Siècle 21 n°22, printemps/été 2013

La revue Siècle 21 s’est imposée dans paysage littéraire contemporain. Et de belle manière, nous en parlions il y a quelques mois : http://www.recoursaupoeme.fr/revue-des-revues/passage-en-revues/sophie-dalen%C3%A7on-0.

Une des très belles revues littéraires et poétiques, en France. Les volumes s’organisent autour de dossiers consacrés aux littératures contemporaines d’un pays en particulier, la Finlande ici, un « hors cadre », consacré pour ce numéro à Armand Gatti, et un espace plus thématique, cette fois au sujet de L’arbre (dossier coordonné par Gabrielle Althen et Jean Guiloineau).

Le dossier « Hors des sentiers battus » nous emmène donc en Finlande, sous la conduite d’Harri Veivo. Ce dernier donne en préambule un texte qui vaut plus qu’un texte de présentation de dossier : c’est une éclairante mise en perspective historique de ce qu’est la littérature finlandaise, littérature et pays récents qui se vivent et s’écrivent en finnois et en suédois. Veivo termine en insistant sur la vigueur du marché et de la vie littéraire dans un pays où les écrivains vivent de leur plume, poètes compris. Grâce aux choix du maître d’œuvre, on découvrira ou redécouvrira, c’est selon, les travaux de romanciers et de poètes, j’insiste évidemment sur ces derniers. Kari Hotakainen, Rakel Liehu :

 

Je suis toujours aussi curieuse. Curieuse de découvrir le fond caché de l’homme, qui surgit en vieillissant. Sur le visage en particulier. Dans le regard.
En dévoilant tout le vécu.
Les pensées, les leitmotive restent imprimés sur le visage, comme des pas sur le sable mouillé. Non seulement le temps, mais aussi l’homme lui-même façonne son apparence.

   [Rakel Liehu]

 

Le superbe « Brise-lame » de Paulina Haasjoki, dont le début est comme un prolongement du texte de Liehu :

 

L’homme ne peut se cacher dans la nuit, son espérance le trahit.
L’homme se tourne vers les lumières, la lumière scintille comme si elle
Etait à portée de main et pourtant elle est loin.

[Paulina Haasjoki]

 

Catarina Gripenberg, Tytti Heikkinen, Henriika Tavi  ou Marten Westö. On le voit, ce dossier offre de belles incursions en terres de poésie, en particulier de poésies très contemporaines, plusieurs des poètes ici traduits étant nés après les années 70 du 20e siècle. Riche dossier qui se termine par de très utiles orientations bibliographiques.

Place ensuite, « Hors cadre », à Armand Gatti. Une place qui revient clairement au dramaturge / poète, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il sort du cadre ! Homme de théâtre engagé, anarchiste, libertaire, poète et cetera. La silhouette de Gatti porte sur les murs de l’underground, du hors et / ou de l’anti système (fou) de notre époque. Nous aimons sa Maison de l’Arbre, et Jean-Philippe Gonot parlera bientôt de cela en nos pages. Ici, Catherine Brun donne, aux côtés d’une belle photo de l’écrivain attablé, lisant ou relisant, un texte qui ouvrira l’horizon de quiconque ne connaît pas encore la poétique théâtrale de Gatti. Car poésie et théâtre sont inséparables en cette œuvre, rien d’ailleurs de ce qui touche à la vie ne peut être séparé de cet atelier. Ensuite, Olivier Neveux propose un texte complémentaire, étudiant la spatialité du théâtre de Gatti et donc, en cette matière, sa politique. Neveux insiste fort justement sur le « progressisme » du poète, un drôle de « progressisme » où « le regard n’est pas tourné vers l’avenir mais préoccupé, aimanté par ce qui précède. C’est le passé qu’il faut, avant tout, changer et réécrire. Ce sont les promesses qu’il recèle et qui furent tues, massacrées, ignorées à qui il convient de donner une nouvelle chance. Son théâtre se bat, en quelque sorte, contre l’inéluctabilité de la mort ou, plus précisément, contre la mort des morts ». Ces trois derniers mots me semblent (je sais, cela surprendra ceux qui ne sont pas réellement familiers de l’atelier du poète Gatti) traduire avec exactitude l’anarchisme mystique de l’homme / poète Armand Gatti, plongé dans les profondeurs alchimiques ou chamaniques de l’être bien plus que dans les apparences du politique, autres choses cependant inséparables là aussi. Gatti, mystique. Et politique, au sens aristocratique de ce terme. Ou véritablement démocratique, c’est-à-dire éthique. Cela ne fait aucun doute. Personne n’a écrit le mot « religieux », n’ayez pas peur. Isabelle Marinone évoque d’ailleurs cela en filigrane, au sujet du cinéma du poète. Qui a vu L’enclos sait combien Gatti est un cinéaste majeur. Vient ensuite un texte de l’écrivain Michel Séonnet, qui a été l’éditeur de Gatti chez Verdier. Quelle est la parole de Gatti : « Nous dirons : ici l’univers ». On lève les yeux vers le ciel, c’est-à-dire au plus profond des racines de l’arbre fait homme.

En 1997, Gatti s’installait à la Maison de l’Arbre. Et la revue Siècle 21 propose un dossier sur ce même arbre, dont la symbolique en forme d’axe du monde n’échappe à personne. On lira ici des textes, poèmes et/ou proses poétiques de Nikolaï Zabolotski (traduit par JB Para), l’un des fondateurs de l’Obériou, groupe de poètes russes égarés en soviétisme (voir dans nos pages : http://www.recoursaupoeme.fr/critiques/la-baignoire-d%E2%80%99archim%C3%A8de/andrzej-taczy%C5%84ski), Franck Evrard, par ailleurs fondateur de la revue Contrevox, Matthieu Baumier, Eric Sarner, Pascal Commère, Volker Braun (traduit par Alain Lance), Florence Delaporte, Jean-Paul Bota, Thérèse Fournier, Zakaria Tamer, Mauro Novelli, Gwen Garnier-Duguy et son arbre des Annonciations :

 

Un charme ouvert
Les branches déployées au plein azur
Et pour feuillage
Des lettres
Toutes les lettres de l’alphabet.

 

Le dossier se termine par un texte fortement évocateur de Nimrod.

Ce numéro de Siècle 21, un bel ouvrage. La revue annonce un prochain numéro autour des littératures et poésie de Syrie. Car Siècle 21 n’est pas une revue en dehors du monde concret.

Revue Siècle 21. 2 rue Emile Deutsch de la Meurthe, 75014 Paris.

revue.siecle21@yahoo.fr

http//siecle21.typepad.fr

Le numéro : 17 euros

 

 

 

 

 




Europe : Sebald et Tranströmer

Le très beau numéro de mai 2013 de la revue Europe propose deux dossiers sur W.G. Sebald et Tomas Tranströmer.

De nombreuses facettes de l’œuvre de Sebald y sont analysées et mises en valeur. L’auteur d’un article s’intéresse à la poésie, l’autre au temps et à l’Histoire… La revue propose aussi plusieurs témoignages (de l’éditrice de Sebald en France, de l’un de ses traducteurs et de collègues).

Le dossier s’ouvre sur une conversation avec W.G. Sebald lui-même, au sujet de la littérature et de la photographie. Car W.G. Sebald, dans la plupart de ses ouvrages, écrit à partir de photographies trouvées ici et là, parfois dans de vieux livres où elles avaient été insérées et oubliées, parfois dans des albums de famille. Il parle de « l’incroyable appel qui s’élève de ces images ; une demande adressée à celui qui les regarde, qui le somme de raconter ou bien de s’imaginer ce qu’on pourrait raconter ». W.G. Sebald a souvent imaginé. Tellement bien imaginé ! Muriel Pic a sans doute raison de voir dans l’usage que Sebald fait des photographies un moyen de « réenchanter le monde ». La photographie « déjoue l’irrémédiable de la perte », en effet.

Une seconde conversation, avec l’historien François Hartog cette fois, permet de souligner l’importance du rapport au temps de W.G. Sebald. Le temps renvoie à l’enfance passée en Allemagne, aux heures sombres entourées de silence. Cela peut expliquer en partie la volonté de W.G. Sebald de travailler à partir de photographies d’ailleurs : elles sont des traces du passé et sont le point de départ de véritables enquêtes.

Sergio Chejfec, auteur argentin dont l’œuvre est également traversée par les thèmes de la mémoire et de l’histoire, souligne, lui, celui de l’errance. Elle lui semble être l’un des fils conducteurs de l’œuvre de W.G. Sebald. Ruth Klüger insiste aussi sur ce point. Elle écrit : « Le narrateur n’est pas seul à ne jamais trouver le repos. La plupart des personnages de ses histoires sont perpétuellement en mouvement.»

Au fil des pages, il est question d’autres auteurs, que W.G. Sebald lisait, admirait. Citons ici Franz Kafka et Thomas Bernhard. Comme ceux de Kafka et de Bernhard, les personnages de Sebald sont souvent seuls et mélancoliques.

Mais comme le rappelle très justement Lucie Campos, focaliser sur un seul point, même s’il est central – par exemple la mélancolie – serait faire violence à l’œuvre et commettre une erreur. Ne voir en Sebald qu’un être mélancolique serait nier par exemple son amour des contrastes. On pourrait dire la même chose de Kafka et de Bernhard d’ailleurs. Les trois auteurs savent être drôles – délicatement, délicieusement – quand ils abordent le pire. Et Lucie Campos parle justement de ce qui, chez Bernhard, attire Sebald : « une légèreté dans la gravité ».

Emmanuel Bouju va dans le même sens – celui de la coïncidence des opposés – lorsqu’il traite de l’humour présent dans les textes de celui qui s’est avant tout intéressé à l’histoire catastrophique de l’Europe. Emmanuel Bouju donne plusieurs exemples de cet humour singulier, un humour né de la « collision entre deux cadres de référence ». Citons-en un. Celui tiré d’un texte intitulé « Il ritorno in patria » (dans Vertiges). Il y est question du conseil aux usagers du métro londonien : « Mind the gap », qui signifie « Attention à la marche » mais peut devenir « Réfléchissez au gouffre ».

