La moitié du fourbi, n°1 : “écrire petit”

 

La moitié du fourbi est une revue nouvelle-née, parue en février 2015, sous le signe thématique de l’« écrire petit ». Ses articles consitutent des prouesses littéraires à part entière. Connaissant les goûts (sûrs) de son créateur en chef, Frédéric Fiolof de son nom de plume nocturne (il anime l’excellent blog de critique littéraire La marche aux pages), et un peu ceux des membres de son comité de rédaction (Anthony Poiraudeau, Hélène Gaudy, Zoé Balthus et Romain Verger), l’on s’attendait à un opus de qualité, mais le résultat dépasse nos expectations. L’on peut être emballé, dans une nouvelle revue, par deux ou trois articles, mais que l’ensemble emporte l’adhésion est en général une chose rare. Ajoutons que le design de l’ouvrage est séduisant, un terme anglais lui va comme un gant : celui de slick (lissé, classe, en français ?).

Applaudissons tout d’abord la cohésion époustouflante qui se dégage de cet ensemble : le point fort de La moitié du fourbi. La trame d’« écrire petit » est serrée, puisque chaque article, chaque être, chaque monde, nous renvoie à un autre : le dessinateur Nylso renvoie à Robert Walser qui renvoie à Max Brod qui renvoie lui-même à Kafka qui renvoie à Walter Benjamin qui renvoie à Uri Orlev, écrivain rescapé de Bergen-Belsen dont le carnet de poèmes renvoie à ceux de Monsieur M., qui renvoient eux-mêmes à Richard Brautigan, auteur cher à Thomas Vinau, interviewé ici par Frédéric Fiolof, et ainsi de suite, dans une chaîne de signifiants essentielle.

Saluons ensuite la passion de ses rédacteurs pour leur sujet : pas un seul qui ne semble point impliqué émotionnellement avec son propos et « possédé » par le mystère qu’il sonde (celui de Tamán Shud est troublant), dans la mesure où ils ont tous manifestement écrit depuis les lieux d’extase et de choc que leurs passions leur ont fait ressentir. On ne peut que leur être reconnaissant d’avoir partagé (en s’effaçant humblement derrière) leurs obsessions, et de nous les avoir transmises. On est d’emblée fasciné, happé, on brûle d’envie d’en lire davantage sur les mondes qu’offrent les variations autour de l’« écrire petit » de ce numéro : entre autres, celui des logarithmes informatiques, des Pygmées ou de Michaux, tous ces mondes poétiques, qui, sans les exégèses de leurs arpenteurs enfiévrés, nous resteraient illisibles. L’expérience de lecture qui nous est livrée est intense, jubilatoire. Quelle joie en effet que de découvrir l’univers incroyable de Nylso, et celui, impitoyable il faut bien le dire, de Werner Herzog. Et que dire de l’émotion ressentie en se remémorant les images de celui de Bruno Dumont, dont La Vie de Jésus (visionné il y a presque vingt ans dans un petit cinéma d’art et d’essai de la banlieue de Boston). Et celle de cheminer main dans la main avec Anne-Françoise Kavauvea (qui lit Walser depuis l’adolescence) jusqu’à la tombe potentielle de l’écrivain suisse.

Quand on lit, on aime quand les souvenirs et les émotions remontent, quand le cœur bat un peu plus vite au détour d’une phrase, on aime sentir qu’on est en vie. Les articles de cette première Moitié du fourbi sont bouleversants. Par exemple, les textos échangés à New York le matin des attentats du 11 septembre 2001 : outre le fait qu’ils nous replongent dans les affres de ce drame, ils nous rappellent aussi que, où que nous soyons, nous sommes toujours à un doigt de la catastrophe, de la tragédie, et que nous ne devons pas oublier que, pour peu que nous en sachions, nous évoluons peut-être dans des poches de répit exigües, à la fois temporellement et spatialement. Conclusion : nous devons nous efforcer de ne pas oublier de vivre. Il est de notre devoir en tant qu’humain encore en vie, jouissant d’un certain confort et de nos facultés, et surtout bénéficiaires d’un feu qui nous empêche de sombrer, de continuer à partager celui-ci pour essayer de contribuer aux émerveillements.

Vivre, s’émerveiller, équivaut, en l’occurence pour une revue de littérature, à lire et donner envie de lire ; ce bonheur sacré de la lecture qui pousse vers d’autres lectures. Ainsi, cette généreuse « moitié » de fourbi (ô combien bienvenue en ces jours sombres de notre humanité) est salutaire, car elle titille et réveille, rappelant que toute bonne littérature est tissée d’appels à la vie, ou d’appels d’air, distillatrice et provocatrice de passions. Fourbi littéraire qui ramène à nos propres fourbis de livres, d’écrits, créant des passerelles entre nous et les horizons salvateurs potentiels, des liens significatifs entre les humains. Bravo à toute l’équipe et aux contributeurs, longue vie à La moitié du fourbi.

 

La moitié du fourbi
22, rue Pablo Picasso
93000 Bobigny
revue@lamoitiedufourbi.org

 

Sabine Huynh a publié Avec vous ce jour-là/Lettre au poète Allen Ginsberg chez Recours au Poème éditeurs

 




OSIRIS n°79

 

Revue biannuelle de poésie contemporaine, Osiris paraît depuis 42 ans. Andrea Moorhead, universitaire, poète, traductrice et photographe (notamment  plusieurs recueils parus au Noroît, Au loin en 2010, Géocide en 2013), est la maîtresse d’œuvre de ce bel ouvrage. Elle-même écrit en anglais et en français, ce qu’elle nomme voyage immobile, mais il n’est pour elle qu’une langue : celle de l’autre. On comprendra mieux l’assise d’Osiris : une Babel rayonnante. Se découvrent en langue originale avec leur traduction en anglais, les poèmes de Gustav Munch-Petersen, voix danoise où terre et ciel mêlent leur force : A star sparkles green, in star-tears, star-tear alone/ In the salt of my childhood’s hot stone (EARLY MORNING),  en langue anglaise, neuf poètes : Frances Presley, Sarah Cave, Steve Barfield, Simon Perchik, Alan Britt, John Sibley Williams (les poèmes HOUSE ON FIRE et NO ANIMAL sont saisissants), Rob Cook , son poème FEAR glacerait le sang si ce n’était cette extraordinaire appétence de vivre, ces vers  font étrangement songer au tableau de Van Gogh Les Souliers, 1886 :The dogs can already smell/ How my shoes will fail / On one of the days missing/ Between October et December,  suivent les poèmes d’ Andrea Moorhead, et  de Randi Ward. On peut lire en français les poèmes de Françoise Hàn Serons nous l’après-midi d’été/ de ceux-là venus quand la Terre/ aura changé son inclinaison /,  d’Yves Broussard et de Céline Zins, en grec, avec  leur traduction,  les poèmes de Anna Griva et Spiros Aravanis, en italien ceux de Laura Caccia et en portugais avec leur traduction ceux de Salgado Maranhăo. S’ajoutent la photographie d’Andrea Moorhead THE MEADOWS et la reproduction du tableau de Robert Moorhead ARABIC LESSON où la métamorphose du graphème arabe s’offre en dire multiforme, lumière et chants entrelacés.

