La revue TRACES N° 176 fête en janvier 2013 ses 50 ans d’existence

 

Claude Serreau ouvre ce numéro 176 ; pour ceux qui ne connaîtraient pas l’histoire de la revue , l’ami , le collaborateur ,le compagnon en poésie de Michel-François Lavaur  depuis un demi siècle ,s’en fait l’historien. Pour lui, MFL est : « celui qui a réussi à faire d’une revue artisanale un document essentiel et un témoignage sans égal pour qui veut et qui voudra connaître  ce que fut en France et en particulier dans l’Ouest, au cours des cinquante dernières années, une vie au service de la Poésie. »(p. 5), ce que confirme Jean-Claude Vallejo à la fin de ce numéro : « Traces est un cas unique, et je suis convaincu, d’accord avec le poète et éditeur Bruno Doucey, avec qui j’ai eu l’occasion d’en parler, alors qu’il dirigeait encore la maison Seghers, qu’il n’est pas pensable pour nous d’occulter la contribution de la revue Traces et de MFL à ce demi siècle de la vie poétique française. »(p.72)

En page 7 l’article de presse  annonçant en janvier 1963 la sortie d’une nouvelle revue de poésie Traces , montre que déjà en ce numéro 1, Claude Serreau, Pierre Autize, Jean Bouhier, Georges Drano, Gilles Fournel, Jean Laroche et James Sacré avaient  répondu à l’appel ; avec de tels poètes, cette revue commençait sous de très bons auspices.

Le poète Hamich Tibouchi offre aujourd’hui à Michel –François Lavaur un très beau poème pour toutes les traces remplies de vie (p. 14)

Une lettre de Alain Lebeau retient  l’attention, touche au cœur, elle trace le chemin qui mène à l’ami quand les souvenirs ensoleillent l’automne, quand la vie a passé et que les gestes se font plus lents mais que forts d’une vie de poésie et d’amitié, on peut se parler en silence…

Georges Cathalo offre un bouquet de vœux, retenons celui-là : « J’aurais voulu retrouver les milliers de lettres et de courriers divers que MFL a offerts à ses amis et à ses correspondants afin de composer un monument épistolaire. » (p.21)

 Michel-François Lavaur, le poète, le dessinateur, le revuiste est aussi  un mail artiste.

« Jour de fête , comme chez Jacques Tati, celui où l’on recevait une lettre de Lavaur(…) ces enveloppes singulières, dont les formats et les papiers inattendus s’ornaient de dessins et de textes à la fantaisie colorée, humoristique, ludique, parfois aussi mélancolique. » Martine Morillon Carreau (p.40)

« J’ai eu l’immense joie, avec ses réponses, de découvrir le mail art. Un vrai cadeau que de recevoir ces enveloppes travaillées, illustrées, ornées, calligraphiées, jouant aussi avec les couleurs des nombreux timbres… » Jean –Claude Vallejo (p.71)

Odile Caradec qualifie de saint laïque celui qui a consacré une grande partie de sa vie à la poésie, dans un esprit total de gratuité et de fraternité.

Qu’est-ce que la poésie ? À la définition que donne Patrice  Angibaud pour qui la poésie est prière, MFL répond : « tu me dis, et je te le concède, que le poème est une prière. C’est vrai , si prier c’est ouvrir nos portes secrètes au visiteur étranger qui vient avec franchise ; si prier c’est se dépasser pour déboucher sur l’autre et non s’en remettre à quelque dieu, voire à un démon, pour éponger nos appétits de privilèges, ici-bas ou dans un monde posthume ; si c’est chercher la communication au plus intime de nos êtres, sous la carapace d’attitudes et de manigances que la hiérarchie et le qu’en dira-t-on imposent, peu ou prou, même aux plus rebelles à leur joug(…) mais que jamais l’écrit ne soit ce monument de «  mastuvu » sur notre vanité. » (p.46).

Parole de vérité que celle du poète, reçue il y a 40 ans , Patrice Angibaud nous la donne aujourd’hui à méditer car elle garde toute son actualité… « En cet aujourd’hui où les mots sont vidés de leur sens ; en cet aujourd’hui où l’attention à l’autre est de moins en moins une préoccupation ; en cet aujourd’hui où seuls comptent le chacun pour soi, l’apparence et le clinquant. »( P.Angibaud)(p.46)

Pascale Lavaur nous offre un texte émouvant qui nous dit le maître d’école et surtout le père qu’il fut, hommage plein de tendresse filiale : « Ma maison est l’école et mon père est le maître d’école… »

Eric Simon fait revivre la soirée du 24 février 2009 au café de la Rotonde à Nantes  où il avait invité MFL : «  et je garde en mémoire comme un précieux joyau ce poème entendu en occitan de la bouche même de Michel-François Lavaur, le timbre de la voix et l’accent restaurant l’expression vibrante de chaque syllabe, dans sa valeur de sens et d’émotion. La Rotonde, ce soir-là, s’éclairait d’une lumière persistante, celle de la bonne étoile. »(p.62)

 

Ce N° 176 est aux couleurs de l’amitié et de l’affection, il est un cadeau pour les lecteurs, avec lui en ce début d’année 2013 la poésie brille haut et loin.

 

Pour conclure cette présentation, un extrait du poème de Jean Dif  qui dit si bien cette fraternité poétique qui a animé cette revue, elle  explique sans doute sa longévité   et  elle  a fait de Michel-François Lavaur un passeur en poésie qui laissera durablement son empreinte dans le paysage poétique de la deuxième moitié du XXème siècle.

 

« Comme un facteur choisissait
   sur le chemin des cailloux
   pour son palais des merveilles
   patiemment dans ta fourbithèque
   pendant près d’un demi siècle
  tu as noué et renoué
  la longue chaîne des poètes
  venus de tous les horizons
  qui se lisant les uns les autres
  se reconnaissent sans se connaître

(…)

  mais voici que le temps s’en vient
  et de nous rassembler à nouveau
  pour un dernier feu d’artifice… »

                                                                

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De nombreux poèmes à découvrir, la plupart inédits de : Claude Serreau, Martine Morillon- Carreau, Hamid Tibouchi, Guy Chaty, Claude Cailleau,Roland Halbert, Emmanuel Hiriart,Gilles Lades, Bernard Le Blavec, Jean Dif, Didier Cléro, Michel L‘Hostis, Bernard Picavet, Michel Baglin, Jean-Pierre Mestas, Jacques Simonomis, René Cailletaud, Hugues Pissaro, Gérard Prémel, Jean-Claude Coiffard, Jean-Pierre Poupas,Jean-Pierre Poëls,Rüdiger Fischer,Amédée Guillemot , Jean-Claude Touzeil,Moreau du Mans, Norbert Lelubre, Robert Momeux, Jean Laroche, Dagadès et Michel-François Lavaur.

