Traversées, numéro 97

“La littérature est universelle », comme indique Patrice Breno « en guise d'éditorial » du 97e numéro de la revue Traversées. Il ajoute que « un écrivain puise sa culture dans le monde et pas seulement dans son seul milieu, dans son seul pays”. Les nombreux/ses auteur/es présent/es s'inscrivent bien dans la ligne éditoriale de la publication belge, à l'instar de Antoon Van den Braembussche, dont les textes originaux en néerlandais sont traduits en français et insistent sur le travail de mémoire

Ne fais pas mémoire de moi,

Fais plutôt mémoire de la mémoire. 

Traversées, n.97, 2021-I,148 p. 15 euros

On peut lire aussi en version originale et en français des textes de l'auteur nord-américain Peter Gizzi, l'un des principaux représentants de la poésie narrative outre-Atlantique. On découvre une écriture humaine qui se pose des questions sur ce que doit être la tâche du poète :

 Les bons poètes défient les choses

avec leur cœur. 

On retrouve cet aspect narratif dans le poème Un malheur, de William Cliff, alors que les aspects d'humanité et engagement envers les autres sont présents aussi dans le poème Plans de coupe à l'horizontale, de Nadine Travacca, qui se déroule dans la banlieue de Ramallah en Palestine. De même, Carmen Pennarun nous rappelle que « l'oubli de l'autre au cœur des chaumières brûle assez de feu pour cuire le pain du quotidien ».

Dans ce mélange d'universalisme et de mémoire, il est question de trois artistes disparus : Claude Vancour rend hommage au chanteur berbère Idir dans le poème Transmed alors que Paul Mathieu écrit un très beau texte en mémoire de l'écrivain chilien Luis Sepúlveda, Un bateau s'en va. Paul Mathieu retrace à son tour la vie et l’œuvre de Francis Chenot, pour qui « écrire est d'abord cri ».

La pandémie s'érige bien évidemment en protagoniste de nombreux textes, puisque on vit une Saison close Orianne Papin nous communique son désarroi. François Teyssandier se demande aussi comment Retenir le temps qui vient, où il est question d'une mémoire qui

 n'amasse pas que des souvenirs

Elle retiendra aussi les futurs éclats du temps 

Arnoldo Feuer nous dit pour sa part, très clairement, que

Un temps

de bornes

s'est levé .

Cette nouvelle donne dans les rapports au monde débouche dans des regards inquiets et sensibles sur la vie et le temps, comme celui de Laurence Werner David,

Vos grands yeux d'ombres

Sont si redoutables quand, la nuit,

Ils naviguent au bord du bocage des têtes 

Pour esquisser une réponse face au mal être, Timoteo Sergoï pense qu'il est nécessaire de repousser les murs : c'est ainsi que « Nous découvrirons la montagne et ses couronnes de brouillard ». Béatrice Pailler ou Marie-Claire Mazeillé cherchent de leur côté à porter un regard qui puisse dépasser l'immédiat et rompre les digues pour atteindre des nouveaux chants (Pailler) sans oublier que « l'horizon est plus vaste que la mer » (Mazeillé). Pour sa part, Aline Recoura tente de réinventer le réel en affirmant

Hier j'ai fait un bouquet

avec les fleurs que je n'ai pas .

Quant à elle, Martine Rouhart semble aussi chercher un refuge, mais cette fois

à l'intérieur de ce jardin

qui s'éveille

dans une inspiration

de poète

aux battements

du jour ,

alors que Frédéric Chef nous transporte sur l’île Callot, près de Carantec, où la nature est le personnage central de sa réflexion, bercée par la lecture de Pierre Loti

Les auteur/es esayent donc de rêver d'un monde nouveau, où le questionnement sur l'existence et sur notre rôle dans la société actuelle semble s'inscrire dans le contexte historique trouble que nous vivons : Adriaste Saurois affirme dans Génération que nous sommes

la génération vaine

désabusée, déjà usée

par l'arc-en-ciel du kérosène .

Dans cette recherche d'un autre monde, Jeanne Champel-Grenier joue avec les mots et tente de créer une nouvelle langue dans le poème À enfant neuf langue neuve, et Patrice Blanc nous explique qu'il faut

 creuser l'histoire de notre corps

ce en quoi l'on croit

en nos rêveuses vies .

Cette idée rejoint un poème plein d'espoir d’Yves Patrick Augustin qui insiste sur le fait que le temps n'est jamais stérile.

Une autre réponse face à l'immobilisme auquel nous sommes contraints est la présence de l'autre, comme le suggère depuis les États-Unis Stella Radulescu, qui « détruit les légendes » pour expliquer ensuite que

 on est deux dans le miroir des heures

et l'herbe pousse

à côté

printemps 

Une présence qui peut s'ériger en rempart contre l'oubli quand il s'agit d'évoquer les êtres chers, comme le fait Denis Emorine, tout en étant conscient que les mots peuvent nous trahir. On peut également créer un monde onirique et personnel, comme Hicham Dahibi, qui évoque aussi ce « printemps dont on ne peut profiter ».

