Ada Mondès, Des errances

 

Des errances

 

Là où les Hommes oublient d'aller

les montagnes sont criblées de fleurs et de trous de serrures

orbites creuses de géants

bouche de la fée pétrifiée dans le sel

des enfants d'argile

des galeries pour l'âme

Si je marche là-bas

ma clé imaginaire m'ouvre toutes les portes

les sanctuaires dans la roche

La poésie toujours a sa demeure dans le ventre des montagnes

là où toutes les pierres ont un visage

 

 

Une maison borgne

petit jardin triste grillage

trois fleurs fraîches accrochées là toujours

comme une erreur dans la grisaille

un point d'interrogation sur des lèvres absentes

au milieu d'une phrase que personne n'écoute

c'est la mère

la femme qui n'est plus que mère à force de chagrin

les fleurs ont l'air fausses

tant elle choisit les plus belles

tant elles brillent

drôle d'éclat tout contre le bitume

souvent des roses

il aimait ça

ou peut-être que c'est elle qui s'en est convaincue

à force d'en poser à côté de son sommeil – avant

maintenant à côté de son souvenir

adoration pour le fils

l'aura chaude qui émanait de sa bouche d'enfant

embellissait les fleurs

trois fleurs par jour

tout contre la route

c'est tout ce qui lui reste

son rituel de mère

maudite route qu'il lui faut fleurir

sa routine de deuil

souvent des roses

rarement des tournesols

il ne fera plus jamais soleil

 

 

A comme Achète

 

tous les livres dans les rayons

comme la viande sous plastique

les tonnes d'animaux sacrifiés

les corps en vitrine

les corps dans les images

les corps dans les rues

les magasins les étals du gaspillage

des chaussures pour toujours trop petites

des valises qui ne voyageront pas

des manteaux qui ne tiendront jamais assez chaud

 

mais tu rêves d'enfiler une taille 36 d'avoir des plus gros seins des plus longs cheveux des ongles plus nacrés des dents éblouissantes un nez plus petit une bouche plus sexy des poignets plus fins un cul plus bombé des jambes plus sveltes des coudes plus arrondis un sexe plus docile une peau plus hydratée une langue plus courte une nuque plus élancée des pieds plus étroits des cuisses plus fermes des côtes plus apparentes des abdominaux plus marqués des sourcils plus dessinés des oreilles plus discrètes des poils plus blonds des os plus légers

et tu disparaîtrais pour de bon disparais déjà dans cette absence de volume occidentale dans ce vocabulaire de l'économie de l'augmentation de la réduction de l'esthétique plastique de la non acceptation du non débordant du non dérangeant du non voyant du non témoin du non coupable

du non dit du non vécu

du non vivant

 

Je pense à toi dans la planche de bois traversée chaque matin comme un pont sur l'exil dans la jungle où il pleut comme pour la toute dernière fois à fermer les yeux dans l'odeur de rhum vieux et de poussière l'eau remplit la pièce le lit se soulève et part à la dérive dans la forêt de café de serpents et de cacao pas tout à fait rouge je t'écris de cette maison sur le vide que personne ne s'est jamais donné la peine de finir ma porte est tombée ce matin comme une coupure dedans dehors le paysage saignait par cette encadrure trop blanche ma peau le bois blessé s'accroche à ma main un couple de chauve-souris me réveille parce qu'il est l'heure du manque je t'écris même quand je ne t'écris pas je t'écris c'est aussi je te mets en mots je te prends à ma guise je te couche ici c'est souvent c'est toujours ton absence qui me pousse à dire cette vie invisible que je ranime pour toi avec la sauvagerie de croire qu'on peut seule aimer pour deux dans la touffeur suave des fleurs finissantes je t'efface dans des pays imaginaires je t'écris dans l'odeur d'allumette craquée je te crie d'un parquet violé par des vies plus humbles je t'écris jusqu'à ce que la pluie enfin entre dans la chambre

 

Corps

 

ma distance offerte

mon laboratoire et ma surprise sans cesse renouvelés

je ne croyais pas que j'aurais ces deux yeux-là

leur forme ovale et noire pour m'observer moi-même

et le monde et au-delà

ces ongles rongés pour toujours

des cheveux changeant de couleur dans l'âge et l'été

des chiffres mètre kilos centimètres

ces pieds qui marchent

hanches faites pour la danse

peau que tatouages et cicatrices veulent marquer

pour un petit toujours

corps qui charme et m'inquiète

étonne de rester en état de fonction

parfois m'irrite me désole

quand me trahit indicible abandon

c'est toujours une question de pertes

dents qui tombent comme des énigmes

corps ma contrainte quotidienne

qui a toujours faim et chaud et froid et sommeil

l'origine ou le prolongement de mon être pensant

pesant corps désirant

corps vivant corps vécu mon enfer de femme

sous le joug de la répression

des liquides des odeurs des poils

rides ou microbes graisse

cernes un étal de faiblesses

tu es moi

corps symbole bouclier

vitrine mille fois vidée

avide de vie de touchers de frémir de goûter

de sentir d'enlacer de courir

d'écrire sous l'écorce

ce sans cesse éclore encore




Anne grivel, Espièglerie en toutes lettres

Tautogramme : texte poétique ou non, dont les mots commencent par la même lettre 

  Les mots, leur sonorité, leur articulation, leur sens, offrent des voyages imaginaires, poétiques et extravagants…

 

 

A

 

Axiome arcadien

Apollinienne adrénaline aux amants audacieux
Atomique alchimie aux affables amoureux
Alexandrins aériens aux âmes acoquinées
Arc-en-ciel, accroche-cœur
Attraction, apesanteur
Arpèges allégretto aux amours affranchies
Agapes acidulées, aromatique ambroisie
Aveuglantes apoplexies aux adonis azimutés

 

 

B

 

Bâtisse bourgeoise boisée

 

Buanderie
Bernadette, Béatrice, Berthes bavardent bruyamment blanchissant blouses… blablabla.

Belvédère
Baudoin, bacchantes broussailleuses, barbichette, binocle, bouquine brochure buvant Brandy.
Bérangère, bustier brodé, boléro, bijoux brillants, bichonne bégonias, bignonias, bananiers, bredouillant banalités.