 

Des illustrations de : Hugues Pissaro, Hamid Tibouchi, Gérard Sendrey, Claudine Goux, Krystel Lavaur, Pierre-Marie Eades, et Michel-François Lavaur. 




Faites entrer l’Infini, n°54

Le dernier numéro de la revue Faites entrer l’Infini, édité par la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Triolet, a pour titre : Aragon dans son siècle, par 25 écrivains d’aujourd’hui. A l’occasion du trentenaire de la mort du poète, 25 plumes actuelles livrent un regard sur l’œuvre d’Aragon, de Nedim Gürsel à Philippe Le Guillou, de Matthieu Baumier à Michel Host, de Francis Combes à Luis Mizon en passant par Pascal Boulanger, Lucien Wasselin, Jean-Luc Despax, Sarah Vajda, les comédiens Daniel Mesguich et Jean-Paul Schintu pour n’en citer que quelques uns.

Ce « Moment Aragon », pour reprendre l’expression de François Eychart, le coordonnateur de ce beau numéro, est l’occasion de donner la parole à des écrivains, des comédiens, des chanteurs, des metteurs en scène afin qu’ils disent l’inspiration et l’influence d’Aragon dans leur œuvre. Le tout iconographié par le photographe haïtien Gérard Bloncourt, témoin discret et observateur engagé, Résistant, puis luttant aux côtés des classes populaires.

Cet hommage permet à Olivier Barbarant, maître d’œuvre de l’Œuvre poétique complète d’Aragon dans la collection La Pléiade, de tenir ces propos abrasifs et lucides quant à la poésie actuelle : « Nous sommes au cœur d’un triangle : l’un des côtés prend le vide pour sacré, et la pusillanimité pour modèle, comme s’il suffisait de sous écrire pour atteindre à ce qu’on appelle pompeusement une vérité de parole. L’autre face continue de produire les déjections d’un clavier affolé, ou bien amusé, c’est selon, au nom de la post-modernité. Et le socle, horizontal comme il se doit, attirant démocratiquement le public, consiste en une logorrhée d’une sidérante démagogie. Le poème contemporain laisse trop souvent, au nom de ses hautes exigences, au pire mirliton le propos touchant aux préoccupations des lecteurs. En dépit de nos contorsions philosophiques, rien de changé depuis 1940, et le refus aragonien d’une poésie confiant le chant à l’art médiocre. Saisir pleinement que « la plus banale romance » puisse être « l’éternelle poésie » n’est pas s’abandonner aux sirènes de la facilité, mais arracher le poétique à ses cothurnes, sans pour autant lui faire chausser des baskets. » Une charge contre les tenants du « lyrisme aride » comme diraient certains poètes en vogue, contre les tenants de la proscription du lyrisme professée par quelque poète universitaire. Parce que « sa modernité (à Aragon) ne fut jamais effrayée par la terreur de l’inactuel ».

Matthieu Baumier, dont on peut lire la contribution ici http://www.recoursaupoeme.fr/essais/louis-aragon-dans-la-r%C3%A9volution-surr%C3%A9aliste/matthieu-baumier, se penche sur le rôle d’Aragon dans La Révolution surréaliste et regrette que l’impertinence et la violence qui avaient cours en cette revue - dont l’ambition était de se dégager « de l’entendement conditionné » dans lequel Aragon et Breton se voyaient vivre, identique à celui que nous subissons aujourd’hui – nous soient comme auto-interdites, quand Aragon pratiquait l’art de l’adresse aux cons. Ce qui l’intéressait, Aragon, en ce début du surréalisme, c’était la question métaphysique, le hasard objectif, le siècle des apparitions comme il l’écrira lui-même. Baumier termine son article sur le premier Aragon, quand il était surréaliste et qu’il n’adhérait pas encore au monde bolchevique, ainsi : « Le « grand drame » dont Aragon se voulait le « messager » à l’orée de La Révolution surréaliste est toujours à notre porte. (…) Oui, en ce temps tragique où plus que jamais le recours au poème est nécessaire, relire cet Aragon-là, c’est se souvenir combien le réel en son entier est rond et bleu. La poésie, c’est l’instant du non conformisme intégral. »

Michel Besnier dresse un portrait du conteur Aragon. Gianni Burattoni envisage le rapport du poète à l’art moderne tel qu’il lui fut donné de le voir. Francis Combes s’agace d’abord des dernières polémiques concernant « le vieillard (…) déguisé en drag-queen », pour s’émerveiller, l’ayant rencontré, devant l’homme capable de parler comme un livre. Jean-Luc Despax interroge le poème Les Poètes. Nedim Gürsel brosse le lien d’Aragon à Venise, la ville des amants, et ses bonheurs, et ses malheurs, avec Nancy. Michel Host s’intéresse au poète, dans une contribution que l’on peut lire ici : http://www.recoursaupoeme.fr/essais/la-gr%C3%A2ce-%C3%A9parse-ou-le-po%C3%A8te-aragon/michel-host. Philippe Le Guillou médite sur la fascination exercé sur lui par La Semaine sainte. Jean-Paul Schintu se rappelle la présence d’Aragon lorsqu’il joua L’armoire à glace un beau soir. Lucien Marest étudie le rapport entre Aragon et le Parti Communiste Français. Daniel Mesguich répond, par un entretien profond, aux questions de François Eychart. Luis Mizon parle des rapports entre  Aragon et Neruda tandis que Sarah Vajda évoque son rapport à Barrès. Le numéro se clôt par un article de Lucien Wasselin convoquant en sa mémoire les vifs souvenirs d’Aragon qui marquèrent sa propre vie en des instants inoubliables grâce au compagnon poète. Quant à Pascal Boulanger, il rend hommage à Aragon par six brillants poèmes évoquant les images devenues légendaires du poète.

Un beau numéro pour apprécier, avec maintenant trente ans de recul, l’extrême diversité des langues d’Aragon orchestrées par sa langue natale : le poème.




