Japon : « Poèmes et pensées en archipel »

Le Japon, matière poétique. Le numéro 17 de la revue « Etats provisoires du poème » est consacré au Pays du soleil levant. La revue poursuit ainsi son voyage par les textes. Après les Caraïbes et la Grèce, voici donc le Japon.
On trouve, dans ce numéro, différents angles d’attaque sur le sujet. Qu’il s’agisse de l’art des masques du Nô ou encore de la pratique de l’arc. Mais la plus large place est accordée à la poésie avec, notamment, des textes inédits d’Alain Jouffroy, Tanikawa Shuntarô et Ooka Makoto (traduit par Dominique Palmé)

C’est Zeno Bianu, familier des poétiques orientales et auteur de deux anthologies de haïkus avec Corinne Atlan qui ouvre la revue par des « variations sur quelques haïkus japonais contemporains ». Il cite ainsi ce poème d’hôpital de Sumitaku Kenshin : « Quand je me lève/il titube- / le ciel étoilé ». Et en fait le commentaire suivant : « Qui titube/le ciel tourneboulé/ou le poète/sens dessus/dessous/les étoiles dansent/comme des derviches ». Au haïku de Usami Gyamoku (« Midi d’automne - /dans la ruche/le bruit du pas des abeilles »), il ajoute son regard personnel : « Imaginez un peu/le pas d’une abeille/au bord du silence/sa résonance/dans l’infinitésimal/un monde/d’absolue perception ». Mais, posons-nous la question : les haïkus ont-ils vraiment besoin d’être commentés de cette manière? Autrement dit, fabriquer un poème à partir d’un haïku n’est-ce pas une bien drôle d’idée ?

La revue a opportunément fait appel au Brestois Alain Kervern, essayiste, poète, traducteur du Grand Almanach poétique japonais (éditions Folle Avoine), pour évoquer les problèmes liés à la traduction des haïkus japonais. Le Brestois en connaît un rayon sur le sujet étant lui-même japonisant.

Japon, poèmes et pensées en archipel, numéro 17 de la revue « Etats provisoires du poème », édition Théâtre National Populaire et Cheyne éditeur, 143 pages, 22 euros.

Beaucoup de ce qui fait le charme d’un poème japonais, écrit-il, disparaît dans une autre langue à cause notamment du changement de système d’écriture. L’on passe en effet d’une écriture où se combinent deux systèmes phonétiques (hiragana et katakana) et un ensemble d’idéogrammes (kanji) venus de Chine, à une écriture fonctionnelle mais décharnée, puisqu’il s’agit d’un simple système de transcription phonétique, l’alphabet latin ». Il ajoute, plus loin : « Traduire des haïkus japonais, c’est aussi transmettre dans une autre langue les allusions littéraires qui y sont cachées. Connues de tous au Japon, elles appartiennent à l’immense corpus culturel qui depuis plusieurs siècles constitue le référentiel obligé où puisent tous les poètes.

Prenant appui sur des traductions de haïkus de Bashô, Chôgo ou Saïgyô, Alain Kervern démontre bien la complexité de l’approche et conclut son analyse par ces mots :

Si le travail de traduction est peut-être ce que Valéry Larbaud appelait une « école de vertu », celui d’Armand Robin, en quête de vérité de langue en langue, n’était-il pas plutôt la recherche d’une délivrance ? 

Parmi les autres notables contributions de la revue, on retiendra l’analyse que fait le professeur Michel Lioure du regard de Paul Claudel sur la culture japonaise. Claudel fut ambassadeur à Tokyo et 1921 à 1927. Très sensible à l’expression poétique japonaise (et notamment au haïku), il est l’auteur de Cent phrases pour un éventail. Le grand écrivain français avait, en particulier, vu juste à propos du « surnaturel » au Japon qui n’était, à ses yeux, nullement autre chose que la nature. « Il est littéralement la surnature », estimait-il. Michel Lioure note que, pour Claudel, «gestes et rites expriment un respect envers la nature, arbre ou animal, et manifestent un sens du sacré pressenti jusque dans le profane et le familier ». Voilà des affirmations qui, en ces temps (écologiquement) difficiles, méritent d’être prises en considération.




Un Festival Permanent des Mots : entretien avec Jean-Claude Goiri

Nous écrivons pour déterritorialiser nos frontières afin de topographier nos émois parce que rencontrer l’autre, c’est se soulever tout à fait.

Je pensais faire un compte rendu de ma lecture de la revue fpm, Festival Permanent des Mots, mais ces quelques mots mis en exergue de ce périodique m’inscitent à visiter le site femepo. Quelle merveille, que de découvrir un empire sans souverain ni territoire autre que celui du monde !

 

La revue « Festival Permanent des Mots », pourvue d’un paratexte attractif, laisse libre cours aux auteurs publiés. Une courte biographie figure dans les dernères pages. Pas de discours critique, ni explicatif, et des rubriques qui rythment cette publication de très bonne qualité : « Permanence », en guise d'édito, « Ouverture » , un invité ou le texte le plus frappant, « Libres courts » , poèmes, « Braquages » , pour les chroniques, « De long en large », pour les nouvelles & récits, « Regards posés », qui propose de restituer les impressions que font naitre une œuvre littéraire ou plastique (cinéma, peinture, musique... etc), c’est à dire de découvrir des productions, sans aucun discours critique, mais en accompagnant le lecteur dans sa découverte, et en lui offrant un accès à l’œuvre, dont il découvrira certains aspects à même de le guider vers une lecture plurisémantique de l'oeuvre.

De nombreux poètes et auteurs contemporains offrent aux lecteurs des bribes de leurs productions. Pour le numéro de juin, une pléiade époustouflante sera proposée dans cet écrin de papier blanc, de beau format, dont la couverture, noire et blanche, offre des productions graphiques d’une étonnante originalité. Ce numéro de juin laisse rêveur, car on pourra y trouver entre autre :

Antoine Basile Mouton, Annabelle Gral, Arthur Fousse, Benjamin Bouche, Sara Bourre, Céline Pieri, Louis Raoul, Fabien Drouet, Christine Guinard, Arnaud Forgeron, Ema DuBotz, Marthe Omé, Céline Walter, Miguel Ángel Real, Khalib El Morabethi Anne Duclos,  Sandy Vilain,  SNG, Issia Bouhali, Margueritte C., Lo Moulis, Valère Kaletka, Murielle Compère-Demarcy (MCDem), Caroline Bragi, Marc Guimo, Benoit Camus, Jacques Cauda, Frédéric Dechaux, Jacques Jean Sicard, Régis Nivelle, Dominique Boudou, Grégory Hosteins,  Antoine Ménagé, Christian Schott, B. Dorsaf, Mathieu Jaeger. Illustrations : La Demoiselle Hurlu...! Les couvertures laissent parfois apparaître l’urbanité décharnée d’un paysage contemporain, un lieu, sans identité, qui pourrait être n’importe où, et qui ne permet pas à un horizon d’attente déterminé de s’installer, ou bien des productions graphiques, toujours en noir et blanc, d'une très belle tenue. La liberté est offerte de lire, détaché des attentes d’une topographie quelle qu’elle soit, carte d’une histoire littéraire qui cloisonne le texte dans une historicité signifiante, pays, époque, ou bien d'une iconographie dévolue à une mimésis déterminée…La liberté, voici ce qu'annonce FPM, dés l'avant lecture !

 

Et c’est bien de cela dont il s’agit, de découvertes, de laisser aller les propos, les poèmes, les textes, quelle qu'en soit la catégorie générique, sans en orienter la lecture ; territoire de la littérature, alors, me dis-je. Je m’oriente vers le site femep, qui arbore le même discours, celui d’une liberté, de créer, de découvrir, d’exister, hors tout cadre déterminé. Des rubriques apparaissent : « Créations littéraires, Poèmes, Nouvelles, Récits, chroniques….et autres tentatives d’expression ». Elles signalent la même volonté de ne pas commenter le texte, de l’offrir dans l’immanence des déploiements de ses potentialités sémantiques. Car nous le savons, la poésie est plurisémantique, le texte un palimpseste, c’est un espace ouvert à toutes les réceptions, pour ne pas dire interprétations.

