Passage en revues

Autour de : la main millénaire (7), Siècle 21 (24), Arpa (109), N47 (25) et Cahiers Mounier (1)

 

 

Nous évoquons souvent les parutions de la très belle (et cohérente) revue de Jean-Pierre Védrines. La main millénaire, en son 7e numéro, s’ouvre sur Jacques Gil, textes et poèmes qui plongent dans les racines du château de Montlaur. On sent ici la proximité de la revue et du poète avec les terres ocres du sud. Une vingtaine de poètes ensuite, dont Salih Bolat, Françoise Védrines (« où poussent les racines de l’arbre / se penche la nuit aux yeux de louve »), Jean-Claude Xuereb, André Vinas (duquel on aimerait lire de nouveaux textes au sujet de la poésie de Paul Pugnaud), Quine Chevalier, ou Jean-Pierre Védrines. La moisson est forte. Plus loin, des textes de Lydia Padellec dont le Pénélope rappelle le caractère profondément sacré du Poème, Nikos Bazianas, Colette Nys-Mazure, Jo Pacini ou André Morel… La main millénaire est porteuse d’âme, quelque chose d’un sud, un sud ouvert au monde. A lire.  

 

La main millénaire, numéro 7, automne 2013/ hiver 2014.
Rédaction : Jean-Pierre Védrines
Email : jean.pierre.vedrines@cegetel.net
Le numéro 15 euros. Abonnement pour trois numéros : 36 euros.

 

***

Treizième année et 24e numéro de la sérieuse et de référence revue Siècle 21, que l’on trouve de plus en plus régulièrement dans diverses médiathèques, signe de la légitimité acquise au fil du temps. Les dossiers de la revue y sont pour beaucoup, sa capacité aussi à remarquer et publier des voix qui comptent dans la littérature et la poésie française contemporaine. Ce nouveau numéro ne déroge pas à la règle, avec un somptueux dossier sur « Prose et poésie afro-américaines » concocté par Marilyn Hacker (« Intérieur noir »). Le dossier s’ouvre sur un texte d’Elizabeth Alexander traduit de l’anglais par Catherine Pierre-Bon : « Nous sommes trop souvent prisonniers du réel, piégés dans les fantasmes de « l’authenticité nègre » qui dicte la seule façon dont nous existons vraiment dans la doxa avec ses fantasmes d’authenticité. Echapper à la force de l’imagerie qui nous entoure n’est pas un mince exploit ».  Cela fixe l’objet. Côté poésie : Robert Hayden, Gwendolyn Brooks, Marilyn Nelson, James Emanuel (dans des traductions de Jean Migrenne), la superbe poésie de Michael Harper, traduite par Alice-Catherine Carls, un poète dont nous reparlerons dans Recours au Poème, Quincy Troupe ou encore Yusef Komunyakaa, Evie Shockley… Impossible de tout citer. De nouveau un numéro dont le dossier fera date. 130 pages tout de même. Une plongée heureuse et nécessaire dans le monde des littératures afro-américaines.

Outre les chroniques habituelles, ce numéro de Siècle 21 propose aussi un étonnant dossier intitulé « Escaliers », où l’on trouvera des poèmes de Werner Lambersy, Linda Maria Baros ou encore Gabrielle Althen, ainsi qu’un beau texte de Brigitte Gyr. Ecrivains/poètes que l’on retrouvera aisément dans nos pages. Un pic de bonheur personnel : le poème d’Amina Saïd, Le vieil homme dans la rue.

 

Siècle 21, numéro 24, printemps/été 2014.
2 rue Emile Deutsch de la Meurthe, 75014 Paris.
Email : revue.siecle21@yahoo.fr
http://siecle21.typepad.fr
Le numéro 17 euros. Abonnement pour deux numéros : 30 euros.

 

***

 

Gérard Bocholier est un poète dont nous aimons l’œuvre, forte, éditée chez des éditeurs de talent, souvent défenseurs de la poésie profonde, compagnon de route amical et intellectuel de Recours au Poème, directeur de cette belle et ancienne revue, Arpa, qui fait partie du paysage de la poésie authentique en France. Arpa a sans aucun doute publié toutes les voix importantes des trente dernières années (ou presque), et d’ailleurs la revue prépare son trentième anniversaire pour 2016. Ce numéro 109 s’inscrit dans la tradition de la revue, proposant des textes de Pierre Delisle (comme en hommage au fondateur d’Arpa), Pierre-Alain Tâche, Judith Chavanne, Isabelle Raviolo, Josette Ségura, Colette Nys-Mazure, Claude Tuduri, Myriam Eck, Jean-Jacques Nuel, Jean-Pierre Farines, Paul Farellier, Matthieu Magne… Choix personnel dans un ensemble bien plus riche que cela. On lira aussi avec attention le texte d’Eric Dazzan consacré à André du Bouchet, que nous considérons ici comme un immense poète. Arpa, c’est une masse de granit dans le paysage de la poésie française.

 

Arpa, numéro 109, mars 2014.
Gérard Bocholier. 44 rue Morel-Ladeuil. 63000 Clermont-Ferrand.
www.arpa-poesie.fr
Abonnement pour quatre numéros : 38 euros.

 

***

 

Un « gros » numéro 25 de la revue N 4728 maintenant devenue N47. Essayons de comprendre cela grâce à l’éditorial : une simplification demandée par les lecteurs. Bon… cela change sans doute des choses mais… pour nous peu de choses. Nous retrouvons une revue intelligente au format allongée original. L’ancienne rubrique Mémoire vive est devenue Plein format et ouvre ses pages au poète Serge Nunez Tolin et à son sens de la marche. Viennent ensuite les poèmes de Cécile Guivarch, Marie Huot et Thierry Froger.

Un cahier plastique étonnant associe poèmes et photographies d’Amandine Marembert et Michel Durigneux. Un autre de Philippe Longchamp et Nélida Medina donne à lire et voir de « bonnes années ».

Place aux paroles poétiques diverses ensuite, ou plutôt « plurielles » selon la nomenclature de la revue. Parmi de nombreuses voix : Eric Fried, Jean-Marc Gougeon, Régis Lefort, Isabelle Lévesque, Béatrice Machet-Franke…

N47 est aussi un lieu de pensée de la poésie, autour de « traduire/écrire », avec quatre contributions. Viennent enfin des notes de lecture.

 

N47, numéro 25, janvier 2014.
Direction  Christian Vogels.
n4728@zythumz.fr
Abonnement pour deux numéros : 25 euros.

 

***

 

Les Cahiers Emmanuel Mounier prennent la suite du Bulletin des Amis de Mounier, sous la direction du penseur/poète/traducteur Yves Roullière. Le comité de rédaction réunit les hommes/écrivains qui, à juste titre, considèrent que la pensée de Mounier parle encore et toujours pour aujourd’hui, certains écrivant aussi dans Esprit. La revue est la face visible de l’association des amis d’Emmanuel Mounier, laquelle travaille à maintenir en lumière cette œuvre fondamentale du 20e siècle, et la question du personnalisme. C’est un gros et ardu travail, mené de longue date, par des penseurs comme Guy Coq par exemple, aujourd’hui en retrait, et maintenant sous la houlette d’Yves Roullière. Un travail absolument nécessaire.  Au sommaire de ce premier numéro : des articles de Mounier présentés par Yves Roullière, la reproduction d’un entretien avec le philosophe (1949), et un dossier sur l’expérience africaine de Mounier. Une revue que nous conseillons chaudement, pour cette simple raison que la pensée de Mounier et de la revue Esprit sont des axes de résistance pour maintenant.

