Revue “Reflets” numéro 28 — dossier spécial “Poésie”

Revue tourangelle qui s’applique à « donner du sens aux événements », le magazine d’actualité et de société dirigé et animé par Thérèse et Christian Roesch n’est PAS une revue littéraire. Il nous semble d’autant plus nécessaire d’en parler, puisque – chose rare dans la presse généraliste -  le numéro d’été consacre un dossier complet à la poésie (pp. 32 à 65, près de la moitié de la publication !), largement ouvert à ses dimensions spirituelles.

Quatre volets (ouverts par une pleine page illustrée à la fois par une image et une citation) à ce dossier : le premier – «S’émerveiller » - donne la parole à Christian Bobin (déjà sujet d’un entretien dans le numéro 14 de la revue) en publiant le fac-simile d’une lettre olographe et de larges extraits du Plâtrier siffleur, illustrant la thématique « poésie et contemplation », suivis d’un article de notre collaborateur Pierre Tanguy sur le haïku, accompagné d’exemples tirés de la tradition, de la propre production de l’auteur et d’écrivains contemporains.

La deuxième, sous le thème de la renaissance par la poésie, propose un entretien avec Brigitte Maillard, dynamique éditrice de « Monde en Poésie » (( https://mondeenpoesieeditions.blogspot.com/ )) qui a collaboré à l’élaboration de ce dossier, et un article sur le livre Jacques Lusseyran, Le monde commence aujourd’hui, en Folio-Gallimard, livre retraçant le parcours de ce héros de la résistance pour lequel la poésie a le pouvoir « d’exprimer l’indicible du pire ». Des pages sont consacrées à Apollinaire, mais aussi à Desnos et Aragon, et présentent un extrait de l’ interview de Stéphane Hessel réalisé par Brigitte Maillard pour Aligre FM en 2011 – deux ans avant la disparition de ce militant des droits de l’homme, revenu des camps et témoignant de l’importance de la poésie dans son combat de survie (( on peut citer Ô ma mémoire : la poésie, ma nécessité , 88 poèmes publiés au Seuil en 206 et republiés en 2011)).

« Les Enfants sont des poètes » est le troisième élément de ce dossier avec un article de Jean-Luc Pouliquen (dont le dossier reprend le titre d’une publication) et des textes d’écoliers avec leur questionnement sur l’utilité de la poésie. Enfin, des propos de Laurent Terzieff, une interview de Gilles Baudry, moine-poète, et un poème bilingue de l'américain Joe Z. (Zarantonello) ferment ces pages sous l’intitulé « L’Invisible devient visible ».

Reflets, n. 28, dossier poésie « Dire l’indicible »,
juillet-août-septembre 2018, 7,90 euros.
Disponible dans les kiosques, 
la revue peut-être commandée directement
sur le site. Site de la Revue Reflets




Les Revues “pauvres” (1) : “Nouveaux Délits” et “Comme en poésie”

Ce n’est certainement pas à l’excellent qualité des contenus et des projets  que renvoie le terme « pauvre » - mais comme pour ce qu’on nomme « l’art pauvre », je voudrais par ce titre souligner l’inventivité, les maigres ressources (les abonnements et l’investissement bénévole des revuistes), et ce génie de l’utilisation des bouts de ficelle qui permet de concocter des revues ne le cédant en rien aux plus connues, mais qui vivent à la marge, en raison de la confidentialité de leur diffusion.

« Nouveaux Délits, revue de poésie vive » en est un excellent exemple : de petit format (une feuille A4 pliée en 2), agrafée sous une couverture rousse, il offre 54 pages d’excellente poésie accompagnée d’illustrations en n&b – un illustrateur différent invité pour chaque numéro -  imprimée sur papier recyclé : « Du fait maison avec les moyens et la technicienne du bord, pour le plaisir et le partage. » ainsi que le déclare la maîtresse d’œuvre, la poète Cathy Garcia, qui mène contre vents et marées cette entreprise depuis 15 ans, et à laquelle je cède la parole en recopiant l’édito du numéro 60, dans lequel on lit l’enthousiasme et les difficultés de l’entreprise : 

"Eh bien, voilà un numéro qui n’a pas été simple à réaliser, il a fallu que je m’adapte aux circonstances assez pénibles et aux données qui m’étaient accessibles. Aussi Je profite de cet édito pour remercier infiniment celles et ceux d’entre vous qui ont pu répondre présent(e)s à mon appel à soutien pour le rachat d’un nouvel ordinateur, indispensable, le mien ayant pris définitivement congé après une dizaine d’années de pas trop mauvais services. Merci donc, d’ici quelque temps, une nouvelle machine devrait permettre de poursuivre l’aventure dans de bonnes, voire de meilleures conditions et aussi de stocker à l’abri, entre autres, 15 années de Nouveaux Délits !

Nouveaux Délits, numéro 60, avril 2018 , non paginé (54 p. environ), 6 euros (plus port, 1,50),
ou par abonnement via le « bulletin de complicité » (chèque de 28 euros pour 4 numéros) –
infos et adresse sur le site web 

 

Ce n’est pas quelque chose sur quoi j’aime m’étaler mais il faut savoir peut-être que si cette revue existe, c’est par une sorte de passion entêtée de ma part, car elle est réalisée (volontairement) sans subvention et bénévolement, dans un contexte de précarité permanente, qui a d’ailleurs tendance à s’accroître d’année en année et ce numéro 60 a eu un accouchement particulièrement difficile. Cependant, je crois bien qu’au final, c’est un beau bébé ! Un peu étrange, douloureux même, mais riche de toute sa complexité humaine et de cette énergie qui passe dans les mots, qui les traverse et parfois nous transperce, cet appel d’air, ce désir indéfinissable de saisir, en nous et hors de nous par les filets de la parole, ce qui le plus souvent demeure insaisissable."

 

Feuilletons ensemble ce numéro fatidique : après l’édito que nous venons de citer in extenso, le sommaire : 7 poètes pour cette livraison, dans une partie intitulée « Délit de poésie » puis deux livres présentés dans la rubrique « Résonnance ». Suit la mention intriguante « Délits d’’in)citations percent la brume des coins de page » : en effet, la revue est ponctuée de citations plus ou moins longues, dans l’angle des pages non numérotées : on trouve dans ce numéro un proverbe russe, Victor Hugo, Daniel Biga, un haïku de Sôseki… ou encore – en écho au poème de Valère Kaletka, « Le lieu », cette phrase de l’humoriste Pierre Doris : « C’est très beau un arbre qui pousse dans un cimetière. On dirait un cercueil qui pousse ». Car l’entreprise de Cathy Garcia, on le comprend vite, n’est pas dépourvue de cette distance souriante, qui lui a fait choisir le titre provocant de cette publication, liée à l’association et aux éditions Nouveaux délits, à Saint-Cirq Lapopie – rien de moins : revue pauvre, peut-être, mais au moins sous le regard tutélaire d’André Breton, qui y a séjourné après y avoir acheté une maison en 1950. D’ailleurs, si elle invite le lecteur à s’abonner, elle le fait en dernière page avec un « bulletin de complicité » qui vous propose de « blanchir (votre) argent en envoyant (votre) chèque à l’association – et comment résister à cet appel à soutien, lorsqu’on a pu constater la variété des textes publiés ? Dans cette livraison, outre Valère Kaletka, Pierre Rosin, dont on suit le parcours de peintre-poète dans Recours au Poème également, et dont je relève le post-scriptum à l’un de ses textes : « PS : nous pourrons garder les poètes et les peintres à condition qu’ils sachent jardiner ». Puis Daniel Birnbaum, Joseph Pommier, Florent Chamard, dont on peut écouter deux textes lus par Cathy Garcia sur la chaîne youtube « donner de la voix » 

Puis Vincent Duhamel avec quelques proses poétiques, et Antonella Eye Porcelluzzi, dont la biographie succinte nous amène sur google à regarder les films ou écouter à travers la voix de Cathy sur la chaîne associée à la revue

Vous ne connaissez pas la plupart de ces noms ? C’est qu’ils ont surtout publié en revue, et que les éditeurs ne les ont pas encore rencontrés, mais parcourez donc, sur le site, la liste des poètes publiés par la courageuse revue Nouveaux Délits – et : bonne découvertes !

L’indescriptible désordre de mes rayons ne me permet pas de vous présenter le dernier numéro de Comme en Poésie, revue arrivée à l’âge respectable de 74 numéros (soit 18 ans) – glissé sous une pile, d’où il sautera comme un diable quand je n’en aurai plus besoin, prêté et non revenu… qui sait le destin des livres, revues et brochures qu’on ne sait pas ranger comme dans les bibliothèques dont on rêve et qu’on voit derrière les écrivains qu’on admire…  Vous aurez donc la possibilité de découvrir le numéro de mars 2018 en attendant que l’autre pointe le bout de sa couverture pour me narguer – mais chut !

