Ce qui reste, le ressac numérique d’une poésie en partage
Fondée par Vincent Motard‑Avargues et aujourd’hui co‑éditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud‑Marcheteau, la revue en ligne Ce qui reste s’est donné pour mission de « reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres » : chaque semaine, un poète et un artiste visuel se répondent dans un cahier numérique publié en libre accès. Ce rythme court, allié à un parti‑pris de lenteur revendiqué dans l’éditorial récurrent « Ralentir », installe un tempo singulier au sein de la constellation des revues francophones.
Dès la page d’accueil, trois onglets suffisent — Librairie, À propos, Archives — auxquels s’ajoute un discret appel au don : la navigation dépouillée fait la part belle à la page pleine, où le texte se détache sur un fond monochrome accordé aux œuvres graphiques. Ici, pas de dispersion : la lecture à l’écran mime la page du livre, tandis qu’un simple clic conduit vers la version feuilletable sur Calaméo ou Issuu, voire vers une souscription papier chez l’éditeur ami, Écheveaux éditions.
Chaque numéro se présente comme un dossier monographique : une courte note éditoriale rappelle la raison d’être de la revue ; le bloc de poèmes alterne avec une galerie d’images ; une mention « Pour souscrire au livre papier » prolonge l’expérience hors‑ligne ; les mentions légales (ISSN 2497‑2363) ferment la marche.
La rubrique Archives regroupe à ce jour près de 400 dossiers classés par auteur, consultables directement ou via Calaméo. La Librairie propose les tirages papier les plus demandés — signe qu’un lectorat fidèle accompagne la revue du pixel au papier.
Le dernier numéro, de février 2025, offre une thématique déjà éminemment poétique, La Mer entre les Terres. Il réunit la poète anglo‑israélienne Jennie Feldman (extraits de No Cherry Time, Arc Publications, 2022) traduite par Gilles Ortlieb, et les peintures atmosphériques du photographe‑peintre Jacques Bibonne. Entre l’anglais et le français circule une mémoire de la Méditerranée : ports, plages, stations ferroviaires deviennent autant de seuils où « la déferlante » menace mais n’engloutit jamais. Le cahier (26 pages) ménage de larges respirations visuelles ; une typographie à chasse élargie épouse les aplats minéraux des toiles, tandis qu’une palette de gris bleutés évoque l’écume. La notice finale annonce une version imprimée, confirmant la stratégie de la revue : tester le poème en ligne avant de le confier au papier.
À l’heure où la profusion numérique menace la lisibilité, Ce qui reste choisit le ralentissement et le cadre serré : un poète, un artiste, un cahier. Rien de plus — et c’est assez pour que le lecteur avance sans bruit « vers ce qui restera lorsque toutes les revues se seront tues ». Une promesse de durée inscrite dès le titre ; une esthétique de la parcimonie qui fait mouche ; un modèle hybride (web + papier) qui pourrait bien tracer un sillon durable dans le paysage mouvant des revues de poésie contemporaines.