 

Je connaissais déjà Tarmac, maison d’édition associative. Et puisque j'ai cheminé émerveillée dans les avenues tracées par FEMEPO, je poursuis mon voyage vers ce lieu. Je découvre un dispositif adopté, ici encore, pour conserver une liberté de choix et offrir aux lecteurs la possibilité de lire et de découvrir de nouveaux auteurs. Des poètes y trouvent leur place, qui peut-être n’auraient pas pu souhaiter mieux que cet espace ouvert et qui produit des recueils d’une plastique appréciable.

Je souhaite alors vivement parler au musicien premier, car il n’aimerait pas je pense que je dise chef d’orchestre. Jean-Claude Goiri, avec une simplicité et une mdestie exemplaires, accepte de répondre à mes questions :

 

Jean-Claude Goiri, le site qui soutient votre revue Festival Permanent des Mots propose sur sa page d’accueil ces quelques lignes en manière d’entrée en matière :

« Créations littéraires
Poèmes, nouvelles, récits, chroniques... 
et autres tentatives d'expression »

« Créé en 2014, le Festival Permanent des Mots, FPM, est une revue littéraire exclusivement réservée à la création contemporaine. Aucun dossier, aucune critique, une trentaine d'auteurs dont un collectif de 6 chroniqueurs nommé Braquages. Vous serez donc les seuls juges face aux textes que j'ai souhaité distincts et singuliers mais réunis par une réelle "nécessité" de dire et de décentrer. Une sorte de topographie du territoire écrit contemporain avec la seule prétention de transmettre une différence et c'est déjà pas mal. »

 

1- Quel lien et quelle différence faites-vous entre la revue numérique et la revue papier ?

Le lien entre le site et le papier est l’auteur, c'est-à-dire que chaque auteur qui sera publié dans le site, le sera aussi en version papier. Pour chacun d’eux, je choisis des textes différents à publier sur les supports distinctifs. Le nouvel auteur accueilli est diffusé auprès de mes « abonnés au site » pour qu’ils se fassent une idée du style sans retrouver le même texte en achetant la version papier.
La différence est que tous les auteurs ne peuvent pas être publiés sur le site.
Les deux supports sont donc complémentaires dans un même objectif : diffuser les textes.

 

2- Quelle distinction entendez-vous entre une « critique » et une « chronique » ?

La chronique est un récit de faits distincts écrits dans l’ordre du temps lié par une même thématique mais n’ayant pas forcément un regard critique sur la thématique, ou, n’ayant pas comme « critique » le concept central de l’écrit. La chronique peut être un simple rapport objectif sur certains événements. La critique, elle, est un regard subjectif. Mais ceci n’a rien de négatif, la subjectivité apporte des ancrages culturels. D’ailleurs, je lis les critiques et je pense introduire une rubrique critique dans la revue papier.

 

3- Que voulez-vous dire par « transmettre une différence » ?

Ce serait de transmettre une « dissimilitude », c'est-à-dire des textes qui n’entrent pas dans une matrice prédéfinie, qui ne répondent pas à des normes, qui ne complètent pas une série déjà inscrite partout, des écrits qui se distinguent par une identité unique et non reproductible. Je voudrais que la revue soit un recueil d’identités distinctes pour prouver aux lecteurs que la diversité est riche et que sans elle, notre culture serait si pauvre.

 

4- Les textes que vous proposez sont entourés d’une pluralité de vecteurs de communication, qu’il s’agisse de chroniques ou d’autres formes de création artistique. Comment envisagez-vous la dynamique entre ces différents moyens d’expression ? S’agit-il d’une illustration du texte, d’une explication, ou bien tous ces supports sont-ils complémentaires ?

Ces différents moyens d’expression sont complémentaires, je les souhaite imbriqués pour former un ensemble cohérent autour des courbes éditoriales de la revue : décentrer pour dire le centre et, la création comme une nécessité d’exister autrement, de se désembourber, de sortir du « seuil ».

 

5- Cette mise en œuvre du texte dans un contexte diversifié, qui convoque l’espace contemporain de sa production, qu’il soit artistique, sociologique ou historique, permet-il d’offrir au lecteur un maximum d’outils pour qu’il soit « seul juge face aux textes » ainsi que vous le proposez ?

Il est certain et visible que dans notre société, l’autonomie de pensée est étouffée par une volonté politique de tout faire et de tout penser à la place du citoyen. Il semble ainsi à ce dernier avoir besoin de tout un attirail d’orthèses intellectuelles et culturelles pour pouvoir comprendre les choses et notamment pour pouvoir accéder à la littérature et lire de la poésie. Mais c’est faux, cette capacité, l’autonomie de pensée, existe, il faut la stimuler, l’exciter, la réveiller. Et ce constat fait suite à une expérience bien concrète et déterminante dans mon engagement : j’ai travaillé au Centre d’Auto-Apprentissage des Langues de Pachuca (Mexique) et j’y ai constaté que tout le monde peut être l’acteur de ses apprentissages en réveillant des facultés endormies : repérage (d’éléments distinctifs…) ; différenciation, organisation des données ; comparaison ; analyse d’ensembles ; constructions par mimétisme ; personnalisation par opposition… Ces comportements naturels devraient être appliqués dans tous les domaines, non seulement dans la lecture, mais aussi dans l’approche de la littérature et dans la construction d’une culture personnelle. Ces capacités se libèrent instinctivement quand on leur en donne l’occasion grâce à des structures et à des conseillers tels que ceux du CAAL de Pachuca (je n’en connais pas d’un tel acabit dans notre pays qui soit public et gratuit). J’ai vu des « apprenants » étonnés de découvrir qu’ils possédaient des aptitudes leur ouvrant les portes d’un jugement autonome ! Et, c’est bien cette nécessité « d’être seuls juges » qu’il faut réactiver pour ne pas se laisser noyer par toutes les « utilités hypnotiques » qu’on nous assène et qui n’ont plus rien à voir avec nos intimes pensées, notre intime nature ou une quelconque construction de soi.

 

6- Pensez-vous que cette mise en œuvre des productions littéraires, qui visent à offrir au lecteur des outils variés pour enrichir son appréhension en plaçant les textes dans une perspective multi-dimentionnelle, soit un acte politique ? Entendons par là qu’en permettant d’éclairer les multiples potentialités sémantiques d’un texte quelle que soit sa catégorie générique vous permettez au lecteur d’en appréhender la portée critique.

Oui, il s’agit bien de proposer au lecteur d’activer son jugement et son sens critique par lui-même. D’abord par la littérature et l’art, puis, à lui de transférer au plus large.

Mais je ne pense bien sûr pas changer le monde, si cela était possible par la littérature ou l’art, il y a longtemps que ce serait fait, au moins depuis Artaud. A mon humble niveau, je ne peux qu’apporter de l’eau fraîche aux lecteurs qui en demandent pour raviver ainsi leurs sens.

 

7- Cette perception synchronique, c’est à dire du texte dans son contexte contemporain, peut-elle faire l’économie d’une mise en perspective du texte envisagé dans son lien avec une histoire littéraire qui participe de sa production de manière implicite ? Ne pensez-vous pas que couper le texte de son lien historique avec les œuvres qui l’ont précédé n’est pas l’amputer d’une certaine dimension ?

Je ne pense pas que publier uniquement de la littérature contemporaine soit une amputation à quoi que ce soit ou un handicap. Je choisis les textes pour leur engagement « intime » et pour la clarté de leur verbe. Je rêve que le lecteur puisse y trouver une source quelle que soit sa culture. Je rêve que le lecteur trouve sa propre dimension.

 

8- Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez créé FPM, puis Tarmac, qui est une maison d’édition associative ? Quelle a été votre motivation première ?

Ma première motivation se déclencha quand j’animais des ateliers d’écriture. Certains textes étaient tellement singuliers et innovants que j’ai pensé qu’ils méritaient d’être connus et publiés, déjà dans leur établissement, puis dans leur entourage. Alors j’ai créé la revue Matulu en 2002. Et j’ai intégré d’autres textes d’auteurs externes aux ateliers par la suite.

Puis j’ai arrêté les ateliers d’écritures.

C’est alors que ma motivation première s’est activée : montrer que la littérature (et par son biais, l’Art et la culture) n’est pas un produit manufacturé avec un seul code-barres pour distinction (je n’ai jamais mis de code-barres dans mes revues ni dans les livres d’ailleurs).