Jean-Pierre Lesieur, seul maître à bord, enjoint ses lecteurs et potentiels abonnés à avoir de l’humour car « ça ne coûte rien » . Voici comment il présente sa revue en troisième de couverture (car aucun espace n’est laissé vierge dans cette publication abondante, nourrissante – enfin, pour le lecteur, pas pour le poète ni pour le revuiste) :

 

 

Comme en poésie, n. 73, trimestriel, 80 p.
(revue seule, 4 euros, abonnement 1 an, 4 numéros, 15 euros –
730 avenue Brémontier, 40150 Hossegor –
informations sur le site de la revue « sur papier et par internet »

« La revue est entièrement pensée, fabriquée, envoyée, par Jean-Pierre Lesieur. Vous ne la trouverez nulle part ailleurs que par abonnement. Ne la cherchez pas dans les librairies ni dans les grandes surfaces. Si vous y voyez Lesieur ce n’est pas la revue, c’est une bouteille d’huile. »

 

Introuvable, c’est vrai : je l’ai découverte jadis, sur le marché de la poésie Saint-Sulpice, à l’époque encore bénie où son éditeur, pauvre,  était invité à partager un coin de stand dans l’angle des revues… Ce n’est plus le cas, et c’est bien dommage, car cette publication mérite d’être lue, non seulement parce qu’elle permet à des poètes de faire leurs premières armes, mais aussi parce qu’elle offre de beaux textes, de belles illustrations, et de belles signatures. Car Jean-Pierre Lesieur l’annonce : «( on ne fera) pas d'exclusive poétique, mais recherchera une qualité d'écriture et d'originalité en faisant la chasse aux clichés, redites, traces informelles, doublons, minauderies, copies, piratage..“

Mais feuilletons ensemble ce numéro auquel ont participé pas moins de 30 poètes, parmi lesquels Gérard Mottet, Claude Albarède, Werner Lambersy… Feuilletons, avec quelque précaution : reliés sous sa couverture cartonnée thermocollée, on craint que les pages ne s’envolent avec les poèmes – mais non : l’artisan a bien tout soudé, et dans l’ensemble, ça résiste à plusieurs manipulations.  Comme la est aussi ouverte à différentes formes d'écritures, de dessins, de photos, de chanson, de performances, de mail art, de petites annonces humoristiques, de contes, de nouvelles, etc., Outre les poèmes, j’y découvre des illustrations, en noir et blanc et en couleur (4 pleines pages, dont deux consacrées aux photos d’Eliane Morin, illustrant le poème d’Evelyne Morin sur le « Chemin des Dames, 1917-2017) – et une couverture toujours magnifiquement illustrée d’un collage, d’une photo…), et une carte illustrée dont on comprend l’usage dans la rubrique du même nom : les lecteurs sont invités à légender les saynettes proposées. Dans le numéro 73, au centre, une dame en sous-vêtement 1900 parle à un monsieur en costume de  tweed qui semble bien furieux, tandis qu’un élégant à monocle renfile sa veste sur sa droite. Les deux pages nous proposent les légendes envoyées à propos de l’illustration du numéro précédent : une dame assise sur un sofa, dont on ne voit que l’énorme chignon démodé s’adresse à un homme aux cheveux longs assis à ses pieds … un peu George Sand et Musset… Parmi les légendes, je relève celle de Claude Albarède : « Poète ami des mots, des vers, des haïkus / reprends ta plume en mai, reste pas sur le cul / et quand tu seras las d’avoir poétisé / laisse tomber ton luth, et viens donc me baiser ! »

Aux poèmes s’ajoute une rubrique « pot-au-feu » dont le titre indique à tout cuisinier digne de ce nom qu’elle se compose d’un peu de tout, dans un esprit popote et bon enfant. Ici, des réflexions sur la poésie, les aléas des réabonnements, des aphorismes : « Il est mort des suites d’une longue maladie qui l’emporta tout de suite ».

Le tout ne serait pas complet sans les lectures Jean Chatard, et la « cité critique J.P.L » petit parcours personnel qui présente des livres et ici  également une série de petites revues dont on se dit qu’il serait temps de les lire aussi : Le Pot à mots, Friches, Spered Gouez…

 

 

Et pourquoi ne pas commencer par vous abonner à Comme en poésie ?  Vous faites une très bonne affaire, et une bonne action – et à défaut du numéro 74, dont  j’attends le retour, pour vous donner une idée de ce qui vous attend, voici son sommaire : 

 

Page 1 : UN NOUVEL ÂGE par jpl
Page 2/7 : Antoine JANOT
Page 8/17 : Faustin SULLIVAN
Page 18/19 : Silvaine ARABO
Page 20 : Gérard LE GOUIC
Page 21 : Ferruccio BRUGNARO
Page 22/26 : Jacques LALLIÈ
Page 27 : Guy CHATY
Page 28/30 : Claude ALBARÉDE
Page 31/33 : Colette DAVILE-ESTINÉS
Page 34 : Pierre BORGHERO
Page 35 : Ludovic CHAPTAL
Page 36/37 : Sylvain FREZZATO
Page 38 : Basile ROUCHIN
Page 39 : Èvelyne CHARASSE
Page 40/41 : Georges CATHALO
Page 42/43 : Jean CHATARD
Page 44/45 : Patrick PICORNOT
Page 46/47 : Aumane PLACIDE
Page 48/49 : Werner LAMBERSY
Page 50/53 : Cartes lègendées
Page 54/55 : Bastien MARIN
Page 56 : Françoise GEIER
Page 57 : Èmilie NOTARD
Page 58/59 : ALAIN JEAN MACÈ
Page 60/61 : Bernard PICAVET
Page 62/63 : Mireille PODCHLEBNIK
Page 64/65: Vincent CADET
Page 66/67 : Dominique MARBEAU
Page 68/71 : Jean CHATARD 
Page 72 : Claude ALBARÉDE
Page 73 : POT AU FEU
Page 74/76 : LA CITÉ CRITIQUE
Page 77 dénis parmain
Page 78 : Jacques BONNEFON
Page 79 : Luc ALDRIC
Page 80 : ADRESSES REVUES




Résonance Générale

La dernière livraison de la revue, dirigée par Serge Martin, Laurent Mourey et Philippe Païni, s’accompagne d’un billet de l’éditeur annonçant la fin de cette aventure éditoriale – ce dont tout lecteur se désolera, autant en raison de la qualité des contenus que de l’élégance de cette publication en cahiers cousus, façonnés de façon traditionnelle, et imprimée sur un beau papier ivoire.

Ce qui caractérisait (il me pèse de l’écrire au passé) l’esprit de Résonance générale, c’était son « refus de la séparation lire-écrire-penser-vivre » - refus également de la séparation entre poème et théorie, d’où le sous-titre cahiers pour la poétique

S’ouvrant sur un édito commun des « rédacteurs de la revue » intitulé « Manifeste continué », chaque livraison regroupe les textes en diptyque ((on en trouve la liste sur le site de l’éditeur, avec la possibilité d’acheter les numéros restant, ainsi que le numéro 10, qui clôt la série, au prix exceptionnel de 10 euros  )) dont les titres sont repris sur la couverture.

« Insaisissables danses, tes miracles » annonce le numéro 8, qui présente des textes de Charles Pennequin, Matthieu Gosztola, Alfred Jarry, Thierry Romagné, Frédérique Cosnier, Guy Perrocheau et Serge Riman, ainsi qu’un cahier de photos noir & blanc d’Adèle Godefroy.

Le poétique « manifeste » - rien d’explicatif, dans ces textes liminaires que le lecteur reçoit comme un poème-essai en prose d’ouverture – est inscrit sous l’égide des danseurs de L’Iliade (livre XVIII) et cite, outre Georges Did-Huberman Patrick Boucheron et Alice Godfroy. Je retiens ces lignes du premier: « N’est pas n’est que pas dansé-mouvant et c’est ce qui fait corps et phrase /En longueurs inégales pas en ressac non plus dans les rythmes la fibre (…) » et  ce passage dont la résonance me met en condition d’accueil des textes et poèmes qui suivent :

 tout ce qui fait consonance est la meilleure voie vers la nuit

la solitude et le silence sans aucune servitude dogmatique

pour déployer l’espace intérieur d’une danse même dissonante

où s’entend toujours la pluralité des corps vifs ou morts 

Résonance générale : cahiers pour la poétique,
revue semestrielle, numéros 8 et 9
L’Atelier du grand tétras, 128 p, 12 euros.