 

Cahiers Emmanuel Mounier, numéro 1, 2014.
Rédaction : Yves Roullière
www.emmanuel-mounier.org
Le numéro : 10 euros.

 

 




La revue Mwa Vèè dédiée à la poésie kanak

La poésie kanak face au monde : produire du nouvel endogène

 

Une vision poétique du monde se déployant selon ses propres règles et concepts. C’est ainsi que la revue d’expression culturelle néo-calédonienne Mwa Vèè décrit la poésie kanak dans son numéro 33 de 2001, consacré aux écritures poétiques océaniennes.

Nous avons trouvé fortement pertinent de remettre au goût du jour ce numéro daté de Mwa Vèè qui met en lumière la démarche à l’œuvre dans la poésie kanak, en raison de l’optique adoptée d’une valorisation et d’un encouragement à la production de formes endogènes de pensée dans les pays anciennement colonisés – notamment en Océanie. Il s’agit, dans la même perspective énoncée par Subramani, d’aller vers une décolonisation, voire une « déshégémonisation » des processus de savoirs et de créativité des peuples autochtones, par la réappropriation des modes de production de leurs savoirs scientifiques ou créatifs (Subramani 2003).

Le numéro 33 de Mwa Vèè consacré à la poésie kanak prenait d’ailleurs comme précaution liminaire d’écarter d’emblée toute définition de la poésie kanak « au sens académique du terme ». Mwa Vèè, fondée en mai 2013, est éditée par l’Agence de Développement de la Culture Kanak (ADCK), basée à Nouméa, Nouvelle-Calédonie. Dirigée par Emmanuel Tjibaou, fils du leader kanak historique Jean-Marie Tjibaou, elle a pour rédacteur-en-chef Gérard del Rio. Son titre est tiré de la langue djubéa, l’une des quelque vingt-huit langues kanak encore existantes ; il propose de traduire l’idée de journal ou plus précisément, de « contenant de paroles ». Valorisant la dimension contemporaine des  cultures et expressions artistiques kanak,  Mwà Véé s’attache à « proposer des pistes de réflexion sur la société kanak d’hier et d’aujourd’hui », en particulier sur ses valeurs fondamentales, son rapport au monde extérieur et ses processus d’adaptation à la modernité.

Dans ce numéro 33 consacré à la vision poétique kanak du monde, les auteurs insistent sur le fait qu’il ne faut pas chercher à qualifier la poésie kanak en ayant recours à des références extérieures, car, comme le souligne Albert Sio, «  c’est une poésie qui se développe selon ses propres concepts ». « La poésie kanak n’a pas de règle définie. Elle est sa propre règle et sa propre mesure », lui fait écho le pasteur Wanir Wélépane, qui proclame lui aussi avec force la liberté de cette poésie kanak loin de tout standard ou modèle connu.

Les deux poètes observent d’ailleurs que, si la poésie n’est pas nommée en tant que telle dans les langues kanak, elle n’en fait pas moins « complètement partie » de ces langues. Nicolas Kurtovitch appelle d’ailleurs poésie « kanak » non seulement la poésie écrite en langue kanak (définition stricte qui excluerait alors les jeunes poètes kanak qui ne connaissent pas leur langue) mais aussi la poésie écrite par des Kanaks quelle que soit la langue utilisée.

La poésie kanak ne se limite donc pas à être une forme d’expression, explique Gérard del Rio dans son éditorial. « Spontanée quand l’occasion le permet, codifiée quand la situation s’impose », la poésie kanak répond à sa manière « à un désir ou un besoin d’expression de la pensée, de la sensibilité », et constitue ainsi avant tout une « perception poétique du monde ».

Dégagée du passage au crible des canons académiques, la compréhension de la poésie kanak comme forme d’expression et perception du monde obéissant à des règles intrinsèques, implique la prise en compte du statut de la langue et de la culture kanak comme langue et culture autochtones devant négocier leur rapport avec la culture occidentale colonisatrice, et plus largement, avec la modernité. Il ne s’agit pas seulement de la préservation d’un patrimoine culturel et mémoriel kanak, mais de son dynamisme actuel. Ainsi, Wanir Welepane note chez les poètes kanaks une évolution dans les manières de parler des choses et de les écrire. « Du temps des vieux », parler de sexe ou d’amour était tabou, il fallait utiliser un langage caché, maintenant on dit les choses telles qu’elles sont, observe le pasteur et poète kanak, qui s’attache d’ailleurs à moderniser l’approche poétique. 

Relevant à l’origine d’une culture de l’oralité, la poésie kanak fait d’abord appel à l’art oratoire. Elle s’exprime ainsi dans divers domaines allant du chant à la danse en passant par les contes, les légendes, les dictons, les mythes... Mais, la colonisation étant passée par là, la poésie kanak s’exprime désormais sur deux registres : « tantôt par l’oralité dont elle possède une grande maîtrise, tantôt par l’écrit dont elle s’accommode de plus en plus aisément », observe Gérard del Rio. Ayant pour base la parole, considérée comme ayant un pouvoir particulier,  la poésie kanak en se déployant vers le monde de l’écriture,  constitue un « moyen de fixer la pensée », et à ce titre elle revêt une importance en termes de continuité sur plusieurs plans : « dans la continuité du souffle des ancêtres, du souffle actuel, de celui de la nature », affirme Albert Sio.

Face à la culture occidentale, et à la modernité apportée par cette dernière, il s’agit pour la poésie kanak de se poser sans s’opposer : ainsi, les poètes kanak de la revue Mwa Vèè conçoivent la poésie kanak non pas dans une relation d’antagonisme avec la poésie calédonienne, mais au contraire dans un rapport de définition mutuelle avec cette dernière. Poésie kanak et poésie calédonienne, inspirées par un environnement commun même si elles le traduisent distinctement à travers leur propre vision du monde, se « nourrissent » l’une de l’autre, s’inscrivant en cela « dans l’esprit d’ouverture politique approuvée par une majorité des gens de ce pays », affirme Nicolas Kurtovitch.

Il n’empêche que le rapport à la modernité peut être vécu sur un mode obsidional, comme l’exprime Jimmy Oedin, qui pour sa part pratique l’écriture « parce que j’ai peur que notre identité océanienne soit broyée par la société occidentale et que cet espace océanien devienne inaccessible » et qui est d’avis qu’« il faut qu’on dise cette peur-là aux piranhas de la consommation qui veulent nous dévorer ». Du coup, la reconnaissance de la poésie en tant qu’expression de l’identité kanak et comme richesse possible à partager n’est pas un processus sans danger. Son dévoilement entraîne l’appréhension de « se voir brimé, muselé », et dans ce dévoilement, « de n’être pas sûr de la valeur de ce que l’on propose », explique Ben Hombouy. « Est-ce que le fait d’en parler, de l’officialiser, ce n’est pas aussi se trahir, se laisser envahir par d’autres cultures, par les cultures modernes ? », s’interroge cet enseignant kanak.