Cette revue est résolument moderne, outre offrir un juste panorama de la poésie contemporaine internationale, dans la diversité des langues données à entendre et à lire, elle fait résonner le Verbe : Osiris opère ses pouvoirs.

 

Rédaction : Andrea Moorhead
Le numéro 8 euros
ISNN0095-019X
Abonnement à la revue :
OSIRIS
106 Meadow Lane
Greenfield MA 01301 USA




Revue ARPA, n°110–111

 

Un double ARPA, copieux de 208 hautes  pages sur le thème NATURE(S). Neuf photos d’André Hébrard. Quarante-huit auteurs convoqués dont le maître d’œuvre, Gérard Bocholier. La couverture comporte un beau calligramme d’arbre poétique. Dix-neuf pages de lectures et préférences, par C. Minois, G. Bocholier…

Du « maquis me gagne » d’Henri Perrier Gustin au  fragment du poète roumain Alexandru Miran,  qui énonce « Le poète a sa racine en terre », des poèmes qui honorent la « présence »  au monde, dans la « ferveur du chant » (Janine Modlinger).

Citons, parmi les talents ici proposés : l’ode aux « petites feuilles mourantes » de Nicolas Dieterlé, son «  soleil dans la poitrine », « dense et ample » ; l’invite « marcher sur le pollen neigeux des peupliers » de Michel Jourdan ; le lyrisme du maître de céans, nourri de « grandes coulées de neige », de la « ramure noire du noyer » pour qui « le ciel s’éclaire d’une franche touche d’or pâle » (G.B.) ; les proses très raffinées d’un Alain Eludut (« Bientôt, le monde va prendre vie de la manière la plus effrontée qui soit » ; ce quatrain magnifique tiré de « Mère-la-Nuit » du Frère Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond : « Il est tard déjà/ dit Mère-la-Nuit/ allons, viens petit/ prends ton bain d’effroi » ; l’allitération donne vie à « Ton nom » de Christiane Keller : « D’où la tiendrais-je/ cette mélodie d’arômes émus/ qui remue jusque dans les choses muettes, / les épis mûrs, le pain, la table/ et la pentecôte de sel/ sur la soupe des siens ? » ; Guillaume Decourt, quant à lui, ordonne dans ses proses des blasons convaincants : « Cueillette des citrons par la fenêtre du jardin » ou « Errer de bon matin sur les quais de Cannaregio ».

Un bien beau numéro, duquel, forcément, on ne peut tout citer, que je vous recommande vivement pour sa diversité, sa richesse de voix et de rythmes.

Bravo à l’équipe d’ARPA : C. Minois, G.Bocholier, P. Maubé, C. Moncelet, C. Keller, J.P. Farines…




Terres de Femmes, n°121

 

En 2014, Terres de Femmes a fêté sa dixième année d'existence, en continuant à proposer un programme toujours aussi exigeant et accessible en même temps, où la critique littéraire pointue et juste (rappelons que Angèle Paoli a obtenu le prix européen de la critique poétique francophone Aristote 2013) est associée à des extraits (inédits ou pas) de poètes qui marquent et marqueront, pour longtemps, la littérature.

Une revue internet a cela de différent de son pendant papier, qu'elle reste toujours disponible, et souvent gratuite ; la chronique suivante concerne le mois de décembre 2014, mais n'hésitez pas à lire les publications d'années précédentes, que vous trouvez dans les archives du site, lequel est très clair et simple d'accès.

Si la notoriété de la rédactrice de la revue, en tant que critique, n'est plus à prouver, elle a l'humilité de savoir s'entourer d'autres personnes, pour faire état de leur lecture de certains livres, comme Isabelle Lévesque (qui parle ce mois-ci de Normale saisonnière de Sofia Queiros, éditions Isabelle Sauvage) ou encore Chantal Dupuy-Dunier (Tony's blues, de Barry Wallenstein, Recours au poème éditeurs)

On trouvera ces vers de Erwann Rougé, extraits de Haut fail, éditions Unes : "le mot est couché entre les morts / et les silences tombés fous" qui, à l'heure actuelle prennent une tournure encore plus vive.

Tout aussi actuels, ces mots : "Qui passerait par l’aube saurait / que le monde est sur le départ", vers distillés subtilement par Jean-François Mathé, dans "La vie est atteinte", éditions Rougerie.

C'est alors que vient Mark Stand, récemment disparu, trop tôt, évidemment, pour nous faire un clin d’œil :"Je ne pense pas à la Mort, mais la Mort pense à moi." En nous laissant l'évidence que d'un drame peut naître autre chose : "Et quand / Nous arriverons à la Grand-Place avec ses manoirs de marbre, la foule / Qui nous y attendait nous accueillera avec des cris de liesse" (merci à Thierry Gillybœuf pour cette traduction)

Pour finir, l'incontournable Juan Gelman "ton ventre écrit des lettres au soleil/ sur les murs de l’ombre il écrit/ il écrit pour un homme qui s’arrache les os/ il écrit liberté/ "... poète qui a, enfin, paru dans la collection poésie/ Gallimard.

Bien sûr, cette recension peut paraître ciblée, voire orientée - difficile, pour ne pas dire impossible, de s'extraire d'un contexte social aussi intense que celui actuel.

Il n'en est pas moins que la poésie, les revues de poésie, et les maisons d'éditions qui publient de la poésie, sont là pour offrir des parachutes du passé, de l'union dans le présent, des promesses d'avenir... sans candeur puérile... de la réflexion, de la culture... un peu d'intelligence... bref, de la vie, pas de la survie.

En choisissant d'appeler sa revue, Terres de Femmes, Angèle Paoli a offert la continuité de ce que proposait en son temps Saint-Exupéry, dans son œuvre : une base solide, même si mobile, fraternelle, humaine, sur laquelle s'appuyer, se reposer, pour avancer vers soi.

Ici, les femmes et les hommes sont traités sur un pied d'égalité : celui de la poésie. Ici, la géographie et l'histoire de ces poètes servent de repères, non de frontières. Ici, tout est actualité, permanence manifeste de l'impermanence supposée.

Et les publications de ce mois de décembre 2014, comme les précédents mois et les années suivantes (aucun doute là dessus), iront dans ce sens : permettre au passionné de poésie, ou à l'amateur sans plus, ou au simple lecteur occasionnel tombé là par hasard, de trouver matière à vivre. 

