La revue Fario

 

Il y a une âme dans cette revue, on la croise, on la vit. On la ressent au fil des pages que l’on lit. Une âme, celle des beautés et des douleurs, de tout ce qui a fait le tragique du siècle passé. Et cette âme vit en Fario, ses pages de papier à l’ancienne, et sa belle couleur beige tout autant à l’ancienne. Elle vient d’un monde ancien, donc, cette revue, monde voilé que l’on aurait tendance à oublier afin de mieux se rassurer, de mieux survivre en pensant croquer à pleines dents un lieu contemporain que nous pensons et affirmons moderne, pour mieux ne pas le regarder. En cela, le récent numéro de Fario est un choc pour son lecteur, quand bien même ce dernier connaît l’aventure de cette exceptionnelle revue. On ne troublera personne en disant ici que les revues de cet acabit ne sont pas légions aujourd’hui. À cela, les raisons sont diverses et ce n’est pas ici notre propos. Ce monde d’avant que l’on arpente en lisant Fario est cependant monde de maintenant. Car la simple existence d’une telle revue, évoquant aussi bien l’intériorité des hommes durant les affres des folies d’hier que cette autre âme que notre modernité conteste tant, l’âme des lieux, de leur géographie, ici la Bucovine de Rose Ausländer par exemple, cette existence est un déni profond de tout ce qui pourrit actuellement l’être même de nos vies. Quelle importance que tous ces « avoirs » pense-t-on en fermant les pages de ce douzième numéro, douze, il n’est guère de hasard, de Fario ? Nous voulons être et nous ne le savons plus. Du moins, nous mimons le « bonheur » de ne plus le savoir ni le vouloir. Fario est un miroir de nos insuffisances collectives contemporaines. On peut se mentir et passer son chemin, on peut aussi plonger dans le questionnement que posent sans cesse, et avec une certaine urgence, Vincent Pélissier, le directeur de la revue, et son équipe, un questionnement répété sans le dire. Dans l’importance du silence.

Pour bien saisir ce qui est « l’engagement » de cette revue, au sens noble et non tristement dévoyé hier par des figures littéraires et idéologiques auxquels on attache sans aucun doute encore bien trop d’importance, mais cela ne durera guère, on se reportera à cette note d’intention signée Vincent Pélissier :

http://www.editionsfario.fr/spip.php?article2&site=1

Il y a beaucoup en ces quelques lignes. Comme dans les noms des écrivains publiés par les éditions du même nom, dans le sillage de la revue : Salah Stétié, Henri Droguet, Fernand Deligny, Serge Airoldi, Günther Anders, Pierre Bergounioux, Gustave Roud ou James Sacré. Les éditions Fario sont ainsi l’éditeur du tome 2 de L’obsolescence de l’homme, maître livre de Anders sans lequel Debord n’eut peut être pas été Debord, du moins ce Debord , celui qui compte tant pour nous, et dont nous prétendons ici que la pensée vit pour maintenant. Être l’éditeur de ce livre, cela aussi est beaucoup. J’évoquais Debord. Sa silhouette plane discrètement sur Fario, revue qui crée une situation surprenante, celle du questionnement de la situation qui nous a créés. On ne sera donc pas surpris de croiser, selon les numéros, les plumes d’Anders ou Jappe.

En ce numéro 12 de Fario, on lira des textes de Jean-Paul Michel, ouvrant l’interrogation sur l’illusion de ce que furent nos utopies, nourries de celles du passé, et leur devenir terrifiant, une interrogation comme un fil « rouge » en Fario, Baudouin de Bodinat, Marcel Cohen, une belle nouvelle d’Henri Droguet, des lignes de Dominique Buisset qui réfléchissent en nous ce que sont le poème et le poète (« Et quand lui-même il vient à l’image, c’est dans un plan second, simple figure d’un être au monde »), rappelant combien est ici essentielle le jeu/je de la mesure. Viennent ensuite une nouvelle de Caroline Fourgeaud-Laville, les carnets de Jean-Luc Sarré, avec des fulgurances : Oran. Été 43. Être le fruit d’une négligence, une faute d’étourderie, une coquille, un cuir, un lapsus… C’est, au bout du compte, plutôt léger à porter. J’aurais trouvé plus contrariant qu’on ait pu « me vouloir ». Ou plus loin : Minuit. Le grossier claquement d’une paire de tongs offusque la lune. Puis un beau texte de Serge Airoldi, ponctué par un poème de Novella Cantarutti qu’il faut absolument lire, un inédit de Fernand Deligny, et le texte lu en forme de pied de nez par l’écrivain grec Thanassis Valtinos lors de sa réception à l’Académie. Une fois parvenu là, au mitan de la revue, le lecteur rencontre les ateliers croisés de Richter et de Kluge, l’artiste et le cinéaste ayant construit un dialogue en regards. Suit un entretien passionnant avec Kluge. Puis huit thèses de Günther Anders, dont la pensée ne cesse de hanter notre époque, dans le silence peureux le plus complet –ou presque.

L’heure est alors à la poésie. Un beau poème de Bill Zavatsky, autour de Bill Evans, naissance d’une amitié aussi. Et Rose Ausländer. Que dire ? Sinon les larmes qui montent aux yeux. Fario publie ici en bilingue, dans une traduction exceptionnelle signée François Mathieu, un ensemble, Pour qu’aucune lumière ne nous aime, un recueil de l’immense poète de langue allemande, poète qui résume à elle seule tout le 20e siècle, et dont la poésie dit, aussi à elle seule, l’âme de la revue Fario. Ces pages suffiraient à légitimer l’acquisition de ce volume.

Ainsi, cette Arche :

 

Dans la mer
une arche
d’étoiles
attend

 

la cendre
survivante
après
le déluge de feu

 

Cela n’est guère connu mais il n’y aurait pas de Recours au Poème sans la poésie de Rose Ausländer, une poésie dont l’influence irrigue, creuse un sillon qui n’apparaît pas encore clairement mais construit fortement. Dans le silence apparent, et l’illusion bruyante.

La revue poursuit ce travail, celui de donner à lire les voix de Czernowitz, depuis son origine, ou presque. Son numéro 10 comportait ainsi la quatrième partie d’une Chronique du ghetto de Czernowitz et de la déportation en Transnistrie, avec des textes traduits par François Mathieu. D’une certaine manière, la publication des poèmes de Rose Ausländer poursuit cette chronique qui, témoignant de quatre années de l’histoire d’une ville-capitale, résume celle du 20e siècle, et de ce fait… nous résume.

Pour finir, Fario demande à trois écrivains, Gilles Orlieb, Antoine Emaz et Jacques Lèbre, Où écrivez-vous. Un questionnement suivi. 

Mais je dois revenir en arrière, volontairement, au texte de Marcel Cohen, lu à l’orée de ce numéro, intitulé La sphère de Magdebourg. Écrire la Catastrophe, témoignage et fiction texte qui, dans le sillage de rencontres initiées par Cécile Wajbrot en 2011, interroge le rapport entre l’écriture et la Catastrophe, la Shoah. Toute l’aventure de Fario est ici, dans la poésie de Ausländer et dans la publication d’un texte tel que celui de Marcel Cohen, lequel navigue entre écriture de sa propre mémoire et pensée sur ce qu’est écrire sa propre mémoire, autrement dit sur l’impossible qu’est cette écriture. Que nous est-il arrivé à tous dans ce qui est arrivé aux victimes des tragédies du siècle passé, semble demander Marcel Cohen, et avec lui la revue Fario, oui, que nous est-il arrivé, à nous qui prétendions, et prétendons toujours semble-t-il, être la culture. Nous, qui sommes le lieu de la mise en fonction d’usines à fabriquer la mort des êtres humains, d’abord, des êtres ensuite.

Revue Fario n° 12, hiver 2012- printemps.

Les numéros 10 et 11 sont tout aussi fondamentaux, et l’on gagnera à se les procurer.

(deux numéros par an).

26 rue Daubigny – 75017 Paris.

revue.fario@gmail.com

 Site : http://www.editionsfario.fr/

Abonnement : 50 euros.

Le numéro : 28 euros. Chaque numéro, autour de 400 pages.

 




La revue Mange Monde

 

En parallèle à son travail d’éditeur aux commandes des éditions Rafael de Surtis, Paul Sanda a toujours eu à cœur d’animer une revue. Succédant à Pris de Peur, Mange Monde est née en 2011. Vincent Calvet occupe le poste de rédacteur en chef. On retrouve dans cette publication semestrielle le « cachet » propre aux ouvrages des éditions Rafael de Surtis, fabriqués « maison » avec des cahiers cousus main. On retrouve aussi, pour ce qui concerne la ligne éditoriale, cet attachement au surréalisme et à ses prolongements actuels. Ésotérisme et alchimie y tracent leurs empreintes. Mais, pour autant, Mange Monde n’est pas une revue initiatique puisqu’elle fait montre d’un esprit d’ouverture en accueillant des poètes d’horizons divers. Une même structure se retrouve d’un numéro à l’autre, axée principalement sur deux longs entretiens (Gabriel Lalonde et Jean-Pierre Lassalle pour le N°3, Rémy Boyer et Fabrice Caravaca pour le N°4). Une partie centrale porte regard sur des poètes étrangers, publiés dans leur langue natale avec une traduction en français. En fin de sommaire, Serge Torri, co-directeur de Mange Monde, présente quelques voies actuelles de la création poétique en France. La création artistique n’est pas absente de Mange Monde, qui confie sa couverture et quelques pages intérieures à un plasticien. Il faut saluer la « sobriété » de cette revue peu attirée par une accumulation « fourre-tout » de poèmes hétéroclites mais davantage soucieuse de s’arrêter longuement en compagnie d’un seul auteur ou éditeur.