Quant à la question du rapport avec la mémoire, le patrimoine culturel kanak n’est plus seulement conçu comme « une source de documentation sur “d’où on vient” et d’information sur “de là où on est” », mais comme une source importante pour une identité artistique « riche, très puissante ». De l’avis de Jimmy Oedin, la poésie kanak peut ainsi s’appuyer sur un héritage conservé de plus de  100 ans constitué d’archives kanak en langue, un patrimoine très riche « qu’il faut faire sortir et faire vivre ».

Au cœur du rapport entre modernité et tradition, la question de la création ne relève plus seulement du souci de préserver une tradition qui se perd, mais aussi d’arriver à produire du nouveau au sein de celle-ci, du nouvel « endogène ». Une telle démarche relève bien de la production d’épistémologies endogènes par les peuples autochtones d’Océanie identifiée par Subramani. Au-delà de la nécessité d’aller vers une « déshégémonisation » des pratiques et des savoirs imposés par l’Occident ou la globalisation, ce qui est en jeu dans le processus, rappelait ce chercheur fidjien, c’est bien la nécessité pour les peuples autochtones de préserver voire d’encourager la production d’« épistémologies locales »[1] afin d’exister en tant que « communautés créatives », capables de se réapproprier une autorité intellectuelle et de créer les conditions de leur propre bien-être en fonction de valeurs intrinsèques et non plus importées.

http://www.adck.nc/patrimoine/mwa-vee/presentation

 

Quatre-Bornes, Ile Maurice

 


[1] Subramani, “Emerging Epistemologies”, in South Pacific Litteratures, Emerging Litteratures, Local Interest and Global Significance, Theory Politics, Society, Noumea, Nouvelle-Calédonie, 20-24 octobre 2003

 




Ecrit(s) du Nord

 

           Jean Le Boël, le maitre d'œuvre des éditions Henry, propose depuis bientôt vingt ans la revue Ecrit(s) du Nord. Cette revue alterne les recueils d'inédits et les contributions organisées autour d'un thème précis. Cette livraison nous offre le mariage des deux principes observés depuis la création de la revue. Des échanges entre poètes, de notoriétés différentes (la notion de notoriété reste toute relative en matière de poésie, désormais que la critique et les journaux ont décidé d'ignorer absolument ce pan de la création. Aussi dans le petit milieu bien clos de la poésie, des noms brillent comme des amers tandis que ces mêmes noms ne représentent strictement rien en dehors de ce milieu dont la société du Spectacle a su organiser le confinement).

            Le principe de cet échange est original : chaque poète a envoyé un poème et en a reçu un, sur lequel il écrit, du destinataire de son envoi. Au cœur de cet échange, donc, la notion de l'accueil, et de ce que nous faisons de cet accueil des paroles de l'autre.

          Nous avons plaisir à souligner les échanges entre Judith Chavanne et Jean-Marc Sourdillon, d'une profondeur réjouissante, échange de haute intelligence prouvant le potentiel architectural du poème dans l'aujourd'hui déconstruit ;  entre Max Alhau et Jean-Louis Rambour, échange fait de questions-réponses permettant à Rambour de développer ce qui se trame dans les poèmes qu'il a envoyé à Max Alhau, trame passionnante éclairant la démarche singulière et la sémantique de ses poèmes. Entre Etienne Paulin et Jean-Baptiste Pedini ; Pierre Dhainaut et Sylvie Fabre G, Rémi Faye et Werner Lambersy, l'un offrant trois poèmes à l'esprit haiki lorsque l'autre donne une cascade alchimique revigorante, les deux se répondant par lettres interposées. Entre Romain Fustier et Cécile Glasman, entre Luce Guilbaud et Marie Huot échangeant des poèmes, et se répondant par poèmes, entre Cécile Guivarch et Amandine Marembert, entre Gilles de Obaldia et Jean-Christophe Ribeyre, entre Carmen V. et Marie V.

            Ce que propose Jean Le Boël à travers cette idée d'échange est essentiel : le langage du poème contient une résonnance intérieure fondamentale propre à éclairer le monde dans lequel nous vivons. A l'éclairer, mais aussi à agir sur lui d'une manière que ne peut aucun autre langage. Cet échange est un acte, celui, démonstratif, des application bénéfiques du Poème si peu entendu. C'est aussi un acte de re-familiarisation d'une parole que la modernité juge obscure et inintelligible quand elle est pourtant le langage naturel et premier du genre humain.

            Cette idée d'échange développée par Ecrit(s) du Nord est peut-être le signe que le poème veut être lu et entendu. Nous espérons que l'exercice auquel se livre chaque poète de ce magnifique dossier sera imité dans un avenir proche par les critiques des grands journaux, capables, eux aussi, d'inviter à l'importance de la poésie par leurs analyses et leurs comptes-rendus de ce qui se joue par les livres de poésie, à savoir une autre connaissance du monde.

            A ces échanges succède la proposition de poèmes inédits, signés par des poètes venus de tous horizons. Nous ne citerons pas tous les poètes, offrant ici un seul poème. Notre attention s'est portée sur le poème de Mathieu Hilfiger, LES SORBIERS, poème en prose d'une telle maitrise que le lecteur appelle de ses vœux la publication chez un bel éditeur d'un livre rassemblant une effloraison de poèmes de cette ampleur et de cette étoffe. La langue est impeccable, les images séminales comme une source nourrissant la végétation qui l'accueille.

       Les poèmes de Jean-Luc Le Cleac'h, de Kiko, de Fabrice Farre, de Rocio Duran-Barba, de Catherine Boudet, nous ont parlé particulièrement.

            La revue s'ouvre aussi au récit et à la nouvelle, engagement que tient Ecrit(s) du Nord depuis sa fondation.
          Un seul bémol : ne pas trouver, en fin de revue par exemple, une petite présentation des poètes.
Bémol anecdotique face à la beauté de cette livraison de Ecrit(s) du Nord.