Si la poésie, comme le rappelle Lucie Taïeb, a occupé une place marginale dans l’écriture de W.G. Sebald (trois recueils tout de même paraissent entre 1992 et 2002, le dernier étant donc posthume), elle a joué un rôle essentiel dans sa vie. Il a lu et relu les poètes. Paul Celan, par exemple. La poésie était pour lui une échappée. Jo Catling, qui fut une collègue et une amie de W.G. Sebald, explore ses bibliothèques. Si on y trouve beaucoup moins de livres issus de la littérature anglaise contemporaine que des littératures allemande, autrichienne et française, les œuvres des poètes anglais y sont bien présentes : Stephen Watts, Anne Beresford et Michael Hamburger.

Le dossier Tomas Tranströmer est certes moins épais mais tout aussi intéressant. Et nécessaire. Car en France, malgré son prix Nobel (en 2011), le poète suédois reste méconnu. Pourtant, Tomas Tranströmer est né en 1931 et a publié son premier recueil à l’âge de vingt-trois ans. Après une rapide présentation de l’auteur, on entre d’ailleurs dans son univers grâce au carnet de voyage que Tomas Tranströmer a écrit alors qu’il avait seulement vingt-deux ans. Il s’est alors rendu au nord de la Suède, pays lapon, « sur les terres de la mélancolie ». Suivent six poèmes inédits, puis le témoignage de Staffan Bergsten qui a écrit un portrait du poète.

Renaud Ego est l’un des rares en France (avec son fidèle éditeur, le Castor astral, et son traducteur Jacques Outin) qui connaissaient déjà l’auteur suédois avant son prix Nobel. On lui doit la postface à l’édition des Œuvres complètes (Le Castor astral, 1996 ; Poésie / Gallimard, 2004). Il explique ainsi – non sans humour – notre ignorance : « la poésie n’a plus aucune place dans la presse où elle est reléguée au rang d’aimable curiosité ou de survivance archaïque comme le sont la charrette à bras et la danse bigoudène », avant de citer quelques phrases de journalistes – et là, cela devient moins drôle. Ces dernières rappellent les sarcasmes lus ici et là quand le Nobel fut décerné à Herta Müller, en 2009. Plusieurs journalistes et critiques littéraires étaient également tombés des nues. « Qui est cette Herta Müller ? » Bruno Corty, journaliste au Figaro, avait carrément affirmé : « Seules les féministes se réjouiront ». Mesquin ! Et affligeant. Car cela signifie que, quand ils ne connaissent pas un auteur, la plupart des journalistes et critiques français en déduisent qu’il est très secondaire. Ne serait-il pas plus logique qu’ils se réjouissent d’avoir à découvrir un univers qu’ils n’ont pas encore exploré ?

Les choses sont bien différentes dans les mondes anglo-saxon et germanique. En Allemagne, les grands quotidiens donnent à lire chaque semaine des textes de poètes contemporains, quand les nôtres ne se souviennent du mot « poésie » qu’à l’occasion de la parution de quelques pages de Michel Houellebecq.

Il se tient debout devant une montagne.
C’est davantage une coquille d’escargot qu’une montagne.
C’est davantage une maison qu’une coquille d’escargot.
Ce n’est pas une maison, mais cela a beaucoup de chambres.
C’est indistinct mais subjuguant.
Il naît de cette coquille, et elle naît en lui.
C’est sa vie, c’est son labyrinthe.

Renaud Ego s’arrête sur cette image du labyrinthe, et nous explique la manière dont Tomas Tranströmer s’y oriente : à l’aide de ses sens.

Pierre Grouix rappelle un conseil donné par le poète, celui de « lire entre les lignes » – les textes mais aussi le monde. Et Pierre Grouix dresse une liste de lieux où le poète s’est rendu, sur les cinq continents, en soulignant « l’amour particulier et précoce pour l’Afrique ».

Il est question, ici et là, de la musique, parce qu’elle joue un rôle central dans la vie de Tomas Tranströmer, qui est aussi pianiste (un pianiste hémiplégique, condamné à jouer de la main gauche depuis un AVC, en 1990).

Pour tout renseignement sur la revue Europe :

http://www.europe-revue.net/

 Je citerai un extrait du très long poème intitulé Schubertiana, qui ne figure pas dans la revue Europe. En espérant que ce passage donnera envie à ceux qui ne l’ont pas encore lue de découvrir cette poésie.




Les Hommes sans Epaules, volume 35 : grandiose

 

La troisième série des Hommes sans épaules, revue aujourd’hui emmenée par Christophe Dauphin, avec la complicité d’Alain Breton, Elodia Turki, Paul Farellier, César Birène et Karel Hadek, atteint son 35e numéro. Une belle aventure qui donne ici l’un de ses très beaux fruits. Les pages s’ouvrent sur un texte/hommage de forte émotion, texte consacré à Jean Sénac, poète, homme en résistance, éditeur : c’est le 40e anniversaire de la disparition de l’homme. De l’assassinat de Sénac. J’apprends par ailleurs que la biographie que Bernard Mazo devait consacrer à Sénac paraîtra bien à l’automne. C’est une excellente nouvelle. Sénac, l’homme/scandale : « Poète, animateur, militant révolutionnaire, chrétien, homosexuel et français, se proclamant ouvertement plus algérien que n’importe qui, Jean Sénac a dérangé, de son vivant, autant le pouvoir bourgeois et colonial français que l’extrême-droite, les intégristes islamistes ou la bureaucratie algérienne », écrit fort à propos Dauphin, dont l’admiration pour le poète et l’homme n’est pas un secret. Sénac est présent tout au long du numéro, par des poèmes égrainés ça et là, l’un de ces textes, le dernier écrit par le poète, fermant les pages de ce numéro des Hommes sans épaules.

La partie « Les porteurs de feu » conduit le lecteur sur les traces de la poésie d’Antoinette Jaume et de Lorand Gaspar. Je découvre la première, je suis une fanatique quasi hystérique de l’œuvre du second. L’œuvre de Jaume parle de la vie, de la mort, des mots, de la conscience, du temps… Fondatrice et longtemps animatrice de La Sape, elle est décédée en 2009. Les HSE donnent ici à lire une trentaine de poèmes extraits des différentes parties de son atelier poétique. A découvrir. Ainsi :

 

  Cela naît d’un roseau, d’une écorce courbe. Parfois
d’une écaille où mousse une écume défaite
 Cela naît du temps second juste en retrait de la surface
des choses lorsque le regard délaisse le trop vu et renverse
l’horizon
 cela naît d’un cyprès, d’une voûte ou bien d’un battant mal clos. Cela naît du vent, de la mer, parfois de lèvres entr’ouvertes
 

cela. Musique première, sons unis et croisés, murmures ou triomphes, galops d’allure semblable
trois notes seulement vibrées jusqu’au silence

(extrait de Lieux, collection de La Sape, 1983)

 

Quand à Lorand Gaspar… quelle beauté ! On trouve l’essentiel de son œuvre chez Gallimard bien sûr, en particulier dans la collection de poche Poésie mais… quel bonheur de lire / relire ces poèmes, ici donnés dans l’ordre chronologique de leur édition. Une poésie ancrée dans le sacré, soucieuse de Jérusalem ou Quram.  Une poésie qui regarde le grand Tout, sereinement. Seize pages de poèmes, un bonheur et une excellente occasion de faire connaissance avec l’une des œuvres les plus fortes de la poésie contemporaine. Une découverte ou des retrouvailles au cœur d’un ton élevé en intensité :

 

Nous sommes malades d’immense
 

Le soleil se risque au cœur de la pierre
On regarde, on se sent des yeux
craquants et dorés
plein de projets stellaires sous la voûte des vents
 

où circulent des arbres de transparence.   

 

Les HSE donnent ensuite la parole aux « Wah ». Sont conviés cette fois ci : Marie-Josée Christien, Franck Balandier, Alain Piolot, Jean-Claude Tardif et Gwen Garnier-Duguy. Ce dernier, en un superbe ensemble, use du « tu » pour s’adresser au Christ. Une lecture forte, peu banale.

Un numéro de revue dont la richesse enthousiasme en offrant aussi un dossier de près de 70 pages consacré aux poésies norvégiennes contemporaines. Ce dossier est une œuvre conjointe de César Birène, Pierre Grouix et Régis Boyer. C’est plus qu’un dossier, un véritable panorama des voix majeures de Norvège. On lira ainsi : Tarjei Vesaas (par ailleurs immense romancier, auteur entre autre de ce livre fondamental qu’est Palais de glace), Inger Hagerup, Olav H ; Hauge, Tor Jonsson, Gunvor Hofmo, Marie Takvam, Stein Mehren, Jan Erik Vold, Paal-Helge Haugen et Knut Odegard. Ici, toutes les voix sont fortes, bien que diverses. Notons que ce dossier est l’un des fruits du travail mené depuis de nombreuses années par Pierre Grouix au sein des éditions Rafael de Surtis, maison d’édition dirigée par le poète Paul Sanda qui a publié anthologies et recueils de poètes norvégiens traduits par Grouix. Un peu d’eau à la bouche :

Inger Hagerup, Je suis le poème :

Je suis le poème que personne n’a écrit.
Je suis la lettre qu’on brûle sans cesse.
 

Je suis le sentier jamais emprunté,
la note sans mélodie.
 

Je suis la prière de la lèvre muette.
Je suis le fils d’une femme non née,
 

une corde qu’aucune main n’a encore tendue,
un brasier jamais encore allumé.
 

Réveille-toi ! Délivre-moi ! Soulève-moi !
des terres, des monts, de l’esprit et du corps !
 

mais rien ne répond à mes prières.
Je suis les choses qui n’arrivent jamais.
 

Ou bien, Gunvor Hofmo, Je ne connais plus de juge :

 

J’ai rencontré mon ombre obscure – Les pas de Satan fuyant à chaque fois que l’âme se dressait d’un sourire omniscient.