Certains textes en prose, comme les deux nouvelles de Pierre Krieg, ont en toile de fond des lectures de Nietzsche ou de Kerouac pour insister sur « le sentiment cruel de l'insignifiance de mon existence ». Quant à André Doms, ses Topiques apportent une réflexion historique et sociologique sur les valeurs de notre civilisation. Chantal Couliou, elle, propose une nouvelle à partir d'un fait divers qui dévoile le désespoir d'une mère. Pour finir, Philippe Barma écrit cinq courts textes évocateurs intitulés Barzy ou les Évangiles de la Thiérache.

En somme, les presque 150 pages du numéro 97 de Traversées nous proposent des textes globalement inspirés par l'actualité qui atteignent l'objectif proposé par Patrice Breno : ne pas se limiter « à nos frontières artificielles » et bâtir ainsi des moments de partage autour d'une publication qui fait preuve d'une sensibilité accessible et plus pertinente que jamais.




Le Japon des Chroniques du çà et là n°18

Philippe Barrot met le cap vers le Japon pour ce dix-hitième numéro des Chroniques du çà et là. Un volume illustré par les photographies d’Anne Uemura, qui propose « une immersion dans une culture toujours proche de ses traditions ancestrales ».

Effectivement, l'article liminaire du numéro signé Edouard L'Hérisson propose un focus sur le rôle des itako, intermédiaires qui permettent d'entrer en contact avec le monde invisible. Puis suit une entretien avec Corinne Atlan, traductrice et auteure de plusieurs ouvrages et romans sur le Japon. Il y est question de roman japonais, et de l'évolution de celui-ci, panorama historique qui part du roman traditionnel et considère les métamorphoses qui l'ont mené vers la modernité, et vers ce qu'il est devenu aujourd'hui, à travers une approche d'auteurs contemporains, comme Murakami ou Ogawa.

C'est encore vers une analyse qui sous-tend la modernité littéraire japonaise, dont les structures semblent impossible à départir de ce socle ancestral, que nous convie la suite de ce numéro : une note sur l'esthétique japonaise, une analyse du roman policier "Les (r)évolutions de la Littérature criminelle japonaise", de Gérard Peloux, un regard sensible sur la ville d'Ozu, Onomichi, évoquée par Philippe Barrot, un pèlerinage à Kamakura, une séquence sur les sumos de Luc Drian avec de très belles photographies d'YMB, une histoire du manga signée Thomas Maksymowicz...

Chroniques du çà et là n°18, revue trimestrielle, PhB éditions, 2021 143 pages, 14€.

Ces articles consacrés à la thématique du n°18 des Chroniques du çà et là sont accompagnés de deux notes de lecture, une de Philippe Thireau sur le poème de Marilyne Bertoncini La Noyée d'Onagawa, l'autre signée par Makiko Tsuchiya-Matalon qui évoque le poème en prose d'Hishimure Mishiko écrit après la catastrophe du 11 mars. Ces deux poèmes interrogent l'écriture aussi, et cette question qui jalonne toute la littérature, comment écrire l'impossible.

Ce numéro très riche, mène vers la compréhension de cette société japonaise  qui n'a pas renoncé à ses mythes, à ses croyances et à ses traditions, tout entiers perceptibles dans une modernité littéraire qui s'est édifiée sur ce socle ancestral. 




L’Intranquille 19, revue de littérature

J’aime le titre de cette revue  L’Intranquille. Il se peut  que l’adjectif, mué en substantif, illustre l’état le plus évident de mon esprit souvent en mouvement, parfois hagard, parfois heureux, parfois … parfois !

Comment  cette revue de littérature inscrit-elle dans ses pages l’absence de calme, la pénurie d’immobilité, le refus d’être un roc figé, bref  l’angoisse ou  l’inquiétude positivée dans l’écriture ? 

Des transformations naissent d’abord au niveau de l’oreille. L’écrivain Patrick Quillier, traducteur de Pessoa, valorise cette intranquillité comme moteur indispensable de la création. Il évoque sa propre « écoute sensible » à l’autre. Il en a tiré les «  voix éclatées »,  tragédie  d’un village en guerre qui est mué en véritable épopée du monde. Son attrait pour la musique dérive de sa « curiosité infatigable » pour les voix et les langues étrangères.  L’intérêt porté à leur sonorité est tel qu’il est même prêt à s’intéresser aux novlangues administratives ! 

L’intranquille 19, revue de
littérature, octobre 2020, 84
pages, 18€

Des mutations s’inscrivent dans l’histoire des traductions. Nathalie Barrié explore deux traductions de Joyce. La fluctuation entre les travaux de Morel et de Valéry Larbaud révèle en quelque sorte deux Joyce, dont l’un est plus moderne et plus vivifiant que l’autre. La seconde traduction semble plus conforme que la première  aux distorsions joyciennes de la langue anglaise. Ainsi celui qui pense être allé « au bout de l’anglais », invite de ce fait  traducteurs et commentateurs à aller au bout de la traduction.