Donc, j’ai créé une autre revue, le FPM, pour assouvir ce besoin. Et cette fois-ci, je voulais lui donner une autre ampleur, je voulais qu’elle déborde de ma région. Et elle l’a fait au-delà de mes espérances pour l’instant.

Pour Tarmac, sa création est due aux envois réguliers de manuscrits des auteurs publiés dans le FPM et j’avais très envie aussi de répondre à ce besoin puisque je le pouvais. Pour moi, Tarmac un prolongement logique du FPM.

 

9- Quel serait l’objectif à atteindre si vous deviez un jour vous dire que votre engagement a mené à la réalisation de ce projet de longue haleine ? Et comment définiriez-vous ce projet ?

Sincèrement, je n’ai d’objectif ni intermédiaire, ni final, car ce combat pour la reconnaissance du « singulier » (voire étrange) de l’Art et de la culture me paraît sans fin. Il faut juste le défendre et c’est déjà pas mal.

Mais j’ai une kyrielle de projets pour soutenir ce « non objectif sans fin », et, bien sûr, tous liés à l’activation de la créativité ou à son renouvellement : Résidences d’auteurs ; Festivals de poésie et autres formes d’expressions (cirque ; sculpture ; théâtre etc…) ; Maison de la poésie ; plus d’ouvrages qui font collaborer auteurs et artistes pour Tarmac ; librairie-théâtre… etc…

Sans fin.

 

Un grand merci, pour l’accueil que Jean-Claude Goiri a réservé à recours au Poème, mais aussi pour la poésie, qui peut, hors de toute contrainte, poursuivre sa route et emprunter les chemins d’un renouveau attendu et souhaité.

 

http://www.tarmaceditions.com
http://www.fepemos.com
https://fepemo0.wixsite.com/eltoriljournal
https://alteratioblog.wordpress.com




DIÉRÈSE n° 70 : Saluer la Beauté 

Comme d’habitude cette livraison de Diérèse est organisée en cahiers ; outre le cahier Poésies du monde, on en compte trois consacrés à la Poésie française d’ici et de maintenant, un aux Récits, un aux Libres Propos, et un aux Bonnes feuilles (c’est à dire aux notes de lecture).  Il est vrai que Diérèse porte en bandeau « Poésie et littérature ».

L’éditorial d’Olivier Massé, qui revient sur la dévaluation de la parole poétique et sur le rôle joué par les revues poétiques qui refusent souvent de hiérarchiser ce qu’elles présentent, affirme cependant que la poésie reste indispensable : opinion que je partage car ce genre littéraire rigoureusement hors modes et qui fait preuve d’une belle liberté d’esprit est sans doute indispensable de nos jours. 

Diérèse n° 70 (Saluer la beauté) : 302 pages, 15 euros (+ 3,88 euros de port). Abonnement à 3 n° : 45 euros (règlement à l’ordre de Daniel Martinez ; 8 avenue Hoche. 77330 Ozoir-la-Ferrière).

DIÉRÈSE n° 70 : « Saluer la Beauté »

Le cahier Poésies du monde est en fait un essai sur la poésie péruvienne d’Amazonie, très intéressant car ça parle d’une poésie peu connue et à la recherche de son identité amazonienne qu’on peut définir comme une synthèse originale des mythes et  de la magie  de l’univers amazonien, de l’histoire de la région et d’une sensibilité écologique exacerbée en réaction à l’exploitation forcenée de la forêt… (p 22). Suit un choix de poèmes très significatifs. Philippe Monneveux est l’auteur de cet essai et le traducteur des poèmes retenus…

Que dire des Cahiers de poésie ? Je ne dirai rien des poètes dont j’ai rendu compte des recueils (Jean-Louis Bernard, Isabelle Lévesque, Jeanpyer Poëls…), comme je ne parlerai pas de certains car je lis trop de poètes ( ? ) et la place m’est comptée. Alors je signalerai ceux qui m’ont particulièrement plu. Patrice Repusseau donne à lire une suite de poèmes consacrés à la musique. Cette dernière est le symbole de l’Entier qui n’a ni début ni fin : énigmatique et réjouissant. J’apprécie Maurice Couquiaud pour la complexité du territoire poétique qu’il explore et pour les résultats que ses poèmes présentent… J’aime le poème-reportage ( ? ) sur Nantes de Jean-Paul Bota… Mais j’aurai garde de ne pas oublier ceux dont je ne parle pas ici… Le Cahier 3 consiste en un entretien entre Bruno Sourdin et Daniel Abel qui répond aux questions sur ses séjours à Saint-Cirq-Lapopie et, plus généralement sur le surréalisme et André Breton. Mais Abel parlant de Breton parle de lui et rejoint le surréalisme aujourd’hui et les raisons qui lui font apprécier René Daumal. De cet entretien ressort une personnalité attachante.

Côté récits, celui de Véronique Joyaux (que je partage totalement, mis à part mon « engagement » politique, j’avais pour camarade le fils d’un militant du PC qui fut fugitivement député : où va se nicher nos préférences ?) me fait penser à ma jeunesse et  surtout à la deuxième guerre mondiale dont on sortait à peine. J’avoue avoir été pris par l’étrangeté d’ « Autres » de Jean Bensimon : se connaît-on soi-même ? Dire de cet auteur (et de cet autre texte, « Le Portrait » ) que Bensimon semble être à la recherche de l’identité…

Étienne Ruhaud poursuit son exploration des cimetières parisiens pour repérer les tombes des poètes et autres célébrités. Même Georges Méliès a droit au statut de poète : « Les soirées s’achèvent par des projections de photographies, sur des plaques en verre, dans une ambiance poétique » (p 234). Gérard Le Gouic, dans le même cahier Libres Propos, signe un article dédié à Pierre Bergounioux qui a eu droit au dossier dans le n° 1057 d’Europe (mai 2017)… J’apprécie ce qu’écrit Le Gouic, même si je ne suis pas d’accord sur tout, c’est encore le cas ici…

Enfin, le cahier Bonnes feuilles ; je remarque immédiatement que trois auteurs présents dans les pages précédentes ont un recueil chroniqué. Et je ne dis rien de Bruno Sourdin qui voit son recueil de haïkus présenté par Hervé Martin, ni de l’éditorialiste (Olivier Massé) par Éric Barbier ; rien non plus de Jean-Louis Bernard qui donne deux notes. Il s’agit de Jean-Paul Bota par Michel Antoine Chappuis (à moins qu’il ne faille lire Michel André : cherchez l’erreur), de Michel Passelergue par Vincent Courtois et de Gérard Le Gouic par Pierre Tanguy… En une trentaine d’articles plus ou moins longs, ce cahier met en évidence la vivacité de la petite édition…

Je ne terminerai pas cette lecture sans signaler que Daniel Martinez intitule cette livraison « Saluer la beauté ». Beau titre rimbaldien qui annonce la couleur et met en lumière la diversité de l’expression poétique…




Revue Estuaire, N° 165

Avant lecture, Estuaire est à considérer comme un objet. C’est en effet une revue de haute tenue, qui propose sous un format imposant une alternance de feuilles colorées, noires pour les changements de chapitres, et d’un ton pastel variable pour la présentation des articles et auteurs.

Pour ce numéro-ci, le 165, cette symphonie de tonalités sobres et apaisantes qui reste une constante propre à chaque numéro, accompagne le numéro anniversaire. Chaque volume présente en effet une thématique particulière. Cette revue québécoise trimestrielle a été fondée en 1976 par Claude Fleury, Pauline Geoffrion, Jean-Pierre Guay, Pierre Morency et Jean Royer. Depuis, cet attachement à une esthétique qui porte sa signature graphique est mis en avant sur le site internet d’Estuaire :

Revue Estuaire, N° 165

Revue Estuaire, N° 165, C.P. 48774 Outremont (Québec), Canada.

Une évidence : le format livre, pour une revue, est mort. Une transition s’opère. Une part de l’institution nous est confiée ; notre action sera de la porter plus loin. Ce plus loin passe, entre autres, par le renouvellement de la facture graphique de la revue. Julie Espinasse, de l’atelier Mille Mille, avec le concours de l’équipe de rédaction, s’est chargée d’imaginer Estuaire autrement : format plus grand, page aérée permettant au poème de se déployer, couleur (!) ; finesse dans le détail – les typos, les titres courants, la disposition des textes –, qui rendra agréable et conviviale votre lecture. Chaque numéro de 2015 sera illustré par l’artiste montréalaise Annie Descôteaux. Naïves dans leur manière, éclairantes par leur propos, les œuvres de Descôteaux dialogueront avec les mots pour constituer un ensemble cohérent. Nous vous invitons à partager la poésie. La revue Estuaire telle que vous la connaissiez n’est plus.

