Passage en revues

Les Chroniques du ça et là, la revue de Philippe Barrot, n’est pas à proprement parler une revue « de poésie » mais elle propose des textes poétiques et des poèmes. Les numéros 2 et 3 s’organisent autour d’un thème, écriture et ordinateur, de fictions, de nouvelles, de poèmes, de textes inclassables. Le numéro 2 poursuit un travail autour de la fiction, sous toutes ses formes, et étudie les effets de la technologie sur la critique littéraire, la lecture, l’écriture… Philippe Barrot choisit ensuite d’inscrire sa revue dans le présent historique en publiant des textes qui s’apparentent à des journaux ou des carnets. On lira, par exemple, Atom-Nâmeh (l’épopée de l’atome), d’Iraj Valipour, passionnante plongée dans l’Iran actuel ou récent. Viennent ensuite des nouvelles, de superbes photos, et enfin des poèmes inédits de Marie Gabriel Guez Ricord, publiés sous le titre de Lacrima Verrae. Le numéro 3 présente un document d’actualité, étant donné les commémorations à venir : des extraits du journal inédit d’un poilu dont le nom n’a pas été retrouvé. C’est toujours impressionnant de lire ce genre de document, de se souvenir qu’il y a cent ans, simplement cent ans, les grands pères de nos pères vivaient cette atrocité : 14-18. Puis, le sommaire donne à lire L’intranquille assoupie, de belles notes sur Lisbonne, évidemment, signées Philippe Barrot. Vient ensuite un fort texte de Jorge Aravena, Jeunesse au Chili, sur l’époque de Pinochet, et l’enfance sous la dictature. Toujours de superbes photos, une dizaine de nouvelles, et un ensemble intitulé « Poésie persane & post-islamisme », présenté par Sepideh Jodeyri, dossier qui à lui seul légitime l’acquisition de ce troisième numéro des Chroniques du ça et là.

 

Revue Chroniques du ça et là.

Directeur : Philippe Barrot

La revue est semestrielle.

75 rue d’Hautpaul. 75019 Paris.

http://www.chroniques-du-ca-et-la.fr/970A5236-B7BF-4349-BCF3-3F7960E3A85D/Accueil.html

Le n° : 12 euros

Abonnement : 19 euros pour deux numéros.

 

 

Troisième numéro de la revue internationale de poésie de Paris Sorbonne, Place de la Sorbonne, née en même temps que Recours au Poème. Un beau pavé de près de 300 pages comme à son habitude. L’aventure est menée par Laurent Fourcaut et on retrouve quelques amis proches de nos pages au sein de son comité de rédaction, Joëlle Gardes ou Pierre Maubé par exemple. La revue propose un entretien éclairant et fort intéressant avec Jean-Pierre Siméon, puis une vingtaine de poètes de langue française, dont Lionel Bourg, Laurent Demoulin, l’atelier superbe de Pierre Drogi, Dominique Grandmont, Philippe Mathy ou James Sacré. Ensuite, une partie « langues du monde » avec des traductions provisoires de beaux textes de la poète bulgare Kéva Apostolova, ou encore ceux de l’américaine Rosanna Warren. La partie « contrepoints » donne à lire de très beaux poèmes de José Angel Cuevas, en compagnie d’œuvres de Manuel Torres. Enfin, on est heureux de pouvoir lire les réflexions de Michel Deguy sur la poésie et la quête du sens. Quelle autre question en effet ?

 

Revue Place de la Sorbonne.

Rédacteur en chef : Laurent Fourcaut.

29 rue Boursault. 75017 Paris.

Mail : pls@edrelief.fr

La revue est éditée par les éditions du Relief.

Le numéro : 15 euros.

 




Arpa, n°106–107

 

Au mitan du printemps 2013 a paru le dernier numéro de la revue de Poésie Arpa, numéro double agrémenté d'une belle couverture bleue sur laquelle est reproduite une carte du monde, peuplée du mot poésie. Le titre choisi pour ce printemps est mappemondes.

Nous entrons, dès la couverture, dans une énigme : quelle est la raison de ce pluriel appliqué au mot mappemondes alors qu'une carte uniforme représente la terre habitée de poésie ?

L'explication la plus évidente, celle se faisant jour dès que nous tournons les pages de ce numéro d'une richesse exceptionnelle, réside dans le fait que pour Arpa, il y a des mondes poétiques, et non un seul. Ce numéro 106-107 met à l'honneur des poètes du Portugal, de Chine, d'Allemagne, d'Espagne, des USA, d'Italie, du Japon, de Grande-Bretagne, du Maroc, du Cameroun, d'Irlande, du Brésil, de Suisse, du Canada, etc... Il y aurait donc des mappemondes poétiques. Mais alors, pourquoi avoir reproduit la carte de notre monde actuel, avec la répétition du mot poésie comme garant de l'unité de cette carte ?

Cette interrogation nous conduit soudain à relativiser notre interprétation de la sémantique de couverture, et à considérer l'affaire d'une toute autre façon. Il y aurait donc la poésie, mais, selon le titre, plusieurs cartes du monde. Et celle que choisit de représenter Arpa sur sa couverture est la carte de la poésie. A l'exclusion d'autres cartes, ne contenant pas le poème.

Nous pouvons donc lire cette couverture du dernier Arpa comme une discrète revendication : la carte du monde poétique vient se sur-imprimer sur la carte du monde actuel. Il y aurait donc deux cartes, deux mondes, et Arpa, silencieusement, humblement, prend acte de la partition du monde : celle opposant la poésie, qui est la vie si l'on considère, comme Baudelaire, que Poésie et Vie étaient un ; et celle ignorant la poésie, donc ignorant la vie et travaillant pour le nihilisme totalement organisé ayant pénétré toutes les couches de notre culture, de notre complexion humaine, des structures de la société, des rapports de genre, de notre appréhension de la terre, etc...

Nous ne sommes plus dans la prophétie de la catastrophe, nous ne sommes plus dans l'annonce d'un conflit mondial imminent, nous sommes aujourd'hui entrés dans la partition du monde, et cette partition divise le monde en deux : le nihilisme organisé par le Simulacre, et la Vie.

Qui n'est pas pour la vie est contre le monde. Qui n'est pas pour le Poème est contre la vie. Cette partition, perceptible dans le titre d'Arpa, n'aura de cesse de s'accentuer et d'opposer deux clans, deux groupes, deux humanités, et les violences qui ont cours aujourd'hui risquent de n'être que des chamailleries infantiles face à la violence pour la survie de la vie qui s'annonce.

Le bio s'oppose à la culture hors sol. L'homme s'oppose à la femme. L'homme s'oppose à la terre. Le culte de l'opulence à la misère. Etc...

Aussi ouvrons-nous Arpa avec la certitude d'avoir dans les mains de quoi nous faire quelques lignes d'extase, ce réservoir à énergie vitale pour qui en manquerait pour poursuivre le combat.

Pour choix ces fragments de poèmes, piochés dans cette anthologie mondiale :

 

***

 

L'automne est aussi calme
Qu'un penseur
Las de penser. Cependant
Calme et poignant
Il médite encore.

L'automne est aussi clair
Qu'un agneau
Au fond de la prairie. Impuissant
Et si pur que le ciel
Sur lui se penche.

 

            Shu Cai (Chine)
           extrait de Extrême automne

 

***

 

Ou bien comme le poète s'étonne
de sa propre inspiration
qui, reliant
une rive inconnue à la sienne,
lui découvrit tout un continent

 

            Reiner Kunze (Allemagne)
           extrait de Les descendants de Vasco de Gama

 

***

 

Inutile que tu insistes
pour repriser tes paroles
avec des fils d'espoir.