Banc
Boucles brunes, béret beige, blouse blanche, brodequins brossés, Blandine berce Blaise, beau baigneur blondinet babillant.

Bassin
Bermuda, bretelles ballantes,  Baptiste barbote bouillonnant, barrant bateau «- Brumes, brisants…. Branle-bas !!! »

Balançoires
Bertille, Babeth, Benoit batifolent bienheureux

Buisson
Bourdons butinent bruyère bourgeonnante. Boudeur, Bastien boulote biscuits. Brusquement, Bergamote, brave bouledogue bondit babines baveuses. Benjamin brandit bilboquet.

Balustrade
Bicyclettes bleues, brouettes, bêches.

Bergerie
Bouc, brebis bêlent. Belettes baillent. Balthazar, bourricot borgne, brait.
Botté, Bruno bellâtre baryton-basse balaye….

Bonheur bucolique

 

 

C

 

Conspirations cocasses

 

Cinq cents crevettes curvilignes, cambrées comme cédilles
Coudoyaient comme copains cinq cachalots cléments
Charriant conjointement cent caudataires coquilles
Cahin-caha cohabitant complaisamment

Cependant ces cétacés chassaient
Confondant cette colonie colorée
Chamboulant cette chorégraphie charmante
Chromatique, chatoyante, craquante

Cent colins courroucés circulant côtoyaient ces courants
Cherchant comment combattre certains concurrents
Cinquante congres carnassiers, cohorte cupide
Chassaient cinglant cent cabillauds candides

Cognant coquilles contre coquilles, crustacés, clams, clovisses
Certains couteaux, chahutaient comme complices
Copains comme cochon, culbutant celui-ci, chavirant celle-ci
Créant certaines controverses culturelles, certains courts-circuits

Ce charivari contrariait ce calamar centenaire, couché comme carpette
Courroucé contre ces circonvolutions centripètes
Ces cabrioles concentriques
Car celui-ci croyait, crédule, ces contrées calmes comme crique

Cinq cents crabes corrosifs, convaincus comme ce calmar cafardeux
Complotaient, colportaient cent calomnies contre ces chahuteurs crasseux
Ces chasseurs chevronnés conspirèrent contre cette cacophonie
Convoquèrent céans certaine clientèle, certains confrères compromis

 

 

D

 

Délirium duveté

 

Dans des dunes désertiques, douze dromadaires déambulent de-ci-delà.
Devant derrière, dessus dessous, des dédales de dénivellations.

Densité...
Distances démesurées...
Décor déroutant…
Darius, déshydraté, délire déjà.

Difficile de demeurer débonnaire ! Désorienté, défaillant de démentielles divagations.

Des diablotins dentus, des démons décharnés, des danses dionysiaques de déesses dévoilées.
Désarçonnage dare-dare, dégringolade directe du dadais dégingandé.

Des djellabas de damas désaltèrent de décoctions Darius, drôlement dysleptique.
Démonstration de diligence, dégustation de délicieuses dattes diététiques.

Demi-lune discrète dans déclin diurne, dominantes diodes diaphanes dispersées.
Déclic du déboussolé, debout, dynamisé, désireux de dormir dans des draps douillets.

 

 

E

 

Enigmatique emballement

 

Engageante échoppe espagnole encombrée, embaume enivrantes effluves épicées.
Enthousiasmé Ernest, escogriffe en espadrilles, entre et éternue épouvantablement.
Etourdi, ébouriffé, Ernest effleure Érin, excentrique écossaise égarée, estimant écorces en étalages.

Eberluée, elle examine exubérant échalas extrêmement embarrassé ; écourte excuses empressées et évite endroit exigu.

Exaltation éveillée, Ernest éloquent enjôleur, entraîne élégamment Erin exhaler extravagants élixirs.
Etonnement éprouvés, Erin et Ernest essayent, extatiques, étranges expédients.

Exhilarantes euphories,
Eblouissantes étincelles,
Excitation épidermique,
Emotions exacerbées, 
Episodiques épilepsies,
Enfièvrement excessif,
Evanouissement éventuel…
Eau exigée… évasion envisagée !

Escalier étriqué en ébène, échelle, embrasure… escapade éclaire, Ernest excellent équilibriste étreint et enlève Erin estomaquée.
Echauguette escarpée,
Ether étoilé,
Etourneaux en échappée,
Extraordinaire enchantement,
Ephèbe entiché embrasse égérie ébahie.
Exquise envolée… éphémère éternité

 

 

F

 

Funambulesques folâtreries
Facétieux Félix, frisottis frontal, favoris fournis, falzar froissé,
Fougueusement, fomente foisonnantes frasques, fantaisistes frivolités…

 

Furies frénétiques
Fulbert, furibond, frange filasse, faciès faraud, faluche fanée,
Fiévreusement, fulmine, fulgurantes fureurs… fieffé forcené !

 

Fringales frugales
Filiforme Fanchon, frisettes folles, frimousse fardée, frusques flétries,
Frissonnante fredonne, funestes fados, flonflons, fandangos, florilèges fleuris…

 

Fascinante féminitude
Follette Félicité, front façonné, fines fossettes, fourreau flamboyant,
Flâne fièrement, faubourg faisant, foulard froufroutant.

 

Fantasmagorique folie
Flageolant, Fédor, flancs flasques, figure fantomatique, feutre foncé,
Fugitivement fuit frôlements, fantoches fourchus, fantasques farfadets

 

 




Mina Süngern, Kalamazoo et autres textes

 

Des tourterelles s'envolent d'une cheminée

 

Derrière six carreaux lenticulés d'éclaboussures,
la pluie contre la façade opposée
s'est oubliée de part et d'autre d'un lampadaire :
deux traînées blanches s'étirent vers le sol
et sous les larmiers redondent
des stalactites de propreté à deux dimensions.

Le toit de l'immeuble est un bandeau colorié
de traits rouges et bruns où se dressent
sous le ciel blanc et par grappes parallélépipédiques
les souches des cheminées en ciment. Autour
des mitres à forme de lanterne reposent
impassibles des tourterelles.

Mol dimanche rampant, pétrifié
dans les lignes et les volumes où dominent
sans intermédiaires l'anthracite et le fer ;
à l'encontre de tout principe c'est ton épaisse
stabilité qui provoque, au bain de l'observation,
la dissolution de tes éléments.