 

Mange Monde, N°3 et N°4 ; 1er et 2ième semestre 2012 ; 102 pages ; 15€ : contact : paul.sanda8234@yahoo.fr




Les carnets d’Eucharis

Nathalie Riera est une lectrice infatigable. Egalement Poète, elle a publié Puisque beauté il y a (Lanskine, 2010), un recueil qui, en se gardant de tout solipsisme, couronne le jour qui passe et sait jouer des saisons de l’homme sur la terre Depuis 2008, elle diversifie, dans sa revue numérique Les carnets d’Eucharis, les approches et les contenus littéraires. Sans sectarisme mais ouvert aux tendances esthétiques les plus novatrices, son site est devenu incontournable.

Voici aujourd’hui la publication d’une première version papier de ces carnets.

Ma décision d’en venir, une fois par an, à une version papier, est une manière de ne pas négliger un pan du lectorat qui s’avère peu attaché à la seule lecture numérique (…) Claude Minière m’a fait part de cette pensée : « dans le passage à l’édition papier, il y a un geste significatif. Par là, vous allez vers ce qui se donne à la main, ce qui peut se lire dans la main (dans la méditation) – et donc n’est plus sous l’impression binaire « informatique », se déroulant pour l’œil seul. (Réponse de Nathalie Riera à une question de Richard Skryzak dans l’avant-propos).

Au sommaire, on découvrira un dossier riche d’enjeux sur Susan Sontag (avec notamment des contributions d’Angèle Paoli, Jacques Estager et Nathalie Riera). La rubrique Au pas du lavoir nous offre à lire des poèmes de Mathieu Brosseau, de Gérard Cartier, de Gilbert Bourson, de Béatrice Machet… et de Claude Minière qui s’impose, d’après moi, comme le poète le plus singulier de notre modernité :

La mémoire passe de la ville à la campagne
quand les feuilles roses et grises s’unissent et se séparent selon le vent
le tronc ne bouge pas
déroulé du passage
définition spatiale du vocabulaire
au centre et à l’écart.

Les rubriques Le chantier du photographe, Traduction et Recensions concluent ce premier numéro d’admiration et de création.

 

Les Carnets d’Eucharis 2013

(L’association l’atelier les Carnets d’Eucharis, L’Olivier d’Argens, Chemin de l’Iscle BP 44, 83520 Roquebrune-sur-Argens. Courriel : nathalieriera@live.fr).

Le site : http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/

 

 




La revue des revues de Christophe Dauphin

 

LETTRES ROUMAINES n°1. 136 pages. Rédaction : éditions Non Lieu, 224, rue des Pyrénées, Paris 20.

 

            Lettres Roumaines est une revue des plus atypiques. On ne peut s’y abonner, pas plus que l’on ne peut l’acheter : elle est gratuite ! On imagine, en lisant cela, qu’il s’agit d’une revue d’aspect négligé. Pas du tout, au contraire, la présentation est impeccable, au même titre que la mise en page. Imprimée sur papier glacé, la revue est richement illustrée par des gouaches et des acryliques, en pleine page et en couleurs, de Nicolae Paduraru, peintre d’une cosmogonie onirique d’êtres hybrides. Coordonnée par Petre Raileanu et coéditée par les éditions Non Lieu et par Copyro (qui est une société de gestion des droits d’auteur, qui rassemble un grand nombre d’écrivains roumains), la revue Lettres Roumaines entend présenter des livres et des auteurs qui ne sont pas connus au-delà des frontières de la Roumanie. L’objectif de cette démarche est d’éveiller la curiosité des éditeurs français, de l’espace francophone et des lecteurs pour cette partie de l’Europe longtemps restée dans l’ombre, malgré ses liens jadis très étroits avec la France (la liaison intellectuelle et artistique Bucarest/Paris fut des plus importantes au XIXe siècle, comme dans la première partie du XXe siècle : Istrati, Enescu, Brancusi, Fondane, Brauner, Voronca, Sernet, Hérold, Ionesco en témoignent). Cinq auteurs sont ici présentés en plus du peintre Nicolae Paduraru. Les romanciers Iacob Florea, Radu Tuculescu, Dumitru Radu Popescu ; le poète Ioan Es. Pop qui, né en 1958 et auteur d’une œuvre importante a, nous dit-on, influencé la génération des années 90 ; l’essayiste Ioan Aurel Pop. Lettres Roumaines est assurément un beau projet ; une revue de qualité et de pure découverte pour le lecteur français.

***

 

 

EMPREINTES n°20. 48 pages. 8 €. Abt (4 n°) : 30 €. Rédaction : 102, Boulevard de la Villette, 75019 Paris.

 

            Ce n°20 n’échappe pas aux règles d’ouverture et d’originalité qui caractérisent la revue depuis ses débuts. 48 pages au format 21 x 28 cm. Papier glacé épais. Au sommaire, le Musée Jeanne d’Arc de Rouen, par Claude Brabant, les proses décadentes (1886) de Léo Trézenic, une présentation de la grotte (art brut) et de la maison de Jean-Michel Chesné, des proses et poèmes de Jean-Michel Maubert, Jean-Pierre Le Goff, Bernard Dumortier, des dessins étonnants de Guy Ferdinande, Tristan Félix, Jacques Touchet. Une revue atypique, inclassable, à découvrir absolument.

 

***

 

DIÉRÈSE n°56. 350 pages. 15 €. Abt (4 n°) : 38 €. Rédaction : 8, avenue Hoche, 77330 Ozoir-la-Ferrière.

 

            Dans la « Chronique des revues » des HSE n°34 (2012), nous avons salué le numéro de référence, donné, sous la houlette d’Isabelle Lévesque, par Diérèse n°52/53, sur Thierry Metz. La boucle messine était-elle bouclée par ses quelque 328 pages ? Non et la revue de Daniel Martinez remet le couvert avec un deuxième numéro spécial, rassemblant les poèmes inédits de Thierry Metz, des textes d’Isabelle Lévesque, Pierre Dhainaut, Éric Dazzan, Didier Periz ou Christian Viguié. Un beau numéro enrichi par une belle iconographie, des témoignages et des entretiens. « Plus que tout autre », nous dit Daniel Martinez, « Thierry Metz aura su capter, à l’aune d’une existence rien moins que banale et dans les marges du quotidien, une mesure de l’absolu : au coeur, et au-delà des messages du monde, portant la braise à son bois. L’assise, et l’élan recherché, du regard aux signes, à leur transcription, ensemble nous fascinent. Sans jamais effacer donc la relation au référent, sa poésie saisit d’emblée la note juste. »

 

***

 

CHIENDENTS n°14. 36 pages. 4 €. Rédaction : 20, rue du Coudray, 44000 Nantes.

 

            Chiendents est la nouvelle revue éditée par les éditions Petit Véhicule. Ce numéro est entièrement consacré au poète et dessinateur Jacques Basse qui, depuis dix ans, travaille sur une collection de portraits (d’écrivains, poètes…) au crayon, qui compte maintenant quelque quinze cents pièces. Six volumes de son travail, sous le titre de Visages de poésie, ont déjà paru aux éditions Rafael de Surtis, éditeur chez lequel Basse a également publié quatre livres de poèmes (« Une écriture fine, aérienne, ciselée dans la force de vie », nous dit Paul Sanda), dont récemment Échos et murmures (2012). « Chacun des tomes de Visages de poésie peut se lire comme une ouverture à l’univers complexe de la poésie vivante, bien plus instructive que certaines anthologies ou panoramas prétentieux », écrit Georges Cathalo.

 

***

 

COUP DE SOLEIL n°86. 40 pages. 7 € le numéro. Abt (3 n°) : 19 €. Rédaction : 12, avenue du Trésum, 74000 Annecy.