Yannick Renaud 

Yannick Renaud, à la direction d’Estuaire désormais, place donc les publications actuelles sur la même ligne éditoriale que ses prédécesseurs. Il en suit également les traces en préservant les rubriques abordées annoncées au sommaires : « Liminaires », qui proposent un avant propos expliquant les choix qui ont motivés le numéro, des « Poèmes », dont les auteurs sont présentés discrètement par quelques lignes qui visent plus à en offrir une biographie qu’à soutenir une pensée critique sur leur œuvre, et des « Critiques » servies par des noms dont les domaines de prédilection sont tout à fait hétéroclites.

Le lecteur, déjà conquis par l‘esthétique élégante de ce volume, a donc tout à espérer de ce qu’il va y trouver. Et autant dire que la diversité de propos et des auteurs qui sont mis à l’honneur ne peuvent qu’éveiller sa curiosité et satisfaire son attente. Les poètes et leurs textes sont présentés de manière aérienne et sobre. Un nom et le titre des textes sur une page de couleur, puis les poèmes, qui se suivent, quelle que soit leur volume, d’une page à l’autre, ponctués par un espace scriptural laissé vierge. Et les noms proposés qui évoquent la multiplicité du paysage de la poésie québecoise francophone laissent rêveur : pour ce numéro-ci Nicole Brenard, Marie-Eve Comptois, Marie-Andrée Gill, Annie Lafleur, Catherine Lalonde, Tania Langlais, Dominique Robert, Hector Ruiz, Emmanuel Simard et Yolande Villemaire.

Suivent un appareil critique dont les thématiques abordées ne sont pas guidées par un fil directeur particulier, ce qui fait la richesse de ce panel de réflexions sur la littérature, ici servi par Catherine Cornier-Larose, Jean-Simon DesRochers et François Rioux.

Estuaire offre donc une diversité de thématiques et de voix, dans un écrin de papier. Le lecteur se laisse immerger dans ces pages dont l’esthétique rivalise avec la qualité éditoriale. De découverte en découverte, il peut se laisser happer par un panel de poèmes dont la mise en page n’alourdit en rien la présence. Puis il découvre un appareil critique d’une haute tenue, qui ouvre à de multiples questionnements sur la littérature. On ne peut donc que souhaiter qu’Estuaire poursuive sa route.




La revue Cairns

De format A5, maniable, imprimée en larges caractères calibri et joliment présentée sous sa couverture crème (azur pour le numéro 21) illustrée d'une photo originale de cairns du Mercantour, par Patrick Joquel, la petite revue (50 à 60 pages) s'adresse en priorité aux classes et à leurs enseignants.

Une lettre de diffusion les tient informés à la fois des parutions, des notes de lecture "pour une bibliothèque idéale" de Patrick Joquel (qui dépassent largement le champ poétique et se retrouvent en fin de revue) ainsi que des appels à textes.

Qu'on n'imagine pas que le public visé implique une revue puérile, ou de la poésie au rabais : on y lit des poèmes d'Alain Freixe, Eric Jacquelin, Sophie Braganti, Eve de Laudec ou Jacqueline Held... mais l'intention pédagogique se lit au fait que la plupart des textes sont intelligemment accompagnés de propositions d'activité transdisciplinaires très variées à réaliser avec des enfants. Le rythme bi-annuel (rentrée de septembre, début d'année, correspondant au Printemps des poètes) en fait un précieux outil de transmission de la poésie contemporaine tout à fait adapté aux classes du primaire et au premier cycle du collège .

Le numéro sur l'Afrique permet de découvrir de jeunes plumes comme Ismaël Savadogo, (qui fut invité en résidence entre mars et avril 2017 à la Cité internationale des arts par le Printemps des Poètes, en partenariat avec la Maire de Paris) et de lire de très beaux textes de poètes qu'on aimerait connaître davantage (une liste des sites est fournie en fin de recueil, mais ne concerne que ceux qui utilisent ce média) . J'ai beaucoup aimé le Chant sacré d'Amadou Elimane Kane, par exemple :

Revue Cairns, numéro 20, janvier 2017 (Printemps des poètes 2017, Afrique(s)), 21, septembre 2017, (L’Etranger), 22, Printemps des Poètes 2018 (L’ardeur)

Revue Cairns
– N° 20, janvier 2017 (Printemps des poètes 2017, Afrique(s))
N° 21, septembre 2017, (L'Etranger)
22, Printemps des Poètes 2018 (L'ardeur),

Abonnement (2 numéros, 15 euros, au numéro 9 euros)
www.patrick-joquel.com

 

Avec le limon du Nil
Je voudrais de nouveau
Déplier le temps
Comme une mélodie rythmée
Par mon histoire l'histoire
Que je ne suis point (...)

Le numéro consacré au thème de l'étranger s'ouvre, avec l'humour qui caractérise Patrick Joquel, par une citation d'Agecanonix, dans la bande dessinée Le Cadeau de César : "- Moi, tu me connais, je n'ai rien contre les étrangers. Quelques-uns de mes meilleurs amis sont des étrangers. Mais ces étrangers-là ne sont pas de chez nous." Le thème, suffisamment ouvert, permet aux poètes de s'y exprimer librement. J'y relève le début de ce poème de Gilbert Casula :

L'autre, celui qui n'est pas invité au banquet,
celui que l'on ne salue pas quand on le croise,
celui qu'on ne remarque pas, un transparent,
insignifiante ombre qui passe, perçue à peine
jamais imaginé, jamais même nommé (...)

ou encore les vers bilingues (espagnol/français) d'Isabel Voisin, tirés d'Estaciones de los muertos / saison des morts, ou la fin de ce poème de Lydia Padellec inspiré d'un tableau de Matisse :

Et c'est le premier geste
La main tendue
L'offrande du pain
Le premier geste
Avant la caresse.

Le numéro consacré à l'ardeur présente une quinzaine d'auteurs, et j'y retiens la très belle série de textes de Patrick Joquel, extraits de Ephémères du passant, aux éditions de l'Atlantique : "Je t'écris d'un bivouac de fortune au pied d'une large forteresse de froid. Mon feu tremble" dit l'incipit. On y voyage de nuit, invité à "Allumer des mémoires... Des brasiers. (...) Des feux qui veillent leurs rêveurs". Invité à "caresser de la main les grains de toutes les peaux du monde. Absolument toutes. Y compris celles des pierres. Des nuages. Des homards et des hérissons (...)" On y voyage avec un poète "réfractaire à tout pas cadencé", on y élève avec lui des "restanques de joie" contre la mélancolie, on y tente, en suivant le fil de son écriture, d'allumer le jour, à l'Est – mais "comment est-ce possible quand on écrit d'Ouest en Est?" - et la rêverie le suit, dans les méandres de l'écriture, pour "Simplement / s'envoler".

La bibliothèque idéale, quant à elle, présente entre autres un album de Chantal Coliou, Le Temps en miette, chez Soc et Foc, les Maximes de nulle part pour personne, collaboration de Perrin Langda avec l'illutrateur Eric Demelis, chez Voix d'encre, D'Ici de Jacqueline Held, chez Gros Textes, accompagné d'un large extrait, puis Le Vertige des fumanbules aux éditions Calicot, ou encore un recueil de haïkus, De fleurs et d'écailles, aux éditions du Jasmin : une belle série de propositions argumentées pour les documentalistes ou les bibliothèques de classe.




Les carnets d’Eucharis, La Traverse du tigre, hors série

Dans l’œuvre de Borges, un point contient tous les points du monde. J’ai toujours estimé que ce point fascinant était partout : dans les lieux, dans les cœurs et même dans les livres. Il suffit de le savoir pour le ressentir. Ainsi en ouvrant cette revue sous la protection de Borges (citation de L'or du tigre) qui accueille « la poésie suisse romande », je me suis interrogée.