Quand soudain – renversement de la formule – 
les tourterelles prennent leur essor, rompant
d'un délié vif sur la blancheur la statique du tableau.
Alors grains, creux, traces, brèches et reliefs
retrouvent de leur mordant les contours, solide
leur dédain ; et mon organisme une ivre caducité. 

 

 

Le monstre de ma colère

 

Qu'il ne laisse que cendres dans son sillage
le monstre de ma colère puisqu'à ma source et tout le long
de ce muret de pierres verdoyant de mousse
s'appuie un silence qui n'a pas de mesure :

cette Présence dont j'attends l'adresse
d'un oui bras ouverts et solides, reste par devers moi
imperturbablement coite, et comme un ressac
à cette grève toujours ma phrase échoue et s'humilie.

Alors se lève l'aspiration aux représailles :
s'il n'est pas de lieu pour ma voix, que toutes s'éteignent
dans ce silence crevé par ce silence plus cru
dont sort mon corps net proportionnel à ma nudité.

 

 

Le petit gars à mobylette

 

En jetant à peine un regard par la fenêtre de la voiture
il se peut qu'on soit saisi
par une image qui, à elle seule
condense le sentiment de la vie toute entière.

Ainsi du petit gars à mobylette.

Je ne vis pas son visage ni ne me souviens
d'aucun détail de sa silhouette. Simplement,
sa présence fut une profondeur creusée
à la surface de l'ordinaire.

De cette profondeur jaillirent ses cellules
soudain visibles sous l'extériorité
de la lumière, et dans le relief incessant
de leur travail. – Elles travaillaient

à régénérer sa mémoire, à renouveler sa peau,
à sécréter de la matière « homme », et cela sans autre but
que de continuer le travail de milliards
de milliards d'autres cellules depuis des millions d'années.

Aussi le petit gars et sa mobylette étaient encastrés
dans la réalité du monde – l'immeuble à l'arrière-plan,
la route, le trottoir ; nul échappatoire :
il n'existe pas en dehors de son lieu.

Qu'importe où se rendait le petit gars à mobylette
sa volonté pèse peu dans l'éclat qu'il révèle
où miroitent les forces naturelles et sociales
par lesquelles il est façonné comme une pierre.

Kalamazoo

 

La chambre donnait sur l'autoroute et la fenêtre encadrait le lampadaire
du parking dont la lumière obscène, comme celle des projecteurs dans les
stades de foot, confisquait toute intimité malgré le store baissé. 
Toutes les nuits, le trafic était une machine irrégulière qui effilochait la
corde du sommeil.

Impossible d'ouvrir les fenêtres en grand, bloquées à dessein. Aussi
partout flottait une écœurante odeur de rat crevé qu'on aurait tâché de
dissimuler sous un désodorisant chimique : c'était l'odeur de la
climatisation qui tournait en circuit fermé. 
Ou bien celle de cadavres qu'on recyclait dans les soubassements.

*

Un jour (férié), je dus marcher le long de l'autoroute (car il n'y avait pas
de bus) pour chercher à manger. Alors je constatai à quel point les
machines séparent le règne du vivant en deux catégories d'individus : sur
l'étroit bas-côté de l'axe que parcourent sans discontinuer, dans le
vacarme et la puanteur, ces carapaces améliorées, on se sent comme un
vague végétal mobile et incongru.

Et comme cette différence de nature à la longue nous use, nous réduisant,
sans qu'on ait de quoi y résister (en regardant ailleurs par exemple), à la
fragilité de notre chair, on est pris de vertige, comme lorsqu'en haut d'une
immense tour on ne parvient plus à s'adapter aux dimensions, et de l'envie
de résoudre cette incompatibilité en se jetant sous les roues.

C'est pourquoi j'attachai, avec une tendresse sororale, ma concentration
aux touffes d'herbe jaunie qui résistaient tant bien que mal sur le bitume.

*

Chaque fois que je rentrais, je retrouvais, assis sur un banc à côté de
l'entrée, un couple de vieux qui me dévisageaient, impassibles, tandis que
j'avançais vers la porte. Leur neutralité était confondante : comment s'y
ajuster ? Lui portait un pansement sur l'œil droit ; d'elle la brise soulevait
une mèche au ralenti. Je disais bonjour. Pas de réponse. 
Alors il me semblait être un personnage dans un film de David Lynch.




Marianne Braux, Quatre sonnets

Le sonnet des Sibylles

 

De syllabe en syllabe elles élaborent l’antique
Epreuve du sens rivé aux désirs autonomes
Et couvrent l’œil infirme d’un invisible baume
Fait des sons sibyllins dans leur bouche éclectique

Ces femmes                         je veux les retenir
                      claires obscures
Non point comme d’amusantes fables tant s’en faut
Ni pour mettre à mal l’injuste glose du héraut
De l’Un pénétrable           
                                  malaimé  
                                                    à bannir
Sans pitié pour celles qui détiennent le la
Du faux chant des hommes n’y entendant que le glas

De la perpétuation
                                Ces femmes sans loi
                                                    Je veux les faire revenir
Au lieu de la vague prose
Qu’elles arrachèrent à sa cause et qui encore osent
Hanter dans nos chapelles les mâles souvenirs

  

 

Infans

 

Des limbes revenu
                                 le bel enfant de l’Art
Vocalique appose au monde un autre regard
Vernaculaire où accule le sang de ses pairs
Morts là où lui peut encore voir les rivières
Qui ne cessent pas de luire pas d’ébaudir
Avec leurs chants de bataille finie l’ouïr
Des survivants de la vie vécue
                                                     il a mal
A l’endroit des visages dormis dans les vals
Rétrécis par son cœur antithétique
                                                                esquisse
Du locus amœnus les limites cicatrices
Sur lesquelles il se tient en défrichant la vue
Il fait un pas foule du pied l’herbe battue
Contre une pierre chute
                                            déjà il se fait vieux
                     (destin consonantique)
Il a deux trous bleu-silence au lieu de ses yeux

 

 

Les choses

 

Jeté le filet sur l’abondance des choses
J’épuise mes mains mises à l’empan du dehors
Dix doigts ne suffisent pas au poids de mon corps
Allégé du désir d’elles qu’on y appose

