Chroniques du ça et là n° 5

Une nouvelle revue littéraire (semestrielle) que je découvre alors qu'elle en est à son numéro 5 : Chroniques du çà et là. Titre qui témoigne d'un beau souci d'ouverture et de vagabondage ! Le thème de l'Invasion végétale qui donne à lire deux nouvelles, l'une de Jean-Pierre Andrevon et l'autre de Lawrence Simiane, a particulièrement retenu mon attention. Jean-Pierre Andrevon, dans Conflits de cultures, décrit un monde où l'humanité a été remplacée par des plantes devenues folles tant elles ont été génétiquement modifiées. Ces plantes, censées à l'origine nourrir les hommes, continuent d'acquérir de nouvelles caractéristiques qui les rendent encore plus dangereuses car elles ne connaissent plus qu'une seule règle : lutter pour survivre. D'ailleurs Andrevon termine sa nouvelle par ces mots apocalyptiques : "Demeurent tous ces végétaux génétiquement transformés, qui mutent et mutent, et se battent, branches contre branches, épines contre fibrilles urticantes, tiges contre flagelles, graines contre cosse, racine contre racine.  Et se battent et se battent. Encore  et encore." Métaphore de la société de consommation ? Sans doute mais pas seulement, car à voir la folie des végétaux qui continuent à muter en l'absence de l'homme, on se dit que ce dernier joue actuellement à l'apprenti sorcier… Lawrence Simiane, dans un tout autre registre, donne avec Glycinus Gueldrotus, une histoire tout aussi inquiétante.  C'est une simple glycine qui finit par mettre en danger l'existence même d'une maison par son développement intrusif. Tandis que les occupants de la fermette ne voient pas le développement des algues vertes qui, non seulement ont colonisé la baie en contre-bas de la maison, mais se lancent à l'assaut des terres ! L'homme était un loup pour l'homme, il en deviendra le fossoyeur. Il serait imprudent de dire qu'il ne s'agit là que d'élucubrations d'hommes de lettres car les photographies et l'entretien de Helene Schmitz à propos du kudzu montrent que l'apocalypse est en route, si on n'y prend pas garde.

Il n'est pas question dans ce compte-rendu de passer en revue toutes les contributions. Un mot, cependant relativement à deux qui m'ont intéressé au plus haut point. Tout d'abord l'étude d'Iraj Valipour sur  La Géopoétique  de la vallée du Yaghnob sous-titrée Contribution à la poésie alpine et son style vernaculaire. Je ne sais pas Valipour emprunte à Kenneth White ce concept de géopoétique mais il met en évidence la concordance serrée entre le paysage et la poésie des Yaghnobis qui vivent dans la vallée du Yaghnob, une rivière du Tadjikistan au nord de Douchabé au cœur de l'Asie centrale. L'interaction entre l'homme et la nature est sensible dans les poèmes collectés par Iraj Valipour. Ce texte, qui mêle la géopoétique et l'Histoire, est captivant même si l'on peut se poser des questions sur le retour à la nature que défend l'auteur : a-t-il encore un avenir devant de rouleau compresseur de l'industrie touristique ? 

À signaler aussi la note de lecture signée du même auteur à propos du recueil de Philippe Jaffeux, Courants blancs, qui donne à lire des ghazals de sa façon. Je ne pouvais qu'apprécier cette note, sortant d'une relecture du Fou d'Elsa d'Aragon…

Cette livraison de Chroniques du çà et là est d'une tonalité plutôt sombre qui ne laisse rien augurer de bon quant à l'avenir de notre société et de la planète, si l'on rapproche cette étude de Valipour des trois contributions signalées d'Andrevon, Simiane et Schmitz…  Mais la volonté affichée de la revue de mélanger les genres, la place accordée à la nouvelle, à la photographie et au récit de voyage ainsi que le texte, mystérieux et poétique, de Gabrielle Gauzi laissent le lecteur optimiste, du moins quant à l'avenir de la revue…

Chroniques du çà et là, n° 5 (printemps 2014). Ce n° 12 €. Abonnement pour deux n° : 20 €. Chroniques…, 75 rue d'Hautpoul. 75019 PARIS




Nunc n° 33 : sur Joë Bousquet

La dernière livraison de la revue NUNC, intitulée en son 33ème numéro "revue vivante", est dédiée à la mémoire d'Angelo Giuseppe Roncalli et de Karol Jozef Wojtyla, c'est à dire aux papes Jean XIII et Jean-Paul II.

Que notre époque puisse encore reconnaitre des saints, et ajouter à la Légende Dorée, voilà ce à quoi rendent hommage les animateurs de NUNC.

Il faut dire que les médias français nous polluent chaque jour avec des faits divers, instruisant nos esprits par des réquisitoires anxiogènes et destructeurs, et que pendant ce temps les chrétiens se font massacrer en Irak tandis que l'on accepte que des adorateurs de la pierre noire brisent des statues de la Vierge Marie dans un silence oublieux.

Les médias français, représentés par les hauts représentants de l'état, n'acceptent ni les opinions chrétiennes ni les antidémocrates musulmans. Dès lors comment traiter la poussée meurtrière et  conquérante verte contre les chrétiens qui ne méritent que le mépris de la part des consciences laïcistes ? Eh bien en imposant un flux tendu de focus sur des faits divers.

Ceci est un héritage, un héritage récent, malaxant la mémoire courte des individus de ce temps et masquant l'héritage ancien qui a constitué un absolu pour notre civilisation.

Lorsque le pape François se déplace à Séoul, 1 million de chrétiens se déplacent pour le voir. On voudrait nous faire croire que le christianisme, de par le monde, est en reflux ; qu'il n'intéresse plus personne et n'a plus de part active dans la conscience et le cœur des contemporains.

Propagande. Manipulation. Lavage de cerveau. Nous sommes bien dans un vaste régime totalitaire travaillant à la dé-spiritualisation de l'humain.

D'aucun diront que le Vatican fait un coup de com' en produisant des saints, que le peuple chrétien, désemparé, a bien besoin d'un renouvèlement et de nouveaux modèles.

Certes, certes, nous pouvons le voir ainsi.

Mais enfin ce sont deux papes, deux hommes ayant fait exemple au cours de leur vie, deux êtres admirés par la communauté chrétienne, quand on remet la légion d'honneur à l'obscur libraire ayant prétendument apporté la culture dans une région tellement peu développée qu'elle connait le plus fort taux d'obtention au baccalauréat. Hum...

NUNC, revue vivante, donc.

Ce 33ème numéro est consacré au poète Joë Bousquet. Un large dossier dirigé par Hubert C. et Jean Gabriel Cosculluela. Tous les poètes connaissent la vie et l'œuvre de Joë Bousquet. Mais tout le monde en a-t-il entendu parler ? Le doute étant de mise, ce dossier lui étant consacré relève d'une importance majeure.