La partie romande de la Suisse – francophone donc - applique-t-elle ce « point » (de vue ?) en matière poétique ? En accueille-t-elle toutes les formes, convertissant en mots tant et tant d’approches du monde ? De façon plus large, l’espace génère-t-il sa singularité poétique ou s’ancre-t-il dans l'universel ? Propose-t-elle une tendance poétique orientant les mots vers une vision plus spécifique ? Ramuz qui me fascine aurait-il fait des émules ? Bouvier aurait-il généré un suivi ou des ricochets en terre de poésie ? Etc.

La Traverse du tigre, hors-série Poésie suisse romande, Les carnets d’Eucharis, 112 pages, 2017

La Traverse du tigre, hors-série Poésie suisse romande, Les carnets d’Eucharis, 112 pages, 2017

Les questions appartiennent à tous et à toutes... Nathalie Riera, qui a dirigé cette traverse-là, premier numéro hors-série de Les carnets d’Eucharis, évoque une "poésie en alerte sur les routes du monde". Son ouverture "défie les frontières" (dixit Laurence Verrey) car les passerelles peuvent être « transfrontalières ». Il y a ainsi du hors-les-murs, hors-les-normes et hors-les-frontières à explorer : sont-ce les vestiges résiduels de l’utopie ? Quoiqu’il en soit, le projet éditorial de ce tigre borgésien se veut "polyphonique" : 19 poètes (dont 12 poétesses) portent leurs "lambeaux du dire » (L. Verrey) « en un champ libre voué à l'élargissement" (P. Chappuis). Déambulons à leur suite en inventant notre parcours personnel, sans oublier que la moindre escale poétique se veut humaine (ou l’inverse).

En baguenaudant dans la langue, arrêtons-nous d’abord – pour y prendre des forces ? - dans la pâtisserie familiale vaudoise du poète Olivier Beetschen, dont la seule description exhale la gourmandise. « L’ambiance, de caramélisée, devenait pétrifiée » lorsqu’un client Yul Bruner/Taras Bulba commandait « un kilo de pralinés » à sa mère. Un « factotum essouflé » du style Quasimodo servait sur une plaque des œufs en chocolat, tandis que « les dames à froufrous péroraient » dans un mini tea-room. La présence attachante des parents imbibe tout le poème, donnant vie à ce commerce gustatif.

Revenons vers la maison, ce lieu fixe à la base de soi pour les sédentaires que nous sommes devenus. Pierrine Pogey retrouve la sienne au terme d’un voyage après diverses « circonstances » : « Voici de l’espace et du pain/Désormais sa joie se tient hors d’elle ». Le temps bouleversé s’inscrit ici en lien énigmatique, entre un coup de téléphone ou des allers et venues : « Demain paraît le passé/Date, noms, souvenirs, rien ne la sauve (…) – Tout est prêt. La montagne se referme ». Dans ce monde, où le poème dont le tissu se défait comme des fils, ressurgissent les souvenirs « de la beauté d’autrefois ».

Quittons ensuite la ville, pour musarder en pleine nature. Le poète Pierre Chappuis rôde sur les chemins anciens de glane. Il y reste des brins de paille, des pavots parmi les blés où le couchant se mue en « brasier de novembre ». Son regard a une sorte d’appétit sensuel lorsqu’il observe une « mer de brouillard éraillée, retenant ses hoquets » ou une ligne de brume qui « lentement (…) s’effiloche ». Fusionnel, il entre dans le paysage avec une jouissance intime : « L’horizon l’englue » en un monde « sombre dans le jour sombre ». Son récit, accompagné de commentaires en italique mis entre parenthèses, semble proposer des strates au vécu.

Cependant un tel voyage à travers un paysage peut se réaliser par la médiation de l’art. Françoise Matthey observe une peinture de Constable, La charrette de foin ((Notons que la charrette paraît plutôt vide !)), avec un moulin « dans le lointain d’une plaine ». Le tableau habité est vivant avec un « homme sur le char » qui « offre sa sueur au pain secret des âges/mène ses chevaux dans la fraîcheur d’un gué ». « Il est assis dans une bienfaisante lassitude », avec une enfant qui « semble appeler tandis qu’au loin/les faucheurs s’offrent au branle-bas des graines » et qu’une lavandière « heureuse/chantonne la rédemption des cendres ». Devant le tableau, la mémoire de l’observatrice « veille », comme si des souvenirs archaïques en renaissaient subrepticement : « Par quelle roue ai-je été égrenée par les chemins du monde ? » L’eau vive, pressent-elle, « ne cesse de me désaltérer ».

Faisons enfin une ultime escale dans cette nature actuelle pour la découvrir en voie de destruction, envahie par le synthétique. Le poète Laurent Cennamo rôde ainsi au milieu des bois. Même là, deux hommes jouent avec des voitures télécommandées près d’une tente en toile plastifiée ! Il déplore ce « monde en plastique » qui lui rappelle l’odeur de ce « monstre/violet (…) muni de ventouses » des jouets Mattel. Autre rappel : son oncle surgit de la fosse graisseuse avec une clé à molette. Comment devenir homme désormais avec cet « (incompréhensible cadeau, vivre, vraiment/ d’un muet le songe dans le noir)».

*

Allons alors flâner plus loin au long de la mer Egée avec Sibylle Monney, « le pied devant le pied ». La poétesse y découvre les îles « lointaines » : Mykonos, Delos et d’« autres terres insulaires par la même mer intérieure logées », dont Tinos que surplombe la montagne d’Exombourgo au « crâne minéral ». Semblable escarpement est actif : « le dôme rocheux observe, (…) guette qui cherche la voie menant à son sommet ». Parmi la sente de randonnées, « la plus empruntée » a « les prises patinées ». Redescendre de ces cimes transforme la vie de la marcheuse : « On se pense une route une autre nous est préparée ».

Au fil de notre lecture, folâtrons encore au bord de ces vagues. Là, deux autres poétesses sont fascinées par une conjonction des sens (ouie/vue) ou des matières et énergies (eau/air/lumière). De loin, la mer se fait connaître par un « vacarme » qui emporte ainsi Francine Clavien. L’auteure unit superbement les perceptions des sens : « Le bruit des vagues/prend le chemin de la lumière ». Façon de découvrir les vagues, ces « bâillons/faits de lambeaux/usés/et pourtant bleus ». Le même jeu de lumière marine transparaît autrement dans la poésie de Julie Delaloye, mais cette fois-ci « à contre-jour ». L’Italie l’inspire avec ses sols du sud si solaires. Là, la terre est « rouge, brasier tourné au souffle du vent ». La nuit, « la plus pure lumière » dépose « dans le miel, la mer,/ce tant d’éternité retrouvée » si rimbaldien.

Une ultime poétesse, José-Flore Tappy, a la même propension à évoquer la mer, mais – hélas - telle qu’elle est devenue aujourd’hui. Elle la voit par la fenêtre – « hublot » de sa chambre, un « un trou dévasté » en une île anonyme, fréquentée par le « tourisme payeur ». Ce lieu « qui prend froid et s’exténue » est la proie de la modernité et… des déchets qui excluent tout charme. Supportant le ballet des « éboueurs, camions-poubelles/ aux manœuvres saccadées » ou du camion de « bebidas », cette «île endosse » son développement ! En marche, l’auteure quête en vain le plaisir d’approcher la les flots : «Allégée/une algue sèche/autour des pieds/je remonte un sentier/sombre et sans étoiles/sable et poussière/soufflés/par les motocyclettes ». Nul doute, la joie a disparu de cet univers de poussières sans étoiles.

*

Cependant il est des promenades d’une autre nature. Elles se font à l’intérieur d’un corps, celui de la mère. L’exploration de soi se fait en revivant la gestation de sa propre naissance. Antonio Rodriguez refait seul ce cheminement intra-utérin en une « nativité lente ». Il s’évoque pas à pas à la deuxième personne : « tu avances vers la lumière qui est de l’air, cherchant la peau (…), tu avances dans la mère, lumière et peau, en amibe aimante (…), tu avances vers la mère (… ), tu avances dans sa matière, mère ouverte de la bouche à l’anus (…) vers la forêt d’une maternité… Sous la dalle du ventre tu nous es livré vivant ». Il naîtra le « bel enfant prêt à percer le silence de son cri ». Le poète en tire un constat plus général : « L’espèce cherche son humanité ». Y parvient-elle ? « Tout ce qui secoue peut se voir en poèmes », estime-t-il dans un éblouissement créateur.