Dans ces rues qui m’entourent, dans ces nuits, les hymnes des chaînes, la douleur infinie de la liberté. A chaque fois que je redressais quelqu’un de la boue, il était tué par l’ombre, son jumeau. Mais avec des poisons invisibles, lamentablement rampants. Il n’a pas l’existence de l’âme, ne connaît la crucifixion que par l’âme d’un autre. Mais il est la crucifixion, comme Dieu l’est dans sa tendresse impuissante, croissante. Dieu et Satan en moi, et je suis l’Humain.

En ces étés, en ces hivers, en cette solitude folle de l’automne. Je ne connais de Juge.

 

Impossible de citer tous les poètes mais voilà un monde à explorer. Encore plus vaste, en termes de Nord, puisque plus loin dans la revue, Pierre Grouix donne aussi à lire des textes de Bo Carpelan, poète finlandais d’expression suédoise dont il traduit les œuvres complètes depuis plusieurs années. Le lire vous convaincra de l’immensité de l’œuvre poétique de Carpelan, lequel nous a quittés en février 2011 (environ 1500 pages de poésie) :

 

Dans l’éternel

 

Les promeneurs ont disparu parmi les ombres,
leurs voix étouffées, et même toi
tu fus plus éloigné de toi-même,
et pourtant proche, comme si le mot
s’attardait à travers l’arbre en tant qu’arbre,
ou comme l’image de l’arbre.
C’était dans l’éternel,
où les îles reposent sur les miroirs d’eau de la main.
 

Et quand le silence régnait, tu entendais
les voix de ton père et de ta mère ;
alors un oiseau leur succéda,
alors leurs voix devinrent une voix.
C’était dans le silence, alors même le bois,
de ses feuilles, ornait encore la vie,
et le jour s’assemblait.
Court est alors le temps où nous sommes en vie.

 

Les Hommes sans épaules ne se contentent pas de « si peu », on lira aussi : un bel essai de Paul Farellier sur le recueil récent de Pierrick de Chermont (voir à ce propos : http://www.recoursaupoeme.fr/critiques/pierrick-de-chermont-portes-de-lanonymat/gwen-garnier-duguy ), des poèmes de notre ami Tomica Basjic, présentés par Karel Hadek, d’autres de Yann Sénécal, des pages libres présentant des textes des animateurs / poètes de la revue, et enfin un ensemble de chroniques et de notes de lectures. Les HSE ont par ailleurs la gentillesse d’évoquer l’existence de Recours au Poème. C’est de bon goût. Une revue à lire.

 

Pour tout renseignement sur cette superbe revue :

http://www.leshommessansepaules.com/

Lire un texte de Pierrick de Chermont, dans nos pages :

http://www.recoursaupoeme.fr/revue-des-revues/la-revue-les-hommes-sans-%C3%A9paules-ou-la-communaut%C3%A9-des-invisibles/pierrick-de

 




La Traductière et la question fondamentale du contemporain

 

La revue La Traductière, dont la grande originalité est d’être concrètement ouverte sur le monde, par l’acte de publier des textes en langue originale accompagnés de leur traduction en français et en anglais, offre son 31e  numéro. Une revue dont il peut sembler inutile de vanter la grande qualité tant c’est une évidence, et même une référence du point de vue de l’aventure de Recours au Poème. Cette année, Jacques Rancourt et son équipe proposent deux dossiers intrinsèquement liés : « Poèmes que nous sommes » et « Domaine roumain ». Deux ensembles liés de par les noms qui composent les dossiers (des poètes et écrivains roumains interviennent au sujet du poème) et par le contenu des textes proposés par le dossier roumain, un dossier de très grande qualité. Et même : un dossier appelé à faire date. Les mots de présentation rédigés par Rancourt ne peuvent que résonner en nos pages : « Sommes-nous, ne sommes-nous pas, en tant qu’êtres humains, des poèmes ? Partageons-nous avec ces derniers une communauté de destin ? ». Ici, nous ne pensons pas qu’une telle question soit incongrue, bien au contraire. La poésie et le Poème ne sont pas le lieu d’un amusement ou d’un loisir, mais celui en effet d’une destinée collective. Ce questionnement est donc, de notre point de vue, une des questions fondamentales du présent, question qui conduit au-delà du poétique, au cœur de ce que notre ami Paul Vermeulen nomme le « méta-poétique » : nous sommes convaincus que la réponse à ce type d’interrogation est affirmative, et que c’est l’une des raisons pour lesquelles la poésie conserve sa charge d’acte politique (méta-poétique), sa réalité en tant que forme politique de la résistance aux conditions faites à l’humain aujourd’hui. Ou plutôt : que la poésie renaît en tant que lieu même du Politique résistant. Les barricades d’hier approchent le siècle d’âge. Le fait politique contemporain est autre que les vieux démons sans cesse agités, de conditionnements en conditionnements. Imagine-t-on, vers 1920, des intellectuels ou des poètes ressassant des événements datant de 1814 ? Agitant sans cesse, un siècle après, le « démon Napoléon » pour effrayer les âmes fragiles ? C’est un peu ce qui se passe dans l’imaginaire « résistant » contemporain, bloqué sur 1945 et 1968. Peut-être cela permet-il de se construire une bonne conduite à moindres frais (ces barricades-là sont tout de même fort peu dangereuses en 2013) mais cela ne pose aucune question essentielle sur notre contemporain. Questions essentielles ? Par exemple : quel est cet humain qui continue de naître sous nos yeux au cœur de l’arraisonnement subit par ce même humain en territoires de techno-science débridée ? Que devient le monde, et par ricochets successifs, que deviennent l’homme et la poésie quand l’espace devient virtuel ? Des questions parmi d’autres, par souci de saine provocation. Et pour insister à ce propos : face à de telles questions, essentielles pour comprendre et saisir ce que nous sommes en ce monde, en lequel nous sommes maintenant, la poésie est, de notre point de vue, une des sources de la résistance réelle, un des vecteurs du combat en cours, et sans doute, pensons-nous, le vecteur principal, c’est-à-dire l’acte qui s’oppose le plus en profondeur aux transformations produites par la situation mise en œuvre sous couvert  de techno-science et de virtualisation du réel au cœur même de l’âme humaine. Quoi de plus politique ? Cette perspective induit aussi un lien de concordance entre la poésie et, par exemple, la philosophie, le théâtre ou la danse, et l’immense travail chorégraphique en cours sur les souffrances imposées aux corps par le monde contemporain. Ce n’est pas le lieu de développer ce point (les liens intrinsèques entre poésie et danse contemporaine par exemple) mais Recours au Poème travaillera cette matière. Il reste, et on le comprendra aisément, que, face à de telles perspectives, les petites chapelles des « milieux poétiques » et les petits débats pétitionnaires qui semblent parfois les agiter nous paraissent pour le moins insignifiants. À la question posée par Jacques Rancourt, Recours au Poème répond par l’affirmative. De par sa simple existence.

Ainsi, par le prisme du poème, La Traductière ne pose pas, en sa dernière livraison, de question anodine. « Poèmes que nous sommes » réunit une cinquantaine de poètes, parmi lesquels quelques poètes et traducteurs amis et qui collaborent souvent à notre aventure (Elizabeth Brunazzi, Max Alhau, Jean-Luc Wauthier, Marilyne Bertoncini), et propose une série de textes de poètes réfléchissant de diverses manières sur cette question. Ainsi, Shizue Ogawa : « Le moment d’inconscience arrive et j’incarne une masse physique. Cette expérience s’appellerait dans un langage bouddhiste « kuu », le vide. De l’aboutissement de ce courant naturel naît le poème ». On peut le regretter ou refuser de le sentir, reste que l’acte poétique en lien avec le Poème, principe universel de vie, est acte relié au tout d’une vie s’exprimant sous le vocable de sacré. La poésie construit le temple de l’Homme au cœur même du Poème. Et tout le reste est amusements provisoires, sans prétentions ni guère d’incidences. Poésie et Poème sont un au-delà du littéraire, une voie initiatique exprimée dans la diversité des voix. Tout poète est-il conscient de cela ? Non, bien entendu. Cependant, l’absence de conscience que j’ai d’une réalité ne signifie pas que cette réalité n’existe pas. Ce point est particulièrement délicat à saisir en un moment du contemporain où tout un chacun pense que ce qui existe dépend de son unique perception. Les temps sont à l’auto-centrage sur des egos illusoires. Chacun refuse dieu en s’auto proclamant petit dieu. Ce n’est pas grave : quand quelque chose est à ce point visible et exacerbé, c’est qu’il est déjà mort. Ainsi, oui, ce dieu-là (ou ce dieu démultiplié) est mort. Nietzsche est un prophète. Tous les poèmes présentés ici ne défendent évidemment pas ce point de vue, que nous exposons en conscience de son statut de simple « point de vue ». Au contraire, la grande qualité de ce dossier est de mettre le fait « d’être poème » en débat, et des textes s’opposent entièrement à ce possible.

Le dossier intitulé « Domaine roumain » est une vraie respiration. Proposés par Linda Maria Baros et traduits par ses soins, les poèmes du dossier offrent un panorama de la poésie roumaine contemporaine, incomplet sans aucun doute, c’est la règle du jeu. Un dossier n’a pas besoin d’être « complet ». On termine ces pages frappé par la puissance en acte des poésies présentées. Je pense ainsi aux textes de Stanescu (« La poésie, c’est l’œil qui pleure…), Grete Tartler, Cassian Maria Spiridon, Gabriel Chifu ou Dan Mircea Cipariu. On aimerait maintenant lire une partie de ces poètes en France, sous forme de recueils. En attendant, on se procurera ce volume, riche et fort.    




