Alain Wexler nous parle de la revue Verso

 Tout ce que l’on doit savoir sur Verso

 La technique d’impression !

Verso a été fondé en avril 1977 par Claude Seyve et moi-même. Nous composions les pages avec des composters et des polices Freinet et les tirions à la main sur une presse à épreuves Freinet également. La reliure était faite avec du fil et une aiguille ! La revue n’était pas très épaisse. Nous tirions 5 n° par an.

Plus d’un an après nous fîmes la connaissance de Joseph Beaude qui nous proposa de taper Verso sur sa machine à boule électronique. J’achetai ma première presse offset d’occasion. Une vieille Rotaprint ! Le vendeur me fit connaître le procédé Agfa Copyrapid. Une feuille tapée à la machine à écrire, insolée reproduisait son image sur un film qui à son tour se décalquait sur une plaque offset spéciale, film et plaque passant entre deux rouleaux presseurs dans un bain de révélateur. J’ai travaillé de cette manière jusqu’au n° 107.

Le n° 109 a été le premier issu de films ou transparents tirés directement à l’imprimante à partir d’un fichier informatique. Ces films sont imprimés à l’envers de sorte que le côté émulsion du film se trouve collé contre la plaque offset au moment de son insolation par 6 lampes U.V. pendant 3 minutes environ. La plaque est développée dans une solution proche de la soude caustique, puis rincée et gommée, c’est à dire enduite de gomme arabique pour la protéger de l’oxydation. Il suffit de la rincer à l’eau courante et de l’égoutter pour s’en servir, c’est à dire de la caler sur le cylindre porte-plaque de la presse offset.

Revue Verso

Verso, revue de poésie trimestrielle

Abonnement : 22 € par an à l'ordre de Verso
Alain Wexler 547 rue du Genetay
69480 Lucenay
Prix du numéro : 6 €

Cette dernière possède de nombreux rouleaux encreurs dont un qui va déposer de l’encre sur la plaque. Celle-ci deviendrait toute noire si un rouleau revêtu d’un manchon textile, genre serviette éponge, ne l’humectait régulièrement. Cela s’appelle le mouillage. L’offset, c’est de l’encre et de l’eau. Le procédé d’imprimerie le plus souple et le plus économique qui soit.

J’ai connu 3 presses offset avant la Hamada 500 CDA que j’utilise depuis le n°108. Dans l’ordre : une Rotaprint, une Abdick et une Multilith.

La reliure

Verso a été agrafé jusqu’au n° 130. Verso devait s’agrandir. Il lui fallait un dos carré collé !

La relieuse manuelle Fastbind, matériel finlandais, allait le permettre. Faire la reliure est aussi pointu que d’imprimer. D’autant que cette relieuse laisse beaucoup de place à l’initiative personnelle ! Dans la limite des 7 secondes dans l’absolu, temps de refroidissement de la colle à partir du moment où elle est étalée sur le dos de la liasse et l’instant où la couverture est rabattue dessus et mise en pression. Vu comme ça, cela paraît simple. Cela le devient après 10 ans de pratique ! Avec du papier bambou de 250 grammes il faut 23 secondes de pression sinon gare aux grimaces diverses ! 10 secondes suffiraient avec des couvertures de plus faible grammage. Par exemple 150 grammes. Je vous fais grâce de toutes les opérations préliminaires, les différentes coupes des piles de liasses imprimées, de l’impression de la couverture qui prend une journée de travail. Du pliage des couvertures dont la réussite de la reliure dépend totalement.

La poésie

Claude Seyve voulait appeler la revue Louisa, allusion au passé ouvrier anarchiste de la ville des canuts : Lyon.  Je lui ai dit : on va ouvrir un dictionnaire au hasard plusieurs fois jusqu’au bon titre. Ce qui fut fait. Verso, l’envers des choses, de l’autre côté du miroir. J’éprouvais une véritable passion pour Lewis Caroll. Je n’ai pas changé.

Nous choisissions Claude Seyve et moi les textes reçus par la poste. Plus tard, lorsqu’un comité de lecture fut institué, nous fîmes la remarque tous deux que les textes qui nous plaisaient été évincés.

Lorsqu’en 1998 je me suis retrouvé tout seul pour réaliser Verso j’ai renoncé au comité de lecture et appliqué les règles qui étaient en vigueur les premières années de Verso. C’est à dire publier les jeunes poètes ou moins jeunes ! Sur la base de la qualité de l’écriture seulement sans aucune référence à une mode quelconque. Ce sont ces poètes-là qui seront connus demain. D’une manière plus générale j’affirme que c’est le poète ou l’artiste qui crée la nouveauté ou l’idée du moderne. Pas des instances diverses dont le pouvoir m’est de plus en plus insupportable.

Les textes sélectionnés sont rangés dans des enveloppes datées et publiés par ordre chronologique.

Dans la revue je les dispose dans un ordre qui dépend du titre. Résultat d’une analyse presque surréaliste ! Les premières pages sont celles qui répondent au plus près du titre découvert. Les textes s’enchaînent grâce à des charnières : une idée, un mot suffisent.

L’organisation de la revue

Le prologue : L’analyse des textes qui aboutit à un titre comme si un appel à thème avait été lancé se poursuit dans un prologue. C’est un méta-texte où je combine des idées relatives au titre et des extraits des textes publiés. Le produit obtenu tend vers un texte autonome. Il doit en théorie montrer une forte unité. Le lecteur ne devra pas s’étonner si des petites scènes de la vie courante s’y glissent. Non sans rapport avec les textes publiés ! Le sel de la revue !

Notes sur les auteurs :

Chaque auteur publié a droit à une présentation biobibliographique.

Les chroniques : 

Quelquefois le lecteur a la chance de trouver la chronique lyonnaise de Marinette Arabian. J’ai habité pendant 15 ans le même quartier qu’elle dans le 3ème : Montchat. Ses chroniques dépassent de loin la rubrique de quartier.

Miloud Keddar assure une rubrique artistique mais tient à voir ses poèmes publiés dans ce cadre. Le point commun est une réflexion sur la création.

La revue des revues :

Christian Degoutte la nomme : En salade. La plus importante revue des revues en France. Je sais qu’elle est très lue.

Les lectures :

Valérie Canat de Chizy, Jean-Christophe Ribeyre et moi-même recensent un maximum de livres. Gérard Paris aussi.

Notes, chroniques et lectures occupent environ 30 pages de la revue.

 




Artichaut, revue de création littéraire

J’ai découvert Artichaut par hasard au Marché de la poésie 2017. Non, je ne cherchais pas des légumes, mais La moitié du fourbi et, ce faisant, j’ai trouvé Artichaut. J’ai été immédiatement frappée par les qualités éditoriales du #1 | révolutions.