Notre errance se poursuit aussi dans le monde des concepts approchés par ces poètes choisis : ici le mal, là la liberté, ailleurs les proximité des lettres des mots, l’enjeu grammatical. Dans Qui instruira le livre du calme, Jacques Roman s’auto-questionne : « où donc se loge le mal de l’homme ?». Ne pouvant répondre à cette inquiétude métaphysique, il dénonce âprement le mal, la terreur, proclame la haine des guillotines, des exécutions capitales, des fours crématoires : « cris hurlements plaintes râles/horions insultes crachats et rires de hyène/animale terreur agrandit les pupilles/la graine de la haine semée à lever/d’un bras de folie sorti du néant/carnivore exterminatrices fleurit rouge ». Peut-on y échapper ? Il y a encore « tout le mal à venir ». Seule Cassandre a la réponse.

Pierre-Alain Tâche, dans Qui dit vrai ? questionne quant à lui la liberté poétique. Au nom de cette liberté, il écarte (« abolit ») la muse Nusch ( Nusch Eluard ?), se souvient de la disparition d’Hélène et de la mort de Jules Lequier en nageant à travers l’océan. C’est l’occasion de s’interroger sur le poète qui « a repris le don/qui répondait au don d’autrui,/le vouant à d’autres desseins ». Se référant à Guillevic et à Michaux, il continue sa quête intime : « me porter dans la faille muette/où risquer encore ‘la recherche/ passionnelle et comblée/de quelque chose que l’on sait/ne jamais atteindre’ » (dixit Guillevic). Même si la poésie est impossible (ou peut-être pour cette raison ?), il intègre dans ses écrits cette longue citation de poète. Il mue aussi, comme Jacques Roman, le titre de son poème en question.

Sylviane Dupuis constate, elle, la proximité des mots mur et amour : le mur est si proche de l’amour, à deux lettres près. Ce n’est probablement pas un hasard, car le mur est obstacle et l’amour insatisfait vient peut-être de « l’a-mur ». Le « mur est en toi (…) obstruant tout ». Lorsque l’espérance s’écroule, le mot Dieu va remplacer ce rien : un « mot-cri à la racine/invisible du souffle !» qui emmure. Nait enfin la poésie dans « les interstices », « dans le défaut des murs, cette faille, cet entre-deux ».

*

Dans ces péripéties de l’errance, que faire de la détresse humaine de notre société ? Trois poétesses l’explorent et sont soulagées ( ?) par le même refuge poétique. Nous rôdons d’abord dans une société peu démocratique qui exclut jusqu’à ses propres membres. Marie-Laure Zoss, touchée par les marginaux à la Jeanne Benameur (citation d’ouverture), appréhende ce monde bouleversé et chaotique, jonché d’êtres abandonnés au fil des lieux et – sans doute -des écrits : « Des frères, s’ils sont, leur parler où, chacun dans son angle ? ». Ses mots et ses phrases se heurtent, s’emboitent, se brouillent, s’enchevêtrent proposant des indices, suggérant des incertitudes. Ici « se lèvent des hordes hivernales (…), du chantier ferment tantôt les grilles, des ombres les tirent, casquées de jaune à la tombée ». Tandis que s’éteint « l’ampoule intermittente de la pelleteuse ; à quelques mètres, d’autres battent la semelle sur le goudron ; s’envolent des châtaignes, une patate brûlante… ». Que faire ? Y aller ou non ? « On recule vers les containers (…) la trouille au ventre ». Des travailleurs répondent à l’appel selon une « procédure de rigueur » ! L’écrivaine, elle, cherche en esprit « une planque minuscule ». Est-ce le poème dans lequel « on besogne à tailler des phrases dans du préfabriqué ».

La poétesse Sylvia Härri explore aussi étrangement les douleurs humaines, tout en bouleversant fermement les codes grammaticaux du Bescherelle (!): « je me souviens, tu me souviens, il me souvient, nous me souviennent, vous me souvenons, ils me souvenont ». L’île de Lesbos émerge avec ceux qui s’y sont réfugiés : « Visages sans nom/entassés dans l’attente/derrière les barbelés ». Parmi eux, « ce vieil homme/Alep gravé sur le frot/- cicatrice ou racine ». Que faire ? Ne pas oublier pas plus que ne s’oublient en vrac « les portes de placard laissées ouvertes » … d’arroser l’orchidée, faire bouillir l’eau, éteindre la lumière, etc. Que faire ? « Changer les mots contre d’autres, les syllabes contre les silences, les silences contre le silence. »

Pour Laurence Verrey, l’heure « barbare » est « en déshérence mélancolie » dans ce monde dévasté par tant de guerres cruelles et de morts. « Quand l’appel des naufragés déchire la mer/lacère le sommeil que les vagues/avaient d’un coup les cris », alors la poétesse a un recours, un refuge : « recourir au poème/comme un corps émergé un rocher/qui tient bon ». L’instant qu’elle capte en jouant avec les mots et les sons est aux « bords du dire/toujours à franchir – affranchi ». Alors elle dira cette nuit kirghize, sous les étoiles « bien clouées » de la constellation du Chariot, auprès de ce lac d’Issyk Kul ((Issyk Kul, traduction le lac chaud.)) qui pour les habitants est « une femme amoureuse et le jouet des vents ». Elle semble y être un instant apaisé ?

*

Que reste-t-il au terme de cette promenade à travers les mots, où la lectrice – moi - se sent un peu funambule. La disparition de soi, la mort, est-elle l’ultime étape ou un recommencement ? Pierre Voélin, est d’abord un promeneur inspiré qui, entre huppes et biches, pouliches, poursuit le « rêve amoureux » de la reine de Saba. Dans la « bergerie des étoiles », il compte les « soumises – les revêches/ les tendres et les étoiles ». Il saura même voir « les cortèges/d’anges » des ruines de Duino dans ces espaces où tombe la neige et « où brûle la main du Dieu ». Façon de dire la mort, cette face cachée de l’existence, tout comme Rimbaud l’a perçue devant le soldat des Ardennes.

Anne Bregani, elle, dit la mort avec une beauté si mystique qu’elle la rend désirable : « elle viendra/l’inoubliée/prendre toutes mes mémoires/lire/toutes mes rencontres/qu’elle a travaillées/de ses morsures obliques ». Cette poétesse « désorientée » frôle enfin l’indicible, la « Divine Tendresse ». Dans les voilures de son soir, Claire Genoux perçoit la mort autrement. Sur la tombe, elle est « cette enfant blanche/avec rien d’autre qu’un corps/comme un vent qui passe/sous les lunes mouillées » « Je redeviendrai ton enfant/ton enfant mort/ dans les voilures du soir ». L’exaltante tristesse de cette « nuit des adieux », une « nuit sans étoile des fontaines éteintes », étreint le cœur.

*

Ainsi chaque poète.sse poursuit la connaissance de lui-même à travers ces instants humains de vie et de mort. Dans sa promenade, il/elle introduit la mer, la mort, l’amour, le mur. Cette prose souvent libre, au rythme souvent variable, aux parenthèses possibles, aux citations d’auteurs intérieures au texte, à l’emploi de l’italique, aux répétitions. Même si l’âme hantée par le temps « est un ricochet de milliards d’années » (Jacques Roman), elle se laisse volontiers emporter dans l’espace. L’appel du sud – vécu ou évoqué - est souvent méditerranéen : Cortone, Mykonos, Delos, Tinos (Exoumbourgo), Lesbos, Syrie (Alep) et parfois moyen-oriental (Kirghizistan, lac Issyk Kul).

Oui, mais les réponses - aussi - appartiennent à tous et à toutes. Au terme de parcours suisse romand (« postface »), Angèle Paoli récapitule avec ferveur les divers élans poétiques de l’opuscule (tantôt « lyre brûlante », tantôt prose « quasi-baroque »). La poésie s’y penche sur ce qui échappe, la naissance et la mort, l’ombre et la lumière, l’onde multiple, les exils, le paysage insulaire délabré, la rêverie devant une peinture, le désarroi face à la vieillesse, des bribes de dialogue, une expérience de la glane, des voix autres, l’entre-deux, etc. « Recourir au poème » est une nécessité vitale, affirme-t-elle avec Laurence Verrey, pour « tenter de trouver un semblant d’équilibre dans le déclin d’un monde en proie à ses obscurantismes ».