Les choses                  je ne les vois pas encore
                  les choses
Gisent ajournées au fond de l’étang d’une eau
Qui dort quand moi je voudrais plonger sur le dos
Nuque tendue yeux éveillés vers le ciel d’or

J’ai peur du noir
                             ne nage que sur les bords
Oublie peu à peu face au précieux bleu sans Cause
L’objet inassouvi de mon premier effort

Eblouie je sens alors mes pieds qui se posent
Au filet inutile dont les choses se bardent
Partant d’autres l’auraient jeté
                                                       moi je le garde

 

 

Limitation

 

Si nos mimes étirent
L’étendu     monde amer
                déjà
Sale et sucré
Pour n’y trouver que
Râles
       cris
pleurs et rires
Ebroués du bout
De nos doigts alanguis

Si parent nos dits répétés
Le vu au devant en partie
Des mêmes
Contingences infinies
Pour s’y reconnaître pâles
Et bubelés
                   presque morts
Le front pantin plein de rides
Le regard
Eberlué liquide

Si
Si
Si l’engeance

Alors je dis oui
                        d’accord
Merci
             encore
De tout ce dépareillage
De ce vain maquillage
Où la réalité ivre de nous
Se dit sous
Les superficies les étages

Je dis aux Hommes
A la peau grise et luisante
Soyez
Archéologues du bâti
Sur un puits sans frontières
Jouons                  la pièce
dos courbé
De la vie montante
Tirons à pile ou face
Vers le ciel dans l’ombre tapi
Laissons les cous lisses
Les corps purs au vestiaire
Et entrons bardés d’insu dans la place

 

 




Claude-Raphaël SAMAMA , L’Attente

 

 L’attente

 

Attendre, attendre, 
A la clarté du jour ou ses déclins,
Au gré des insomnies rebelles
Ou  la touffeur moite de ces matins 
Qui n’auraient rien à dire encore.
Aménager à force une patience
Où toute parole est renoncée,
Reporter, à un futur sans voix, 
Ce qui déjà s’avorte ou te récuse,  
Au nom des importances inégales.                       
Laisser s’effilocher les nuages, 

Regarder décroître la lune pleine, 
Suivre le  ballet muet des  étoiles
Et leurs pupilles, veillant dans le noir
Les hauts murs de la ville séculaire.                       

N’être plus qu’un bruit d’horloge,
D’heures vainement promises 
A un amant que ta porte imagine, 
Ou celui, plus souvent renoncé,
En raison d’impitoyables anathèmes.

 

                        *                

 

Pourtant la terre allait sa ronde,
Et revenaient à leurs moments,
L’hirondelle ou le souffle du vent,
Lui, le plus fidèle à son office
De sable et de rêves emportés.
La tribu des tiennes, en rond assise,
N’avait elle droit qu’à l’oracle 
De ceux qui, à leur guise dressés, 
Faisaient parler un autre ciel
Ou fixaient un statut rétréci à la rose ?

 

                         *        

 

Innombrables, vous patientiez sans  trêve
Le long d’une berge de nuit désertée,
Et les eaux charriaient des branches mortes
Sans risque pour elles d’embrasement 
Ou l’idée même d’un cours qui s’inverse.
Le rite s’imposait, ténébreux et morne,  
Perpétuant des chronologies anciennes,  
Le soupçon inique d’une engeance, 
Ta relégation et tes sœurs de pitié,
Dans une insupportable éclipse.
Le chemin était sans détours, 
Tout de peines et d’absentement,
Et, à un même point, revenait
Ta marche muette à pas forcés
Excluant d’autres allures.

 

                          * 

 

Ton visage restait sans visage,
Et tes yeux, à force, indifférents, 
Reflétaient la destinée cruelle 
Des regards absents ou, tournés
Vers des chemins de ronces.                      

Voilée était ta figure souveraine,
Sous les parements de la pudeur,
Silencieux rendu, ton principe initial,
En gage ton désir, sa quintessence tue,    
Et bannis, les secrets insignes de ta chair.   

Quoi pourtant de tes enchantements,
Des grâces dont  ta nature dispose,
Qu’ils voulaient mettre en cage,
Toi, au goût certain des paradis 
Sacrés qu’anticipe ton ombre ?

 

                            *

 

Il faudrait n’être qu’à toi seule, 
Plus sûre  que mille épousailles
Scellées d’une omission cruelle,  
Telle loi fixée à des destins rompus,
Et alors, interdites les noces véritables.        

 

                          *

 

J’ai mémoire de ta silhouette assombrie,
D’où s’était éloigné à la longue, l’augure  
Du  baiser de vie à ton front ou tes lèvres,
Elles, aux mots n’espérant plus des hommes,
Du soleil lui-même et du corps aboli.

– Que dit  l’attente qui plus rien n’attend, 
Et qui attend quand même au bout du compte ?
Faut-il ainsi nommer le désespoir ?

 

Présentation de l’auteur




Davide Cortese, DARKANA

 

Je suis la seule gargouille que tu peux voir
De toute mon invisible cathédrale. p. 17

 

Après tout j’ai encore les mains.
Celles qui autrefois serraient un ourson,
simplement vieillies, désenchantées.
La droite court encore sur le papier
sans même que je la commande
tandis que l’autre, la plus mystérieuse,
reste immobile tandis que sa soeur écrit.
Patiente elle attend, dans un silence de main.
Mais quand je m’abandonne au sommeil
elle bouge les doigts imitant la droite
et dans l’obscurité de la nuit, en absence de moi,
elle écrit des histoires de jadis
et d’autres qui jamais n’arriveront.
Elle écrit des vers que jamais je ne pourrai lire
sur le blanc linceul de mes nuits.
Il n’y a rien que je sache
De ce qu’écrit ma gauche:
elle est la seule à dire la vérité.        p.73

Tu as regardé dans le hublot de mes yeux
Et tu as vu la mer dont je suis fait. p.43

Il existe ailleurs un visage de moi
qui émerge des eaux
et se fait île.
C’est la pointe d’un iceberg
enseveli dans l’abîme.
Il existe ailleurs une île secrète
qui n’est autre que mon visage
émergé
en un autre temps. p.25

Je suis un homme antique.
J’appartiens à une race
qui a besoin d’amour.
J’ai des peurs qui, comme des marionettes,
dorment les yeux écarquillés.
Je sais m’attarder entre des bras.