 

            Alicia Aza (Espagne)
           extrait de Désaffection

 

***

 

Dans le silence d'une nuit
maîtresse de deux lunes propres
nos paroles éclairent
un lys blanc lumineux

 

            Alicia Aza (Espagne)
           extrait de Le silence d'un lys blanc

 

***

 

Tu veux savoir
le secret de la pierre,
la vision
qui bat dans ton crâne.

 

            Jim Barnes (USA)
           extrait de Ces mystères

 

***

 

Que le silence était doux et terrible et que chacun se demandait
pourquoi ne sais-je pas parler pourquoi ne puis-je pas agir
qu'est-ce qui me retient que de mains

 

            Fabio Pusterla (Italie)
           extrait de Procès-verbal des choses non dites

 

***

 

L'aveugle habitant le quartier
le sourd débarquant du ferry
le bossu à bord du 6h25
et aussi le banquier de mon père
les rondouillards les chétifs les chauves les hirsutes
l'étudiant le boulanger le chaudronnier le marin
et puis comme moi les bons à rien

font la queue
aux portes d'un bordel en fer forgé
dans l'Istanbul des faubourgs

 

            Moris Farhi (Turquie)
            extrait de Les affamés font la queue

 

***

 

Une porte ouverte
Et d'entrée
Une galerie
Une galerie d'art
Une galerie d'art souterraine
On descend

La nuit
La chaux
Les murs
L'aube
Le plat cuisant

Nourrir
Donner à manger
A l'espoir.

 

            Aziz Zaâmoune (Maroc)
           extrait de Blancheur

 

***

 

Voilà un petit aperçu de nos préférences, de la quintessence de ce qui se joue ici, par Arpa, et que revendique Recours au Poème, cette carte du monde du poème appelé par un monde en attente de poésie, comme une terre asséchée épongeant la moindre source impolluée pour continuer ses rêves porteurs d'une humanité ré axée sur la vie et non sur son envers, porteurs de chants terriens pour l'agrément des étoiles, celles du microcosme, celles du macrocosme.

 

 




Revue La Passe, n° 17

La revue des langues poétiques consacre son n° 17, en grande partie, à la poésie roumaine. On se souvient (peut-être) que le très parisien Salon du livre avait décrété qu'en 2013 la Roumanie ferait figure d'invitée d'honneur, à défaut de faire de la figuration. On passera sur le côté rocambolesque des suites de cet oukase : boycott décidé par certains auteurs pour des raisons politiciennes internes à la Roumanie (mais la presse d'ici nous a fait grâce des lecteurs français pris en otage !), début d'une polémique, pléthore de traductions (parfois approximatives si l'on en juge par le résultat en français)…

    Enfin, voici un peu d'humour et de fraîcheur avec La Passe qui avoue sacrifier à la manie. L'humour ne manque pas avec ces références à Dracula (qui "signe" cet aphorisme en bas de page, "Gageons que cette rencontre créolise et qu'entre étrangers à soi-même, l'on se reconnaisse", qui est tout un programme : ces mots auraient pu servir d'exergue à cette livraison). Albsi Neijra donne une petite prose intitulée "Le Chant des Quarts-Pattes", pastiche poétique du conte noir. La fraîcheur est apportée par le dossier "Éclairs d'enfance / Fragments de mort" qui donne à lire (en traduction) cinq jeunes poètes roumains que Tristan Félix (la directrice de rédaction de La Passe) a accompagnés de photographies. Pas des illustrations au sens commun, mais des équivalents plastiques, des traductions des vers qui sont eux-mêmes traduits ; une sorte de mise en abysse bien réjouissante au-delà des pertes et profits attachés au passage…

    Côté français, le lecteur découvrira quelques expériences intéressantes. Comme le passage d'une langue à l'autre tel que le voient Tristan Félix et Carivan, son traducteur : le poème est "farci" de sa traduction, le vers tantôt français et le vers tantôt roumain alternent pour donner un nouveau poème qui met en évidence la musicalité du roumain. L'Hymne Gagaouz de Maurice Mourier est hilarant avec sa langue inventée… qui est traduite ! Christine Minot, partant d'une des célèbres gravures des Caprices de Goya, dont le titre en français est Le sommeil de la raison produit des monstres, remarque que le mot espagnol suenõ a deux sens : sommeil et rêve. Elle se livre alors à une improvisation passionnante qui interroge la traduction. Malheureusement, elle tombe dans le piège de la polysémie du mot matérialisme pour n'en retenir que le sens vulgaire (état d'esprit caractérisé par la recherche des jouissances et des biens matériels, selon le Petit Robert). Exit alors le sens philosophique ! D'où un raisonnement boiteux, voire fallacieux dans la troisième partie de son texte : l'idéologie dominante a de beaux jours devant elle…

    Figurent aussi dans ce numéro de nombreux textes de création qui relèvent de l'expérimentation et qui illustrent parfaitement la raison d'être de La Passe. Relevons Anomalies Incovar : le point de départ en est une note de service adressée par un supérieur à ses employés. Tristan Félix en "emprisonne " le texte dans un poème lui-même farci de "réminiscences apollinariennes". Frédéric Moulin le transforme ensuite de semblable manière à sa façon. Et il donne enfin naissance à un dessin d'humour dû à Hervé Borrel. C'est décapant ; toute la prétention et l'absurdité du chefaillon (mais aussi de l'époque) apparaissent dans ce jeu. Ou la poésie comme outil de critique sociale, ou la langue comme outil occasionnel de subversion…

    La Passe : une revue qui sort des sentiers battus et qui sait, parfois, être jubilatoire.

 




Les Cahiers du Sens : la colère

Ce 23e volume de l’excellente revue Les Cahiers du Sens est centré sur la colère, ce qui n’étonnera guère ceux qui connaissent Jean-Luc Maxence, lequel ressent bien des colères légitimes devant l’imbécilité qui semble se développer (sans cesse) ici et là. La revue est divisée en deux parties : une trentaine de textes d’abord, répondant de diverses manières à la thématique ; une anthologie permanente de poèmes, ensuite, comme chaque année, regroupant environ 80 poètes. Ce numéro s’ouvre sur un texte… de colère, justement, signé Jean-Luc Maxence, le genre de texte qui fait un bien fou, En domaine de poésie ma colère est toujours froide. Extraits :

« Depuis plus de trente ans, je connais la chanson des « ego » en domaine de poésie. Sans m’appeler Charles Baudelaire, j’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. Je ne confonds plus un bon journaliste avec un poète, je sais qu’un romancier pris en flagrant délit de plagiat, en France, n’empêchera jamais le tricheur de demeurer rédacteur en chef d’un magazine qui n’a plus rien de littéraire à force d’être maffieux dans ses méthodes, je sais qu’être condamné sans appel pour un recueil de poésie copié à partir d’un manuscrit reçu en lecture dans une maison d’édition (un comble !) n’empêche pas de garder son prix littéraire, même en dépit de l’ampleur du désastre que symbolise la supercherie. Je sais que prôner la simple « lisibilité » est jugé réactionnaire par les militants furieux de la poésie de laboratoire, je sais aussi que l’attribution d’un prix de poésie, dans notre hexagone de jean-foutres de salon, n’est trop souvent que le résultat d’une bonne magouille mondaine entre éditeurs intouchables ». On reconnaîtra, selon ses habitudes, les uns ou les autres, on verra des visages à droite ou à gauche, derrière les mots de Maxence, à gauche surtout, d’ailleurs, c’est presque comique ce décalage qu’il y a, parfois, entre les valeurs affirmées et le quotidien concret (en « milieu » de poésie) des moralisateurs. Cela ressemblerait presque aux emplois fictifs de la mairie de Paris sous Chirac. Plus loin : « Buvons, buvons, buvons aux divinités qui n’existent plus ! Nous irons tous au paradis. Ceci est mon testament philosophique. Pour le paradis du Grand pardon. J’avale mon catéchisme d’enfant et je sème ma rage blanche sur le prologue de Saint Jean. Je suis à moi tout seul la revanche de toutes les inquisitions visant les poètes. J’avale de travers le sens du monde ». Voilà qui détonne dans le consensus mou des mondanités contemporaines. Le poète, c’est aussi un coup de gueule, un état de l’esprit. Merci à vous, Jean-Luc Maxence, de ce coup de gueule revigorant.