http://terresdefemmes.blogs.com/




Le quinzième numéro de Phoenix

15e numéro pour Phoenix,  revue absolument essentielle dans le paysage poétique, revue emmenée par André Ughetto, avec la complicité d’un beau comité de rédaction (Jean Blot, François Bordes, Téric Boucebci, Karim De Broucker, Joëlle Gardes, Myrto Gondicas, Marie-Christine Masset, Jean Orizet). Ce numéro nous tient d’autant plus (et encore plus qu’à l’accoutumée) à cœur en ceci qu’il propose un dossier important (par la taille comme par les contributions) consacré à la poésie de Jean-Claude Xuereb, poésie qu’il m’a été donné de découvrir il y a… il y a, en effet… grâce au talent éditorial de Rougerie. Coordonné par André Ughetto, le dossier comporte des contributions de Christiane Chaulet-Achour, Christian Viguié, Abdelmadjid Kaouag, Jean-Louis Vidal, Dominique Le Boucher et Lucien Wasselin. Des textes du poète aussi, évidemment. Nous serons en complet accord avec Ughetto (« Rendre justice ») quand il écrit, présentant le dossier : « Il fallait donc rendre justice à cet auteur dont ceux qui ne le connaissaient pas encore apprécieront la justesse d’expression, l’altière simplicité, la spiritualité intense ». Et en effet : heureux les amateurs/lecteurs de poésie qui vont découvrir ici la poésie de Xuereb. Du reste, le dossier s’ouvre sur 6 pages du poète, extraites d’un recueil à paraître chez Rougerie. Une fois ces poèmes « reposés », il est passionnant de lire d’un trait la série d’études concernant Xuereb. Une plongée dans l’œuvre, œuvre à laquelle Wasselin donne les mots de « tragique », « déracinement », « enracinement », entre autres ; cela est fort juste et empreinte la portée de la poésie de Xuereb, ancrée dans l’authentique. On relira avec attention « Pourquoi des poètes ? », de Heidegger, dans Chemins qui ne mènent nulle part, et l’on saisira ce que je tente d’exprimer avec des mots, et qui cependant forme l’inexprimable en mots de la poésie.

 

Toute vérité dite
meurt d’être révélée
frappant qui la profère
 

Jean-Claude Xuereb

 

Les dossiers, celui-ci en est un exemple incontournable, font sans aucun doute « une force » de Phoenix. Mais ce n’est pas tout, loin de là. L’on s’habitue au fil des numéros à la pertinence de la partie intitulée « Partage des voix », laquelle comporte cette fois des textes d’Albertine Benedetto, Gérard Engelbach (dont la petite anthologie parue au Nouvel Athanor est incontournable), Jeanpyer Poëls, Jean-Damien Roumieu, Max Alhau, Béatrice Machet-Franke, Werner Lambersy, Muriel Carrupt, Marie Adaval et Jean Blot. Diversité et force, beauté et dialogue naturel entre poètes. Phoenix est, d’évidence, une terre de fraternité. On ne sera donc pas surpris de trouver dans ses pages un bel hommage rendu à Charles Dobzynski par André Ughetto, en grande partie (volontaire) sous la forme de trois poèmes du poète, autrefois publiés dans Autre Sud (« ancêtre de Phoenix, vous me pardonnerez ce « pédagogisme » mais il est issu de l’expérience − celle des temps que nous vivons au sein même du « monde » de la poésie).

La voix d’ailleurs de ce numéro vient de Malte : une série de poèmes d’Oliver Friggieri, fort bel ensemble d’un poète que, du coup, l’on aimerait pouvoir lire plus amplement en français, sous forme de recueil. Pourquoi pas ?

Suivent les habituelles chroniques et notes de lecture qui font le sel de toute belle revue de cet acabit.        

Phoenix, numéro 14.
9 rue Sylvabelle. 13006 Marseille.
Le numéro : 12 €
Abonnement : 45 €
revuephoenix1@yahoo.fr
www.revuephoenix.com 




Paysages écrits 22

 

Paysages écrits, n°22, novembre 2014

 

 

Paysages écrits est (avec quelques autres) une des très belles revues publiées en numérique, on the web. L’un de ces hauts lieux qui démontrent, aujourd’hui, que l’action poétique au format numérique est non pas contradictoire du papier mais bel et bien complémentaire. Nous ne serons donc pas étonnés de retrouver des poètes amis et/ou présents dans les pages de Recours au Poème, versant revue autant que versant éditorial, dans les pages de la revue dirigée par Sanda Voica et Samuel Dudouit (voilà qui évoque en mon souvenir l’époque de Sarane Alexandrian et de sa revue papier somptueuse Supérieur Inconnu). Le numéro 22, fraîchement paru (novembre 2014), s’ouvre sur un superbe collage de Ghislaine Lejard et propose, sous l’égide de reproductions de symboles à connotation alchimique, une richesse à ne pas manquer. On trouvera diverses rubriques, comme « Des pays en poésie » consacrée, pour la seconde fois, à la Roumanie, avec des textes de Serban Foarta, à la Hongrie avec W. Sandor, au Brésil avec A. Fonseca… Des textes et / ou des poèmes signés (entre autres) Catherine Serre, Pascal Boulanger, Vincent Motard-Avargues, Sabine Huynh, Walter Ruhlmann, Harry Szpilmann, Pablo Duran (souvenir de Supérieur Inconnu, encore, et me semble-t-il d'un superbe "manifeste lepidoptère" ?), Philippe Païni, Benoit Jeantet, Alain Jouffroy (entretien et… fondateur de feu Supérieur Inconnu), Cécile A. Holdban, Lydia Padellec… La suite de l’enquête « autour du premier poème publié », avec 9 contributions, des notes de lecture fort pertinentes… Cette revue est à lire absolument tant elle respire la sincérité et l’authenticité. De la poésie et de la pensée vivantes.
C’est pourquoi, ici, nous l’aimons.  

 

Paysages écrits
Revue online
Lire ici : https://sites.google.com/site/revuepaysagesecrits/
ou ici : https://sites.google.com/site/revuepaysagesecrits/archives/numero-22

 

 

 

 




le journal des poètes, 3, 2014, 83ème année

 

L'équipée du journal des poètes, composée par Yves Namur et ses fidèles compagnons belges Lucien Noullez, Marc Dugardin ou Jean-Marie Corbusier offre en son n°3 de l'année 2014 un éditorial signé Jean-Luc Wauthier, dont nous avons récemment remonté le cours de son dernier magnifique opus Sur les aiguilles du temps.

Cet éditorial annonce le bel entretien accordé par Jean-Marc Sourdillon au sujet de l'édition de la Pléiade de Philippe Jaccottet, et permet à Wauthier de poser la question fondamentale : y a-t-il des poètes démodés ? A travers cette question, nous percevons le sous-entendu : la poésie peut-elle appartenir, en son essence, à la mode, c'est-à-dire au temps social de la surface ?

Nous entendons la voix de René Char lorsqu'il pense à Rimbaud : "Tes dix-huit ans réfractaires à l'amitié, à la malveillance, à la sottise des poètes de Paris".

Poètes démodés il ne peut y avoir car tout poète véritable s'inscrit dans un autre temps que le temps social, et s'il inscrit son œuvre par rapport à ce temps, alors est-il poète ?

Jean-Marc Sourdillon, qui a participé au volume de la Pléiade réunissant les œuvres complètes de Jaccottet, nous ouvre des voix de compréhension sur la démarche du poète suisse. Entretien de fond, passionnant. Il nous explique la démarche en profondeur de Jaccottet, son originalité, ce en quoi il apporte à la poésie, sa méthode de travail, ce qui le distingue de toute la poésie de son époque.

Nous trouverons ensuite la partie nommée Paroles en archipel, titre emprunté à René Char, au sein de laquelle les voix de Christian Poirier, de Gérard Smyth, d'Eric Piette, d'Ilia Galan se distinguent avec bonheur.

Avant de laisser la place à une Voix nouvelle, celle de Thomas Demoulin, poète vivant à Lille et donnant à lire le premier mouvement d'un livre d'artiste composé avec Isabelle Raviolo.