Des approches différentes  d’un bestiaire explorent la « révolution animale ». Elles peuvent signifier une transformation de l’intérieur.  Ainsi l’éclosion selon Adeline Baldacchino concerne  « toute chair qui s’apprête à se quitter elle-même pour donner naissance / à l’autre qui ne sera pas le même ». Elle est une « éternelle parturiente », un « bel animal a caresses à mémoire à parole, ébauche en tout d’une imparable perfection ».

De telles transmutations conduisent à un processus de métamorphose, cette naissance à soi si chère  à Victor Hugo : elle fait « sortir des mots au moyen des mots : arracher le poulpe de son rocher, extraire le nautile de sa coquille, le poète de son milieu ».  Ainsi Marie-Claude San Juan, développe au fond d’elle-même son être animal : «  j’ai été escargot, j’ai eu l’âme de tortue, j’ai croisé un chat-guérisseur serpent ». A sa façon, Céline de-Saër esquisse le chemin de  la chrysalide « qui file le cocon, le transforme en caverne » Elle « tisse un mot après l’autre entre les silences qui gouttent à goutte ». Elle entend « le passage d’oiseaux et de mots migrateurs » en un murmure. Résultat de cet assemblage et de ces migrations l’invention de   mot-valise1, le « colicabri ».  Ce mot-valise est obtenu par le processus de condensation de deux termes. Dans le même élan, Albane Gellé  invoque  la baleine - muée en thérapeute -  dont le chant « vibresoigne ».

Des modifications de signification surgissent pour preuve de mouvement et d’intranquillité d’esprit de l’auteur. Cédric Lerible met en  jeu les proximités sonores en détournant leur sens : « On prouve par des pieuvres. On juge sans pieuvres ». Il influence les mots pour leur attribuer un nouveau sens : « avoir le vent en poulpe, se coucher avec les poulpes, bouche en cul de poulpe » .…Il préfère le « cri du poulpe qui s’entend à la fois comme foule et peuple, son silence inquiétant et sous-jacent : sa vox polypi ». Selon le même mouvement ludique, Anne Recoura invente un jeu entre les mots et les bêtes : « le morse vache marine/mord les hommes. « En des temps loufoques », on imite le cri du phoque ! Le « gabian ne tolérera pas/les gabions2  militaires ».  Il trouve pour se nourri « des restes de kebab. 

 Modification parfois liée à une atmosphère parfois baroque, parfois insolite où l’artiste pénètre un autre monde. Il peut être plutôt baroque avec Aldo Qureshi : Les « paupières » du Livre des oiseaux s’écartent. Des flots de plumes s’en échappent et prolifèrent : de perroquet, de toucan, de barbican, de calao, de gobe-mouches, de souimanga.  Il peut inviter à un monde insolite avec Yekta qui rencontre un « Homme qui pèche dans les vents», découvre des « chiens portés par les brouillards », « des âmes qui aboient », «  un ossuaire caché des oiseaux tristes » et « une araignée suçant les soleils /piégés dans la toile », et « des loups blancs comme l’horizon ». Tel est son bel univers de « prières épuisées».

Notes

(1) Freud, Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient.
(2) Gabion, cage recouverte de grillage.




La revue Mot à Maux

Daniel Brochard convoque, pour sa 15e livraison, sept auteurs et non des moindres. Y figurent ainsi Jean Chatard, poète chevronné, l'excellent Cathalo, et de nouvelles voix.

Quarante-huit pages de beaux poèmes très divers.

À son habitude, le poète Georges Cathalo consigne dans un long poème, réparti en quatrains, la « peur » contemporaine, saisissante, incontrôlée, incontrôlable.

Ils ont peur de la jeunesse
de la vitesse et des couleurs
de ce qui s'élance et sourit
au-delà des mondes que l'on s'invente

 

Revue Mot à maux, n°15, décembre 2020, 4 euros.

Avec son acuité foncière et une dose d'humour, il joue à « qu'est-ce que la poésie ? » et « qui suis-je ? » Plus lyrique, Chatard raconte entre « effroi » et « coursives du ciel » l'approche de la mort et l' « émoi » qui va avec.

 

On ouvrira les tombes et le grain sera lourd devant
l'outil hospitalier devant la main frileuse
qui repeint la clarté

 

Eric Chassefière, en un très long poème de dix pages, dévide une chronique du « vent », entre caresse, souffle, « qui touche à peine », « ce vent-là tout près des mots » ou « page de la mer gonflée de vent ».  Beaucoup de souffle, d'intense créativité.

Un pessimisme assez aigu traverse les poèmes de Victor Malzac, qui « attend que les jours passent ».

Alexandra Bouge rend à la mère un hommage contenu, tentant de préserver dans les mots « l'esprit de ma mère bâti dans ce qui m'entoure ».

La revue s'honore encore des textes  de Lise Debelroute et Daniel Hartmann. Revue à suivre, bien sûr.




Revue La Page Blanche : entretien avec Pierre Lamarque

Denis Heudré nous présente la revue La Page blanche, à travers les propos de son créateur Pierre Lamarque, qui explique quelles sont ses motivations et ses objectifs. 