Bousquet, mobilisé en 14-18, est touché par une balle allemande à la colonne vertébrale. Il se retrouve paralysé, perdant l'usage de ses membres inférieurs, à vie. Il a 21 ans.

Son univers deviendra sa chambre aux volets définitivement fermés, son lit, les livres et les visites qu'il va recevoir de toutes part. C'est là qu'il va élaborer son œuvre géniale.

Les signatures de ce dossier spécial disent l'éminence du poète : Michel Surya étudiant l'érotique de la langue de Bousquet ; Jean-Luc Nancy, le comédien Denis Lavant, Françoise Bonardel se plongeant dans la correspondance entre Bousquet et Simone Weil (la philosophe) ; Bernard Noël fasciné par la chambre légendaire du poète ; Edith de la Héronnière se concentrant sur "la nuit à Carcassone", mais aussi Jean-Pierre Téboul, Paul Giro, Christine Michel, Adriano Marchetti, Olivier Houbert, Alain Freixe, Yolande Lamarain, ainsi que des inédits de Joë Bousquet lui-même, bref, un dossier substantiel définissant l'apport du regard de Joë Bousquet à la langue, à la conscience, à la vision poétique. Bravo NUNC, revue vivante, donc.

Plus loin, nous trouverons des poèmes, dans la partie Shekhina, de Bernard Grasset, puis de trois poètes grecs : Olga Votsi, Jeanne Tsatsos et Yorgos Thèmelis, traduits par le même Bernard Grasset.

Puis un cahier consacré à deux poètes polonaises contemporaines : Ewa Lipska et Krzysztof Siwczyk, introduit et traduit par Isabelle Macor-Filarska.

Un superbe numéro, faisant date, témoignage d'un travail de résistance dans la grande collaboration généralisée.

 

 




Revue Lettres n°1 : Philippe Jaccottet

Philippe Jaccottet : « Juste le poète »

 

     C’est l’année Jaccottet. Pas encore prix Nobel, mais cela ne saurait tarder (enfin, on l’espère). 2014, c’est d’abord l’entrée du poète dans la Grande bibliothèque de la Pléiade. Il est le 15e auteur vivant à y être publié (le 3e poète après René Char et Saint-John Perse). Voici aujourd’hui, en ce printemps 2014, un important ouvrage qui lui est consacré, sous le titre Philippe Jaccottet, juste le poète, dans le premier numéro de la revue/livre Lettres.

         Il y a toujours le risque d’articles redondants dans ce genre d’ouvrage. Il y a aussi le risque d’un décorticage scolaire des œuvres. Ce n’est pas le cas ici. Différents auteurs (écrivains, poètes, universitaires) proposent une approche multiforme du grand poète né à Meudon en Suisse, en 1925, et résidant à Grignan dans la Drôme depuis de très nombreuses années.

     L’ouvrage débute, d’ailleurs, par des témoignages sur des rencontres avec le poète à son domicile : une demeure sous les remparts de Grignan, un jardin auquel il tient beaucoup, des tableaux d’amis sur les murs et, surtout, la compagnie d’une épouse elle-même artiste. Cet environnement, on le sait, est fondamental dans l’œuvre de Jaccottet. Le paysage – au pied du Mont Ventoux – y tient un rôle essentiel. « Pour Jaccottet, note avec justesse Jean-Marc Sourdillon, un des fins connaisseurs de son œuvre, « les images sont données principalement dans les paysages naturels, mais il arrive aussi qu’on les trouve dans les grandes œuvres de l’art (…) C’est dans l’approche, la découverte ou l’approfondissement de ces images que consiste le travail de l’écrivain. Il suffit de lire La Semaison pour s’en rendre compte ».

         Mais, combien de fois Jaccottet n’a-t-il pas mis en garde contre les mots et les images. « La plus extrême économie de moyens est évidemment requise, note Florence de Lussy, et le modèle pour Philippe Jaccottet demeure le modèle abrupt et énigmatique du poète Hölderlin ». D’où l’attirance, aussi, du poète pour la forme du haïku (il s’y essaiera d’ailleurs) et cette volonté de parler au plus près de ce qu’il éprouve.

    Jean-Pierre Lemaire le relève : il y a chez Jaccottet « la priorité du réel, qu’il soit merveilleux, terrible ou quotidien, par rapport aux mots, priorité dont le respect conditionne la justesse de ceux-ci, leur crédibilité ». Le poète de Grignan n’écrivait-il pas lui-même dans La Semaison (Gallimard, 1984). « La difficulté n’est pas d’écrire, mais de vivre de telle manière que l’écriture naisse naturellement. C’est cela qui est impossible aujourd’hui, mais je ne peux pas imaginer d’autre voie. Poésie comme épanouissement, floraison ou rien. »

        En quête de justesse, le poète a toujours manifesté son « refus de toute forme de mensonge » (Taches de soleil ou d’ombre, Le Bruit du temps, 2013). Sa voix juste et discrète participe, souligne opportunément Judith Chavanne, de cet effort pour « trouver, retrouver le sentiment de l’existence ».

                                                                                                        

Philippe Jaccottet, juste le poète, revue Lettres, N°1, printemps 2014, éditions Aden, 310 pages, 24 euros.




Passage en revues

Autour de : la main millénaire (7), Siècle 21 (24), Arpa (109), N47 (25) et Cahiers Mounier (1)

 

 

Nous évoquons souvent les parutions de la très belle (et cohérente) revue de Jean-Pierre Védrines. La main millénaire, en son 7e numéro, s’ouvre sur Jacques Gil, textes et poèmes qui plongent dans les racines du château de Montlaur. On sent ici la proximité de la revue et du poète avec les terres ocres du sud. Une vingtaine de poètes ensuite, dont Salih Bolat, Françoise Védrines (« où poussent les racines de l’arbre / se penche la nuit aux yeux de louve »), Jean-Claude Xuereb, André Vinas (duquel on aimerait lire de nouveaux textes au sujet de la poésie de Paul Pugnaud), Quine Chevalier, ou Jean-Pierre Védrines. La moisson est forte. Plus loin, des textes de Lydia Padellec dont le Pénélope rappelle le caractère profondément sacré du Poème, Nikos Bazianas, Colette Nys-Mazure, Jo Pacini ou André Morel… La main millénaire est porteuse d’âme, quelque chose d’un sud, un sud ouvert au monde. A lire.  

 

La main millénaire, numéro 7, automne 2013/ hiver 2014.
Rédaction : Jean-Pierre Védrines
Email : jean.pierre.vedrines@cegetel.net
Le numéro 15 euros. Abonnement pour trois numéros : 36 euros.