Ce cahier consacré à la colère comporte divers textes, je ne peux tous les évoquer. Mon œil et mon intérêt on été plus particulièrement attirés par la « colère anthropologique » d’AxoDom, avec lequel nous serons, du moins sur ce point précis, en accord : « Le monde est triste et cruel, c’est entendu. Y insuffler sans relâche le poème est le seul moyen efficace qui nous reste de l’enchanter un peu ». Serons-nous aussi en accord avec l’affirmation d’une nécessité de défendre « la place de la poésie en France » ? En apparence, oui ; qui ne serait… pas d’accord avec cela ? Cependant, tout dépend de ce que l’on entend par « la place ». S’il s’agit des pratiques ayant conduit au désastre actuel de cette poésie qui, devenue « milieu », se vit en France essentiellement entre poètes, non. Pas plus si cet appel procède d’une confusion entre « la place » et « les places occupées ». Reste que le texte d’AxoDom est d’une vigueur bienvenue. Un très beau poème de Laurence Bouvet vient après, une chanson de l’arbre. Cela réinstalle dans le réel profond : la vie se joue dans le chant de l’Arbre. Un merci à Laurence Bouvet, merci de nous rappeler ce fait essentiel et enraciné. On retrouvera par ailleurs des chroniques du bel aujourd’hui, signées Pascal Boulanger, chroniques dont on peut aussi lire quelques morceaux d’architecture dans nos pages, puis Bruno Thomas avançant une colère qui nous est commune, colère noire, blanche, rouge. On ne mesure sans doute pas encore assez clairement ce que peut receler une telle architecture coléreuse. Cela viendra.

L’anthologie de poèmes et de poètes donne à lire de bien belles choses, et là aussi la modeste chroniqueuse doit choisir, on ne lui en voudra pas. Je retiens donc le poème de Salah Al Hamdani, et cet extrait :

 

Ici on ne voit rien d’autre
que la désolation
des hommes sans travail
des hirondelles qui ne tiennent pas en place
un ciel presque éteint
des nuages qui se penchent
et très loin en moi
ceux qui écorchent les rives du fleuve
les mots inutiles
qui effacent les traces des fusillés
tatouées sur des chemins abandonnés
 

Les textes, ensuite, de Damien Guillaume Audollent, Matthieu Baumier, rejoignant d’une certaine manière le chant de Laurence Bouvet, et rendant hommage à l’aventure poétique continuée d’Olivier Rougerie :

 

Le ciel plante sa pierre
Sous l’œil du temps
Et fredonne le chant
des arbres
 

Tout est immobile
Quand le monde se met
en mouvement

 

Jean-Marie Berthier, Dominique Boudou, L’Appel de Patrice Bouret :
 

Arrêtez les refrains du quotidien
Ils n’ont jamais eu cours dans ce lointain si brutal et si proche
 

Le temps des visions
Le temps de la lumière
Oui
L’appel intérieur vient de plus loin

 

Puis Michel Cazenave, Jean-Bernard Charpentier, un Alambic signé Marie-Josée Christien :

 

Le poème naît
après avoir été vécu
intensément
 

À l’inverse
il arrive parfois
que le poème
nous précède
 

Seule l’essence
du destin
est réelle.

 

Un poème dédié à René Daumal. Cela fait sens.

Viennent ensuite les poèmes de Danny-Marc, Christophe Dauphin, Bruno Doucey (un poème/lettre à FJ Temple), G. Engelbach, le corps présent de Gwen Garnier-Duguy, et cette irruption salvatrice d’un visage de femme sur la figure amie, Lionel Gerin, Kiko (« Un jour sans colère nous pourrons parler d’humanité »), Jean-Luc Maxence en quête de paradis, et puis… la beauté sidérante de deux poèmes qui m’ont littéralement transpercée, poèmes signés Mélodie Quercron, poèmes qui s’installent violemment et profondément dans l’âme, du moins dans ce qui reste de la mienne.

Le « panel » est fort et beau, pas forcément sage, puisque on lira aussi Jean-Yves Vallat, et Jacques Viallebesset, et son superbe « J’en appelle ». On peut d’ailleurs écouter ce poème ici, dans une lecture exceptionnelle :

https://www.facebook.com/photo.php?v=607032769324749

Revue Les Cahiers du Sens, La Colère, n° 23, juin 2012, 270 pages, 20 euros. Direction : Jean-Luc Maxence et Danny-Marc. Editions Le Nouvel Athanor. 70 avenue d’Ivry. 75013 Paris. 

godme@free.fr

Site : www.lenouvelathanor.com

 




Le centenaire de la NRF

La NRF a eu cent ans. Ce n’est plus seulement une revue, c’est une institution, d’autant qu’elle s’identifie dans l’imaginaire collectif et la réalité éditoriale avec l’aventure des éditions Gallimard. Nous ne sommes pas ici de ceux, un peu mesquins tout de même, qui passent leur temps à casser du sucre sur les éditions Gallimard et la NRF, bien au contraire. Il y a en cela, ces ressentiments fréquents, une petitesse qui ne nous émeut guère. Non, ici, nous tirons notre chapeau et nous saluons la vieille Dame bien vivante quand elle passe devant nous. Ce n’est pas être béats ou naïfs, nous savons bien que ni la NRF ni Gallimard ne publient que des chef d’œuvres. Non, il s’agit juste de reconnaître l’extraordinaire travail mené là dans tous les domaines de la littérature, de la pensée ou de la poésie. L’aventure de la NRF, dès 1908, puis de la NRF et de Gallimard, à partir de 1911, a tout simplement produit le fond le plus important de tout l’espace littéraire et éditorial français, avec un impact évident sur le monde entier. Chapeau bas, donc, et, n’en déplaise, chapeau bas sans restriction aucune.

Au cœur de la NRF, il y a des hommes. Et de notre point de vue, celui de Recours au Poème, un homme admirable : Jean Paulhan. Gide, bien sûr, Rivière, oui, mais… avez-vous déjà regardé le visage de Paulhan ? Si tel n’est pas le cas, vous devriez. On y lit les contours d’une âme, et ce n’est humainement pas si fréquent. Ce bateau qu’est la NRF a vécu tant et tant de voyages qu’il est bien difficile de les résumer, ici, tout comme du reste dans ce volume proposant au lecteur les actes de trois colloques centrés sur ce thème du centenaire. Rien n’est donc exhaustif en ces pages, et de toutes les manières il y aurait prétention à penser pouvoir présenter de l’exhaustivité en cette matière. La prétention n’est pas rare au sein du monde littéraire. Touche-t-elle la NRF en son histoire ? Je ne le crois pas. Il y aurait même un texte intéressant à écrire à propos de « l’humilité de la NRF ». Sans doute, l’idée étant lancée, quelqu’un s’attellera un jour prochain à un tel travail.