Comment La Page Blanche est-elle née ?
La revue La Page Blanche est née en 2000 par le hasard d'une rencontre entre mon ami roumain Constantin Pricop et moi sur le site de l’ambassade de France au Canada. L’ambassade offrait en 1998, au commencement de l’internet, un espace dédiée à la poésie sur son site, un lieu de rencontre entre poètes francophones qui y publiaient des textes, lieu tenu par un jeune poète français qui faisait là son service militaire, un soldat de la vie. Constantin Pricop et moi avons le même âge, nous sommes nés en 1949, j’exerçais le métier de médecin généraliste dans un quartier nommé La page blanche à Mérignac-Arlac près de Bordeaux. Pricop était un écrivain, dont le livre « La marge et le centre » était en devanture de librairies roumaines, un critique et revuiste professionnel, devenu professeur de lettres à la faculté de Iasi. Un professeur de français pour moi.

Quelle est sa ligne éditoriale, ou plutôt sa personnalité, les traits de son caractère ?
La ligne éditoriale part du constat que désormais tout le monde peut publier ses écrits grâce à internet. Notre revue fonctionne comme un filtre.
LPB est fondée sur la gratuité et le don, elle est articulée entre création, critique, traduction et poètes ‘du monde’…c’est sa personnalité, son caractère.
La revue est structurée en rubriques, dans l’ordre on trouve les rubriques suivantes :

La page blanche n°52, lapageblanche.com.

« Simple poème » en général un texte sélectionné, « éditorial », un billet, ou point de vue du rédacteur en chef – dans les derniers numéros cette rubrique n’est plus présente car le rédacteur en chef, Constantin Pricop a entrepris à la place de publier dans la revue la traduction en feuilleton de son roman La nouvelle éducation sentimentale, « Poète de service », un ou plusieurs poètes de service par numéro avec pour chacun la publication d’une dizaine de textes, « Moment critique », un article de critique littéraire ou culturelle, « Bureau de traduction », où sont présentées des traductions, « Séquences », où sont présentés des suites organisées de textes d’un ou plusieurs auteurs, « Poètes du monde », où sont présentés des textes d’auteurs publiés, connus et reconnus, et pour finir « E-poésies », où sont présentés des textes isolés de différents auteurs participant à la revue.

 

La page blanche n°54, lapageblanche.com.

A quel tirage et comment est-elle diffusée ? 
Notre revue sur papier n’est pas diffusée en librairie, par paresse. Chaque numéro est imprimé à 30 exemplaires, ces exemplaires sont offerts par la revue LPB aux poètes invités dans le numéro. Cette économie autarcique permet à la revue de survivre sur le papier depuis vingt ans. C’est l’internet qui nous permet de vivre depuis vingt ans. Pour moi, les valeurs d'internet ont ceci de supérieur aux valeurs de l’imprimerie qu’elles sont la mise en pratique de la gratuité et l’exercice concret de l'oblativité intellectuelle. L’ère et l’aire de l’internet est l’aire et l'ère de la communication.
En vingt ans, comment a évolué La Page Blanche ?
Des hauts et des bas, des calmes plats et des tempêtes, des gains et des pertes, la vie… assez vite nous avons trouvé notre rythme naturel de croisière, moins de numéros, des textes, …
Parlez-moi de votre rubrique Le Dépôt
Le Dépôt est un endroit qui rassemble les quatre articles essentiels de la revue LPB, création, critique, traductions, poètes du monde, et où se retrouvent des poètes qui font vivre la revue. Notre maître de toile, Mickaël Lapouge a réalisé un ajout au site LPB qui me permet d’administrer le Dépôt.
Votre travail d’éditeur de cette revue doit vous prendre du temps sur vos travaux d’écriture, le regrettez-vous ?
Je protège mon temps : le temps le plus important, peu importe sa durée, c’est le temps de la lecture. Mon travail d'éditeur fait partie de mon travail d’écrivain, j'y trouve inspiration, j’y fais mon marché…
Quel(s) auteur(s) rêveriez-vous de publier dans votre revue ?
Michel Butor, mais il est mort et on l’a déjà publié de son vivant dans le numéro 20. 
Quels ont été les impacts de la crise covid sur votre revue et ses lecteurs ?
Je ne regarde les statistiques de visiteurs lecteurs qu’une fois quand j’y pense tous les vingt ans. Récemment j’ai vu qu’il y avait eu 25000 visites en un an. Pour notre part nous n’avons pour le moment personne de touché par cette maladie à ma connaissance. Comme tout le monde nous espérons passer entre les gouttelettes…
Quels sont vos projets pour les prochains mois ?
Continuer le mouvement, aller aux avant-postes comme des braves.
Quel regard portez-vous sur l’évolution depuis vingt ans de la poésie française ?
On lit un livre, on en lit un autre, on découvre. On ne sait pas quoi retenir du temps qui passe, du style qui dépasse, mais heureusement, en poésie le temps ne passe pas vraiment.
Dans le n° 55 qui paraît bientôt, on ne sait jamais exactement quand - car cela dépend de l’emploi du temps de maître toile, on trouvera un peu tous les styles, aujourd'hui il n’ y a pas grand mouvement dans les astres, c’est ça le post-moderne, il n’ y a que des directions dans tous les sens, dont les oulipiens… mon français personnel, minimaliste, a bien changé en vingt ans..
Et de la poésie du monde ?
Nous recevons des poètes de différentes points du globe et notre microscope nous montre une vie fourmillante et tourbillonnante, difficile de ne pas tomber amoureux de notre microscope qui lit et écrit  !
Selon vous la e-poésie est-elle l’avenir de la poésie ?
Oui, sauf exceptions.
Que peut-on vous souhaiter pour les vingt ans à venir ?
De rester en vie ! Je songe à plus tard dès maintenant. Je cherche depuis quelque temps à savoir comment s’y prendre pour que LPB continue de vivre après ses trois fondateurs, Mickaël Lapouge, Constantin Pricop et moi.




