Isabelle Lévesque, Tout Oracle

Or se levait sur la branche
la feuille irisée en même soleil : s’assoupir
bercé des nues. Les ramures orientaient
le secours du jour.

Nos pieds mesurés dansaient sur la mousse et l’écorce,
le pli d’une résistance. Tout
à l’arbre rapporté. La toise offre une ombre
ou un repos de mémoire (l’abri des feuilles).

Tes mains retournaient les graines.
Je craignais la vie : répandre sur le sol l’attente.
Fine couche et, légère, la dispersion du chant.
Une voix sereine pour les mots de l’or
levés en mouvement pareil.

Lire sur tes lèvres. Un espoir
s’arrête sur nos pas, craquent les feuilles
(l’hiver dernier, sédiment).
Te regarder.
Accroche hier en souffle.

Le poème ne fut
qu’un retour – le repère ?

J’attends blottie le pur essor des ailes.
Quelques feuilles caduques affrontent le vent
avant la chute des mots infimes. Assourdis,
dernier rebond.

Disparaître. Un murmure.
Nos certitudes offrent une issue : au printemps
l’or retient son souffle pour écrire l’été.

Retour à naître.

Nos pas soulèvent les feuilles.
Même et toujours, depuis l’orée. À finir,
une branche
silencieuse.

Le jour vient : plus une écharde au ciel.
Le souffle des saisons porte la nouvelle :
semence de lumière.
Plus une ombre à courir, ronde et surface,
la glace fond. La transparence, plus à prouver.
Tout oracle.

C’est l’été, son règne éternel.
Sur mes doigts, j’épelle tes couleurs.
Nous apprenons, murmure savant,
l’orthographe des tables d’argile :
une fois le jour, ajout.

 

Présentation de l’auteur




Deux poèmes

 

 

 

Ibid

 

 

 

Pour qu’il soit satisfait de son existence

en présence de celui qui fait des nœuds avec l’obscurité

 dans le chagrin de l’arrivée

et de l’écartement des extrêmes :

 

Il traînait des vers de lamentations

 accrochant plus loin la lanterne ténébreuse

pour que soit entendu le vent

« Là où l’abeille butine moi aussi je butine »

 

 en appelant les étoiles

 des éclats par milliers qui lui ont coupé les jambes.

 

Avec hésitation

il se relâcha en traces d’idéogrammes

comme des cheveux qui la nuit transpirent dans le cou d’une femme

 

et des corybantes se manifestaient sous des réverbères

urbains de centaines de watts

débauchaient ses souvenirs qui étaient prophétiques

 

 excrétaient dans ses remous

qui avaient été prophétisés.

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

Au comptoir de La Manne au 90 rue Claude-Bernard

 

 

 

Ceci est une archive jusqu’à ce qu’il cesse de l’être.

Ça parle.

Un peu froid au-dessous des coudes.

 

Quand chaque échec offrira la tournée, à la lumière

Des statistiques qui l’élèveront au premier rang

De l’estime citoyenne, elle

Constituera une force.

 

Nous entourent les plantes grimpantes des informations ;

Ma pensée : une croûte de pain

Trempée dans l’éclat silencieux du Soleil.

 

Le vent emporte une carte avec l’image

D’un port avec des mules chargées.

L’espace de temps qui se tourne vers moi

Se trouve confronté à ses défauts.

 

Deux trois emphases.

En route l’impérissabilité mugit en quête de Pléiades.

 

La signifiance comme notion malheureuse

Est exclusivement

Humaine.

 

 




Gérard Mottet, Bien en deçà du seuil des mots

 

Les dés du vent nous ont jetés

Les dés du vent nous ont jetés
sur des chemins d’exode
avec chacun nos lots divers
d’errante solitude

un jour pourtant en quelque gîte
nous nous reconnaîtrons
car nous avons toujours chacun
gardé par devers nous

nos parts secrètes de symbole
comme l’empreinte même
de nos mains enlacées

fragments
irrécusables
d’un éden oublié.

 

 

Extrait de Murmures de l’absence
Parution en avril 2017 aux Éditions Tensing J-L.

 

* * *

 

 

Lignes  de  Partage

Je ne sais quelle frontière nous traverse
quelque part en nous   mystérieuse
comme la barre bleue des lointains
au seuil invisible de nos rêves
comme l’écume de la dernière vague
au flot montant de nos désirs.

Est-ce entre nous frontière
que cette ligne courbe du soleil
qui monte et qui descend
ou ce vol brusque de l’oiseau qui déchire le ciel
est-ce frontière que cette arche lumineuse
où s’exalte le chant de la pluie.

Ensemble nous cheminons sur nos lignes de crête
entre versants d’ombre et de lumière
par sentiers caillouteux à travers champs et forêts
par chemins de halage   allant d’écluse en écluse
sans jamais passer pourtant ces lignes de partage
où se croisent nos solitudes.

 

 

(Extrait de Murmures de l’absence
Parution en avril 2017 aux Éditions Tensing J-L.)

 

 

* * *

 

 

Passant  par  les  chemins  de  pluie

Passant  par  les  chemins
de  pluie
j’ai  reconnu  tes  pas  

les  nuages  ce  soir
ont  pris
la  couleur  de  ta  peau

 

à  la  surface
de  l’eau
j’ai  vu

l’empreinte
tremblée
de  ton  visage

                

au  plus  près  de  la  nuit
furtif    passe    le vent
des  souvenirs

 

comme  un  soudain
                  déplissement
                               du  temps

 

au plus près de la nuit   furtif   passe le vent des souvenirs.

