
pas l'écrire, l'entendre
dire,
j'ai bien trop l'habitude des miroirs, des rues piétonnes,
des couettes et des regards,
des passages vers moi-même, oui ...
j'aime pas ... découdre l'os du gibier,
l'ombre de mon pas, 

... on entend dire, ci et là
qu'un jour viendra,
j'ai bien entendu ( faut pas mentir )
qu'un jour et puis s'en va
de pluie ,
jour et puis tant pis,
jour, oui, sans miroir
et sans moi ...
jour des vierges NOIRES "

*  *  *




Suzanne Dracius, Exquise déréliction métisse

L’entrebâillement de la porte

 À Samantha et à Marie Gauthier

 

En plénitude d’œil ouvert,
Polychroïsme jouant dans
L’entrebâillement de la porte
Au gré de ces incidences que, vive, la lumière apporte
En multitude, champ offert
Par surgissement d’incarnats
Sur fleurs épandues en émoi
D’infinitude d’yeux cillant,
Immuable regard vigilant
Sur l’insigne féminitude,
Ton avenir n’est pas si différent du mien ;
Pourtant nos passés abolis divergent bien.
Or dans l’entrebâillement de la porte, là,
Paraît ton présent, Pandora.
Car dans l’entrebâillement furtif de la porte, là,
L’Espérance au fond restera.
Si s’oblitérait le passé, nous serions tous condamnés
À mille fois le ressasser.
Sur tréfonds d’ardent nacarat,
De sueurs, de sucres et de sangs,
Mêlés — ô métissage fervent —
Absolu regard vigilant,
Dresse-toi, libre, tu es là,
Fière, affranchie, Pandora.
Marronne de corps et de cœur,
Marron de force et de couleur,
Pour marronner, faire le mur,
Fuir, altièrement fugueuse.
Les murs de la honte, fougueuse,
Les dirimer, trouver la faille.
La dive porte s’entrebâille :
Sans procrastiner, Pandora,
Sur tréfonds de vif baccarat,
Laisse gloser ces fronts d’exégètes factices
Sur les indécryptables essences métisses.
Abandonne-leur ces pâleurs,
Ce qu’ils érigent en valeurs.
Quitte-les, ces pisse-copie !
D’Afrique et d’Inde et d’Utopie,
Dans l’entrebâillement de la porte, là,
Paraît ton présent, Pandora.
Parée pour ta Révolution,
Telle une ultime Abolition,
Parée, oui, de tous les dons,
Femme debout sur fleurs haut levées,
Écarlates, écartelées,
Bien plantée, fermement campée
Dans la confusion de tes sangs.

 

© Suzanne Dracius 2012
Exquise déréliction métisse, éd. Desnel (Prix Fetkann Poésie)

 

 

Pascale Monnin, Danser le chaos (détail) 20x20 pces, perles, papier sur toile.

 

Pointe-des-Nègres

 

 

 

À Aimé Césaire, cette prosopopée de

la ville qui eut pour maire un poète

 

 

Là débarquèrent

naguère

les frères

et sœurs d’Afrique

en souffrance

sous France

sous-France

déportés.

Là s’épand ma gésine urbaine.

Thalassique est cette hystérie :

ce ventre est ventre

de la mer.

J’ai fécondé l’écume marine.

Moi je pénètre, tendue,

la houle porteuse de négriers.

Moi j’ai pointé mon phallus

dans l’utérus

océan

pour en faire naître des lots de nègres

tout debout.

D’ores et déjà, désormais

je fais assaut d’urbanité

sans parvenir à oublier

que je me nomme « Pointe-des-Nègres »

dépossédée de mon nom d’Afrique.

Comment me crièrent-ils

antan

ces enchaînés, lorsqu’ils posèrent

sur mon écale

leurs millions de pieds sanguinolents : 

Fongo ? Dankan ? Goanuà ?

Ou bien Nchi Kavu ou Goà ?

 

Montent à mon oreille par gros vent

les noms qu’ils me hurlèrent naguère

ces rauques gosiers africains

avant que je ne fusse « Pointe-des-Nègres »,

pendant que j’étais Pointe à Nègres,

pendant que, de mon fer pointé

au fond des entrailles de la mer,

naissaient des lots, des piles de nègres

à l’envi,

des charges de nègres

à l’encan,

de mes graines, dans l’effervescence

de la matrice océane

au temps où je violais, impavide,

l’immensité caraïbe.