 

 

Ecrit(s) du Nord, N°23-24, Editions Henry. www.editionshenry.com
Parc d'activités de Campigneulles F 62170 Montreuil-sur-Mer




Passage en revues : autour de Europe 1015/1016, Arpa 108 et Phoenix 11

 

Passage en revues
 

Autour de : Europe 1015/1016, Arpa 108 et Phoenix 11

 

 

 

La revue littéraire mensuelle Europe, Dame et institution que l’on ne présente plus, donne de nouveau un superbe numéro (novembre/décembre 2013) cette fois consacré à la « littérature du Maroc ». Ce dossier étant accompagné d’un autre, consacré quant à lui à Henri Thomas. Alléchant, et réussi. Au sujet de « la » (ou des ?) littérature (s) du Maroc, Hervé Sanson présente le dossier en parlant d’un « carroussel de voix et de sensibilités » et en indiquant que le Maroc n’a plus eu les honneurs d’un dossier dans Europe depuis 30 ans. De son point de vue, « cette littérature n’a jamais été aussi vivante, diversifiée et audacieuse », d’où la nécessité ici affirmée de prendre en considération ses trois langues d’écriture, français, arabe et amazigh. Le dossier donne à lire des écrivains et des poètes de trois générations, et donc aussi des voix récentes. L’ensemble commençant par un passionnant entretien entre Jacques Ancet et le poète marocain de haut vol Mohammed Bennis. Impossible d’écluser la richesse d’un tel dossier qui fera date. Disons simplement que les lecteurs de ce numéro d’Europe auront le bonheur de rencontrer l’œuvre de poètes de forte voix/voie : Mohammed Bennis, Ahmed Bouanani, Abdallah Zrika, Ali Sadki Azayku, Abdellatif Laâbi, Mohamed Hmoudane, Rachida Madani, abdel-Illah Salhi, Siham Bouhlal, Mourad Kadiri, Moha Mallal et Fatima Mouatakil. On le voit la présence poétique est dense en ce numéro. Sans compter que les études proposées sur les divers aspects du littéraire marocain contemporain sont, disons-le nettement, passionnantes. À ce dossier s’ajoute un fort bel ensemble consacré à Henri Thomas présenté par Patrice Bougon et proposant des textes de Max Alhau, Marion Spaer, Pierre Lecoeur, Patrice Bougon, Salim Jay et des textes d’Henri Thomas.

L’habituel cahier de création donne ensuite à lire diverses voix : Derek Mahon, Gérard Cartier, Etienne Faure et Jean-Théodore Moulin. On retrouvera aussi dans les pages d’Europe les chroniques et parties habituelles. Un bien beau numéro.

   

Europe4 rue Marie-Rose. 75014 Paris.
Mensuelle.
www.europe-revue.net/
Rédaction en chef : Jean-Baptiste Para et Charles Dobzynski
Le numéro : 20 euros.

 

 

La revue de poésie Arpa, dirigée par notre chroniqueur et collaborateur, le poète Gérard Bocholier, atteint son 108e numéro. On peut dire sans risque de se tromper que Bocholier publie dans ces pages, depuis bien des années, l’essentiel de la poésie française contemporaine. Ce numéro 108 met ainsi en avant l’atelier de poètes que nous apprécions tout particulièrement, Georges Bonnet, Jean Maison et Michèle Finck. Le volume donne aussi à lire (en Une) des textes de Frédéric Jacques Temple, Sylvie Fabre G, Danièle Corre. Viennent ensuite diverses voix, impossibles à citer en leur ensemble, dont celles de Max Alhau, Monique Saint-Julia, Pierre Maubé, Lydia Padellec, Line Szöllosi, Jean-Pierre Boulic ou Jean-Pierre Farines… Entre autres. Par ailleurs, Isabelle Raviolo donne une intéressante étude consacrée à Sylvie Fabre G et à son recueil Frère humain tandis que André F. Jeanjean rend un hommage nécessaire à Gaston Puel. Le tout est ponctué par l’habituelle chronique du maître d’œuvre.

 

Arpa. Gérard Bocholier. 44 rue Morel-Ladeuil. 63 000 Clermont-Ferrand. 
Le numéro 8 euros.
www.arpa-poesie.fr -

 

 

 

Onzième numéro de la revue Phoenix, inscrite dans l’histoire de Sud et d’Autre Sud, avec un dossier consacré à la poète italienne Maura Del Serra. Cet important dossier rassemblé par André Ughetto comporte des études de Girogio Barberi Squarotti, Daniela Marceschi et Lev Verscinin  en accompagnement d’une trentaine de pages d’œuvre de la poète. Ainsi :

 

Comme splendeur redevenant lumière
dans le repos du ciel, l’horizon,
la musique est le silence de la flamme
que juge dans son cœur et fait éclore en soi
l’ange qui est métaphore de toi.

 

La revue offre ensuite un très beau partage des voix, avec des textes de Yves Broussard, Dominique Sorrente, Olivier Massé, Christophe Forgeot, Nicolas Rouzet, Léo Lubeit, Jean-Pierre Cramoisan, Timoteo Sergoï, Anny Cat, Téric Boucebci et Jean Joubert. Vient après une voix espagnole : Miguel Veyrat et ses visions :

 

SOLSTICE vapeur diffuse
de la terre brûlée :
Ouvre-moi à la lumière
vérité qui danse sans but.

 

Il y a beaucoup dans ces quelques mots.

Les pages qui suivent sont celles des diverses chroniques, avec une ouverture nouvelle aux arts. A noter aussi l’hommage, tout aussi nécessaire, rendu à Gaston Puel par Alain Freixe. Phoenix est une revue clairement posée sur l’axe du monde.

 

Phoenix. Cahiers littéraires internationaux.
Direction : Yves Broussard et André Ughetto
www.revuephoenix.com
revuephoenix1@yahoo.fr
Revue Phoenix, 9 rue Sylvabelle, 13006 Marseille
Le numéro : 12 euros

 




A L’Index, n°24

La belle revue A L'Index, sous titrée espaces d'écrits, et emmenée par le poète Jean-Claude Tardif, nous livre sa vingt-quatrième livraison. Après un mot d'accueil de Tardif relevant que la poésie se porte "moins mal qu'il n'y paraît", et évoquant la vitalité de trois revues en ligne -Recours au Poème, Paysages d'Ecrits et La Gelée Rouge - comme l'image d'un phœnix que sait prendre la poésie pour continuer à être , à être "devant nous" et "en avance sur le monde", la revue s'ouvre alors sur une alternance de poèmes et de nouvelles.

Les nouvelles sont signées Michel Baglin, Jean-Claude Tardif, Didier Le Nagard, Françoise Delahaye, Jean-Albert Guénégan et la présence du vent de Roscoff, et Fabrice Marzuolo. Nous allons ici nous intéresser exclusivement aux poèmes, non pas que la création de la nouvelle ne puisse contenir du poétique, mais enfin le lieu d'élection de la poésie étant le poème, et Recours au Poème s'y consacrant exclusivement, nous laisserons aux amateurs de ces histoires courtes le plaisir de les découvrir par eux-mêmes.

Ce vingt-quatrième numéro d'A L'Index est riche, et plutôt que d'en faire une note exhaustive, nous soulignerons arbitrairement les poètes et les extraits qui nous ont davantage parlé.

Tout d'abord le poète Jean-Claude Chenut qui, à travers son beau poème Le jardin aux rives des lèvres, égrène des vers épris de mystère :

 

 

C'est une griffe de rubis,
son orient est brûlant
comme larme en mémoire.

 

Entame de poème, invite à lire cette parole liant l'écrit et le désir.

Autre registre avec Christian Leray, qui nous sert deux très beaux haïkai. Nous en reproduisons un :

 

 

Rose du matin
Au cœur de Brocéliande
Une fleur vient de prendre vie.
 