La part belle est faite, dans cette nouvelle mouture de la revue, aux notes de lectures de livres de poésie, et nous retrouvons l'œil critique de Philippe Leuckx, d'Yves Namur, de Marc Dugardin, de Jean-Marie Corbusier, oeil critique et néanmoins bienveillant.

Grand plaisir donc de lire ce journal des poètes, tant la famille qui l'anime respire la fraternité et la joie d'être ensemble, pour le poème, pour les poètes. Et merci au Taillis pré de l'avoir pris sous son aile.

 




Péguy tel qu’en lui-même (autour de la revue Europe et d’un livre peu connu de Péguy)

PÉGUY TEL QU'EN LUI-MÊME… ???

 

Le signataire des lignes qui suivent a enseigné quelques années dans un collège Charles Péguy et sa pensée alors oscillait entre le rejet de Péguy annexé ainsi par une municipalité dite socialiste et le rejet de cette dernière mouvance politique qui n'avait rien compris au "socialisme" de Péguy. Mais avait-il lui-même compris Péguy ? Certes non car il l'avait très peu lu et l'image du catholique allant en pélerinage  à Chartres ou du pourfendeur de Jaurès et du pacifisme le révulsait. Cette dernière image continue d'ailleurs de travailler l'athée résolu et le militant de la paix qu'il est, non qu'il soit opposé à l'usage des armes, il est simplement opposé à la guerre dès lors qu'elle est décidée par les gouvernants  qui défendent des intérêts inavouables, mais il est pour ce vers d'Aragon que chante si bien Léo Ferré : "Vous vous étiez servi simplement de vos armes" dès lors que ce sont les simples citoyens qui décident de les utiliser. Et qui peut certes comprendre que dans des circonstances particulièrement difficiles l'homme puisse se résoudre à des comportements que ce même signataire juge irrationnels et improductifs. Mais voilà, Péguy a été tué au front le 5  septembre 1914 ; un siècle a passé et la fibre commémorative étant ce qu'elle est, cette année verra sans doute de nombreuses publications défendant dans un sens ou dans l'autre Péguy. L'occasion est donc belle d'essayer d'y voir plus clair… Deux ouvrages seront donc examinés successivement : la livraison d'août-septembre 2014 de la revue Europe (n° 1024-1025) qui consacre à Charles Péguy un copieux dossier (presque 240 pages) et la réédition, chez Fario, de l'ouvrage de Péguy, paru en 1910, Victor-Marie, comte Hugo.

 

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Il n'est pas question ici d'analyser en profondeur les 23 contributions qui composent le dossier Péguy d'Europe. Mais simplement de relever quelques notations qui mettent en évidence l'actualité  de l'auteur en 2014. "Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle / Mais pourvu que ce fût pour une juste guerre…" écrit-il dans  Ève. Mais force est de constater que le combat de Péguy fut vain puisque un siècle après sa mort, l'argent règne majoritairement sur le monde et sur les esprits. La droite réactionnaire qui l'a annexé montre que Péguy est toujours l'objet d'enjeux politiques…  À qui appartient la terre aujourd'hui ? À une minorité qui en tire profit. Et les guerres sont-elles justes ? La plupart étant motivées par des raisons économiques, il est facile de trouver réponse à cette dernière question. Et que dire de cette terre asséchée, massacrée, épuisée… par ceux qui en tirent directement ou indirectement de substantiels bénéfices ? "… le monde moderne s'est trouvé, et […] il s'est trouvé mauvais" écrit encore Péguy. On peut déplorer, comme Péguy, l'esprit de lucre et la spéculation au détriment de l'éducation pour tous. Mais là encore, le lecteur est confronté à une réalité insupportable.

Si les relations Péguy/Jaurès sont passées au peigne fin par Géraldi Leroy, le lecteur se trouve devant l'éternel dilemme, s'agissant de la politique, entre la tactique politicienne et l'objectif final, entre la politique des petits pas qui est celle de la "démocratie" parlementaire (avec tous les reniements et toutes les trahisons qui l'accompagnent) et la vision d'un monde sans classes où règne l'égalité, une vision que n'a jamais reniée Charles Péguy. Le problème est clairement posé. Par ailleurs, Péguy eut toujours le souci d'apporter dans la construction de la cité socialiste, l'élément du facteur national… De même, à l'occasion d'une étude comparative entre Romain Rolland et Charles Péguy, Roger Dadouin revient sur le christianisme de Péguy qu'il décrit comme le contraire de celui d'un catholique borné ou d'un calotin. Une citation (une seule) éclaire la position de Péguy : "Je m'attaquerai donc à la foi chrétienne. Ce qui nous est le plus étranger en elle, et je dirai le mot,  ce qui nous est le plus odieux, ce qui est barbare, ce à quoi nous ne consentirons jamais, ce qui a hanté les chrétiens les meilleurs […], c'est cela : cette étrange combinaison de la vie et de la mort que nous nommons la damnation […] Ne consentira pas tout citoyen qui aura la simple solidarité. Comme  nous sommes solidaires des damnés de la terre : Debout ! les damnés de la terre. / Debout  ! les forçats de la faim."  Étonnant à entendre en 2014 !

La seconde étude de Géraldi Leroy s'intéresse à la "récupération" de l'œuvre de Péguy pendant l'occupation (1940-1945). Il parle des interprétations biaisées de l'œuvre. Même le fils aîné, Marcel Péguy qui fait  de son père un "écrivain raciste", est la cible de Leroy : "Il attribue à son père le mérite d'avoir conçu de manière anticipée la réalité du national-socialisme et jusqu'au terme qui le désigne. Pour appuyer ses dires, il n'hésite pas à tronquer les citations". La mise au point est salutaire !  Et pour finir ce rapide tour d'horizon, il faut citer la chronologie de Romain Vaissermann qui montre quel catholique peu conventionnel était Péguy : on lit sur deux lignes qui se suivent qu'il a retrouvé la foi catholique en 1908 et qu'il songe au suicide…

Les autres études, non citées, ne sont pas sans intérêt ; au contraire. Toutes montrent l'actualité de Péguy…

 

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Victor-Marie, comte Hugo est devenu un livre illisible, ou, du moins difficilement lisible. Qui est ce Daniel Halévy à qui s'adresse Péguy ? C'est tout un pan de l'histoire littéraire, de l'histoire politique même de cette période à cheval sur la fin du XIXème et les premières années du XXème siècle (avant la première guerre mondiale) qui est en jeu. Halévy collabora aux Cahiers de la Quinzaine dès 1898. Vers 1910, il prend ses distances avec le dreyfusisme avec Apologie pour notre passé, ce qui lui vaut une réplique de Péguy avec Notre jeunesse. Ce serait donc l'origine de Victor-Marie, comte Hugo ; pour dire les choses rapidement. Il n'est pas question ici d'analyser en profondeur les idées développées par Péguy dans ce livre car sa démonstration sur la sainteté, sur le paganisme et le christianisme dépasse largement mes compétences. Mais de mettre en lumière sa position dans la querelle qui l'oppose à Halévy, son approche de quelques écrivains comme Hugo, Corneille ou Racine et, enfin, son style qui est tout à fait particulier…