 

*

C’est par l’intermédiaire de Théodore de Banville que « La Ronde des nuits debout » dans le numéro neuf, se place elle, sous le drapeau de l’insurrection ; patronage dont la surprise se dissipe dès l’abord : il s’agit du poète des « heures heureuses » sous l’égide duquel se place l’édito jubilatoire et critique. On y souligne ce qui fait l’originalité de la revue : son côté collectif, sans revendication d’ego – un collectif dans lequel le poète, parce qu’il incarne la marge, a sa place pour « mettre le doigt là où ça parabole » - faire sens avec les événements, entraînés dans « la rOnde » (sic) qui clôt aussi la livraison de façon tout à fait exemplaire. Françoise Delorme, Rolf Doppenberg, Nathalie Garbelli et Isabelle Sbrissa se sont engagés dans un échange circulaire de poèmes – « une écriture singulière et collective, une ronde poétique qui se construit au fil des textes et que nous envoyons dans des enveloppes timbrées » entre le 23 mars 2015 et le 21 septembre 2016, nous donnant à lire seize textes librement inspirés les uns des autres, par un jeu de déplacements, d’échos et de résonances, qui suscite des parcours ludiques de lecture – jeu dont on aurait aimé qu’il se prolonge, comme ce flux souterrain évoqué dans le dernier courrier :

 

et la rivière souterraine

comme une Durance d’en bas,

une durance sous-sol 

toute une Provence phréatique s’abouche à la mer

durance de fond

ses eaux douces viennent se mêler à l’eau de mer

même son embouchure est sous les eaux 

 

Entre les deux – le manifeste aux couleurs de révolte, et la confluence imaginaire de cette durance poétique – on découvrira une série de réflexions sous forme de poèmes d’Arnaud Le Vac.  « Une vie humaine » interroge les idéologies de notre siècle, les désastres du précédent, et sous le titre « Soleil, cou coupé » (où l’on reconnaît le dernier vers de Zone, d’Apollinaire ), interroge la fonction de l’artiste ou du poète :

 

« Pas d’erreur sur l’heure,

c’est de ce siècle

que l’on voit et parle aujourd’hui.

D’un sujet autrement

souverain.

Et de ce qu’il aura fallu vivre :

l’esprit en fuite,

le rire en tête,

la vie dans tous ses états,

pour reconnaître et célébrer

ce qui importe. »

 

Guy Perrocheau, Angèle Casanova (avec dix poèmes autour de « pandore eve épouse de Barbe bleue » et de la tentation scopique), Chantal Danjou, dont on relève la magnifique image « l’Horizon est le chien rouge qui s’approche de la nuit », Marie Desmée et le texte d’Alexis Hubert sur les lavis de Philippe Agostini composent la première partie « des nuits debout ». Serge Ritman ouvre la seconde, consacrée à « la rOnde » déjà évoquée.

Une partie « on continue » propose, p. 112, des notes de lecture, et p. 118, Serge Martin offre aux lecteurs un texte provenant d’une journée d’études à La Sorbonne Nouvelle en juin 2017, qu’il intitule « Pasolini et le pathos ou le poème au plus près », dans lequel la philosophie qui a guidé les années « Résonances Générale » et son « énonciation échoïque » (p. 123) se trouvent magnifiées et explicitées. Je ne peux qu’inciter le lecteur de cette note à se précipiter sur le site de l’éditeur pour se procurer ce numéro et le suivant, le dix et dernier, hélas.

 

 

 




Passage en revues

Autour de Vents Alizés, Contre-Allées, Le Journal des Poètes, N4728, Soleils & cendre, Nunc, Poësis, L’hôte

Karoly Sandor Pallai, par ailleurs auteur d’essais et de poèmes, dont quelques uns ont paru dans Recours au Poème, met en œuvre une revue online Vents Alizés, dont on consultera le site de Vents Alizés((http://ventsalizes.wix.com/revue#!numéros))

 

 

Un titre qui découle de sa passion pour les littératures de l’océan Indien et du Pacifique, mais une revue qui n’est pas confinée à cet espace géographique, même si elle lui accorde une ample et belle place. On est frappé, immédiatement, dans ces presque 500 pages, par la qualité de ce qui est publié là, avec un ton ou une ambiance qui font irrémédiablement penser en effet aux vents alizés et aux infinitudes de l’océan de cette partie du monde. La revue est une partde l’océan Indien et Pacifique. Des pages fraternelles, ouvertes sur l’autre, qui justifient pleinement le titre de ce premier numéro : Partaz. Formellement, cette revue en ligne se présente et se lit comme un livre. C’est fort bien réalisé. On y lira, en diverses langues, des poètes et des écrivains originaires de l’Océan Indien (Maurice, Seychelles), de la Caraïbe et des Amériques (Canada, Haïti, Martinique), du Pacifique et de l’Asie (Philippines, Nouvelle-Calédonie, Polynésie Française, Vietnam), d’Afrique et du Proche Orient (RDC, Zimbabwe, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine, Tunisie) et d’Europe (France, Italie).

Karoly Sandor Pallai.

On y retrouvera des poètes publiés ou amenés à l’être dans Recours au Poème, comme Sonia Khader ou Mounia Boulila par exemple. Pour ma part, ma subjectivité m’a conduit à aimer tout particulièrement les textes de poètes comme Borgella, Leonidas, Anne Bihan, Pham van Quang, Garnier-Duguy, Ben Eyenga Kamanda ou Tendaï Mwanaka. Le tout est accompagné de notes de lectures et de superbes œuvres d’art contemporaines, pour une bonne part réalisées par des artistes mexicains. Tout cela a le souffle des mondes autres, une grande respiration.

Franchement, amoureux de la poésie, vous auriez tort de vous priver de la lecture d’une revue qui nous parvient comme un don((Vents Alizés, revue semestrielle online en accès libre : http://issuu.com/pallaikaroly/docs/vents_aliz_s_-_partaz/45; Lire Karoly Sandor Pallai dans Recours au Poème :http://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/k%C3%A1roly-s%C3%A1ndor-pallai)).

 

 

Contre-Alléespoursuit sa belle aventure sous la houlette de son couple de créateurs/fondateurs, Romain Fustier et Amandine Marembert. Ce nouveau numéro met à l’honneur le poète Jacques Ancet, en un poème intitulé « un entre-deux sans fin » composé de sept parties. Sept, il n’est pas de hasard pour ce poème d’apparence quotidienne mais qui en son parcours conduit son lecteur vers un dévoilement initiatique du réel. Il se termine donc forcément sur une question. Viennent ensuite une quinzaine de poètes, certains présents ou à venir dans Recours au Poème(Marie Huot, Philippe Païni, Emmanuel Merle, Christian Vogels…), puis des questions croisées permettant d’entendre Luce Guilbaud, Cécile Guivarch, Cédric Le Penven, James Sacré, Anne Belleveaux, Sandrine Fay, Jean Le Boël et Jean-Louis Massot. Des personnes qui oeuvrent pour la poésie depuis belle lurette. Contre-Alléesaime aussi les autres revues, si bien que ses notes de lecture parlent de plusieurs de ses confrères, souvent en sympathie. Un beau numéro, avec la voix forte de Marie Huot((Contre-Allées, numéro 31/32, revue de poésie contemporaine dirigée par Amandine Marembert et Romain Fustier. Le numéro 10 euros. 16 rue Mizault. 03100 Montluçon, contre-allees@wanadoo.fr, http://contreallees.blogspot.fr/)).

 

Le récent numéro de ce Journal des Poètesdont nous disons régulièrement du bien, car nous nous sentons humainement proches de lui, en sa chaleur fraternelle, et loin des petits chapelles prétentieuses, est, comme d’habitude est-on tenté de dire, de fort belle qualité. On lit ici un superbe hommage de Jean-Luc Wauthier à la poésie de Richard Rognet, un dossier passionnant sur les poètes de l’Est en Belgique, concocté par Albert Moxhet, dossier permettant de lire Robert Schaus, Bruno Kartheuser ou Léo Gillessen. Puis le Journal revient sur la Biennale de Liège 2012, en donnant la parole à son président Dany Laferrière, entre autres. Et aussi, car c’est de Parole dont il s’agit, à nombre de poètes venus aux Biennales, dont par exemple Mohamed El Amraoui, Bluma Finkelstein, Anise Koltz, Jacques Rancourt, André Ughetto ou encore Shizue Ogawa (pour la poésie de laquelle j’ai un faible avoué). Trois belles pages, un poème poète. Une vraie page d’histoire. Notons aussi qu’Yves Namur, collaborateur régulier du Journal, a reçu le prix Mallarmé 2012 pour son recueil La tristesse du figuier, paru chez Lettres Vives, éditeur de haut vol. Il n’y a pas de hasard ((Le Journal des Poètes. Numéro 4/2012, 81eannée, oct-déc 2012, Jean-Luc Wauthier. Rue des Courtijas, 24. B-5600 Sart-en-Fagne. wauthierjeanluc@yahoo.fr http//www.mipah.be, Le numéro : 6 euros. Le poète Jean-Luc Wauthier, rédacteur en chef du Journal, donne maintenant des chroniques régulières à Recours au Poème. Ici : http://www.recoursaupoeme.fr/users/jean-luc-wauthier)).