Autour de Voix d’encre, A l’index, L’Intranquille, Arpa et Europe

 

Le numéro 47 de la belle revue Voix d’encre propose des textes de sept poètes : Muriel Stuckel, Daniel Martinez, Emmanuel Merle, Isabelle Lévesque, Agnès Adda, Calou Semin et Monique Saint-Julia. Le volume s’ouvre sur un poème émouvant et fort de Muriel Stuckel, dont les mêmes éditions ont publié un recueil il y a peu,  
Le poème est dédié à Béatrice Douvre :

 

Sous les nuages écarquillés

Tes pas de poète vacillent
Endoloris de rêves gris

Soudain tes larmes de cristal
Transpercent la halte brève

De l’été matinal

Et ta voix funèbre saigne
De la surdité du monde

Là-bas

Sous les nuages recroquevillés
Autour de ton étoile morte

 

Béatrice Douvre est partie bien trop vite. Nous ne pouvons qu’engager les lecteurs de Recours au Poème à se tourner vers son œuvre, éditée en partie par L’Arrière-Pays, Voix d’encre et Galaade. Il faut remercier Muriel Stuckel, mais aussi, par ailleurs, Gérard Bocholier, Pierre Maubé, Jean-Yves Masson ou encore Alain Blanc, parmi d’autres, de permettre que son œuvre demeure accessible à qui veut la découvrir.
C’est plus qu’un hommage à Douvre ici, un dialogue en amitié et profondeur. Ainsi :

 

Quand la douleur se disperse
À tous ciels à tous vents

La voici qui prend corps et lettres
Pour nous traverser l’âme

La voici ta voix d’ange
Qui se pose sur la page

 

Qui a regardé le visage de Béatrice Douvre sait ce dont parle Muriel Stuckel, un visage où « se froisse la splendeur de vivre ».
Plus loin, Emmanuel Merle nous entraîne dans les neiges arpentées par Perceval, chevalier d’effroi dont nos pays maintenant en partie dénués de légendes auraient bien besoin, en une époque où « Les âmes attendent devant des portes, / et regardent la patine du temps » :

 

L’éclat noir surgissait toujours de la neige,
schiste, déchirant cri d’oiseau.

Je foulais,
chasseur dans la neige sur ce chemin
entre la maison et la route.
Le ciel et la glace étaient verts,
chacun mordant l’autre de son feu éteint.

Peindre alors des arbres noirs
sur le blanc du papier était simple
comme l’hiver, et c’étaient signes
d’un alphabet du manque.

Il neigeait beaucoup,
on aurait dit une famille immense.

 

Suit L’écrire, suite de textes dédiés par Isabelle Lévesque à Claude Lévesque, son père, philosophe, écrivain qui est décédé l’an passé. Les mots touchent au cœur.
En son ensemble, ce numéro de Voix d’encre est de toute beauté, une beauté triste souvent. Sans doute les poètes invités ici portent-ils en eux « toutes les voix enfermées en nous / égrenant le silence de la nuit » (Monique Saint-Julia). Une belle occasion de découvrir, si besoin, une revue qui fait beaucoup, et depuis longtemps pour la poésie française contemporaine.

 

revue Voix d’encre, BP 83. 26202 Montélimar cedex.
Semestrielle, le numéro 10 euros.
www.voix-dencre.net

 

 

Plus d’une vingtaine d’auteurs convoqués pour ce numéro 22 de la revue A l’index animée par le poète Jean-Claude Tardif. On y lira notamment l’ami Christophe Dauphin poursuivant son inlassable travail afin de faire redécouvrir l’importante poésie de Marc Patin, l’un des poètes qui maintinrent, souvent au péril de leur vie, l’existence du surréalisme à Paris sous l’occupation allemande. Leur groupe s’appelait La Main à Plume, plusieurs numéros de revue ont alors paru clandestinement. Sur Patin : http://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/marc-patin

Patin est à l’évidence un grand poète trop méconnu, victime de son non conformisme politique après 1945. Sur La main à Plume, on lira l’anthologie publiée chez Syllepse en 2008 (une partie des textes avaient été réunis, à la demande de Richard Walter, par Matthieu Baumier et Nadine Lefebure, laquelle fut, jeune, membre de ce groupe).

On lira aussi des poèmes de Christophe Dauphin dans cette même livraison.

A l’index mêle des poètes habitués des revues de poésie et de jeunes ou nouvelles voix. Certains apparaissant ici pour la première fois. Il faut louer l’abnégation de cette revue qui, avec d’autres, s’échine à faire découvrir des voix nouvelles, démontrant par l’exemple que la poésie n’a pas abdiqué toute vigueur, n’en déplaise aux oiseaux de mauvais augures égarés parfois dans l’aigreur. Ce numéro s’apparente ainsi à une sorte de « lien » entre hier et maintenant : outre les voix nouvelles, on y trouve un hommage à l’aventure du nouveau marronnier, revue qui sévissait du côté de Rennes au crépuscule du siècle passé. Les pages qui suivent donnent à lire des poèmes de belle tenue, dont, selon mon goût personnel, ceux de Michel Cossec ou Chantal Dupuy-Dunier. On lira aussi avec force attention les trois poèmes inédits de Ferruccio Brugnaro publiés en bilingue, ainsi que le Dialogue des éléments d’Emmanuel Golfin ou les inédits de Claude Serreau. Une revue riche.

 

revue À l’index, association Le Livre à Dire. Jean-Claude Tardif, 11 rue du stade. 76133 Epouville.
revue.alindex@free.fr
Le numéro 15 euros

 

La revue de littérature L’intranquille, publiée sous l’égide des éditions Atelier de l’agneau et de Françoise Favretto, publie son numéro 2, en succession affirmée de feue Chroniques errantes et critiques. Un beau format et une qualité de papier qui ne sont pas sans rappeler Passage d’encres, la revue de C. Tricoit. D’autant que le numéro 2 de L’intranquille s’ouvre sur des textes de Christophe Stolowicki, poète habitué de la revue et des éditions Passage d’encres. Peu d’autres points communs : la revue de Françoise Favretto déroule ses choix poétiques et littéraires du côté de ce qu’il est de coutume de nommer les « poésies expérimentales », faute de mieux. Point trop de confort revendiqué ici, plutôt une référence à Pessoa. On lira donc avec attention les textes de Stolowicki et Colaux, suivis de ceux de trois « nouveaux auteurs », Anne Peslier, Rorik Dupuis et Emmanuelle Imhauser. Viennent ensuite des œuvres graphiques et poétiques publiées sous le titre « dégradations du triple A », un ensemble politique, engagé, où il nous plaît personnellement de retrouver Hortense Gauthier. A lui seul, l’ensemble de ces travaux vaut le détour par les pages de la revue. Mais Françoise Favretto publie aussi ici un important dossier consacré à une poète d’origine autrichienne (pour peu que la nationalité ait un sens du côte de l’Atelier de l’agneau) que ses éditions défendent, Friederike Mayröcker : textes, poèmes et entretien. Incontournable. L’intranquille ferme ses pages sur la poursuite de la publication du journal intime de Michel Valprémy. Qui a dit qu’il n’y a plus de revues de littérature et de poésie originales de qualité dans l’hexagone ?