Charles Péguy commence par faire état de ce qui le sépare de Daniel Halévy : l'origine sociale. Ce sont de très belles pages, mais il y a plus, il y a l'émotion car Péguy ne pouvait pas connaître son destin. Il s'imagine mourant de vieillesse (p 32) : "Je suis un vieux tassé, un vieux chenu. On dira : c'est le père Péguy qui s'en va. Oui, oui, bonnes gens, je m'en irai."  Il ne sait pas au moment où il écrit ces mots qu'en septembre 1914, une balle ennemie allait le faucher à la moitié de sa vie. Mais, au-delà de l'aspect plaisant des propos, Péguy dit très sérieusement le milieu auquel il appartient : celui de la paysannerie. Ce qui lui permettra quelques pages plus loin de préciser la différence entre lui et son interlocuteur : Halévy est d'origine bourgeoise, lui, Péguy est d'origine humble, paysanne et ouvrière. Ce qui explique que Halévy ait pu se sentir offensé des propos tenus, innocemment, par Péguy : "L'offense est née précisément au changement de sens, au changement de plan, au changement de langage. Au changement de registre. La balle, partie d'un certain jeu, a été reçue dans un autre jeu" (p 43). Ainsi donc, dans la première partie de ce livre, Péguy illustre-t-il, à sa façon, cette catégorie que les sociologues, depuis quelques années, ont appelé les transfuges. Car Péguy est un transfuge : d'origine humble et paysanne, il est devenu un intellectuel, l'école de la république jouant alors encore son rôle d'ascenseur social. Mais, au fond de lui, il est demeuré un paysan alors que Halévy est d'origine bourgeoise. Les propos du paysan ont été mal interprétés par le bourgeois…

À partir de la page 70, Péguy s'intéresse à la littérature, à Hugo en particulier ; il montre comment Hugo est le dépositaire de la poésie française. On pense alors à Aragon qui s'est, lui aussi, intéressé à Hugo (son Avez-vous lu Victor Hugo ? date de 1952). Certes, les approches de Péguy et d'Aragon sont différentes, l'époque n'est pas la même. Certes, une étude de ces approches reste à faire dans le détail. Mais cette coïncidence mérite d'être notée comme celle qui fait que ces deux poètes s'intéressent également à la poésie ancienne : à Joachim du Bellay pour Péguy, à Arnaud Daniel pour Aragon. Certes pour des motifs différents, mais là encore c'est à relever. Cette remarque préalable étant faite, il faut revenir à Péguy. Son approche de Victor Hugo est placée sous le signe de l'érudition. Péguy va jusqu'à signaler les différences typographiques entre deux éditions du même vers, "Non, frères ! non, Français de cet âge d'attente !" qui s'imprimait ainsi dans les "anciennes éditions" alors qu'on trouve dans ce que Péguy appelle "l'édition définitive" "Non, frères ! non, français de cet âge d'attente !". Et cette différence entre la Grande capitale et le bas de casse est pour lui l'occasion d'une longue digression érudite venant conclure sa démonstration (pp106-108).  Ailleurs, Charles Péguy revient sur la question de Jérimadeth. Il rend à César ce qui appartient à César,  c'est-à-dire à Eugène Marsan que l'on  a bien oublié, et ce en 1910 ! Alors que Didier Decoin ne signale cette licence poétique qu'un siècle plus tard dans son Dictionnaire amoureux de la Bible… Mais on pourrait multiplier les exemples. Ce sont là deux  de ces trouvailles que se communiquent Halévy et Péguy avant la brouille qui est à l'origine de ce livre, trouvailles qui font dire à Péguy : "Me trouverez-vous un remplaçant, hélas, un deuxième, je le dis hautement, quelqu'un qui me vaille. Pour moi, je ne vous en chercherai point."

On se souvient de ce vieux parallélisme scolaire entre Corneille (et son exploration de l'honneur ou du devoir) et Racine (et celle de la passion). Péguy approfondit cette opposition, quelques caractéristiques apparaissent. Tout d'abord la sainteté chez Corneille s'affronte à la cruauté chez Racine. Mais cette sainteté recoupe dans l'héroïsme (p 99) et Péguy ajoute : "…toute sanctification qui est grossièrement abstraite de la chair est une opération sans intérêt" (p 114). Alors que "les victimes de Racine sont elles-mêmes plus cruelles que les bourreaux de Corneille" (p 173). Polyeucte apparaît alors comme l'archétype de la sainteté héroïque quand "la cruauté est partout dans Racine". Il faut absolument lire ces pages de "notes" dans lesquelles Péguy détaille ses trouvailles. L'œuvre (dans sa globalité) est également la cible de Péguy, aussi bien celle de Racine que celle de Corneille. Il écrit du premier : "Au fond il faisait toujours la même tragédie, qui était toujours un pur chef-d'œuvre, en en variant, en en faisant varier constamment les données (presque arbitrairement et comme intellectuellement, comme on fait varier, à titre d'exercice, les données d'un problème de géométrie ou d'arithmétique, généralement d'un problème de mathématiques)." (p 184) alors que de Corneille, il écrit : "Et cette promotion du Cid à Polyeucte marquée dans le tissu même, dans la pierre même, dans la matière, dans le rythme, par la promotion des stances du Cid aux stances de Polyeucte" (p 213). Je ne sais si Péguy a raison : on a parfois l'impression que la démonstration est excessive ou empreinte du zèle du néophyte (Péguy a retrouvé la foi en 1908). Mais ce que je sais, ce dont je suis sûr, c'est que, si je relis Polyeucte ou Andromaque, ma vigilance sera en éveil. Au total, si l'on ajoute à ces considérations sur les tragédies de Corneille et de Racine, l'analyse de Booz endormi de Victor Hugo, on a là une nouvelle approche de la littérature qui, au moins, pose question.

Reste le style de Péguy dès lors que ne seront pas abordées les considérations religieuses. Le plus simple est de citer un ou deux passages tant ils sont nombreux dans l'ouvrage : "Car j'aurais sacrifié bien légèrement, bien témérairement, à bien bas prix, pour rien, pour une boutade, un de ces biens qu'on ne remplace pas, parce qu'ils sont et irréversibles et irrecommençables, parce qu'ils sont des biens de mémoire et d'histoire, parce  qu'ils sont de l'ordre de la mémoire et de l'histoire, parce qu'il y faut l'habitude et l'usage, parce qu'il y entre, parce qu'il y faut, parce qu'il y manquerait le lent travail, l'irréversible, l'incompressible, l'inrecommençable, l'élaboration de l'histoire propre, l'élaboration, la vieille, l'antique élaboration de l'histoire qu'on ne peut pas hâter" (pp 23-24). Ou : "… c'est qu'elle est elle-même et qu'elle est plus qu'elle-même, elle est une prière ordinaire et en même temps, ensemble elle est déjà comme une prière extraordinaire ; elle est une prière de la terre, une prière ordinaire de la terre, et en même temps elle n'est déjà plus une prière de la terre, elle est une prière de la terre et déjà elle est une prière du ciel" (p 202). Répétitions, redites, retour sur la pensée qui s'écrit, ressassement, on a l'impression que Péguy cherche par ce moyen à mieux cerner sa pensée, à s'exprimer le plus justement possible quitte à rendre la lecture difficile… Le seul mot qui me vient à l'esprit  devant cette obstination, est celui, guillevicien,  de "creusement"

 