 

Je sais que le premier souffle est celui d’un ange
et le dernier celui d’un démon.
Je sais que la terre
est le ciel des morts. p.69

 

 

                 Regard inconnu

 

L’instant de tes yeux dans les miens:
le coup de fouet de l’éclair
sur la peau azurée du ciel. p.53

Voici ma cicatrice.
Sens-la avec la langue,
avec la pointe des doigts.
C’est une entaille de vent.
Une flèche de soleil. p.50

Viens, ombre,
baigner mon visage.
Écume d’ombre,
oubli de crépuscule,
viens encore
bercer mon enfer. p.46

Chante-moi une berceuse.
Je veux l’entendre les yeux clos.
Chante.
Sois simplement la voix qui chante.  
Je serai le rameau qui cède au vent. p.45

Je fouille dans le miroir.
Là est resté
au fil du temps
tout ce qui s’y reflétait,
mon visage d’enfant,
mon chat orange désormais poussière orange,
des gens que je n’ai plus vu,
la lumière d’un jour oublié.
C’est un coffre ce miroir
dont je ne cesse de remuer
le fond sans fin.
Mais je n’y trouve pas un lambeau
De ce que je ne sais même pas
et dont je n’ai plus mémoire.
Bien que n’y trou­vant rien,
je sais que dans ce miroir
rien, rien n’est vraiment perdu. p.48

Porter les jours d’une rive à l’autre du temps.
Les porter enfants, visages de lumière,
Les débarquer vieillards, dévorés de ténébres. p.39  

 

Je vais, hiératique et fier,
perle noire de silence minéral.
La mante verte dans les cheveux.
La bouche comme une coupure sur le visage.
Le feu de l’enfer m’illumine.
La géhenne de mes yeux exulte.
Frétillante comme un serpent noir,
la route est le destrier de ma nudité.
Elle me porte sur son dos,
elle est le serpent noir que je chevauche.
J’entre,solennel, dans la nudité du mystère
le vent tremblant dans les cheveux.
Et la mante verte a mes yeux. p.22

 

Traduction de Jacques Michaut Paterno.

Présentation de l’auteur




Louise Dupré, La Main hantée

Poète, romancière et dramaturge québécoise, Louise Dupré a fait paraître une vingtaine de titres, qui lui ont mérité de nombreux prix et distinctions. Parmi ses dernières publications, mentionnons La main hantée (Éditions du Noroît, 2016), qui vient de recevoir le Prix de poésie du Gouverneur Général du Canada et que les Editions Bruno Doucey publieront en mai 2018. Parmi ses autres recueils, figurent : Plus haut que les flammes (Éditions du Noroît, 2010 et Éditions Bruno Doucey, 2015), ainsi que le récit L'album multicolore (Héliotrope, 2014). Louise Dupré est membre de l’Académie des lettres du Québec et de l'Ordre du Canada.

 

Louise Dupré, La main hantée, 3e trimestre 2016, Editions du Noroît, 113 pages

 Du je au nous, récit d’une nuit de l’âme et d’un apaisement

 

Livre d’une traversée de la douleur, associant vers libres et prose. A l’origine, un évènement traumatique : Louise Dupré se résout à euthanasier son vieux chat. Elle ne supporte plus sa souffrance, ses gémissements. Elle est présente à ses côtés jusqu’à la fin, le tient dans ses bras et s’effondre de retour à la maison. Reprenant ses droits, l’affect jette à terre avec une violence inouïe les digues de la rationalité.

Immense remords et sentiment de honte. Tu es capable de tuer même un être que tu aimes. Remontent à la surface les hurlements retenus dans les entrailles de la terre. Les hurlements des cohortes de femmes dominées, violentées et ceux des autres. Tous les autres, victimes comme assassins.

La voilà revenue au temps de la préhistoire, elle, descendante d’une longue lignée de chasseurs, de criminels, de pilleurs. Tu as sur les mains l’odeur millénaire du feu et du sang. La voilà dans « un enfer d’images qui dansent dans les flammes ». Peu à peu se fait jour et grandit le sentiment de culpabilité. Car tu n’es pas sans faute. Tu commences à le reconnaître. Tu vois ce jour où tu l’avoueras. Quand tu seras assez solide pour écrire ‘je’.

Et ce jour vient. Elle reconnaît n’avoir pas répondu aux hurlements. Elle admet avoir trahi. S’en suit une plongée dans une interminable nuit de l’âme.

Pas de consolation, les remèdes familiers sont inopérants. Fermant la fenêtre, tournant le dos au monde, la femme ravagée se réfugie dans sa chambre remplie des ombres des poètes/artistes partis trop tôt : Marina Tsvetaïeva, Sylvia Plath, Huguette Gaulin, Hubert Aquin, Claude Gavreau, Stephan Zweig…

Un mot seul survit au désastre, le mot Cœur qu’elle prononce comme d’autres disent ‘Dieu’ ouVérité’. La musique également - de la rue, de la lumière - qui peu à peu la touche à nouveau.

Elle se remet à écrire, la main hantée, comme elle l’a toujours fait car au départ, se souvient-elle, il y eut tous ces récits dont il avait fallu se débarrasser. Tu viens d’une enfance où les poètes finissaient à l’asile tel des orphelins, une enfance d’agneaux bêlant blonds sur des chars allégoriques… On te voulait vierge, mission, Afrique à genoux fleurissant les églises…

Une différence cependant aujourd’hui, et d’une portée incommensurable. Tu n’habites plus seule ta souffrance et tu le sais.

Du je au nous, récit d’une traversée, de la désolation provoquée par la mise à mort sous toutes ses formes jusqu’à l’apaisement. Traversée qui se clôt par un engagement et une interpellation. C’est debout que tu veux t’habiter, debout parmi les vivants. Tu veux apprendre à dire ‘nous’ comme tu lances appel à témoins

 

 

 

La main hantée

Louise Dupré

Montréal, Éditions du Noroît, 2016

 

 

 

Extrait 1 (p. 26-27)

 

…et tu pleures avec Nietzsche
devant ce vieux cheval
sous les coups de cravache

car la philosophie ne peut rien
contre la cruauté
des maîtres

...