 

revue L’intranquille. Editions Atelier de l’agneau. 1 moulin de la couronne. 33 220 St Quentin de Caplong.
Le numéro 13 euros
www.at-agneau.fr

 

 

En son numéro 1003/1004 (impressionnant, même pour de vieux ronds de cuir comme les membres de Recours au Poème), Europe offre cinq superbes dossiers à ses lecteurs : la poésie chinoise actuelle, Katherine Mansfield, Clarice Lispector, Claude Louis-Combet et François Lallier. Il faut absolument partir à la découverte de l’œuvre de ce dernier, à commencer par l’entretien qu’il a donné à Patrick Née. Il y développe sa pensée de ce qu’est la poésie. Les lecteurs de Recours au Poème liront cela comme l’on boit du petit lait. Ainsi que ses poèmes au beau titre : Les temples de la mer.  Sur le poète, des contributions de Patrick Née, Yves Bonnefoy et une passionnante étude de Michèle Finck. Le dossier intitulé « Une poésie en quête de réel », consacré par Chantal Chen-Andro à l’actuelle poésie s’écrivant en Chine, est un sommet mené de main de maître par la traductrice du premier Nobel de littérature chinois. Les découvertes sont ici exceptionnelles et cet ensemble fera date. Europe, comme toujours, et encore, une revue essentielle.

 

Europe. 4 rue Marie-Rose. 75014 Paris.
Mensuelle. Le numéro 20 euros.
www.europe-revue.net/

 

La revue Arpa dirigée par Gérard Bocholier en est à son 105e numéro. Elle s’est maintenant largement imposée comme l’une des principales revues francophones de poésie, et nous aimons cette revue, ici, comme nous aimons défendre la poésie profonde de son principal animateur. Ce numéro est, c’est presqu’une habitude, de toute beauté. Superbes poèmes de Sébastien Labrusse, par ailleurs spécialiste d’un poète turc contemporain, à nos yeux essentiel, Fazil Daglarca. De ce poète, on lira un volume dans la collection de poésie étrangère des éditions Cheyne, on lira aussi un dialogue avec sa poésie publié dans nos pages : http://www.recoursaupoeme.fr/chroniques/il-reste-le-monde-du-mime/matthieu-baumier

Le numéro comporte par ailleurs des voix très fortes, ainsi celles d’Emmanuel Merle, Pascal Boulanger, Alain Guillard, Roland Nadaus, François Teyssandier, Claude Kottelanne, Jean-Pierre Farines… Impossible de tous ou toutes les citer tant ce volume est riche.

Les pages de la revue se ferment sur un bel hommage à Bernard Mazo.

 

Arpa. Gérard Bocholier. 44 rue Morel-Ladeuil. 63 000 Clermont-Ferrand.
Le numéro 8 euros.
www.arpa-poesie.fr

 




La revue Les Hommes sans épaules ou la communauté des invisibles

Quel curieux titre d’abord, Les Hommes sans Epaules ! Et quand on comprend que ce titre se réfère à un livre de J. H. Rosny Aîné, Le Félin géant, aux temps immémoriaux de l’âge des cavernes et de la fiction populaire, le mystère ou le trouble s’épaississent.

Mais, peu à peu, à force de fréquenter la revue et de relire la quatrième de couverture qui invariablement cite le passage fondateur, la puissance de la suggestion opère : « Zoûhr avait la forme étroite d’un lézard ; ses épaules retombaient si fort que les bras semblaient jaillir directement du torse : c’est ainsi que furent les Wah, les Hommes-sans-Épaules, depuis les origines jusqu’à leur anéantissement par les Nains-Rouges. Il avait une intelligence lente mais plus subtile que celle des Oulhamr. Elle devait périr avec lui et ne renaître, dans d’autres hommes, qu’après des millénaires. » Tiens, se dit-on, les poètes ne sont pas seulement des prophètes ou des phares ou des linguistes patentés ou des universitaires désœuvrés. Une autre filiation est possible, ils sont aussi (d’abord ?) une communauté, et elle traverserait le temps avec ses rites, son intelligence lente et subtile ; une communauté parfois effondrée, parfois renaissante, ayant un rapport propre à l’histoire et une façon bien à elle d’épouser le réel et d’imprégner l’aujourd’hui ; une communauté rassemblée par une espèce d’utopie faite de détachement et d’excès. Tiens, se dira-t-on, voilà un récit qu’on ne m’a jamais proposé, une méditation que l’on ne m’a jamais ouverte. Cette communauté des invisibles serait-elle le propre de la poésie ?

Je ne suis pas un spécialiste de l’histoire littéraire. D’autres que moi auraient plus de crédit pour situer cette revue dans le paysage des soixante dernières années. Puis, il y a l’excellent site de la revue qui donne toutes les indications nécessaires pour suivre le pas-à-pas de l’aventure que furent les trois périodes de ses publications : 1953 – 1956 ; 1991 – 1994 ; 1997 à nos jours. Toutefois, en recherchant dans les origines de la revue, il me semble trouver les deux pôles autour desquels s’articule Les Hommes sans épaules (HSE) : le premier pôle tourne autour de la générosité, l’ouverture non pas seulement à la poésie – ce qui est le minimum attendu d’une revue de poésie – mais aux poètes : « Nous inviterons nos amis à s’expliquer sur ce qui leur paraît essentiel dans leur comportement d’être humain et de poète. » Et aussitôt l’ouverture proposée est reliée – si j’ose cette métaphore théologique – à la présence réelle de l’homme poète. Le deuxième pôle se trouve dans le texte adressé par Henry Miller aux fondateurs lors du début de leur aventure : l’appel à la jeunesse et avec elle au refus de l’embrigadement : « Ne vous adaptez pas, ne pliez pas le genou. » Je n’épiloguerai pas sur le thème rebattu de la jeunesse, mais sur sa condition dictée par Miller : le refus de suivre les appels à l’adaptation, et, ce qu’il induit : suivre son chemin, parfois par la révolte, et le plus souvent et le plus difficilement, en restant indifférent à l’ordre donné.