En elle j’épandis ma semence

en plein mitan de cet océanique bassin.

En sortirent des myriades de nègres

debout

hauts congos

haut levés.

 

Quel nom d’Afrique me donnèrent-ils

avant que les leucodermes

ne me baillent pour nom « Pointe-des-Nègres » ?

Souf ? Terrou-bi ? Lessdi ?

De leurs cabèches esclavées,

de leurs boudins

gonflés de faim,

leurs langues asséchées d’eau saline,

du tréfonds de leurs gosiers rauquis

de tant et tant crier famine,

quel nom d’Afrique pouvait sourdre ?

Fus-je criée Mabélé, Oto,

Monkili, Hmsé ou Molongo ?

Lorsque, sur ma squame courbant

leurs indénombrables échines

lacérées à coups de chicotte,

ils posèrent leurs pieds en sang

couverts de chiques,

tchip ! comment avaient-ils rauqué

« Terre ! Terre ! » en leurs langues d’Afrique ?

Terre je suis, sacrée, suburbaine,

multicolore, à ce jour.

En mon hypermarchand rond-point

quelle noire lumière diffuse mon phare ?

 

 

Pointe-des-Nègres  – quartier de Fort-de-France, lieu de débarquement des esclaves déportés d’Afrique pendant la traite négrière

 janvier 2006

 

 

© Suzanne Dracius 2011

Exquise déréliction métisse, éd. Desnel (Prix Fetkann Poésie)

 

Finiséculaire haruspice

 

On dirait que des ciels s’entrouvrent,
Non encore étales, pourtant,
Somptueusement neufs, au demeurant
Et sereins, potentiellement,
Si finiséculaires, si fastes,
Si finimillénairement festifs
Pour de dextres envolées, de favorables auspices,
De multiples surgissements propices
Hors des présages funestes.

J’optai pour que tous les ciels s’ouvrent, vastes
Et clairs, en nonante-sept.
Que calme et cirée s’offre à nous l’immensité océane
— Kalmisiré, pour de vrai —
En nous, pour nous et alentour, ad vitam aeternam.

 

© Suzanne Dracius 2012
Exquise déréliction métisse, éd. Desnel (Prix Fetkann Poésie)

 

Pascale Monnin,  Ma chair et mes colibris, photo  : Josué Azor.

Pascale Monnin, La Déboussole.

Antonomase en temps de cyclone

 

Avec les flots bruissants de la rivière qui coule au fond de ce jardin,
S’échappant, marronnant, fluette mais fougueuse tellement
Jusqu’à la Pointe-des-Nègres — qui sait ? elle en a l’impétuosité —
Exit la lycéenne scéenne en DS 21,
Femme pourfendue à la merci du moindre macho venu.
Existe, dans les tourbillons, les ondes bénéfiques, cycloniques d’un vociférant hurricane,
Mordillé des dévorations d’érotomanes distingués,
Un palindrome salvateur de l’épéen guerrier de l’Iliade,
Le paradoxal pseudonyme si incroyablement gaulois,
En anagramme de cet homérique hapax

Exit la moitié de moitié,
La mi-ceci mi-cela.
Existe la réappropriation d’un être dans son intégrité
— Sa totalité recouvrée,
Son entièreté assumée —
Pour qui toute discrimination positive est un oxymore,
Pour qui chaque récrimination légitime est tautologie,
Pour qui l’affirmative action n’est pas que figure de style
Pour qui le chiasme n’est pas qu’impure ou vaine rhétorique
S’il est « peau noire, blanc dedans »
Ou « la peau sauvée, noir au fond ».
Entonnant en ces temps de cyclone
Une antonomase plus réelle qu’Hercule, Apollon ou Vénus
— Métis, métis —,
D’une palinodie plus qu’humaine,
Trois petits tours firent les Pléiades
D’onyx et d’albâtre, puis s’en furent,
Au nombre de sept, toujours.

 

© Suzanne Dracius
extrait d’Exquise déréliction métisse(Prix Fetkann Poésie), éd. Desnel