 

            Des poètes et leurs inédits. À l’honneur dans ce numéro 86 : Lionel Ray (Te voici au plus noir de cette cave - Où tu brilles - Comme une rose inépuisable), Jacques Brossard (Le silence refait en pensée - Ce chemin qui le relie au bruit), Jean Chatard (La nuit raconte ses voiliers), Jean-Louis Bernard (Le vent trappeur pose ses collets), Jean-Louis Jacquier-Roux, Annie Salager, Valérie Canat de Chizy (Les sentiers mènent à des châteaux en ruine) et Jeanine Salesse (Nous nous touchons pour ne pas tomber). Suivent des notes de lecture et des chroniques, dont un beau portrait de Michel Dunand, le maître des lieux, par l’éditeur Jacques André, qui écrit : « Vous savez que le bonheur ne s’achète pas en parcelles numérotées sur la terre. Et si nous voulons rencontrer la plénitude, il faut aller à sa rencontre, de partout, et de toujours, car la félicité ne tombe toute rôtie que dans la bouche des imbéciles. Et c’est ainsi que vous gagnez le monde, dont vous nous rapportez quelques paillettes, comme autant de trésors ravis aux abysses de l’inconscient du monde. » Ces propos sont parfaitement justes. Pour le vérifier, il suffit de se reporter aux deux dernières plaquettes de Michel Dunand, Mourir d’aller (Jacques André éditeur, 2012) et Tunis ou Tunis (Berg édition, 2012). Le poète d’Annecy (ville où il dirige, non seulement la revue Coup de Soleil, mais également la Maison de la Poésie), Michel Dunand, qui se revendique poète de l’homme ordinaire (ce qui n’est évidemment pas pour nous déplaire aux HSE, les Poètes de l’émotivisme et de la Poésie pour vivre), écrit pour ne pas sombrer. Résister. Témoigner. Dunand nous dit aussi : Moi j’écris. Je lutte avec les mots. - Je me bats. - Mais je bâtis. Avec Mourir d’aller, le voyage est toujours de mise (l’Italie et Moscou, ici), mais le ton est peut-être plus grave qu’à l’accoutumée : je meurs d’aller, nous dit le poète. La mort revient entre les lignes, mais elle attendra, j’ai un cœur neuf, rétorque celui qui jette ses yeux - Pour voir - Mieux voir. La plaquette Tunis ou Tunis a la particularité d’être éditée en bilingue (arabe/français) et à Tunis (Tunis a tourné la page. - On béatifie les blindés). Un bel ensemble qui permet au poète de célébrer une fois de plus le désert (Le désert me devancera toujours. - J’admire éperdument - ce grand marcheur), mais aussi la ville, le pays qui a conquis sa liberté : On ne confisquera - jamais le langage. 6 Il poursuivra sa route.

 

***

 

7 à dire n°53. 20 pages. 4 € le numéro. Abt (5 n°) : 18 €. Rédaction : La Sauvagerais, La Rotte des Bois, 44810 La Chevallerais.

 

            Cette livraison s’ouvre sur un hommage à Henry Bauchau, décédé en septembre 2012 à l’âge de 99 ans ! Suivent des poèmes et des textes de Patrice Blanc, Jean Chatard, Gilles Lades, Danièle Corre. Jean-Marie Gilory donne une très belle note de lecture sur Mains d’ombre (LGR/HSE, 2012) d’Elodia Turki : « Or voici que resurgit ici le poème, en sa précise et vive langue de poésie. Dont notre revue sut orner ses pages au long de quatre numéros, égrenant une quinzaine de textes de haute tenue. Mains d’ombre est tiré de la mer de la mémoire qui n’arrête pas ses allers et venues de marées chez Elodia Turki. »

 

***

 

FRICHES n°111. 70 pages. 12 €. Abt (3 n°) : 25 €. Rédaction : Le Gravier de Glandon, 87500 Saint-Yriex.

 

            Ce numéro est consacré au Prix Troubadours, qui est décerné tous les deux ans. La revue Friches édite le recueil du lauréat, en 2012, Monique Saint-Julia, avec On n’invente pas la neige. « J’écris pour retrouver une voix, une musique, le parfum de moût fermenté, sentir sous la main le sifflement de la rampe cirée, retrouver des prés fleuris de jonquilles », dit elle-même Monique Saint-Julia (auteur prolifique, qui publie également Regards croisés, éd. de l’Atlantique). Les autres nominés sont Chantal Couliou, Robert Denis, Régine Ha Minh Tu, Geneviève Vidal et Jean Vigna.

 

***

 

SPERED GOUEZ n°18. 164 pages. 15 €. Rédaction : Centre Culturel Breton Egin, 6, Place des Droits de l’Homme, BP 103, 29833 Carhaix Cedex.

 

            Un numéro dense, avec de nombreuses chroniques et notes de lectures sur des revues et sur des livres. Le choix de poèmes du numéro est placé sur la bannière de « l’Éphémère et éternel, le temps ». Chaque instant contient sa perte - et tout ce qui précède, écrit Marilyse Leroux. Dans son éditorial, Marie-Josée Christien revient sur participation aux Rencontres de Lorient, sur le thème de l’engagement poétique. « Voilà bien longtemps, écrit-elle, que personne ne parlait plus de « littérature engagée ». Pourtant, entre les omniprésents donneurs de leçons d’hier et le silence sidéral des écrivains d’aujourd’hui, il y a place pour une parole discordante, courageuse, solidaire… L’engagement poétique, plus que jamais d’actualité, n’est bien sûr pas pour nous synonyme de poésie engagée. C’est la poésie elle-même qui est résistance et engagement. C’est elle qui fonde et dirige notre vie. » Comment ne pas donner raison à M.-J. Christien ?

 

 ***

 

LA MAIN MILLÉNAIRE n°4. 148 pages.15 €. Abt (3 n°) : 36 €. Rédaction : 126, rue du Canneau, 34400 Lunel.

 

            La main millénaire de Jean-Pierre Védrines fête sa première année d’existence. Une belle réussite. « Publier des auteurs qui ont du plaisir à écrire, qui ont le don du poème et l’ardeur de la vie ». La revue est demeurée fidèle à sa ligne éditoriale, tout au long de ses quatre premières livraisons. Un seul regret : le peu de pages consacrées à l’appareil critique. Au sein du numéro 3, nous avions particulièrement aimé, de Jean-Pierre Védrines lui-même, le long poème, « L’ombre », qui donnait assurément le la de cette fournée : La flamme avant l’incendie est le pressentiment de sa douleur. Ce numéro 4 tient ses promesses. Jean-Vincent Verdonnet et Jeanne Bessière (que je découvre) sont mis en avant. Le premier est loin d’être un inconnu. Quant à la deuxième, ce fut une découverte. Jeanne Bessière est pourtant née en 1929 et est l’auteur de treize recueils de poèmes : La nuit s’étale - tache d’encre inexplorée. Suivent de bons poèmes inédits de Claudine Bohi, Christophe Dauphin (La nuit s’allonge dans un galet - N’en sortent que les dents de la rage), Matthieu Baumier, André Prodhomme (je pris alors en main l’urgente alternative des poètes celle qui crie à chaque mot il faut changer le monde pour qu’enfin il devienne la poésie la vie), Patrick-Pierre Roux, Alain Piolot (écrire, c’est résister)… En fin de numéro : trois belles proses d’André Morel, J.-P. Védrines et Patricia Grare.

 

***

 

CONCERTO POUR MARÉES ET SILENCE n°5. 14 €. Rédaction : 164, rue des Pyrénées, 75020 Paris.

 

            Concerto pour marées et silence est une revue annuelle axée sur la création poétique. Il n’y a pas de rubriques clairement identifiées au sein de Concerto pour marées et silence, mais trois mouvements : Moderato, Adagio et Allegro, au sein desquels cohabitent textes de création, articles et notes de lecture. Parmi les poètes, citons Patrice Blanc, Claudine Bohi, Bernard Fournier, Annie Le Gall, Danièle Corre ou Nicole Hardouin : Demande ton chemin aux bourgeons - ils viennent de si loin. Pour la partie critique : une belle évocation de Serge Brindeau par son épouse Paule, ainsi qu’entre autres, une note de lecture fouillée de Gérard Cléry sur Mireille Fargier-Caruso. Cette belle partition est orchestrée et dirigée, depuis 2008, par Colette Klein, infatigable animatrice de la scène poétique, mais aussi et surtout poète de talent : Les paysages déversés par le rêve ne connaissent jamais le nom du dormeur (in La neige, sur la mer…, La Bartavelle, 1997).

 

***

 

INTRANQU’ÎLLITÉS n°1. 200 pages. 20 €. Rédaction : passagersdesvents@gmail.com.

 

            « Ne vous fiez pas à l’île, qui saute aux yeux comme une proposition de soleil, de clichés de sables fins. On est souvent conduit à percevoir l’île comme un territoire replié sur ses bornes, où il suffirait de pivoter sur un pied pour en faire le tour. Le préfixe In dans IntranQu’îllités pourrait même renvoyer à la négation de l’insularité. Ce titre est une manière, une astuce pour apostropher tous les imaginaires du monde, pour pénétrer les interstices et naviguer dans l’air/ère d’une île-monde », écrit James Noël. IntranQu’îllités, revue littéraire et artistique haïtienne, élaborée par James Noël (poète) et Pascale Monnin (plasticienne), est une émanation de l’association Passagers des Vents, première structure de résidence artistique et littéraire en Haïti. Revue littéraire et artistique, IntranQu’îllittés fait la part belle aux imaginaires du monde en rassemblant dans son premier numéro une quarantaine de contributions avec des participants comme Ananda Devi, Charles Dobzynski, René Depestre, Valérie Marin La Meslée, Francis Combes, Sébastien Jean, Hubbert Haddad, Sergine André, Makenzy Orcel, José Manuel Fajardo, Michel Le Bris, Dany Laferrière, Mario Benjamin, Paul Harry Laurent, Patrick Chamoiseau, Marvin Victor, Thélyson Orélien, Frankétienne. La revue se propose d’être une boîte noire qui capte et rassemble les mouvements, les vibrations et autres intranquillités créatrices. Déconstruire les frontières, faire tomber les murs visibles et invisibles par le biais de l’imaginaire. Rendre compte de la beauté du monde envers (en vers) et contre tout, à travers les mots et toutes autres formes d’expressions artistiques de notre temps, tel est le but fixé par toutes ces voix intranquilles qui fourmillent ce beau rêve. Au-delà des frontières le plus souvent artificielles entre les disciplines de la création, seule compte à nos yeux la poétique, meilleure paire de lunettes pour regarder le monde !