Trois colloques, donc. Et ainsi un volume divisé en trois parties d’égal intérêt : Positions de la NRF, où huit contributions reviennent sur ce que fut la NRF à ses débuts et dans ses rapports à l’esprit normalien, le roman, l’avant-garde, la poésie… On lira avec plaisir, dans cette première partie, le texte enlevé, le texte de poète, de Jacques Réda, lequel fut aussi directeur de la NRF au crépuscule du siècle passé ; viennent ensuite 11 contributions consacrée à La NRF, naissance d’un mythe, où l’on parle du style, de la place de la première NRF dans le paysage des revues de son époque, de Rivière et de Paulhan, de la notion de «  communauté NRF » ou encore des relations de la revue avec l’étranger, à travers les exemples de l’Angleterre, de l’Allemagne et de l’Argentine ; la dernière partie est la plus conséquente, en taille, et aussi celle qui concerne les préoccupations les plus récentes au sujet de la revue, à l’exception de la période Drieu la Rochelle, laquelle ne fut d’ailleurs pas que cela, « la NRF de Drieu » comme l’on dit bêtement, la silhouette de Paulhan n’était pas loin, comme si une sorte de NRF invisible, clandestine, passait par là. Et d’ailleurs – cela ne plaira pas mais qu’y puis-je ? Tout en me fichant heureusement de plaire ou non – Drieu ne fut pas que le « Drieu de la NRF » comme l’on dit tout aussi bêtement, pas plus qu’il ne fut que ce « fasciste » dont on parle à tort et à travers sans assez le lire, ni surtout le lire dans les différents contextes de la vie de cet homme / poète torturé. Il n’y a pas eu tant que cela d’âmes bouleversées de la stature d’un Drieu, et elles sont somme toute assez rares aujourd’hui. On n’excusera évidemment pas les accointances de Drieu avec le fascisme en rappelant les contradictions de l’homme/poète, sinon sans doute dans l’esprit de quelques attardés mentaux « littéraires » qui écument encore parfois (mais de moins en moins, c’est heureux) les travées tardives des plateaux télévisés, au nom de la lutte sans cesse recommencée contre la bête sans arrêt de retour. On rigole bien tout de même en observant le défilé des âmes mortes qui pensent vivre au cœur des années 30 du siècle passé. Messieurs, n’oubliez pas d’y prendre un peu de plaisir.

Cette dernière partie, L’esprit NRF : définition, crises et ruptures (1909-2009), comporte une vingtaine de contributions, évoquant entre autre Pontigny, Proust, la « querelle Rivière », le surréalisme, la relation de la NRF aux écrivains catholiques (quelle bêtise que cela – l’expression, pas la contribution –, que signifie «  écrivain catholique » ou « écrivain chrétien », rien évidemment), l’entre-deux-guerres, Jouhandeau, Arland, la critique, le Collège de sociologie, la relation Gaston Gallimard / Jean Paulhan, Bousquet, Céline… Quelle richesse que l’ensemble de ce volume, une véritable histoire de la NRF qui touchera tous ceux qui sont capables de vivre passionnément dans le giron d’une extraordinaire aventure humaine autant que littéraire ou poétique ! Nous ne pensons pas ici que littérature et poésie appartiennent au même champ, c’est pourquoi nous distinguons les termes. Paulhan et Breton ne nous en voudront pas.

On ne rendra donc pas compte d’un tel ensemble en détail. Quelques lignes simplement sur les préoccupations principales qui nous animent, ici, en ces pages : la poésie, et donc le rapport de la NRF à la poésie ; les liens entre la NRF et le Collège de sociologie de Caillois et Bataille, et ainsi de la question du sacré, question de notre point de vue absolument inséparable de celle de la poésie, tout autant que de celle d’une poétique de l’être humain. C’est pourquoi Recours au Poème a été fondé. Sinon… À quoi bon ? Les chapelles « littéraires » sont assez nombreuses sans qu’il soit besoin d’y mettre son grain de sel sans conviction profonde à défendre. Car, avec la poésie n’est-ce pas, c’est de l’entier de la vie de l’humain qu’il va, et d’un entier en lien extrême avec cet autre entier qu’est la vie en son ensemble. On l’aura compris, la poésie, ce n’est pas rien pour nous. Et ce n’est pas rien dans l’histoire de la NRF et dans celle de Gallimard, il suffit de jeter un œil au catalogue de l’éditeur pour s’en convaincre. Une opinion qui ne nous empêchera pas de considérer comme tout aussi important, par exemple, le catalogue de Rougerie. En tout cas, poésie, sacré, Collège de sociologie, Daumal, Caillois, Paulhan, Breton, Bataille, pour faire vite, c’est cette NRF que nous aimons, et cette NRF existe au long, tout le long de l’ensemble de l’histoire de la revue ; car la NRF est revue à visages multiples, contradictoires et complémentaires en même temps, visages vivant les uns avec les autres, se rencontrant, se nourrissant, et cette manière d’être de la revue ne permet pas d’échapper au visage de Paulhan. Cette NRF-là, ouverte, porteuse de tous les tourments de toutes les époques de son histoire, c’est avant tout celle de Paulhan. Et nous tenons, ici, que la place occupée en France par la NRF résulte essentiellement de cette capacité à être cette NRF là. On remerciera donc Michel Jarrety de nous offrir un texte nécessaire autour de « La NRF et la poésie », ainsi que Louis Yvert de donner à lire une exceptionnelle étude consacrée à « La NRF et le Collège de sociologie ». On ne mesure pas encore la réalité de l’influence de cette dernière opération en partie secrète, dans la vie de la pensée du siècle passé.

 




Hopala, une revue ouverte à la poésie

    Editée en Bretagne, la revue Hopala accorde une place importante à la poésie. Placée sous le signe de la  littérature, du débat, et de la création artistique, elle ouvre ses colonnes à la fois aux auteurs bretons et aux auteurs de pays étrangers. Ce n’est pas pour rien que cette revue de qualité est sous-titrée « La Bretagne au monde ».

    Dès sa création en 1999, à Brest, autour d’intellectuels, d’universitaires et de militants associatifs (en particulier attachés au développement de la culture bretonne), la revue Hopala, en effet, ne s’est jamais crispée sur l’identité bretonne. Sa volonté d’ouverture au monde (confirmée depuis quatre ans par sa formule rénovée)  a toujours été manifeste, ce qui lui a permis de mettre récemment sur la sellette des poètes « venus d’ailleurs » comme Amadou Lamine Sall (Sénégal), Cun Shai (Chine), Gérard Chenet (Haïti), Fred Johnston (Pays de Galles), Keva Apostolova (Bulgarie) et beaucoup d’autres… Sans oublier les auteurs de haïku japonais présentés par le Brestois Alain Kervern, un des spécialistes mondiaux du genre..

   La part belle est néanmoins accordée aux poètes bretons (que les médias régionaux ignorent bien souvent) dont la revue publie régulièrement des textes originaux. Ce fut le cas, au cours des quatre dernières années pour Hervé Carn, Michel Dugué, Charles Madezo, Jean-Pierre Nédélec, Jean-Louis Coatrieux, Eve Lerner, Pascal Rannou, Gérard Prémel, Mireille Privat, Jean-Michel Maubert, Jean Cloarec, Paul Goarzin, Olivier Cousin, Daniel Kay, Jean-Paul Kermarrec…

   Certains poètes sont également longuement interrogés sur leur parcours poétique, comme Jean-Pierre Boulic, Gilles Plazy, Jean-Luc Le Cléac’h, Marc Bernol, Louis Bertholom , Isabelle Sauvage… Un hommage peut aussi, à l’occasion, être rendu aux petits éditeurs, dont deux récemment disparus : Yves Landrein (La Part commune) et René Rougerie (éditions Rougerie).