Grandeur (et petites inquiétudes) du Journal des Poètes

Ce récent numéro s’ouvre sur des paroles rassurantes de notre ami et collaborateur Jean-Luc Wauthier, au sujet de la situation du Journal des Poètes, belle aventure dont il est le rédacteur en chef. Wauthier ne craint pas de parler d’argent et des difficultés rencontrées face au retrait de certains financeurs. Le JdP se bat pour vivre. On le comprend. C’est le propre de toute structure qui défend la poésie, et ce n’est jamais aisé. Le rédacteur en chef du Journal ouvre aussi (ou poursuit) un débat, prolongé en dernière page par Yves Namur. Un sujet qui semble préoccuper les animateurs du Journal, puisqu’Yves Namur en parle de numéro en numéro : la poésie et la Toile. On voudrait que la réflexion s’ose : pourquoi ne pas consacrer un numéro à ce sujet, plutôt que de s’inquiéter par bribes plus ou moins discrètes et/ou timides, ou encore plutôt que de considérer, ainsi que l’écrit Yves Namur, que les internautes sont des « toxicomanes » ? Je pense que Namur n’a pas mesuré la portée extraordinaire de ce qu’il écrit, qu’avec un peu de recul il s’interrogerait sur le sens de ses propos. Mais nous ne comparerons pas cette expression rapide (bien plus rapide que beaucoup de choses s’exprimant sur internet, et même… sur Facebook) à d’autres propos malheureux tenus ici et là sur d’autres sujets par d’autres commentateurs, par exemple sur le fait que les corses seraient ceci, les homosexuels seraient cela, les… Pfffffffffffff. Ici, nous sommes des internautes et nous aimons l’humain en sa diversité, c’est-à-dire tous les humains. Y compris Yves Namur, nous ne lui en voulons donc pas le moins du monde. Le chroniqueur du Journal des Poètes parle simplement de ce qu’il ne connaît pas ou mal. Forcément de manière binaire. On peut envisager de… se taire, dans ce cas de figure, mais personne n’est à l’abri d’une ânerie. Nous pensons, nous, qu’Yves Namur sait bien, au fond, que tout internaute n’est pas un « toxicomane ». Passons. Non, cela ouvre un débat bien plus intéressant. Sur internet et la poésie, bien sûr. Sur le milieu des revues de poésie, aussi.

Du point de vue de Recours au Poème, poésie publiée sur papier et poésie publiée sur internet sont actes complémentaires bien plus que contradictoires. Nous pensons même que nous le démontrons depuis un an dans nos pages. Il y a de bonnes et de mauvaises revues de poésie sur internet, comme il y a de bonnes et de mauvaises revues de poésie publiées sur papier. Mais dans le second cas, le milieu de la poésie (aux divisions peu nombreuses) ne le dira pas trop, soucieux d’une hypocrisie bien entendue (on appelle cela le copinage). Les revues papier font travailler des imprimeurs et cetera, écrit Jean-Luc Wauthier. Cela est vrai. Les revues internet font travailler des webmestres et graphistes, ces imprimeurs du nouveau monde. La net économie est aussi une économie. Elle a ses défauts : on travaille, mais on est moins nombreux à travailler. Les revues papier n’ont pas ce défaut. Elles en ont un autre, quand elles sont mauvaises : du papier et encore du papier utilisé à publier des choses sans aucun intérêt, du reste lues par personne ou presque, mais consommant du papier, du papier… des arbres. On devrait mesurer le taux de collaboration des mauvaises revues de poésie avec la déforestation et la pollution au chlore qu’implique leur volonté de publier de l’insignifiance lue par personne. Ce n’est pas moins grave, de notre point de vue, que ce que l’on reproche aux revues du net. Où achetez-vous votre papier, messieurs ? D’où vient-il ? Des forêts éradiquées et remplacées par des arbres à pousse rapide, sur fond d’extermination d’écosystèmes entiers, et de déplacements massifs de populations considérées comme « faibles » parce que différentes (Chine, Birmanie, Nouvelle Zélande…). Ce n’est pas un reproche ; je pose simplement cette question pour montrer que chaque pas de porte mérite un coup de balai avant de s’occuper du pas de porte du voisin. Un simple souci de courtoisie. Sans compter qu’il ne nous paraît pas de bon ton de développer une sorte d’insidieux nationalisme du papier. Les supports de diffusion de la poésie peuvent être « multiculturels », au sens de « multi-supports », c’est de notre point de vue heureux, et les frontières sont autant en dedans des hommes qu’à la porte de leurs pays.

La crise de la poésie a commencé bien avant l’apparition d’internet. Pierre Garnier en parlait déjà en 1962 : « L’expérience humaine a dérivé peu à peu hors de toute poésie ; la poésie ne peut plus atteindre l’homme » (Manifeste pour une poésie nouvelle visuelle et phonique, 1962). Des mots écrits il y a… cinquante ans. Je doute que quiconque se risque à accuser une technologie alors absente d’être cause d’un phénomène. Ou alors c’est à désespérer de l’état de la pensée. D’ailleurs, il se peut qu’un effet inversé se produise : que le net permette justement à la poésie d’atteindre de nouveau l’homme. C’est dur à entendre, je sais. La poésie « en crise », c’est devenu une expression réflexe. Pourtant, cela pourrait se discuter, tout un chacun n’étant pas en accord avec l’idée d’une nécessaire grande diffusion de la poésie. Ici, nous développons une action visant justement à la diffusion de la poésie. De façon hebdomadaire. Nous pensons que la poésie pouvait, hier, être au secret. Mais nous pensons qu’il en va tout autrement aujourd’hui : la poésie est maintenant, plus encore qu’hier, un acte de résistance fondamental, pour cette raison simple que le faux monde inhumain à l’œuvre actuellement est par essence antipoétique. La poésie est la réponse politique, humaine et intérieure à ce faux monde. C’est la raison d’être de Recours au Poème, action poétique qui s’approprie les outils tissant aujourd’hui les règles de notre monde collectif. Nous ne ferons l’injure à personne de donner des chiffres de lectorat à faire grincer de nombreuses dents. Nous dirons simplement que la mise en œuvre de la poésie sur internet ouvre actuellement des perspectives complètement inédites, amenant nombre de personnes qui n’en entendaient jamais parler à lire de la poésie, et de nombreux poètes à toucher des lecteurs qu’ils ne touchaient pas. Il en est de même des livres et des revues que nous mettons en avant. Il n’est pas rare qu’un livre aperçu dans Recours au Poème se retrouve dans les mains de nos lecteurs. Complémentaires, disais-je.

Mais la question est plus importante que cela. Il faut parfois, messieurs, oser dire ce que l’on pense. Et non tourner autour du pot. Ici, j’ose sans peine : à qui la faute ? Je veux dire : qui sont les responsables de « l’invisibilité » de la poésie aujourd’hui, si ce n’est pas cet internet qui n’existait pas encore tandis que la poésie était déjà peu visible ? Elles sont nombreuses, bien sûr, les causes ! Sociales, éducatives, politiques, économiques… Ne prenons pas internet et ses revues comme boucs émissaires, ce serait pour le moins indécent. Nombreuses, les causes. Et parmi elles, aussi des causes inhérentes au monde de la librairie : des libraires qui, massivement (bien qu’il y ait des résistants), ignorent la poésie. Une presse qui fait de même. Mais aussi des milieux de la poésie qui ressemblent aux féodalités d’hier. Qui ignore cela ? Personne. Bien que personne non plus ne veuille le dire. Dans le monde de la poésie, du moins. On s’offusquera bien sûr. On fera sa vierge effarouchée, cachez moi ces mots je vous prie. Pourtant chacun sait que ces mots sont justes. On ne le reconnaitra pas trop, de crainte de perdre tel petit avantage ici ou là. Cela tombe bien, nous n’avons ni privilège ni avantage à perdre, et pour tout dire nous nous en foutons complètement. Nous ne sommes pas du « milieu ». Je n’entrerai pas plus avant dans cet autre débat, celui de l’état pathétique du « milieu » de la poésie, non qu’il m’effraie, plutôt que cette réalité des petites féodalités ne nous concerne tout simplement pas : Recours au Poème est entièrement indépendant, ne perçoit aucune subvention, ne vit que du travail alimentaire et des ressources de ses animateurs. Recours au Poème trace sa planche, entre liberté et bonnes mœurs. Nous bossons pour faire vivre une revue de poésie en ligne qui, d’une certaine manière et d’un certain point de vue, revivifie actuellement, en partie, un univers moribond. La poésie ne va pas sans rituel, le nôtre se vit chaque semaine.

Nous le savons. Et nous savons que vous le savez.

Et puis… quelle frilosité ! Recours au Poème est une revue/magazine en ligne. Comme toute revue, nous parlons de nos pairs, du moins des revues auxquelles nous accordons subjectivement du crédit. Nous oublions les revues que nous n’apprécions pas. Quoi de plus normal ? Mais nous lisons beaucoup de revues de poésie, et force est de constater que, à part pour lancer ici et là quelques piques un tantinet ringardes, ces revues que nous lisons ne disent pas un mot des revues publiées sur le net. Sont-elles donc toutes mauvaises au point que l’on évite de les évoquer, d’en parler dans les pages des revues des revues ? Non, c’est beaucoup plus simple que cela : on vit dans son petit monde clos, fermé sur lui-même, tout en se plaignant que le monde bouge. Eh oui ! La vie est ainsi, elle est mouvement. La poésie aussi, cette partie intégrée et intégrante de toute forme de vie vivante. Pour ne pas mourir, il faut d’abord avoir la volonté de vivre. Et de marcher. Recours au Poème tient une revue des revues, donne de la visibilité à des revues qui en ont bien besoin, elles qui se plaignent justement d’être de moins en moins visibles et lues. Qui parle des revues présentes en ligne… dans les revues papier ? Après un an d'existence, la plupart des maisons et printemps s'occupant de poésie n'ont semble-t-il pas trouvé les deux secondes nécessaires pour faire un simple lien en notre direction. En France. Car cela fait plusieurs mois que nous sommes référencés aux Etats-Unis, en Angleterre, en Serbie, en Roumanie... en Inde... La peur de l’autre, pour ne pas l’écrire en grec ancien, vous savez bien.

Nous, nous n’avons peur de rien. Ni de personne.

Nous vivons dans le mouvement et la vision d’une poésie/Poème conçue et vécue comme réponse aux affres du contemporain.

C’est pourquoi nous parlons de vous.

Ici et maintenant.