Déjà le 23enuméro de N4728, belle revue, au format redevenu original, qui s’est progressivement imposée dans le paysage poétique contemporain. C’est même un des espaces parmi les plus originaux et les plus contemporains de ces dernières années. Christian Vogels, aidé d’Albane Gellé, Antoine Emaz, Alain Girard-Daudon et Yves Jouan, propose des écritures poétiques variées et ici considérées comme innovantes. Une partie des voix que l’on peut entendre ici, car pour N4728,poésie et oralité sont intrinsèquement liées, ce en quoi nous sommes bien d’accord, proviennent des lectures/rencontres de poésie contemporaine organisées à Angers par le Chant des mots, ou bien du côté de Rochefort (rien d’anodin en poésie, de ce côté de l’hexagone) et Saumur. C’est la partie « Mémoire vive », laquelle propose cette fois les voix de Edith Azam (un texte en prose, puissant, à paraître bientôt chez POL), Caroline Sagot Duvauroux (dont la majeure partie de l’œuvre, elle aussi en prose, et elle aussi de grande puissance, est publiée chez Corti) et Alexis Gloaguen. La partie « Plurielles » donne quant à elle à lire des voix diverses, lieu de l’ouverture de la revue (ce qui plaît bien évidemment aussi à Recours au Poème), et l’on écoutera avec attention les voix amies de Béatrice Machet, Matthieu Gosztola, Arnaud Talhouarn ou Mathilde Vischer.

Cette dernière donnant un ensemble qui reste longtemps présent à l’esprit. De toutes les manières, l’ensemble des pages de cette revue est d’une très grande qualité, et on lira avec attention les textes de Patrick Argenté, Estelle Cantalla, Nicolas Grégoire, Daniel Pozner, Marie de Quatrebarbes, Maryse Renard, Nathalie Riou, Pierrick Steunou, Jasmine Viguier, Jérôme Villedieu et Pierre Antoine Villemaine. La revue se clôt sur des notes de lecture choisies, en particulier au sujet d’Ariane Dreyfus, Serge Nunez Tolin et Vincent Pélissier, dont les travaux nous intéressent fortement. Puis quelques mots de Antoien Emaz au sujet de trois poètes des éditions Potentille (dont il faut saluer le beau travail), Geneviève Peigné, Philippe Païni et Albane Gellé. Un bel atelier, à visiter sans modération((N4728. Publiée par l’association Le Chant des Mots. Semestrielle. Abonnements : N4728. Madame Dandeville. 29 rue du Quinconce. 49100 Angers. 25 euros pour un an. Prix du numéro : 12 euros, N4728@zythumz.fr)).

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Le 103enuméro de Soleils & cendre, paru au printemps 2012, ouvrait ses pages au « chaos ». Venant d’une telle revue, à la fois de poésie et de recherche intérieure en poésie, on se doute que l’ordo/ordre n’est pas loin… Le sous titre, « fractation du point de vue », est, sous cet angle, très clair. Menée par Henri Tramoy et Yves Béal, Soleils & cendreémane des éditions Les Solicendristes. Ici, l’on a goût pour l’alchimie et l’hermétisme, au sens noble de ces mots/visions/expériences. Autour du chaos, on lira des textes d’une vingtaine de poètes et écrivains, parmi lesquels l’ami Matthieu Baumier (que je ne suis guère surprise de retrouver dans un tel thème d’écriture), Sylviane Werner, Daniel Thürler, Philippe Jaffeux, Jean-Guy Angles, Henri Tramoy ou Jacques Laborde. Une revue ancrée, située, et qui a un ton. Un vrai ton. Et une histoire, maintenant((Soleils & cendre. Henri Tramoy. 99 bd des Mians. 84260 Sarrians. Le numéro : 6 euros. Revue trimestrielle. solicend@orange.fr, http://www.soleils-et-cendre.org/)).

Ce nouveau numéro de l’exceptionnelle revue Nuncrend un bel hommage à la poésie de Jean Mambrino, lequel nous a quittés il y a peu. Trois textes reviennent sur le poète, signés Pascal Boulanger, Claude Tuduri, en forme de poème, et Jean-Luc Maxence. Tous insistent sur la luminosité chrétienne de l’homme et du poète. Le texte de Maxence, intimiste, touche juste, me semble-t-il, en évoquant chez Mambrino la part du feu, le néoplatonisme. Il y a avait une certaine idée de la Renaissance chez ce poète. Vient ensuite le dossier central de ce numéro de Nunc, un dossier « cinéma »… en apparence ! Car évoquer le cinéma de Béla Tarr, ce n’est pas uniquement, loin de là, parler de cinéma.

C’est parler de poésie. Parler du Monde. Le dossier est dirigé par Hubert Chiffoleau. On lira la retranscription d’un échange entre le réalisateur et son public, passionnante, ainsi que des textes de Joël Vernet, Hubert Chiffoleau (entretien), Jérôme de Gramont, David Lengyel. Ce dossier fait immédiatement référence. Et, sincèrement, lecteur qui aime la poésie puisque tu lis ces lignes, si par malchance tu ne connais pas encore le cinéma de Béla Tarr, le moment est venu d’une découverte, de celles qui marquent une existence.

Nuncpublie aussi une suite de très beaux poèmes de François Bordes, sous le regard de l’Evangile de Thomas, souvent considéré comme « l’Evangile des gnostiques » mais la formule est trop rapide, comme bien des formules. Qui lit ce texte en sait les profondeurs ésotériques. On parle ensuite de Virgile, de diverses manières (Madeleine Désormeaux, Jérôme de Gramont), puis on replonge dans des poèmes, ceux de François Amaneger, avant d’entrer dans la partie « Axis Mundi » de la revue, centrée sur un cahier consacré à Michael Dummett. Deux textes signés Michel Fourcade et Christine van Geen, puis un texte de Dummett. Tout cela est déjà fort riche et n’est cependant pas terminé, car Nuncest un « monstre » comme Recours au Poèmeles aime : un entretien avec Jacques Arènes, des poèmes de Borges (ceux sur Spinoza) dans une nouvelle traduction, un texte important de Franck Damour au sujet de la récurrente controverse autour de la fonction anthropologique du droit et de très beaux poèmes de Christophe Langlois, poète que l’on retrouvera aussi bientôt dans Recours au Poème. Les notes de lecture évoquent enfin Gamoneda, Bocholier, Marion, Del Valle… Ici, en cette revue, les choses sont centrées, et cela est bien((Nunc, revue attentive n° 29. Le numéro : 22 euros. www.corlevour.fr))

Poësis n’est pas une revue au sens strict de ce mot mais il me plaît d’en parler ici. Il s’agit d’une « petite anthologie de poèmes maçonniques » contemporains éditée par l’Institut Maçonnique de France, sous la houlette de l’ami Alain-Jacques Lacot, dans le sillage des activités menées là pour promouvoir le livre maçonnique, et donc une vision sereine d’un humanisme pour demain. Autant dire que l’on a bien besoin de toutes les énergies…Les poèmes ici regroupés sont ceux primés lors du concours de poésie organisé par l’IMF à l’occasion du dixième salon maçonnique du livre de Paris. 20 textes en tout, ponctués par un superbe cadeau d’un poète que nous aimons beaucoup dans les pages de Recours au Poème, Jacques Viallebesset, poème intitulé La tribu nomadeque nous donnerons à lire dans quelques temps.

On lira dans cet ensemble des poèmes divers, ancrés dans une profonde quête spirituelle et intérieure, en particulier ceux de Jean-Philippe Ancelle, AxoDom Yves-Fred Boisset (par ailleurs directeur de la revue martiniste L’initiation), Marc de la Paix, Jacques Fontaine, Thierry Maillard… Tout cela est d’autant plus important qu’il est évident que poésie, ésotérisme et maçonnerie appartiennent au même Corpus d’être. On espère voir l’initiative se développer, et cette autre anthologie de la poésie maçonnique autrefois parue chez Dervy connaître une nouvelle édition « allongée ». Ici, nous ne manquerons pas d’idées et de liens vers des poètes profonds à conseiller. On peut demander mon email à la rédaction, ce sont gens courtois. Ils transmettront, si j’ose dire((Poïesis. Petite anthologie de poèmes maçonniquesPublication de l’Institut Maçonnique de France http://www.i-m-f.fr/)).