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Aragon raconte dans son article, Pour une image vraie, écrit en hommage à Maurice Thorez (disparu en 1964) et paru dans Les Lettres françaises en juillet et août de cette même année, que Thorez lui demanda de s'intéresser à Péguy en lui disant que celui-ci "est aussi bien à nous, aux ouvriers, au peuple qu'aux autres… peut-être davantage". En 1944 sortait, dans la clandestinité, aux Éditions de Minuit, un petit volume intitulé Deux voix françaises : Péguy, Péri avec une préface de Vercors et une introduction d'Aragon (signée Le Témoin des martyrs). Péguy, Péri : le rapprochement est inattendu, Péguy qui mourut au front dès le début de la guerre de 1914-1918, Péri fusillé comme otage par les occupants nazis au Mont-Valérien en décembre 1941. Rapprochement inattendu ? Pas tant que cela puisque Péguy et Péri sont morts, dans des conditions différentes, pour que vive la France. Alors, il ne faut pas laisser Péguy confisqué par quelques-uns, Péguy appartient à la nation




Revue Les Hommes sans Epaules, n°38

 

Nous espérons, faisant un compte rendu du n° 38 de la revue Les Hommes sans Epaules, ne pas déclencher un « séisme » dans le microcosme poétique français. On nous a reproché, dans un passé récent, notre liberté d'expression, au point même de nous demander, par des voies détournées, de retirer de notre magazine quelque note de lecture jugée « malhonnête ». Bigre ! Dans ce pays démocratique, les démocrates en chef voudraient maitriser la liberté de parole, pourtant l'un des principes fondamentaux de cette même démocratie. Les démocrates en chef voudraient viser avant publication les articles que l'on va écrire sur les lieux dans lesquels ils publient, sans s'être avisés eux-mêmes que lesdits lieux n'allaient pas ôter de leurs murs, par respect pour leur identité, les décorations leur semblant d'extrême mauvais goût, et donner leur quitus avant publication. Bigre Bigre ! Depuis quel site juge-t-on l'honnêteté ou la malhonnêteté des intentions d'autrui ? Bigre Bigre Bigre, depuis la probité du cœur, sans aucun doute.

Nous tremblons donc, malhonnêtes que nous sommes, et malhonnêtes de complexion car nous sommes nés dans une démocratie et n'avons connu, fort de notre très jeune âge, que cette démocratie, malhonnêtes de complexion car cette démocratie nous a formé. Et nous tenions la liberté de parole comme allant de soi quand elle semble ne pas aller de soi, si l'on en croit les démocrates en chef. Nous tremblons de déplaire aux démocrates en chef, et nous excusons par avance auprès d'eux si nous ne disons pas exactement ce qu'ils ont besoin que nous disions sur eux. Nous tremblons à l'idée qu'à travers ce que nous allons écrire, ils fassent des amalgames à travers nos propos alors que telle ne sera pas notre intention, mais malhonnêtement formés et la malhonnêteté appartenant à notre complexion profonde, nous sommes pétris d'angoisse à l'idée de déplaire à ceux qui surveillent nos paroles comme s'ils avaient fondé la démocratie. Il faudrait bien cesser alors de prendre la parole mais cela entrerait en contradiction avec le programme démocratique qui légitime notre existence alors nous tremblons, et nous parlons quand même, malhonnêtement, car telle est notre complexion profonde que les démocrates en chef - grâce soit rendue à leur esprit de tolérance - ont coulé en nous. Nous tremblons, élèves que nous sommes, face à nos maitres les démocrates en chef en tendant par avance nos doigts pour recevoir le légitime coup de règle correcteur.

Les Hommes sans Epaules consacrent en leur n°38 un dossier à Roger Kowalski. Nous espérons, pour les animateurs de cette belle revue, que les signataires de ce dossier ne confondent pas "dossier" avec "numéro spécial", ce qui poserait un problème d'entendement lié peut-être à l'organisation démocratique. Car qui signe un article dans un dossier ne peut pas demander aux Hommes sans Epaules de devenir d'un coup d'un seul des Hommes avec Epaules. Après tout, lorsqu'on signe un article dans les Hommes sans Epaules, ont sait bien que les hommes, ici, n'ont pas d'Epaules, ni les femmes d'ailleurs. Bigre ! Tremblons tous pour les Hommes sans Epaules, à qui l'on pourrait demander, démocrates en chef obligent , de mettre sur le champ des épaules car, quoi ! Des hommes sans épaules, cela ne cadre pas avec l'identité de la majorité des hommes. Ni des femmes d'ailleurs. Mais les signataires de dossiers, d'une revue à une autre, ne se ressemblent pas, et gageons que François Montmaneix, qui a coordonné ce beau dossier, soit déjà lui-même un Homme sans épaules, comme César Birène, Guy Chambelland, Yves Martin, Alain Bosquet, Annie Salager, Lionel Ray, Jean Orizet, Jean-Yves Debreuille, Jean-Luc Léridon, Jacques Dugelay, Janine Berdin et Roger Kowalski lui-même. Sinon, hop ! Police démocratique : allez tous vous faire greffer des épaules et plus vite que ça.

Nous tremblons.

Notre regard porte son attention - nous tentons pourtant de le détourner de ces fausses voies, de ces possibles interprétations politiques, mais bigre ! rien n'y fait - sur un texte inédit signé Kowalski lui-même, texte racontant comment l'écriture est née en lui : "Voici que pour la première fois venait au jour ce qui ne m'avait pas été demandé par qui avait autorité sur moi ; j'étais donc libre enfin ; et il suffisait de peu de choses : laisser une trace à laquelle il me serait loisible de revenir quand il conviendrait ; ces choses que je pouvais nommer, la légère honte que j'éprouvais à les dire, puis la relecture à mi-voix et parfois quelque chose d'un ordre musical, qui me soulevait de terre, la crainte, la terrible peur de ne plus jamais retrouver ces moments-là."

La parole. La poésie. La liberté. Contre tout ce qui peut avoir "autorité" sur soi. Devenir libre et s'affranchir de la pesanteur terrestre. "Au premier degré ?", nous demanderont les démocrates en chef ? Non pas, oserons-nous balbutier la tête basse, non pas. Se soulever de terre est impossible, nous avons appris Newton. Ne s'agirait-il, ici, d'un affranchissement spirituel ?

La poésie comme affranchissement spirituel, comme véhicule d'élévation, contre tous les totalitarismes ayant cours du temps de Kowalski comme du temps d'aujourd'hui comme du temps de tous les temps ? Atteindre le Poème pour s'affranchir des contraintes du devenir ? Ce langage, si Parménidien, nous obligerait en tant qu'humain devant répondre à la grande simulation de réalité dans laquelle se trouve engoncée l'humanité. Et face aux petits soucis égotiques de nos démocrates en chef plus démocrates que le pape des démocrates lui-même, incapables de se confronter au réel en tant qu'il est, et qui, au nom de la liberté, demandent le retrait d'une note de lecture libre, et tandis qu’à Jérusalem un bébé est écrasé par une voiture bélier, que le Moyen Orient s’enflamme du fait de l’intégrisme islamiste, que le Canada subit un attentat islamiste radical… nos démocrates en chef, eux, tiennent le refrain lancinant d'un christianisme qui menacerait les libertés fondamentales, nous affirmons que le poème est le champ politique absolu de ce qui doit habiter l'humain aujourd'hui, individuellement, collectivement, politiquement, métaphysiquement.