Chroniques du çà et là, N°12

Les Chroniques du çà et là sont avant tout d’une très belle facture. D’un format livresque, et d’une épaisseur variable selon le sujet abordé, mais en général assez copieux, rien ne cède place au mauvais goût. L’iconographie choisie pour illustrer la thématique du numéro est mise en valeur par le paratexte et la couleur d’une couverture cartonnée dont les tons s’harmonisent avec l’image. Et les thématiques abordées suivent une topographie précise. 

Le numéro 12, de cet automne 2017, intitulé « Le Long du Mékong », propose au lecteur une immersion dans la production littéraire contemporaine « De Luang Prabang à Phnom Penh et Hô Chi Minh-ville », en mettant l’accent sur la découverte de « La littérature aujourd’hui au Laos, Cambodge et Vietnam ».

Chroniques du çà et là, N°12, automne 2017, PhB éditions, 145 pages, 12€.

Chroniques du çà et là, N°12, automne 2017, PhB éditions, 145 pages, 12€.

L’argument de Philippe Barrot en manière de discours liminaire explique au lecteur le choix de la thématique abordée. Puis suivant un découpage topographique celui-ci laisse la parole à des intervenants qui contextualisent les productions proposées. Des entretiens avec des spécialistes de la littérature de ces pays précédent les productions présentées. Mais cette revue pluridisciplinaire évoque tout aussi bien la littérature, que le cinéma ou la bade dessinée. C’est donc un panorama d’une extrême richesse, et qui permet au lecteur de se faire une idée sur l’évolution artistique en lien avec les changements politiques et sociologiques eux aussi évoqués à l’occasion des divers entretiens menés avec ces spécialistes.

Ce numéro ainsi qu’il est d’usage pour les Chroniques du çà et là se découpe en chapitres « Laos, histoire et littérature », qui met en lumière non seulement les productions littéraires contemporaines mais aussi les mettent en relation avec d’autres vecteurs artistiques tels que la bande dessinée et le cinéma, « Cambodge, littérature et traduction orale » et « Vietnam, littérature d’aujourd’hui » qui suivent la même démarche. Ces chapitres qui brossent un panorama complet des productions artistiques des lieux évoqués débutent tous par une entrée en matière qui éclaire et guide le lecteur dans la découverte des extraits qui lui sont proposés.

C’est donc une immersion totale dans une culture différente, mais aussi un véritable état des lieux, qui est à chaque fois proposé par les Chroniques du çà et là. La mise en œuvre des productions artistiques autant diverses que pluridisciplinaires sont offertes dans leur mise en relation avec leur contexte de production, et les artistes sont présentés par des spécialistes en la matière. Nous pouvons donc avoir le bonheur de prendre connaissance de la richesse des productions artistiques de tous horizons, et de leurs conditions de production. Il est, plus encore, un vecteur de questionnement quant à la prégnance des éléments sociétaux et de leur motivation quant à l’évolution des modalités d’expression artistiques. Le lecteur, ainsi guidé, découvre des univers artistiques que bien souvent il ne connaît que de manière très partielle

Le numéro précédent, qui invitait le lecteur à découvrir le Japon à travers cet état des lieux des productions artistiques, ne procède pas différemment. Offrant une visite guidée par d’éminents spécialistes de l’art dans des pays qui, grâce à ces focus, permettent au lecteur de découvrir bien souvent des lieux et des pratiques artistiques données à voir dans toute la complexité de leur inscription dans une société dont l’histoire et l’évolution sociale est offerte par le paratexte qui accompagne celles-ci.  




Les Hommes sans épaules

Les Hommes sans épaules, cahiers littéraires semestriels dirigés par Christophe Dauphin, ne s’appréhendent pas comme une revue. A mi-chemin entre le livre et  le périodique, cette magnifique publication propose certes des articles. Mais le paratexte et le format proposés apparentent cette belle réalisation au volume d’un livre, souvent conséquent (336 pages pour ce numéro 44) plutôt qu’à une revue.

Le propos varie aussi de celui d’une revue classique. Suivant un groupement thématique, Les Hommes sans épaules recensent au sommaire du dossier proposé à chaque numéro des auteurs et leurs œuvres, connus et moins connus, qui s’y apparentent. Suivant à chaque fois la même mise en œuvre, les extraits sont précédés par un discours critique qui fait office d’introduction. Ce dispositif permet d’envisager le texte et son auteur dans une globalité signifiante, car sont évoqués les contextes historiques et culturels qui ont sous-tendu leurs productions. Ces introductions sont d’une rare qualité, car le comité de rédaction laisse la parole à des spécialistes du thème choisi. Le lecteur a donc le plaisir de pouvoir découvrir à la fois une époque, un contexte, des auteurs et des productions savamment choisies.

Les Hommes sans Épaules N°44, dossier « Nikolaï Prorokov & les poètes russes du Dégel », deuxième trimestre 2017, 336 pages, 17€.

Les Hommes sans Épaules N°44, dossier « Nikolaï Prorokov & les poètes russes du Dégel », deuxième trimestre 2017, 336 pages, 17€.

 En manière d’avant propos, Christophe Dauphin propose, pour chaque numéro, un éditorial. Ce numéro 44, consacré à Nikolaï PROROKOV et aux « Poètes russes du Dégel », est précédé d’une introduction chapeautée par deux épigraphes. L’une est une citation tirée de Littérature et révolution, de Léon Trotsky, l’autre convoque Karl Marx, avec des lignes tirées du Débat sur la liberté de la presse. Le ton du propos, intitulé La Poésie n’est pas au service d’une classe, est donné.  Ces deux références soutiennent les lignes de Christophe Dauphin qui nous rappelle que la poésie est universelle, qu’elle transcendance les contingences historiques et politiques. Noms et parcours de vie de poètes pour exemples, il nous montre que nombre d’entre eux ont péri à cause de leurs écrits. Ces références, des hommes héroïques, nous rappellent que la liberté est avant tout celle de créer, celle de pouvoir s’exprimer. Le directeur des Hommes sans Epaules nous rappelle que cette période du « Dégel » est le terreau d’une production poétique abondante, mais majoritairement étouffée et passée sous silence. Autant de noms auxquels la revue rend hommage, d’œuvres mises en lumière, de parcours de vie bien souvent écourtés par le fait d’avoir osé être poète. Replacées dans le contexte historique et politique de l’époque, brillamment évoqué par l’auteur de cet éditorial, ces figures marquantes de la poésie russe sont convoquées dans une perspective marxiste et littéraire. Ainsi s’expliquent les mouvements et les écoles qui ont pris racine dans ce contexte particulier, ainsi que la posture de chacun. Et le point commun, qui est celui de ne jamais cesser de vouloir résister, sert de fil directeur à cette belle recension. 

A ce titre, le dossier central, consacré à Nikolaï Prorokov, est représentatif de cette posture de résistance et de sacrifice pour la liberté. La présence de ce poète ainsi que le caractère inédit des textes proposés est mis en exergue dans l’introduction. Cette présentation ainsi que le choix des extraits sont l’œuvre d’Olga MEDVEDKOVA et de Karel HADEK.  Ce dossier est accompagné d’articles et de citations d’œuvres d’autres poètes de cette époque, tels qu’Evgueni EVTOUCHENKO, Andreï VOZNESSENSKI, Anatoli NAÏMAN, Viktor SOSNORA, Bella AKHMADOULINA, Boris PASTERNAK et Iossof BRODSKI. Le paratexte qui présente chaque auteur et les productions publiées est toujours riche et guide le lecteur dans son appréhension globale de l’œuvre.

A ces groupements thématiques se joignent des rubriques : « Le Document des HSE » que ce numéro consacre à Maïakovski dans un article intitulé « Maïakovski inconnu » signé par Iouri Annenkov ; « Le portrait des HSE » dédié cette fois-ci à Iouri Annenkov et signé Christophe Dauphin ; « Le peintre des HSE », Oksana Shachko ; « Les pages des HSE » qui proposent une série de productions de poètes de tous horizons. Ces index et les auteurs et artistes qui y sont mis à l’honneur sont toujours accompagnés d’une introduction qui présente et situe les éléments proposés.