 

 

(Extrait de Murmures de l’absence
À paraître en avril 2017 aux Éditions Tensing J-L.)

 

* * *

 

 

 

Bien  en  deçà  du  seuil  des  mots

Bien en deçà du seuil des mots
rien que ce fulgural
instant divinatoire où tout a commencé

Toi et moi branches écartées
d’un même diapason
tout ensemble soudain entrant en résonance

toi et moi pôles opposés
faisant soudainement
de leurs bornes jaillir un grand arc de lumière.

il me souvient
qu’un jour de création du monde
ta main   soudain   s’approcha de la mienne.

 

 

(Extrait de Empreintes & résonances
Prix Y.& S. Blanchard - à paraître en 2017
aux Éditions des Presses Littéraires – Collection Florilège)

 

 

* * *

 

 

 

Souvent le vent venant de l’Étang

     Souvent le vent venant de l’étang
où dorment les esprits de la nuit
traverse le village engourdi
se faufile le long des ruelles
secoue les volets clos des maisons
et s’en va souffler sur la colline
où dorment aux murmures des sources

les ombres du passé

et la lune suit le cours de l’eau
se frayant un chemin dans les prés
pour venir chanter dans les fontaines
du village   passer sous les arches
rebondir de cailloux en cailloux
et mourir doucement dans l’étang
où dorment les esprits de la nuit.

 

(Extrait de Empreintes & résonances
Prix Y.& S. Blanchard - à paraître en 2017
aux Éditions des Presses Littéraires – Collection Florilège)

 
 

* * *

 

 

 

 

Ardent  tu  t’étais  élancé

Ardent tu t’étais élancé vers l’efflorescence du jour
les feux de l’aube dansant dans tes yeux
ton ombre oubliée loin derrière

or la voici déjà    ton ombre    qui s’est rapprochée
et marche à tes côtés    silencieuse
t’apportant réconfort aux midis incertains

et la voilà    ton ombre    à l’amenuisement du jour
qui maintenant allonge un peu le pas
et marche devant toi    en éclaireuse

te frayant le chemin que nul ne sait
vers là-bas    où l’on dit
que naissent les étoiles dans les forges de la nuit.

 

(Extrait de Par les chemins de vie
Recueil inédit)

 

* * *

 

 

 

Comme  sous  l’Écorce  l’aubier

A Claude Cailleau

 

Comme     sous l’écorce  l’aubier
sous      l’apparaître     l’essentiel
et       sous  la  terre    les racines

palpite encore   en le vieil homme  
usé        dont  vacillent  les  jours
le frêle enfant   qui vient de naître

désir dormant d’éternité
persistante étincelle
sous les cendres du temps.

 

 

(Extrait de Par les chemins de vie
Recueil inédit)

 

* * *

 

 

Creuser  de  longs  tunnels

A Guy Allix

 

Il te faudra sans doute 
creuser de longs tunnels de solitude

lancer de frêles passerelles
se balançant au dessus des abîmes

retrouver les chemins perdus du temps
dissimulés sous les broussailles

il te faudra faire preuve aussi de patience
frapper en pleurs aux portes closes de l’absence

attendre du destin
d’improbables alignements célestes

alors peut-être   à la jointure exacte
de ta mémoire endolorie et de tes désirs orphelins

connaîtras-tu comme autrefois enfant
juste la grâce d’un instant

le pur jaillissement d’une étincelle
qui te fera soudain renaître

dans la coïncidence
de toi-même.

 

 

(Extrait de Par les chemins de vie
Recueil inédit)

 




Laurent Maindon, S’envoler et autres poèmes

 

 

 

S'ENVOLER

Assis sur un tapis volant
Mirage assourdissant
Qui rend crédible
Une vie de hasard
Et d’abandons
L’insu est aphrodisiaque

 

 

 

***

 

 

 

IMPOSSIBLE POUR LES MAISONS DE

Clore le chapitre des éventualités assassines
Et s’en remettre au préjudice
Dénudé les yeux clignant
Pour évacuer les dernières larmes
De sang et d’affirmation de soi
Péché originel aux confins
Des ultimes victoires
Las mais érudit

 

 

 

***

 

 

 

DES TOITS

Impossible de connaître
Combien de fois j’ai échappé à la mort
sans même le savoir
A croire qu’il existe une amnistie
des innocences
N’en meurs donc
Que plus serein encore

 

 

 

***

 

 

 

REPOSENT SUR LES TUILES

Au plus chaud de l’après
Consumés et renés
Phoenix seuls
Comme de nouveau étrangers à l’autre
A reconquérir
Ou bien à surseoir

 

 

 

***

 

 

 

DE LOURDES PIERRES

Ses seins dans mes mains
Comme la terre sur le dos d’Atlas
Y discerne des fleuves
Des archipels secrets
Elle éternelle
Terra incognita

 

 

 

 




Jean-Charles Vegliante, Cinq visites

Cinq visites, plus une

 

Celle qui marche au-dessus…
(Rien commun, 2000)

 

 

L’intranquille

 

Hurle dans la nuit – elle crie silencieuse
ment sa nuit – je sais qu’elle hurle – se bat
toute seule contre quoi – ce désarroi
sans objet – sans issue dans la chambre close –
les draps serrés – une fièvre étrange pose
des banderilles – l’oreiller étouffant –
le petit bruit des dents qui choquent – le temps
ne passe plus – une lumière fumeuse
filtre dans le rêve – elle est sous la faucheuse –
sous la menace des tranchoirs – de la hache
de l’ogre aux épis – toujours qui la pourchasse…

Je sais qu’elle hurle, je vois son enfance.