   Cette éminente place accordée à la poésie est enrichie, enfin, par l’analyse des œuvres de grands poètes bretons : Tristan Corbière, Xavier Grall (à l’occasion des trente ans de sa disparition), Georges Perros, Yves Elléouët, Jean-Paul Hameury…

   « Nous avons à cœur d’être colporteur, exigeant colporteur. Non de nous complaire aux valeurs consacrées, aux plaisirs fugaces et sans grandeur, parce que sans gravité, des best-sellers. Car la littérature, c’est – qu’on le veuille ou non – du bonheur difficile en plus, cette corde qui vibre et chante, malgré tout, l’allégresse de vivre quand tout semble endeuillé », écrivaient Alain-Gabriel Monot et Nathalie Duguélès, dans l’édito du numéro 34 de la revue.

Cette ambition ne s’est jamais démentie.




Le 23e numéro de A l’Index

 

Tournant la dernière page de cette 23ème livraison de la revue A l'Index avec l'intention d'en faire une note de lecture, le désir de parler de chaque poète et d'en donner un fragment me tient, tant ce numéro est de grande qualité. Malheureusement, une note de lecture doit être un précipité, et il ne sera pas possible, à moins de se lancer dans des longueurs lancinantes, de tenir un tel projet. Nous allons toutefois tenter de rendre justice à la qualité du travail rassemblé dans cette très belle revue, au physique soigné, à la mise en page impeccable rendant honneur au travail des poètes.

Jean-Claude Tardif ouvre cette parution sur un ton roboratif, admonestant une ironie à propos des poètes et poétesses ne s'intéressant qu'à leurs propres poèmes au détriment de l'immense trésor s'écrivant autour d'eux et relativisant leur place.

Puis vient le premier chant, celui de Werner Lambersy que nous sommes heureux de retrouver dans ces pages, offrant un bel hommage, inspiré, à Pina Bausch :

Au temps qui s'use dans la durée
Pina Bausch
Peut danser immobile et montrer
 

Ce qui danse
Et constitue
La matière des poupées russes de
 

L'univers
La marche contenue dans la chute
Et les bonds
 

Les sauts de cabri des désirs qui ne
Peuvent rester tels
Sans retomber dans l'ordre violent

 

Dans la posture
Où Pina Bausch attend les passages
De comètes de l'amour
 

Le terrible goutte à goutte
De la beauté qui perce l'acier le plus
Dur de l'âme

 

A cet hommage métaphysique nous intimant de danser la vie sous peine de perdition (« danse, danse où nous allons tous mourir » disait Pina) succède la prose métaphorique de Dominique Sampiero qui, s'occupant de son jardin, y déplorant de n'avoir pas la main verte, se concentre sur l'arrachage des mauvaises herbes. Nous y verrons le lien étroit entre le jardin et le paysage intérieur, l'espace verdoyant entourant la maison et la discipline de l'écriture hantée par les mauvaises pensées, si elles existent, voire la mauvaise vie, si elle ne nous torture pas. Un texte brillant comme un héliotrope.

Nous entrons ensuite dans la partie intitulée Jeux de paumes, petite anthologie portative, rassemblant 6 poètes de valeur : Olivier Chéronnet, Guillaume Decourt, Samuel Dudouit, Jacques Houssay, Juliette Mouquet et Roberto San Geroteo.

Nous retenons ces extraits, donnant une idée de ce qui les habite :

 

nous sommes des êtres de passage
attentifs au mystère d'exister
les conduites exemplaires
le cœur en miettes
elle ne sait pas si à la fin du mois elle a gagné de l'argent
elle dit : "qui n'a pas ces embêtements ?
Ceux qui habitent les cafés sont sans amour"
mais qui est vraiment jamais sans amour

extrait de : Droit d'asile au XXIe siècle
Olivier Chéronnet

 

Puis cet extrait du magnifique poème de Guillaume Decourt, Je porte le nom des poissons qu'on pêche au filet

 

Le chant du ferrailleur
C'est le matin qu'on l'entend
A l'ombre des rides de l'olivaie
 

Le sperme noir du poulpe à bout de trident
Avec l'âne patte avant
Avec l'âne patte avant patte arrière liées
 

Et cet extrait de Bande Passante de Samuel Dudouit :

 

casanièrement tissé des eaux troubles où tu dors
hypnotiquement pressé comme agrume cérébral
ton je fait le toutou
sur les pelouses d'un moi vautré dans sa berline
la radio décervelle la clim'anesthésie
au feu rouge la mort bâille
es-tu encore en vie ?

 

Ces six poètes laissent ensuite la place à la Voix donnée à Eric Chassefière, qui nous chante ses Nocturnes ainsi qu'un Chopin maestro, avec des poèmes comme ce bel onzain :

 

Etoiles filantes de la pluie
dans un ciel d'arbres sombres
de prairies aux gris ductiles
filaments de l'eau blanche
qui s'étirant sur le vitrage
paraissent les reflets d'un fleuve
et parfois quand la pluie faiblit
que s'effrangent les traînées de gouttes
c'est un vol d'oies sauvages qui passe
approfondit sous lui la secrète estampe
dont détacher le pinceau des yeux

Nous avons plaisir, au sortir de ce chant réclamant notre attention silencieuse et recueillie, à lire la belle tessiture de Gabriel Okoundji, nous offrant des fragments d'un ensemble nommé SAHARA :

 

Désert !
A l'aune des commencements, Dieu créa ton visage noir et blanc il te nomma dès l'instant où la lune, comblée, se retire dans le soleil
Sahara, Ténéré, Sahel, ultimes vocables natifs des langues de ton sol
terre des hommes, tu connais l'énigme du silence des pierres.
 

Graine semée :

Qui ne connaît pas le silence du désert
ne sait pas ce qu'est le silence
 

Un poète que l’on retrouvera dans nos pages : http://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/gabriel-okoundji

Ne pouvant donc pas citer tous les poètes, nous terminerons par la partie nommée Voix d'ailleurs, partie bilingue rassemblant deux poètes de l'Etat de Bahia, dont Antonio Brasileiro, dont nous reproduisons l'un des riches poèmes en son intégralité :

 

Diviseur d'eau
 

Messieurs, nous sommes tous
de la même souche vus aux jumelles.
            Mais nous ne sommes pas les mêmes.
 

Moi, avec mes poèmes impénétrables
vous, avec vos cravates colorées/
moi, avec cette conscience de moi
vous, avec votre table riche/
moi, à la recherche de l'éternel inatteignable
vous, avec vos cravates colorées/
moi, méditant toujours sur vous
vous, avec votre table riche.
 

Nous ne sommes pas de la même souche, mais vus
aux jumelles nous sommes les mêmes.
            Voilà une grande injustice.
 

Il faut saluer le travail passionné du poète Jean-Claude Tardif qui se donne corps et âme dans cette revue remarquable.

 




Siècle 21 n°22, printemps/été 2013

La revue Siècle 21 s’est imposée dans paysage littéraire contemporain. Et de belle manière, nous en parlions il y a quelques mois : http://www.recoursaupoeme.fr/revue-des-revues/passage-en-revues/sophie-dalen%C3%A7on-0.