 

 ***

                                               




La revue TRACES N° 176 fête en janvier 2013 ses 50 ans d’existence

 

Claude Serreau ouvre ce numéro 176 ; pour ceux qui ne connaîtraient pas l’histoire de la revue , l’ami , le collaborateur ,le compagnon en poésie de Michel-François Lavaur  depuis un demi siècle ,s’en fait l’historien. Pour lui, MFL est : « celui qui a réussi à faire d’une revue artisanale un document essentiel et un témoignage sans égal pour qui veut et qui voudra connaître  ce que fut en France et en particulier dans l’Ouest, au cours des cinquante dernières années, une vie au service de la Poésie. »(p. 5), ce que confirme Jean-Claude Vallejo à la fin de ce numéro : « Traces est un cas unique, et je suis convaincu, d’accord avec le poète et éditeur Bruno Doucey, avec qui j’ai eu l’occasion d’en parler, alors qu’il dirigeait encore la maison Seghers, qu’il n’est pas pensable pour nous d’occulter la contribution de la revue Traces et de MFL à ce demi siècle de la vie poétique française. »(p.72)

En page 7 l’article de presse  annonçant en janvier 1963 la sortie d’une nouvelle revue de poésie Traces , montre que déjà en ce numéro 1, Claude Serreau, Pierre Autize, Jean Bouhier, Georges Drano, Gilles Fournel, Jean Laroche et James Sacré avaient  répondu à l’appel ; avec de tels poètes, cette revue commençait sous de très bons auspices.

Le poète Hamich Tibouchi offre aujourd’hui à Michel –François Lavaur un très beau poème pour toutes les traces remplies de vie (p. 14)

Une lettre de Alain Lebeau retient  l’attention, touche au cœur, elle trace le chemin qui mène à l’ami quand les souvenirs ensoleillent l’automne, quand la vie a passé et que les gestes se font plus lents mais que forts d’une vie de poésie et d’amitié, on peut se parler en silence…

Georges Cathalo offre un bouquet de vœux, retenons celui-là : « J’aurais voulu retrouver les milliers de lettres et de courriers divers que MFL a offerts à ses amis et à ses correspondants afin de composer un monument épistolaire. » (p.21)

 Michel-François Lavaur, le poète, le dessinateur, le revuiste est aussi  un mail artiste.

« Jour de fête , comme chez Jacques Tati, celui où l’on recevait une lettre de Lavaur(…) ces enveloppes singulières, dont les formats et les papiers inattendus s’ornaient de dessins et de textes à la fantaisie colorée, humoristique, ludique, parfois aussi mélancolique. » Martine Morillon Carreau (p.40)

« J’ai eu l’immense joie, avec ses réponses, de découvrir le mail art. Un vrai cadeau que de recevoir ces enveloppes travaillées, illustrées, ornées, calligraphiées, jouant aussi avec les couleurs des nombreux timbres… » Jean –Claude Vallejo (p.71)

Odile Caradec qualifie de saint laïque celui qui a consacré une grande partie de sa vie à la poésie, dans un esprit total de gratuité et de fraternité.

Qu’est-ce que la poésie ? À la définition que donne Patrice  Angibaud pour qui la poésie est prière, MFL répond : « tu me dis, et je te le concède, que le poème est une prière. C’est vrai , si prier c’est ouvrir nos portes secrètes au visiteur étranger qui vient avec franchise ; si prier c’est se dépasser pour déboucher sur l’autre et non s’en remettre à quelque dieu, voire à un démon, pour éponger nos appétits de privilèges, ici-bas ou dans un monde posthume ; si c’est chercher la communication au plus intime de nos êtres, sous la carapace d’attitudes et de manigances que la hiérarchie et le qu’en dira-t-on imposent, peu ou prou, même aux plus rebelles à leur joug(…) mais que jamais l’écrit ne soit ce monument de «  mastuvu » sur notre vanité. » (p.46).

Parole de vérité que celle du poète, reçue il y a 40 ans , Patrice Angibaud nous la donne aujourd’hui à méditer car elle garde toute son actualité… « En cet aujourd’hui où les mots sont vidés de leur sens ; en cet aujourd’hui où l’attention à l’autre est de moins en moins une préoccupation ; en cet aujourd’hui où seuls comptent le chacun pour soi, l’apparence et le clinquant. »( P.Angibaud)(p.46)

Pascale Lavaur nous offre un texte émouvant qui nous dit le maître d’école et surtout le père qu’il fut, hommage plein de tendresse filiale : « Ma maison est l’école et mon père est le maître d’école… »

Eric Simon fait revivre la soirée du 24 février 2009 au café de la Rotonde à Nantes  où il avait invité MFL : «  et je garde en mémoire comme un précieux joyau ce poème entendu en occitan de la bouche même de Michel-François Lavaur, le timbre de la voix et l’accent restaurant l’expression vibrante de chaque syllabe, dans sa valeur de sens et d’émotion. La Rotonde, ce soir-là, s’éclairait d’une lumière persistante, celle de la bonne étoile. »(p.62)

 

Ce N° 176 est aux couleurs de l’amitié et de l’affection, il est un cadeau pour les lecteurs, avec lui en ce début d’année 2013 la poésie brille haut et loin.

 

Pour conclure cette présentation, un extrait du poème de Jean Dif  qui dit si bien cette fraternité poétique qui a animé cette revue, elle  explique sans doute sa longévité   et  elle  a fait de Michel-François Lavaur un passeur en poésie qui laissera durablement son empreinte dans le paysage poétique de la deuxième moitié du XXème siècle.

 

« Comme un facteur choisissait
   sur le chemin des cailloux
   pour son palais des merveilles
   patiemment dans ta fourbithèque
   pendant près d’un demi siècle
  tu as noué et renoué
  la longue chaîne des poètes
  venus de tous les horizons
  qui se lisant les uns les autres
  se reconnaissent sans se connaître

(…)

  mais voici que le temps s’en vient
  et de nous rassembler à nouveau
  pour un dernier feu d’artifice… »

                                                                

………………………………………………………………………………..

 

De nombreux poèmes à découvrir, la plupart inédits de : Claude Serreau, Martine Morillon- Carreau, Hamid Tibouchi, Guy Chaty, Claude Cailleau,Roland Halbert, Emmanuel Hiriart,Gilles Lades, Bernard Le Blavec, Jean Dif, Didier Cléro, Michel L‘Hostis, Bernard Picavet, Michel Baglin, Jean-Pierre Mestas, Jacques Simonomis, René Cailletaud, Hugues Pissaro, Gérard Prémel, Jean-Claude Coiffard, Jean-Pierre Poupas,Jean-Pierre Poëls,Rüdiger Fischer,Amédée Guillemot , Jean-Claude Touzeil,Moreau du Mans, Norbert Lelubre, Robert Momeux, Jean Laroche, Dagadès et Michel-François Lavaur.

 

Des illustrations de : Hugues Pissaro, Hamid Tibouchi, Gérard Sendrey, Claudine Goux, Krystel Lavaur, Pierre-Marie Eades, et Michel-François Lavaur. 




Faites entrer l’Infini, n°54

Le dernier numéro de la revue Faites entrer l’Infini, édité par la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Triolet, a pour titre : Aragon dans son siècle, par 25 écrivains d’aujourd’hui. A l’occasion du trentenaire de la mort du poète, 25 plumes actuelles livrent un regard sur l’œuvre d’Aragon, de Nedim Gürsel à Philippe Le Guillou, de Matthieu Baumier à Michel Host, de Francis Combes à Luis Mizon en passant par Pascal Boulanger, Lucien Wasselin, Jean-Luc Despax, Sarah Vajda, les comédiens Daniel Mesguich et Jean-Paul Schintu pour n’en citer que quelques uns.

Ce « Moment Aragon », pour reprendre l’expression de François Eychart, le coordonnateur de ce beau numéro, est l’occasion de donner la parole à des écrivains, des comédiens, des chanteurs, des metteurs en scène afin qu’ils disent l’inspiration et l’influence d’Aragon dans leur œuvre. Le tout iconographié par le photographe haïtien Gérard Bloncourt, témoin discret et observateur engagé, Résistant, puis luttant aux côtés des classes populaires.