 

 

Jean-Pierre Chérès, avec i comme..., associe la verticalité à Icare, en un poème lui-même vertical de plusieurs pages :

 

Mettre sur la verticale
le point
pour i
celui final
de l'infini
le i
du rire
des fins
le cri
lapis-lazuli
l'ire
ultime
de la vie
poing dans l'azur
le ivre
sublime
de la cime
pied dans l'abîme
 

 

 

Changement de décor avec la parole de Hafsa Saifi, qui murmure presque sereinement :

 

Sur les rives du lac
La silhouette d'une femme
Qui écoute
L'eau lui dire qui elle est
L'effrayant reflet
De ses lèvres
Couvertes d'orge

 

Nous terminerons cette petite présentation en évoquant le superbe poème final, signé Marc Le Gros, Sic Transit, un poème d'un équilibre subtil entre la sémantique du dit et du non-dit, le raffinement des images muées en métaphores, la beauté de la langue tentant de dire et disant réellement l'éphémère du passage de la vie et la présence du rien. En voici le début :

 

 

Rien
 

Pas même l'os
Où fleurirait la lèpre,
Ni l'âme du feu en l'exil de
Ses cendres
 

Quelle urne jetée à la mer
Pourrait encore prendre le temps de
Mourir, quel
Abandon
 

Et quelle ivresse, surtout,
Nourrirait le soleil
 

 

Un numéro riche et l'on peut saluer l'esprit d'éclectisme de Jean-Claude Tardif qui permet à ces voix différentes de trouver lieu d'ancrage en même temps que d'appareillage. Car la poésie, en cette modernité cultivant la superficialité comme un mythe divin, relève de la haute navigation en même temps que de l'amer permettant à nos fors intérieurs d'éviter les écueils nocturnes et les naufrages sans fonds.

A L'Index, n°24, septembre 2013, 15 euros.

 




Passage en revue : Mange Monde

 

Les éditions Rafael de Surtis publient depuis plus de quinze ans de beaux livres cousus et pliés main, à l’image de la revue Mange Monde. Paul Sanda, poète et animateur des éditions a toujours aimé et développé des revues, que l’on pense à Pris de Peur autrefois et à son activité de redécouverte du surréalisme contemporain et/ou souterrain, en proximité de la revue Supérieur Inconnu de feu Sarane Alexandrian. Ces aventures font partie, si l’on veut, du « monde de la poésie », par nécessité ou accident sans doute, mais elles s’inscrivent aussi dans une autre histoire, celle d’un regard dévoilé sur le réel, et de cela la poésie est un des moyens ou bien l’un des modes opératoires. Il en est d’autres, et ils ne sont pas forcément incompatibles. Paul Sanda ne s’est sans doute pas installé à Cordes sur Ciel, en plein pays cathare, sous l’égide de Saint Michel, pour rien. La poésie, ici, est plus que de la poésie, elle touche au plus de réel autrefois revendiqué par le surréalisme, un surréalisme que l’un des correspondants habituels de Mange Monde, Patrick Lepetit, a récemment rattaché aux courants souterrains de l’ésotérisme occidental, en un essai fort convaincant.

L’un des membres fondateurs de Recours au Poème a publié ses premiers livres chez Rafael de Surtis, contribué à Pris de Peur, animé une petite collection dédiée à la fiction et coordonné, en compagnie de Paul Sanda, une belle Anthologie de l’imaginaire, en dix volumes. C’était entre 1997 et 2000, Rafael de Surtis première époque en somme. Ce n’est donc peut-être pas entièrement un hasard si Recours au Poème croise certains de ses amis, anciens ou actuels, proches ou éloignés, dans la « liste » des animateurs et des correspondants de Mange Monde : Marc Petit, Paul Sanda, Jean-Philippe Gonot, Jacques Basse, Nicolas Brard, Christophe Dauphin, Pierre Grouix…

Ce cinquième opus s’ouvre sur un texte de Marc Petit, « Aube, à jamais », que l’on voit avec plaisir fidèle à son amitié avec Paul Sanda. On reconnaît sa plume acérée et sans concession avec Das System : « D’habiles Sollers exercent leur magistère autoproclamé dans l’indifférence générale, à commencer par celle des lecteurs. Houellebecq est désigné comme un nouveau Shakespeare, le débagoulage de Christine Angot comparé à un solo de violoncelle. Profitant de l’ignorance et de la crédulité des nababs, une camarilla de singes savants réussit à faire prendre Jeff Koons, Damien Hirst ou Maurizio Cattelan pour des artistes ». Le reste à l’avenant. Et surtout : « Voilà qui nous ramène à l’aube d’été. A l’aube de tout. A cet adolescent rêveur surpris un jour par l’étrange beauté de quelques mots, troublé par eux comme par le froissement d’une robe de soie dans l’escalier. Car cela seul, cette émotion, suffocation, est poésie, et tout le reste n’est que (mauvaise), littérature, n’en déplaise aux cuistres. Vous n’avez pas changé, Marc Petit. Les pages de Recours au Poème vous sont ouvertes, sachez le. 

La parole est ensuite à Paul Sanda, en sa « chronique des temps poétiques actuels » en laquelle il poursuit son combat justifié, c’est le moins que l’on puisse dire, contre ce qu’il appelle « la poésie de patronage ». Il suffit d’avoir « lu » une fois une revue comme Décharge, pour peu que ce soit une revue, pour saisir ce que Sanda veut dire. On est ému aussi à l’évocation de l’ami poète Alain-Pierre Pillet.

Le sommaire propose ensuite de très belles choses, à commencer par un entretien revigorant avec Julien Blaine. Les revues des éditions Rafael de Surtis ont toujours fait la part belle à de longs entretiens permettant de rencontrer véritablement des poètes de « l’underground ». Vient ensuite un ensemble intitulé « Regard sur… les poètes à Voix haute », l’expression nous plaît. La hauteur de la voix est une élévation de l’âme ou du temple, quelque chose de la troisième dimension sans laquelle on ne perçoit guère le réel. On lira dans ces pages des textes de Sandra Moussempès, Yves Gaudin, Dominique Massaut, Edith Azam, Benoît Bastide dit Zob, Franck Doyen et Sandrine Gironde, Pierre Soletti. Un second entretien pointe ensuite son nez, comme il est d’usage dans Mange Monde, cette fois avec Jean-François Bourdic, un des créateurs des éditions Les fondeurs de briques, à Toulouse. La dernière partie, « Créations actuelles », donne la parole à Frédéric Vitiello, Pierre Mironer, Eric Barbier, Almosnino, Irène Gayraud, Julien Grassen Barbe, Jean-Jacques Dorio, Alain Raguet et Michel Carqué.

Tout cela forme un ensemble de grande force, affirmant une identité claire et sans discussion, avec laquelle tout un chacun ne sera pas en accord, on s’en fiche, le propre d’une revue est d’être… une revue. Le lecteur ferme ces pages en se disant qu’il lira le prochain Mange Monde avec gourmandise.