Le cartouche, comprenant le logo (qui représente un artichaut stylisé) et le titre de la revue (« artichaut : revue de création littéraire »), est suspendu au centre du bord supérieur de la couverture, qui met en avant une des œuvres de l’artiste invité(e). Le long du bord inférieur, le titre du numéro. Cette géographie de la couverture fonctionne à merveille, et attire immédiatement l’œil.

Sur la première page de la revue, le MANIFESTE CHAUD, dont je reproduis ici le texte (sans sa mise en page) :

C’est un chardon brûlant que l’on a domestiqué, cultivé et mangé froid. Il a un cœur comestible deux fois l’an – trois fois les bonnes années – qui est une inflorescence sans fleurs. Il a un bon fond, généreux réceptacle des maux des autres qu’il accueille sans préjugé, encourageant toujours la mise en mots. Une après-midi mélancolique il est né, dans la chaleur d’Afrique du Nord où son nom est une épine de la terre. Il continuera d’être cultivé tant qu’il nourrira ; de l’art du chaud nous forgerons demain un cœur plus vaste - ou nous étoufferons.

Le sommaire présente le détail des œuvres des 7 auteur(e)s retenus lors de l’appel à textes, de l’auteur(e) et de l’artiste invité(e)s. Chaque auteur(e) est introduit(e) par une page biographique proposant un « accompagnement » à la lecture de son texte. Ainsi, pour Nous irons pieds nus comme l’Ire des Volcans, poème de Raphaël Sarlin-Joly publié dans le #1 (un autre de ses poèmes, Révélant sur la Grève Quelques Corps immobiles, est publié dans le #2), il nous est proposé de regarder Alphaville de Jean-Luc Godard. Les accompagnements peuvent être des livres (essais, fiction…), des œuvres picturales, des films, des séries télévisées, des chansons ou même des promenades…

Les contributions sont le plus souvent des nouvelles dans le registre du réalisme magique, mais la revue est également ouverte aux propositions poétiques. Très cohérentes, elles donnent une couleur d’ensemble, non seulement aux numéros, mais à la revue.

Un monde ouvert, absurde, à la limite du rêve et de la dystopie, symbolisé par le choix des artistes invités à ce jour : Fanny Béguély pour le #1, et Seung-Hwan Oh pour le #2. Ils ont en commun de travailler à partir du papier photosensible. Fanny Béguély réalise ainsi des Chimigrammes, ou « peinture[s] sur papier photosensible. L’artiste dessine sur des supports argentiques rares et anciens à l’aide de produits chimiques, suscitant des réactions qui se poursuivent parfois dans la durée. » Seung-Hwan Oh, quant à lui, a procédé ainsi pour sa série Impermanence : il « a déposé un champignon sur le film photographique. Après un ou deux étés d’incubation à Séoul, la pellicule dévorée révélait les silhouettes fantomatiques de ses sujets : portraits brisés, lacérés, usés par le temps. » Ces projets artistiques proposent une réflexion sur la nature de la photographie et sa matérialité, sur le temps qui passe, sur la sublimation provoquée par l’introduction d’un élément étranger (des produits chimiques, un champignon). Quelque chose disparaît, quelque chose se crée.

Les textes des auteures invitées sont positionnés l’un en fin de numéro (Le Jardin aux roses de Cristen Hemingway Jaynes, pour le #1) et l’autre en ouverture (Nom féminin d’Anne-Charlotte Husson, pour le #2). Notons que la nouvelle Le Jardin aux roses, écrite par l’arrière-petite-fille d’Hemingway, est proposée en version française (traduction par Laurent Barucq et Justine Granjard) puis américaine.

Je connaissais, par ailleurs, le travail d’Anne-Charlotte Husson à travers la bande dessinée documentaire Le féminisme, publiée chez Le Lombard dans la collection La petite bédéthèque des savoirs. Nom féminin vient participer, de manière brève et percutante, au débat actuel autour de l’écriture inclusive.

En fin de numéro, dans une sorte de mise en abîme de ce que nous avons découvert, une bibliographie sélective nous est proposée. Un jeu sur la typographie en varie les entrées qui, par leur diversité, font feu de tout bois et nous invitent à la sérendipité. On ouvre alors de nouveau le rabat du numéro, et on lit, sur la page de garde finale, « Pour participer à nos appels à textes : www.lechardonlitteraire.com/ ». L’envie est déjà là. On attend le prochain appel, et il est certain qu’on y répondra. Irrésistiblement. Et qu’on ira assister à la rencontre « Naissance et perspectives d’Artichaut », proposée dans le cadre du Salon de la Revue le dimanche 12 novembre, salle Christiane Tricoit, de 16h30 à 17h30.

Artichaut, revue de création littéraire #1 - révolutions

Artichaut, revue de création littéraire
#1 | révolutions
140x205mm, 128 pages, broché, rabat couvrant
15 €

Artichaut, revue de création littéraire #2 - personne

Artichaut, revue de création littéraire
#2 | personne
140x205mm, 128 pages, broché, rabat couvrant
15 €