Ce dernier numéro du Journal des Poètes ne fait pas qu’exprimer des inquiétudes (Jean-Luc Wauthier) ou des ressentiments (Yves Namur) au sujet du développement « toxicomaniaque » de la poésie sur le net et, même si cette façon de voir les choses peut paraître ubuesque, son contenu dépasse amplement ces rapidités. On trouvera dans ces pages un très bel hommage de Bauchau par un poète que nous apprécions et défendons ici tout particulièrement (Marc Dugardin), ainsi que son éditeur (Rougerie), et aussi un hommage à Szymborska, disparue en 2012, poète à laquelle nous accordons une très grande importance et dont l’un de nos collaborateurs, qui eut le bonheur de la croiser, rendait, en nos pages, hommage :

http://www.recoursaupoeme.fr/essais/sur-la-disparition-de-wislawa-szymborska-ou-l%E2%80%99%C3%AAtre-po%C3%A8me/antoine-de-molesmes

Vient ensuite la première partie d’un dossier mené par Jacques Rancourt, animateur de cette autre excellente revue, La Traductière, dont nous parlerons la semaine prochaine, et consacré aux poésies contemporaines de Singapour. Pour qui est réellement attentif au monde des revues de poésie, même celles qui paraissent encore sur papier, ce dossier vient comme un excellent et utile prolongement de celui paru dans La Traductière l’année passée. Sept poètes à découvrir, tout comme ceux du « partage des voix » du Journal des Poètes. Dix très fortes voix parmi lesquelles mon goût personnel et pleinement assumé retient : Ghada Assaman, Tomislav Dretar et Tymoteusz Karpowicz. Le numéro propose aussi son habituel florilège de lectures et défense de recueils parus il y a peu, dont l’excellent L’autre présence de Geneviève Raphanel, au sujet duquel on trouvera un autre écho ici :

http://www.recoursaupoeme.fr/critiques/l%E2%80%99autre-pr%C3%A9sence/paul-vermeulen

 

 

Le Journal des Poètes. Numéro 1/2013, 82e année, Janvier/Mars 2013

Jean-Luc Wauthier. Rue des Courtijas, 24. B-5600 Sart-en-Fagne.

wauthierjeanluc@yahoo.fr

http//www.mipah.be

Le numéro : 6 euros.

Le poète Jean-Luc Wauthier, rédacteur en chef du Journal, donne des chroniques régulières à Recours au Poème. Ici :

http://www.recoursaupoeme.fr/users/jean-luc-wauthier

 

 




Passage en revues

Diérèse, revue dirigée par Daniel Martinez, avec l'aide d'Isabelle Lévesque, par ailleurs poètes, que nous apprécions ici, en est à son 58e numéro. Une vie. Mais une vie ouverte sur l’ailleurs, ce que traduit l’exergue de la revue, ces mots de Mandiargues : « La poésie, comme l’art, est inséparable de la merveille ». Bien sûr, cela nous parle ici, comme l’on dit, au sein de Recours au Poème : la poésie et la merveille, cet au-delà de l’illusion du réel directement dicible, oui, la merveille. Ce que nous pouvons être amenés, avec de la chance et du travail, à percevoir, peut-être, une fois… ou deux, au cours d’une existence. Cette ouverture vers ce « plus que réel » surréaliste entre autres) auquel, d’une certaine manière, Mandiargues adhérait. La merveille est là, la poésie en est le chemin, ce qui ne signifie pas que l’ascension soit chose aisée. Daumal le disait : avant d’entreprendre le chemin vers le sommet du Mont, il convient de se rendre compte, d’abord, qu’il faut lever un peu le pied et le poser sur la première marche. La deuxième vient après. Gravir, comme vivre, cela se fait par étapes, mais il n’est pas inutile de voir que ces étapes existent. Mandiargues était plus qu’un poète, plutôt : il était poète au sens plein de ce mot.

En ce récent numéro, Diérèse consacre un important dossier, mené par Isabelle Lévesque, à l’œuvre de Gérard Titus-Carmel. L’occasion d’une belle découverte pour les lecteurs qui ne connaissent pas son univers poétique et plus généralement artistique (car l’homme est aussi peintre, graveur…). Les veines, le minéral, le végétal, le sable, la pierre, les dialogues en silence… Tout ce qui fait la poésie de Titus-Carmel se retrouvera dans les pages ici publiées et extraites de livres paraissant en ce début 2013 chez Galilée (Le huitième pli ou le Travail de la beauté) ou chez Fata Morgana (Albâtre). Le poète évoque cette « première lampe qu’on allume / au bout de la nuit » et sa marche intérieure vers le « plus loin que l’air ». Les extraits du huitième pli font entrer le lecteur dans l’intimité de la pensée du poète, lequel ne donne pas de réponse mais des pistes ancrées dans ses propres convictions. On y découvrira les méandres d’un dialogue personnel avec l’art conçu comme quête de la beauté.

Diérèse se découpe ensuite en plusieurs parties. « Poésies du monde », d’abord. Avec des textes bilingues du poète italien Giacomo Cerrai, Du Fu (poète vivant durant la dynastie des Tang) et du poète allemand Durs Grübein. Mon goût personnel va au premier des trois. Puis viennent trois carnets réunissant des textes et des poèmes d’Isabelle Lévesque, Françoise Ascal, Pierre Chappuis, Daniel Martinez, Emanuel Moses (un Nuremberg d’une poignante beauté), Laurent Cennamo, Fabio Scotto, Olivier Massé, Jacques Kober (pour la poésie duquel j’ai une tendresse particulière depuis une quinzaine d’années), Marie de Quatrebarbes, ainsi qu’une passionnante étude de Monique Labidoire consacrée à la poésie de notre ami et collaborateur Max Alhau, étude ponctuée de poèmes inédits. Et comme Diérèse est une revue généreuse, elle se termine par une centaine de pages mêlant, en deux parties, chroniques, textes divers et notes de lecture. Cette revue est une grande revue de poésie.

Diérèse, revue trimestrielle, numéro 58.

Direction : Daniel Martinez

8 avenue Hoche. 77330 Ozoir-la-Ferrière.

 Le numéro 15 euros.

contact@diereseetlesdeuxsiciles.com

 http://www.diereseetlesdeuxsiciles.com     

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Ecrit (s) du Nord est une revue se présentant comme un « collectif annuel » publié par les éditions Henry. Elle est dirigée par le poète / éditeur Jean Le Boël, cette fois aidé par Max Alhau et Patrice Houzeau. On la reconnaît à son beau papier et sa superbe présentation. Outre cela, Ecrit (s) du Nord s’ouvre sur deux hommages. Le premier, signé Max Alhau, est consacré à Bernard Mazo, poète compagnon de la revue depuis ses premiers numéros, comme il fut un des premiers compagnons de Recours au Poème, aventure dont Mazo n’a malheureusement pas vu le développement. Le texte de Alhau commence par des extraits du dernier recueil de Bernard Mazo, Dans l’insomnie de la mémoire (Voix d’encre, 2011), recueil majeur du poète, dont nous parlions ici :

http://www.recoursaupoeme.fr/chroniques/bernard-mazo-o%C3%B9-l%C3%A9criture-pour-mieux-vivre/antoine-beck

Cet hommage est un texte très émouvant, un texte de poète et d’ami. Cela se termine ainsi :

« Entre ombre et lumière demeure une poésie à laquelle on ne peut que se référer car elle ne se paie pas de mots : elle incarne une parole juste et forte, humaine avant tout ».

Humanisme, oui, un maître mot au sujet de Mazo. Il devait faire paraître une biographie de Jean Sénac, elle était sur le feu, et l’on se demande bien ce que ce livre, qui était terminé, prêt à paraître, est devenu. Que son éditeur le donne à lire serait sans aucun doute le plus bel hommage rendu à Bernard Mazo. Comme à Jean Sénac d’ailleurs. Vient ensuite un hommage à Robert Sabatier par Lionel Ray, ce dernier voyant en l’amoureux de la poésie récemment disparu un « prince » de la poésie. Ecrit (s) du Nord, en cette livraison, se divise ensuite en deux parties, « poèmes » puis « récits ». Mon goût personnel m’entraîne vers la première partie, des pages où je découvre avec plaisir et intérêt de nombreux poètes, dont François- H. Charvet, Carole Dailly (long et fort ensemble), Tristan Félix, par ailleurs animateur de la revue La Passe, Valérie Harckness, Christian Poirier, Jean Poncet, Line Szöllösi, entre autres. Une vingtaine de poètes en tout. De belles découvertes. La revue offre à lire des voix que l’on ne connaît pas forcément ou que l’on connaît peu, que l’on ne rencontre pas forcément par ailleurs. Cela est aujourd’hui d’importance.

Ecrit (s) du Nord, revue en forme de collectif annuel, numéros 21-22, éditions Henry.

Direction : Jean Le Boël

www.editionshenry.com

Le numéro : 12 euros

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La revue trimestrielle Phoenix publie ce mois de mars son numéro 9, ce qui ne manque pas de symbolisme, étant donné les préoccupations intérieures de l’aventure. Il y a un « ton » Phoenix, c’est indéniable. Une cohérence dans le choix des poètes et des préoccupations, ce qui en fait l’une des plus belles revues françaises de poésie de ce début de 21e siècle. Une revue qui s’inscrit dans la droite ligne de ses ancêtres, Sud puis Autre Sud, tout en proposant un objet « modernisé », par son papier et le toucher de sa couverture. Ici, nous apprécions Phoenix. Pour ces raisons, bien sûr, mais surtout pour ce qu’on lit dans ses pages depuis maintenant plus de deux ans. Animée par André Ughetto, Marie-Christine Masset (poètes que l’on peut lire ou que l’on lira bientôt dans nos pages) ou encore François Bordes (dont on peut lire de très beaux textes dans un récent numéro de Nunc), Joëlle Gardes, Jean Blot, Téric Boucebci et Jean Orizet, la revue s’architecture toujours autour de quatre grandes parties : un dossier consacré à un poète contemporain majeur, un « Partage des voix » donnant à lire des écritures de maintenant, une « Voix d’ailleurs », dont le choix est généralement de haute tenue, et des chroniques /lectures sur différents sujets. En ce numéro, le lecteur rencontrera un Philippe Jaccottet moins connu, poète voyageur, avec des extraits de ses carnets inédits, ses pas le conduisant en Espagne et en Grèce. Les textes de Jaccottet sont accompagnés d’études éclairantes signées Jean-Luc Steinmetz (sur Cristal et Fumée), Sébastien Labrusse, questionnant le lien entre poésie/voyage/religion, dans cet espace géographique que l’on appelle « proche orient », ce qui induit une réflexion sur le sacré et la poésie, Judith Chavanne (sur Jaccottet et l’Italie), Alain Freixe (Voir l’Autriche), Jean Blot (A partir du mot Russie) et Marcel Migozzi au sujet de Beauregard. Un dossier qui fera référence.