 

 

 

***

 

 

 

L’effrayée

 

Dans le regard l’énigme du grave temps.
Ma génération. Et combien qui résistent
sans penser à quoi, contre quel adversaire
déjà dans la maison. Démunis devant
le brouillard qui s’assemble – qui tremble vers
les vitres – qui se glisse entre les murs tristes
du quotidien. Qui me regarde se pense
autant qu’il se demande si je le vois
comme lui, avec un mélange d’horreur
et de pitié. Si l’on pouvait voir derrière
ce voile, combien maudiraient leurs parents !

Je te regarde aussi – je souris – j’ai peur.

 

 

 

***

 

 

 

La pensive

 

Où a-t-elle à ce point pu défigurer ?...
Quand la marée monte des pleurs, la suffoque,
elle pense à un détail insignifiant…
S’il cligne des yeux de la lumière à l’ombre
la peur monte, t’envahit toute, c’est bête
de rester là… Plusieurs fois tu as tenté
d’aller à contre… Il fait froid même en été
contre cette sylve domestique… Allant
contre elle refait quand même… Elle s’entête
aux tâches domestiques… Qu’a-t-elle à faire ?...
Ou bien faut-il obtempérer à cet air…

Je ne te sais que trop, petit masque sombre.

 

 

 

***

 

 

 

La lente

 

Tu vois bien que le vert ne reviendra pas
C’est un avril fichu, un autre printemps
L’acharnement des mouettes fait frissonner
La ville cède par des détails infimes…
Il y a une carie dans le ciment
On voit dans le net la honte d’une langue
Chaque jour qui passe corrompt ses racines
Il y a comme des radicelles pourpres
Dans les yeux la fureur de sa propre fin
Les fondations que l’on voulait oublier
Les chevilles gonflées penchent vers la terre

Elle cherche un mot où être tout entière.

 

 

 

***

 

 

 

L’étourdie

 

Ma vue me trahit, je n’ai que mes petites
choses, je ne suis plus qu’un arbre de veines,
une « demeure vide » aux coups de boutoir
des ans… Tu ne sais pas combien. Et j’aspire
à tant de choses ! de nouvelles antennes,
et puis je ne sais plus ce qu’on me voulait.
Je ne veux presque rien mais rien ne remplit
Cette vacance, ce froid où je me perds.
Les matins semblent voler avec les merles.
Les soirs me crient : tu devrais chercher ailleurs,
oublier ce qui t’a soutenue, rêvée…

Lis : « perdre sa vie après les oiselets »…

 

(Purgatoire, XXIII, 3)

 

 

***

 

 

 

La somnambule

 

Regarde la nuit, regarde ce qui bouge
dans le noir. En tristesse tu te retrouves,
mais seule à présent, comme les petits êtres
qui volètent dans l’ombre. Comme il nous est
difficile d’avoir la part de lumière
sans en être la proie. Le désir n’est-il
qu’une proie aveugle et consentante ? Elle a
quitté déjà les prés fleuris de l’attente,
elle a souvent envie de pleurer la nuit,
et le matin devant son café amer,
son trajet, son travail. Regarde le jour !

Nous t’aimons, nous qui te voyons te mouvoir.

 

°°°

 

 

P.S.

Una visita

 

 

                                                               (per I. T.)

Andiamo sospesi ancora al pensiero di ninfe
sommerse e riemerse vive nei versi.
Il sopravvissuto ci accoglie sorridente
(ci hanno detto, per puro miracolo).
Quale apparizione di che altre scomparse
sarà, non ne sapremo mai nulla.
Non ci è dato di sapere il dove e il quando,
né il chi ci sorride coi pochi denti
(torna a mente il brèche-dents di Frénaud,
tremenda immagine sospesa nel nulla):
(ma che sia lui, l’amico, non dubitare

– e la mia “ninfa” un lutto insanabile).

  

Présentation de l’auteur




Cinq poèmes

 

 

LIEUX D’ORIGINE

 

 

Je viens de ce poème
À l’origine de tout poème

 

De ce mot
À l’origine de tout mot

De toute langue

 

De ce nom
À l’origine de tout nom

 

Je viens de cet amour
À l’origine de tout

 

N’ayez crainte
Je viens d’où je vais

 

 

 

*

 

 

 

LA DANSE

 

 

La poussière tremble
Dans l’air noir

 

Sous les pas
La danse happe l’air

S’élance

 

Quelques pas encore
L’échange tranquille

 

Puis l’espace
L’immense autour

Peu à peu
La danse peut être bleue

 

La lumière la tranquillise

 

 

 

*

 

 

 

TON VISAGE SI TES YEUX

 

 

Tu es celui ici qui est
Celui qui saura l’être

 

Ton visage si tes yeux
Rien d’autre

 

Ton corps si tes gestes
Rien d’autre

 

Ton toucher si tes mains
Rien d’autre

 

Tes mots si ta voix
Rien d’autre

 

Ton être si ton âme
Rien d’autre

 

Rien d’autre
N’est mieux.

 

 

*

 

 

INNAH AHHH INNAH IHHH

(LA CANTATE DES PIERRES)

 

 

 

Ce poème évoque la rencontre,
en concert,

d’un chant innu
et d’une cantate de Bach.