Une des très belles revues littéraires et poétiques, en France. Les volumes s’organisent autour de dossiers consacrés aux littératures contemporaines d’un pays en particulier, la Finlande ici, un « hors cadre », consacré pour ce numéro à Armand Gatti, et un espace plus thématique, cette fois au sujet de L’arbre (dossier coordonné par Gabrielle Althen et Jean Guiloineau).

Le dossier « Hors des sentiers battus » nous emmène donc en Finlande, sous la conduite d’Harri Veivo. Ce dernier donne en préambule un texte qui vaut plus qu’un texte de présentation de dossier : c’est une éclairante mise en perspective historique de ce qu’est la littérature finlandaise, littérature et pays récents qui se vivent et s’écrivent en finnois et en suédois. Veivo termine en insistant sur la vigueur du marché et de la vie littéraire dans un pays où les écrivains vivent de leur plume, poètes compris. Grâce aux choix du maître d’œuvre, on découvrira ou redécouvrira, c’est selon, les travaux de romanciers et de poètes, j’insiste évidemment sur ces derniers. Kari Hotakainen, Rakel Liehu :

 

Je suis toujours aussi curieuse. Curieuse de découvrir le fond caché de l’homme, qui surgit en vieillissant. Sur le visage en particulier. Dans le regard.
En dévoilant tout le vécu.
Les pensées, les leitmotive restent imprimés sur le visage, comme des pas sur le sable mouillé. Non seulement le temps, mais aussi l’homme lui-même façonne son apparence.

   [Rakel Liehu]

 

Le superbe « Brise-lame » de Paulina Haasjoki, dont le début est comme un prolongement du texte de Liehu :

 

L’homme ne peut se cacher dans la nuit, son espérance le trahit.
L’homme se tourne vers les lumières, la lumière scintille comme si elle
Etait à portée de main et pourtant elle est loin.

[Paulina Haasjoki]

 

Catarina Gripenberg, Tytti Heikkinen, Henriika Tavi  ou Marten Westö. On le voit, ce dossier offre de belles incursions en terres de poésie, en particulier de poésies très contemporaines, plusieurs des poètes ici traduits étant nés après les années 70 du 20e siècle. Riche dossier qui se termine par de très utiles orientations bibliographiques.

Place ensuite, « Hors cadre », à Armand Gatti. Une place qui revient clairement au dramaturge / poète, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il sort du cadre ! Homme de théâtre engagé, anarchiste, libertaire, poète et cetera. La silhouette de Gatti porte sur les murs de l’underground, du hors et / ou de l’anti système (fou) de notre époque. Nous aimons sa Maison de l’Arbre, et Jean-Philippe Gonot parlera bientôt de cela en nos pages. Ici, Catherine Brun donne, aux côtés d’une belle photo de l’écrivain attablé, lisant ou relisant, un texte qui ouvrira l’horizon de quiconque ne connaît pas encore la poétique théâtrale de Gatti. Car poésie et théâtre sont inséparables en cette œuvre, rien d’ailleurs de ce qui touche à la vie ne peut être séparé de cet atelier. Ensuite, Olivier Neveux propose un texte complémentaire, étudiant la spatialité du théâtre de Gatti et donc, en cette matière, sa politique. Neveux insiste fort justement sur le « progressisme » du poète, un drôle de « progressisme » où « le regard n’est pas tourné vers l’avenir mais préoccupé, aimanté par ce qui précède. C’est le passé qu’il faut, avant tout, changer et réécrire. Ce sont les promesses qu’il recèle et qui furent tues, massacrées, ignorées à qui il convient de donner une nouvelle chance. Son théâtre se bat, en quelque sorte, contre l’inéluctabilité de la mort ou, plus précisément, contre la mort des morts ». Ces trois derniers mots me semblent (je sais, cela surprendra ceux qui ne sont pas réellement familiers de l’atelier du poète Gatti) traduire avec exactitude l’anarchisme mystique de l’homme / poète Armand Gatti, plongé dans les profondeurs alchimiques ou chamaniques de l’être bien plus que dans les apparences du politique, autres choses cependant inséparables là aussi. Gatti, mystique. Et politique, au sens aristocratique de ce terme. Ou véritablement démocratique, c’est-à-dire éthique. Cela ne fait aucun doute. Personne n’a écrit le mot « religieux », n’ayez pas peur. Isabelle Marinone évoque d’ailleurs cela en filigrane, au sujet du cinéma du poète. Qui a vu L’enclos sait combien Gatti est un cinéaste majeur. Vient ensuite un texte de l’écrivain Michel Séonnet, qui a été l’éditeur de Gatti chez Verdier. Quelle est la parole de Gatti : « Nous dirons : ici l’univers ». On lève les yeux vers le ciel, c’est-à-dire au plus profond des racines de l’arbre fait homme.

En 1997, Gatti s’installait à la Maison de l’Arbre. Et la revue Siècle 21 propose un dossier sur ce même arbre, dont la symbolique en forme d’axe du monde n’échappe à personne. On lira ici des textes, poèmes et/ou proses poétiques de Nikolaï Zabolotski (traduit par JB Para), l’un des fondateurs de l’Obériou, groupe de poètes russes égarés en soviétisme (voir dans nos pages : http://www.recoursaupoeme.fr/critiques/la-baignoire-d%E2%80%99archim%C3%A8de/andrzej-taczy%C5%84ski), Franck Evrard, par ailleurs fondateur de la revue Contrevox, Matthieu Baumier, Eric Sarner, Pascal Commère, Volker Braun (traduit par Alain Lance), Florence Delaporte, Jean-Paul Bota, Thérèse Fournier, Zakaria Tamer, Mauro Novelli, Gwen Garnier-Duguy et son arbre des Annonciations :

 

Un charme ouvert
Les branches déployées au plein azur
Et pour feuillage
Des lettres
Toutes les lettres de l’alphabet.

 

Le dossier se termine par un texte fortement évocateur de Nimrod.

Ce numéro de Siècle 21, un bel ouvrage. La revue annonce un prochain numéro autour des littératures et poésie de Syrie. Car Siècle 21 n’est pas une revue en dehors du monde concret.

Revue Siècle 21. 2 rue Emile Deutsch de la Meurthe, 75014 Paris.

revue.siecle21@yahoo.fr

http//siecle21.typepad.fr

Le numéro : 17 euros

 

 

 

 

 




Europe : Sebald et Tranströmer

Le très beau numéro de mai 2013 de la revue Europe propose deux dossiers sur W.G. Sebald et Tomas Tranströmer.

De nombreuses facettes de l’œuvre de Sebald y sont analysées et mises en valeur. L’auteur d’un article s’intéresse à la poésie, l’autre au temps et à l’Histoire… La revue propose aussi plusieurs témoignages (de l’éditrice de Sebald en France, de l’un de ses traducteurs et de collègues).

Le dossier s’ouvre sur une conversation avec W.G. Sebald lui-même, au sujet de la littérature et de la photographie. Car W.G. Sebald, dans la plupart de ses ouvrages, écrit à partir de photographies trouvées ici et là, parfois dans de vieux livres où elles avaient été insérées et oubliées, parfois dans des albums de famille. Il parle de « l’incroyable appel qui s’élève de ces images ; une demande adressée à celui qui les regarde, qui le somme de raconter ou bien de s’imaginer ce qu’on pourrait raconter ». W.G. Sebald a souvent imaginé. Tellement bien imaginé ! Muriel Pic a sans doute raison de voir dans l’usage que Sebald fait des photographies un moyen de « réenchanter le monde ». La photographie « déjoue l’irrémédiable de la perte », en effet.