Cet hommage permet à Olivier Barbarant, maître d’œuvre de l’Œuvre poétique complète d’Aragon dans la collection La Pléiade, de tenir ces propos abrasifs et lucides quant à la poésie actuelle : « Nous sommes au cœur d’un triangle : l’un des côtés prend le vide pour sacré, et la pusillanimité pour modèle, comme s’il suffisait de sous écrire pour atteindre à ce qu’on appelle pompeusement une vérité de parole. L’autre face continue de produire les déjections d’un clavier affolé, ou bien amusé, c’est selon, au nom de la post-modernité. Et le socle, horizontal comme il se doit, attirant démocratiquement le public, consiste en une logorrhée d’une sidérante démagogie. Le poème contemporain laisse trop souvent, au nom de ses hautes exigences, au pire mirliton le propos touchant aux préoccupations des lecteurs. En dépit de nos contorsions philosophiques, rien de changé depuis 1940, et le refus aragonien d’une poésie confiant le chant à l’art médiocre. Saisir pleinement que « la plus banale romance » puisse être « l’éternelle poésie » n’est pas s’abandonner aux sirènes de la facilité, mais arracher le poétique à ses cothurnes, sans pour autant lui faire chausser des baskets. » Une charge contre les tenants du « lyrisme aride » comme diraient certains poètes en vogue, contre les tenants de la proscription du lyrisme professée par quelque poète universitaire. Parce que « sa modernité (à Aragon) ne fut jamais effrayée par la terreur de l’inactuel ».

Matthieu Baumier, dont on peut lire la contribution ici http://www.recoursaupoeme.fr/essais/louis-aragon-dans-la-r%C3%A9volution-surr%C3%A9aliste/matthieu-baumier, se penche sur le rôle d’Aragon dans La Révolution surréaliste et regrette que l’impertinence et la violence qui avaient cours en cette revue - dont l’ambition était de se dégager « de l’entendement conditionné » dans lequel Aragon et Breton se voyaient vivre, identique à celui que nous subissons aujourd’hui – nous soient comme auto-interdites, quand Aragon pratiquait l’art de l’adresse aux cons. Ce qui l’intéressait, Aragon, en ce début du surréalisme, c’était la question métaphysique, le hasard objectif, le siècle des apparitions comme il l’écrira lui-même. Baumier termine son article sur le premier Aragon, quand il était surréaliste et qu’il n’adhérait pas encore au monde bolchevique, ainsi : « Le « grand drame » dont Aragon se voulait le « messager » à l’orée de La Révolution surréaliste est toujours à notre porte. (…) Oui, en ce temps tragique où plus que jamais le recours au poème est nécessaire, relire cet Aragon-là, c’est se souvenir combien le réel en son entier est rond et bleu. La poésie, c’est l’instant du non conformisme intégral. »

Michel Besnier dresse un portrait du conteur Aragon. Gianni Burattoni envisage le rapport du poète à l’art moderne tel qu’il lui fut donné de le voir. Francis Combes s’agace d’abord des dernières polémiques concernant « le vieillard (…) déguisé en drag-queen », pour s’émerveiller, l’ayant rencontré, devant l’homme capable de parler comme un livre. Jean-Luc Despax interroge le poème Les Poètes. Nedim Gürsel brosse le lien d’Aragon à Venise, la ville des amants, et ses bonheurs, et ses malheurs, avec Nancy. Michel Host s’intéresse au poète, dans une contribution que l’on peut lire ici : http://www.recoursaupoeme.fr/essais/la-gr%C3%A2ce-%C3%A9parse-ou-le-po%C3%A8te-aragon/michel-host. Philippe Le Guillou médite sur la fascination exercé sur lui par La Semaine sainte. Jean-Paul Schintu se rappelle la présence d’Aragon lorsqu’il joua L’armoire à glace un beau soir. Lucien Marest étudie le rapport entre Aragon et le Parti Communiste Français. Daniel Mesguich répond, par un entretien profond, aux questions de François Eychart. Luis Mizon parle des rapports entre  Aragon et Neruda tandis que Sarah Vajda évoque son rapport à Barrès. Le numéro se clôt par un article de Lucien Wasselin convoquant en sa mémoire les vifs souvenirs d’Aragon qui marquèrent sa propre vie en des instants inoubliables grâce au compagnon poète. Quant à Pascal Boulanger, il rend hommage à Aragon par six brillants poèmes évoquant les images devenues légendaires du poète.

Un beau numéro pour apprécier, avec maintenant trente ans de recul, l’extrême diversité des langues d’Aragon orchestrées par sa langue natale : le poème.




Autour de Voix d’encre, A l’index, L’Intranquille, Arpa et Europe

 

Le numéro 47 de la belle revue Voix d’encre propose des textes de sept poètes : Muriel Stuckel, Daniel Martinez, Emmanuel Merle, Isabelle Lévesque, Agnès Adda, Calou Semin et Monique Saint-Julia. Le volume s’ouvre sur un poème émouvant et fort de Muriel Stuckel, dont les mêmes éditions ont publié un recueil il y a peu,  
Le poème est dédié à Béatrice Douvre :

 

Sous les nuages écarquillés

Tes pas de poète vacillent
Endoloris de rêves gris

Soudain tes larmes de cristal
Transpercent la halte brève

De l’été matinal

Et ta voix funèbre saigne
De la surdité du monde

Là-bas

Sous les nuages recroquevillés
Autour de ton étoile morte

 

Béatrice Douvre est partie bien trop vite. Nous ne pouvons qu’engager les lecteurs de Recours au Poème à se tourner vers son œuvre, éditée en partie par L’Arrière-Pays, Voix d’encre et Galaade. Il faut remercier Muriel Stuckel, mais aussi, par ailleurs, Gérard Bocholier, Pierre Maubé, Jean-Yves Masson ou encore Alain Blanc, parmi d’autres, de permettre que son œuvre demeure accessible à qui veut la découvrir.
C’est plus qu’un hommage à Douvre ici, un dialogue en amitié et profondeur. Ainsi :

 

Quand la douleur se disperse
À tous ciels à tous vents

La voici qui prend corps et lettres
Pour nous traverser l’âme

La voici ta voix d’ange
Qui se pose sur la page

 

Qui a regardé le visage de Béatrice Douvre sait ce dont parle Muriel Stuckel, un visage où « se froisse la splendeur de vivre ».
Plus loin, Emmanuel Merle nous entraîne dans les neiges arpentées par Perceval, chevalier d’effroi dont nos pays maintenant en partie dénués de légendes auraient bien besoin, en une époque où « Les âmes attendent devant des portes, / et regardent la patine du temps » :

 

L’éclat noir surgissait toujours de la neige,
schiste, déchirant cri d’oiseau.

Je foulais,
chasseur dans la neige sur ce chemin
entre la maison et la route.
Le ciel et la glace étaient verts,
chacun mordant l’autre de son feu éteint.

Peindre alors des arbres noirs
sur le blanc du papier était simple
comme l’hiver, et c’étaient signes
d’un alphabet du manque.

Il neigeait beaucoup,
on aurait dit une famille immense.

 

Suit L’écrire, suite de textes dédiés par Isabelle Lévesque à Claude Lévesque, son père, philosophe, écrivain qui est décédé l’an passé. Les mots touchent au cœur.
En son ensemble, ce numéro de Voix d’encre est de toute beauté, une beauté triste souvent. Sans doute les poètes invités ici portent-ils en eux « toutes les voix enfermées en nous / égrenant le silence de la nuit » (Monique Saint-Julia). Une belle occasion de découvrir, si besoin, une revue qui fait beaucoup, et depuis longtemps pour la poésie française contemporaine.

 

revue Voix d’encre, BP 83. 26202 Montélimar cedex.
Semestrielle, le numéro 10 euros.
www.voix-dencre.net

 

 

Plus d’une vingtaine d’auteurs convoqués pour ce numéro 22 de la revue A l’index animée par le poète Jean-Claude Tardif. On y lira notamment l’ami Christophe Dauphin poursuivant son inlassable travail afin de faire redécouvrir l’importante poésie de Marc Patin, l’un des poètes qui maintinrent, souvent au péril de leur vie, l’existence du surréalisme à Paris sous l’occupation allemande. Leur groupe s’appelait La Main à Plume, plusieurs numéros de revue ont alors paru clandestinement. Sur Patin : http://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/marc-patin

Patin est à l’évidence un grand poète trop méconnu, victime de son non conformisme politique après 1945. Sur La main à Plume, on lira l’anthologie publiée chez Syllepse en 2008 (une partie des textes avaient été réunis, à la demande de Richard Walter, par Matthieu Baumier et Nadine Lefebure, laquelle fut, jeune, membre de ce groupe).

On lira aussi des poèmes de Christophe Dauphin dans cette même livraison.