 

 

Je le vois de toutes mes forces je le vois
La vie se jette dans la vie
innah ihhh

Et le bruit dans le bruit
Le ciel se jette dans le ciel innah ahhh
Et la lumière dans la lumière
Et la poussière se jette dans la poussière
Et la boue dans la boue
Et les pierres dans les pierres
Qui font champs et chemins
Maisons gîtes et chapelles
D’où montent lourds de semence
Les concerts le dimanche
Qui me sauvent moi ici
Qui choisis l’écoute
D’un unique récit chanté par une voix seule un jour
Une voix innue innah uhhh
Gorgée de sève lancée si haute
En cette enceinte large
Avec ses montagnes à perte de vue et ses Grandes Eaux
Caribous et vols d’oiseaux
Une voix qui habite tout ainsi l’Infini
Et qui m’a rejoint moi
Dans l’habitacle d’une cantate de Bach
Jouée aux instruments
Un violon si c’est un aigle
Un violoncelle si c’est une rumeur des arbres et des bêtes
Une contrebasse si c’est un pas lent Esprit chasseur
Un chœur mixte si c’est un monde à renaître immensité
En cette voix sage parole et musique
Qui me guide moi innah hehh
Qui ne sais rien des parcours millénaires
De l’aurore longue
Qui ne suis pas venu là dans la verte toundra
Avec quelque chose dans mes mains d’écrit
De construit avec un souffle sauvage
Une œuvre à donner au vent
Née de l’intérieur
Prête à être regardée
Ocre rouge vibrante
Dans la lumière nomade innah uhhh

 

Je vous demande si peu – je vous le demande
Une prière s’élève déjà

De quel rêve est faite mon âme blanche
De quel chant ma voix muette – silence !
D’un plus loin
Innah ahhh innah ihhh
Elle est celle qui appelait éperdue affolée
Qui en appelait et en appelait d’une voix
Aussi lointaine pouvait-elle être
Qui en appelait des mille éternités
Telles ces mains gravées aux parois des cavernes
Ces mains de Césarée noires criardes écartelées
Qui en appelait et en appelait
Dans les plis de ses cris
Dans les flammes de ses feux
Qui en appelait d’une voix ô si sacrée innah hehh
Capable encore au sommet du tragique : mythique
De faire entendre la vie
Innah ahhh innah ihhh
Et il y en eut une des forêts et une autre des archets
En chœur entendues un jour ces voix
Cantate et chant de gorge résonnant pleins murs
Timbales et tambours fissurant les pierres
Libérant leurs psaumes
Échos & murmures ~ Éclairs & fracas
Ô qu’elles me rejoignent ces voix
Des villes habitées des horizons foulés
Qu’elles encensent mes pas
Des Terres Hautes des Terres Basses
Qu’elles me rejoignent moi un corps d’ici
Cœur douleur mains au ciel dressées
Qu’elles me rejoignent réconciliées ces voix
Terres mêlées au soleil !
Et qu’elles me ramènent enfin au poème
Innah hehh innah uhhh
Pour qu’il me l’enseigne Mémoire à jamais
La beauté ici-bas qui règne Légende Destinée
La beauté ici-bas qui règne… sur nos dieux!
Innah ahhh innah ihhh
Innah ahhh innah ihhh
Innah ahhh innah ihhh

 

 

*

 

 

QUE FAIRE MAINTENANT
NOTRE HISTOIRE RÉVÉLÉE ?

 

 

Déposer des mots sur le silence sans le blesser
Exhiber le sublime ‒ infiniment du dedans

infiniment du dehors
Parcourir le monde habillé d’une vie à vivre
Poursuivre le travail par le poème armé
des espérances inaliénables
Dévoiler sa liberté cachée affranchie de son ombre
S’arrimer au souffle éperdu du verbe
Puis s’adjoindre les hautes figures du feu
Croire à la lumière des fonds noirs
Entendre le tout de toutes langues
Et se reposer une musique à la main
sûr de ses amours volées aux drames
aux meurtriers des corps ardents
aux paroles assassines
cœur souverain
Est ainsi toujours vivant
celui qui est à aimer

 

 

 

Extrait de L’autre est ta demeure
Éditions du Cygne 2015

 




Olivia Elias, Cœurs-Tambours et autres poèmes

 

CŒURS-TAMBOURS

Le récit ne sera pas perdu
n’en déplaise aux trafiquants
d’histoire et de temps
Nos cœurs-tambours l’ont confié
aux vents
qui le dispersent avec les graminées
Les abeilles en font leur miel
au milieu des champs de blé
Dans les fournils le pain lève
et la parole avec
Nos cœurs-tambours l’ont confié
aux vents

 

* * *

DANS L’ESPACE DU POÈME

Dans l’espace du poème
le chaos du monde s’ordonne
Une voie se fraie
Une voix se fait entendre
Elle libère l’eau qu’ils ont voulu enchaîner
Elle nomme les villes et les villages
dont ils ont voulu effacer le nom
El Quds Jaffa Nasra Safed
Dans l’espace du poème
les routes de l’exil se croisent
au creux des lits d’harmonie
Dans l’espace du poème
les fils et les filles de Troie
naturellement poètes
naviguent de mot en mot
à la recherche d’une source
dans laquelle délasser
leurs corps et leurs âmes fatigués
Ils ne pourront jeter l’ancre sur l’île
qu’en traversant le temps

 

* * *

 

POUR LES ENFANTS DE PALESTINE

Ils sortent des vases et des bas-reliefs antiques
prennent leur élan et s’élancent
Une douleur lancinante les tient éveillés
au creux de la nuit et lorsqu’il s’assoupissent
ils rêvent d’une vie en pleine lumière
Mais chaque aube apporte
la trahison des promesses
Peut-on conquérir l’Eden par le glaive et le feu ?
Dans la main des enfants
les pierres de la colère disent le refus
Et s’il ne restait aucune pierre
les enfants de Palestine souffleraient
dans leurs mains jusqu’à ce que les vents
du désert se lèvent et emportent l’édifice
construit sur le mépris sanglant