 Interview par mail de Justine Granjard, 28 octobre 2017

Quel a été le point de départ de votre projet ?
Artichaut est née d’une pratique personnelle. Je cherchais des revues susceptibles de me donner envie d’envoyer des textes. J’ai fait de jolies découvertes, mais qui m’ont surtout donné envie de créer ma propre revue ! Je travaillais déjà dans l’édition, j’avais envie de monter un projet toute seule, Artichaut en a été l’occasion. 
Je connaissais presque tous les membres du comité auparavant : ce sont d’anciens camarades de l’école, ce sont des ami·es. Je souhaitais composer un comité de lecture avec des femmes et des hommes aux personnalités toutes très différentes, aux sensibilités parfois opposées, qui se retrouvent dans le plaisir du texte et le désir d’adopter une posture bienveillante. Je ne savais absolument pas ce qu’allaient donner les premières réunions. Mais ça a fonctionné tout de suite. 
Comment vous est venue l’idée d’utiliser le concept de l'artichaut comme symbole de votre revue ?
Ce n’était pas du tout un concept. J’écrivais un texte (toujours en cours) intitulé provisoirement « Artichaut ». Les deux projets nés simultanément ont pris le même nom dans mon esprit. Et j’aimais la réaction perplexe des personnes à qui j’ai dit le nom pour la première fois. Cet objet du quotidien, humble et pourtant sophistiqué, rond et piquant, accessible et complexe… tout ce qu’évoque ce mot me plaît, et fonctionne de manière très cohérente sans que cela ait été forcément pensé au préalable. Maintenant, tout le monde vient me voir avec des histoires autour de l’artichaut, tout le monde m’envoie des photos d’artichauts : cet objet banal s’est trouvé soudain investi de sens, et de sens très variés. 
Comment ont été élaborés les principes graphiques de la revue (le travail sur la typographie, le rabat, les pages de couleur...) ? Sont-ils concomitants ou consécutifs de votre projet littéraire ? Et, question subsidiaire : quel est le profil des membres de l'équipe (au vu de la beauté plastique de votre revue) ?
Je suis éditrice et je viens du monde de ce qu’on appelle les « beaux livres » : livres d’art, livres illustrés qui nécessitent un traitement graphique et de fabrication particuliers. Dans ce monde-là, nous adorons toutes les petites originalités de fabrication ! J’ai pensé à ce rabat couvrant immédiatement, en référence à une maison indépendante appelée Les éditions du Chemin de Fer qui a publié un magnifique inédit de Claude Simon il y a quelques années. Ensuite, j’ai travaillé avec une talentueuse jeune graphiste, Mélissandre Pyot, pour la conception de la maquette et du principe de couverture. Elle a conçu le logo à partir d’un dessin qu’avait réalisé une artiste tatoueuse, Maïssa Bénallègue, qui est aussi membre du comité de lecture. Je tenais à ces jeux typographiques que l’on retrouve en ouverture et en fermeture de la revue : le jeu typographique et la typographie en elle-même sont les lieux où l’écrit et l’art graphique se rejoignent. Et, comme j’ai longtemps fait des bibliographies universitaires dans les règles de l’art (je suis issue d’une formation littéraire), je trouvais amusant de déconstruire la bibliographie à travers ces jeux typos, pour réintroduire de la vie et du mouvement dans ces formes figées. Mélissandre a donc signé la maquette du #1, qui a été reprise et légèrement modifiée par un autre graphiste, Noël Pinsard, pour le #2. Je touche moi-même de plus en plus à la question graphique, par intérêt bien sûr, mais aussi pour des questions de budget !
Les membres du comité, qui font partie de l’équipe permanente d’Artichaut, ont des profils très variés : j’ai mentionné Maïssa Bénallègue qui est tatoueuse, mais il y a aussi Cyril Barde, professeur en CPGE et doctorant en littérature, Elara Bertho, chercheuse au CNRS et spécialiste des littératures africaines ; Eléonore Devevey, doctorante et éditrice qui s’intéresse aux liens entre anthropologie et littérature ; Vladimir Hugot, danseur à l’opéra et acteur ; et Laurent Barucq, traducteur littéraire qui a une connaissance impressionnante de l’édition indépendante. 
Comment décidez-vous du thème des numéros ? Avez-vous élaboré un plan sur plusieurs numéros en prévoyant les appels futurs ? Je me pose ces questions du fait même de la cohérence des textes publiés et des thèmes des numéros.
Je travaille de manière assez intuitive, en fonction des envies, des intérêts (ou lubies) du moment. Je soumets mes propositions de thèmes au comité, qui les valide ou non. J’ai déjà les trois prochains thèmes en tête oui, ainsi que les artistes invité·es qui ont déjà été, pour la plupart, contacté·es. 
Combien avez-vous reçu de textes pour chacun des 2 numéros ? Quand un nouvel appel à textes sera-t-il proposé ? J'ai l'impression que vous concevez chaque numéro comme une méta-œuvre, collective.
Pour le #1, nous n’avions reçu qu’une trentaine de textes, et nous avions été impressionné·es par la qualité des propositions. Nous n’en avions que trente, mais nous avons eu le luxe de choisir, et même de nous confronter à quelques dilemmes dans ces choix. Pour le #2, nous en avons reçu une centaine, donc le travail a tout de suite été plus important, notamment pour répondre à tout le monde individuellement (chose que je souhaite continuer de faire le plus longtemps possible). Le nouvel appel à textes sera communiqué dans les semaines à venir, avant le Salon de la Revue.
Oui, j’aime cette idée d’une oeuvre collective, où les individualités s’expriment pourtant dans leurs différences. Chaque feuille d’un artichaut présente des teintes, des tailles, des formes diverses. Pourtant, tout se tient, autour du cœur. 
L'auteur invité ne participe pas à l'appel à textes ? Vous le connaissez déjà et lui proposez de participer ? L'artiste invité également ? Comment concevez-vous leur rôle de pivot dans le numéro ? Une sorte de fil rouge, de tamis orientant notre vision du thème ?
Les autrices invitées (car, pour l’instant, il n’y a eu que des femmes) ont eu carte blanche sur le thème. Elles n’ont pas participé à l’appel, puisque la publication de leur texte est assurée. Nous les invitons car nous les savons susceptibles de proposer des éclairages singuliers sur le thème, ou adoptant des formes, représentant des courants d’écriture qui font sens pour nous, toujours en lien avec ledit thème. Je ne conçois pas vraiment les oeuvres reproduites au centre du volume comme un pivot. Plutôt un coeur ! Je crois que l’idée du fil rouge est bonne, mais j’ai souvent eu l’impression à la lecture des numéros finis que ce fil rouge reliait les textes de manière très naturelle, très organique, et assez imprévisible. Il y a par exemple des effets d’échos entre des textes sélectionnés à l’issue de l’appel, que nous ne remarquons qu’au moment d’éditer les textes après sélection. Je pense que cela s’est produit pour les deux numéros existants, et j’espère que ça va continuer de se produire sur les prochains. Nous ne forçons pas la cohérence de cet ensemble si hétérogène : elle se dessine naturellement, et c’est très bien ainsi !
Les références mentionnées après la biographie des contributeurs sont-elles proposées par l'équipe et/ou par l'auteur ? Quel rôle joue pour vous la bibliographie en fin de volume ? Et l’édito ?
Les accompagnements sont proposés et choisis par les autrices et auteurs, en accord avec l’équipe éditoriale. La bibliographie permet de définir l’univers qui a accompagné les membres du comité tout au long de la conception du numéro. L’édito est le seul endroit où je m’exprime en mon nom (mais toujours « pour Artichaut ») sur le projet : je ne le voulais pas forcément si personnel au départ, mais c’est ainsi qu’il est né et lorsque j’essayais de l’écrire de manière moins intime, ça ne collait pas. Alors je me suis faite à l’idée d’y écrire « je ». 
Parlez-moi de la rencontre prévue pour le salon de la revue.
C’est une grande chance pour nous, et je remercie encore André Chabin et Yannick Keravek d’Ent'revues qui nous ont proposé cette tribune pour présenter la revue. Nous pensons dire quelques mots du projet, répondre à quelques questions sur le fonctionnement, sur l’avenir de la revue et les développements que nous envisageons, et, surtout, laisser à deux auteurs que nous avons publiés (Raphaël Sarlin-Joly et Vanya Chokrollahi) l’occasion de lire leurs textes. Souvent je dois faire face à des réactions mitigées lorsque je parle de "jeunes auteurs et autrices » : les gens ne s’attendent pas à lire des textes aussi bons. J’aimerais que notre intervention lors du Salon de la Revue soit l’occasion de déconstruire ces a priori !




Les cahiers du sens, 2017, n° 27

Chercher du sens à Les cahiers du sens n’est pas la moindre entreprise, d’autant que le mot sens en a d’évidence plusieurs. Nul n’y peut rien. Ce foutu mot-là, slalome entre la direction (d’Ouagadougou à Ostende) et la signification (de l’insignifiant au supersignifiant du surdoué mental). 