 

revue Mange Monde n° 5/juin 2013
Directeurs de publication : Paul Sanda et Serge Torri
Rédacteur en chef : Vincent Calvet
Editions Rafael de Surtis. 7, rue Saint Michel. 81170 Cordes-sur-Ciel.

      Le numéro : 15 euros.




Passage en revues

IntranQu’îllité, la revue mise en œuvre par James Noël, qui a son port d’attache en Haïti, se présente comme « revue littéraire et artistique », et ne dédaigne pas la poésie, bien au contraire. James Noël donne un éditorial tout en foi en l’art et en l’action de ce dernier sur le concret du monde. Le maître d’œuvre de la revue écrit : « Portée par le chaos, la revue fraie son chemin, dans le flou de l’heure. Et nous, nous assurons pour la forme, le dosage d’un imaginaire en overdose ». Puis : Nous avons opté, façon boîte noire, pour un outil qui capte des vibrations, avec une périodicité annuelle. Produire des rêves, fixer des vertiges une fois l’an, n’est-ce pas une façon écologique de (se) penser sans polluer le ciel mental, sans brûler la nuit en soi ? ». Tout lecteur un peu habitué de Recours au Poème comprendra aisément que nous nous reconnaissions dans ce programme. L’architecture d’ IntranQu’îllité fonctionne par thèmes successifs. Ainsi, en ce second opus :

8 textes autour de « Jorge Luis Borges, l’œil du maître », forment « l’épicentre » de ce numéro. James Noël et sa complice Pascale Monnin ont sollicité des écrivains, des plasticiens et des photographes passionnés par l’œuvre du maître ici choisi, Borges. Ce sont des voix diverses et engagées, globalement très à gauche : Chao, Ramonet ou Depestre par exemple. On lira aussi les tons d’écrivains tels que Hubert Haddad, Christian Garcin ou Dany Laferrière. La revue met le curseur haut.

IntranQu’îllité s’intéresse ensuite au « Che comme métaphore ». Chaque écrivain appelé à contribuer à cette partie s’est vu demandé de raconter sa rencontre avec le Che par « le prisme de la littérature ». Cela donne un ensemble de très belle facture dans lequel on peut lire des textes de Francis Combes, Ernest Pépin ou Yahia Belaskri, entre autres. Le dossier se termine par un entretien avec Ramiro Guevara.

Troisième morceau d’architecture : « Tous les vents du monde », orchestré par Valérie Marin La Meslée, « Bons vents vivants de tous les mondes en un seul, magnifiquement épars ». On trouve trois poèmes d’Adonis, poète que nous considérons ici comme l’un des grands poètes des profondeurs vivant, des textes de Diamanka, Pierre-Marc de Biasi ou Arthur H.

Vient ensuite la partie qui a priori concerne le plus Recours au Poème : « De la poésie avant toute chose ». On ne saura mieux dire, autant en ce qui concerne l’ordre des priorités que le réel de l’origine de la vie. La poésie est ce qui est venu en premier. Et son chant est une quête perpétuelle et cyclique d’un retour constructif de et vers l’Origine. C’est ce que nous pensons ici. Accompagnés de belles photographies et/ou reproductions d’art, on lira des poèmes de Fabian Charles,  Enna Saplum, Henri Poncet, Alex Laguerre, Paul Wamo, Cécile Desmaisons, Gilbert Bourson, Martine Salmon, Madeleine Monette, Massimo Saidel, Eliphen Jean, Michel Vézina, Arnaud Delcorte, Antoine-Hubert Louis, Felwine Sarr, Franz Benjamin, Bernard Noël, Nadol’s, Anne Mulpas, Charles Dobzynski, James Noël, Jacques Taurand et Paul Harry Laurent. Le choix est à la fois diversifié et de qualité.

Ce second numéro d’IntranQu’îllité se prolonge le temps de trois autres fortes rubriques : Coq à l’âne, Villa Médicis, Retours en aller simple.

A lire.

 

revue IntranQu’îllité n°2, mai 2013

Directeur/ Maître d’oeuvre : James Noël

La revue est annuelle

Contact : passagersdesvents@gmail.com

 

N4728 propose ici sa 24e livraison, et s’affirme une fois de plus comme l’une des très belles revues de poésie du paysage littéraire français. C’est du reste plus qu’une revue, un laboratoire de travail et de recherche, aspect accentué en cet opus par la création d’une nouvelle rubrique pensant la poésie : Sentiers. Le comité pose une question à plusieurs poètes, ici : Lire la poésie contemporaine ? On trouvera des réponses de Bourg, Deyrolle, Emaz, Gellé, Jouan, Vogels et un entretien avec Florence Trocmé, animatrice du site Poezibao. Nous aimons bien cet espace et en faisons régulièrement la « promotion » dans Recours au Poème, y compris sur les réseaux sociaux. Sentiers offre un ban d’essai convaincant qui donne envie de lire la suite, avec des voix diverses (ce qui est annoncé d’ailleurs par le directeur de la publication).

Du côté des poèmes, le sommaire est très riche. On lira, entre autres, les forts poèmes ou textes de Dugardin, Baumier, Dudouit, Girard, Le Lepvrier, Le Penven, Hanea, Peigné, Torlini… Des voix diverses qui rendent comptent en partie de ce qui s’écrit maintenant.

Ce numéro commence, comme à l’habitude de N4728, par la mise en avant de trois voix singulières et reconnues : Ludovic Degroote, Jacques Ancet et Dominique Dou.

L’ensemble forme un numéro qu’il convient de se procurer. Ceux qui ne connaissent pas encore N4728 et qui aiment la poésie feraient bien d’aller faire un tour du côté de ses pages.

 

revue N4728, numéro 24, juin 2013.

Direction : Christian Vogels

Comité : Antoine Emaz, Albane Gellé, Alain Girard-Daudon, Yves Jouan, Christian Vogels.

Contact : n4728@zythumz.fr

Le numéro : 12 euros

 

 

La revue Bâtarde, en son second numéro, s’attaque au bonheur. C’est pourquoi sa couverture s’orne de la photo d’un skieur « heureux », accroché à la barre d’un remonte-pente. Une image à la Philippe Muray, celle d’un homo festivus contemporain. L’équipe (clandestine) de Bâtarde ne manque ni d’humour ni de cynisme, un tantinet situationniste même, cette belle revue, tant en ce qui concerne son contenu que sa forme ou son fond artistique. Du papier aux œuvres d’art en passant par les textes et les photos. Elle tient son quartier général et son comité central en Belgique, probablement du côté de Bruxelles.