 

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Treizième année et 24e numéro de la sérieuse et de référence revue Siècle 21, que l’on trouve de plus en plus régulièrement dans diverses médiathèques, signe de la légitimité acquise au fil du temps. Les dossiers de la revue y sont pour beaucoup, sa capacité aussi à remarquer et publier des voix qui comptent dans la littérature et la poésie française contemporaine. Ce nouveau numéro ne déroge pas à la règle, avec un somptueux dossier sur « Prose et poésie afro-américaines » concocté par Marilyn Hacker (« Intérieur noir »). Le dossier s’ouvre sur un texte d’Elizabeth Alexander traduit de l’anglais par Catherine Pierre-Bon : « Nous sommes trop souvent prisonniers du réel, piégés dans les fantasmes de « l’authenticité nègre » qui dicte la seule façon dont nous existons vraiment dans la doxa avec ses fantasmes d’authenticité. Echapper à la force de l’imagerie qui nous entoure n’est pas un mince exploit ».  Cela fixe l’objet. Côté poésie : Robert Hayden, Gwendolyn Brooks, Marilyn Nelson, James Emanuel (dans des traductions de Jean Migrenne), la superbe poésie de Michael Harper, traduite par Alice-Catherine Carls, un poète dont nous reparlerons dans Recours au Poème, Quincy Troupe ou encore Yusef Komunyakaa, Evie Shockley… Impossible de tout citer. De nouveau un numéro dont le dossier fera date. 130 pages tout de même. Une plongée heureuse et nécessaire dans le monde des littératures afro-américaines.

Outre les chroniques habituelles, ce numéro de Siècle 21 propose aussi un étonnant dossier intitulé « Escaliers », où l’on trouvera des poèmes de Werner Lambersy, Linda Maria Baros ou encore Gabrielle Althen, ainsi qu’un beau texte de Brigitte Gyr. Ecrivains/poètes que l’on retrouvera aisément dans nos pages. Un pic de bonheur personnel : le poème d’Amina Saïd, Le vieil homme dans la rue.

 

Siècle 21, numéro 24, printemps/été 2014.
2 rue Emile Deutsch de la Meurthe, 75014 Paris.
Email : revue.siecle21@yahoo.fr
http://siecle21.typepad.fr
Le numéro 17 euros. Abonnement pour deux numéros : 30 euros.

 

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Gérard Bocholier est un poète dont nous aimons l’œuvre, forte, éditée chez des éditeurs de talent, souvent défenseurs de la poésie profonde, compagnon de route amical et intellectuel de Recours au Poème, directeur de cette belle et ancienne revue, Arpa, qui fait partie du paysage de la poésie authentique en France. Arpa a sans aucun doute publié toutes les voix importantes des trente dernières années (ou presque), et d’ailleurs la revue prépare son trentième anniversaire pour 2016. Ce numéro 109 s’inscrit dans la tradition de la revue, proposant des textes de Pierre Delisle (comme en hommage au fondateur d’Arpa), Pierre-Alain Tâche, Judith Chavanne, Isabelle Raviolo, Josette Ségura, Colette Nys-Mazure, Claude Tuduri, Myriam Eck, Jean-Jacques Nuel, Jean-Pierre Farines, Paul Farellier, Matthieu Magne… Choix personnel dans un ensemble bien plus riche que cela. On lira aussi avec attention le texte d’Eric Dazzan consacré à André du Bouchet, que nous considérons ici comme un immense poète. Arpa, c’est une masse de granit dans le paysage de la poésie française.

 

Arpa, numéro 109, mars 2014.
Gérard Bocholier. 44 rue Morel-Ladeuil. 63000 Clermont-Ferrand.
www.arpa-poesie.fr
Abonnement pour quatre numéros : 38 euros.

 

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Un « gros » numéro 25 de la revue N 4728 maintenant devenue N47. Essayons de comprendre cela grâce à l’éditorial : une simplification demandée par les lecteurs. Bon… cela change sans doute des choses mais… pour nous peu de choses. Nous retrouvons une revue intelligente au format allongée original. L’ancienne rubrique Mémoire vive est devenue Plein format et ouvre ses pages au poète Serge Nunez Tolin et à son sens de la marche. Viennent ensuite les poèmes de Cécile Guivarch, Marie Huot et Thierry Froger.

Un cahier plastique étonnant associe poèmes et photographies d’Amandine Marembert et Michel Durigneux. Un autre de Philippe Longchamp et Nélida Medina donne à lire et voir de « bonnes années ».

Place aux paroles poétiques diverses ensuite, ou plutôt « plurielles » selon la nomenclature de la revue. Parmi de nombreuses voix : Eric Fried, Jean-Marc Gougeon, Régis Lefort, Isabelle Lévesque, Béatrice Machet-Franke…

N47 est aussi un lieu de pensée de la poésie, autour de « traduire/écrire », avec quatre contributions. Viennent enfin des notes de lecture.

 

N47, numéro 25, janvier 2014.
Direction  Christian Vogels.
n4728@zythumz.fr
Abonnement pour deux numéros : 25 euros.

 

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Les Cahiers Emmanuel Mounier prennent la suite du Bulletin des Amis de Mounier, sous la direction du penseur/poète/traducteur Yves Roullière. Le comité de rédaction réunit les hommes/écrivains qui, à juste titre, considèrent que la pensée de Mounier parle encore et toujours pour aujourd’hui, certains écrivant aussi dans Esprit. La revue est la face visible de l’association des amis d’Emmanuel Mounier, laquelle travaille à maintenir en lumière cette œuvre fondamentale du 20e siècle, et la question du personnalisme. C’est un gros et ardu travail, mené de longue date, par des penseurs comme Guy Coq par exemple, aujourd’hui en retrait, et maintenant sous la houlette d’Yves Roullière. Un travail absolument nécessaire.  Au sommaire de ce premier numéro : des articles de Mounier présentés par Yves Roullière, la reproduction d’un entretien avec le philosophe (1949), et un dossier sur l’expérience africaine de Mounier. Une revue que nous conseillons chaudement, pour cette simple raison que la pensée de Mounier et de la revue Esprit sont des axes de résistance pour maintenant.

 

Cahiers Emmanuel Mounier, numéro 1, 2014.
Rédaction : Yves Roullière
www.emmanuel-mounier.org
Le numéro : 10 euros.

 

 




La revue Mwa Vèè dédiée à la poésie kanak

La poésie kanak face au monde : produire du nouvel endogène

 

Une vision poétique du monde se déployant selon ses propres règles et concepts. C’est ainsi que la revue d’expression culturelle néo-calédonienne Mwa Vèè décrit la poésie kanak dans son numéro 33 de 2001, consacré aux écritures poétiques océaniennes.

Nous avons trouvé fortement pertinent de remettre au goût du jour ce numéro daté de Mwa Vèè qui met en lumière la démarche à l’œuvre dans la poésie kanak, en raison de l’optique adoptée d’une valorisation et d’un encouragement à la production de formes endogènes de pensée dans les pays anciennement colonisés – notamment en Océanie. Il s’agit, dans la même perspective énoncée par Subramani, d’aller vers une décolonisation, voire une « déshégémonisation » des processus de savoirs et de créativité des peuples autochtones, par la réappropriation des modes de production de leurs savoirs scientifiques ou créatifs (Subramani 2003).