Florilège, revue trimestrielle, n°174

Recevoir en bloc un florilège de Florilège peut surprendre : 5 numéros d’un seul coup, une année de cette revue à découvrir. Un tel privilège permet d’en saisir la logique et la continuité, tout en limitant les effets de hasard.

Avec sa couverture brillante et épaisse en quadri et son look à l’ancienne, chaque exemplaire est en quelque sorte protégé par une citation, laquelle instaure une certaine communication. Cette dernière évoque les liens entre les arts ou les êtres,  le contenu d’un art ou l’âme d’un artiste : tantôt Léonard de Vinci (« La peinture est une poésie qui se voit au lieu de se sentir et la poésie est une peinture qui se sent au lieu de se voir »), tantôt Matisse (« Un ton seul n’est qu’un couleur, deux tons c’est un accord, c’est la vie »), tantôt Baudelaire (« Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie »), tantôt le psychanalyste jungien Guy Corneau  (« Lorsque nous mettons des mots sur les mots, les dits maux deviennent des mots dits et cessent d’être maudits »). A la une, un tableau contemporain marque sa quête trimestrielle : un remarquable trompe-l’œil-rébus de Bruno Logan illustre ainsi des « romans terrifiants à tomber dans les pommes » dont Bram Stoker, Lovecraft, Allan Poe, Shelley.

Florilège, revue trimestrielle de création littéraire et artistique, 56 pages, du n° 174 (mars 2019) au 178 (mars 2020), 10€

Chaque numéro conjugue les forces des « poètes de l’amitié » et des « poètes sans frontières » sous l’égide de deux auteurs-compositeurs-interprètes puissamment engagés (Jean Ferrat et Charles Dumont). Il montre que l’association participe systématiquement à des lectures dans les Ehpad et les maisons associatives ou à divers hommages à ses mentors. Une large part de la revue est réservée aux « créations » (une vingtaine de pages) avec un attrait spécifique pour les sonnets et les vers alexandrins et avec une ouverture discrète à la prose. Une poésie qui se veut un « subtil mélange d’un être qui sent, qui souffre, qui jouit, qui est vivant et qui veut dépasser ses propres ombres au nom d’une Lumière supérieure, celle du grand art », selon Michel Lagrange (n°177). Elle nous rend « plus ouverts au monde » (néanmoins sans nous apporter le bonheur).

On sent de part en part le plaisir de chacun à se promener dans le jardin des mots. Une dominante générale lui donne une tonalité particulière où la simplicité se mêle au bon cœur. Quelle raison d’être du poème ?  Maurice Amstatt évoque la retraite, Gérard Mottet sa terre natale, Stephen Blanchard l’amitié… « L’écriture ne sert qu’à dompter la peur », affirme Adeline Baldacchino. Parfois le poète surprend par son goût de l’homonyme (même orthographe et/ou prononciation) « J’ai / Dit Gérard / un geai rare / Couleur / Jais », précise Jean Faux (n°175) qui, dans un autre poème, évoque « L’apprenti maçon / Qui taloche une cloison / S’est pris une taloche / Par son père décrépit / Qui décrépit un mur ».  Quant à Claude Dussert, il loue Baudelaire avec des acrostiches ou s’amuse à imaginer l’avenir de la poésie (très posthume!) après l’intervention de …l’intelligence artificielle.