Une revue serait donc une communauté de poètes... Peut-être convient-il aujourd’hui de s’interroger sur le besoin et la nécessité de renouer avec l’être ensemble en poésie. Peut-être sommes-nous aujourd’hui trop ermites, trop anachorètes dans ce mode ; peut-être devons-nous réapprendre la richesse de la rencontre en poésie, des frottements, des interpénétrations, des jeux d’échos et de répons qu’offre une communauté d’hommes et de femmes. La revue porte bien en ses gènes cette ardente vocation. Pour Les Hommes sans épaules, comme le rappellent ses textes fondateurs, elle en est sa raison d’être. En m’y abonnant il y a plus de quinze ans, je n’en avais que faiblement conscience et c’est bien ainsi. On n’instrumentalise pas une rencontre, on la fait.

Fort de ces années amicales, je voudrais redire mon attachement à cette revue en le résumant en trois points : d’abord, me frappe la grande diversité des poètes qu’elle rassemble. Par elle, j’aime entendre la polyphonie des poètes d’aujourd’hui, entendre une foule en marche, avec ses solitaires, ses figures stellaires ou obscures. On devine des correspondances, on pressent des engagements incompatibles deux à deux, on touche des univers qui se coudoient sans s’éprouver. A ce titre, HSE renvoie une image fidèle d’aujourd’hui, où la poésie est éclatée, fragile mais à l’œuvre, sans doute, servie et protégée par son anonymat actuel, qui préserverait la diversité de sa faune et de sa flore. Il faut s’avancer dans le territoire d’une revue pour en découvrir le champ et la profondeur. Par son ouverture, HSE participe et donne à voir, avec la simplicité d’une revue, la vitalité de la poésie d’aujourd’hui.

Ensuite, HSE c’est une figure pleine d’histoire(s) – 60 ans l’année prochaine ; ce qui se traduit par un attachement et une sensibilité particulière aux poètes qui traversèrent cette période. Elle propose son récit, ses repères, son écoute sur ce temps long, que sans elle, on appréhenderait – peut-être trop il me semble – en la réduisant à quelques figures emblématiques. Peut-être croit-on se rassurer en la résumant ainsi. Peut-être aussi que la mise en récit effraie, tant l’ensemble parait hétéroclite ? Mais la poésie est aussi une histoire comme elle a besoin d’histoires pour s’éprouver. Sur elle, s’accrochent les marques du temps, le souvenir des poètes et des communautés qu’elle abrita, les luttes, les peurs, les quêtes, les illusions, les recherches dont elle fut le réceptacle. A l’écouter par le biais d’une revue, on entend des phrasés, on écoute des mouvements qui se dégagent et dans ce récit qui ne se dit pas, se dévoile peu à peu ce dont notre mémoire se tapisse. Ainsi, par cette mise en perspective des HSE, par l’illustration offerte plus que par l’explication, sa lecture participe à humaniser le regard sur la poésie, et si j’ose, à la montrer comme une histoire d’hommes et de femmes engagés par et dans leur création. Ou pour dire les choses autrement, je trouve dans cette revue, un juste équilibre entre poètes, poèmes et poésie.

Enfin, HSE est aujourd’hui une revue à la fois studieuse et généreuse. L’effort fourni pour écrire une biographie et une bibliographie de chaque poète présenté, de présenter une reproduction sans apprêt de photos, de construire de forts dossiers, utiles et pertinents, ou encore de proposer une large palette de recensions, tout cet effort souligne à la fois un sérieux et un engagement au service de la poésie peu communs ; et plus profondément encore, derrière cette égalité de traitement entre poètes connus et inconnus, une volonté de faire lien, de construire une communauté de poètes, position quelque peu utopique, mais si pleine de générosité, et à vrai dire, si nécessaire aujourd’hui.

Voilà, en quelques mots, l’intérêt très personnel que je porte à HSE, à cette communauté des invisibles. Cela n’entame en rien, bien sûr, le bien-fondé des autres revues de poésie, dont Arpa, La Revue de Belles-Lettres, Nunc bien sûr et aujourd’hui Recours au Poème ! Au contraire, c’est par HSE que je me suis ouvert à d’autres revues. C’est pourquoi aussi, de manière très subjective, il me semble que la place qu’occupe HSE dans le petit monde des revues de poésie reste singulière car elle traduit un besoin et un engagement lucides qui doivent être vivement soutenus.

Pour tout renseignement sur cette superbe revue :

http://www.leshommessansepaules.com/

 




Une aventure intellectuelle et poétique unique : la revue Conférence

 Née en 1995, la revue Conférence a maintenant près de vingt ans d’existence. En sa forme, sa taille, son volume, sa beauté, elle est toujours aussi extraordinaire, une sorte d’ovni dans le monde éditorial contemporain. En son développement aussi, puisqu’au fil du temps la revue est devenue maison d’édition, publiant des poètes tels que Pascal Riou ou Pierre-Alain Tâche, des ouvrages inclassables, des essais, en particulier et récemment ceux de Salvatore Satta ou Giuseppe Capograssi. Des auteurs souvent préalablement publiés par une revue qui, entre autres, mais c’est une de ses particularités, tourne nos regards trop souvent franco-centrés vers la péninsule italienne. Ce qui, sous la houlette de Christophe Carraud, directeur de la publication, également fréquent traducteur donne à penser depuis un ailleurs (proche) salutaire. Ne nous mentons pas : ouvrir l’œil loin de Paris réveille les esprits et les sens. Les âmes, aussi. C’est vraiment de toute beauté.