Ces cahiers du sens – et non les cahiers des sens – traitent d’un thème capital,  L’inaccessible, avec une quasi certitude que personne n’y accèdera puisque, de toute façon, ce n’est pas le but. Au demeurant, cette non-accessibilité singulière a pour gonfalon la citation de Brel « partir où personne ne part » (et non d’où personne ne part). Alors pourquoi et comment partir pour un voyage résumant l’année 2017 qui ne part ni ne va nulle part ?

Les cahiers du sens, 2017, n° 27, Edition Le nouvel Athanor, 248 p., 20 €

Les cahiers du sens, 2017, n° 27, Édition Le nouvel Athanor, 248 p., 20 €

Une tâche redoutable. Au total 106 auteurs – total approximatif non garanti vu les doublons - répartis dans les rubriques « anthologie, lecture, voyage » et dont 22 par ordre alphabétique se situent hors rubrique (ce qui signale sûrement quelque chose comme le vrac, le hasard, le résidu, l’inclassable). Il est vrai que l’éditeur Le nouveau Athanor ((Athanor, four de l"alchimie.)) revendique la publication de la « culture marginale » en divers domaines (philosophie, poésie, astrologie, etc.). C’est donc cette « recherche » dans les marges, au sens où elle n’accède généralement pas à aux « circuits sociaux et économiques traditionnels » (dont probablement la publication) que nous explorerons volontiers.

Faute de pistes tangibles, errons d’abord en lecture, avant de choisir des escales arbitraires tous les 20 kms (autrement dit toutes les pages multiples de 20, à commencer par 20). Des bornes éventuelles sur la route de cette promenade dans l’utopie.

Escale 1, page 20, chez Eric Désordre, Il est parti, je vais venir. Son inaccessible est un chemin vécu à travers la mort du père par « protocole » (euphémisme pour ne pas dire euthanasie) et dans une version Roberto Benigni (sans doute La vie est belle). Le fils récupère ce qui reste du mort-fantôme (sacs plastique et fauteuil roulant). Or un mort est mort et il repose « de l’autre côté » du monde. Le fils n’ira pas jusqu’à la chambre froide.

Escale 2, page 40, L’inaccessible étoile. Alain Noël poursuit un chemin mystique qui va d’un Jean à l’autre (de l’Evangéliste à Saint Jean de la Croix) en s’arrêtant à Saint Matthieu. Il cherche à « être en état d’apesanteur », autrement dit à être « rien de rien » (dixit Montée du Carmel) car dans le Rien se cache le Tout.

Escale 3, page 60 (commencée page 59), L’icône pour appeler et veiller l’inaccessible, Anne de Commines cherche « le rythme spectral » de cette l’image  particulière qui facilite « l’accès au divin ». Nous « habitons le Mystère », enveloppés de silence. Là advient la poésie.

Escale 4, page 80, Un début d’éternité est un poème d’amour filial d’Anouk Berthier. La fillette se réchauffe « au bois des bras » de son père. Tous ses souvenirs ont été protégés par celui-ci, auquel elle tend la main « pour prendre désormais sa place ».

Escale 5, page 100, Ségeste. Annie Coll s’interroge sur ce temple dorique dont « l’épure géométrique »… « distille les veines des collines » siciliennes. Quel inconnu en a conçu la forme ?

Escale 6 page 120, Le temps qui passe de Dominique Fabre. Le temps porte justement « les habits du temps qui passe ». Exception sociale notable dans un poème, un « ouvrier » sans âge ni prénom y paraît « le dimanche ».

Escale 7 page 140, D’entières larmes. Martine-Gabrielle Konorski ressent des « douleurs » imprécisées. Elle se laisse hanter par ce « vide muet, sans couleur et sans nom » qui lui est un « compagnon d’impatience ».

Escale 8, page 160, La crèche suburbaine. Pascal Mora évoque la naissance dans un « monde ancien »  de toute forme de vie : enfant, jardin, violettes, rosée, arbres, souffle, rumeur, beauté. A l’image de ces créations, « nous sommes des âmes dans ces corps ».

Escale 9, page 180, Villes de Michel Politzer. L’auteur entame un périple dans des villes que la destruction a mué en mythe (Troie, Carthage, Guernica, Oradour, Hiroshima, Alep) Il en appelle aux « tribuns » « aux mots acérés » afin de « brocarder les puissants ». Il ne veut pas laisser « sombrer l’avenir des hommes sous les ruines d’Alep »

Escale 10, page 200, Dialogue volé à Stéphan Sweig. Maïté Villacampa évoque la rencontre d’un homme et d’une femme en attente de dialogue. La femme, extraite d’un roman de Sweig invite l’homme à lire le roman. Une situation à la Handke !

Escale 11, page 220, Nicole Sauvage, ancienne élève de Marie-Claire Bancquart, a lu son Qui vient de loin ? (Castor astral, 2016). En cette poétesse si « humaine » règne la « sagesse et l’humilité ».

Escale 12, page 240, Là-bas. Monique Leroux-Serres voyage dans l’île de la Réunion. Elle croise, sur ce lieu envoûtant, la célèbre citation de Baudelaire et des haïkus de Chiyo-ni.

Escale.., page 260. Enfin. Elle est la page qui n’existe pas. Elle est donc parfaitement, totalement, définitivement Inaccessible. Ouf. Elle est finalement le vrai lieu de cette revue thématique, peut-être même sa raison d’être. Voila qui évite de faire la synthèse entre les inaccessibles si diversifiés des écrivain.es présent.es dans ce laboratoire d’édition! Ont-ils trouvé le « langage universel » rêvé par la franc-maçonnerie ? Ils semblent au moins progresser – ou cherchent à le faire - sur leur chemin initiatique.




Le Journal des poètes 2, 2017, 86e année

Entamer la lecture de ce Journal des poètes déjà consulté par une autre amatrice de poésie ((Marilyne Bertoncini)) est une expérience insolite. Impossible d’ignorer les traces manuscrites de cette première lecture. Elles font comprendre à quel point chacun porte un regard singulier sur cet univers éminemment subjectif. De ces traces émerge un attrait puissant pour le poème, cette « émotion que vous ne pouvez trouver que là » (Pierre Reverdy) et qui nous plonge « au cœur de la rencontre » (Philippe Mathy). Un poème qui « transperce en nous/les murs, les os, la pierre et la chair/et nous change » (Yorgos Thèmelis). Merci de cette porte d’entrée, Mme Marilyne.