Peut-on alors parler encore de revue. Oui, certainement, car il s’agit bien d’une publication périodique spécialisée dans un domaine précis. Mais la qualité des éléments paratextuels, la diversité des références proposées et leur mise en perspective font des Hommes sans Épaules un document d’une grande richesse. La thématique abordée fait l’objet d’un travail explicatif conséquent, tout comme chaque rubrique. Le lecteur peut alors situer ce qu’il découvre. Sans jamais orienter sa lecture, Les Hommes sans Épaules lui offre la possibilité d’appréhender une époque, une œuvre, un auteur, une problématique, en lui permettant de se forger une opinion, et en lui offrant les outils nécessaires à une compréhension approfondie et autonome des domaines abordés.

Enfin, les pages liminaires de ce numéro 44 mettent à l’honneur deux « Femmes sans épaules », Jocelyne Curtil et Marie-Christine Brière, disparues cette année. Hommage émouvant auquel se joint l’équipe de Recours au Poème qui salue, tout comme le rappelle le comité de rédaction des HSE, l’importance de l’œuvre de chacune d’entre elles.




Arnaud Le Vac présente Le Sac du semeur

 C'est avec grand plaisir que nous donnons la parole à Arnaud Le Vac, fondateur et animateur de la toute jeune revue numérique gratuite "Le Sac du Semeur", projet aussi simple qu'ambitieux, auquel nous souhaitons de durer et de rencontrer de nombreux lecteurs, grâce à son riche programme de poètes et d'artistes. Nous vous invitons à télécharger sans délai le pdf en suivant le lien à la fin de l'article.

La revue le sac du semeur a été créée au printemps 2016. Son premier numéro a décidé pour moi ce que serait le Semeur : une revue où pourrait être mise en avant une pratique de la poésie et de l’art. J’ai contacté les poètes Marcelin Pleynet, Claude Minière, Pascal Boulanger, Serge Ritman, les peintres Pierre Nivollet et Mathias Pérez, et c’est de leur contribution qu’est née la revue le Semeur.

Mathias Pérez m’a proposé de publier dans la revue les textes de Bernard Noël, de Claude Minière et de Christian Prigent sur son travail ou plutôt son activité, avec au choix deux séries de photos de ses œuvres. La revue a ainsi intégré un cahier central pour et avec un artiste. C’est pour le lecteur la possibilité de faire une expérience avec la peinture et pour l’artiste la possibilité d’écarter d’un geste de la main ce qui fait illusion.

Deux autres cahiers occupent la revue. Le premier cahier est résolument tourné vers des écritures qui ont publié, le second cahier est tourné, avec la publication d’un photographe, vers des écritures qui ont peu ou pas encore publié, même si ces deux cahiers ne sont pas pour moi séparés.

Le sac du semeur numéro deux publie les poètes Margaret Tunstill, Jacqueline Risset, Alain Jouffroy, Hans Magnus Enzensberger, Laurent Mourey, Lou Coutet, Fabiana Bartuccelli, le peintre Pierre Nivollet, Marcelin Pleynet, la photographe Martine Barrat et l’artiste Jeanne Gatard. Mon activité de revuiste consiste à inviter les contributeurs ou à demander les autorisations de publications, à mettre en ligne les contributions sur le site de la revue dès le printemps jusqu’à l’été et à publier enfin le PDF de la revue.

Chaque écriture est une rencontre. Une porte ouverte vers l’inconnu. J’aime solliciter un artiste pour les dessins de la revue : Le Semeur, Pierre Nivollet, n°1, ou encore Semer, Prendre et donner, Victor Hugo sur le rocher des Proscrits, Jeanne Gatard, n°2. Le sac du semeur est une revue numérique annuelle et gratuite. J’imprime un livret uniquement pour les contributeurs et les critiques. Mon souhait serait que celui-ci puisse trouver place dans la bibliothèque des écrivains que je publie. Je suis heureux d’attirer l’attention sur des œuvres aussi importantes que celles de Cess Nooteboom (2016, n°1) et d’Hans Magnus Enzensberger (2017, n°2) pour ne citer que deux des poètes qui sont pour moi autant d’exemples de ce que peut être la poésie aujourd’hui.

Arnaud Le Vac




Revue Alsacienne de Littérature, Elsässische Literaturzeitchrift, “Le Temps”

Je dois à l'amitié d'Eva-Maria Berg, poète humaniste dont plusieurs textes figurent dans cette livraison, de découvrir,  avec beaucoup d'intérêt, cette revue trilingue ((des informations à l'adresse suivante - http://larevue-ral.blogspot.fr/)) (français, allemand dialectal et haut-allemand) dont je ne puis apprécier l'intégralité des textes offerts, mais dont l'esprit résumé dans la présentation : "défense et illustration d'une identité ouverte. Elle affirme sa spécificité régionale pour d'autant mieux assurer sa vocation transfrontalière, notamment dans l'espace rhénan", ne peut que séduire un lecteur de Recours au Poème.

 

Revue Alsacienne de Littérature, Elsässische Literaturzeitchrift, "Le Temps", n. 127

Revue Alsacienne de Littérature, Elsässische Literaturzeitchrift, "Le Temps", n. 127,
1er semestre 2017, 152 p., 22 euros

Abonnement à l'adresse de l'association :
Les Amis de la Revue Alsacienne de Littérature,
BP 30210, 67005 – Strasbourg cedex

On y trouve en effet, regroupés dans les 5 volets qui la constituent, et que ponctuent les photos en noir et blanc prises en Chine par Anne-Marie Soulier, des textes passionnants. Dans la partie "Patrimoine", 4 articles sur Réforme et Contre-Réforme complétant la précédente livraison, consacrée à la Réforme en Alsace dont on peut imaginer l'intérêt, à la lecture des textes de Bernard Xibaut, Rémy Valléjo, Jérôme Schweitzer et Gabriel Brauener, qui retracent aussi les sources de ce mouvement religieux, capital dans la constitution de l'identité européenne.

Des poèmes trilingues (pas tous traduits, beaux à voir, mais quel dommage de n'en pouvoir saisir le suc) déclinent le thème du temps dans le "dossier central", présenté par Anne-Marie Soulier - thème qui imprime aussi sa teinte aux poèmes réunis dans les "voix multiples", amplifiant encore ce que le regroupement donne à lire : l'impossible saisie d'un concept, la victoire jamais acquise sur le temps, que les mots piègent parfois, dans ce qu'Anne-Marie Soulier définit si joliment comme "les ruses inattendues du langage, la danse des conjugaisons, l'improbable futur antérieur d'un bal chez Temporel". A défaut de pouvoir tout citer, je retiens le "temps dévorant" d'Alain Fabre-Catalan, une série de petites proses de Jean-Claude Walter consacrée aux saisons, les trains de Claire Krähenbühl, et le "temps de neige au bord de la nuit" de Roselyne Sibille, la beauté graphique des poèmes – pour moi illisibles - en norvégien de Hanne Bramness, page 56, traduits par A-M Soulier sur la page suivante, où l'on découvre la beauté des traces sur la neige-mémoire... 25 poètes réunis pour cette ode au temps mutiple.

Parmi les "voix multiples", on repère six poèmes de Denise Mützenberger, des proses de Marie-Yvonne Munch sous le titre "J comme jours", l'émouvant récit bilingue du "Petit Fritz" évoquant les morts de la première Guerre Mondiale, par Jean-Christophe Meyer, et "Le Corps du silence", d'Yvan de Montbrison, nous entraînant avec lui et toute la charge d'émotion suscitée par sa vision baroque – réponse poétique aux thèmes de la Contre-Réforme évoquée dans le volet historique de la revue :

A la surface de la mort
il y a posée la citadelle du désastre
et ton corps épluché
comme un fruit de sa peau
laisse entrevoir son cœur

(...)

mes deux jambes et la multitude des autres jambes coupées
ont par ailleurs pour finir atteint le rivage
et s'enfoncent sans plus attendre silencieusement dans la mer
pour que nous y disparaissions à jamais noyés dans notre sang

Le numéro présente aussi, dans la rubrique fixe "chroniques", outre des textes en langue germanique, un article de Jean-Claude Walter sur Nicolas de Staël, une passionnante note de Jean-François Biellmann sur le sens caché du monogramme d'Albrecht Dürer, ou une présentation de l'écrivain lorrain quadrilingue Eugène Jolas par Claude Fisera. Des "notes de lectures" abondantes et soignées complètent la livraison, largement ouverte sur le monde.