Si la revue Conférence est extraordinaire, c’est surtout du fait de la qualité régulière et somme toute devenue rare de ses sommaires. Et cela depuis le début. Je me souviens, au creux des années 90, avoir saisi un de ces volumes pour la première fois, l’avoir feuilleté. Le premier sentiment ? Bluffé ! Il en fallait pourtant beaucoup pour un jeune écrivain alors fort prétentieux et impliqué dans une autre très belle aventure, celle de Supérieur Inconnu. La jeunesse, contrairement à la doxa contemporaine, ne présente pas que des qualités. Puis vient un autre sentiment, celui du profond respect. Entrant dans les pages de Conférence, on a l’impression vive de quitter un monde agité – profane – et de pénétrer dans un espace hors du temps, un lieu où l’instant prime sur l’immédiateté et le bruit. Une sorte de temple vivant où règne l’intelligence. On passe presque entre deux colonnes pour, sous l’égide de Montaigne, plonger dans l’essentiel. Du reste, la revue porte les mots de Montaigne sur son fronton : « Le plus fructueux et naturel exercice de notre esprit, c’est à mon gré la conférence… La cause de la vérité devrait être la cause commune… ». Un lieu de sagesse qui, loin de tout ton polémiste, n’en délaisse pas pour autant la critique, l’ironie, l’humour. Après tout, Diogène était un grand sage.

En ce début de 21e siècle, cela fait de Conférence un acte de résistance en soi.

D’autant que la revue accorde une très grande place à la poésie.

Paraissant deux fois par an, Conférence s’organise de façon ordonnée, comme toute pensée qui se respecte, autour de thèmes : les visages de la terre, la transmission, l’usage du temps, la démocratie, l’art contemporain, la beauté des corps. Mesure et démesure au printemps dernier. Elle poursuit aussi une réflexion sur le long terme au sujet du livre et de la lecture, et donc du numérique. De ses sommaires ressort une grande force, accentuée par le papier bible et l’exceptionnelle beauté des reproductions d’œuvres d’art. Car Conférence en ces temps de vaches maigres « artistiques » mercantiles est aussi un lieu de recherche du Beau, y compris dans le domaine de l’art (ici, en ce numéro 34, les estampes de Pascale Hémery, des merveilles au ton parfois berlinois). Les ombres de Platon, Plotin, Marsile Ficin ou du Cusain planent sur les pages de la revue. Tout comme celles des textes sacrés, en premier lieu la Bible. Il faut remercier l’équipe qui produit un tel travail, une telle œuvre au sens médiéval de ce terme : Christophe Carraud, Pierre-Emmanuel Dauzat, Jean-Luc Evard, Pascal Riou. Entre autres. Et l’on gagnera à faire un pas de côté pour se procurer leurs travaux personnels tant l’aventure de ces hommes en Conférence se prolonge naturellement dans le chantier propre à chacun. Impossible de détailler tous les sommaires tant cette aventure en 35 volumes à ce jour est aujourd’hui, avec le recul, impressionnante : entre traductions, publications d’écrivains et de penseurs d’hier et d’aujourd’hui, la revue donne une sorte de panorama humaniste de l’Europe contemporaine. Ce n’est pas par hasard si tant de bibliothèques institutionnelles sont abonnées à cette revue, à l’échelle mondiale. On reproche parfois à la revue d’être trop « volumineuse », « universitaire »… Les esprits chagrins ne manquent pas d’air ! Il convient de voir en de telles critiques un sordide signe des temps, portés sur le quantitatif et l’absence accrue de méditation ou simplement d’attention, sujet d’ailleurs abordé par la revue en son numéro 34 dans deux textes de haute tenue signés pour l’un de Massimo Mastrogregori, pour l’autre d’Olivier Rey.

En son Cahier ouvrant le volume 34, Conférence s’affirme aussi comme revue de poésie. On lira avec bonheur chacun des poètes présentés : Michèle Sultana, Leonardo Gerig, Franck Laurent, Gérard Engelbach et Etienne Faure. On retrouvera d’ailleurs d’aussi beaux morceaux de poésie en fin de volume, dans la partie « traductions », avec un ensemble exceptionnel d’Alda Merini intitulé La terre sainte.

Démesure et mesure de la poésie !

Car Mesure et démesure annonce tranquillement le numéro 34 de la revue, paru au printemps dernier. Et en effet ces simples mots valent résumé de notre monde, sur son versant « occidental » du moins, pour peu que cette facilité de langage, utile c’est certain, signifie réellement quelque chose. Ce dossier pense le thème sous deux angles particuliers. Celui du droit et de la justice d’abord, avec des textes de Christian Attias, Salvatore Satta et Giuseppe Capograssi, les auteurs italiens étant traduits par Christophe Carraud. Les débats ici soulevés sont passionnants. À titre personnel et subjectif, j’attire l’attention sur le texte de Salvatore Satta intitulé Le mystère du procès. Avec un vrai talent de conteur, Satta raconte un événement qui s’est produit en septembre 1792, durant les Massacres de Septembre, peu avant la proclamation de l’An I de la République française. Le Tribunal Révolutionnaire n’en est qu’à ses débuts et n’a que quelques têtes à son actif quand les massacreurs viennent perpétrer leur office jusque dans la cour du Palais de Justice, avant de monter les escaliers et de déboucher dans la salle des procès, là où justement des mercenaires suisses sont jugés pour soutien actif à la personne du roi, lui-même en attente de son procès. Satta s’interroge alors en de très belles pages sur ce que signifie ce moment où deux groupes de massacreurs se trouvent face à face, l’un répondant à la folie des foules animées, l’autre prétendant au droit. La foule laisse place à la « justice » (dans ce cas du moins, il n’en fut pas de même dans les prisons de Paris). Puis l’interrogation évolue vers la notion même de procès. Et donc de justice. Un texte à lire absolument. Avant d’admirer les gravures de Frans Pannekoek, fort belles, lesquelles séparent la première et la seconde partie du dossier, cette dernière étant toujours consacrée au thème de la mesure et de la démesure, dans le domaine du livre et de son devenir numérique. Cette partie de Conférence est absolument essentielle, et quiconque veut aujourd’hui penser le devenir numérique du livre, ce que cela induit sur tous les plans, doit lire les textes proposés ici.  Dans un texte d’abord publié en italien (2010), Francesco M. Cataluccio se demande Quelle fin pour les livres ? Son angle de travail apporte beaucoup aux interrogations françaises en ce domaine, qui du coup semblent un tantinet en retard, de par son ton résolument optimiste, ce qui ne va pas sans humour. Après avoir désigné l’ennemi commun (la tablette numérique), l’auteur propose des pistes sur les changements à venir, décrivant même parfois très concrètement ce qui va disparaître et ce qui va naître. L’intelligence positive de ce texte est telle que son lecteur en sort moins bête. C’est bien le moins que l’on peut demander à un texte, même si le bavardage incessant de notre présent fait parfois perdre cette excellente habitude. Vient ensuite une courte mais dense intervention de Massimo Mastrogregori au sujet de Google, la bibliographie et l’attention, dans lequel l’auteur en appelle à la nécessité de maintenir l’existence et l’usage des bibliographies, lesquelles ne sauraient de son point de vue être remplacées par les rhizomes du web. Le texte porte aussi et peut-être surtout sur la façon dont nous perdons notre attention de lecteurs. Ce qui rejoint le passionnant texte suivant signé Olivier Rey, Nouveau dispositif dans la fabrique du dernier homme. Ce texte vient contredire l’optimisme de Cataluccio, et Conférence proposant un tel débat joue pleinement le rôle que ses fondateurs lui ont assigné, celui de penser la cause commune. Ce qui s’appelait autrefois, réellement, la république. Rey insiste sur des conséquences plus négatives de notre trop plein d’écran, lequel provoque un changement d’attitude devant la lecture, une transformation quasi biologique de l’individu lecteur devenu individu/zappeur. Une transformation induite par les méthodes quasi propagandistes par lesquelles on nous impose le nouveau comme étant toujours et absolument nécessaire, sous peine de se positionner en tant qu’être préhistorique en perpétuel retard sur le « progrès » du monde. Cela donne des pages au ton incisif. Puis, l’auteur prolonge sa réflexion en l’appliquant à la question du livre numérique. Il n’est évidemment pas opposé à la technique en tant que telle mais dubitatif devant les usages que nous en faisons. Et nous le comprenons aisément. On peut aussi s’interroger sur les usages que nous avons fait… du livre papier… Ce dont parle ici Olivier Rey, sans cependant prononcer le mot, c’est d’une capitulation en cours : « La tablette de lecture est un instrument de survie dans un monde devenu inhabitable, et qui continuera de devenir de plus en plus inhabitable au fur et à mesure qu’on inventera de tels moyens d’y survivre ». Peu importe de savoir qui, en un tel débat, pourrait bien avoir raison. Mais il importe de penser.