Le numéro 33 de Mwa Vèè consacré à la poésie kanak prenait d’ailleurs comme précaution liminaire d’écarter d’emblée toute définition de la poésie kanak « au sens académique du terme ». Mwa Vèè, fondée en mai 2013, est éditée par l’Agence de Développement de la Culture Kanak (ADCK), basée à Nouméa, Nouvelle-Calédonie. Dirigée par Emmanuel Tjibaou, fils du leader kanak historique Jean-Marie Tjibaou, elle a pour rédacteur-en-chef Gérard del Rio. Son titre est tiré de la langue djubéa, l’une des quelque vingt-huit langues kanak encore existantes ; il propose de traduire l’idée de journal ou plus précisément, de « contenant de paroles ». Valorisant la dimension contemporaine des  cultures et expressions artistiques kanak,  Mwà Véé s’attache à « proposer des pistes de réflexion sur la société kanak d’hier et d’aujourd’hui », en particulier sur ses valeurs fondamentales, son rapport au monde extérieur et ses processus d’adaptation à la modernité.

Dans ce numéro 33 consacré à la vision poétique kanak du monde, les auteurs insistent sur le fait qu’il ne faut pas chercher à qualifier la poésie kanak en ayant recours à des références extérieures, car, comme le souligne Albert Sio, «  c’est une poésie qui se développe selon ses propres concepts ». « La poésie kanak n’a pas de règle définie. Elle est sa propre règle et sa propre mesure », lui fait écho le pasteur Wanir Wélépane, qui proclame lui aussi avec force la liberté de cette poésie kanak loin de tout standard ou modèle connu.

Les deux poètes observent d’ailleurs que, si la poésie n’est pas nommée en tant que telle dans les langues kanak, elle n’en fait pas moins « complètement partie » de ces langues. Nicolas Kurtovitch appelle d’ailleurs poésie « kanak » non seulement la poésie écrite en langue kanak (définition stricte qui excluerait alors les jeunes poètes kanak qui ne connaissent pas leur langue) mais aussi la poésie écrite par des Kanaks quelle que soit la langue utilisée.

La poésie kanak ne se limite donc pas à être une forme d’expression, explique Gérard del Rio dans son éditorial. « Spontanée quand l’occasion le permet, codifiée quand la situation s’impose », la poésie kanak répond à sa manière « à un désir ou un besoin d’expression de la pensée, de la sensibilité », et constitue ainsi avant tout une « perception poétique du monde ».

Dégagée du passage au crible des canons académiques, la compréhension de la poésie kanak comme forme d’expression et perception du monde obéissant à des règles intrinsèques, implique la prise en compte du statut de la langue et de la culture kanak comme langue et culture autochtones devant négocier leur rapport avec la culture occidentale colonisatrice, et plus largement, avec la modernité. Il ne s’agit pas seulement de la préservation d’un patrimoine culturel et mémoriel kanak, mais de son dynamisme actuel. Ainsi, Wanir Welepane note chez les poètes kanaks une évolution dans les manières de parler des choses et de les écrire. « Du temps des vieux », parler de sexe ou d’amour était tabou, il fallait utiliser un langage caché, maintenant on dit les choses telles qu’elles sont, observe le pasteur et poète kanak, qui s’attache d’ailleurs à moderniser l’approche poétique. 

Relevant à l’origine d’une culture de l’oralité, la poésie kanak fait d’abord appel à l’art oratoire. Elle s’exprime ainsi dans divers domaines allant du chant à la danse en passant par les contes, les légendes, les dictons, les mythes... Mais, la colonisation étant passée par là, la poésie kanak s’exprime désormais sur deux registres : « tantôt par l’oralité dont elle possède une grande maîtrise, tantôt par l’écrit dont elle s’accommode de plus en plus aisément », observe Gérard del Rio. Ayant pour base la parole, considérée comme ayant un pouvoir particulier,  la poésie kanak en se déployant vers le monde de l’écriture,  constitue un « moyen de fixer la pensée », et à ce titre elle revêt une importance en termes de continuité sur plusieurs plans : « dans la continuité du souffle des ancêtres, du souffle actuel, de celui de la nature », affirme Albert Sio.

Face à la culture occidentale, et à la modernité apportée par cette dernière, il s’agit pour la poésie kanak de se poser sans s’opposer : ainsi, les poètes kanak de la revue Mwa Vèè conçoivent la poésie kanak non pas dans une relation d’antagonisme avec la poésie calédonienne, mais au contraire dans un rapport de définition mutuelle avec cette dernière. Poésie kanak et poésie calédonienne, inspirées par un environnement commun même si elles le traduisent distinctement à travers leur propre vision du monde, se « nourrissent » l’une de l’autre, s’inscrivant en cela « dans l’esprit d’ouverture politique approuvée par une majorité des gens de ce pays », affirme Nicolas Kurtovitch.

Il n’empêche que le rapport à la modernité peut être vécu sur un mode obsidional, comme l’exprime Jimmy Oedin, qui pour sa part pratique l’écriture « parce que j’ai peur que notre identité océanienne soit broyée par la société occidentale et que cet espace océanien devienne inaccessible » et qui est d’avis qu’« il faut qu’on dise cette peur-là aux piranhas de la consommation qui veulent nous dévorer ». Du coup, la reconnaissance de la poésie en tant qu’expression de l’identité kanak et comme richesse possible à partager n’est pas un processus sans danger. Son dévoilement entraîne l’appréhension de « se voir brimé, muselé », et dans ce dévoilement, « de n’être pas sûr de la valeur de ce que l’on propose », explique Ben Hombouy. « Est-ce que le fait d’en parler, de l’officialiser, ce n’est pas aussi se trahir, se laisser envahir par d’autres cultures, par les cultures modernes ? », s’interroge cet enseignant kanak.

Quant à la question du rapport avec la mémoire, le patrimoine culturel kanak n’est plus seulement conçu comme « une source de documentation sur “d’où on vient” et d’information sur “de là où on est” », mais comme une source importante pour une identité artistique « riche, très puissante ». De l’avis de Jimmy Oedin, la poésie kanak peut ainsi s’appuyer sur un héritage conservé de plus de  100 ans constitué d’archives kanak en langue, un patrimoine très riche « qu’il faut faire sortir et faire vivre ».