* * *

 

MOI DU PAYS DE LA BEAUTE

(extrait)

Longue patience
A travers les siècles
on contera l’histoire de notre résistance
comment nous nous sommes enchaînés au mât
pour ne pas céder au chant des sirènes
et finir notre vie en nous balançant
tranquille sur le balcon
comment nous avons crevé le silence
jeté sur leurs méfaits
comment nous avons glissé
jusqu’au fonds des fosses océanes
où d’étranges créatures
nous apprirent l’art de la survie
poisson-vipère au corps recouvert
de photophores clignotants
télescope-octopus doté d’une vision
extraordinaire
Leurs enseignements nous aident
à repousser les assauts des Conquérants
voir tête baissée yeux bandés
produire notre propre lumière
devenir maître en prestidigitation
nous servir de nos oreilles comme de nageoires
et nous adapter jusqu’à nous nourrir de pierres
plutôt que de céder
Guidés par le souvenir de lointaines fontaines
et d’aubes tendres
nous cheminons sur les traces des gazelles
et rembobinons le temps pour arriver au lieu de l’origine
Les lumières de l’absence illuminent le chemin
Nous le voudrions nous ne pourrions faire autrement
le destin des vagues n’est-il pas de courir l’une après l’autre vers le rivage ?

 

* * *

SEULEMENT UN HOMME, UNE FEMME QUI MARCHE

pour Tamiki, Isaku, Okini, Eylan et tous les autres ((Inspiré par Il paese dei desideri, Il ricordo di Hiroshima, racconti, Hara Tamiki, préface de Ôe Kenzaburo, prix Nobel de littérature, atmosphère libri, Rome, 2015.

Eylan Kurdi - bambin originaire de Kobani-Syrie - échoué sur le rivage turc à l’été 2015.))

(Traduction des phrases en italien projetée sur écran)
« Sono già arrivati gli aerei. Si vedono. Dalle nuvole proviene il rumore indistinto di un’esplosione. Cerco me stesso. Io c’ero. Ero li in questa casa…
Grido. Davanti a miei occhi, una lucce brilla nel cielo di Hiroshima.
Lente comme si fossa un sogno, la luce si propaga piano, piano…
Adesso, pero, sono le case a crollare piano, piano, una dopo l’altra, alla velocita dei sogni… »

 

 

La catastrophe était survenue
Elle était survenue

Hara Tamiku était là
lorsque « le monde a explosé en mille morceaux
en mille morceaux »

L’éclair n’a duré que le temps d’un battement de cils
un simple battement de cils
Image éternellement prisonnière
d’un instant de lumière

Hara Tamiki s’est levé et a commencé à marcher parmi les décombres
« Camminavo fra le macerie e me dicevo che non fosse io. Ma la parte di me che camminavo fra le macerie proveva di convincermi che fosse io, fosse io ».

« La seule chose qu’il savait encore est qu’il avait vécu au milieu des lamentations de ceux qui imploraient le salut »
Et qu’il voulait vivre « Vivre non pour soi-même, seulement pour les lamentations des morts »

La seule chose qui le faisait tenir debout était ses jambes. Les merveilleuses jambes qui soutiennent les hommes
quand tout s’écroule autour d’eux… Et les lamentations des hommes…

La femme Isaku était là aussi au milieu des gens qui marchaient tous les jours parmi les décombres
Elle s’interroge : « ils auront sans doute semé des empreintes humaines et des prières le long du chemin ? »

Ainsi que la femme Okuni qui perdit le temps d’un éclair de lumière son mari
et sa maison. Sa-maison-seul-lieu-de-retour-possible

« A partir de ce moment, j’ai dû courir à perdre haleine pendant je ne sais combien d’années. Sinon je n’aurais pas pu vivre »

Okuni avait un fils
Elle a oublié qu’elle avait un fils

Okuni marche pieds nus
la rumeur des pas grondant dans les oreilles
la rumeur des pas seule capable
de couvrir les explosions intérieures

Le monde a explosé en mille morceaux
en mille morceaux

Okuni marche sans s’arrêter
pour ne pas céder à l’envie fatale de se coucher
et de s’abandonner au sommeil profond
des entrailles de la terre

Elle n’est plus qu’une femme qui marche
« Non sono piu io, cammino, cammino, solo una che cammina »

Okuni a oublié qu’elle avait un fils
– qui a survécu –
puis elle s’en est souvenue

Sur les routes-et-les fleuves-artères-du-monde
flottent les drapeaux de prière
petits cailloux balisant le chemin
de ceux qui ne sont plus
que des hommes et des femmes
qui marchent

Hommes et femmes
Vivants et morts
Vivants portant leurs morts
qui marchent au-dedans d’eux
Morts réconfortant les vivants

Avec le bourdon
des pas
dans les oreilles

Un pas
Un autre
Un autre pas
Encore
Encore

 

Présentation de l’auteur




Ara Alexandre Shishmanian : 5 poèmes inédits

 

 

Couteaux froids

Je suis un accumulateur d’évanescence –
l’évanescence est pleine de mots
le cœur est plein de couteaux froids – à savoir, de séparations,
tout homme devient une séparation
ne pouvant être, d’emblée, une solitude –
le silence est un hôte de marque dans une cabane de fumée
garnie de perles,
la tête est mystérieuse, le corps – ophidien
telle une route couverte d’écailles
sur lesquelles chuchotent les lèvres des autos