Le Journal des poètes, 2, 2017, 86e année, 10€

Le Journal des poètes, 2, 2017, 86e année, 10€

S’abandonner à la quête thématique du « dossier » invite à pénétrer à mots feutrés dans l’ordre d’une «  lumière » poétique à la grecque ((Rappelons la sortie de trois ouvrages liés à cette terre qui suscita tant de pensées philosophiques que poétiques : Poètes grecs du 21e siècle (vol 5) ) choisis, traduits et présentés par Michel Volkovitch, Le miel des anges; La Grèce de l'ombre (2), Chansons rebètika, traduits du grec par John Taylor & Michel Volkovitch, Le miel des anges; et Costas Karyotàkis, Je veux partir (poèmes et proses), traduit du grec par Michel Volkovitch, Le miel des anges .)). Comment se réfracte-t-elle dans l’esprit des trois poètes.ses sélectionnés, présentés et traduits par Bernard Grasset ? Sont-ils tentés par une harmonie réconciliant nature et culture ? par une alliance entre culture grecque « ancienne et moderne » ? par… Il y a d’abord l’évidence des photographies en noir et blanc (Y. Verniers) qui rythment le dossier. La lumière diffuse pénètre d’abord les failles de l’ombre en des collines chutant dans la mer, puis sur des barques essaimant au hasard des vagues, et enfin entre les colonnes d’un temple au crépuscule (je crois reconnaître celui de Poséidon dans la magie du cap Sounion). Il y a ensuite les luminescences et les brasillements inhérents aux poètes.ses qui les inscrivent dans l’Hadès ou sur le Pnyx, et dans la foulée de Tirésias ou d’Eukrate. Ceux d’Olga Votsi qui, en plein effroi devant un cétacé, perçoit « un Ange de Lumière », tandis qu’elle porte seule « le poids » de cette lumière recueillie en « flocon ». Elle qui, dans les « incandescences  de la vertu » a des «entrailles » prêtes à « s’embraser » et porte dans le cœur des « traits de lumière » semblables aux ailes d’hirondelles. Ses poèmes sont souvent hantés par des ailes d’aigles qui se déploient sur les pages. Pour Yorgos Thèmelis, c’est la  Poésie qui est lumière, une lumière «d’une autre clarté, puissance d’un autre soleil ». Elle « n’est pas lumière », mais est un « poignard brillant » qui « sépare la chair de l’âme ». Son irruption « transfigure » le poète : « Je flamboie ». Même les aveugles « aux yeux qui ne voient pas » se muent en guides – dont Tirésias - « à l’origine de la lumière ». La poétesse Jeanne Tsatsos  cherche, elle, une vérité. Le soleil « mélancolique » « peine à sillonner l’univers », « avant de céder la place au silence de la nuit ». Sa lumière est en « notre sang » : elle est politique. Sur la colline du Pnyx, elle la regarde « briller, se voiler, disparaître dans le calme de la nuit ». Sur la stèle d’Eukrate, la foule (dont elle fait partie) écrira un seul mot « démocratie ». Généreuse, Jeanne dit enfin de « l’amour » qu’il est lumière qui « a transpercé la nuit».

Ainsi la lumière en ce XXème siècle hellénique secrète d’autres forces, personnifiées en ange protecteur, ou symbolisant la poésie ou la politique (démocratie). Loin d’être un transport pur d’énergie sans matière, elle est ainsi transfigurée. Elle devient une vision mentale du poète ou de la poétesse, l’expression de l’idéal dont il/elle est porteur.se. Ainsi diffractée, elle se réfracte en nous avec une clarté convaincante, dans toute l’émotion de la beauté.




Place de la Sorbonne n° 7

Qu’ajouter après l’éditorial de Laurent Fourcaut qui ouvre cette livraison annuelle forte de plus de 400 pages ? Tout y est dit, ne reste plus qu’à lire attentivement ce n° 7 de Place de la Sorbonne.

La première partie est consacrée à Olivier Barbarant, spécialiste d’Aragon mais aussi poète : étude sur la poésie et poèmes inédits. Une étude qui s’attache à montrer comment le quotidien (le réel) peut être à l’origine du poème, quotidien qui ne se confond pas avec la contingence dit Barbarant :

La fêlure, la fragilité, la douleur du deuil personnel, y empêch(ai)ent toute mise au pas de la voix » (p 17)

Il était bon que ces choses-là fussent dites. Les poèmes se veulent illustrations de ce que recèle l’étude (à moins que ce ne soit l’inverse). Suit un entretien avec Djamel Meskache des éditions Tarabuste réalisé par Laurent Fourcaut pour PLS. De cet entretien, il faut retenir ce que dit Meskache : à propos de la diffusion et de la distribution des livres qu’il édite, il répond, à la question posée sur la portion congrue des étals de poésie et de la faiblesse en mètres linéaires des rayonnages de cette même poésie chez les libraires : « Admettons qu’ils ne soient pas nombreux : cela ne dit rien de l’état de la poésie en France. Tout au plus, ça décrit l’état de renoncement dans lequel la médiocrité ambiante tente, sans toutefois y parvenir complètement, de plonger une part de plus en plus importante de nos concitoyens » (p 32). Dont acte.

Place de La Sorbonne n° 7 (Revue internationale de poésie de Paris-Sorbonne) : ce numéro 428 pages, 15 euros. Publié par les Presses Universitaires de Paris-Sorbonne (28 rue Serpente 75006 Paris, pups@paris-sorbonne.fr)… PLS : Université de Paris-Sorbonne ; 1 rue Victor Cousin. 75005 PARIS.

Place de La Sorbonne n° 7 (Revue internationale de poésie de Paris-Sorbonne) : ce numéro 428 pages, 15 euros.

Publié par les Presses Universitaires de Paris-Sorbonne (28 rue Serpente 75006 Paris, pups@paris-sorbonne.fr)…

PLS : Université de Paris-Sorbonne ; 1 rue Victor Cousin. 75005 PARIS.

 

La deuxième partie de la livraison annuelle est consacrée à la poésie contemporaine de langue française : une anthologie de 15 poètes (sur 107 pages) suivie d’une série de notices consacrées à ces poètes qui court sur une trentaine de pages. Il faut noter la diversité des poètes présentés, PLS n’appartient pas à une école littéraire ! J’ai découvert Julien Blaine par sa revue Doc(k)s, il y a déjà de longues années ; je le retrouve ici égal à lui-même, iconoclaste d’une certaine poésie. Je retrouve un Blaine paradoxal qui donne à imprimer ses poèmes alors qu’il est hostile au livre. Comment aborder les poèmes ici reproduits ? Comme la volonté de détruire la poésie du passé, comme l’œil qui voit et qui note ? J’ai bien aimé les poèmes de Murièle Camac pour leur atmosphère ; parmi les poètes connus (de moi), j’ai apprécié Francis Combes pour son usage du réel, sa façon de coller à ce réel. Les routes de mica d’André Ughetto me plaisent pour leur lyrisme et leur côté expérience… Jean Renaud et ses compressions de textes m’ont intéressé car la poésie est expérimentation : et là, je ne suis pas déçu de cette importation d’une technique de la sculpture. GB (Gérard Berthomieu ?) explique longuement dans sa notice ce que voudrait Jean Renaud : essai ou notice ? Cette mini-anthologie permet au lecteur de trouver son dû ; elle rappelle que la poésie est condamnée à innover sinon elle se cantonne dans la répétition des formes du passé. Les notices rappellent le rôle indispensable des revues comme banc d’essai de l’écriture poétique… Cependant le signataire ces lignes se pose une question : aimerait-il moins la poésie que dans sa jeunesse ? S’intéresserait-il moins aux nouvelles écritures poétiques que dans sa jeunesse ? Il est vrai qu’il en a vu (et lu) de ces expériences sans lendemains, ce qui explique qu’il soit de plus en plus difficile.