 

Bienvenue à L’Hôte ! Il faut, de tout temps, saluer l’initiative de se lancer dans la création d’une revue. C’est un acte nécessaire et, cela n’est pas rien, formateur. L’Hôteest sous titrée « Esthétique et littérature », et n’est donc pas centrée sur la poésie. Mais elle mérite le salut. Le sommaire s’ouvre sur sept pages de textes du poète Gérard Pfister, par ailleurs directeur des excellentes éditions Arfuyen. Le ton est ainsi donné. Vient ensuite un texte très intéressant de Didier Ayres au sujet du narcissisme de l’auteur de théâtre, une étude de Gabrielle Althen sur Jean Fouquet… Une revue d’esthétique sans doute, mais pas seulement. On sent dans ces lignes la volonté de quitter les terres convenues de certaine esthétique presque officielle, et de reposer une vraie question : celle du Beau. Cette revue n’est donc pas « de poésie » mais l’acte, lui, est poétique. Longue vie((Revue L’Hôte. Numéro 1. Direction : Yasmina Mahdi, Ivan Darrault-Harris, Didier Ayres, 27 rue Lucien Dumas. 87200 Saint-Junien. Le numéro 5 euros. didier.ayres@free.fr)).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Legs et littérature n°8

Legs et littérature n°8
Revue haïtienne
Spécial Marie Vieux-Chauvet

 

Ce numéro 8 de Legs et Littérature  entièrement consacré à l'oeuvre de Marie Vieux-Chauvet, regroupe dans la première partie,  huit articles autour de ses principaux romans, révélateurs de son engagement et quelques réflexions sur les personnages féminins importants ; une partie est consacrée à deux portraits de l'écrivaine ; une autre présente chacun de ses romans ; dans la partie « création » de la revue, chacun des auteurs présentés rend hommage à l'écrivaine, et enfin des repères bibliographiques sont donnés en toute fin.

 

Est-ce un hasard si un jour, Legs et Littérature m'a demandé une première contribution à leur toute jeune revue (née en 2013) ? Mon attachement pour la littérature des Caraïbes était déjà ancien, et celui pour Haïti m'était venu à ma découverte de l'oeuvre de Frankétienne pour laquelle je me suis vite passionnée. Grâce à un ami haïtien, j'ai pu lire ensuite René Depestre, Lyonel Trouillot, Dany Laferrière, Marie-Célie Agnant, puis Stephen Alexis, Yanik Lahens, et dernièrement Mackenzy Orcel et James Noël.

Frappée par la luxuriance de cette langue colorée et si vivante, qui savait apporter des images fortes et réinventer une langue, c'est sans aucun doute Marie Vieux-Chauvet qui me l'a rendue encore plus proche.

Legs et littérature n°8, Revue haïtienne, Spécial Marie Vieux-Chauvet. 

Et j'ai donc proposé ma lecture du chef-d'oeuvre, Amour Colère et Folie, son oeuvre la plus lue et la plus contestée aussi, pour ma deuxième contribution à Legs et Littérature. Parce qu'elle portait une dimension féminine de révolte et d'engagement, sensible à la condition humaine des plus pauvres et aux drames sociaux,  non, ce n'était pas un hasard ; toute ma réflexion et mon intérêt pour la littérature tourne depuis toujours autour de cette thématique entre Parole et Silence et ce, dès mes premiers travaux à l'Université, notamment sur Camus et ensuite dans mes propres écrits.

Comme le rappelle Carolyn Shread, dans son éditorial à ce numéro spécial consacré à Marie Vieux-Chauvet, ma réflexion lors de ma contribution à ce numéro (dans mon article Engagement et résistance dans Amour Colère Folie) s'est en effet concentrée autour de la parole de  Marie Vieux-Chauvet, celle qu'elle a osé prendre par l'écriture de fiction pour dénoncer la violence de la dictature de son pays. J'ai voulu souligner  le courage et l'audace dont relève son écriture tourbillonnante, un courage et une audace qui pourtant lui ont valu  bien des ennuis et querelles familiales et sociales.

Cette parole qu'il fallait oser prendre, pour dénoncer, a son corollaire, le silence et Carolyn Schread le souligne dans son éditorial. Un silence dans lequel la plupart plongeait pour se cacher et d'autres pour mieux réfléchir. Un silence qui est fait d'abord de la terreur portée par la tyrannie de la dictature mais un silence nécessaire parfois  pour demeurer serein au milieu des tempêtes. C'est de ce silence à soi (comme on a une chambre à soi...) pour contrer la violence et la peur, auquel Carolyn Schread fait référence à propos de Marie Vieux-Chauvet,  non que la peur ne l'ait jamais atteinte bien sûr mais le besoin de dire était bien plus fort.

- Le premier article s'appuie sur la Correspondance entretenue entre Marie Vieux-Chauvet et Simone de Beauvoir. Son auteur, Kaïama L. Glover voit en l'écrivaine  une théoricienne sociale, orientée vers « une critique féministe des sphères privées et intimes » que la publication de Amour Colère et Folie, grâce à Simone de Beauvoir fera entrer Marie Vieux-Chauvet chez Gallimard en France. C'est en effet une femme courageuse qui devait faire face à la domination masculine (son mari y compris) et celle d'un pays aux prises d'un dictateur et « en tant que bourgeoise, mulâtresse, femme et écrivain, Marie Vieux-Chauvet se situait dans l'oeil du cyclone sociopolitique qu'était l'Haïti de Duvalier, écrit Kaïama L. Glover.

 

Son livre devait se vendre et être lu, c'est ce qu'elle souhaitait plus que tout au monde même s'il était cause du malheur qui l'entourait et l'a conduite à l'exil. Elle dut se résigner à écouter son mari et récupérer le stock, le détruire après que plusieurs membres de sa famille ait été assassinés.
L'oeuvre de Marie Vieux-Chauvet est une critique radicale de la société haïtienne et cette critique socialeest  au fondement de l'ensemble de son oeuvre romanesque

« Claire, entre conformisme et révolte », article de Ulysse Mentor, propose une lecture de la trilogie Amour Colère et Folie,orientée vers un des personnages principaux « silencieux » et complexe, celui de Claire, héroïne du premier récit Amour.Ce personnage mutique dont la révolte contenue explosera dans l'acte meurtrier en toute fin, est une femme dont la colère est également la résultante de passions intérieures puissantes,  révolte contre l'autorité parentale, amour incestueux et inavoué qu'elle éprouve pour son beau-frère, désirs puissants d'exister  et qui voient triompher dans le dénouement la dimension politique du récit.

L'article  intitulé « Les Rapaces : un choc salutaire pour les consciences » de Marc Exavier propose une réflexion sur le roman Les Rapaces paru en 1986, ouvrage posthume qui revient sur les monstruosités du régime Duvalier. On y voit toujours ce combat de Marie Vieux-Chauvet pour dénoncer l'injustice et la misère sociale dans un désir profond de réveiller les consciences.
Les Rapaces dénoncent ces chefs qui ont tous les droits et laissent mourir de faim les enfants. Roman saturé d'horreurs mais dans une écriture toujours juste.

- Dans l'article de Max Dominique, il est question de trois héroïnes  Lotus (dansFilles d'Haïti), Rose (dans Colère) Claire (dans Amour) mais aussi de Marie-Ange (dans Fond des nègres) et Minette (dansLa Danse sur le volcan).
Il y  est rappelé en particulier combien l'écriture romanesque de Marie Vieux-Chauvet a pu scandaliser  et « dissipe l'aura d'espérance et d'utopie que soulevait par exemple le lyrisme de Roumain ou l'imaginaire follement optimiste et baroque d'Alexis ». C'est que c'est une écriture qui oppose une volonté de résistance et de lutte dans l'espace privé et social des personnages.

- Yves Mozart Réméus s'intéresse dans son article La danse sur le volcan : entre histoire, fiction et féminismeà la manière  particulière dont Marie Vieux-Chauvet  a choisi de réécrire le récit de vie d'une actrice haïtienne (Minette) et la dimension idéologique de ce choix de l'auteur dans le contexte de l'histoire d'Haïti, au XVIIIe siècle à St Domingue sous la domination colonialiste, Minette incarnant alors un personnage « à la frontière de la scène et de la résistance ».

la comédienne fictive, à la différence du personnage historique, est consciente qu'elle peut se servir de l'art comme d'une arme », ainsi si la véritable Minette pouvait refuser de jouer des pièces locales en créole et préférait le Français, de « bon ton » (selon le récit historique qu'en a donné Fouchard), la Minette de Marie Vieux-Chauvet « fonde sa position sur son respect de la dignité des Noirs. 

La distance que prend l'auteur dans son roman vis-à-vis des récits historiques se traduit par une image plus positive de la femme et des métis.

Elle permet aussi de donner à ce personnage réel, un nouveau destin, celui d'une femme bien plus libre encore qu'elle ne l'était, d'une liberté qui aurait atteint à l'universalité, à quelque chose de plus grand qu'elle.