Signalons pour terminer cette présentation qui, étant donné son objet, ne saurait être exhaustive l’importante réflexion de Pierre-Emmanuel Dauzat au sujet de Kelsen et des contresens dans le domaine de la traduction. Un texte qui donne sérieusement à penser le réel de ce qu’on lit et qui, d’une certaine manière, rejoint le débat ouvert sur le livre, la lecture et le numérique, dans les pages de Conférence.

       http://www.revue-conference.com

 




Siècle 21

Deux récentes et passionnantes livraisons de l’excellente revue Siècle 21, dirigée par Jean Guiloineau et éditée sous l’égide de La fosse aux ours. Une revue avec laquelle Recours au Poème se sent bien des affinités, pour la place attribuée à la poésie, l’intérêt exceptionnel de bien des articles et l’ouverture aux littératures/poésies du monde entier.

Cette ouverture vers les ailleurs est en poésie une nécessité absolue. Le numéro 20 de Siècle 21 propose un dossier sur les littératures anglaises contemporaines, dossier conçu et coordonné par Vanessa Guignery et Marilyn Hacker. Vanessa Guignery donne une courte et brillante introduction intitulée « Les patries imaginaires du roman britannique », accompagnée d’un guide de lecture. Un bon moyen pour partir à la découverte du romanesque britannique contemporain, si l’on est en terres méconnues. Vient ensuite un tout aussi passionnant texte de Marilyn Hacker (« Le poète est un écrivain comme les autres ») valant ouverture nécessaire aux poésies anglaises : « Un lecteur français ou un lecteur qui vit en France remarquera en lisant un journal anglais du week-end, contenant une rubrique consacrée à la littérature, ou un hebdomadaire comme Times Literary Suplement, qu’en Angleterre (et en Irlande) la poésie est toujours présente dans les querelles autour de la littérature contemporaine. On écrit sur la poésie (de façon régulière) en termes et en propos semblables à ceux utilisés lorsqu’on traite de fiction (…) Les critiques supposent que le lecteur de leurs articles aura une certaine familiarité avec la poésie contemporaine, moderne et classique (…) ».

 

Revue Siècle 21- n°20

Revue Siècle 21
2 rue Emile Deutsch de la Meurthe, 75014 Paris.
revue.siecle21@yahoo.fr 
revue-siecle21.fr

Le numéro : 17 euros

Une situation que l’on retrouve en Allemagne au en Europe du Nord, espaces où la presse publie poèmes et poètes. Il y a bien une exception culturelle française au sein de nos journaux et médias, lesquels ont décidé que la poésie n’intéresserait pas leurs lecteurs. Décision non dite et cependant ubuesque. En ce dossier anglais, on lira des poèmes de Carol Rumens, Caroline Bergvall, Tony Lopez, Mimi Khalvati, Seni Seneviratne, Paul Farley, Georges Szirtes, Jeremy Reed, Fiona Sampson, Ruth Fainlight et James Byrne. Des voix diverses pour un dossier fort. Le reste du numéro ne déroge pas, bien au contraire. Au sommaire, enter autres : Moncef Ouahibi, un important dossier consacré à Lionel Ray, poète que nous apprécions beaucoup ici, des textes de Marie-Claire Bancquart, Amina Saïd, Daniel Pozner, Charles Dobzynski, Chantal Bizzini… On l’aura compris, un Siècle 21 en poésie de haut vol.

Cette qualité intrinsèque de la revue Siècle 21 se retrouve en son numéro suivant, n° 21. Outre un dossier très intéressant consacré à Gil Jouanard, dont les proses poétiques sont à lire, avec des contributions entre autres de Jacques Réda, Ludovic Janvier, Pierre Michon et Jacques Lacarrière, ce numéro comporte un superbe dossier consacré à la littérature tunisienne contemporaine, l’ensemble étant emmené par Marilyn Hacker et Cécile Oumhani. Intitulé avec force « écriture de l’urgence », ce dossier commence par un texte de Tahar Bekri. On y lira des poèmes de A. Chebbi, M. Al-Ouahibi, M. Faïza, T. Bekri, S. Haddad, A. Fathi, I. Al-Abassi, L. Makaddam, A. el-Moulawah et A. Saïd. Ce dossier rendant le volume indispensable, d’autant plus qu’il est accompagné, comme l’ensemble de ce n° de la revue, du splendide travail artistique d’Ahmed Ben Dhiab.