A l’index mêle des poètes habitués des revues de poésie et de jeunes ou nouvelles voix. Certains apparaissant ici pour la première fois. Il faut louer l’abnégation de cette revue qui, avec d’autres, s’échine à faire découvrir des voix nouvelles, démontrant par l’exemple que la poésie n’a pas abdiqué toute vigueur, n’en déplaise aux oiseaux de mauvais augures égarés parfois dans l’aigreur. Ce numéro s’apparente ainsi à une sorte de « lien » entre hier et maintenant : outre les voix nouvelles, on y trouve un hommage à l’aventure du nouveau marronnier, revue qui sévissait du côté de Rennes au crépuscule du siècle passé. Les pages qui suivent donnent à lire des poèmes de belle tenue, dont, selon mon goût personnel, ceux de Michel Cossec ou Chantal Dupuy-Dunier. On lira aussi avec force attention les trois poèmes inédits de Ferruccio Brugnaro publiés en bilingue, ainsi que le Dialogue des éléments d’Emmanuel Golfin ou les inédits de Claude Serreau. Une revue riche.

 

revue À l’index, association Le Livre à Dire. Jean-Claude Tardif, 11 rue du stade. 76133 Epouville.
revue.alindex@free.fr
Le numéro 15 euros

 

La revue de littérature L’intranquille, publiée sous l’égide des éditions Atelier de l’agneau et de Françoise Favretto, publie son numéro 2, en succession affirmée de feue Chroniques errantes et critiques. Un beau format et une qualité de papier qui ne sont pas sans rappeler Passage d’encres, la revue de C. Tricoit. D’autant que le numéro 2 de L’intranquille s’ouvre sur des textes de Christophe Stolowicki, poète habitué de la revue et des éditions Passage d’encres. Peu d’autres points communs : la revue de Françoise Favretto déroule ses choix poétiques et littéraires du côté de ce qu’il est de coutume de nommer les « poésies expérimentales », faute de mieux. Point trop de confort revendiqué ici, plutôt une référence à Pessoa. On lira donc avec attention les textes de Stolowicki et Colaux, suivis de ceux de trois « nouveaux auteurs », Anne Peslier, Rorik Dupuis et Emmanuelle Imhauser. Viennent ensuite des œuvres graphiques et poétiques publiées sous le titre « dégradations du triple A », un ensemble politique, engagé, où il nous plaît personnellement de retrouver Hortense Gauthier. A lui seul, l’ensemble de ces travaux vaut le détour par les pages de la revue. Mais Françoise Favretto publie aussi ici un important dossier consacré à une poète d’origine autrichienne (pour peu que la nationalité ait un sens du côte de l’Atelier de l’agneau) que ses éditions défendent, Friederike Mayröcker : textes, poèmes et entretien. Incontournable. L’intranquille ferme ses pages sur la poursuite de la publication du journal intime de Michel Valprémy. Qui a dit qu’il n’y a plus de revues de littérature et de poésie originales de qualité dans l’hexagone ?

 

revue L’intranquille. Editions Atelier de l’agneau. 1 moulin de la couronne. 33 220 St Quentin de Caplong.
Le numéro 13 euros
www.at-agneau.fr

 

 

En son numéro 1003/1004 (impressionnant, même pour de vieux ronds de cuir comme les membres de Recours au Poème), Europe offre cinq superbes dossiers à ses lecteurs : la poésie chinoise actuelle, Katherine Mansfield, Clarice Lispector, Claude Louis-Combet et François Lallier. Il faut absolument partir à la découverte de l’œuvre de ce dernier, à commencer par l’entretien qu’il a donné à Patrick Née. Il y développe sa pensée de ce qu’est la poésie. Les lecteurs de Recours au Poème liront cela comme l’on boit du petit lait. Ainsi que ses poèmes au beau titre : Les temples de la mer.  Sur le poète, des contributions de Patrick Née, Yves Bonnefoy et une passionnante étude de Michèle Finck. Le dossier intitulé « Une poésie en quête de réel », consacré par Chantal Chen-Andro à l’actuelle poésie s’écrivant en Chine, est un sommet mené de main de maître par la traductrice du premier Nobel de littérature chinois. Les découvertes sont ici exceptionnelles et cet ensemble fera date. Europe, comme toujours, et encore, une revue essentielle.

 

Europe. 4 rue Marie-Rose. 75014 Paris.
Mensuelle. Le numéro 20 euros.
www.europe-revue.net/

 

La revue Arpa dirigée par Gérard Bocholier en est à son 105e numéro. Elle s’est maintenant largement imposée comme l’une des principales revues francophones de poésie, et nous aimons cette revue, ici, comme nous aimons défendre la poésie profonde de son principal animateur. Ce numéro est, c’est presqu’une habitude, de toute beauté. Superbes poèmes de Sébastien Labrusse, par ailleurs spécialiste d’un poète turc contemporain, à nos yeux essentiel, Fazil Daglarca. De ce poète, on lira un volume dans la collection de poésie étrangère des éditions Cheyne, on lira aussi un dialogue avec sa poésie publié dans nos pages : http://www.recoursaupoeme.fr/chroniques/il-reste-le-monde-du-mime/matthieu-baumier

Le numéro comporte par ailleurs des voix très fortes, ainsi celles d’Emmanuel Merle, Pascal Boulanger, Alain Guillard, Roland Nadaus, François Teyssandier, Claude Kottelanne, Jean-Pierre Farines… Impossible de tous ou toutes les citer tant ce volume est riche.

Les pages de la revue se ferment sur un bel hommage à Bernard Mazo.

 

Arpa. Gérard Bocholier. 44 rue Morel-Ladeuil. 63 000 Clermont-Ferrand.
Le numéro 8 euros.
www.arpa-poesie.fr

 




La revue Les Hommes sans épaules ou la communauté des invisibles

Quel curieux titre d’abord, Les Hommes sans Epaules ! Et quand on comprend que ce titre se réfère à un livre de J. H. Rosny Aîné, Le Félin géant, aux temps immémoriaux de l’âge des cavernes et de la fiction populaire, le mystère ou le trouble s’épaississent.

Mais, peu à peu, à force de fréquenter la revue et de relire la quatrième de couverture qui invariablement cite le passage fondateur, la puissance de la suggestion opère : « Zoûhr avait la forme étroite d’un lézard ; ses épaules retombaient si fort que les bras semblaient jaillir directement du torse : c’est ainsi que furent les Wah, les Hommes-sans-Épaules, depuis les origines jusqu’à leur anéantissement par les Nains-Rouges. Il avait une intelligence lente mais plus subtile que celle des Oulhamr. Elle devait périr avec lui et ne renaître, dans d’autres hommes, qu’après des millénaires. » Tiens, se dit-on, les poètes ne sont pas seulement des prophètes ou des phares ou des linguistes patentés ou des universitaires désœuvrés. Une autre filiation est possible, ils sont aussi (d’abord ?) une communauté, et elle traverserait le temps avec ses rites, son intelligence lente et subtile ; une communauté parfois effondrée, parfois renaissante, ayant un rapport propre à l’histoire et une façon bien à elle d’épouser le réel et d’imprégner l’aujourd’hui ; une communauté rassemblée par une espèce d’utopie faite de détachement et d’excès. Tiens, se dira-t-on, voilà un récit qu’on ne m’a jamais proposé, une méditation que l’on ne m’a jamais ouverte. Cette communauté des invisibles serait-elle le propre de la poésie ?

Je ne suis pas un spécialiste de l’histoire littéraire. D’autres que moi auraient plus de crédit pour situer cette revue dans le paysage des soixante dernières années. Puis, il y a l’excellent site de la revue qui donne toutes les indications nécessaires pour suivre le pas-à-pas de l’aventure que furent les trois périodes de ses publications : 1953 – 1956 ; 1991 – 1994 ; 1997 à nos jours. Toutefois, en recherchant dans les origines de la revue, il me semble trouver les deux pôles autour desquels s’articule Les Hommes sans épaules (HSE) : le premier pôle tourne autour de la générosité, l’ouverture non pas seulement à la poésie – ce qui est le minimum attendu d’une revue de poésie – mais aux poètes : « Nous inviterons nos amis à s’expliquer sur ce qui leur paraît essentiel dans leur comportement d’être humain et de poète. » Et aussitôt l’ouverture proposée est reliée – si j’ose cette métaphore théologique – à la présence réelle de l’homme poète. Le deuxième pôle se trouve dans le texte adressé par Henry Miller aux fondateurs lors du début de leur aventure : l’appel à la jeunesse et avec elle au refus de l’embrigadement : « Ne vous adaptez pas, ne pliez pas le genou. » Je n’épiloguerai pas sur le thème rebattu de la jeunesse, mais sur sa condition dictée par Miller : le refus de suivre les appels à l’adaptation, et, ce qu’il induit : suivre son chemin, parfois par la révolte, et le plus souvent et le plus difficilement, en restant indifférent à l’ordre donné.

Une revue serait donc une communauté de poètes... Peut-être convient-il aujourd’hui de s’interroger sur le besoin et la nécessité de renouer avec l’être ensemble en poésie. Peut-être sommes-nous aujourd’hui trop ermites, trop anachorètes dans ce mode ; peut-être devons-nous réapprendre la richesse de la rencontre en poésie, des frottements, des interpénétrations, des jeux d’échos et de répons qu’offre une communauté d’hommes et de femmes. La revue porte bien en ses gènes cette ardente vocation. Pour Les Hommes sans épaules, comme le rappellent ses textes fondateurs, elle en est sa raison d’être. En m’y abonnant il y a plus de quinze ans, je n’en avais que faiblement conscience et c’est bien ainsi. On n’instrumentalise pas une rencontre, on la fait.