La grande faiblesse de nos démocrates en chef relève du lien ! Du lien avec le Poème multiforme et multiface. Et capable d'intégrer des saints, des papes, des alcooliques, des dépravés, des artausiens même sans doute, et même des illettrés, dans ses armées. Sans ce lien vital, pas de Poème, mais de l'intégrisme, par exemple démocratique. Voire de l'intolérance. Voire même du totalitarisme. Qui parle depuis le site-de-ce-manque-de-lien est-il poète ? La question peut être posée. Mieux vaut ne pas se présenter en chef de la démocratie lorsqu'on travaille pour la démocratie. C'est, ici, ce que nous tâchons de faire.

L'ambition d'un recours au Poème, - nombreuses sont les revues et les hommes et les femmes à le comprendre et à vivre cette ambition, et les Hommes sans Epaules en sont - est de ne pas parler qu'aux seuls élus. Toute ambition, qui s'oppose manifestement aux visées des égos, toute ambition de liberté ne peut s'accomplir que par le poétique. Toute grande figure politique est mue par une essence poétique. Ceux qui ne le furent pas transformèrent leur pays en dictature ou conduisirent les peuples à la désillusion et au désenchantement. Et si le général Massoud fut assassiné, c'est parce qu'il portait la liberté politique de son peuple poétiquement. Ce que ne comprit pas le Gouvernement des Etats-Unis qui ne voulut pas dialoguer avec lui parce qu'il ne parlait pas... l'anglais. Difficile de mieux démontrer l'impérialisme démocratique.

L'ambition d'un recours au Poème est qu'une prise de conscience par un peuple domestiqué se produise au niveau purement politique, dans ce que le poétique vécu à grande échelle, à l'échelle collective, à l'échelle d'un peuple, d'un ensemble de peuples, contient de puissance agissante.

Le recours au Poème n'entend pas s'adresser seulement à ceux qui écrivent déjà de la poésie, mais aussi, et surtout, à ceux qui ignorent en eux la puissance poétique qui leur assurera la liberté et la vie dans ce système liberticide. Car c'est là notre seule chance, individuelle, certes, mais surtout collective : la reconnaissance de notre pouvoir poétique intérieur en vue d'un agir libérateur. Le reste appartient à la survie, n'en déplaise aux démocrates en chef.

"Voici que pour la première fois venait au jour ce qui ne m'avait pas été demandé par qui avait autorité sur moi ; j'étais donc libre enfin".

La révélation de Kowalski est politique, elle est métaphysique, elle se joue par le poétique. Plus nous serons nombreux à comprendre cela, moins l'organisation inique qui gouverne actuellement tout l'humain aura de prise sur nous. Qui ne veut pas comprendre cela ne se situe pas au niveau du Poème : qu'il soit chrétien, athée, bouddhiste, soufi, musulman, démocrate, républicain, royaliste, pieux, iconoclaste, iconoclaste pieux, sodomite, clitoridien, adepte de paypal, sain d’esprit etc... tous nous pouvons avoir accès à la force poétique intérieure qui conduira notre action sur une voie libre de toute autorité sur soi.

Montmaneix, qui dirige le dossier Kowalski, l'avait bien connu. Avec les autres signataires, dont certains étaient ses amis, il nous présente un poète aux allures aristocrate, de cette aristocratie qui signifie que Kowalski n'enviait rien à personne puisqu'il possédait tout en possédant le poème. Il aurait eu 80 ans cette année, est resté plutôt méconnu dans le microcosme poétique, se gardant des modes d'alors, de la poésie de laboratoire, de la fatigue qui s'abattait sur le langage. Il œuvrait en joaillier du vers pour une parole intérieure car, comme le dit Alain Bosquet en parlant de ses poèmes : "il n'y en a jamais un seul où il y ait une syllabe inutile". Kowalski est mort en 1975 des suites d'une opération cardiaque. Il vivait poème, dormait peu, consuma sa vie en poème. Nous nous joignons, en tant que lecteur, aux remerciements que François Montmaneix adresse aux Hommes sans Epaules pour avoir accueilli ce dossier hommage. Montmaneix, lui, savait où il mettait les pieds en écrivant pour les Hommes sans Epaules.

Nous trouverons aussi, en ce fort beau n°38, dans la partie porteurs de feu, un portrait de Gisèle Prassinos, qui découvrit l'écriture automatique à 16 ans, en la pratiquant d'elle-même, sans savoir que ce qu'elle écrivait était dans le même temps conceptualisé par un André Breton au départ incrédule de constater que ses recherches étaient vécus par une jeune adolescente aux accents de génie. Breton fit authentifier les textes de Prassinos, la fit créer des poèmes sous les yeux des grands surréalistes d'alors. Une synchronicité troublante, comme toujours, apportant de l'eau au moulin de Breton. Mais Prassinos ne se limita pas à l'exercice de cette pratique d'écriture (dont elle ne reconnaissait d'ailleurs pas elle-même la dimension automatique) : elle évolua vers d'autres horizons poétiques, ce que développe avec grand intérêt Christophe Dauphin.

Un autre portrait de Gilbert Lely, signé Sarane Alexandrian, trouve également sa place dans les porteurs de feu, accompagné par des poèmes hauts en couleurs (sexuelles), de Lely.

Ce n° des Hommes sans Epaules est introduit par un éditorial de Georges-Emmanuel Clancier, qui a fêté ses 100 ans cette année. Nous y apprenons, entre autres, que pour le poète ayant traversé les horreurs du XXème siècle, si Dieu existe, alors il se nomme le diable. Nous y apprenons aussi que : "Ma désespérance tient au fait que j'ai cru au progrès". Nous retombons encore, bien malgré nous, sur la dimension parménidienne des poèmes de Kowalski. Car le choix du progrès, c'est le choix des étants qui passent, le choix des errants, des mortels, ne voyant dans leur propre existence que l'entière réalité, contre le choix de la permanence qu'induit toute relation avec le "il y a".

Un autre hommage tient une place importante dans cette livraison : hommage au poète Paul Pugnaud par Matthieu Baumier. Nous avions nous même rendu hommage à Pugnaud, et nous retiendrons, du beau texte de Baumier, ceci : "Paul Pugnaud avait une très haute idée de la poésie et il savait, profondément, combien les mots que nous écrivons sous forme de poèmes sont une façon d'être écrits par la voix même du poème, cela même qui forme le plus que réel auquel nous accédons peu."

Nous trouverons, également, de beaux poèmes de Paul Farellier, Elodia Turqui, Alain Simon, Jacques Simonomis, Christophe Dauphin, mais aussi Juan Gelman, Michel Voiturier, Yves Boutroue, Hervé Sixte-Bourbon, Emmanuelle Le Cam, Franck Balandier.

Nous terminerons ce compte rendu de lecture par un poème de Roger Kowalski, en invitant tout lecteur à entendre ce n° 38 des Hommes sans Epaules, car là aussi se joue, sans trembler, le recours au Poème.

 

 

                                                                       L'AUTRE FACE

 

                        Vois : j'ai posé sur le papier un point d'encre très noire ; ce feu sombre est l'eau même de la nuit ; un silence d'étoiles échevelées.              