Ici l’on dit que « le dialogue entre usagers conscients du monde examine de près les possibles infrastructures du bonheur et de son oppression à l’échelle intime tout autant qu’à l’échelle sociologique » et que « Pierrot rit à pleines dents, dents jaunes ». Nous sommes en complet accord avec cette critique du monde contemporain, que l’on retrouve par ailleurs, du côté du théâtre, dans les travaux en cours d’un dramaturge comme Falk Richter. On retrouve le côté prolongements d’un certain situationnisme dans l’organisation des pages de la revue : les auteurs conviés sont listés au début, avec indication des pages où on peut les lire, et ensuite les textes ne font pas apparaître de nom d’auteur. Cela donne une forte unité à l’ensemble, faisant ressortir d’ailleurs l’intelligence du travail des acteurs de la revue. On lira ou on découvrira les œuvres plastiques de Blondeau, Dejaeger, Ergo, Gosselin, Jacobs, Dreszniak, Pennequin, Baumier, Tholomé, Nisse… Et bien d’autres. Cette revue n’est pas de celles qui cumulent des textes sans pensée, c’est une vraie revue littéraire, et donc politique. Il y a quelque chose d’un regain de l’avant-garde dans ses pages. A se procurer absolument.

 

revue Bâtarde, numéro 2, juin 2013

apériodique

contact : contact@indekeuken.org

www.indekeuken.org

 




Passage en revues

Les Chroniques du ça et là, la revue de Philippe Barrot, n’est pas à proprement parler une revue « de poésie » mais elle propose des textes poétiques et des poèmes. Les numéros 2 et 3 s’organisent autour d’un thème, écriture et ordinateur, de fictions, de nouvelles, de poèmes, de textes inclassables. Le numéro 2 poursuit un travail autour de la fiction, sous toutes ses formes, et étudie les effets de la technologie sur la critique littéraire, la lecture, l’écriture… Philippe Barrot choisit ensuite d’inscrire sa revue dans le présent historique en publiant des textes qui s’apparentent à des journaux ou des carnets. On lira, par exemple, Atom-Nâmeh (l’épopée de l’atome), d’Iraj Valipour, passionnante plongée dans l’Iran actuel ou récent. Viennent ensuite des nouvelles, de superbes photos, et enfin des poèmes inédits de Marie Gabriel Guez Ricord, publiés sous le titre de Lacrima Verrae. Le numéro 3 présente un document d’actualité, étant donné les commémorations à venir : des extraits du journal inédit d’un poilu dont le nom n’a pas été retrouvé. C’est toujours impressionnant de lire ce genre de document, de se souvenir qu’il y a cent ans, simplement cent ans, les grands pères de nos pères vivaient cette atrocité : 14-18. Puis, le sommaire donne à lire L’intranquille assoupie, de belles notes sur Lisbonne, évidemment, signées Philippe Barrot. Vient ensuite un fort texte de Jorge Aravena, Jeunesse au Chili, sur l’époque de Pinochet, et l’enfance sous la dictature. Toujours de superbes photos, une dizaine de nouvelles, et un ensemble intitulé « Poésie persane & post-islamisme », présenté par Sepideh Jodeyri, dossier qui à lui seul légitime l’acquisition de ce troisième numéro des Chroniques du ça et là.

 

Revue Chroniques du ça et là.

Directeur : Philippe Barrot

La revue est semestrielle.

75 rue d’Hautpaul. 75019 Paris.

http://www.chroniques-du-ca-et-la.fr/970A5236-B7BF-4349-BCF3-3F7960E3A85D/Accueil.html

Le n° : 12 euros

Abonnement : 19 euros pour deux numéros.

 

 

Troisième numéro de la revue internationale de poésie de Paris Sorbonne, Place de la Sorbonne, née en même temps que Recours au Poème. Un beau pavé de près de 300 pages comme à son habitude. L’aventure est menée par Laurent Fourcaut et on retrouve quelques amis proches de nos pages au sein de son comité de rédaction, Joëlle Gardes ou Pierre Maubé par exemple. La revue propose un entretien éclairant et fort intéressant avec Jean-Pierre Siméon, puis une vingtaine de poètes de langue française, dont Lionel Bourg, Laurent Demoulin, l’atelier superbe de Pierre Drogi, Dominique Grandmont, Philippe Mathy ou James Sacré. Ensuite, une partie « langues du monde » avec des traductions provisoires de beaux textes de la poète bulgare Kéva Apostolova, ou encore ceux de l’américaine Rosanna Warren. La partie « contrepoints » donne à lire de très beaux poèmes de José Angel Cuevas, en compagnie d’œuvres de Manuel Torres. Enfin, on est heureux de pouvoir lire les réflexions de Michel Deguy sur la poésie et la quête du sens. Quelle autre question en effet ?

 

Revue Place de la Sorbonne.

Rédacteur en chef : Laurent Fourcaut.

29 rue Boursault. 75017 Paris.

Mail : pls@edrelief.fr

La revue est éditée par les éditions du Relief.

Le numéro : 15 euros.

 




Arpa, n°106–107

 

Au mitan du printemps 2013 a paru le dernier numéro de la revue de Poésie Arpa, numéro double agrémenté d'une belle couverture bleue sur laquelle est reproduite une carte du monde, peuplée du mot poésie. Le titre choisi pour ce printemps est mappemondes.

Nous entrons, dès la couverture, dans une énigme : quelle est la raison de ce pluriel appliqué au mot mappemondes alors qu'une carte uniforme représente la terre habitée de poésie ?

L'explication la plus évidente, celle se faisant jour dès que nous tournons les pages de ce numéro d'une richesse exceptionnelle, réside dans le fait que pour Arpa, il y a des mondes poétiques, et non un seul. Ce numéro 106-107 met à l'honneur des poètes du Portugal, de Chine, d'Allemagne, d'Espagne, des USA, d'Italie, du Japon, de Grande-Bretagne, du Maroc, du Cameroun, d'Irlande, du Brésil, de Suisse, du Canada, etc... Il y aurait donc des mappemondes poétiques. Mais alors, pourquoi avoir reproduit la carte de notre monde actuel, avec la répétition du mot poésie comme garant de l'unité de cette carte ?

Cette interrogation nous conduit soudain à relativiser notre interprétation de la sémantique de couverture, et à considérer l'affaire d'une toute autre façon. Il y aurait donc la poésie, mais, selon le titre, plusieurs cartes du monde. Et celle que choisit de représenter Arpa sur sa couverture est la carte de la poésie. A l'exclusion d'autres cartes, ne contenant pas le poème.

Nous pouvons donc lire cette couverture du dernier Arpa comme une discrète revendication : la carte du monde poétique vient se sur-imprimer sur la carte du monde actuel. Il y aurait donc deux cartes, deux mondes, et Arpa, silencieusement, humblement, prend acte de la partition du monde : celle opposant la poésie, qui est la vie si l'on considère, comme Baudelaire, que Poésie et Vie étaient un ; et celle ignorant la poésie, donc ignorant la vie et travaillant pour le nihilisme totalement organisé ayant pénétré toutes les couches de notre culture, de notre complexion humaine, des structures de la société, des rapports de genre, de notre appréhension de la terre, etc...

Nous ne sommes plus dans la prophétie de la catastrophe, nous ne sommes plus dans l'annonce d'un conflit mondial imminent, nous sommes aujourd'hui entrés dans la partition du monde, et cette partition divise le monde en deux : le nihilisme organisé par le Simulacre, et la Vie.