La troisième partie explore une partie du continent de la poésie de langue allemande : quelques 120 pages sont réservées à ce domaine… Plus précisément, le titre de cette séquence est : « Six poètes germanophones européens  », six poètes qui ont choisi d’écrire en allemand alors qu’ils sont nés dans un autre pays européen. De l’essai introductif de Bernard Banoun et d’Aurélie Maurin, il faut retenir ces mots : « … c’est dans les frontières de pays européens de langue allemande que vivent des écrivains étant passés à l’allemand » (p 150). De 1985 à 2016, le Prix Chamisso (du nom d’un noble français qui émigra en 1792 et qui passa à l’allemand tant par ses poèmes que par un conte justement célèbre, La Merveilleuse Histoire de Peter Schlemil ) récompensa de tels écrivains mais il s’arrêta en 2016 pour la raison qu’il s’agirait là de marquer comme étrangers ces auteurs… Essai fort intéressant au demeurant.

Pour Maja Haderlap les choses sont simples : écrire en allemand permet au slovène d’exister par la traduction de la langue de Goethe. On est loin de la revue poétique croate Le Pont (qui exista dans les années 60-70, au siècle dernier), encore que les traductions en anglais, en allemand, en français et en italien étaient nombreuses. C’est le problème des langues minoritaires qui est ainsi posé.  Haderlap s’interroge : «une langue sait-elle tirer une autre à soi / ou seulement la repousser ?» (p 163). Mais en même temps, elle interpelle le lecteur, seul capable de comprendre. Cependant les autres poètes ne manquent pas de poser des questions révélant le passage d’une langue à une autre, avec mine de rien, des contradictions internes clairement exprimées. Aurélie Maurin ne manque pas de remarquer qu’elle s’est fait aider par Christophe Manon qui ne parle pas un traître mot d’allemand ! À l’opposé des poètes écrivant en vers qui maîtrisent l’allemand et souvent la langue de la minorité à laquelle ils appartiennent : c’est révélateur de ces moments de suspension où la langue hésite. C’est passionnant, jusqu’au bilinguisme de José F.A. Oliver (p 219-220) !

La partie suivante est intitulée Contrepoints : des praticiens des beaux-arts passent au crible de la langue leurs productions respectives ; fragments d’entretien pour Claudine Griffoul (à propos de son travail plastique), comment passer du monotype au discours, de l’eau forte au texte, de la linogravure au poème ? Hugues Absil commente par des estampes, aussi les poèmes de Katia Sofia Hakim. De cette confrontation naît du sens qui doit beaucoup à l’exégèse de Laurent Fourcaut.

La séquence qui suit consiste en commentaires dûs à Catherine Fromilhague de plusieurs poèmes de Paul de Roux : réinscription dans l’histoire de la poésie, le commentaire du premier poème m’a paru très savant, décryptage de la métrique du poème pour le deuxième… Voilà qui prouve que parler de la poésie est un vrai travail. Catherine Fromilhague, très attentive, signe de véritables essais au déroulé du poème de Paul de Roux dans lesquels elle met en lumière les caractéristiques de cette poésie…

La livraison se termine par trois séquences : Échos qui donne à lire un essai de Christian Doumet qui est par ailleurs membre du comité de rédaction de Place de La Sorbonne, essai consacré aux rapports entre poésie et politique ; De l’autre côté du miroir qui regroupe des hommages rendus à des poètes lors de leur disparition et enfin Comptes-rendus & Livres reçus où l’on retrouve de multiples signatures dont celle de Laurent Fourcaut qui est décidément infatigable.

Je n’aurai fait que survoler ce numéro d’une richesse insoupçonnable, manque seulement l’index des n° 1 à 6 de PLS pourtant annoncé en quatrième de couverture. Il fallait bien un mastic et le voilà !

 

*

 




Chiendents n° 118, consacré à Marie-Josée CHRISTIEN

Marie-Josée Christien est née en 1957 à Guiscriff en Cornouaille morbihannaise. Sa poésie est très marquée par sa Bretagne natale où elle vit. "La poésie pour viatique" est bienvenue. Gérard Cléry, Guy Allix, Bruno Sourdin, Michel Baglin, Jacqueline Saint-Jean, Luc Vidal (l'animateur des éditions du Petit Véhicule) et Jean Chatard collaborent à cette livraison de Chiendents qui dresse le portrait de M-J Christien.

Authenticité et sensibilité au monde sont les caractéristiques de cette œuvre que Gérard Cléry met en évidence. Sensibilité au monde, à l'univers et non sensibilité étriquée à la Bretagne : Marie-Josée Christien se sert du paysage qui l'entoure pour interroger l'univers et en tirer des conclusions qui concernent tous ses lecteurs, quel que soit l'endroit où ils vivent. Guy Allix met en lumière la concision de ces poèmes et leur aspect "mystique" (l'important est dans les guillemets, car l'athéisme est de mise ici) : le n° 19 de Spered Gouez (L'Esprit sauvage, en breton !) n'est-il pas intitulé "Mystiques sans dieu(x)" ?  Le miracle - et c'est Miche Baglin qui l'explique - c'est que Marie-Josée Christien, tout mystique qu'elle soit, ne perd jamais le contact avec le réel. Elle ne cultive pas la couleur locale, pour autant.

Chiendents n° 118 : Marie-Josée Christien

Chiendents n° 118 : Marie-Josée Christien

La partie la plus captivante de ce numéro de Chiendents est celle où Marie-Josée Christien répond aux questions de Gérard Cléry. On y apprend que, pour elle, "écrire est ce qui lui permet de tenir" (p 19), qu'elle se méfie de l'intellectualisme en vogue actuellement chez les poètes, que l'école primaire et le lycée ont beaucoup compté pour son éveil à la poésie, que son intérêt pour le peintre Tal Coat explique son goût pour "la venue de lointains profonds, les lents dépôts millénaires" (p 22) qui lui permet de saisir la fulgurance et le surgissant, qu'elle a le goût de la préhistoire, qu'elle se sent éloignée "de la morne poésie du quotidien" (qui a pourtant donné de belles réussites pleines de sensibilité comme chez François de Cornière, mais sans doute, ne mettons-nous pas les mêmes mots derrière l'expression…), qu'elle condamne l'art contemporain pour des raisons politiques… C'est une véritable leçon de poésie !