                        Il suffit de peu de chose, presque rien ; une syllabe, une consonne et je deviens tempête : un geste de l'arbre, et cent racines me lient ;

                        le pas des filles de mémoire, et je tourne vers ta face un oeil qu'emplit une plainte égarée ; écoute : quelque chose ici n'est point de ce monde ;

                        ni le verbe, ni le point où s'articule un discours entrepris dans l'ennui, mais la profonde, chaste et noire encre sur ton masque de papier.

 

 

 

 

Les Hommes sans Epaules
8 rue Charles Moiroud
95440 Ecouen-France
www.leshommessansepaules.com
les.hse@orange.fr

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Europe n° 1026, octobre 2014

Consacré en premier lieu à Éric Chevillard, ce riche numéro fait une place importante à Jean-Louis Giovannoni, Esther Tellermann, José Carlos Bercera et Paul Louis Rossi. Une richesse due à la qualité des études et surtout à la profondeur des entretiens avec ces poètes.

Le dossier Giovannoni commence par un long entretien avec Gisèle Berkman, laquelle l'interroge sur le « travail d'évidement » qui fait la force de son écriture :

(…) un motif central chez moi, qui est celui de la pression de la multitude. Il s'agit là d'un motif que je décline constamment, que je ressens avec une intensité toute physique. Cette multitude est l'objet même de L'Élection, avec cette idée que, dès qu'on dit un mot, on tait d'autres mots, que, dès qu'un être vient au monde, c'est au prix d'une multitude d'autres qui ne naîtront jamais. la poésie est liée chez moi à cette hantise du déferlement (…)

Une poésie qui, pour Christine Caillon, « parle de la façon dont nous cherchons à articuler notre présence au monde, entre repli et ouverture, entre solidité et porosité d'un moi en incessante construction (…) en essayage », qui dit « au plus près », qui tente d'aller « vers le déplacement, se faire ballet avant que la figure, la pensée ne s'imposent »...

Après avoir raconté dans quelles conditions il a rencontré Jean-Louis Giovannoni, Arno Bertina, sous l'apparence bonhomme d'une confidence, place le poète dans le champ littéraire actuel : « (…) son humour (…) un des traits marquants de sa poésie – peu de poètes sont capables d'aller sur ce terrain, qui décoiffe trop les têtes apprêtées pour les lauriers ou le sculpteur. Fourcade, Cadiot, Novarina, Venaille... Ils ne sont pas nombreux ».

Porosité et humour : Jean-Louis Giovannoni nous tend un miroir grimaçant, comme dans ce journal d'une punaise de lit :

 

Cachée, attends que la lumière décline

Reviennent toujours au lit (…)

Ai piqué quatre-vingt-dix fois. Alignées par trois ou quatre. Sur bras. torse et poitrine. Moitié à l'un, le reste – combinaison ouverte.

Suis équipée. Rostre. Comme tube allongé. Avec deux entrées. L'une injecte salive. Anesthésie. L'autre coule fluide.

C'est daté d'avril 2013, il me semble qu'à la même période, un magazine scientifique avait fait un dossier sur cet animal parasite. Une écriture au plus près du monde.

*

Le poème, selon Esther Tellermann, interroge, ouvre à une énigme. D'où le peu de place qu'il lui est accordée dans notre modernité. Celle-ci veut les réductions, les étiquettes, son exhibitionnisme veut des réponses, des catégories. Dans la terra incognita qu'est la langue, l'écrivain oublie son identité pour en faire résonner le multiple. Ce qu'Yves Di Manno exprime ainsi dans son article : « en ces temps d'individualisme forcené elle renoue avec l'une des dimensions les plus lointaines du chant, contrariant la notion d'auteur (…) au bénéfice de la parole errante qui lui impose sa dictée ».

Il semble que ce « multiple » touche autant à la richesse de l'univers :

Buissons

architectures

    de la mémoire

j'apurais l'espace

    de notre odeur

en à-plat voulus

figer les coquillages

et les embruns

voulus en vous

    redevenir

    océan.

… qu'à la diversité humaine menacée par la discrimination, la haine, la torture dont la banalisation aujourd'hui par l'image est partie prenante de la barbarie. Poésie où j'entretenais les / à pics     au bord / des villes qu'étouffe / la soif.

« On croit simplement lire alors que nous voici engagés sur le théâtre des opérations », dit de cette œuvre Bernard Noël.

Jean-Baptiste Para définit l'écriture d'Esther Tellermann comme une « impulsion poétique {qui} semble intégrer ici des instances contraires : celles de la fracture, du heurt, de la béance abrupte, et celles de la construction, de la suture, du tissage ». De ce copieux dossier d'études courtes et précises, tout est à garder.

*

« Une célébration dépouillée, où la magnificence de la vie semble minée à l'avance par sa propre destruction » écrit José Manuel Pintado. de la poésie de José Carlos Bercera (1936-1970)

sans feux de navigation,
sans escorte, sans radar,
sans savoir qui sont
ceux qui ont quitté la table(...)

Langue, selon Coral Bracho, qui « coule comme une rivière souterraine, chargée d'une incessante énergie et d'un souffle qui nous enveloppe et nous entraîne dans son épaisseur hypnotique (…) » :

là où eut lieu la bataille
une porte grince,
une voix de femme
parle confusément de proxénétisme,
quelqu'un s'assoit sur un lit
et ordonne le silence, chh,
chh, chh...

*

Dédié aux dessins de Véronique Flahault, L'usure et le temps est un poème réflexif de Paul Louis Rossi qui s'attache « avec des mots simples, choisis et distribués dans l'ordre (…) à provoquer chez le lecteur une sensation équivalente à celle du regard sur le dessin ». Faisant alterner des vers et de la prose, l'auteur construit de sensitives et (pas si) tranquilles miniatures :

(…)

Une femme comme sortie de l'écume

des flots et des vagues les seins nus le

sexe très noir se précipite sur le couple

 

tente de décrocher

         la main

             droite de

                       l'homme.

 

*

Enfin, on ne négligera pas ce long poème, peu connu, de Hölderlin :  Émilie avant le jour de ses noces. Écrit en 1799, il s'agit d'une idylle, poésie de genre, « récit ou roman sur Émilie », personnage purement fictif, commandée au poète par l'éditeur Steinkopf pour un « agenda pour les femmes cultivées ».

Les nommes-tu ombres ceux que j'aime ?
Alors que je n'étais plus une enfant, alors que je m'éveillai
À la vie, alors qu'à neuf mon œil au ciel
S'ouvrait à la lumière, mon cœur
Se mit à battre pour le beau ; et je le trouvai proche ;
Comment le nommer maintenant qu'il n'est plus
Pour moi ? Laissez ! Je peux aimer les morts,
Les lointains ; et le temps n'a pas raison de moi.

Avant que débute sa traduction, Fernand Cambon fait remarquer la chose suivante qui dit tout l'intérêt à retrouver ce texte : « ce qui ne peut manquer de frapper, c'est comment le poète a su se couler, sans aucun effort apparent, dans la sensibilité vibrante d'une jeune femme ».

Cette porosité aux êtres et au monde que les poèmes dits « de la folie » laisseront s'épanouir.