Une seconde conversation, avec l’historien François Hartog cette fois, permet de souligner l’importance du rapport au temps de W.G. Sebald. Le temps renvoie à l’enfance passée en Allemagne, aux heures sombres entourées de silence. Cela peut expliquer en partie la volonté de W.G. Sebald de travailler à partir de photographies d’ailleurs : elles sont des traces du passé et sont le point de départ de véritables enquêtes.

Sergio Chejfec, auteur argentin dont l’œuvre est également traversée par les thèmes de la mémoire et de l’histoire, souligne, lui, celui de l’errance. Elle lui semble être l’un des fils conducteurs de l’œuvre de W.G. Sebald. Ruth Klüger insiste aussi sur ce point. Elle écrit : « Le narrateur n’est pas seul à ne jamais trouver le repos. La plupart des personnages de ses histoires sont perpétuellement en mouvement.»

Au fil des pages, il est question d’autres auteurs, que W.G. Sebald lisait, admirait. Citons ici Franz Kafka et Thomas Bernhard. Comme ceux de Kafka et de Bernhard, les personnages de Sebald sont souvent seuls et mélancoliques.

Mais comme le rappelle très justement Lucie Campos, focaliser sur un seul point, même s’il est central – par exemple la mélancolie – serait faire violence à l’œuvre et commettre une erreur. Ne voir en Sebald qu’un être mélancolique serait nier par exemple son amour des contrastes. On pourrait dire la même chose de Kafka et de Bernhard d’ailleurs. Les trois auteurs savent être drôles – délicatement, délicieusement – quand ils abordent le pire. Et Lucie Campos parle justement de ce qui, chez Bernhard, attire Sebald : « une légèreté dans la gravité ».

Emmanuel Bouju va dans le même sens – celui de la coïncidence des opposés – lorsqu’il traite de l’humour présent dans les textes de celui qui s’est avant tout intéressé à l’histoire catastrophique de l’Europe. Emmanuel Bouju donne plusieurs exemples de cet humour singulier, un humour né de la « collision entre deux cadres de référence ». Citons-en un. Celui tiré d’un texte intitulé « Il ritorno in patria » (dans Vertiges). Il y est question du conseil aux usagers du métro londonien : « Mind the gap », qui signifie « Attention à la marche » mais peut devenir « Réfléchissez au gouffre ».

Si la poésie, comme le rappelle Lucie Taïeb, a occupé une place marginale dans l’écriture de W.G. Sebald (trois recueils tout de même paraissent entre 1992 et 2002, le dernier étant donc posthume), elle a joué un rôle essentiel dans sa vie. Il a lu et relu les poètes. Paul Celan, par exemple. La poésie était pour lui une échappée. Jo Catling, qui fut une collègue et une amie de W.G. Sebald, explore ses bibliothèques. Si on y trouve beaucoup moins de livres issus de la littérature anglaise contemporaine que des littératures allemande, autrichienne et française, les œuvres des poètes anglais y sont bien présentes : Stephen Watts, Anne Beresford et Michael Hamburger.

Le dossier Tomas Tranströmer est certes moins épais mais tout aussi intéressant. Et nécessaire. Car en France, malgré son prix Nobel (en 2011), le poète suédois reste méconnu. Pourtant, Tomas Tranströmer est né en 1931 et a publié son premier recueil à l’âge de vingt-trois ans. Après une rapide présentation de l’auteur, on entre d’ailleurs dans son univers grâce au carnet de voyage que Tomas Tranströmer a écrit alors qu’il avait seulement vingt-deux ans. Il s’est alors rendu au nord de la Suède, pays lapon, « sur les terres de la mélancolie ». Suivent six poèmes inédits, puis le témoignage de Staffan Bergsten qui a écrit un portrait du poète.

Renaud Ego est l’un des rares en France (avec son fidèle éditeur, le Castor astral, et son traducteur Jacques Outin) qui connaissaient déjà l’auteur suédois avant son prix Nobel. On lui doit la postface à l’édition des Œuvres complètes (Le Castor astral, 1996 ; Poésie / Gallimard, 2004). Il explique ainsi – non sans humour – notre ignorance : « la poésie n’a plus aucune place dans la presse où elle est reléguée au rang d’aimable curiosité ou de survivance archaïque comme le sont la charrette à bras et la danse bigoudène », avant de citer quelques phrases de journalistes – et là, cela devient moins drôle. Ces dernières rappellent les sarcasmes lus ici et là quand le Nobel fut décerné à Herta Müller, en 2009. Plusieurs journalistes et critiques littéraires étaient également tombés des nues. « Qui est cette Herta Müller ? » Bruno Corty, journaliste au Figaro, avait carrément affirmé : « Seules les féministes se réjouiront ». Mesquin ! Et affligeant. Car cela signifie que, quand ils ne connaissent pas un auteur, la plupart des journalistes et critiques français en déduisent qu’il est très secondaire. Ne serait-il pas plus logique qu’ils se réjouissent d’avoir à découvrir un univers qu’ils n’ont pas encore exploré ?

Les choses sont bien différentes dans les mondes anglo-saxon et germanique. En Allemagne, les grands quotidiens donnent à lire chaque semaine des textes de poètes contemporains, quand les nôtres ne se souviennent du mot « poésie » qu’à l’occasion de la parution de quelques pages de Michel Houellebecq.

Il se tient debout devant une montagne.
C’est davantage une coquille d’escargot qu’une montagne.
C’est davantage une maison qu’une coquille d’escargot.
Ce n’est pas une maison, mais cela a beaucoup de chambres.
C’est indistinct mais subjuguant.
Il naît de cette coquille, et elle naît en lui.
C’est sa vie, c’est son labyrinthe.

Renaud Ego s’arrête sur cette image du labyrinthe, et nous explique la manière dont Tomas Tranströmer s’y oriente : à l’aide de ses sens.

Pierre Grouix rappelle un conseil donné par le poète, celui de « lire entre les lignes » – les textes mais aussi le monde. Et Pierre Grouix dresse une liste de lieux où le poète s’est rendu, sur les cinq continents, en soulignant « l’amour particulier et précoce pour l’Afrique ».

Il est question, ici et là, de la musique, parce qu’elle joue un rôle central dans la vie de Tomas Tranströmer, qui est aussi pianiste (un pianiste hémiplégique, condamné à jouer de la main gauche depuis un AVC, en 1990).

Pour tout renseignement sur la revue Europe :

http://www.europe-revue.net/

 Je citerai un extrait du très long poème intitulé Schubertiana, qui ne figure pas dans la revue Europe. En espérant que ce passage donnera envie à ceux qui ne l’ont pas encore lue de découvrir cette poésie.




Les Hommes sans Epaules, volume 35 : grandiose

 

La troisième série des Hommes sans épaules, revue aujourd’hui emmenée par Christophe Dauphin, avec la complicité d’Alain Breton, Elodia Turki, Paul Farellier, César Birène et Karel Hadek, atteint son 35e numéro. Une belle aventure qui donne ici l’un de ses très beaux fruits. Les pages s’ouvrent sur un texte/hommage de forte émotion, texte consacré à Jean Sénac, poète, homme en résistance, éditeur : c’est le 40e anniversaire de la disparition de l’homme. De l’assassinat de Sénac. J’apprends par ailleurs que la biographie que Bernard Mazo devait consacrer à Sénac paraîtra bien à l’automne. C’est une excellente nouvelle. Sénac, l’homme/scandale : « Poète, animateur, militant révolutionnaire, chrétien, homosexuel et français, se proclamant ouvertement plus algérien que n’importe qui, Jean Sénac a dérangé, de son vivant, autant le pouvoir bourgeois et colonial français que l’extrême-droite, les intégristes islamistes ou la bureaucratie algérienne », écrit fort à propos Dauphin, dont l’admiration pour le poète et l’homme n’est pas un secret. Sénac est présent tout au long du numéro, par des poèmes égrainés ça et là, l’un de ces textes, le dernier écrit par le poète, fermant les pages de ce numéro des Hommes sans épaules.