Le « Partage des voix » donne à lire neuf poètes dans l’atelier desquels André Ughetto voit un socle commun : « les vifs accents de spiritualité perceptibles dans ces poèmes ». Et, en effet, les poèmes publiés ici sont poèmes en profondeur et intériorité, comme reliés. On lira : Pierre Dhainaut, Claudine Helft, Matthieu Baumier, Marie-Claude Bourjon, Gwen Garnier-Duguy, Jacqueline Persini Panorias, Karim de Broucker, Joëlle Gardes et Francis Chenot. Les grands chemins sous la haine, de Chenot, en regard du livre de Georges Bernanos, est un texte que l’on garde longtemps en tête. « Voix d’ailleurs » donne à lire des poèmes de la même eau, signés Elicura Chihuailaf, poète chilien écrivant en mapuzugun et en espagnol. Ici, chaque poème est précédé de sa version en mapuzugun et traduit par Mathieu Murua. Une poésie reliée au chant des ancêtres, et par là au Chant tout court, celui prononcé et étendu jusqu’à nous par la brisure originelle de l’œuf de cet univers (provisoire) sur lequel nous flottons. Le poète conduit son lecteur au cœur du « silence sacré » en un ensemble de poèmes légitimant à eux seuls l’acquisition de ce numéro de Phoenix. La revue se termine par ses traditionnelles chroniques et notes de lectures. Encore un excellent numéro de Phoenix.

Phoenix, numéro 9.

Direction : Yves Broussard et André Ughetto

www.revuephoenix.com

revuephoenix1@yahoo.fr

4, rue Fénelon. 13006 Marseille.

Le numéro : 16 euros

 

 




La revue Fario

 

Il y a une âme dans cette revue, on la croise, on la vit. On la ressent au fil des pages que l’on lit. Une âme, celle des beautés et des douleurs, de tout ce qui a fait le tragique du siècle passé. Et cette âme vit en Fario, ses pages de papier à l’ancienne, et sa belle couleur beige tout autant à l’ancienne. Elle vient d’un monde ancien, donc, cette revue, monde voilé que l’on aurait tendance à oublier afin de mieux se rassurer, de mieux survivre en pensant croquer à pleines dents un lieu contemporain que nous pensons et affirmons moderne, pour mieux ne pas le regarder. En cela, le récent numéro de Fario est un choc pour son lecteur, quand bien même ce dernier connaît l’aventure de cette exceptionnelle revue. On ne troublera personne en disant ici que les revues de cet acabit ne sont pas légions aujourd’hui. À cela, les raisons sont diverses et ce n’est pas ici notre propos. Ce monde d’avant que l’on arpente en lisant Fario est cependant monde de maintenant. Car la simple existence d’une telle revue, évoquant aussi bien l’intériorité des hommes durant les affres des folies d’hier que cette autre âme que notre modernité conteste tant, l’âme des lieux, de leur géographie, ici la Bucovine de Rose Ausländer par exemple, cette existence est un déni profond de tout ce qui pourrit actuellement l’être même de nos vies. Quelle importance que tous ces « avoirs » pense-t-on en fermant les pages de ce douzième numéro, douze, il n’est guère de hasard, de Fario ? Nous voulons être et nous ne le savons plus. Du moins, nous mimons le « bonheur » de ne plus le savoir ni le vouloir. Fario est un miroir de nos insuffisances collectives contemporaines. On peut se mentir et passer son chemin, on peut aussi plonger dans le questionnement que posent sans cesse, et avec une certaine urgence, Vincent Pélissier, le directeur de la revue, et son équipe, un questionnement répété sans le dire. Dans l’importance du silence.

Pour bien saisir ce qui est « l’engagement » de cette revue, au sens noble et non tristement dévoyé hier par des figures littéraires et idéologiques auxquels on attache sans aucun doute encore bien trop d’importance, mais cela ne durera guère, on se reportera à cette note d’intention signée Vincent Pélissier :

http://www.editionsfario.fr/spip.php?article2&site=1

Il y a beaucoup en ces quelques lignes. Comme dans les noms des écrivains publiés par les éditions du même nom, dans le sillage de la revue : Salah Stétié, Henri Droguet, Fernand Deligny, Serge Airoldi, Günther Anders, Pierre Bergounioux, Gustave Roud ou James Sacré. Les éditions Fario sont ainsi l’éditeur du tome 2 de L’obsolescence de l’homme, maître livre de Anders sans lequel Debord n’eut peut être pas été Debord, du moins ce Debord , celui qui compte tant pour nous, et dont nous prétendons ici que la pensée vit pour maintenant. Être l’éditeur de ce livre, cela aussi est beaucoup. J’évoquais Debord. Sa silhouette plane discrètement sur Fario, revue qui crée une situation surprenante, celle du questionnement de la situation qui nous a créés. On ne sera donc pas surpris de croiser, selon les numéros, les plumes d’Anders ou Jappe.

En ce numéro 12 de Fario, on lira des textes de Jean-Paul Michel, ouvrant l’interrogation sur l’illusion de ce que furent nos utopies, nourries de celles du passé, et leur devenir terrifiant, une interrogation comme un fil « rouge » en Fario, Baudouin de Bodinat, Marcel Cohen, une belle nouvelle d’Henri Droguet, des lignes de Dominique Buisset qui réfléchissent en nous ce que sont le poème et le poète (« Et quand lui-même il vient à l’image, c’est dans un plan second, simple figure d’un être au monde »), rappelant combien est ici essentielle le jeu/je de la mesure. Viennent ensuite une nouvelle de Caroline Fourgeaud-Laville, les carnets de Jean-Luc Sarré, avec des fulgurances : Oran. Été 43. Être le fruit d’une négligence, une faute d’étourderie, une coquille, un cuir, un lapsus… C’est, au bout du compte, plutôt léger à porter. J’aurais trouvé plus contrariant qu’on ait pu « me vouloir ». Ou plus loin : Minuit. Le grossier claquement d’une paire de tongs offusque la lune. Puis un beau texte de Serge Airoldi, ponctué par un poème de Novella Cantarutti qu’il faut absolument lire, un inédit de Fernand Deligny, et le texte lu en forme de pied de nez par l’écrivain grec Thanassis Valtinos lors de sa réception à l’Académie. Une fois parvenu là, au mitan de la revue, le lecteur rencontre les ateliers croisés de Richter et de Kluge, l’artiste et le cinéaste ayant construit un dialogue en regards. Suit un entretien passionnant avec Kluge. Puis huit thèses de Günther Anders, dont la pensée ne cesse de hanter notre époque, dans le silence peureux le plus complet –ou presque.

L’heure est alors à la poésie. Un beau poème de Bill Zavatsky, autour de Bill Evans, naissance d’une amitié aussi. Et Rose Ausländer. Que dire ? Sinon les larmes qui montent aux yeux. Fario publie ici en bilingue, dans une traduction exceptionnelle signée François Mathieu, un ensemble, Pour qu’aucune lumière ne nous aime, un recueil de l’immense poète de langue allemande, poète qui résume à elle seule tout le 20e siècle, et dont la poésie dit, aussi à elle seule, l’âme de la revue Fario. Ces pages suffiraient à légitimer l’acquisition de ce volume.

Ainsi, cette Arche :

 

Dans la mer
une arche
d’étoiles
attend

 

la cendre
survivante
après
le déluge de feu

 

Cela n’est guère connu mais il n’y aurait pas de Recours au Poème sans la poésie de Rose Ausländer, une poésie dont l’influence irrigue, creuse un sillon qui n’apparaît pas encore clairement mais construit fortement. Dans le silence apparent, et l’illusion bruyante.

La revue poursuit ce travail, celui de donner à lire les voix de Czernowitz, depuis son origine, ou presque. Son numéro 10 comportait ainsi la quatrième partie d’une Chronique du ghetto de Czernowitz et de la déportation en Transnistrie, avec des textes traduits par François Mathieu. D’une certaine manière, la publication des poèmes de Rose Ausländer poursuit cette chronique qui, témoignant de quatre années de l’histoire d’une ville-capitale, résume celle du 20e siècle, et de ce fait… nous résume.

Pour finir, Fario demande à trois écrivains, Gilles Orlieb, Antoine Emaz et Jacques Lèbre, Où écrivez-vous. Un questionnement suivi. 

Mais je dois revenir en arrière, volontairement, au texte de Marcel Cohen, lu à l’orée de ce numéro, intitulé La sphère de Magdebourg. Écrire la Catastrophe, témoignage et fiction texte qui, dans le sillage de rencontres initiées par Cécile Wajbrot en 2011, interroge le rapport entre l’écriture et la Catastrophe, la Shoah. Toute l’aventure de Fario est ici, dans la poésie de Ausländer et dans la publication d’un texte tel que celui de Marcel Cohen, lequel navigue entre écriture de sa propre mémoire et pensée sur ce qu’est écrire sa propre mémoire, autrement dit sur l’impossible qu’est cette écriture. Que nous est-il arrivé à tous dans ce qui est arrivé aux victimes des tragédies du siècle passé, semble demander Marcel Cohen, et avec lui la revue Fario, oui, que nous est-il arrivé, à nous qui prétendions, et prétendons toujours semble-t-il, être la culture. Nous, qui sommes le lieu de la mise en fonction d’usines à fabriquer la mort des êtres humains, d’abord, des êtres ensuite.

Revue Fario n° 12, hiver 2012- printemps.