Un choix de poèmes poursuit la livraison. Poèmes courts souvent aux vers brefs dont, malheureusement le lecteur ignore s'ils sont inédits (à moins de le deviner aux titres qui renvoient à des recueils déjà publiés et à l'avant-dernier texte qui indique qu'il s'agit d'extraits inédits d'un ouvrage en cours d'écriture tout comme le dernier ensemble). Mais poèmes qui sont bien à l'image de Marie-Josée Christien encore que les Éclats d'ombre et de lumière fonctionnent comme une accumulation de versets indépendants l'un de l'autre…

Ce n° 118 de Chiendents est représentatif de l'œuvre tout en prouvant que Marie-Josée Christien sait se montrer inattendue… ll se termine par  deux études (ou deux lectures) l'une de Luc Vidal (consacrée à un florilège, Les Extraits du temps, préfacé par Guy Allix) et l'autre de Jean Chatard (consacrée à Entre-temps précédé de Temps composés)…

 




Dissonances – Le Nu

Voici une revue qui  tombe des mains. Je la ramasse. Elle retombe. Je tourne trois pages…Cela devient un jeu. Par où commencer ?

Dissonance est parfaitement dérangeante, idéalement décalée. Cela  réjouit d’être enfin poétiquement dérangée, sans se laisser pour autant recaler en lecture. Entre les opuscules d’un sérieux inexorable, conçus- rédigés-et-lus par des gens au sérieux  inoxydable qui participent au grand fatras informatif et parfois poétique, cette Dissonance là paraît une exception donc un privilège. Ni plus, ni moins. Elle se joue des codes depuis 33 numéros. Il nous faut quand même  apprendre à la… décoder.  Osons ?

L’édito d’une exemplaire discrétion (de Jean-Marc  Flapp, en haut de la page 2)  esquisse et ébauche les inévitables dévoilements du thème « Nu ». De fait « nu », c’est ni Le nu, ni La nudité, mais la liberté du stylo. Attention de ne pas le confondre avec  les thèmes proches précédemment choisis - comme Le vide et La peau… Nu, c’est nu,  l’état brut de l’art et de la chair. Pas nunuche du tout !  Dans ce bazar – le mot  qui n’est pas méprisant  en révèle la richesse contenue -  du nu de hasard, on trouvera du cul sous forme l’ « haÏcul » (Marc Benetto) ; on trouvera de  la mise à nu par deux auteures dont l’une (Béatrice Machet)  déshabille carrément  l’alphabet, tandis que l’autre (Ingrid S. Kim) effeuille, elle, la langue (et ses « mots-tapins en résille ») ; on trouvera aussi du vieux sous forme de « encore belle » (toilettage de vieille dame de la marquise de Carabas) ; on trouvera…. Qui dit mieux ?

Dissonances, Nu, Eté 2017, revue pluridisciplinaire à but non objectif, 5€.

Dissonances, Nu, Eté 2017, revue pluridisciplinaire à but non objectif, 5€.

Ainsi donc, une porte d’entrée s’est ouverte à ce foutu « Nu » qui ne l’est en rien, car il est fait de  surprises essaimant de rubrique en rubrique. Des surprises rangées selon deux parties (création et critique), dont la première possède une apothéose créative (la carte blanche), tandis que la seconde accouche de quatre sous-parties critiques (dissection, disjonction, dissidences, digression). Des surprises qui  ne peuvent pas ne pas en être : le projet éditorial marque une volonté démocratique basée sur l’idée que « tous les auteurs ont la même chance de se faire publier ». Pour ce faire et pour obtenir le précieux visa de publication, les textes reçus sont  purement et simplement « anonymés » quels qu’ils soient (issus de collaborateurs ou d’auteurs autres) avant d’être sélectionnés par l’équipe éditoriale.

La  dissection dissonante - presque entomologique - a choisi le poète Philippe Jaffeux (pas le délégué pharmaceutique, son double ?,  qui plastronne  sur Internet).  Il faut bien s’arrêter quelque part, être injuste en piochant dans un ouvrage collectif, en raison des limites de toute lecture ou la finitude d’une recension-notule-critique de livre. C’est lui que je choisis parce qu’il a  choisi  pour épitaphe un point d’exclamation ( ?), parce qu’il apprécie les « questions sans réponse » et que toute question – justement – contient déjà sa propre réponse (dont  la question cruciale «  Qu’est-ce que la poésie ? » et – enfin – parce qu’il attend des autres qu’ils ne soient plus « des autres ».  Sa photo – est-ce lui ? - en gamin perplexe n’a même  pas de besoin d’être légendée (« petit ») car il n’a rien d’un vieillard cacochyme.

La disjonction (critique) est paradoxalement une conjonction (aye, tant pis) :  un haro en quatre temps qui tombe sur le paletot du sieur Michel Houellebecq.

La dispersion propose un flopée de citations tous azimuts qui s’égarent : à  nu dans les nues, sur une double page,  de Quignard à Barrico en passant par Foucault et en venant de…. Musset.

Tiens, la distinction, à ne pas oublier : les élus publiés dans la revue peuvent, par ricochet, élire un film, un disque et un livre de leur choix. Mon élu  à moi sera Lambert Schlechter (Montaigne-Truffaut-Glenn Gould) !

Question distribution, la revue Dissonance donne au lecteur et à la lectrice une envie : se rendre au bistrot La route du sel qui, à Ingrandes- sur-Loire, la propose en vente.

Quelques questions néanmoins (la maladie de la philosophe) ? « ?? » Je case déjà mes deux points d’interrogation, à l’espagnole. Question 1. Est-ce par ce qu’un des écrits qui commence  chaque alinéa par des points de suspension mis de surcroît entre parenthèses  dépasse la contrainte  de 9 000 signes? Ou l’auteur Henri Clerc  a-t-il  simplement proposé un texte  pourvu de cette logique derridienne ? Question 2. L’œuvre de Laure Missir, Madame Image, concrétise-t-elle les phantasmes de Ducasse Isodore, à savoir la rencontre fortuite sur une table à dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ? Celle qui fait « dérailler le déjà vu », fera-t-elle désormais dérailler le déjà nu ?

Bref, toute la revue est un appel du pied expérimental, rédigé parfois sur une vieille Remington (typo) que certains auteurs d’époque (lesquels ? il y en a tant) n’auraient  pas renié. Bref  (autre bref plus bref), cette revue non conforme est du vrai poil à gratter et ça me plaît.

 




CHIENDENTS n° 109, consacré à Alain MARC.

