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Cent titres

 

à Hélène Cazes

 

 

Un jour peut-être oui j’écrirai un Poëme très-savant & très-long peut-être un Centon fait de tous les Mots de quelqu’Autheur très-sçavant & très-prolificque d’un passé très-proche ou très-lointain qu’importe un Autheur dont on reconnaîtra à la Lettre & dans tous les sens tous les Mots mais ce sera un autre qu’importe & si tout ce que j’ai écrit depuis le comment semant jusques-icy je veux dire jusqu’à ce dernier mot celui qu’à cet instant précis j’écris disons le mot j’écris qu’importe disons j’écris mais bien sûr depuis tout ce temps il est déjà passé ce n’est plus le dernier qu’importe ce n’est pas le premier non plus ou pas encore peut-être disons celui qui est toujours le dernier & si tout ce que j’ai écrit jusqu’à ce dernier mot que j’écris à chaque mot que j’écris tous les mots que j’écris sont les derniers & si tout ce que j’ai écrit donc jusqu’à ce dernier mot qu’importe n’était autre qu’un Centon oui un Centon à jamais inachevé de ma propre Œuvre complète qui ne le sera jamais qu’importe enfin un Poème très savant & très long qui pourtant serait fait d’une seule Ligne d’un seul Vers donc ou même d’un seul Mot une seule Lettre pour mieux dire en fait il y en aurait bien un peu plus qu’importe il faut bien dire quelque chose n’est-ce pas il faut bien alors que ce qui compte je dis bien qui compte c’est là où ça coupe je dis bien coupe là où ça se coupe oui où ça se coupe la Langue ou si c’est long très-long une ligne de Prose donc de la vraie Prose je dis bien Prose la vraie celle qui ne s’arrête jamais celle qui ne s’arrête jamais que pour cesser vraiment pour casser d’un seul coup oui le fameux Point final dont elle peut même se passer qu’importe donc casser oui pour ne plus y revenir c’est dit non ce qui compte alors je dis bien qui compte c’est la durée oui la durée le déroulement le Souffle qui n’en finit pas mais il faut bien que ça en finisse pourtant oui le fameux Pnigos on ne peut pas ne pas reprendre son Souffle & il y a le poignet qui fatigue le poignet c’est peut-être lui qui fait tout le travail le poignet c’est peut-être lui qui lâche le premier mais qu’importe avec les claviers aujourd’hui on peut aller plus loin plus vite & sans même feindre d’aller à la Ligne à cause du bord de la page oui la fameuse Page abolie peu d’être par la Prose même & qui sait alors Pierre Albert-Birot si vous aviez connu l’ordinateur si vous aviez connu le traitement de Texte comme on dit si bien ou si mal peut-être oui non oui le maltraitement comme je dis qu’importe & qui sait alors combien de pages encor combien de milliers de pages de Grabinoulor vous nous auriez laissées !

 

 

 

(de eff&,mes rides, 1992 ? + 2003-04 ;
publié dans eff&,mes rides, L’Atelier de l’Agneau, 2005)