Autour de Arpa, Europe, La Passe, La main millénaire et Phoenix
Les revues demeurent un lieu de passage obligé pour les poètes comme pour les lecteurs amoureux de poésie, elles permettent souvent de prendre langue avec une poésie dont on ignorait tout ou bien de découvrir le travail d’un poète dont on vous avait parlé mais que vous n’aviez pas eu l’occasion de lire. Écrire ces phrases au démarrage d’une chronique, il y a 15 ans, eut été écrire une lapalissade. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, en une époque où nombre de mauvaises langues ergotent régulièrement sur la prétendue mort de la poésie, et a fortiori sur l’acte de décès des revues. Elles meurent, les revues, c’est vrai. C’est d’ailleurs ce qu’elles ont toujours fait, vivre, développer ce qu’elles avaient à dire, et s’effacer le moment venu. Nous n’irons pas ici dans le sens des mauvaises langues, bien au contraire : nous lisons, aimons, critiquons quand ce n’est pas le cas, nombre de revues paraissant en France. Et en effet elles sont nombreuses. Et menacées. Toujours. Par le manque de chevilles ouvrières et d’argent. Et alors ? On lit parfois ici et là qui si les poètes et auteurs de poèmes (ou prétendus tels) achetaient des revues, elles vivraient tranquillement. Sans doute. Et encore… Reste que ce n’est pas le problème. Le poète n’est pas le grand argentier des revues de poésie sous prétexte qu’il est poète, et puis quoi encore ! Et encore moins le financier des revues qui publient ses poèmes. Ce n’est pas dans cette cour que se font les choses. Chacun son atelier. Le poète écrit. Le directeur de revue aide à lire la poésie en tentant de faire vivre sa revue. Chacun son rôle. Et tous les chemins sont bons qui mènent à la poésie (je ne parle évidemment pas ici des « revues » qui s’apparentent à des poubelles de l’écriture paroissiale).
Ouvrant les pages du n° 104 de la revue Arpa, dirigée par notre ami et chroniqueur Gérard Bocholier, revue qui est aujourd’hui une incontestable institution du paysage poétique, on croisera les mots de nombre de poètes que nous aimons ici, dans Recours au Poème : Philippe Mac Leod, Jean-François Mathé (dont on lira par ailleurs les recueils chez Rougerie, ou bien son étonnant fragment de poème paru au Cadran ligné sous le titre La rose au cœur), Bernadette Engel-Roux ou encore Régis Lefort… Ainsi que les deux vivifiants essais de Jean-Yves Masson (« Au commencement était la forme, qui est le réceptacle du silence », superbe conclusion de l’envoi !) et Eric Dazzan, par ailleurs éditeur d’un superbe catalogue de recueils aux éditions L’Arrière Pays, au sujet de Pirotte.
Arpa. Gérard Bocholier. 44 rue Morel-Ladeuil. 63 000 Clermont-Ferrand.
www.arpa-poesie.fr
Le n° de juin-juillet 2012 de la revue Europe est un des grands numéros de cette exceptionnelle aventure littéraire. Un numéro consacré à l’œuvre de Jacques Dupin, dont le visage ornant la couverture paraît surplomber avec colère un monde dépoétisé (en apparence). Ce volume est incontournable, d’une richesse extraordinaire. Dans ce dossier, on lira un entretien passionnant avec Paul Auster, proche ami et complice de Dupin, des textes de Dominique Viart, Jean-Claude Mathieu, Nicolas Pesquès, Patrick Quillier, Piero Bigongiari, Jean Bollack, Jean-Patrice Courtois, Alain Veinstein, Rémi Labrusse… ainsi que les textes de deux collaborateurs de Recours au Poème, Michèle Finck et Jean Maison
Et des poèmes de Jacques Dupin.
La partie poésie de ce numéro d’Europe est de très belle facture, avec des poèmes d’Esther Tellermann, John Ashbery, François Zénone, Emmanuel Laugier et Franck André Jamme. Ce volume est de ceux que tout lecteur de poésie doit posséder en 2012.
Europe. 4 rue Marie-Rose. 75014 Paris.
www.europe-revue.net/
En son quinzième numéro, la non conformiste revue « des langues poétiques » La Passe se penche sur les « révérences à corps perdus ». Des textes et poèmes de Paul Badin, Tristan Félix (superbe Gnossienne), Philippe Blondeau, Pierre Delaporte, Maurice Mourier, Anne Peslier… Un superbe ensemble textes / images de Jean-Daniel Doutreligne, Frédéric Moulin et Emma Moulin-Desvergnes. Quatre poèmes de notre collaborateur Matthieu Baumier, extraits de ses Mystes en cours d’écriture. La Passe est une revue originale, différente en son ton de bien des aventures revuistiques récentes. A découvrir.
La Passe. Philippe Blondeau. 3 rue des moulins. 80 250 Remiencourt.
http://lusineamuses.free.fr/?-revue-LA-PASSE-
La main millénaire a déjà plus d’un an. Belle revue menée par Jean-Pierre Védrines, que les lecteurs de Recours au Poème connaissent bien, et qui en son troisième opus met Christian Viguié à l’honneur. La revue s’ouvre d’ailleurs sur un ensemble formidable de textes du poète avant de laisser la place à des voix qui, pour être variées, n’en sont pas moins souvent fortes. Ainsi : Gérard Farasse, Max Alhau, Jo Pacini, Quine Chevalier, André Morel, Julien Fortier ou encore Ida Jaroschek. On lira aussi les poèmes de Pascal Boulanger, Gwen Garnier-Duguy et Mathieu Hilfiger ou l’échange de lettres entre Matthieu Gosztola et André du Bouchet, quatre collaborateurs réguliers de notre magazine. Jean-Pierre Védrines en cette main millénaire a réussi son pari : relancer une revue talentueuse du côté de Montpellier.
La main millénaire. Jean-Pierre Védrines. 126 rue du Canneau. 34 400 Lunel.
jean.pierre.vedrines@cegetel.net
www.lamainmillenaire.net
De toutes les revues dont je parle ici, Phoenix est malgré les apparences la plus ancienne. Un numéro 6 apparaît sur la couverture, lui donnant moins de deux ans d’âge mais cela est trompeur : Phoenix succède à Autre Sud laquelle succédait à Sud. Ouvrir ses pages, c’est entrer de plain-pied dans l’histoire des revues françaises de poésie, histoire marquée au 20e siècle par la résistance dans le sud de la France. Une aventure monumentale, aujourd’hui menée par André Ughetto. Ce numéro est consacré à Jean Métellus, une poésie engagée du côté de la négritude et marquée par le langage des Antilles. On lira ce volume en accompagnement du récent recueil du même poète paru aux éditions Le Temps des Cerises. Le dossier est orchestré par Jeanine Baude. Beau dossier qui permet d’appréhender en profondeur la poésie de Métellus. Puis vient un hommage à Bernard Vargaftig dont la voix nous a quittés depuis peu. Un ensemble fort de poèmes aussi, signés Georges Drano, Albertine Benedetto, Yves Broussard entre autres. Et en version bilingue la force de la voix du poète péruvien Porfirio-Mamani-Macedo, dont plusieurs recueils sont disponibles en France. Une revue incontournable.
Phoenix. 4 rue Fénélon. 13006 Marseille.
www.revuephoenix.com