Au cœur du rapport entre modernité et tradition, la question de la création ne relève plus seulement du souci de préserver une tradition qui se perd, mais aussi d’arriver à produire du nouveau au sein de celle-ci, du nouvel « endogène ». Une telle démarche relève bien de la production d’épistémologies endogènes par les peuples autochtones d’Océanie identifiée par Subramani. Au-delà de la nécessité d’aller vers une « déshégémonisation » des pratiques et des savoirs imposés par l’Occident ou la globalisation, ce qui est en jeu dans le processus, rappelait ce chercheur fidjien, c’est bien la nécessité pour les peuples autochtones de préserver voire d’encourager la production d’« épistémologies locales »[1] afin d’exister en tant que « communautés créatives », capables de se réapproprier une autorité intellectuelle et de créer les conditions de leur propre bien-être en fonction de valeurs intrinsèques et non plus importées.

http://www.adck.nc/patrimoine/mwa-vee/presentation

 

Quatre-Bornes, Ile Maurice

 


[1] Subramani, “Emerging Epistemologies”, in South Pacific Litteratures, Emerging Litteratures, Local Interest and Global Significance, Theory Politics, Society, Noumea, Nouvelle-Calédonie, 20-24 octobre 2003

 




Ecrit(s) du Nord

 

           Jean Le Boël, le maitre d'œuvre des éditions Henry, propose depuis bientôt vingt ans la revue Ecrit(s) du Nord. Cette revue alterne les recueils d'inédits et les contributions organisées autour d'un thème précis. Cette livraison nous offre le mariage des deux principes observés depuis la création de la revue. Des échanges entre poètes, de notoriétés différentes (la notion de notoriété reste toute relative en matière de poésie, désormais que la critique et les journaux ont décidé d'ignorer absolument ce pan de la création. Aussi dans le petit milieu bien clos de la poésie, des noms brillent comme des amers tandis que ces mêmes noms ne représentent strictement rien en dehors de ce milieu dont la société du Spectacle a su organiser le confinement).

            Le principe de cet échange est original : chaque poète a envoyé un poème et en a reçu un, sur lequel il écrit, du destinataire de son envoi. Au cœur de cet échange, donc, la notion de l'accueil, et de ce que nous faisons de cet accueil des paroles de l'autre.

          Nous avons plaisir à souligner les échanges entre Judith Chavanne et Jean-Marc Sourdillon, d'une profondeur réjouissante, échange de haute intelligence prouvant le potentiel architectural du poème dans l'aujourd'hui déconstruit ;  entre Max Alhau et Jean-Louis Rambour, échange fait de questions-réponses permettant à Rambour de développer ce qui se trame dans les poèmes qu'il a envoyé à Max Alhau, trame passionnante éclairant la démarche singulière et la sémantique de ses poèmes. Entre Etienne Paulin et Jean-Baptiste Pedini ; Pierre Dhainaut et Sylvie Fabre G, Rémi Faye et Werner Lambersy, l'un offrant trois poèmes à l'esprit haiki lorsque l'autre donne une cascade alchimique revigorante, les deux se répondant par lettres interposées. Entre Romain Fustier et Cécile Glasman, entre Luce Guilbaud et Marie Huot échangeant des poèmes, et se répondant par poèmes, entre Cécile Guivarch et Amandine Marembert, entre Gilles de Obaldia et Jean-Christophe Ribeyre, entre Carmen V. et Marie V.

            Ce que propose Jean Le Boël à travers cette idée d'échange est essentiel : le langage du poème contient une résonnance intérieure fondamentale propre à éclairer le monde dans lequel nous vivons. A l'éclairer, mais aussi à agir sur lui d'une manière que ne peut aucun autre langage. Cet échange est un acte, celui, démonstratif, des application bénéfiques du Poème si peu entendu. C'est aussi un acte de re-familiarisation d'une parole que la modernité juge obscure et inintelligible quand elle est pourtant le langage naturel et premier du genre humain.

            Cette idée d'échange développée par Ecrit(s) du Nord est peut-être le signe que le poème veut être lu et entendu. Nous espérons que l'exercice auquel se livre chaque poète de ce magnifique dossier sera imité dans un avenir proche par les critiques des grands journaux, capables, eux aussi, d'inviter à l'importance de la poésie par leurs analyses et leurs comptes-rendus de ce qui se joue par les livres de poésie, à savoir une autre connaissance du monde.

            A ces échanges succède la proposition de poèmes inédits, signés par des poètes venus de tous horizons. Nous ne citerons pas tous les poètes, offrant ici un seul poème. Notre attention s'est portée sur le poème de Mathieu Hilfiger, LES SORBIERS, poème en prose d'une telle maitrise que le lecteur appelle de ses vœux la publication chez un bel éditeur d'un livre rassemblant une effloraison de poèmes de cette ampleur et de cette étoffe. La langue est impeccable, les images séminales comme une source nourrissant la végétation qui l'accueille.

       Les poèmes de Jean-Luc Le Cleac'h, de Kiko, de Fabrice Farre, de Rocio Duran-Barba, de Catherine Boudet, nous ont parlé particulièrement.

            La revue s'ouvre aussi au récit et à la nouvelle, engagement que tient Ecrit(s) du Nord depuis sa fondation.
          Un seul bémol : ne pas trouver, en fin de revue par exemple, une petite présentation des poètes.
Bémol anecdotique face à la beauté de cette livraison de Ecrit(s) du Nord.

 

 

Ecrit(s) du Nord, N°23-24, Editions Henry. www.editionshenry.com
Parc d'activités de Campigneulles F 62170 Montreuil-sur-Mer




Passage en revues : autour de Europe 1015/1016, Arpa 108 et Phoenix 11

 

Passage en revues
 

Autour de : Europe 1015/1016, Arpa 108 et Phoenix 11

 

 

 

La revue littéraire mensuelle Europe, Dame et institution que l’on ne présente plus, donne de nouveau un superbe numéro (novembre/décembre 2013) cette fois consacré à la « littérature du Maroc ». Ce dossier étant accompagné d’un autre, consacré quant à lui à Henri Thomas. Alléchant, et réussi. Au sujet de « la » (ou des ?) littérature (s) du Maroc, Hervé Sanson présente le dossier en parlant d’un « carroussel de voix et de sensibilités » et en indiquant que le Maroc n’a plus eu les honneurs d’un dossier dans Europe depuis 30 ans. De son point de vue, « cette littérature n’a jamais été aussi vivante, diversifiée et audacieuse », d’où la nécessité ici affirmée de prendre en considération ses trois langues d’écriture, français, arabe et amazigh. Le dossier donne à lire des écrivains et des poètes de trois générations, et donc aussi des voix récentes. L’ensemble commençant par un passionnant entretien entre Jacques Ancet et le poète marocain de haut vol Mohammed Bennis. Impossible d’écluser la richesse d’un tel dossier qui fera date. Disons simplement que les lecteurs de ce numéro d’Europe auront le bonheur de rencontrer l’œuvre de poètes de forte voix/voie : Mohammed Bennis, Ahmed Bouanani, Abdallah Zrika, Ali Sadki Azayku, Abdellatif Laâbi, Mohamed Hmoudane, Rachida Madani, abdel-Illah Salhi, Siham Bouhlal, Mourad Kadiri, Moha Mallal et Fatima Mouatakil. On le voit la présence poétique est dense en ce numéro. Sans compter que les études proposées sur les divers aspects du littéraire marocain contemporain sont, disons-le nettement, passionnantes. À ce dossier s’ajoute un fort bel ensemble consacré à Henri Thomas présenté par Patrice Bougon et proposant des textes de Max Alhau, Marion Spaer, Pierre Lecoeur, Patrice Bougon, Salim Jay et des textes d’Henri Thomas.