Publié dans l'anthologie Chant de plein ciel - Voix du Québec

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Patrick Williamson, Une poignée de sable et autres poèmes

       Une traduction de Patrick Williamson par Marilyne Bertoncini  (français) et Guido Cupani (italien).

  Pocketful of sand

The roaring maws have no pity for
specks,
you flee the stench of fear, broken
voices, steps

tell me if the stone still listens to the
wind
if the sand keeps our home in a
burning memory

you shout to ungrateful valleys this
land my entrails
your echoes braving the storm between
lair and the sea

the dust horizons, fire weddings rage
in wild skies
march along monotonous banks to the
edge

tied in knots in the bed of bitter laurel
leaves
how do you say farewell to all you
hold dear

you cradle a child that has no jacket
you cling to sand that scatters across
the waves

Why, you ask, do I trust the sea

 

Une poignée de sable

Les gueules rugissantes n’ont pas pitié des grains,
tu fuis la pestilence de la peur, les voix brisées, les pas

dis-moi si la pierre écoute toujours le vent
si le sable retient notre demeure en sa mémoire ardente

tu hurles aux vallées ingrates cette terre mes entrailles
tes échos affrontent la tempête entre tanière et mer

les horizons de cendre, des mariages de feu embrasent
des ciels sauvages
tu marches sur le fil de rives monotones

ennoué dans le lit d’amères feuilles de laurier
comment dire adieu à tout ce qui t’est cher

tu berces un enfant sans gilet
tu t’accroches à du sable qu’éparpillent les vagues

Pourquoi, demandes-tu, fais-je confiance à la mer 

 

Una tasca di sabbia

Il ruggito delle fauci non ha pietà delle briciole,
tu fuggi il miasma del terrore, voci spezzate, passi

dimmi se la pietra ascolta ancora il vento
se la sabbia trattiene la casa in bruciante memoria

tu gridi a valli ingrate questa terra le mie viscere
la tua eco resiste alla tempesta fra la tana ed il mare

orizzonti di polvere, fuochi nuziali avvampano cieli ferini
procedi lungo sponde monotone fino all'orlo

annodato al letto di amare foglie d’alloro
tu gridi agli scafisti di portarti fino a riva

in che modo contrattare una barca che tenga l'acqua
in che modo dire addio a tutti quelli che tieni cari

tu culli un bimbo senza giacca
ti aggrappi alla sabbia dispersa fra le onde

Perché mai, mi chiedi, ho fiducia nel mare

 

I, Leviathan

each blazing cloud a leaden eye
molten behind iron slats

each blue flash a death cracked
I howl in towering steel

each stride a metal mass
falling, a weight in void

a gridlock for trapped air
a beginning, it was so

forge me in that image,
clumping slow and staid

blocking the sun this cold
gulf of man to machine

this logic that makes thought
blind buckled warped

savour each object, tread warily
the crunch on the drive may come

I am within enclosure
my wish to build from scrap

keeps me going
I wait, wire-tap me

you’re no longer free

 

Moi, Leviathan

Chaque éclair bleu(1) un craquement mortel
je hurle dans une carcasse d’acier écrasant

chaque pas est une masse de métal
qui tombe, un poids dans le vide

une impasse pour l'air piégé
un début, c'était ainsi

façonne-moi à cette image,
piétinant lent et lourd

cette logique qui fait cligner
la pensée aveugle, bornée, faussée

Je suis enclos, mon vœu
de bâtir avec de ferraille

me maintient, mets-moi sous écoute
tu n'es plus libre

(1) le poète parle d'un piège à insectes lumineux

 

 

One-way ticket

We are the brethren in unity
we are the walkers on water see
we are the workers of drudgery
cross out cross-over cross to
bear with me for this is a journey
that often makes little sense
trans-human cross the plain
trans-gender cross the divide
which door that is the question
we are the united rages of the world
recycled end-of-life spare parts
and what reused words are these
on your list to check us off
we stand at your door that
all use by George he’s smart
slipping past me climbing the fence
for the love of God he slipped
the wire under the wheel we are
the brethren of unity my word
they’re crossing shut them out
but it’s no use they keep coming
why not question all you can
I think nothing, just there's no return

 

Aller simple

Nous sommes la fraternité unie
nous sommes les marcheurs sur l'eau vois
nous sommes les travailleurs de peine
croix dessus croix dessous croix
à porter avec moi car ceci est un voyage
qui souvent n'a pas de sens
des transhumains traversent la plaine
des transgenres traversent les frontières
par quelle porte, telle est la question
nous sommes l'union des rages de ce monde
pièces détachées de fin de vies recyclées
et quels sont ces mots recyclés
pour nous rayer de votre liste
nous sommes à cette porte
par où tous passent sapristi quel malin
il se faufile devant moi gravit la grille
pour l'amour de dieu il a glissé
le fil sous la roue nous sommes
la fraternité unie ma parole
ils traversent bloquez-les dehors
en vain ils continuent d'arriver
pourquoi ne pas questionner
tout ce que vous voulez
je ne pense rien, c'est simplement sans retour.

 

Biglietto di sola andata

Siamo fratelli in unità
siamo i camminatori sull'acqua vedi
siamo la bassa manovalanza
croce sopra incrociando con la croce
sulle spalle tienimi questo viaggio
spesso ha poco senso
trans-umani attraverso la piana
trans-gender attraverso il confine
quale porta ecco la domanda
siamo l'unione delle rabbie del mondo
ricambi riciclati di recupero
riutilizzate pure le parole
sulla tua lista per spuntarci via
stiamo alla tua porta che
tutti usano perbacco è un tipo sveglio
mi passa via scala la recinzione
per l'amor di Dio è scivolato
il filo sotto le ruote siamo
fratelli in unità parola mia
stanno passando chiudeteli fuori
non c'è modo continuano a venire
metti tutto in discussione perché no
io non penso nulla, non c'è ritorno, punto

 

 

 

 

 

 

 

Find

You discovered the falseness of my existence.
That the enigmatic nature of my face
is only a hollow tomb of disused creativity.
Light has not penetrated for years.

I am buried by the rough winds of daily life.
Certainty, where is certainty?
The sands of time cannot hide
the lack of truth and my frantic searching.