-Jean James Estepha dans son article intitulé La maison : lieu de refuge et de combat dans l'oeuvre de Marie Vieux-Chauvet s'intéresse aux lieux et propose une grille de lecture de ce lieu qu'est la maison,  point de départ dansAmour, Folie  etLes Rapaces, de toute révolte, à la fois  lieu de refuge pour se cacher et se libérer et  lieu de combat et de résistance. « Comment une maison peut être non seulement le lieu où l'on construit une œuvre mais aussi le lieu où l'on peut détruire une autre ».

-  « Violence, refoulement et désir dans Amour et Colère »titre l'article de Dieulermesson Petit Frère, lequel analyse la psychologie des personnages féminins pris en étau entre une éducation rigide et féroce et des désirs de liberté légitimes en regard de leur histoire sociale. La violence tant sexuelle que physique sourd de ces pages lumineuses, contenue et étranglée qu'elle est  par la force de ces désirs de liberté et de vengeance. Elle naît  de l'humiliation et de la frustration (amoureuse par ex pour Claire dans l'amour qu'elle a son beau-frère, dans Amour). Ainsi comme le fait remarquer l'auteur de l'article, la violence n'existe pas seulement dans le camp des bourreaux et elle accompagne la révolte. Dieulermesson Petit Frère souligne ici la violence qui traverse l'écriture de Marie Vieux-Chauvet pour exprimer la défaillance de la justice et ces sentiments de vengeance qui sourdent d'un passé lointain.

Les deux portraits sont rapportés par Dieulermesson Petit Frère dans « Chronique d'une révoltée », « auteur qui dérange et parfait symbole de l'écriture du roman moderne haïtien » et une rencontre entre Marie Alice Théard et Jean Daniel Heurtelou, neveu de Marie Vieux-Chauvet.

Dans la partie création :
-Le récit tendre de Serghe  Kéclard : un amoureux des livres  nous raconte son rêve de rencontre avec l'auteur et sa passion amoureuse pour l'oeuvre et la personne de Marie Vieux-Chauvet,

 

-Un poème de Iména Jeudi (auteur publié aux Editions Temps des cerises) : « Vivre est en moi frôlement de vertige cohorte de soupirs qui font signe d'avancer dans l'acte net des ombres arrêtées en flagrance de lits d'orgasmes en délits d'infinies défaites » (extrait deFaillir propre),
-un billet à Marie Vieux-Chauvet signé Marie Alice Théard, une lettre à Marie, signée Mirline Pierre.

L'année 2016 a mis à l'honneur Marie Vieux-Chauvet, pour le centenaire de sa naissance, lors de la vingt-deuxième édition du festival « Livres en folie », l'événement culturel le plus important en Haïti,  après de longues années de silence  après sa mort.

 




La Revue Ornata 5 et 5bis, et “Lac de Garance”

La gémellité sous-tend la création et la réalisation de la revue Ornata, et du premier opus des éditions Eurydema. "La version en ligne est l’espace de travail pour la revue papier" déclare le site : Ornata bis présente des textes en attente d’images et des images en attente de textes – elle précède donc la fort belle revue papier - sa jumelle accomplie – dont elle présente en format pdf des extraits fort alléchants, ainsi que la liste des images et textes (prose ou poèmes) en quête de leur double. 

Ainsi pour ce numéro sont annoncées les propositions en attente d'images d'Irène Vekris, de Pauline Bourdaneil, Patrice Maltaverne, Roselyne Cusset, et Igor Quézel-Perron, ainsi que les images (acryliques) en attente de textes de Valérie Tournemine.

Les textes (prose et poèmes) d'Irène Vekris réapparaissent dans la version papier accompagnés d'images apportées par Sandrine Follère et Catherine Désirée et Valérie Tournemine trouve un pendant avec un texte de Denis Emorine.

Reste à imaginer le destin des orphelins sans besson – perdus? Non ; en attente de propositions retardataires pour un prochain numéro de la revue ((  les contributions à envoyer à l'adresse indiquée sur le site : 
https://www.eurydemaornataeditions.com/revue-ornata-en-ligne-5)) dont nous feuilletons maintenant le numéro papier. Superbe papier glacé qui donne aux images une belle profondeur.

On y découvre les magnifiques photos en n&b de Valérie Simonnet, "photographe de ville" au style expressionniste, transposant le réel avec un alphabet pictural dans lequel les contrastes et la profondeur du noir ajoutent une dimension surréelle aux sujets présentés. La première illustre la fin du poème "Exil" :

nous fuyons / derrière la vitre / la main / qui pourrait nous apaiser 

les suivantes évoquent le vide et la disparition qui sont au coeur des deux autres textes.

Ceux de Géraldine Sébourdin sont accompagnés des peintures d'Audrey Chapon, platicienne mais aussi metteure en scène et fondatrice de la compagnie Lazlo, à Lille – leur collaboration se prolonge ailleurs, par la réalisation de la pièce Quatre-soeurs, en 2017.

Hans Limon et Hélène Desplechin conjuguent les images fluides et floues en noir et blanc de cette dernière à des poèmes évoquant les mêmes eaux mauvaises que décrivait Gaston Bachelard

en pieuvre abreuvée d'onde / en Ophélie féconde / en fée des eaux vagabondes / en plaie de lie nauséabonde ...

Sous le titre de "Mémoire consumée", Alexandre Nicolas et Olga Voscannelli conjuguent leurs imaginaires : les mots de l'un, sur l'effacement, la rêverie induite par la fumée de la cigarette, et les photos de l'autre, évoquant des flammes-corps sur le point de s'évanouir entre noir et couleur.

Le travail de Benjamin Godot et Sophie Moysan associe les poèmes de l'un avec les dessisn à la plume et encres noire de l'autre. (on imagine, car aucune information n'est donnée sur les techniques utilisées). Série de paysages, comme un carnet de voyage, sur un rivage de fin du monde.

Cette livraison se clôt sur un poème de Denis Emorine, intitulé "Marée Basse" ((erratum, envoyé par Denis Emorine : "ce poème n'est pas de moi. Il y a eu depuis impression d'un bon numéro,  (avec la mention "erratum en page 53) qui fait correspondre, aux photos de Valérie Tournemine,  In The Shadow" et "Burn out."))  , qu'accompagnent deux beaux portraits d'artistes de la photographe Valérie Tournemine. C'est peut-être le lien le plus ténu et l'on pourrait le penser  le moins convaincant de l'ensemble des productions proposées, l'appariement étant ici contrarié également par le choix de titres différents pour chaque illustration – mais e l'intensité émotionnelle véhiculée autant par les photos que par le poème, évoquant "le fracas des voix / lorsque ta mort / a fait de moi / un petit garçon déchiré" - en longs échos pour le lecteur.

 

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Cette belle petite revue (petite par la taille) s'accompagne dans l'enveloppe que j'ai ouverte d'un livret aux mêmes dimensions, né des expériences des précédents numéros, intitulé "Lac de garance", et consacré aux "errances". Le thème y est développé par Valérie Chesnay au long de 16 illustrations en techniques mixtes (aquarelle, calques et dessin) aux couleurs sombres et dessins souvent estompés, comme sortant d'un rêve, et par Mical Anton, au fil de textes oniriques, dont l'univers se lie tout à fait à celui de l'artiste, si bien qu'on ne saurait décider – et c'est ainsi parfait – de la méthode (image puis dessin, ou le contraire) qui a présidé au recueil.

Dès la couverture, nous interrogent les yeux - lacs aux eaux profondes comme la mémoire – d’un portrait aux contrastes expressionnistes, la bouche barrée de l’ amer trait de couleur rouge qui souligne les mots du titre. Lac/laque d'un glacis dont la transparence permet d'apercevoir des détails enfouis, comme dans les paysages de Valérie Chesnay, l'image double portée par le titre nous entraîne dans une rêverie voyageuse ou se mêlent les temps et les lieux, à partir de cette évocation d'un enfant qui "à cause de Soutine, à cause du paradis / à cause de l'évidence et en dépit vraiment / de tout l'enfant qui viendra s'il doit venir / s'appellera garance laque de garance." Un beau travail d’édition qu’on salue avec plaisir, en attendant la suite.




Revue TXT 32 : le retour

TXT comme quoi ? Comme TeXTe ou TeXTure ? comme Ton Xylophone Troué ? Comme Ta Xénophobie Tarabiscotée ? comme Ton Xérophage*((Une revue de ce nom – Les xérophages - existe vraiment)) Trublion ? … Eh bien non, il s’agit de TXT comme « TrenTe-deuX » avec les lettres dans le désordre. Approfondissons donc. Tout d’abord dans cette revue, le nombre 25 semble prédestiné. Certes, ce n’est pas le 25 de la librairie parisienne dite de La 25ème heure**((Place général Beuret, 75015)) . Ce 25 signale qu’un quart de siècle s’est écoulé entre la parution du dernier numéro de TXT 31 et la présente sortie ou re-sortie de ce TXT numéro 32.