L’habituel cahier de création donne ensuite à lire diverses voix : Derek Mahon, Gérard Cartier, Etienne Faure et Jean-Théodore Moulin. On retrouvera aussi dans les pages d’Europe les chroniques et parties habituelles. Un bien beau numéro.

   

Europe4 rue Marie-Rose. 75014 Paris.
Mensuelle.
www.europe-revue.net/
Rédaction en chef : Jean-Baptiste Para et Charles Dobzynski
Le numéro : 20 euros.

 

 

La revue de poésie Arpa, dirigée par notre chroniqueur et collaborateur, le poète Gérard Bocholier, atteint son 108e numéro. On peut dire sans risque de se tromper que Bocholier publie dans ces pages, depuis bien des années, l’essentiel de la poésie française contemporaine. Ce numéro 108 met ainsi en avant l’atelier de poètes que nous apprécions tout particulièrement, Georges Bonnet, Jean Maison et Michèle Finck. Le volume donne aussi à lire (en Une) des textes de Frédéric Jacques Temple, Sylvie Fabre G, Danièle Corre. Viennent ensuite diverses voix, impossibles à citer en leur ensemble, dont celles de Max Alhau, Monique Saint-Julia, Pierre Maubé, Lydia Padellec, Line Szöllosi, Jean-Pierre Boulic ou Jean-Pierre Farines… Entre autres. Par ailleurs, Isabelle Raviolo donne une intéressante étude consacrée à Sylvie Fabre G et à son recueil Frère humain tandis que André F. Jeanjean rend un hommage nécessaire à Gaston Puel. Le tout est ponctué par l’habituelle chronique du maître d’œuvre.

 

Arpa. Gérard Bocholier. 44 rue Morel-Ladeuil. 63 000 Clermont-Ferrand. 
Le numéro 8 euros.
www.arpa-poesie.fr -

 

 

 

Onzième numéro de la revue Phoenix, inscrite dans l’histoire de Sud et d’Autre Sud, avec un dossier consacré à la poète italienne Maura Del Serra. Cet important dossier rassemblé par André Ughetto comporte des études de Girogio Barberi Squarotti, Daniela Marceschi et Lev Verscinin  en accompagnement d’une trentaine de pages d’œuvre de la poète. Ainsi :

 

Comme splendeur redevenant lumière
dans le repos du ciel, l’horizon,
la musique est le silence de la flamme
que juge dans son cœur et fait éclore en soi
l’ange qui est métaphore de toi.

 

La revue offre ensuite un très beau partage des voix, avec des textes de Yves Broussard, Dominique Sorrente, Olivier Massé, Christophe Forgeot, Nicolas Rouzet, Léo Lubeit, Jean-Pierre Cramoisan, Timoteo Sergoï, Anny Cat, Téric Boucebci et Jean Joubert. Vient après une voix espagnole : Miguel Veyrat et ses visions :

 

SOLSTICE vapeur diffuse
de la terre brûlée :
Ouvre-moi à la lumière
vérité qui danse sans but.

 

Il y a beaucoup dans ces quelques mots.

Les pages qui suivent sont celles des diverses chroniques, avec une ouverture nouvelle aux arts. A noter aussi l’hommage, tout aussi nécessaire, rendu à Gaston Puel par Alain Freixe. Phoenix est une revue clairement posée sur l’axe du monde.

 

Phoenix. Cahiers littéraires internationaux.
Direction : Yves Broussard et André Ughetto
www.revuephoenix.com
revuephoenix1@yahoo.fr
Revue Phoenix, 9 rue Sylvabelle, 13006 Marseille
Le numéro : 12 euros

 




A L’Index, n°24

La belle revue A L'Index, sous titrée espaces d'écrits, et emmenée par le poète Jean-Claude Tardif, nous livre sa vingt-quatrième livraison. Après un mot d'accueil de Tardif relevant que la poésie se porte "moins mal qu'il n'y paraît", et évoquant la vitalité de trois revues en ligne -Recours au Poème, Paysages d'Ecrits et La Gelée Rouge - comme l'image d'un phœnix que sait prendre la poésie pour continuer à être , à être "devant nous" et "en avance sur le monde", la revue s'ouvre alors sur une alternance de poèmes et de nouvelles.

Les nouvelles sont signées Michel Baglin, Jean-Claude Tardif, Didier Le Nagard, Françoise Delahaye, Jean-Albert Guénégan et la présence du vent de Roscoff, et Fabrice Marzuolo. Nous allons ici nous intéresser exclusivement aux poèmes, non pas que la création de la nouvelle ne puisse contenir du poétique, mais enfin le lieu d'élection de la poésie étant le poème, et Recours au Poème s'y consacrant exclusivement, nous laisserons aux amateurs de ces histoires courtes le plaisir de les découvrir par eux-mêmes.

Ce vingt-quatrième numéro d'A L'Index est riche, et plutôt que d'en faire une note exhaustive, nous soulignerons arbitrairement les poètes et les extraits qui nous ont davantage parlé.

Tout d'abord le poète Jean-Claude Chenut qui, à travers son beau poème Le jardin aux rives des lèvres, égrène des vers épris de mystère :

 

 

C'est une griffe de rubis,
son orient est brûlant
comme larme en mémoire.

 

Entame de poème, invite à lire cette parole liant l'écrit et le désir.

Autre registre avec Christian Leray, qui nous sert deux très beaux haïkai. Nous en reproduisons un :

 

 

Rose du matin
Au cœur de Brocéliande
Une fleur vient de prendre vie.
 

 

 

Jean-Pierre Chérès, avec i comme..., associe la verticalité à Icare, en un poème lui-même vertical de plusieurs pages :

 

Mettre sur la verticale
le point
pour i
celui final
de l'infini
le i
du rire
des fins
le cri
lapis-lazuli
l'ire
ultime
de la vie
poing dans l'azur
le ivre
sublime
de la cime
pied dans l'abîme
 

 

 

Changement de décor avec la parole de Hafsa Saifi, qui murmure presque sereinement :

 

Sur les rives du lac
La silhouette d'une femme
Qui écoute
L'eau lui dire qui elle est
L'effrayant reflet
De ses lèvres
Couvertes d'orge

 

Nous terminerons cette petite présentation en évoquant le superbe poème final, signé Marc Le Gros, Sic Transit, un poème d'un équilibre subtil entre la sémantique du dit et du non-dit, le raffinement des images muées en métaphores, la beauté de la langue tentant de dire et disant réellement l'éphémère du passage de la vie et la présence du rien. En voici le début :

 

 

Rien
 

Pas même l'os
Où fleurirait la lèpre,
Ni l'âme du feu en l'exil de
Ses cendres
 

Quelle urne jetée à la mer
Pourrait encore prendre le temps de
Mourir, quel
Abandon
 

Et quelle ivresse, surtout,
Nourrirait le soleil
 

 

Un numéro riche et l'on peut saluer l'esprit d'éclectisme de Jean-Claude Tardif qui permet à ces voix différentes de trouver lieu d'ancrage en même temps que d'appareillage. Car la poésie, en cette modernité cultivant la superficialité comme un mythe divin, relève de la haute navigation en même temps que de l'amer permettant à nos fors intérieurs d'éviter les écueils nocturnes et les naufrages sans fonds.