Parfois je cueille dans l’herbe
des morceaux méconnus de lumière :
il faut savoir les voir et leur parler surtout, avec les mains,
sinon, les yeux – ces balles de glace – ne peuvent plus regarder
que par la mort

Personne discerne alors à travers eux,
comme à travers des lunettes,
une sorte de fantôme du Pôle Nord –
autant que nous rêvions, l’être même
n’est que doute transpercé par la fleur,
doute plein de syllabes mais dépourvu de sens,
tel un pubis insatisfait de soi-même,
peut-être justement parce qu’il a su
tout ce qu’il ne pouvait plus celer

 

 

 

 

La tangente invisible

Une tangente invisible entre deux formes du zéro,
pur effrangement des échos de l’odyssée de personne –
une séquence du vent ou peut-être l’anneau sans fin
de tous les chemins,
un point d’interrogation peint sur la toile d’un bateau,
la fontaine des syllabes, le chant où je me perds,
ou encore l’anneau rempli du labyrinthe de la dissipation

« La chanson du crépuscule des sirènes – dit personne –
me recherche au-delà des portes de cire
au-delà des portes d’oubli des paroles,
les autres se perdent dans l’ouïe tels des fantômes,
moi seulement, je grandis en connaissance, relié à l’oubli » –
des pages peut-être trop près du rouge
pour ne pas se confondre avec le sang,
un passeport vers le néant, ou un passe-partout
pour la porte en écaille du silence

Personne pourchasse l’image de la clef
par laquelle la contemplation règne sur le passé,
rien cache les secrets du tout,
l’espoir s’échoue toujours au cœur du mirage,
des pingouins de verre se lavent au crépuscule,
le brouillard est l’ubiquité de la révélation –
noir et jaune est le scaphandre amer des fruits,
le scaphandre rayé de colère,
méconnus sont les mystères des cannibales,
des larmes étranges s’écoulent sur les paris du paradoxe –
je m’endormais parfois le peigne des ondes à la main
en rêvant du lointain,
du lointain que j’atteindrais en me séparant de moi-même,
des anxiétés en si mineur aux cordes de ténèbres

Personne flotte sur la face des eaux avec son aérostat de diamant
pensant l’ascension qui se remplit d’échelles,
la mélancolie est un comptoir sur lequel j’étale
les entrailles fictives de ma solitude

Ô ! c’est moi, bien sûr, c’est moi la tangente invisible
entre les deux formes du zéro,
et tous les autres fantasmes des syllabes,
dons du néant, survivant, peut-être,
dans les cendres

 

 

 

La blessure du trésor

Verre potable en or amer –
toits fanés des maisons pleurant au crépuscule
« la mélancolie seule m’est couronne » – chante
le nostalgique personne dans le lotus du vide,
il portait des paris somptueux, des lambeaux hasardeux
de l’aléatoire

Ô ! qui avait de si nombreuses touches – mais les cordes
étaient inconnues dans le piano d’absence,
quelque part un coin de dentelle
raconte à travers la prophétie des araignées
l’arsenic aérien –
il n’y a plus rien de respirable, et nous n’avons plus droit
qu’à de misérables découpes de suffocation –
le crâne oblong nous rappelle encore,
pareil à une larme de sphinx,
son étrange énigme planante
contemplant sa flottaison insoluble –
on dirait, la clef de neige d’un fantôme,
excitation de glace et tsunami de frissons
au-dessus duquel lévite l’écume des migraines –
j’arrache du mystère les fibres inconnues qui tissent leur illusion
et les donne à ruminer aux paisibles chimères

J’ai parsemé de signes le crépuscule
pour me rappeler la blessure du trésor
et les pas disséminés sur la lune de craie,
l’autre meurt comme un dessin sur un mur,
sa solitude crachée sur l’aboiement idolâtre des chiens,
un fragment de néant brise le hasard des choses,
troue les secondes
avec son silence d’une rondeur parfumée et noire
qui emplit ma bouche d’abîme –
incompréhensible apparaissait, disparaissant, cette anti-étincelle,
sa couleur toxique m’aurait empoisonné – aurait empoisonné
celui qui porte mon nom – si moi, non-moi, personne,
n’étais pas déjà un fragment de néant souriant et inconnu
irisé par le crépuscule, buvant lentement
le verre potable dans l’or amer

 

 

 

Trop d’âme

L’obscurité comme un conte des étoiles
les poètes – simples rayons lunaires,
paroles lissées par la nuit
portées par le subtil souffle du vide –
peut-être, des eaux à la densité des naufrages
peut-être, des ports habités par la vacuité des départs
peut-être, des marins de syllabes portant en eux
les ombres de la mort –
et ces mains aux doigts trop fins pour autre ouvrage
que les agonies de l’hystérie,
des nerfs sortis à l’air libre de leurs fentes ophidiennes –
car les poètes cachent en eux des finesses filées d’infinis trous noirs
et des tissus somptueux respirés par les arbres

issu de l’inconscient hostile, il se rapproche de nous avec des lointains miraculeux
dirige vers nous les regards des joyaux douloureux dont il est fait