Fort de ces années amicales, je voudrais redire mon attachement à cette revue en le résumant en trois points : d’abord, me frappe la grande diversité des poètes qu’elle rassemble. Par elle, j’aime entendre la polyphonie des poètes d’aujourd’hui, entendre une foule en marche, avec ses solitaires, ses figures stellaires ou obscures. On devine des correspondances, on pressent des engagements incompatibles deux à deux, on touche des univers qui se coudoient sans s’éprouver. A ce titre, HSE renvoie une image fidèle d’aujourd’hui, où la poésie est éclatée, fragile mais à l’œuvre, sans doute, servie et protégée par son anonymat actuel, qui préserverait la diversité de sa faune et de sa flore. Il faut s’avancer dans le territoire d’une revue pour en découvrir le champ et la profondeur. Par son ouverture, HSE participe et donne à voir, avec la simplicité d’une revue, la vitalité de la poésie d’aujourd’hui.

Ensuite, HSE c’est une figure pleine d’histoire(s) – 60 ans l’année prochaine ; ce qui se traduit par un attachement et une sensibilité particulière aux poètes qui traversèrent cette période. Elle propose son récit, ses repères, son écoute sur ce temps long, que sans elle, on appréhenderait – peut-être trop il me semble – en la réduisant à quelques figures emblématiques. Peut-être croit-on se rassurer en la résumant ainsi. Peut-être aussi que la mise en récit effraie, tant l’ensemble parait hétéroclite ? Mais la poésie est aussi une histoire comme elle a besoin d’histoires pour s’éprouver. Sur elle, s’accrochent les marques du temps, le souvenir des poètes et des communautés qu’elle abrita, les luttes, les peurs, les quêtes, les illusions, les recherches dont elle fut le réceptacle. A l’écouter par le biais d’une revue, on entend des phrasés, on écoute des mouvements qui se dégagent et dans ce récit qui ne se dit pas, se dévoile peu à peu ce dont notre mémoire se tapisse. Ainsi, par cette mise en perspective des HSE, par l’illustration offerte plus que par l’explication, sa lecture participe à humaniser le regard sur la poésie, et si j’ose, à la montrer comme une histoire d’hommes et de femmes engagés par et dans leur création. Ou pour dire les choses autrement, je trouve dans cette revue, un juste équilibre entre poètes, poèmes et poésie.

Enfin, HSE est aujourd’hui une revue à la fois studieuse et généreuse. L’effort fourni pour écrire une biographie et une bibliographie de chaque poète présenté, de présenter une reproduction sans apprêt de photos, de construire de forts dossiers, utiles et pertinents, ou encore de proposer une large palette de recensions, tout cet effort souligne à la fois un sérieux et un engagement au service de la poésie peu communs ; et plus profondément encore, derrière cette égalité de traitement entre poètes connus et inconnus, une volonté de faire lien, de construire une communauté de poètes, position quelque peu utopique, mais si pleine de générosité, et à vrai dire, si nécessaire aujourd’hui.

Voilà, en quelques mots, l’intérêt très personnel que je porte à HSE, à cette communauté des invisibles. Cela n’entame en rien, bien sûr, le bien-fondé des autres revues de poésie, dont Arpa, La Revue de Belles-Lettres, Nunc bien sûr et aujourd’hui Recours au Poème ! Au contraire, c’est par HSE que je me suis ouvert à d’autres revues. C’est pourquoi aussi, de manière très subjective, il me semble que la place qu’occupe HSE dans le petit monde des revues de poésie reste singulière car elle traduit un besoin et un engagement lucides qui doivent être vivement soutenus.

Pour tout renseignement sur cette superbe revue :

http://www.leshommessansepaules.com/

 




Une aventure intellectuelle et poétique unique : la revue Conférence

 Née en 1995, la revue Conférence a maintenant près de vingt ans d’existence. En sa forme, sa taille, son volume, sa beauté, elle est toujours aussi extraordinaire, une sorte d’ovni dans le monde éditorial contemporain. En son développement aussi, puisqu’au fil du temps la revue est devenue maison d’édition, publiant des poètes tels que Pascal Riou ou Pierre-Alain Tâche, des ouvrages inclassables, des essais, en particulier et récemment ceux de Salvatore Satta ou Giuseppe Capograssi. Des auteurs souvent préalablement publiés par une revue qui, entre autres, mais c’est une de ses particularités, tourne nos regards trop souvent franco-centrés vers la péninsule italienne. Ce qui, sous la houlette de Christophe Carraud, directeur de la publication, également fréquent traducteur donne à penser depuis un ailleurs (proche) salutaire. Ne nous mentons pas : ouvrir l’œil loin de Paris réveille les esprits et les sens. Les âmes, aussi. C’est vraiment de toute beauté.

Si la revue Conférence est extraordinaire, c’est surtout du fait de la qualité régulière et somme toute devenue rare de ses sommaires. Et cela depuis le début. Je me souviens, au creux des années 90, avoir saisi un de ces volumes pour la première fois, l’avoir feuilleté. Le premier sentiment ? Bluffé ! Il en fallait pourtant beaucoup pour un jeune écrivain alors fort prétentieux et impliqué dans une autre très belle aventure, celle de Supérieur Inconnu. La jeunesse, contrairement à la doxa contemporaine, ne présente pas que des qualités. Puis vient un autre sentiment, celui du profond respect. Entrant dans les pages de Conférence, on a l’impression vive de quitter un monde agité – profane – et de pénétrer dans un espace hors du temps, un lieu où l’instant prime sur l’immédiateté et le bruit. Une sorte de temple vivant où règne l’intelligence. On passe presque entre deux colonnes pour, sous l’égide de Montaigne, plonger dans l’essentiel. Du reste, la revue porte les mots de Montaigne sur son fronton : « Le plus fructueux et naturel exercice de notre esprit, c’est à mon gré la conférence… La cause de la vérité devrait être la cause commune… ». Un lieu de sagesse qui, loin de tout ton polémiste, n’en délaisse pas pour autant la critique, l’ironie, l’humour. Après tout, Diogène était un grand sage.

En ce début de 21e siècle, cela fait de Conférence un acte de résistance en soi.

D’autant que la revue accorde une très grande place à la poésie.

Paraissant deux fois par an, Conférence s’organise de façon ordonnée, comme toute pensée qui se respecte, autour de thèmes : les visages de la terre, la transmission, l’usage du temps, la démocratie, l’art contemporain, la beauté des corps. Mesure et démesure au printemps dernier. Elle poursuit aussi une réflexion sur le long terme au sujet du livre et de la lecture, et donc du numérique. De ses sommaires ressort une grande force, accentuée par le papier bible et l’exceptionnelle beauté des reproductions d’œuvres d’art. Car Conférence en ces temps de vaches maigres « artistiques » mercantiles est aussi un lieu de recherche du Beau, y compris dans le domaine de l’art (ici, en ce numéro 34, les estampes de Pascale Hémery, des merveilles au ton parfois berlinois). Les ombres de Platon, Plotin, Marsile Ficin ou du Cusain planent sur les pages de la revue. Tout comme celles des textes sacrés, en premier lieu la Bible. Il faut remercier l’équipe qui produit un tel travail, une telle œuvre au sens médiéval de ce terme : Christophe Carraud, Pierre-Emmanuel Dauzat, Jean-Luc Evard, Pascal Riou. Entre autres. Et l’on gagnera à faire un pas de côté pour se procurer leurs travaux personnels tant l’aventure de ces hommes en Conférence se prolonge naturellement dans le chantier propre à chacun. Impossible de détailler tous les sommaires tant cette aventure en 35 volumes à ce jour est aujourd’hui, avec le recul, impressionnante : entre traductions, publications d’écrivains et de penseurs d’hier et d’aujourd’hui, la revue donne une sorte de panorama humaniste de l’Europe contemporaine. Ce n’est pas par hasard si tant de bibliothèques institutionnelles sont abonnées à cette revue, à l’échelle mondiale. On reproche parfois à la revue d’être trop « volumineuse », « universitaire »… Les esprits chagrins ne manquent pas d’air ! Il convient de voir en de telles critiques un sordide signe des temps, portés sur le quantitatif et l’absence accrue de méditation ou simplement d’attention, sujet d’ailleurs abordé par la revue en son numéro 34 dans deux textes de haute tenue signés pour l’un de Massimo Mastrogregori, pour l’autre d’Olivier Rey.

En son Cahier ouvrant le volume 34, Conférence s’affirme aussi comme revue de poésie. On lira avec bonheur chacun des poètes présentés : Michèle Sultana, Leonardo Gerig, Franck Laurent, Gérard Engelbach et Etienne Faure. On retrouvera d’ailleurs d’aussi beaux morceaux de poésie en fin de volume, dans la partie « traductions », avec un ensemble exceptionnel d’Alda Merini intitulé La terre sainte.