Revue TXT 32, le retour, Edition Nous, 15 euros.

Une gestation donc de longue haleine ! Pour le rappeler, 25 auteurs/poètes/philosophe/photographe/artistes/ceci/cela du comité de rédaction soutiennent ce néo-projet TXT de 96 pages. Un artiste par année donc ! C’est un probablement un hasard. C’est sûrement un hasard. Un hasard qui reste définitivement hasardeux. Quoiqu’il en soit, 17 auteurs prennent leur plus belles touches de laptop pour dénoncer ou annoncer ou claironner la « haine de la poésie ». Une sacrée entreprise qui consiste à « vider la poésie de la poésie qui bave de l’ego », des « intériorités émues, du troc des imageries, du vers libre standard et des métaphysiques rengorgées ». Le programme commun - somme toute sélectif - d’une écriture qui se travaille aussi « contre le langage ».

Que substituer à la poésie, ce fond du message, si souvent fonds de commerce de nos si délicieux états d’âme ? Tout simplement la « forme ». Pas la santé musculaire ou cardiaque entretenue par un jogging des mollets en plein bois ! Non, il s’agit de la forme Forme hors du fond, c'est-à-dire de la « poéticité matérielle » (rythmes, son, typographie, collage, composition). Le travail poétique consiste à chercher « ses formes propres, ses rythmes sensibles » selon Boutibonnes, Clemens, Demarcq, Frontier, Le Pillouët, Prigent, Verheggen par ordre alphabétique. Il joue avec la langue, mais ce n’est pas une langue de bois of corse ! Objectif toute : créer des « secousses » (dixit W. Benjamin)… Il faut faire trembler la pensée, tsunamiser les strophes, éruptionner les respirations. Au demeurant, J. Demarcq estime cette revue « carnavalesque », sans doute car elle sait se moquer du langage.

 Quoiqu’il en soit, deux des supporters-auteurs-artistes annoncés sont quand même de sexe féminin. Seule la première,  l’autrice Typhaine Garnier, propose une intervention écrite intitulée  A l’atelier. Son récit est fait de deux strates - Rossinière et Grands Augustins - liées à deux peintres dont on imagine qu’elle a écrit au pied d’un de leurs tableaux, en quelque sorte guidée sous sa surveillance ! La Rossinière, liée à Balthus (Le peintre et son modèle) propose une pensée qui dérive, qui émerge en strophes, qui questionne en anglais, qui se distribue un temps en colonnes, qui propose un contenu diversifié parfois sans ponctuation ou parfois avec un point d’interrogation, des pensées composites parfois séparées par un simple espacement ou parfois par un mot  découpé en morceaux sur deux lignes avec une moquerie orthographique (« es-cabot » pour escabeau), parfois des phrases qui sont des « balbutiements ». Sous l’égide de Picasso (Dora Moore au chat),  un autre récit se distribue sur trois colonnes de taille variable : celle de gauche au fer à droite, celle du centre impeccablement justifiée, celle de droite au fer à gauche. Comme si l’anamorphose de sa pensée poétique se déconstruisait pour éviter certaines constructions. Bref, un pied de nez au classicisme est fait dans cet « atelier » de fabrication de la langue : un lieu où le contenu est d’évidence moins important que le contenant en rappel - peut-être - de Mac Luhan (« Le medium, c’est le message »), ce qui implique le rejet de tout « caquet narcissique » (dixit Philippe Mangeot). Le Verbe avec cette écrivante***((néologisme qui me plaît))ne se fait pas chair mais forme, squelette, géométrie de mots. Bref, cet atelier où travaille un artisan du langage  refuse toute construction au fondement si solidement ancré dans nos têtes traditionnelles (alexandrins, quatrains, tintins !).  La seconde femme est la photographe Marie-Hélène Dhénin qui a codirigé la revue Tartalacrèmedans les années 70-80. Elle propose Un thé avec Sémiramis, formidable entassement de chaises de bureau retournées  cul par-dessus tête, autrement dit les pieds en haut et les siège-et-dossier en bas. La présence de Sémiramis est à démontrer.

Ne soyons pas exclusifs. Fréquentons quand même les hommes qui s’offrent la part belle.: Verheggen Jean-Pierre: « La mort ? Le père Lachaise s’assied dessus ! ». Novarina Valère allitératione (!) avec les lettres ESPIR « l’esprit respire » pour décliner tout ce qu’il pense du christianisme (Croix, Trinité, Dieu), du moins en période de Carême ! Demarcq Jacques propose son dans son Exquis disent (version modifiée de Qu’est-ce qu’ils disent) les zozios de son zoo sonore. Il n’hésite pas à muer le son en lettres de taille et nuances variées entrecoupées de signes non significatifs : pour le rollier d’Abyssinie, c’est du « krwèèwOh%krrwèèh ». Inutile de traduire, il faut juste entendre… Cochevis, souimanga, traquet et bergeronnette ont droit à leur litanie singulière en « slams mystitsiques » ou en « tripes dispipsiques »…Prigent Christian, quant à lui, se déchaîne en écrits un tantinet macho : «Oter la culotte avec les deux/ A la fois fesses dedans, ça ne/T’excite pas le Mister Smart slip ? »». Ou après le dessin du sigle vénusien : « Tu  souviens quel beau mon/ Cul ? Il y a base de bonne/Pute à dix bornes »…l » Entre les « gros mamelons hygiéniques » et le « sexe dépravé », l’auteur classe lui-même ses écrits en « courriers indésirables ». La lectrice est soulagée par sa lucidité éventuellement humoristique ! Bobillot Jean-Pierre, enfin, pense « à ce  vertige : penser à tous les mots auxquels s’ajoute celui que je suis en train d’écrire (de penser) »…Une raison pour moi de cesser ce commentaire et de retourner à mon propre néant mental. Mais non, quand même non, rajoutons ce constat de Pennequin Charles qui me trouble : « La poésie, c’est le  retour à l’état sauvage de sa propre personne ». De quoi méditer jusqu’à la sortie du numéro 33, prévue en… 2019.




Les Hommes sans Epaules : poésie chilienne.

Encore une très belle livraison que ce numéro 45 des Hommes sans Epaules, qui nous offre ce que nous pouvons sans hésitation appeler une anthologie des poètes Chiliens contemporains. Accompagné et guidé par un paratexte important comme à l’habitude, le lecteur est invité à découvrir quelques uns des noms parmi les plus représentatifs du genre : Vicente Huidobor, Pablo de Rokha, Pablo Neruda, Alberto Beaza Flores, Gonzalo Rojas, Patricio Sanchez Rojas et bien d’autres.

Les Hommes sans Epaules N°45, Ecouen, premier semestre 2018, 341 p., 17 €.

Ce dossier est précédé d’une introduction signée par Christophe Dauphin, qui dans son éditorial retrace le panorama historique et social qui a présidé aux productions proposées : « Lettre du pays qui a des poètes comme la mer a des vagues ».

Les rubriques habituelles entourent ce dossier : le lecteur y découvrira tout un appareil critique, « Avec la moelle des arbres » dont les auteurs ne sont autres qu’Odile Cohen-Abbas, Henri Béhar, César Birène, Karel Hadek, Paul Farellier et Claude Argès. Des informations qui recensent aussi les événements qui ont eu lieu autour de la poésie figurent en fin de volume : un compte rendu du 27ème salon de la revue, de la rencontre avec Frédéric Tison qui a eu lieu à Saint Mandé en novembre 2017, et bien d’autres encore.

Enfin, ce numéro du premier semestre 2018 nous propose des textes d’Yves Namur, d’Emmanuelle Le Cam, de Gabriel Henry, et d’autres poètes contemporains de tous horizons.

Fidèle à sa ligne éditoriale et à sa politique qui est d’offrir au lecteur une pluralité d’outils afin de guider sa lecture sans jamais en orienter la réception, ce numéro 45 des Hommes sans Epaules est dans la lignée de ceux qui l’ont précédé. Il propose une rare épaisseur, non seulement en terme de volume, annonciateur d’un contenu riche et diversifié, mais aussi en terme d’analyses visant à enrichir l’appréhension d’une littérature toujours donnée à découvrir dans la globalité des éléments contextuels qui ont présidés à sa production. La liberté de découvrir de nouveaux auteurs, de nouveaux horizons poétiques est ici encore soutenue par une contextualisation dont le lecteur saura s’emparer pour recevoir dans toutes leurs dimensions les pages de cette revue.