du point de vue du mésonge l’ange est un abîme
volant avec les pétales de la rose,
un scaphandre des méconnues étincelant d’immortalité écrasée –
les pas ont parfois quelque chose de la clarté des miroirs
et pourtant souvent le génie halète – parce qu’il mélange trop d’âme
dans son cristal liquide,
parce qu’il confond hélas trop facilement
le moi et le soi,
parce qu’il veut quelque chose de sa solitude altérée –
le sourire supprime l’automne tel un rythme effrayant de l’ordre,
les pas de la mort ensemencent le rivage de gigantesques cierges –
des arbres spectraux veillant le décès des vagues,
étrange colonnade pour les funérailles du ciel,
armes bizarres stylisées par les stores des signes
dans les stocks transparents de l’obscur –
peut-être les résidus d’une écriture invraisemblable
d’avant les Atlantes –
fragments d’un labyrinthe des extraterrestres

le maître catoptrique de la flamme met en scène les shows de la nuit
sacrifie et scarifie encore la spirale qu’il remonte
dévoile sur l’autel de pénombre le fantôme inversé de la victime,
la solitude de la chair et sa cendre froide sous le déluge de lune perdue,
trop attentif à l’anxiété pour discerner encore  la  nitescence du néant

je me promène à travers ce musée de carreaux
trop opaque pour l’image – trop transparent pour l’ombre,
je me promène, en m’efforçant toujours – oh oui, toujours, toujours –
à disparaître

 

 

 

Une soif sans fin

je regarde mes mains telles des pages
les ailes – telles des pétales ensanglantés,
l’abîme a fleuri en moi, l’écorché,
le mésonge m’a embauché aux presses de l’invisible

le silence sort de la mer tel un dieu en coquillages
les vagues pleurent aux gouttes d’écume
flottant sur les joues de l’air
jusqu’à ce que la suspension invente leur néant,
la lune, ancêtre du hurlement –
sur la cime du cielscintillent les scissions –
où est le médicament qui me rassasie de la maladie
où – la miette de pain
qui me rassasie de tous les événements de la faim
trop de blanc dans la contemplation sans fin de l’échec
trop d’ancres dans ces amarrages sans ports
trop d’anges disparaissant au-delà de la digue
tels des flocons labyrinthiques
la neige de trop d’hivers neige ma douleur
les drapeaux de la vieillesse presque squelettiques
s’approchent de leur terme, le livide en broussaille,
les drapeaux de la vieillesse s’approchent de moi
le pâle transpercé du gri des crocs et des griffes,
la disparition avec sa mantille somptueuse – monstrueuse –
d’accidents imprévisibles,et pourtant,
quelque chose nous attend quelque part
entre fantasme et glace méconnue,
dans la pause entre nous-mêmes et l’erreur androgyne
je contemple, comme une espèce en voie de disparition,
ma lointaine naïveté assoiffée
se déversant en bouillonnements de générosité absurde
transpercée telle un Saint Sébastien par la ferveur de la vérité
et la panique étrange de ne pas rater mon martyre
oui, la fièvre du témoignage
déceptions contondantes à répétition,
le froid infini du mépris – du mépris transcendant –
c’est la conclusion inévitable de la dernière lettre qui vous est adressée,
cicatrice écrite des syllabes
habitées par le sourire exterminateur
et la soif, oui, la soif sans fin
des méconnues

Présentation de l’auteur




Claude Luezior, Buveur de rosée (extraits)

 Fureur

crinière à contre vent
tête rauque
pour rut sans fioriture
rimes bramant leurs apogées
verbe haut
et bois de velours
aux moments sauvages
de l’éphémère

un poète

***

À marée haute

se torsadent
en elle
ces préludes
qu’un instinct
de succube
n’ose
assouvir

se prélasse
la lagune
subtile
qui scande
marées
et coquillages
humides

s’émeuvent
des doigts
tissant déjà
leurs errances
aux lices
d’un torse
en émoi

s’entremêlent
aux rayons
d’un désir
les algues
d’une sirène
qu’une langueur
éveille

se dévoile
une géométrie
de courbes
polies
à seule fin
d’une rectiligne
ferveur

s’entrouvrent
des lèvres
quand luisent
embruns
et rosées
qu’une soif
empourpre

se déploie
infiniment
la peau dorée
de hanches
vaincues
aux sables
des caresses

s’affûtent
ses ongles
prédateurs
aux nervures
d’un roseau
qu’une pénombre
érige

s’égarent
les reflets
de sa toison
qu’un rayon
découvre
en intime
innocence

s’érigent
aux écumes
du destin
les ressacs
pour assauts
que nul
n’imagine

s’épuisent
râles
et spasmes
de très hautes
marées
quand chavirent
les âmes

***

Chronos

l’antiquaire
polit
ses vieilleries
en jachère

une pendule
toussote
des heures apprivoisées

son balancier studieux
méthodiquement
hoche la tête

heures
avant celles
des électrons

***

Dépendances

jusqu’à la lie
je m’abreuve
de l’extrême
poison
rongeant
ce calame
que je n’ai choisi
ni par Dieu
ni par Diable

encre
indélébile
noire de mots
qui désormais
habite mes fibres
et qui ronge
et dévore
ma cervelle
à petite cendre

cigüe
pour philosophe
castré
et scribe
à la dérive
quand les mots
battent la chamade

éther
du verbe
que j’inhale
telle une drogue
acidulée
que distillent
druides et chamans
jusqu’au souffle
d’une pensée
dernière

ivresse
au matin
des silhouettes
où se condense
la sentence
et se résument
les affres
d’angoisses
à la débandade

syntaxe
trop visqueuse
qui s’agglutine
dans le pertuis
d’une plume
rêvant encore
à son nid
d’oiselle

jusqu’à plus soif
j’exorcise
l’encrier
où l’on signe
l’arrêt de mort
du poème

°°°

un extrait de Fragments :