Les numéros 10 et 11 sont tout aussi fondamentaux, et l’on gagnera à se les procurer.

(deux numéros par an).

26 rue Daubigny – 75017 Paris.

revue.fario@gmail.com

 Site : http://www.editionsfario.fr/

Abonnement : 50 euros.

Le numéro : 28 euros. Chaque numéro, autour de 400 pages.

 




La revue Mange Monde

 

En parallèle à son travail d’éditeur aux commandes des éditions Rafael de Surtis, Paul Sanda a toujours eu à cœur d’animer une revue. Succédant à Pris de Peur, Mange Monde est née en 2011. Vincent Calvet occupe le poste de rédacteur en chef. On retrouve dans cette publication semestrielle le « cachet » propre aux ouvrages des éditions Rafael de Surtis, fabriqués « maison » avec des cahiers cousus main. On retrouve aussi, pour ce qui concerne la ligne éditoriale, cet attachement au surréalisme et à ses prolongements actuels. Ésotérisme et alchimie y tracent leurs empreintes. Mais, pour autant, Mange Monde n’est pas une revue initiatique puisqu’elle fait montre d’un esprit d’ouverture en accueillant des poètes d’horizons divers. Une même structure se retrouve d’un numéro à l’autre, axée principalement sur deux longs entretiens (Gabriel Lalonde et Jean-Pierre Lassalle pour le N°3, Rémy Boyer et Fabrice Caravaca pour le N°4). Une partie centrale porte regard sur des poètes étrangers, publiés dans leur langue natale avec une traduction en français. En fin de sommaire, Serge Torri, co-directeur de Mange Monde, présente quelques voies actuelles de la création poétique en France. La création artistique n’est pas absente de Mange Monde, qui confie sa couverture et quelques pages intérieures à un plasticien. Il faut saluer la « sobriété » de cette revue peu attirée par une accumulation « fourre-tout » de poèmes hétéroclites mais davantage soucieuse de s’arrêter longuement en compagnie d’un seul auteur ou éditeur.

 

Mange Monde, N°3 et N°4 ; 1er et 2ième semestre 2012 ; 102 pages ; 15€ : contact : paul.sanda8234@yahoo.fr




Les carnets d’Eucharis

Nathalie Riera est une lectrice infatigable. Egalement Poète, elle a publié Puisque beauté il y a (Lanskine, 2010), un recueil qui, en se gardant de tout solipsisme, couronne le jour qui passe et sait jouer des saisons de l’homme sur la terre Depuis 2008, elle diversifie, dans sa revue numérique Les carnets d’Eucharis, les approches et les contenus littéraires. Sans sectarisme mais ouvert aux tendances esthétiques les plus novatrices, son site est devenu incontournable.

Voici aujourd’hui la publication d’une première version papier de ces carnets.

Ma décision d’en venir, une fois par an, à une version papier, est une manière de ne pas négliger un pan du lectorat qui s’avère peu attaché à la seule lecture numérique (…) Claude Minière m’a fait part de cette pensée : « dans le passage à l’édition papier, il y a un geste significatif. Par là, vous allez vers ce qui se donne à la main, ce qui peut se lire dans la main (dans la méditation) – et donc n’est plus sous l’impression binaire « informatique », se déroulant pour l’œil seul. (Réponse de Nathalie Riera à une question de Richard Skryzak dans l’avant-propos).

Au sommaire, on découvrira un dossier riche d’enjeux sur Susan Sontag (avec notamment des contributions d’Angèle Paoli, Jacques Estager et Nathalie Riera). La rubrique Au pas du lavoir nous offre à lire des poèmes de Mathieu Brosseau, de Gérard Cartier, de Gilbert Bourson, de Béatrice Machet… et de Claude Minière qui s’impose, d’après moi, comme le poète le plus singulier de notre modernité :

La mémoire passe de la ville à la campagne
quand les feuilles roses et grises s’unissent et se séparent selon le vent
le tronc ne bouge pas
déroulé du passage
définition spatiale du vocabulaire
au centre et à l’écart.

Les rubriques Le chantier du photographe, Traduction et Recensions concluent ce premier numéro d’admiration et de création.

 

Les Carnets d’Eucharis 2013

(L’association l’atelier les Carnets d’Eucharis, L’Olivier d’Argens, Chemin de l’Iscle BP 44, 83520 Roquebrune-sur-Argens. Courriel : nathalieriera@live.fr).

Le site : http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/

 

 




La revue des revues de Christophe Dauphin

 

LETTRES ROUMAINES n°1. 136 pages. Rédaction : éditions Non Lieu, 224, rue des Pyrénées, Paris 20.

 

            Lettres Roumaines est une revue des plus atypiques. On ne peut s’y abonner, pas plus que l’on ne peut l’acheter : elle est gratuite ! On imagine, en lisant cela, qu’il s’agit d’une revue d’aspect négligé. Pas du tout, au contraire, la présentation est impeccable, au même titre que la mise en page. Imprimée sur papier glacé, la revue est richement illustrée par des gouaches et des acryliques, en pleine page et en couleurs, de Nicolae Paduraru, peintre d’une cosmogonie onirique d’êtres hybrides. Coordonnée par Petre Raileanu et coéditée par les éditions Non Lieu et par Copyro (qui est une société de gestion des droits d’auteur, qui rassemble un grand nombre d’écrivains roumains), la revue Lettres Roumaines entend présenter des livres et des auteurs qui ne sont pas connus au-delà des frontières de la Roumanie. L’objectif de cette démarche est d’éveiller la curiosité des éditeurs français, de l’espace francophone et des lecteurs pour cette partie de l’Europe longtemps restée dans l’ombre, malgré ses liens jadis très étroits avec la France (la liaison intellectuelle et artistique Bucarest/Paris fut des plus importantes au XIXe siècle, comme dans la première partie du XXe siècle : Istrati, Enescu, Brancusi, Fondane, Brauner, Voronca, Sernet, Hérold, Ionesco en témoignent). Cinq auteurs sont ici présentés en plus du peintre Nicolae Paduraru. Les romanciers Iacob Florea, Radu Tuculescu, Dumitru Radu Popescu ; le poète Ioan Es. Pop qui, né en 1958 et auteur d’une œuvre importante a, nous dit-on, influencé la génération des années 90 ; l’essayiste Ioan Aurel Pop. Lettres Roumaines est assurément un beau projet ; une revue de qualité et de pure découverte pour le lecteur français.

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EMPREINTES n°20. 48 pages. 8 €. Abt (4 n°) : 30 €. Rédaction : 102, Boulevard de la Villette, 75019 Paris.

 

            Ce n°20 n’échappe pas aux règles d’ouverture et d’originalité qui caractérisent la revue depuis ses débuts. 48 pages au format 21 x 28 cm. Papier glacé épais. Au sommaire, le Musée Jeanne d’Arc de Rouen, par Claude Brabant, les proses décadentes (1886) de Léo Trézenic, une présentation de la grotte (art brut) et de la maison de Jean-Michel Chesné, des proses et poèmes de Jean-Michel Maubert, Jean-Pierre Le Goff, Bernard Dumortier, des dessins étonnants de Guy Ferdinande, Tristan Félix, Jacques Touchet. Une revue atypique, inclassable, à découvrir absolument.

 

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DIÉRÈSE n°56. 350 pages. 15 €. Abt (4 n°) : 38 €. Rédaction : 8, avenue Hoche, 77330 Ozoir-la-Ferrière.

 

            Dans la « Chronique des revues » des HSE n°34 (2012), nous avons salué le numéro de référence, donné, sous la houlette d’Isabelle Lévesque, par Diérèse n°52/53, sur Thierry Metz. La boucle messine était-elle bouclée par ses quelque 328 pages ? Non et la revue de Daniel Martinez remet le couvert avec un deuxième numéro spécial, rassemblant les poèmes inédits de Thierry Metz, des textes d’Isabelle Lévesque, Pierre Dhainaut, Éric Dazzan, Didier Periz ou Christian Viguié. Un beau numéro enrichi par une belle iconographie, des témoignages et des entretiens. « Plus que tout autre », nous dit Daniel Martinez, « Thierry Metz aura su capter, à l’aune d’une existence rien moins que banale et dans les marges du quotidien, une mesure de l’absolu : au coeur, et au-delà des messages du monde, portant la braise à son bois. L’assise, et l’élan recherché, du regard aux signes, à leur transcription, ensemble nous fascinent. Sans jamais effacer donc la relation au référent, sa poésie saisit d’emblée la note juste. »

 

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CHIENDENTS n°14. 36 pages. 4 €. Rédaction : 20, rue du Coudray, 44000 Nantes.

 

            Chiendents est la nouvelle revue éditée par les éditions Petit Véhicule. Ce numéro est entièrement consacré au poète et dessinateur Jacques Basse qui, depuis dix ans, travaille sur une collection de portraits (d’écrivains, poètes…) au crayon, qui compte maintenant quelque quinze cents pièces. Six volumes de son travail, sous le titre de Visages de poésie, ont déjà paru aux éditions Rafael de Surtis, éditeur chez lequel Basse a également publié quatre livres de poèmes (« Une écriture fine, aérienne, ciselée dans la force de vie », nous dit Paul Sanda), dont récemment Échos et murmures (2012). « Chacun des tomes de Visages de poésie peut se lire comme une ouverture à l’univers complexe de la poésie vivante, bien plus instructive que certaines anthologies ou panoramas prétentieux », écrit Georges Cathalo.

 

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COUP DE SOLEIL n°86. 40 pages. 7 € le numéro. Abt (3 n°) : 19 €. Rédaction : 12, avenue du Trésum, 74000 Annecy.