La partie « Les porteurs de feu » conduit le lecteur sur les traces de la poésie d’Antoinette Jaume et de Lorand Gaspar. Je découvre la première, je suis une fanatique quasi hystérique de l’œuvre du second. L’œuvre de Jaume parle de la vie, de la mort, des mots, de la conscience, du temps… Fondatrice et longtemps animatrice de La Sape, elle est décédée en 2009. Les HSE donnent ici à lire une trentaine de poèmes extraits des différentes parties de son atelier poétique. A découvrir. Ainsi :

 

  Cela naît d’un roseau, d’une écorce courbe. Parfois
d’une écaille où mousse une écume défaite
 Cela naît du temps second juste en retrait de la surface
des choses lorsque le regard délaisse le trop vu et renverse
l’horizon
 cela naît d’un cyprès, d’une voûte ou bien d’un battant mal clos. Cela naît du vent, de la mer, parfois de lèvres entr’ouvertes
 

cela. Musique première, sons unis et croisés, murmures ou triomphes, galops d’allure semblable
trois notes seulement vibrées jusqu’au silence

(extrait de Lieux, collection de La Sape, 1983)

 

Quand à Lorand Gaspar… quelle beauté ! On trouve l’essentiel de son œuvre chez Gallimard bien sûr, en particulier dans la collection de poche Poésie mais… quel bonheur de lire / relire ces poèmes, ici donnés dans l’ordre chronologique de leur édition. Une poésie ancrée dans le sacré, soucieuse de Jérusalem ou Quram.  Une poésie qui regarde le grand Tout, sereinement. Seize pages de poèmes, un bonheur et une excellente occasion de faire connaissance avec l’une des œuvres les plus fortes de la poésie contemporaine. Une découverte ou des retrouvailles au cœur d’un ton élevé en intensité :

 

Nous sommes malades d’immense
 

Le soleil se risque au cœur de la pierre
On regarde, on se sent des yeux
craquants et dorés
plein de projets stellaires sous la voûte des vents
 

où circulent des arbres de transparence.   

 

Les HSE donnent ensuite la parole aux « Wah ». Sont conviés cette fois ci : Marie-Josée Christien, Franck Balandier, Alain Piolot, Jean-Claude Tardif et Gwen Garnier-Duguy. Ce dernier, en un superbe ensemble, use du « tu » pour s’adresser au Christ. Une lecture forte, peu banale.

Un numéro de revue dont la richesse enthousiasme en offrant aussi un dossier de près de 70 pages consacré aux poésies norvégiennes contemporaines. Ce dossier est une œuvre conjointe de César Birène, Pierre Grouix et Régis Boyer. C’est plus qu’un dossier, un véritable panorama des voix majeures de Norvège. On lira ainsi : Tarjei Vesaas (par ailleurs immense romancier, auteur entre autre de ce livre fondamental qu’est Palais de glace), Inger Hagerup, Olav H ; Hauge, Tor Jonsson, Gunvor Hofmo, Marie Takvam, Stein Mehren, Jan Erik Vold, Paal-Helge Haugen et Knut Odegard. Ici, toutes les voix sont fortes, bien que diverses. Notons que ce dossier est l’un des fruits du travail mené depuis de nombreuses années par Pierre Grouix au sein des éditions Rafael de Surtis, maison d’édition dirigée par le poète Paul Sanda qui a publié anthologies et recueils de poètes norvégiens traduits par Grouix. Un peu d’eau à la bouche :

Inger Hagerup, Je suis le poème :

Je suis le poème que personne n’a écrit.
Je suis la lettre qu’on brûle sans cesse.
 

Je suis le sentier jamais emprunté,
la note sans mélodie.
 

Je suis la prière de la lèvre muette.
Je suis le fils d’une femme non née,
 

une corde qu’aucune main n’a encore tendue,
un brasier jamais encore allumé.
 

Réveille-toi ! Délivre-moi ! Soulève-moi !
des terres, des monts, de l’esprit et du corps !
 

mais rien ne répond à mes prières.
Je suis les choses qui n’arrivent jamais.
 

Ou bien, Gunvor Hofmo, Je ne connais plus de juge :

 

J’ai rencontré mon ombre obscure – Les pas de Satan fuyant à chaque fois que l’âme se dressait d’un sourire omniscient.

Dans ces rues qui m’entourent, dans ces nuits, les hymnes des chaînes, la douleur infinie de la liberté. A chaque fois que je redressais quelqu’un de la boue, il était tué par l’ombre, son jumeau. Mais avec des poisons invisibles, lamentablement rampants. Il n’a pas l’existence de l’âme, ne connaît la crucifixion que par l’âme d’un autre. Mais il est la crucifixion, comme Dieu l’est dans sa tendresse impuissante, croissante. Dieu et Satan en moi, et je suis l’Humain.

En ces étés, en ces hivers, en cette solitude folle de l’automne. Je ne connais de Juge.

 

Impossible de citer tous les poètes mais voilà un monde à explorer. Encore plus vaste, en termes de Nord, puisque plus loin dans la revue, Pierre Grouix donne aussi à lire des textes de Bo Carpelan, poète finlandais d’expression suédoise dont il traduit les œuvres complètes depuis plusieurs années. Le lire vous convaincra de l’immensité de l’œuvre poétique de Carpelan, lequel nous a quittés en février 2011 (environ 1500 pages de poésie) :

 

Dans l’éternel

 

Les promeneurs ont disparu parmi les ombres,
leurs voix étouffées, et même toi
tu fus plus éloigné de toi-même,
et pourtant proche, comme si le mot
s’attardait à travers l’arbre en tant qu’arbre,
ou comme l’image de l’arbre.
C’était dans l’éternel,
où les îles reposent sur les miroirs d’eau de la main.
 

Et quand le silence régnait, tu entendais
les voix de ton père et de ta mère ;
alors un oiseau leur succéda,
alors leurs voix devinrent une voix.
C’était dans le silence, alors même le bois,
de ses feuilles, ornait encore la vie,
et le jour s’assemblait.
Court est alors le temps où nous sommes en vie.

 

Les Hommes sans épaules ne se contentent pas de « si peu », on lira aussi : un bel essai de Paul Farellier sur le recueil récent de Pierrick de Chermont (voir à ce propos : http://www.recoursaupoeme.fr/critiques/pierrick-de-chermont-portes-de-lanonymat/gwen-garnier-duguy ), des poèmes de notre ami Tomica Basjic, présentés par Karel Hadek, d’autres de Yann Sénécal, des pages libres présentant des textes des animateurs / poètes de la revue, et enfin un ensemble de chroniques et de notes de lectures. Les HSE ont par ailleurs la gentillesse d’évoquer l’existence de Recours au Poème. C’est de bon goût. Une revue à lire.

 

Pour tout renseignement sur cette superbe revue :

http://www.leshommessansepaules.com/

Lire un texte de Pierrick de Chermont, dans nos pages :

http://www.recoursaupoeme.fr/revue-des-revues/la-revue-les-hommes-sans-%C3%A9paules-ou-la-communaut%C3%A9-des-invisibles/pierrick-de