CAMAÏEU

me dépasser
en combats
jubilatoires
écorcher
mon destin
clouer mes mains
en un sanglant
sacrifice

pas de bataille
ni de lance
pas de flèche vive
de cuirasse
ni de créneaux
mais l’impavide
masque
d’un silence

marcher
sans Golgotha
crier sans échos
dire en pure perte
ces paroles
sans adresse
à des vents
analphabètes

entrent
en résonnance
l’inutile squelette
et les strates
monochromes
de rochers
et de failles
anémiées

malgré tout
une voie lactée
où tètent là-bas
quelques lunes
oasis de lueurs
où s’abreuvent
des rêves
archaïques

 

Présentation de l’auteur




Sandra Lillo, Escale sur le bord de mes paupières

(extraits)

Escale sur le bord de mes paupières;
Les rêves disparaissent,
Mangés par l'obscurité des années
Qui sont passées,
Qu'un autre semble avoir tissé
Avec mes mains, ma voix, mon manteau,
Mes armes et ma lâcheté.

Regarder tomber des averses de pluie
A travers le champs des souvenirs,
Entendre l'enfant qui boit à toutes les saveurs
Qui s'endort sur une dernier rêve de vent,
La joue contre sa paume,
C'était moi.
Je n'aime plus le vent
Qui bouscule dans un grand fracas
Ma mémoire
Et mes jambes qui flageolent
Celles- là même qui ont dansé
Et serré convulsivement
Les hanches des hommes
Et mon cœur qui s'affole
Qui a aimé dans toute sa pureté
Et ma bouche qui se ferme dans une dureté amère
Qui a embrassé rit et pleuré, sans regrets.

Le grand destin courait déjà,
Ivre de sa puissance derrière sa proie,
Écrasant tous les refuges de l'enfance.
Il a bondit dans un dernier élan, sûr de son dû,
De sa victime consentante,
Décidant la mort naturelle dans ses obscures raisons.
Seule, l'âme s'est élevée,
A révélé l'erreur;
Il n'ait d'autre joie
Que celle de vivre et vieillir
Jusqu'aux dernières portes
Dans un dernier salut.

 

 

 

 

 

Établir ses comptes
Sur une férule de papier,
Se découvrir vieux
Avec des rides, des plis,
Des amours maudits.
Embrasser la terre
Pour le vin qu'elle a fournit;
Dans ses beaux jours,
Sa couleur acajou,
Dans sa douleur lancinante,
Les formes lascives de sa robe.

Après la parole, après la nuit,
Remonter à la ligne,
La ligne plate de l'horizon;
La lumière joue, s'invente
S'avance comme on l'attend,
Tapissée d'ombre,
Agitée de somnolence et d'éveil.

 

 

 

 

 

Il faudra toujours rentrer;
vérifier le courrier,
retrouver les meubles et leurs bibelots,
leur air fanfaron sur l'étagère,
leur doigt aigri, accusateur
sur la pellicule molle de leur poussière.

Il faudra toujours rentrer;
taire les envies de s'échapper
pour aller au devant des blas- blas du monde,
laisser ses pas glisser sur l'asphalte,
(enrubanné de ses costumes d'apparat),
qui rappelle les gris brefs de l'enfance
et ces belles soirées qui avaient l'éclat blanc
de la liberté, (jouir de l'éphémère,
fier, émancipé d'une famille toujours plus meurtrie).

Il faudra toujours rentrer;
rencontrer quelqu'un que l'on croyait perdu
qui a capturé notre visage, notre figure,
quelqu'un qui nous attend pesant
sur la dernière marche de l'escalier,
qui attend la clef dans la serrure,
le geste lent pour ouvrir les volets,
qui se souvient de chaque porte, de chaque entrée,
de chaque palier rayé d'une unique identité
(les cris qu'elles ont caché,
la peine qu'elles ont dissimulé)
et les espoirs étouffés une fois le seuil dépassé.

Avant de rentrer, j'aimais la solitude.

 

 

 

 

 

Tout quitter,
Contempler d'ailleurs
Ses anciens espoirs.

Prendre soin de la tristesse,
S' assoupir sur les rives d'un autre territoire.

Déposer dans un encensoir, avant le départ,
Les majuscules d'un drame qui s'est joué
Entre les bornes, d'une vie illusoire.

Dire au revoir à ces voix fatiguées
Qui ne font que répéter
Les mois fragiles qui se sont envolés
(Sur les berges marines du printemps,
On ne faisait qu'avoir vingt ans).

Le soir dépose son manteau
De plus en plus tôt
Et le réveil vient livré dans la douleur.

S'en aller,
Remorquer à la force du corps
Le désenchantement posé
Dans un coffre de bois noble.

 

 

 

 

 

L'horloge de midi fredonne
Les sanglots d'un violon
Qu'un homme laisse s'étirer,
Frôler les toits pentus du quartier
Quand vient l'heure, morose,
Ou déraciné, on quémande
Comme un petit enfant, un signe
(une particule de poussière
volant sur les ailes du soleil,
le nom d'un amant retrouvé
sur un papier couturé).
Un geste qui éloignerait pour un temps,
La solitude qui attend,
Tassée dans un recoin du grenier,
L'heure de descendre l'escalier,
Boitillant ses regrets;
Qui vient, sans taffetas ni vernis
S'installe à table,
Dans la chambre à coucher,
A l'heure, ou le repos est enfin permit.

 

Présentation de l’auteur