 

            Des poètes et leurs inédits. À l’honneur dans ce numéro 86 : Lionel Ray (Te voici au plus noir de cette cave - Où tu brilles - Comme une rose inépuisable), Jacques Brossard (Le silence refait en pensée - Ce chemin qui le relie au bruit), Jean Chatard (La nuit raconte ses voiliers), Jean-Louis Bernard (Le vent trappeur pose ses collets), Jean-Louis Jacquier-Roux, Annie Salager, Valérie Canat de Chizy (Les sentiers mènent à des châteaux en ruine) et Jeanine Salesse (Nous nous touchons pour ne pas tomber). Suivent des notes de lecture et des chroniques, dont un beau portrait de Michel Dunand, le maître des lieux, par l’éditeur Jacques André, qui écrit : « Vous savez que le bonheur ne s’achète pas en parcelles numérotées sur la terre. Et si nous voulons rencontrer la plénitude, il faut aller à sa rencontre, de partout, et de toujours, car la félicité ne tombe toute rôtie que dans la bouche des imbéciles. Et c’est ainsi que vous gagnez le monde, dont vous nous rapportez quelques paillettes, comme autant de trésors ravis aux abysses de l’inconscient du monde. » Ces propos sont parfaitement justes. Pour le vérifier, il suffit de se reporter aux deux dernières plaquettes de Michel Dunand, Mourir d’aller (Jacques André éditeur, 2012) et Tunis ou Tunis (Berg édition, 2012). Le poète d’Annecy (ville où il dirige, non seulement la revue Coup de Soleil, mais également la Maison de la Poésie), Michel Dunand, qui se revendique poète de l’homme ordinaire (ce qui n’est évidemment pas pour nous déplaire aux HSE, les Poètes de l’émotivisme et de la Poésie pour vivre), écrit pour ne pas sombrer. Résister. Témoigner. Dunand nous dit aussi : Moi j’écris. Je lutte avec les mots. - Je me bats. - Mais je bâtis. Avec Mourir d’aller, le voyage est toujours de mise (l’Italie et Moscou, ici), mais le ton est peut-être plus grave qu’à l’accoutumée : je meurs d’aller, nous dit le poète. La mort revient entre les lignes, mais elle attendra, j’ai un cœur neuf, rétorque celui qui jette ses yeux - Pour voir - Mieux voir. La plaquette Tunis ou Tunis a la particularité d’être éditée en bilingue (arabe/français) et à Tunis (Tunis a tourné la page. - On béatifie les blindés). Un bel ensemble qui permet au poète de célébrer une fois de plus le désert (Le désert me devancera toujours. - J’admire éperdument - ce grand marcheur), mais aussi la ville, le pays qui a conquis sa liberté : On ne confisquera - jamais le langage. 6 Il poursuivra sa route.

 

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7 à dire n°53. 20 pages. 4 € le numéro. Abt (5 n°) : 18 €. Rédaction : La Sauvagerais, La Rotte des Bois, 44810 La Chevallerais.

 

            Cette livraison s’ouvre sur un hommage à Henry Bauchau, décédé en septembre 2012 à l’âge de 99 ans ! Suivent des poèmes et des textes de Patrice Blanc, Jean Chatard, Gilles Lades, Danièle Corre. Jean-Marie Gilory donne une très belle note de lecture sur Mains d’ombre (LGR/HSE, 2012) d’Elodia Turki : « Or voici que resurgit ici le poème, en sa précise et vive langue de poésie. Dont notre revue sut orner ses pages au long de quatre numéros, égrenant une quinzaine de textes de haute tenue. Mains d’ombre est tiré de la mer de la mémoire qui n’arrête pas ses allers et venues de marées chez Elodia Turki. »

 

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FRICHES n°111. 70 pages. 12 €. Abt (3 n°) : 25 €. Rédaction : Le Gravier de Glandon, 87500 Saint-Yriex.

 

            Ce numéro est consacré au Prix Troubadours, qui est décerné tous les deux ans. La revue Friches édite le recueil du lauréat, en 2012, Monique Saint-Julia, avec On n’invente pas la neige. « J’écris pour retrouver une voix, une musique, le parfum de moût fermenté, sentir sous la main le sifflement de la rampe cirée, retrouver des prés fleuris de jonquilles », dit elle-même Monique Saint-Julia (auteur prolifique, qui publie également Regards croisés, éd. de l’Atlantique). Les autres nominés sont Chantal Couliou, Robert Denis, Régine Ha Minh Tu, Geneviève Vidal et Jean Vigna.

 

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SPERED GOUEZ n°18. 164 pages. 15 €. Rédaction : Centre Culturel Breton Egin, 6, Place des Droits de l’Homme, BP 103, 29833 Carhaix Cedex.

 

            Un numéro dense, avec de nombreuses chroniques et notes de lectures sur des revues et sur des livres. Le choix de poèmes du numéro est placé sur la bannière de « l’Éphémère et éternel, le temps ». Chaque instant contient sa perte - et tout ce qui précède, écrit Marilyse Leroux. Dans son éditorial, Marie-Josée Christien revient sur participation aux Rencontres de Lorient, sur le thème de l’engagement poétique. « Voilà bien longtemps, écrit-elle, que personne ne parlait plus de « littérature engagée ». Pourtant, entre les omniprésents donneurs de leçons d’hier et le silence sidéral des écrivains d’aujourd’hui, il y a place pour une parole discordante, courageuse, solidaire… L’engagement poétique, plus que jamais d’actualité, n’est bien sûr pas pour nous synonyme de poésie engagée. C’est la poésie elle-même qui est résistance et engagement. C’est elle qui fonde et dirige notre vie. » Comment ne pas donner raison à M.-J. Christien ?

 

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LA MAIN MILLÉNAIRE n°4. 148 pages.15 €. Abt (3 n°) : 36 €. Rédaction : 126, rue du Canneau, 34400 Lunel.

 

            La main millénaire de Jean-Pierre Védrines fête sa première année d’existence. Une belle réussite. « Publier des auteurs qui ont du plaisir à écrire, qui ont le don du poème et l’ardeur de la vie ». La revue est demeurée fidèle à sa ligne éditoriale, tout au long de ses quatre premières livraisons. Un seul regret : le peu de pages consacrées à l’appareil critique. Au sein du numéro 3, nous avions particulièrement aimé, de Jean-Pierre Védrines lui-même, le long poème, « L’ombre », qui donnait assurément le la de cette fournée : La flamme avant l’incendie est le pressentiment de sa douleur. Ce numéro 4 tient ses promesses. Jean-Vincent Verdonnet et Jeanne Bessière (que je découvre) sont mis en avant. Le premier est loin d’être un inconnu. Quant à la deuxième, ce fut une découverte. Jeanne Bessière est pourtant née en 1929 et est l’auteur de treize recueils de poèmes : La nuit s’étale - tache d’encre inexplorée. Suivent de bons poèmes inédits de Claudine Bohi, Christophe Dauphin (La nuit s’allonge dans un galet - N’en sortent que les dents de la rage), Matthieu Baumier, André Prodhomme (je pris alors en main l’urgente alternative des poètes celle qui crie à chaque mot il faut changer le monde pour qu’enfin il devienne la poésie la vie), Patrick-Pierre Roux, Alain Piolot (écrire, c’est résister)… En fin de numéro : trois belles proses d’André Morel, J.-P. Védrines et Patricia Grare.

 

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CONCERTO POUR MARÉES ET SILENCE n°5. 14 €. Rédaction : 164, rue des Pyrénées, 75020 Paris.

 

            Concerto pour marées et silence est une revue annuelle axée sur la création poétique. Il n’y a pas de rubriques clairement identifiées au sein de Concerto pour marées et silence, mais trois mouvements : Moderato, Adagio et Allegro, au sein desquels cohabitent textes de création, articles et notes de lecture. Parmi les poètes, citons Patrice Blanc, Claudine Bohi, Bernard Fournier, Annie Le Gall, Danièle Corre ou Nicole Hardouin : Demande ton chemin aux bourgeons - ils viennent de si loin. Pour la partie critique : une belle évocation de Serge Brindeau par son épouse Paule, ainsi qu’entre autres, une note de lecture fouillée de Gérard Cléry sur Mireille Fargier-Caruso. Cette belle partition est orchestrée et dirigée, depuis 2008, par Colette Klein, infatigable animatrice de la scène poétique, mais aussi et surtout poète de talent : Les paysages déversés par le rêve ne connaissent jamais le nom du dormeur (in La neige, sur la mer…, La Bartavelle, 1997).

 

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INTRANQU’ÎLLITÉS n°1. 200 pages. 20 €. Rédaction : passagersdesvents@gmail.com.

 

            « Ne vous fiez pas à l’île, qui saute aux yeux comme une proposition de soleil, de clichés de sables fins. On est souvent conduit à percevoir l’île comme un territoire replié sur ses bornes, où il suffirait de pivoter sur un pied pour en faire le tour. Le préfixe In dans IntranQu’îllités pourrait même renvoyer à la négation de l’insularité. Ce titre est une manière, une astuce pour apostropher tous les imaginaires du monde, pour pénétrer les interstices et naviguer dans l’air/ère d’une île-monde », écrit James Noël. IntranQu’îllités, revue littéraire et artistique haïtienne, élaborée par James Noël (poète) et Pascale Monnin (plasticienne), est une émanation de l’association Passagers des Vents, première structure de résidence artistique et littéraire en Haïti. Revue littéraire et artistique, IntranQu’îllittés fait la part belle aux imaginaires du monde en rassemblant dans son premier numéro une quarantaine de contributions avec des participants comme Ananda Devi, Charles Dobzynski, René Depestre, Valérie Marin La Meslée, Francis Combes, Sébastien Jean, Hubbert Haddad, Sergine André, Makenzy Orcel, José Manuel Fajardo, Michel Le Bris, Dany Laferrière, Mario Benjamin, Paul Harry Laurent, Patrick Chamoiseau, Marvin Victor, Thélyson Orélien, Frankétienne. La revue se propose d’être une boîte noire qui capte et rassemble les mouvements, les vibrations et autres intranquillités créatrices. Déconstruire les frontières, faire tomber les murs visibles et invisibles par le biais de l’imaginaire. Rendre compte de la beauté du monde envers (en vers) et contre tout, à travers les mots et toutes autres formes d’expressions artistiques de notre temps, tel est le but fixé par toutes ces voix intranquilles qui fourmillent ce beau rêve. Au-delà des frontières le plus souvent artificielles entre les disciplines de la création, seule compte à nos yeux la poétique, meilleure paire de lunettes pour regarder le monde !

 

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