A L'Index, n°24, septembre 2013, 15 euros.

 




Passage en revue : Mange Monde

 

Les éditions Rafael de Surtis publient depuis plus de quinze ans de beaux livres cousus et pliés main, à l’image de la revue Mange Monde. Paul Sanda, poète et animateur des éditions a toujours aimé et développé des revues, que l’on pense à Pris de Peur autrefois et à son activité de redécouverte du surréalisme contemporain et/ou souterrain, en proximité de la revue Supérieur Inconnu de feu Sarane Alexandrian. Ces aventures font partie, si l’on veut, du « monde de la poésie », par nécessité ou accident sans doute, mais elles s’inscrivent aussi dans une autre histoire, celle d’un regard dévoilé sur le réel, et de cela la poésie est un des moyens ou bien l’un des modes opératoires. Il en est d’autres, et ils ne sont pas forcément incompatibles. Paul Sanda ne s’est sans doute pas installé à Cordes sur Ciel, en plein pays cathare, sous l’égide de Saint Michel, pour rien. La poésie, ici, est plus que de la poésie, elle touche au plus de réel autrefois revendiqué par le surréalisme, un surréalisme que l’un des correspondants habituels de Mange Monde, Patrick Lepetit, a récemment rattaché aux courants souterrains de l’ésotérisme occidental, en un essai fort convaincant.

L’un des membres fondateurs de Recours au Poème a publié ses premiers livres chez Rafael de Surtis, contribué à Pris de Peur, animé une petite collection dédiée à la fiction et coordonné, en compagnie de Paul Sanda, une belle Anthologie de l’imaginaire, en dix volumes. C’était entre 1997 et 2000, Rafael de Surtis première époque en somme. Ce n’est donc peut-être pas entièrement un hasard si Recours au Poème croise certains de ses amis, anciens ou actuels, proches ou éloignés, dans la « liste » des animateurs et des correspondants de Mange Monde : Marc Petit, Paul Sanda, Jean-Philippe Gonot, Jacques Basse, Nicolas Brard, Christophe Dauphin, Pierre Grouix…

Ce cinquième opus s’ouvre sur un texte de Marc Petit, « Aube, à jamais », que l’on voit avec plaisir fidèle à son amitié avec Paul Sanda. On reconnaît sa plume acérée et sans concession avec Das System : « D’habiles Sollers exercent leur magistère autoproclamé dans l’indifférence générale, à commencer par celle des lecteurs. Houellebecq est désigné comme un nouveau Shakespeare, le débagoulage de Christine Angot comparé à un solo de violoncelle. Profitant de l’ignorance et de la crédulité des nababs, une camarilla de singes savants réussit à faire prendre Jeff Koons, Damien Hirst ou Maurizio Cattelan pour des artistes ». Le reste à l’avenant. Et surtout : « Voilà qui nous ramène à l’aube d’été. A l’aube de tout. A cet adolescent rêveur surpris un jour par l’étrange beauté de quelques mots, troublé par eux comme par le froissement d’une robe de soie dans l’escalier. Car cela seul, cette émotion, suffocation, est poésie, et tout le reste n’est que (mauvaise), littérature, n’en déplaise aux cuistres. Vous n’avez pas changé, Marc Petit. Les pages de Recours au Poème vous sont ouvertes, sachez le. 

La parole est ensuite à Paul Sanda, en sa « chronique des temps poétiques actuels » en laquelle il poursuit son combat justifié, c’est le moins que l’on puisse dire, contre ce qu’il appelle « la poésie de patronage ». Il suffit d’avoir « lu » une fois une revue comme Décharge, pour peu que ce soit une revue, pour saisir ce que Sanda veut dire. On est ému aussi à l’évocation de l’ami poète Alain-Pierre Pillet.

Le sommaire propose ensuite de très belles choses, à commencer par un entretien revigorant avec Julien Blaine. Les revues des éditions Rafael de Surtis ont toujours fait la part belle à de longs entretiens permettant de rencontrer véritablement des poètes de « l’underground ». Vient ensuite un ensemble intitulé « Regard sur… les poètes à Voix haute », l’expression nous plaît. La hauteur de la voix est une élévation de l’âme ou du temple, quelque chose de la troisième dimension sans laquelle on ne perçoit guère le réel. On lira dans ces pages des textes de Sandra Moussempès, Yves Gaudin, Dominique Massaut, Edith Azam, Benoît Bastide dit Zob, Franck Doyen et Sandrine Gironde, Pierre Soletti. Un second entretien pointe ensuite son nez, comme il est d’usage dans Mange Monde, cette fois avec Jean-François Bourdic, un des créateurs des éditions Les fondeurs de briques, à Toulouse. La dernière partie, « Créations actuelles », donne la parole à Frédéric Vitiello, Pierre Mironer, Eric Barbier, Almosnino, Irène Gayraud, Julien Grassen Barbe, Jean-Jacques Dorio, Alain Raguet et Michel Carqué.

Tout cela forme un ensemble de grande force, affirmant une identité claire et sans discussion, avec laquelle tout un chacun ne sera pas en accord, on s’en fiche, le propre d’une revue est d’être… une revue. Le lecteur ferme ces pages en se disant qu’il lira le prochain Mange Monde avec gourmandise.

 

revue Mange Monde n° 5/juin 2013
Directeurs de publication : Paul Sanda et Serge Torri
Rédacteur en chef : Vincent Calvet
Editions Rafael de Surtis. 7, rue Saint Michel. 81170 Cordes-sur-Ciel.

      Le numéro : 15 euros.