Try to reflect and find that true image
amongst the fossils obscured by flickers.
These were once ideas, a journey,
a future, that I tried to grasp for you, here.

 

Trouvaille

Tu as découvert la fausseté de mon existence.
Que l'énigmatique nature de mon visage
n'est que la tombe vide d'une créativité sans usage.
La lumière depuis des années n'y a pas pénétré.

Je suis enseveli par les vents violents de la vie.
La certitude ? Où est la certitude ?
Les sables du temps ne peuvent cacher
l'absence de vérité et ma quête effrénée.

Essaie de réfléchir et trouve l'image vraie
parmi les fossiles qu'occultent les lueurs.
Ce furent des idées, un voyage,
un futur, que j'ai tenté d'atteindre pour toi, ici.

 

Trovare

Hai scoperto la falsità della mia esistenza.
Che l’enigmatica natura del mio viso
è solo tomba cava di creatività in disuso.
Sono anni che la luce non vi entra.

Sono sepolto dai venti rudi del quotidiano.
Certezza, dov’è la certezza?
Le sabbie del tempo non nascondono
che la verità manca e io la cerco ansioso.

Prova a riflettere e trovare l’immagine vera
fra i fossili oscurati dai barbagli.
Queste erano un tempo idee, un viaggio,
un futuro, che tentavo di carpire per te, qui.

 

 

Under the sun, our shadows

Believe me, that outcrop is hollow 
the water waves of light
the arch leads to open sea, why

does the mind not learn its lessons
when we go astray in the dark
looking for that glimpse of clarity

shrouds that sway in street shades
washing on the line a summer night

that disembodied window of a house
merely a facade framed by trees

the rock on the point of shattering
the core is stone and this a shimmer

what I do is not how I feel
what I think is not what I say

mere shadows under the sun blinding
all these truths I try so hard
to see, but just deceive, constantly.

 

Sous le soleil, notre ombre

Crois-moi, ce piton est creux
l'eau, ondes de lumière
l'arche mène au grand large, pourquoi

l'esprit ne tire-t-il pas les leçons
de notre errance dans le noir
en quête d'une lueur de clarté

de linceuls chancelants dans les ombres des rues
lessive sur le fil une nuit d'été

la fenêtre désincarnée de cette maison
juste une façade encadrée par des arbres

la roche prête à se briser
le cœur est pierre et c'est un éclat

ce n'est pas comme je le sens
ce que je pense n'est pas ce que je dis

de simples ombre sous le soleil aveuglant
toutes ces vérités que j'essaie si fort
de voir, mais que je trompe, constamment.

 

Sotto il sole, le nostre ombre

Fidati, quella roccia che affiora è cava
l’acqua è un’onde di luce
l’arco porta al mare aperto, perché

la mente non impara la lezione
quando divaghiamo nelle tenebre
cercando quel barlume di chiarezza

sudari sventolanti nelle ombre sulla strada
bucato sul filo una notte d’estate

quella finestra senza corpo di una casa
mera facciata contornata d’alberi

la roccia sul punto di sbriciolarsi
il nucleo è roccia e ciò un bagliore

quello che faccio non è ciò che sento
quello che penso non è ciò che dico

semplici ombre nel sole accecante
tutte le verità che cerco a tutti i costi
di vedere, e mistifico soltanto, senza posa.

 

 

All roads lead here

We ride past rows of cypresses,
motes in the sunlight, climb
these tendrilled steps to clusters
of clock-towers with roof skirts,
lay our spice out, let us barter
we are offshoots of a vine
rays of sun scattered in the hills,
our banter livens the twilight
we are on the road to somewhere
as mountains curve the script
of each valley, route to the hubbub,
we are the hub, the radius, the halt
we are all roads but only the one

 

Toutes les routes mènent ici

 Nous roulons le long de rangées de cyprès,
particules dans le soleil, gravissons
des vrilles vers des grappes
de clochers aux toits en jupe,
étalons les épices, échangeons             
nous sommes les rejetons d'une vigne
des rayons de soleil répandus sur les collines,
nos blagues égaient le couchant
nous sommes en route pour quelque part
comme les montagnes incurvent l'écriture
des vallées, la route vers le tumulte,
nous sommes le moyeu, le rayon, la halte
nous sommes toutes les routes, mais seulement l'unique.      

 

Tutte le strade portano qui

Passiamo in corsa oltre file di cipressi,
polvere nel sole, ci arrampichiamo
come su liane a grappoli
di campanili con tetti come gonne
esponiamo le spezie, barattiamo
siamo tralci di vite
raggi di sole sulle colline,
i nostri scherzi avvivano il crepuscolo
siamo diretti in qualche luogo
mentre i monti piegano la grafia
di ogni valle, rotta verso il brusio,
siamo il perno, il raggio, il freno
siamo tutti strade ma solo un'unica

Présentation de l’auteur




Radu Bata, poèmes

 

1

étirant les heures

————————

sur la corde

——————

l’ombre de l’amour
s’allonge comme
un rideau
de fer

 

je suis une trace
dans le sable
qui attend
la mer

 

 

2

encore un ciel à zigzaguer

—————————————

pour être dans le vent
il vaut mieux être nuage

encore une pluie
à réciter
encore un rêve
à tricoter
encore un jour
à démembrer

j’ai rayé
tant de ciels
sur le mur
de ma prison lexicale
que les galaxies
ne respectent plus
le sens giratoire

ni les nébuleuses
l’amour consenti
ni les minutes
la clepsydre
avec laquelle je couche
tous les soirs
sans protection

pour qu’elle accouche
d’un petit batteur
d'un bébé phoque
ou d'une poésette
qui ressemble
à une bacchante

 

 

3

se payer la tête du pôle monétaire

————————————————

il est encore temps
de tout prendre en dérision
les hommes et les gouttes de pluie
les femmes et les flocons de neige

il est sain de rire des étoiles du marché
des plans à trois des astres du Top 50
des solos de guitare de la lune
des plans d’épargne de l’arc-en-ciel

on peut même prendre en ballon le globe
les ambitions du soleil
et les sourires niais de l’univers
tant qu’on y est

mais il ne faut jamais
se moquer des nuages
des nuages
qui nous habitent

 

 