 

 

Alain Marc est né en 1959 et sans doute était-il temps de consacrer une livraison de revue à cette œuvre atypique. Alain Marc commence par décrire ce qu'il écrit : il a forgé deux expressions, "l'écriture du cri" et "la poésie publique", qui ont fait florès depuis ; mais c'est pour mieux affirmer que tout ce qu'il a écrit et publié relève de ces deux principes. C'est ainsi qu'il donne de nombreuses lectures publiques : ce n° de Chiendents se termine d'ailleurs par une liste de lectures performées, pour reprendre ses mots. Mais l'essentiel n'est pas là : s'il agrémente ce n° de quelques lettres, le plus important réside dans les deux entretiens qu'il a accordés à Murielle Compère-Demarcy. Si le premier tourne autour de son œuvre ("Une poésie publique, cette deuxième expression que j'ai forgée avec celle d'«écriture du cri» et qui a conduit toute mon écriture depuis le début, l'une corrigeant l'autre en quelque sorte, signifie pour moi que tout doit être mis en œuvre dès l'écriture pour diriger la poésie vers le public, en faire un acte public."), le second approfondit la notion d'écriture du cri ; on peut relever cette affirmation que l'Histoire confirme : "Il est connu que les pays et périodes totalitaires ou de guerre ont toujours produit une littérature forte en contre, conjointement avec une amplification de son écoute. Ce qui explique aussi le peu de cette littérature dans notre période actuelle où les «ennemis», responsables des déboires de nos sociétés, sont difficilement identifiés." Malheureusement, tout n'est pas de cette eau, le jargon philosophique n'est pas évité, qu'on en juge : Murielle Compère-Demarcy n'écrit-elle pas : "… une critique lucide et «révolutionnaire» de ce qui traverse l'écrivant chevillé au monde pour en transcender la page dans une expression de l'affect relié à l'expérience d'un Je transcendantal immergé dans la nuit de l'Être pour en expulser l'indicible muration dans cet entre-deux de son cri intellect / de son Dit." Coquille ou néologisme compris ! Il est vrai que je ne suis pas de formation philosophique mais de tels propos passent difficilement dans la moulinette cérébrale du littéraire que je suis…

 

Reste que ce numéro de Chiendents est nécessaire. Ne serait-ce que parce qu'Alain Marc note : "D'où l'on peut aisément convenir que la poésie n'est pas que linguistique mais qu'elle est également anthropologique, philosophique, théologique, sociale et politique…" Oui, la poésie, si elle veut enfin retrouver ses lecteurs, doit cesser d'être intellectuelle et poétique. Mais lisez donc Alain Marc !

 

 

 

Chiendents n° 109, Alain Marc : "Il n'y a pas d'écriture heureuse". Éditions du Petit Véhicule, 40 pages, 5 € (+ 2 € pour l'envoi) : 20 rue du Coudray. 44000 NANTES.




PHOENIX 24, invité Titos PATRIKIOS

La livraison 24 de la revue littéraire phocéenne met à l’honneur le poète grec Titos PATRIKIOS, né en 1928, l’un des derniers Prix Max Jacob (étranger). Le poète réussit à donner du quotidien des images claires et prenantes :

Comment faire pour ne pas perdre
La chaleur de sa main dans la mienne…

(…)

La première fois que je me suis mis à écrire, c’était pour vaincre mon ennui.

(…)

Moi aussi, j’ai essayé, dès l’enfance, d’entendre le bruit de l’herbe qui pousse. Ceux qui disaient l’avoir entendu n’étaient pas nombreux, mais ils le soutenaient d’un air absolument convaincant…

Serge Pey dresse en un beau poème anaphorique le portrait de ce « guide » des lettres poétiques (qu’il fut pour ce disciple qui le chante aussi, trace d’un déjeuner athénien : Dervis Bournias) :

Titos continue Homère entre les îles car elles seules sont nos utopies.

Titos apprend l’espace entre les mots où le poème se faufile avec ses morceaux de vie.

Titos est le feu central dans la république clandestine des Prométhée.

Toujours très riche, le partage des voix donne à lire des textes de Forgeot, Machet,Villani, De Breyne…

Le printemps avait l’œil fou/ d’un étalon en rut (L. Tirgilas)
J’ai grandi dans une grotte
Il faisait noir je n’y voyais rien

Dans un âtre de langues et de lèvres chaudes

J’étais dans une grotte nomade C.Forgeot)

Dans « Voix d’ailleurs », l’on suit les errances du poète péruvien Diego Valverde Villena :

Le quinquagénaire voyage autour des mots, autour du monde (de Lübeck à la solitude du pays) retourne en « enfance » : « Un enfant fouineur qui de soi/ veut tout savoir ».

« Perdido/ abandonnato entre filas extranas » : Perdu/ abandonné dans des rangées étranges.

Le numéro de 160 pages est une copieuse livraison qui se complète de beaux textes de Blot, Cosnay, ainsi que de notes de lectures de poèmes récents (Badescu, Fustier, Ughetto, Ber…)

*

 




Tombeau de Jointure (100)

 

 

            Ce n'est pas sans un léger pincement au cœur qu'on assiste à la disparition d'une revue car ce n° 100 est le dernier. Même si l'on sait que la flamme de la poésie continuera de brûler dans la nuit ; la nature ayant horreur du vide, une disparition est vite comblée par des naissances ! Jointure se présente comme une revue catalogue (quelques pages consacrées à un poète), une sorte d'anthologie… Georges Friedenkraft, dans son éditorial intitulé "Bon cent : nous y voilà !", retrace l'histoire de cette revue et annonce d'autres aventures sans en préciser la teneur…

            Poésie sans doute "classique" (vers comptés, rimés, regroupements strophiques attendus…) mais on peut aussi découvrir quelques poètes que j'aime particulièrement pour les thèmes qu'ils abordent, des poètes que je suis depuis  plusieurs années comme Georges Drano, Nicole Drano-Stamberg, Marc Dugardin, Guénane, Jean-François Mathé, François Perche, Geneviève Raphanel, Roland Reutenauer, Jean-Claude Xuereb : que des auteurs Rougerie ! Mais il est vrai que Rougerie s'est offert une publicité en quatrième de couverture… Dont quatre des poètes précédents figurent dans la réclame ! Ce qui tend à prouver que, non seulement, Olivier Rougerie soutient financièrement les expériences les plus obscures, mais qu'il sait mettre en valeur les poètes qui sont à son catalogue. Et ce n'est pas rien en ces temps d'arnaques sonnantes et trébuchantes ! Mais ce ne sont pas les seuls poètes au sommaire de Jointure : je retrouve aussi Jeanine Baude, Guy Chaty, Ferruccio Brugnaro que j'ai appréciés à divers titres.

            Et, surtout, ce n° 100 se termine par un historique des 17 premières éditions du "Festival Populaire de Poésie nue". Je me souviens d'avoir participé à la septième édition à la demande de Miguel-Angel Fernandez-Bravo (qui avait souhaité que je mène une enquête auprès des revues de poésie à une époque où l'informatique domestique était hors de prix !) qui s'était tenue à Nanterre en 1981 : de quoi prendre un coup de vieux, malgré tout  ! Mais j'aurais garde de ne pas omettre que le nom Jointure vient de "jointée" qui désigne le contenu de deux mains jointes en grains de blé : voilà qui devait être dit.