Qui n'est pas pour la vie est contre le monde. Qui n'est pas pour le Poème est contre la vie. Cette partition, perceptible dans le titre d'Arpa, n'aura de cesse de s'accentuer et d'opposer deux clans, deux groupes, deux humanités, et les violences qui ont cours aujourd'hui risquent de n'être que des chamailleries infantiles face à la violence pour la survie de la vie qui s'annonce.

Le bio s'oppose à la culture hors sol. L'homme s'oppose à la femme. L'homme s'oppose à la terre. Le culte de l'opulence à la misère. Etc...

Aussi ouvrons-nous Arpa avec la certitude d'avoir dans les mains de quoi nous faire quelques lignes d'extase, ce réservoir à énergie vitale pour qui en manquerait pour poursuivre le combat.

Pour choix ces fragments de poèmes, piochés dans cette anthologie mondiale :

 

***

 

L'automne est aussi calme
Qu'un penseur
Las de penser. Cependant
Calme et poignant
Il médite encore.

L'automne est aussi clair
Qu'un agneau
Au fond de la prairie. Impuissant
Et si pur que le ciel
Sur lui se penche.

 

            Shu Cai (Chine)
           extrait de Extrême automne

 

***

 

Ou bien comme le poète s'étonne
de sa propre inspiration
qui, reliant
une rive inconnue à la sienne,
lui découvrit tout un continent

 

            Reiner Kunze (Allemagne)
           extrait de Les descendants de Vasco de Gama

 

***

 

Inutile que tu insistes
pour repriser tes paroles
avec des fils d'espoir.

 

            Alicia Aza (Espagne)
           extrait de Désaffection

 

***

 

Dans le silence d'une nuit
maîtresse de deux lunes propres
nos paroles éclairent
un lys blanc lumineux

 

            Alicia Aza (Espagne)
           extrait de Le silence d'un lys blanc

 

***

 

Tu veux savoir
le secret de la pierre,
la vision
qui bat dans ton crâne.

 

            Jim Barnes (USA)
           extrait de Ces mystères

 

***

 

Que le silence était doux et terrible et que chacun se demandait
pourquoi ne sais-je pas parler pourquoi ne puis-je pas agir
qu'est-ce qui me retient que de mains

 

            Fabio Pusterla (Italie)
           extrait de Procès-verbal des choses non dites

 

***

 

L'aveugle habitant le quartier
le sourd débarquant du ferry
le bossu à bord du 6h25
et aussi le banquier de mon père
les rondouillards les chétifs les chauves les hirsutes
l'étudiant le boulanger le chaudronnier le marin
et puis comme moi les bons à rien

font la queue
aux portes d'un bordel en fer forgé
dans l'Istanbul des faubourgs

 

            Moris Farhi (Turquie)
            extrait de Les affamés font la queue

 

***

 

Une porte ouverte
Et d'entrée
Une galerie
Une galerie d'art
Une galerie d'art souterraine
On descend

La nuit
La chaux
Les murs
L'aube
Le plat cuisant

Nourrir
Donner à manger
A l'espoir.

 

            Aziz Zaâmoune (Maroc)
           extrait de Blancheur

 

***

 

Voilà un petit aperçu de nos préférences, de la quintessence de ce qui se joue ici, par Arpa, et que revendique Recours au Poème, cette carte du monde du poème appelé par un monde en attente de poésie, comme une terre asséchée épongeant la moindre source impolluée pour continuer ses rêves porteurs d'une humanité ré axée sur la vie et non sur son envers, porteurs de chants terriens pour l'agrément des étoiles, celles du microcosme, celles du macrocosme.

 

 




Revue La Passe, n° 17

La revue des langues poétiques consacre son n° 17, en grande partie, à la poésie roumaine. On se souvient (peut-être) que le très parisien Salon du livre avait décrété qu'en 2013 la Roumanie ferait figure d'invitée d'honneur, à défaut de faire de la figuration. On passera sur le côté rocambolesque des suites de cet oukase : boycott décidé par certains auteurs pour des raisons politiciennes internes à la Roumanie (mais la presse d'ici nous a fait grâce des lecteurs français pris en otage !), début d'une polémique, pléthore de traductions (parfois approximatives si l'on en juge par le résultat en français)…

    Enfin, voici un peu d'humour et de fraîcheur avec La Passe qui avoue sacrifier à la manie. L'humour ne manque pas avec ces références à Dracula (qui "signe" cet aphorisme en bas de page, "Gageons que cette rencontre créolise et qu'entre étrangers à soi-même, l'on se reconnaisse", qui est tout un programme : ces mots auraient pu servir d'exergue à cette livraison). Albsi Neijra donne une petite prose intitulée "Le Chant des Quarts-Pattes", pastiche poétique du conte noir. La fraîcheur est apportée par le dossier "Éclairs d'enfance / Fragments de mort" qui donne à lire (en traduction) cinq jeunes poètes roumains que Tristan Félix (la directrice de rédaction de La Passe) a accompagnés de photographies. Pas des illustrations au sens commun, mais des équivalents plastiques, des traductions des vers qui sont eux-mêmes traduits ; une sorte de mise en abysse bien réjouissante au-delà des pertes et profits attachés au passage…

    Côté français, le lecteur découvrira quelques expériences intéressantes. Comme le passage d'une langue à l'autre tel que le voient Tristan Félix et Carivan, son traducteur : le poème est "farci" de sa traduction, le vers tantôt français et le vers tantôt roumain alternent pour donner un nouveau poème qui met en évidence la musicalité du roumain. L'Hymne Gagaouz de Maurice Mourier est hilarant avec sa langue inventée… qui est traduite ! Christine Minot, partant d'une des célèbres gravures des Caprices de Goya, dont le titre en français est Le sommeil de la raison produit des monstres, remarque que le mot espagnol suenõ a deux sens : sommeil et rêve. Elle se livre alors à une improvisation passionnante qui interroge la traduction. Malheureusement, elle tombe dans le piège de la polysémie du mot matérialisme pour n'en retenir que le sens vulgaire (état d'esprit caractérisé par la recherche des jouissances et des biens matériels, selon le Petit Robert). Exit alors le sens philosophique ! D'où un raisonnement boiteux, voire fallacieux dans la troisième partie de son texte : l'idéologie dominante a de beaux jours devant elle…

    Figurent aussi dans ce numéro de nombreux textes de création qui relèvent de l'expérimentation et qui illustrent parfaitement la raison d'être de La Passe. Relevons Anomalies Incovar : le point de départ en est une note de service adressée par un supérieur à ses employés. Tristan Félix en "emprisonne " le texte dans un poème lui-même farci de "réminiscences apollinariennes". Frédéric Moulin le transforme ensuite de semblable manière à sa façon. Et il donne enfin naissance à un dessin d'humour dû à Hervé Borrel. C'est décapant ; toute la prétention et l'absurdité du chefaillon (mais aussi de l'époque) apparaissent dans ce jeu. Ou la poésie comme outil de critique sociale, ou la langue comme outil occasionnel de subversion…

    La Passe : une revue qui sort des sentiers battus et qui sait, parfois, être jubilatoire.