 




The French Literary Review

Le numéro 18 de la revue britannique (cependant basée en France) The French Literary Review nous parvient avec comme thème « Writing with a french connection ». La revue est dirigée par Barbara Dordi, elle-même poète. On y fait de très belles découvertes, de poètes qui seront bientôt amenés à publier dans les pages de Recours au Poème, d’autres aussi. Ainsi, Marcus Smith, June Blumenson, Margaret Beston ou Violet Dench. Parmi une vingtaine de poètes. Une aventure à saluer, la poésie étant ici une sorte de trait d’union entre la France et le Royaume-Uni, une histoire d’amour et d’amitié entre deux pays. Entre les poètes de ces deux pays. De très beaux textes. On découvrira les poètes de plusieurs numéros de cette revue en suivant le lien ci après :

www.poetrymagazines.org.uk/magazine/issue.asp?id=782

 

The French Literary Review

B. Dordi – Chemin de Cambieure – 11240 Cailhau.
FrenchLitReview@me.com

Le numéro : 6 euros




Phoenix

Une nouvelle livraison de Phoenix, c’est toujours alléchant. Une revue dont nous parlons ici avec gourmandise. On ne sera pas déçu par ce septième numéro. Un gros et beau dossier consacré à François Cheng, comportant deux inédits (sinon dans le cadre du Printemps des Poètes), des études de Catherine Mayaux, Françoise Siri, Véronique Brient, Nicolas Gille, Elodie Chevreux et Michaël Brophy. Le tout est accompagné d’un entretien. Une manière tonique de partir à la découverte de la poésie de Cheng. Emotion ensuite, à la lecture de l’hommage rendu par la rédaction à Bernard Mazo. Phoenix avait publié un dossier sur Mazo en un de ses premiers numéros. Viennent ensuite les « voix partagées », dont celles d’Amin Khan, Nicole Drano-Stamberg, Téric Boucebci ou André Ughetto. Puis la voix, forte, de Benny Andersen. Tout en cette revue est passionnant. Phoenix ne démérite pas, bien au contraire, devant sa propre histoire, celle qui vient de Sud.

 

 Phoenix

4 rue Fénelon. 13006 Marseille
www.revuephoenix.com
revuephoenix1@yahoo.fr

Le numéro : 16 euros




Le Journal des Poètes

En cette troisième livraison de l’année 2012, Le Journal des Poètes, emmené par Jean-Luc Wauthier et un quarteron de poètes/critiques que nous apprécions fortement ici (Yves Namur, Marc Dugardin, Rose-Marie François…), poursuit avec régularité son travail de mise à disposition des poésies contemporaines.

On découvrira là deux voix nouvelles (Béatrice Bertiaux, Patrick Beaucamp), les « Paroles en Archipel » de poètes comme l’irlandais Harry Clifton (dans la belle traduction de Michèle Duclos), le coréen Kza Han, un poème qui est une étincelle de Gaspard Hons, d’autres de Thierry-Pierre Clément, Valérie Michel ou Claude Miseur :

Ne transige pas
à l’orée de ce qui vient,
au pied de ce qui va te construire
de mots et d’espérance,
face à l’étroite habitude,
banlieue de l’indifférence.
Ton pas furtif
affolé d’impatience
gagne un versant
non formulé du monde.

La partie critique est à lire avec attention, on y découvre souvent des livres qu’on rencontre trop peu dans les librairies françaises et l’on y fait de belles découvertes.

Au cœur de ce nouveau numéro, un dossier exceptionnel consacré aux Voix poétiques marocaines des années 90, concocté par Taha Adnan. Le poème « Poète différent » de Yassin Adnan vaut à lui seul le détour, en particulier vu depuis la France des médias, tant ce poème remet les choses à l’endroit. Mais le dossier en son ensemble est très intéressant. Comme souvent en cette respectable revue (81 ans tout de même !), tout cela est de haute tenue, et se termine par la Chronique des revues signée Yves Namur, lequel semble regarder du côté d’internet. Longue vie au Journal des Poètes.

Le journal d'un poète

Le Journal des Poètes

Jean-Luc Wauthier
Rue des Courtijas, 24 – B-5600 Sart-en-Fagne
Le numéro : 6 euros.




Meet n°15

En son numéro 15, Meet, revue de la Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs de Saint-Nazaire, propose comme à son habitude une mise en relation littéraire et poétique de deux villes. Ici, Phnom Penh et Porto Rico sont à l’honneur.

Les pages ouvrant sur Phnom Penh emmènent évidemment le lecteur vers des contrées qu’il ignore ou qu’il connaît peu. Patrick Deville devient guide : « Que sait-on aujourd’hui de la littérature cambodgienne ? Sur près de deux cents écrivains édités à Phnom Penh avant 1975, une poignée a survécu au régime des Khmers rouges. A mon arrivée il y a trois ans, au début du procès, on décourageait plutôt ma curiosité. Tout cela avait disparu, écrasé par l’horreur et l’autodafé ». Cela suffit pour dire combien il est important de lire ici ces écrivains et ces poètes, qui plus est édités en khmer et français. On découvre là des voix fortes et la revue réussit pleinement son souhait : nous entraîner à la découverte de cette littérature pour nous lointaine, peu prisée des éditeurs français, et nous pousser à vouloir lire plus loin. Du côté de Porto Rico, le dossier est présenté par Mélanie Pérez Ortiz en un texte au titre évocateur : « Ecrire depuis une île qui déborde », qui explique les particularités de l’endroit : « A cause de la pauvreté et de la facilité de s’installer aux États-Unis dont nous, les Portoricains, nous bénéficions en raison de notre citoyenneté états-unienne, aujourd’hui quatre millions et demi de nos immigrés y vivent, installés dans différents États qui vont de New York à Chicago, de Philadelphie à la Floride, et pendant ce temps, l’île compte quatre millions d’habitants ». Plusieurs poètes paraissent en ce beau sommaire, permettant là aussi de sacrées découvertes. L’ensemble forme un très beau volume, issu du travail réalisé par la Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs, travail d’un lieu qui n’est pas assez souvent souligné. 

Revue Meet

Maison des Ecrivains Etrangers et des Traducteurs
1, bd René Coty/BP 94. 44602 Saint-Nazaire cedex 01.

maisonecrivainsetrangers@wanadoo.fr
www.maisonecrivainetrangers.com

Le numéro : 20 euros.