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Cet horizon mélancolique de Grégory Huck

 

Cet horizon mélancolique de Grégory Huck 

 

Grégory Huck est un poète d’origine alsacienne qui « signe » deux recueils : le premier, Meilleurs Souvenirs du Monde, en 2007 ; le second, Les Nouvelles Destinations, en 2013. Se voit décerner, en aôut 2012, le 3e prix de poésie Patrick Peter. Est président fondateur de l’association de poètes « Nouvelles voix de l’Est ».

Puisque l’un évoque l’autre, Grégory est poète et peintre.

Je lui envoie mes recueils ; reçois les siens en retour, comme un geste fleuri, comme une salutation de la fratrie des Poètes.

Je m’invite dans son univers. Parcours ses villes, ses muses, des chantiers inachevés. J’ai l’inquiétude de la réception esthétique, cette chose qui fait bouger l’âme du lecteur, ce je-ne-sais-quoi qui nous   fait sortir de la pluie dans laquelle l’on se trouve lorsqu’on entre dans l’atelier du poète. Je lui réponds, en le lisant, je tisse une toile, debout :

Je te réponds, mon frère, envahie, ébahie par ton encre jeté sur mon corps. 
 
Ton encre, ce sang de larmes, de vin, mêlé à la chair de tes d’arrière-mondes ouverts. Je le vois d’ici. D’Ici, dans mon Corps, je parcours, donc, ton encre, ces « petits miracles/ collectés dans nos riches ruches », donné, mélancolique, à ton intime « lecteur » aimant amant de ton Livre. Ton sang, le nôtre, la même argile, disais-tu, cette habitation lacunaire, pleine de cicatrices aimées. Ton corps, ton écriture ancrée dans ma peau, dans mon esprit tâtonnant de voyelles et de consonnes d’au-delà, de Là-Bas. Où je marchais hésitante,où je cherchais mon argile que tu as vue, que tu vois, connaisseur que tu es des Argiles & des Mondes, ouvrier passionné, alchimiste de cette Chose Poétique. Tu dé-couvres ainsi d’autres sangs, d’autres mailles de poésie en béton vif. Mais mes villes, Frère, je les décompose en mille humbles et rapides tableaux. D’inoffensifs tableaux en deux ou trois couleurs de terre. Seulement. Tes villes à toi, mon frère, sont des Mélancolies d’Ailleurs, des tentacules spectaculaires, des espaces-stades en riche état fertile, infini ; remplis par le dépassement des limites de l’essence même d’un lieu. D’un Homme. 
 
« Mélancolie est une ville », tu dis, dans tes Meilleurs Souvenirs du Monde. Oui, une architecture fragile, ta Mémoire créatrice de tons dangereux... Oui, mélancoliques sont les villes, Frère, ces mondes souffrants des Poètes ; ces « Nouvelles Destinations » sales d’argile, évocatrices du paysage, du Verbe ouvert.
Je défile tes toiles mélancoliques, tes femmes, tes saisons, tes muses ! - le commencement de tes Mondes – et y vois tes terres enivrées de vin fin, affamées de la peau des vers en velours : « (...) quand l’ami Jean-Pierre entonne Ich bin mur e bluem.../ on ressent l’automne tout envahir de son velours./ (...) ». Oui, on danse, on s’allonge, on plonge, inquiets, dans ton velours. La poésie de tes villes est une promenade sonore, inquiétante, chercheuse de l’abondance d’« un papillon géomètre ». 
 
Derrière tes arrière-pages, entre l’ombre et la sur-ombre de tes lourdes maisons, en fer façonnant de Moi, je vois un Apollinaire téméraire, un Baudelaire cru, explosé de modernité. Sous la pluie de tes vers, ici, juste ici, dans des « nouvelles destinations », je reconnais le sang du Poème. Que je cherche, dont je bois, moi aussi, aveugle constructrice des lignes.
 
Tu parles à ton Semblable, ivre de maux lui aussi, trébuchant, comme toi, dans l’ombre des pages. Mère, tu lui donnes la vie. Amant, tu le retournes. Tu aimes ton prochain, profondément attaché à ses « ailes de pierre », tu l’aimes, ton Lecteur. Tu façonnes sa chair poétique dans le Livre que tu crées. Dans la métamorphose de l’étant de la Parole, tu lui parles, « Si tu n’as de mes mots retenu/Que la noire foulure qui entoure leurs substances... »/(...) », tu négocies, tu le questionnes, tu le regardes, tel un père à l’Homme qu’il voit grandir. Cet « amour impossible et qui pourtant [vous] unit », Poète et Lecteur est l’amour propre de tes Mondes, Frère.
 
Je marche, désormais, dans tes « Confessions d’un Ange Fourbe », dans un point de départ « Dans la nuit du 30 avril au 1er mai 2007. », où le « Retour inlassable à l’instant mystérieux/ De la création du monde. (...)/ Correspondance fulgurante dans la double vision, (...) » m’enchante, me secoue. Me rappelle que l’Homme est un grand poète ; que « L’humanité est une extraordinaire rumeur. »
 

 

Enivrez-vous, Vous, car ici vit un poëten. Un homme poétique. En état poétique.