Pas de frontières pour les poètes. Ainsi on découvre les poètes tzantiques d’Equateur (dérivé de tzantza, tête réduite des Jivaros) qui rejettent radicalement « les valeurs bourgeoises dès 1962 (n° 178). Le très beau poème d’Euler Granda révèle cette créativité d’Amérique du Sud : « Ici Equateur / blessure de la terre, / os pelé / par le vent et les  /… Ici / la faim / Indiens battus à coups de pied comme des bêtes». Ainsi la revue participe à la Journée internationale des droits de l’homme. Dominique Simonet rappelle l’histoire de la photo d’Aylan, cet enfant noyé au bord de la mer Egée : « Aylan semblait dormir, allongé sur la plage / Bercé par une vague au sommeil de la mort ! »  Cet enfant syrien exprime à lui seul le destin de tous les migrants, ces « malchanceux perdus, cueillis en fleur de l’âge (…) Tous ont vu leur songe, au-delà de la mer : / Bonheur, richesse et paix dans les flots d’espérance. » (n°178). A côté, une photo du « tapis » exposé à Dijon  qui mentionne les noms des 17 306 personnes noyées en Méditerranée en tentant leur migration vers l’Europe. Rêve romantique des gitans de Jean-Claude Fournier: « Danse pour moi, fille de braise,/ Corps captivant, corps enjôleur,/ Joue-toi des flammes tout à son aise/ Mais ne joue pas avec mon cœur ! » (n° 177).

Il se peut que la revue cherche l’universel dans les cœurs poétiques. Un poème de Victor Hugo, qui chante les « millions d’étoiles » de la Voie Lactée (extrait de Abîme, n° 176), illustre bien la profusion de cette quête de Florilège. Pour preuve, la revue rend hommage aussi paisiblement à Saint John Perse qu’à Maxime du Camp ou à Renée Vivien.




Revue Phœnix n°34

Une revue trimestrielle qui commence par un très bel édito du directeur de la publication Karim De Broucker, suivi par le focus sur un auteur, pour ce numéro 34 il s’agit de Marie Cosnay…

Un entretien précède un nombre impressionnant d’articles et  de textes critiques signés par des spécialistes, ou des auteurs, des autrices, des ami(e) de la poète. Une approche pluridisciplinaire, et riche, qui permet de faire découvrir l’œuvre de l’artiste élu(e), sans empiéter sur la découverte de son univers et de ses productions.

D’autres rubriques supportent le sommaire de cette revue : « Partage de voix », « Voix d’ailleurs », « Mémoire », « Sporades »,  « Arts », et « Grapillage/lectures » …  Ces rubriques laissent une large place au poème, tant il est vrai que « Partage de voix » constitue les deux tiers du volume. Aux côtés de Jacques Lucchesi et d’Ada Mondes, quel plaisir de retrouver Claire Légat, qui se fait bien trop rare !

Revue Phœnix n°34, Cahiers littéraires internationaux.

Le nom des autres rubriques signale clairement le souci d’ouvrir les horizons et les approches. Il s’agit de créer des ponts entre les langues, les pays, les poètes, en proposant des publications bilingues. Pour ce numéro Daniel Beghè, poète italien traduit par Marilyne Bertoncini, et Franck Merger qui nous offre  un aperçu de la poésie iranienne. Ces rubriques permettent également aux lecteurs de croiser des noms parfois peu aperçus, voire pas du tout. Les Grapillage/lectures  permettent de clore le volume sur des critiques de recueils à découvrir. Divers points de vue se succèdent, des lectures signées notamment  Marie-Christine Masset, Marilyne Bertoncini ou bien encore Philippe Leuckx...

Une revue qui compte donc dans ce paysage francophone, parmi celles qui portent la parole poétique en cette période où elle est si malmenée par le contexte sanitaire. Une passerelle comme en évoque si magnifiquement Claire Légat dans ces pages :

Hors-piste

Il m’incombe de rester 
passerelle
crédible
vers 
l’incréé

 

Et pour aller plus avant dans cette démarche, l’équipe a pu organiser avec EntreRevues sa première vidéo élaborée à partir de ce beau numéro 34, en attendant celle du 28 date du Jeudi des Mots qui sera diffusé sur YouTube,  et mettra André Ughetto, fondateur de la revue, à l'honneur.

 

 

Soirée Phœnix, organisée par EntreRevues, "Marie Cosnay & Co". La revue Phœnix vous propose une rencontre autour de l’autrice invitée de son dernier numéro, Marie Cosnay, ainsi que d’autres contributeurs du n° 34. Une conversation avec Marie Cosnay, Warren Motte, Jane Sautière, Bernabé Wesley, Daniele Beghè & Marilyne Bertoncini .




Gustave : de fanzine à mensuel gratuit et toujours en ligne

Gustave, qui fut créé comme un  hebdomadaire de poésie (j'ai conservé avec plaisir le numéro 99 abondamment illustré) se présente désormais comme "le premier mensuel gratuit de poésie qui se lit et qui s'écoute" et sort en janvier 2021, sous la houlette de Stéphane Bataillon, son numéro 106. 

C'est en effet un format bref – 4 pages téléchargeables – auquel est associée une radio qui, pour janvier,  présente quatre poèmes audio de Zoé Besmond de Senneville, "modèle d'art, comédienne et poète". 

 Les anciens numéros sont téléchargeables à partir du numéro 42 (anvier 2015) et permettent de se faire une idée de la ligne éditoriale résolument moderne de la revue, alors sous-titrée "fanzine indestructible" : ce que sa longévité tendrait à prouver. 

