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César Vallejo

Le poète César Vallejo n’est pas un inconnu pour qui est lecteur de poésie. Tant du côté de son œuvre que de sa vie, deux aspects ici indissociables : Vallejo est de la « race » des poètes engagés du début du 20e siècle, de ceux qui sont entrés au parti communiste et se sont engagés en faveur de la République espagnole en 1936. Il a eu la chance, si l’on ose dire, de mourir avant la seconde guerre mondiale, le nazisme guerrier, et le développement des idées ubuesques du camarade Staline. Soutenue par Jorge Semprun, qui voyait bien des résonances entre celle-ci et sa propre vie, l’oeuvre du poète péruvien était déjà disponible dans notre langue dans deux traductions différentes, toutes deux chez Flammarion, celle de Gérard de Cortanze (Poésie complète, 1983, réédition 2009) et celle de Nicole Réda-Euvremer (Poésie complète 1919-1937, 2009). Un volume de la collection Poètes d’aujourd’hui des éditions Seghers lui a aussi été consacré, par sa femme, en 1967. On s’interrogera donc sur l’intérêt de cette édition au Seuil. La réponse tient dans la traduction de Maspero, qu’il explicite au début du volume. Il s’agit d’une « variante » mais, attention, en matière de poésie une variante, ce n’est pas rien tant la traduction de poèmes est une écriture en soi. Rien de plus délicat à traduire que la poésie, chacun le sait.

Devant l’atelier de Vallejo, le lecteur peut être dubitatif, se demander s’il ne va lire une énième poésie datée, une partie de la poésie dite de « l’engagement », celle d’un siècle déjà lointain, le siècle passé, le 20e siècle. Nous sommes en 2011 et souvent, c’est un fait, les œuvres engagées, sous toutes leurs formes, peuvent paraître un tantinet vieillies, sauf aux yeux de gardiens du mausolée (il y en a) et des momies. On conviendra que, la première décennie du 21e siècle étant passée, un tri s’impose sans doute. Cela viendra, et l’on séparera le bon grain de l’ivraie quand textes communistes politiques essentiellement militants apparaîtront pour ce qu’ils sont : de la mauvaise poésie. Mais nous n’en sommes pas encore là et la bibliothèque idéale de la révolution du siècle passée continue son petit bonhomme de chemin. Ici, il n’y a que peu lieu de souscrire à ce type d’inquiétude. Bien sûr, la seconde partie du volume, regroupant les poèmes de Espagne, écarte moi de ce calice, est une œuvre politique ancrée dans une Guerre d’Espagne dont Vallejo a en partie vécu les événements, se rendant souvent là-bas, depuis la France où il vivait depuis le mitan des années 20. Ils s’ouvrent du reste sur un Hymne aux volontaires de la République. Nous sommes cependant loin des bêtises qu’un Aragon pouvait écrire à la même époque, même s’il s’agit bien de poésie engagée :

 « Les mendiants combattent pour l’Espagne,
ils mendient à Paris, à Rome, à Prague,
fidèles ainsi, d’une main gothique, implorante,
aux pieds des Apôtres, à Londres, à New-York, à Mexico. »

Mais engagée en faveur de ce qui a toujours animé Vallejo, cette souffrance des pauvres (on disait « prolétariat » à l’époque), souffrance que le poète connaissait bien pour l’avoir approchée, comme employé de mines puis de plantations. Au Pérou. Avant de s’exiler à Paris et de ne plus jamais remettre les pieds dans son pays natal.

Cependant, le cœur de l’œuvre de l’écrivain péruvien est ailleurs. Il réside en la première partie de ce volume, Poèmes humains, textes tout aussi humanistes, révolutionnaires et engagés, et pourtant textes qui conduisent l’œuvre ailleurs, comme au-delà, en ce sens qu’ici la poésie transcende le politique et conduit parfois à une sorte de beauté universelle, laquelle existerait sans être née dans l’ancrage de cette époque. C’est le meilleur de l’atelier du poète. On reconnaîtra bien sûr ce poème :

 « Je mourrai à Paris par un jour de pluie,
Un jour dont déjà j’ai le souvenir.
Je mourrai à Paris – et c’est bien ainsi –
Peut-être un jeudi d’automne tel celui-ci.

Ce sera un jeudi, car aujourd’hui jeudi
Que je pose ces vers, mes os me font souffrir
Et de tout mon chemin, jamais comme aujourd’hui
Je n’avais su voir à quel point je suis seul.

César Vallejo est mort, tous l’ont frappé,
Tous sans qu’il leur ait rien fait ;
Frappé à coups de trique et frappé aussi

A coups de corde ; en sont témoins ici
Les jeudis et les os humérus,
La solitude, les chemins et la pluie… »

Chacun jugera, comme toujours en poésie. Reste que la parution de ce volume dans cette collection, La Librairie du 20e siècle, est pleinement justifiée, étant donné que cette collection se veut conservatoire d’un certain regard sur le monde, le regard de ceux qui, comme Semprun, ont connu les horreurs du siècle passé, dans leur chair, en même temps que celles de la trahison de leurs rêves. C’est maintenant un lieu de mémoire. Notre siècle est fécondé par d’autres tourments et il y a sans doute bien des choses à apprendre du passé, sous réserve que cet apprentissage ne masque pas nos réalités présentes.

César Vallejo est né le 16 mars 1892 à Santiago de Chuco, au Pérou, et mort à Paris le 15 avril 1938.