Démesure et mesure de la poésie !

Car Mesure et démesure annonce tranquillement le numéro 34 de la revue, paru au printemps dernier. Et en effet ces simples mots valent résumé de notre monde, sur son versant « occidental » du moins, pour peu que cette facilité de langage, utile c’est certain, signifie réellement quelque chose. Ce dossier pense le thème sous deux angles particuliers. Celui du droit et de la justice d’abord, avec des textes de Christian Attias, Salvatore Satta et Giuseppe Capograssi, les auteurs italiens étant traduits par Christophe Carraud. Les débats ici soulevés sont passionnants. À titre personnel et subjectif, j’attire l’attention sur le texte de Salvatore Satta intitulé Le mystère du procès. Avec un vrai talent de conteur, Satta raconte un événement qui s’est produit en septembre 1792, durant les Massacres de Septembre, peu avant la proclamation de l’An I de la République française. Le Tribunal Révolutionnaire n’en est qu’à ses débuts et n’a que quelques têtes à son actif quand les massacreurs viennent perpétrer leur office jusque dans la cour du Palais de Justice, avant de monter les escaliers et de déboucher dans la salle des procès, là où justement des mercenaires suisses sont jugés pour soutien actif à la personne du roi, lui-même en attente de son procès. Satta s’interroge alors en de très belles pages sur ce que signifie ce moment où deux groupes de massacreurs se trouvent face à face, l’un répondant à la folie des foules animées, l’autre prétendant au droit. La foule laisse place à la « justice » (dans ce cas du moins, il n’en fut pas de même dans les prisons de Paris). Puis l’interrogation évolue vers la notion même de procès. Et donc de justice. Un texte à lire absolument. Avant d’admirer les gravures de Frans Pannekoek, fort belles, lesquelles séparent la première et la seconde partie du dossier, cette dernière étant toujours consacrée au thème de la mesure et de la démesure, dans le domaine du livre et de son devenir numérique. Cette partie de Conférence est absolument essentielle, et quiconque veut aujourd’hui penser le devenir numérique du livre, ce que cela induit sur tous les plans, doit lire les textes proposés ici.  Dans un texte d’abord publié en italien (2010), Francesco M. Cataluccio se demande Quelle fin pour les livres ? Son angle de travail apporte beaucoup aux interrogations françaises en ce domaine, qui du coup semblent un tantinet en retard, de par son ton résolument optimiste, ce qui ne va pas sans humour. Après avoir désigné l’ennemi commun (la tablette numérique), l’auteur propose des pistes sur les changements à venir, décrivant même parfois très concrètement ce qui va disparaître et ce qui va naître. L’intelligence positive de ce texte est telle que son lecteur en sort moins bête. C’est bien le moins que l’on peut demander à un texte, même si le bavardage incessant de notre présent fait parfois perdre cette excellente habitude. Vient ensuite une courte mais dense intervention de Massimo Mastrogregori au sujet de Google, la bibliographie et l’attention, dans lequel l’auteur en appelle à la nécessité de maintenir l’existence et l’usage des bibliographies, lesquelles ne sauraient de son point de vue être remplacées par les rhizomes du web. Le texte porte aussi et peut-être surtout sur la façon dont nous perdons notre attention de lecteurs. Ce qui rejoint le passionnant texte suivant signé Olivier Rey, Nouveau dispositif dans la fabrique du dernier homme. Ce texte vient contredire l’optimisme de Cataluccio, et Conférence proposant un tel débat joue pleinement le rôle que ses fondateurs lui ont assigné, celui de penser la cause commune. Ce qui s’appelait autrefois, réellement, la république. Rey insiste sur des conséquences plus négatives de notre trop plein d’écran, lequel provoque un changement d’attitude devant la lecture, une transformation quasi biologique de l’individu lecteur devenu individu/zappeur. Une transformation induite par les méthodes quasi propagandistes par lesquelles on nous impose le nouveau comme étant toujours et absolument nécessaire, sous peine de se positionner en tant qu’être préhistorique en perpétuel retard sur le « progrès » du monde. Cela donne des pages au ton incisif. Puis, l’auteur prolonge sa réflexion en l’appliquant à la question du livre numérique. Il n’est évidemment pas opposé à la technique en tant que telle mais dubitatif devant les usages que nous en faisons. Et nous le comprenons aisément. On peut aussi s’interroger sur les usages que nous avons fait… du livre papier… Ce dont parle ici Olivier Rey, sans cependant prononcer le mot, c’est d’une capitulation en cours : « La tablette de lecture est un instrument de survie dans un monde devenu inhabitable, et qui continuera de devenir de plus en plus inhabitable au fur et à mesure qu’on inventera de tels moyens d’y survivre ». Peu importe de savoir qui, en un tel débat, pourrait bien avoir raison. Mais il importe de penser.

Signalons pour terminer cette présentation qui, étant donné son objet, ne saurait être exhaustive l’importante réflexion de Pierre-Emmanuel Dauzat au sujet de Kelsen et des contresens dans le domaine de la traduction. Un texte qui donne sérieusement à penser le réel de ce qu’on lit et qui, d’une certaine manière, rejoint le débat ouvert sur le livre, la lecture et le numérique, dans les pages de Conférence.

       http://www.revue-conference.com

 




Siècle 21

Deux récentes et passionnantes livraisons de l’excellente revue Siècle 21, dirigée par Jean Guiloineau et éditée sous l’égide de La fosse aux ours. Une revue avec laquelle Recours au Poème se sent bien des affinités, pour la place attribuée à la poésie, l’intérêt exceptionnel de bien des articles et l’ouverture aux littératures/poésies du monde entier.

Cette ouverture vers les ailleurs est en poésie une nécessité absolue. Le numéro 20 de Siècle 21 propose un dossier sur les littératures anglaises contemporaines, dossier conçu et coordonné par Vanessa Guignery et Marilyn Hacker. Vanessa Guignery donne une courte et brillante introduction intitulée « Les patries imaginaires du roman britannique », accompagnée d’un guide de lecture. Un bon moyen pour partir à la découverte du romanesque britannique contemporain, si l’on est en terres méconnues. Vient ensuite un tout aussi passionnant texte de Marilyn Hacker (« Le poète est un écrivain comme les autres ») valant ouverture nécessaire aux poésies anglaises : « Un lecteur français ou un lecteur qui vit en France remarquera en lisant un journal anglais du week-end, contenant une rubrique consacrée à la littérature, ou un hebdomadaire comme Times Literary Suplement, qu’en Angleterre (et en Irlande) la poésie est toujours présente dans les querelles autour de la littérature contemporaine. On écrit sur la poésie (de façon régulière) en termes et en propos semblables à ceux utilisés lorsqu’on traite de fiction (…) Les critiques supposent que le lecteur de leurs articles aura une certaine familiarité avec la poésie contemporaine, moderne et classique (…) ».

 

Revue Siècle 21- n°20

Revue Siècle 21
2 rue Emile Deutsch de la Meurthe, 75014 Paris.
revue.siecle21@yahoo.fr 
revue-siecle21.fr

Le numéro : 17 euros

Une situation que l’on retrouve en Allemagne au en Europe du Nord, espaces où la presse publie poèmes et poètes. Il y a bien une exception culturelle française au sein de nos journaux et médias, lesquels ont décidé que la poésie n’intéresserait pas leurs lecteurs. Décision non dite et cependant ubuesque. En ce dossier anglais, on lira des poèmes de Carol Rumens, Caroline Bergvall, Tony Lopez, Mimi Khalvati, Seni Seneviratne, Paul Farley, Georges Szirtes, Jeremy Reed, Fiona Sampson, Ruth Fainlight et James Byrne. Des voix diverses pour un dossier fort. Le reste du numéro ne déroge pas, bien au contraire. Au sommaire, enter autres : Moncef Ouahibi, un important dossier consacré à Lionel Ray, poète que nous apprécions beaucoup ici, des textes de Marie-Claire Bancquart, Amina Saïd, Daniel Pozner, Charles Dobzynski, Chantal Bizzini… On l’aura compris, un Siècle 21 en poésie de haut vol.

Cette qualité intrinsèque de la revue Siècle 21 se retrouve en son numéro suivant, n° 21. Outre un dossier très intéressant consacré à Gil Jouanard, dont les proses poétiques sont à lire, avec des contributions entre autres de Jacques Réda, Ludovic Janvier, Pierre Michon et Jacques Lacarrière, ce numéro comporte un superbe dossier consacré à la littérature tunisienne contemporaine, l’ensemble étant emmené par Marilyn Hacker et Cécile Oumhani. Intitulé avec force « écriture de l’urgence », ce dossier commence par un texte de Tahar Bekri. On y lira des poèmes de A. Chebbi, M. Al-Ouahibi, M. Faïza, T. Bekri, S. Haddad, A. Fathi, I. Al-Abassi, L. Makaddam, A. el-Moulawah et A. Saïd. Ce dossier rendant le volume indispensable, d’autant plus qu’il est accompagné, comme l’ensemble de ce n° de la revue, du splendide travail artistique d’Ahmed Ben Dhiab.