4

un os dans la noce

—————————

il y a du soleil
pour tout le monde
mais certains n'ont droit
qu'au lever 

le tiers-monde
rêve d’être accepté
pour quelques instants
dans le deuxième

il ne s’agit même pas d’imaginer
de porter les plats au premier
ce serait un crime
de lèse-majesté

et ces mondes parallèles
tournent sans pudeur
comme dieu
chez les naturistes

(ta morphologie
maître
est parfois plus triste
que l’agonie
d’une fiancée)

 

 

5

aux environs des émotions

—————————————

le monde marche
sur des allumettes
prêtes à prendre feu

nous donnons
un paracétamol
à l’amour

nous arrosons
la pelouse
de l’intranquillité

nous collons
un sparadrap
sur le chagrin

et de temps en temps
nous appelons
les pompiers

pour qu’ils nous donnent
un verre
d’eau

 

 

6

métempsychose

————————

à partir d’un certain âge
le jour vient comme un adage

le temps te prend tout
— même la chair des rêves —
mais ne peut rien
contre ta grimace

elle seule
te survivra
comme un pied de nez
interplanétaire

quand les astres
seront suspendus
dans la palissade
du bonheur

 

 

7

le goût salé de la pluie

———————————

il y a des jours
où l’on serre les minutes dans la paume
pour pouvoir les traverser

il y a des nuits
où l’on fait des réserves de lune
pour les dépasser

il y a des amours
où l’on fait des provisions de pluie
pour pouvoir les panser

 

 

8

vanity fair

—————

autant de parvenus
que de secondes

ils achètent tout :
diplômes
amours de fonction
consciences
(qu’ils accrochent sur les murs du salon
comme des trophées de chasse)
jeunesse
(qu’ils entachent de graisse)
années et cercueils
dans un fauteuil

mais ils ont beau acheter
la dignité
des titres de noblesse :

seulement le ciel
a le sang
bleu

 

 

9

mon parcours professionnel
—————————————
dit avec des fleurs
—————————
candidature spontanée pour l’ailleurs

 

loin des casemates
des carpates
j’ai travaillé
comme acrobate
sur un poste
de coq en pâte

j’ai mis le holà
au tralala
du jeune âge
pour arracher
des stages
dans l’au-delà

j’ai recensé les mirages
et les nuages
rebelles
et je suis diplômé
d’un monde
parallèle

ma biographie
est grevée
de bonheurs
du bras de fleurs
au doigt
d’honneur

Présentation de l’auteur




Laura Domingo Aguero, poèmes

 

Poemas en Español y traducción al Francés y al Italiano

 

Laura Domingo Agüero

Traducción: Gianni Ruocco

 

De invocaciones y otros límites (2014)

Nota al pie

 

Vivo en un país de despedidas.

 

Di invocazioni e altri limiti (2014)

 

Nota a pié di pagina

 

Vivo in un paese di addii.

 

De invocations et d’autres limites (2014)

 

 

Note de bas de page

Je vis dans un pays d’adieux.

El ácido de las fugas (2016)

 

1

Que sea otoño.

 

Que las hojas confirmen el beneficio de la muerte.

 

Que haya frío y llueva. Mucho.

 

Que las voces del silencio

se derramen.

 

Que te quedes.

 

Porque es otoño.

 

Y que sea otoño cada vez.

 

Siempre.

 

 

L’ acido delle fughe (2016)

1

Che sia autunno.

 

Che le foglie confermino il beneficio della morte.

 

Che faccia freddo e piova. Molto.

 

Che le voci del silenzio

si spargano.

 

Che tu rimanga.

 

Perché è autunno.

 

E che sia autunno ogni volta.

 

Sempre.

 

 

L’acide des fuites (2016)

1

Qu’il soit l’automne.

Que les feuilles confirment le bénéfice de la morte.

Qu’il fasse froid et qu’il pleuve. Beaucoup.

Que les voix du silence

se déversent.

Que tu restes.

Parce c’est l’automne.

Et qu’il soit l’automne a chaque fois.

Pour toujours.

 

Qué es la distancia (2017)

1

Reparto físico como poemas,

eternidad,

eternidad,

en el calor de las cosas cercanas

que están siempre a la vista.

La muerte no enfriará este rostro

donde se tuercen las alas que han volado.

Eternidad,

en la herida blanca que dibujan los aviones

cuando un atardecer ha congelado en las nubes, la sangre.

Eternidad,

aquí doblo, en la misma esquina de las aves petrificadas,

sobre tus primeros ojos

en mi memoria. Eternidad

en la comunión del sol con los hilos de espuma,

en las tormentas de verano sobre los árboles

y el sexo.

Eternidad en la célula de las visiones.

En el llanto y la espera.

Eternidad en la espera

y en la desesperación.

 

 

Cos’è la distanza (2017)

1

Ripartizione fisica come poesie,

eternità,

eternità,

nel calore delle cose vicine

che sono sempre in vista.

La morte non raffredderà questo viso

dove si torcono le ali che han volato.

Eternità,

nella ferita bianca che disegnano gli aerei

quando un tramonto ha raggelato nelle nubi, il sangue.

Eternità,

qui giro, allo stesso angolo degli uccelli pietrificati,

sopra i tuoi primi occhi

nella mia memoria. Eternità,

nella comunione del sole con i fili di schiuma,

nelle tormente d’estate sopra gli alberi,

e il sesso.

Eternità nella cellula delle visioni.

Nel pianto e l’attesa.

Eternità nell’attesa

e nella disperazione.

 

Qu’est-ce que c’est la distance (2017)

1

Répartition physique comme des poèmes

éternité,

éternité,

dans la chaleur des choses voisines

que sont toujours devant moi.

La mort ne refroidira pas ce visage

où se tordent les ailes qui ont volé.

Éternité,

dans la blessure blanche que les avions dessinent

quand un crépuscule a gelé dans les nuages, le sang.

Éternité,

ici je tourne, dans le même coin des oiseaux pétrifiés,

sur ton premier regard

dans ma mémoire. Éternité,

dans la communion du soleil avec les fils d’écume,

dans les tempêtes d’été sur les arbres

et le sexe.

Éternité

dans la cellule des visions,

dans le pleurs et l’attente.

Éternité dans l’attente

et le désespoir.

 

 

 

Présentation de l’auteur