Journal des Poètes, 4/2017

Dans le numéro d'hiver du JDP, un dossier sur la poésie israelienne, réalisé par Esther Orner et Marlena Braester,  précédé d'un hommage à Israël Eliraz, dont 5 recueils ont été publiés par Le Taillis Pré entre 2000 et 2008.  La diversité des voix poétiques, soulignée par la la sélection, retient l'attention – en parfaite harmonie avec la philosophie d'ouverture de la revue, telle qu'elle est définie depuis l'origine, ainsi que je le signalais dans l'édito, consacré au numéro suivant(1) ((1-2018, 87ème année, dossier "La poésie croate-1")) . On y croise les mots du contestataire Meir Wieseltier, pour lequel "la fleur de l'anarchie se balance encore dans le vent", ou ceux de Rivka Miriam, dont les poèmes évoquent la famille et la religion avec une tendresse malicieuse :

 

Le Journal des Poètes, 4-2017, 86ème année, dossier "Voix de la poésie israélienne", et 10 euros le numéro ou par abonnement – informations sur le site https://lejournaldespoetes.be/abonnement/

Quand les juifs se portent sur leurs propres épaules / ils perdent leur poids / leurs poids / leur poids passe aux livres / qui grossissent et grossissent.

Raquel Chalfi explore le côté poétique du monde scientifique : "Je navigue navigue navigue / dans l'immense univers des atomes de / ma vie minuscule" tandis que Maya Bejerano propose des haïkus sur la vie quotidienne. C'est l'actualité – violences, attentats, viol – et leur répercussion sur les liens humains qui constitue l'amer arrière-plan des poèmes présentés par Anat Zecharia : "Nous disons le mal pour le bien, le bien pour le mal / idées sombres".

Cofondateur de la "Guerilla de la culture", Roy Chicky Arad nous implique dans son poème :

Le moyen de niquer le système : le grand lac

Viens te joindre avec moi dans le grand lac

Pourquoi suis-je seul dans le grand lac?

Rien ne vous empêche de venir au grand lac

Par exemple, toi, lecteur,

Ne dis pas "je ne suis que le lecteur",

Retrousse ton pantalon, jette le maillot,

Viens maintenant dans le grand lac !

Décidément, c'est un auteur que j'aime beaucoup : entre une shadokienne "critique acide de la passoire / Insurrection contre les petits trous / Rébellion contre son avidité stérile" et un texte appliquant strictement l'injonction du titre : "Mono", les poèmes "Le fascisme" et "Patriote" revisitent à rebrousse-respect ces termes avec lesquels on dresse les foules à l'obéissance, ou les unes contre les autres.

Des textes de Marlena Braester et Esther Orner, qui ont réalisé ce dossier, complètent ce bref panorama, dont on aurait aimé qu'il y ait un deuxième volume, comme pour la poésie croate. Des belles images de la première, je retiendrai "les vagues-dunes traînent muettes / le futur d'un passé toujours plus présent", et de la seconde, le titre , "Etrangers à l'endroit", de cet ensemble de brèves notations en prose, où l'étrangeté naît de la précision du détail observé.

On ne parlera pas aujourd'hui des autres parties de ce numéro, toujours riches de propositions, des "coups de coeur" à Jean-Marc Sourdillon et Pierre Dhainaut, des deux beaux ensembles de "Paroles en archipel" et "Voix Nouvelle", complétés par les critiques et présentations d'"A livre ouvert" et "Poésie-panorama'. On se contentera d'inviter le lecteur à visiter le site de la revue, afin de s'y abonner.




Revue Traversées

Fondée en 1993, Traversées témoigne encore d'une belle verdeur : titulaire de plusieurs prix ((En 2012, le prix de la presse poétique parisienne, en 2015, le "Godefroid "Culture" de la Province du Luxembourg, ainsi que le prix Cassiopée du Cénacle européen à Paris)), la revue, qui a 25 ans, a sorti son 86ème numéro en décembre 2017, avec pas moins de 160 pages sur papier glacé au format 15x21, sous une belle couverture illustrée pleine page d'une photo en noir&blanc (de nombreuses photos intérieures ponctuent également la lecture).

On y découvre 32 auteurs, plus ou moins connus (aucune notice biographique ne permet de se repérer), et des textes variés : prose narrative, poèmes en prose, en vers libres ou rimés... L'édito, discrètement placé en fin de volume, ne guide pas le lecteur, livré à lui-même pour accomplir le rituel de la lecture, évoqué là par Patrice Breno comme une longue maladie dont la revue apaiserait les souffrances. Et pourquoi pas? Au plaisir de la découverte, j'ai fait le parcours logique en suivant l'ordre des pages, glanant au passage de belles surprises, et des moments de pur bonheur.

Le premier texte présenté est une nouvelle assez longue (elle s'étend sur 7 pages) d'Eve Vila, que connaissent les lecteurs du Cafard hérétique et de la revue Rue Saint-Ambroise. Je ne ferais pas de détestable "spoiler" de ce récit, intitulé "Paysages de la soif" – juste indiquer que le cadre en est ferroviaire, et met en scène une narratrice dont la fascination pour une silhouette entrevue l'amène à changer de route, et poursuivre ce double insaisissable, qui lui fait découvrir "la liberté que donne le désir nu".

traversées n. 86 déc 2017

Revue Traversées, n. 86, décembre 2017, 160 p. Abonnement 4 numéros : 30 euros,
Abonnement sur le site

La nouvelle suivante n'apparaîtra qu'après "Damages", longue suite de poèmes de Christian Viguier (pp.10 à 29) – série de questionnements méditatifs autour de la disparition d'un être cher, de son destin d'outre-monde et des liens qu'il conserve avec le monde des vivants :

Dans cent ans ou mille ans
où sera inscrite ta mort
à l'intérieur de quel nuage
à l'intérieur de quel corbeau
et de quelle nuit?

Le récit de François Teyssandier (pp. 30 à 44) évoque, dans une ambiance de réalisme poétique ou de fantastique social, qui m'a fait beaucoup penser à Dino Buzzati, les conséquences d'une chute constatée par un employé sur son lieu de travail : "Ce lundi, vers onze heures, Léonard G. vit brusquement passer devant la baie vitrée de son bureau qui surplombait une avenue la silhouette furtive d'un homme". Quant à la chute de la nouvelle, je vous la laisse découvrir – elle est bien là en abîme.

Suivent des sélections plus brèves de Nicolas Savignat, Mustapha Sala, J.P Pisetta et Jean-Pierre Parra, dont le cheminement spirituel et temporel m'a touchée :

tu poursuis
spirale du temps chevauché
la quête de la vie sourde
qui n'a pas de fin

&

(...)
tu parcours
mûri et fortifié par l'âge
la route allongée adoucie par l'esprit.

On rencontre Damien Paisant, Béatrice Pailler, Dieudonné François Ndje Man, puis les "Chroniques de mon moulin" de Choupie Moysan, illustré de photos dont une de l'auteure (plasticienne et haïkuiste par ailleurs, ainsi qu'on le découvre sur son site), dont l'écriture presque pongienne n'est pas sans attrait – à titre d'exemple, ce final de Les Ronces :

Elles vampirisent de leurs filandres robustes un sol acquis à leur cause depuis des années et ne comptent pas laisser le terrain, tel un cancer, jamais en rémission, toujours en déplacement !

Les ronces pourpres
coriaces sous un gel vif
Les lèvres bleuies

Suivent les textes d'Arnaud Leconte, Michel Lamart, Vital Lahaye et Miloud Keddar : puis l'écriture baroque et précieuse de Nicolas Jaen, évoquant avec de belles images le couple dans une série de variations sur l'amour, Georges Jacquemin, avec de brefs poèmes-sensations méditant sur le "rien" ("Il faut bien que quelqu'un se dévoue / Aux œuvres du rien"), Leafar Izen, François Ibanez ; et encore Bie Hu, Sandrine Davin, Pietro Chiara, auteur italien dont la traduction d'une nouvelle, extraite de L'Uovo al cianuro, présente un monde qui semble aussi dystopique que Les Falaises de Marbre d'Ernst Junger.

Feuilletant dans l'ordre, je trouve Muriel Carrupt et Francesca Caroutch – et je découvre les magnifiques poèmes d'amour de Terze Caf, la seule, avec sa traductrice, Sandrine Traïda, à bénéficier d'une note biographique et de textes bilingues – kurde/français.

Depuis des dizaines d'années
Dans mes paumes
Je fais don d'amour
(...)
Je pleure pour ma mère... Seulement.
Cette mère lumineuse aux paumes remplies d'amour,
Elle est morte dans la solitude.

Après Alexis Buffet, et une série d'Alain Brissiaud – ode à la femme perdue – "Sois désireuse, ô ma protégée", d'autres poètes encore, évoquant la solitude, l'oiseau du poète, "Les choses qu'on ne dit pas", et une émouvante nouvelle de Laureline Amanieux "Le Chant de la mer". C'est à la fin du recueil que le lecteur rencontre la voix de Patrick Breno, qui dans son édito évoque "la longue maladie de lire" – on pourrait dire de re-lire, tant ce numéro tend des traverses qui font résonner les textes selon le point de départ qu'on choisit.