Passage en revues

IntranQu’îllité, la revue mise en œuvre par James Noël, qui a son port d’attache en Haïti, se présente comme « revue littéraire et artistique », et ne dédaigne pas la poésie, bien au contraire. James Noël donne un éditorial tout en foi en l’art et en l’action de ce dernier sur le concret du monde. Le maître d’œuvre de la revue écrit : « Portée par le chaos, la revue fraie son chemin, dans le flou de l’heure. Et nous, nous assurons pour la forme, le dosage d’un imaginaire en overdose ». Puis : Nous avons opté, façon boîte noire, pour un outil qui capte des vibrations, avec une périodicité annuelle. Produire des rêves, fixer des vertiges une fois l’an, n’est-ce pas une façon écologique de (se) penser sans polluer le ciel mental, sans brûler la nuit en soi ? ». Tout lecteur un peu habitué de Recours au Poème comprendra aisément que nous nous reconnaissions dans ce programme. L’architecture d’ IntranQu’îllité fonctionne par thèmes successifs. Ainsi, en ce second opus :

8 textes autour de « Jorge Luis Borges, l’œil du maître », forment « l’épicentre » de ce numéro. James Noël et sa complice Pascale Monnin ont sollicité des écrivains, des plasticiens et des photographes passionnés par l’œuvre du maître ici choisi, Borges. Ce sont des voix diverses et engagées, globalement très à gauche : Chao, Ramonet ou Depestre par exemple. On lira aussi les tons d’écrivains tels que Hubert Haddad, Christian Garcin ou Dany Laferrière. La revue met le curseur haut.

IntranQu’îllité s’intéresse ensuite au « Che comme métaphore ». Chaque écrivain appelé à contribuer à cette partie s’est vu demandé de raconter sa rencontre avec le Che par « le prisme de la littérature ». Cela donne un ensemble de très belle facture dans lequel on peut lire des textes de Francis Combes, Ernest Pépin ou Yahia Belaskri, entre autres. Le dossier se termine par un entretien avec Ramiro Guevara.

Troisième morceau d’architecture : « Tous les vents du monde », orchestré par Valérie Marin La Meslée, « Bons vents vivants de tous les mondes en un seul, magnifiquement épars ». On trouve trois poèmes d’Adonis, poète que nous considérons ici comme l’un des grands poètes des profondeurs vivant, des textes de Diamanka, Pierre-Marc de Biasi ou Arthur H.

Vient ensuite la partie qui a priori concerne le plus Recours au Poème : « De la poésie avant toute chose ». On ne saura mieux dire, autant en ce qui concerne l’ordre des priorités que le réel de l’origine de la vie. La poésie est ce qui est venu en premier. Et son chant est une quête perpétuelle et cyclique d’un retour constructif de et vers l’Origine. C’est ce que nous pensons ici. Accompagnés de belles photographies et/ou reproductions d’art, on lira des poèmes de Fabian Charles,  Enna Saplum, Henri Poncet, Alex Laguerre, Paul Wamo, Cécile Desmaisons, Gilbert Bourson, Martine Salmon, Madeleine Monette, Massimo Saidel, Eliphen Jean, Michel Vézina, Arnaud Delcorte, Antoine-Hubert Louis, Felwine Sarr, Franz Benjamin, Bernard Noël, Nadol’s, Anne Mulpas, Charles Dobzynski, James Noël, Jacques Taurand et Paul Harry Laurent. Le choix est à la fois diversifié et de qualité.

Ce second numéro d’IntranQu’îllité se prolonge le temps de trois autres fortes rubriques : Coq à l’âne, Villa Médicis, Retours en aller simple.

A lire.

 

revue IntranQu’îllité n°2, mai 2013

Directeur/ Maître d’oeuvre : James Noël

La revue est annuelle

Contact : passagersdesvents@gmail.com

 

N4728 propose ici sa 24e livraison, et s’affirme une fois de plus comme l’une des très belles revues de poésie du paysage littéraire français. C’est du reste plus qu’une revue, un laboratoire de travail et de recherche, aspect accentué en cet opus par la création d’une nouvelle rubrique pensant la poésie : Sentiers. Le comité pose une question à plusieurs poètes, ici : Lire la poésie contemporaine ? On trouvera des réponses de Bourg, Deyrolle, Emaz, Gellé, Jouan, Vogels et un entretien avec Florence Trocmé, animatrice du site Poezibao. Nous aimons bien cet espace et en faisons régulièrement la « promotion » dans Recours au Poème, y compris sur les réseaux sociaux. Sentiers offre un ban d’essai convaincant qui donne envie de lire la suite, avec des voix diverses (ce qui est annoncé d’ailleurs par le directeur de la publication).

Du côté des poèmes, le sommaire est très riche. On lira, entre autres, les forts poèmes ou textes de Dugardin, Baumier, Dudouit, Girard, Le Lepvrier, Le Penven, Hanea, Peigné, Torlini… Des voix diverses qui rendent comptent en partie de ce qui s’écrit maintenant.

Ce numéro commence, comme à l’habitude de N4728, par la mise en avant de trois voix singulières et reconnues : Ludovic Degroote, Jacques Ancet et Dominique Dou.

L’ensemble forme un numéro qu’il convient de se procurer. Ceux qui ne connaissent pas encore N4728 et qui aiment la poésie feraient bien d’aller faire un tour du côté de ses pages.

 

revue N4728, numéro 24, juin 2013.

Direction : Christian Vogels

Comité : Antoine Emaz, Albane Gellé, Alain Girard-Daudon, Yves Jouan, Christian Vogels.

Contact : n4728@zythumz.fr

Le numéro : 12 euros

 

 

La revue Bâtarde, en son second numéro, s’attaque au bonheur. C’est pourquoi sa couverture s’orne de la photo d’un skieur « heureux », accroché à la barre d’un remonte-pente. Une image à la Philippe Muray, celle d’un homo festivus contemporain. L’équipe (clandestine) de Bâtarde ne manque ni d’humour ni de cynisme, un tantinet situationniste même, cette belle revue, tant en ce qui concerne son contenu que sa forme ou son fond artistique. Du papier aux œuvres d’art en passant par les textes et les photos. Elle tient son quartier général et son comité central en Belgique, probablement du côté de Bruxelles.

Ici l’on dit que « le dialogue entre usagers conscients du monde examine de près les possibles infrastructures du bonheur et de son oppression à l’échelle intime tout autant qu’à l’échelle sociologique » et que « Pierrot rit à pleines dents, dents jaunes ». Nous sommes en complet accord avec cette critique du monde contemporain, que l’on retrouve par ailleurs, du côté du théâtre, dans les travaux en cours d’un dramaturge comme Falk Richter. On retrouve le côté prolongements d’un certain situationnisme dans l’organisation des pages de la revue : les auteurs conviés sont listés au début, avec indication des pages où on peut les lire, et ensuite les textes ne font pas apparaître de nom d’auteur. Cela donne une forte unité à l’ensemble, faisant ressortir d’ailleurs l’intelligence du travail des acteurs de la revue. On lira ou on découvrira les œuvres plastiques de Blondeau, Dejaeger, Ergo, Gosselin, Jacobs, Dreszniak, Pennequin, Baumier, Tholomé, Nisse… Et bien d’autres. Cette revue n’est pas de celles qui cumulent des textes sans pensée, c’est une vraie revue littéraire, et donc politique. Il y a quelque chose d’un regain de l’avant-garde dans ses pages. A se procurer absolument.

 

revue Bâtarde, numéro 2, juin 2013

apériodique

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