L'édito du dernier numéro donne quelques informations sur la philosophie du projet entièrement réalisé avec des ressources informatiques libres et opensource, dans le prolongement de leur philosophie, celle d'  

offrir, à tous, sans conditions, une poésie résistante aux algorithmes. Gustave se pare également d'un nouveau slogan et retrouve sa pagination d'origine pour réaffirmer la singularité de son projet : la mise en valeur des formes brèves. Ce sont celles que nous voulons défendre dans un monde ultra connecté.  

 Outre la lecture de ce nouveau numéro, je conseille de picorer dans les précédents, via le site, et de voyager dans cette revue fantaisiste qui s'est aussi considérée comme "organe poétique du parti neutre" (n.53),  "le journal qui prend son temps" (n.61 – abondamment coloré)... J'y ai retrouvé un superbe "Numéro des statues-menhir"(n.77) – 4 pages de haikus, le numéro "contre la nuit" autour du recueil de Stéphane Bataillon aux éditions Bruno Doucey, et l'avant-dire du numéro 90 pour conclure, en vous incitant à soutenir cette publication sympathique :  

Pour un fanzine, organe vivant et fragile, chaque nouvelle dizaine est une petite victoire sur l‘éphémère. Une marque de fidélité, de persévérance, de ligne tenue qui permet de continuer à rêver, à créer, à expérimenter, sans cesse mais sans se perdre.  (...)  Un fanzine, demande de la chaleur, de l’amitié et des regards. Nous avons de la chance d’avoir ces ingrédients pour faire ensemble ce quelque chose qui nous fait espérer malgré les catastrophes. 




Vinaigrette, revue moléculaire de photo/poésie

Sandrine Cnudde, qui a conçu, et qui compose et réalise la revue à toutes ses étapes de fabrication (hormis l'appel à un imprimeur professionnel), propose tous les deux mois (soit six fois par an) l'envoi par la poste d'un « pli » timbré au format A4, ingénieusement fermé et élégant comme un origami, recélant le trésor d'un poème imprimé au verso d'un papier semi-mat agréable au toucher, et un tirage  photo format carte postale sur papier Fine Art.  Le recto de la feuille porte également, sous forme caviardée, quelques éléments de biographie de l'auteur auquel la lettre est consacrée.

Chaque numéro est consacré à un unique auteur, poète ou photographe. L'année écoulée (la revue est née en février 2020) propose donc en alternance 6 poètes (hommes et femmes dans une stricte égalité) : 

Amandine Monin, Howard McCord, Hélène Sanguinetti, Rémy Chechetto, Bérengère Cournut, Christophe Manon, et 6 photographes : Aëla Labbé, Pierre de Valembreuse, Laurence Loutre-Barbier, Piergiorgio Casotti, Olivia Lavergne, Jérémie Lenoir.

Sur le blog de la revue (https://revue-vinaigrette.blogspot.com/), Sandrine Cnudde explique ainsi son projet – et l'on comprend bien le titre et la métaphore culinaire filée par la poète dans la réalisation de celle-ci :

L’un des intérêts de la revue est de mélanger et de stimuler l’une et l’autre discipline chez un même contributeur, dans un esprit décontracté d’expérimentation et de partage.
Un coin de table où les arts se croisent et les auteurs se rencontrent, pour le plaisir des lecteurs.

La cuisine expérimentale de « Vinaigrette » s'adresse à des lecteurs gourmets, et ne se trouve que sur abonnement, ou par vente directe lors de festivals ou salons. 3 formules d'abonnement sont proposées – outre une version allégée (5 euros/ numéro) : équilibrée (30 euros) – à la crème, ou douce.

Tous les ans, en tout début d'année est prévu un numéro spécial "double crème" au format A3 qui se plie sur un texte et une photo de deux auteurs, l'un poète, l'autre photographe – et pour cette première publication ; Danièle Faugeras – Eric Le Brun
Offert à tous les adhérents (abonnés avant le 31 décembre) ce numéro spécial sera également accessible sur commande, à l'unité pour 8€.

Voilà, on vous a tout dit : un petit écart pour assaisonner l'année qui s'ouvre est recommandé, en passant par le site de la revue




DISSONANCES, Feux, n°38

Les dissonances prennent « feux » ! Décidément ce numéro de la revue risque de s’enflammer et de finir brûlé comme dans Fahrenheit 451! On connaît l’originalité durable de cette revue. Choisir des poèmes pour leur qualité d’expression et non pour la gloire du nom de l’auteur/autrice (dont le nom est masqué aux sélectionneurs). Une extravagance à l’heure où les auteurs ou éditeurs connus sont une pré-publicité, donc méritent a priori une consécration.

« Écrire est une pulsion », décrète Alexandre Gloaguen à la page 38 de la revue Dissonances. Je suis prête à le croire. Je l’ai toujours pratiqué. Ma « pulsion » m’incite aujourd’hui à m’interroger philosophiquement : « Peut-on dissoner dans la dissonance ? ». Un peu comme si je demandais : peut-on manquer de manque ? ou pire : quel est le néant du néant ? Dissoner dans la dissonance impose-t-il d’imposer l’harmonie… Être en accord avec le dissonant impose-t-il d’entrer dans le flux débridé d’une anarchie délicieuse ?

Le dossier Feux m’incite à une promenade à travers les prénoms (puis les noms) des artistes-auteurs-autrices qui y ont collaboré : deux Aline (Robin et Fernandez) et deux Mathieu (Le Morvan et Marc) et deux Benoit (Baudinat et Camus) et deux Louis (Zerathe et Haëntjens), une seule Perle ou Miel. Une telle forêt de syllabes qui se croisent à Mauges-sur-Loire (domiciliation de la revue) me fascine sans porter à conséquence, même si j’ai déjà planché sur cette revue pour RAP en 2017.

DISSONANCES, Feux, n°38, Revue pluridisciplinaire à
but non objectif, Eté 2020, 48 pages, 5€,

Les mots qui disent l’incendie (contre-feux, pyromane du business, brûlante question, flammes d’encre, etc.) dans l’édito de Côme Fredaigue sont naturellement plus impératifs que les mots « inondation, aération », etc... Comment échapper aux mots portant en eux des flammes ! Oui, mais quelles flammèches, réelles ou figurées ? En vérité, chacun se consume selon son propre feu dans ce Dissonance là,  tout comme jadis  régnait le « à chacun ses besoins2 ou selon son travail ». Aujourd’hui, c’est à chacun selon ses désirs brûlants dans notre monde  à la carte.

Le feu est d’abord le feu réel, tout en flammes et en braises. Ainsi Lionel Lathuille estime « qu’il n’y a pas d’autre possibilité pour obtenir la chaleur que de mettre le feu à l’habitation ». « Méconnaît la nuit celui qui retire ses mains du feu » (…) « Méconnaît la vie celui qui retire son pied du feu » dit ce poète qui « emboîte le pas au feu qui nous traverse ». Pour un autre romancier Thierry Covolo, une autre maison brûlant pendant la nuit.  Le « prétentieux » manoir Hunter « construit pour les autres » « qui confère respectabilité et pouvoir ». Le propriétaire « carbonisé » est identifié grâce à ses plombages. A la fin de cette nouvelle à l’américaine, la narratrice allume une cigarette ! Il se peut qu’une voiture flambe en une « nuit Cheyenne » de Benoit Camus. Il se peut qu’une forêt flambe en Amazonie, « on éteint le feu qui arrache les poumons de la terre », précise Stephanie Quérité. Ce feu réel peut être celui – terrible - de la bombe atomique : ainsi le seul journaliste à Nagasaki, (cad William Leonard Laurence) est évoqué par Joseph Fabro. Il « marche toute la vie avec le feu et son mensonge,  (…) comme un cancer dans le ventre, comme un incendie à l’arrière de la pupille ».

Le feu peut être celui de l’amour.  Ainsi Christophe Esnault qui décrit d’abord « une adolescence sans flamme (sans amour) sans vie ». Plus tard, il retrouvera autrement cette adolescence manquée : « C’est avec la peau et les baisers que l’on fait les feux les plus hauts ». Le feu de l’amour peut se transcrire en une version persane. Ainsi Clément Rossi évoque cette amoureuse qui l’enlace « si fort » qu’il sentira « des mois après le dessin de ses mains » sur ses omoplates et « le relief de ses omoplates »   sur ses propres mains. Et pourtant, « Lou va arriver et j’ai déjà hâte qu’elle reparte pour… rêver ». Voilà qui nous transporte chez le poète Qays-Madjoun et Leyla, conte où la Leyla rêvée est plus importante que la femme réelle. L’amour d’une femme est-il plus important que celle qui le suscite ? Cependant l’amour peut être un hymne de Miel Pagès à Médée, ce « volcan parmi les étourneaux », cette « petite-fille du soleil » : « Il m’a semblé qu’elle pouvait être belle si des flammes lui léchaient le fente ».

Et il peut aussi être celui du langage, lorsqu’il est cet adjectif signalant  les décès : « Feux les exécutés » par Benoit Daudinat. Dans la liste des hommes exécutés au Texas, l’un Troy Clark qui écrivait des poèmes, a noyé une femme dans sa baignoire et disposait d’une arme à feu (22 colibris) ; l’autre Jeffrey est meurtrier révolté d’un agent de police : « tous ces bouffons de flics, assassins de gamins innocents ».

Et puis j’ai une ferveur pour les  énigmatiques  les « en-allées » de Catherine Bedarida « éloignées / du feu des volcans /  les en-allées marchent pieds nus ». Sont-elles des mortes ?  Des braises ?  Des étoiles ou des laves ? Qu’importe d’ailleurs puisqu’elles s’en sont allées… sans disparaître de sa mémoire. Au matin, elle se lavent « dans un reflet de ciel », « elles marchent / hébergées par le vent le ciel l’horizon ». Je les rêve.

Notes

(1) 451 degrés, température où le papier s’enflamme version Farenheit, soit 232,8  degrés en version celsius.

(2) Louis Blanc 1839, puis Marx 1875.