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Charles Akopian, poèmes extraits de L’Aube a cassé son ongle

 

C'est comme battre un cœur
En neige,

Il reste toujours la main

À rendre humaine,

Cette main à prendre

Ou tendre contre le malheur
Pour capter les coups de feu,
Détruire la fourmilière.

C'est comme un cœur qui bat
En guerre contre l'inacceptable.

 

*

 

Comment parler du regard,
De ce qui dure en lui,

De ce qui s’éternise en nous,
Lorsque ce regard,

Entre promesse et refuge,
Se fait l’écho d’un oasis

Que nous n’atteindrons pas,
Les yeux brûlés par le désert ?

Nous conjuguons l’intraduisible
Et la maîtrise du vertige

En regardant les fleurs s’ouvrir,
En dévoilant leur dictée.

L’oiseau en cage
Épuise les métaphores,

Comment dire d’un regard

Qu’il sauvegarde la coïncidence ?

 

*

 

Derrière une goutte,
Combien de profondeurs,
Combien de troupeaux,
De vols d'oiseaux blancs
Brisant la coquille ?

Flambée, dirait-on,
De forts tremblements
Ou bien de banquises
Livrés au regard

Privé de paupières.

Au cœur de la goutte,

Les nuées s'éveillent,

Des grains de mémoire

- Témoins ou doublures -,
Hissent le rideau.

 

*

 

Allées et venues sur scène,
Danses en cercles ou en rangs,

Quelque chose comme une mer
Regarde et lance la percussion,

Une fugue jouée dans le noir,
L'envie de tréteaux et de marches,

Est-ce le magma qu'un créateur piétine,
Ou simplement

La mécanique du vivre ?

 

*

 

Où commence la mise à flot,
Dans la tête ou sur la page ?

Dans l'eau puisée du désert
Ou dans ce temps où survivre
Défie les parages du vivre ?

Inhabitables sont les désirs

Qui veulent ressusciter les veilles.
À la frontière, la requête est veine.

La marge roule son tapis
Dès lors que le mot de passe
Se perd dans l'ombre.

Mais au-delà de l'incubation,
Comment dire la capture

D'un coup de vent entre les côtes ?

 

*

 

Inutile de laver les fresques,
L’amnésie chérit les voyages
En apnée.

Des pans de sève sommeillent,
Une fanfare cherche à fouler
Les planches,

Inutile de nier son moi,
Le papier absorbe le bois
De la charpente.

Pour un été de note claire,
Choisir la bergerie

Dont les pierres supportent
L’oubli.

 

*

 

La nuit,

Sur la terrasse,

Les distances s'égouttent,
Accrochent le regard

À l'éveil des étoiles,

L'absence de bruit ajoute

Au jeu de pistes

Une inquiétude comme un râle,

Les yeux déminent l'invisible,
Sans limites

Dansent les pensées,

Dans la nuit,

Repriser le temps maille la vie
Et n'a rien d'esthétique.

 

*

 

Pas d'écriture,

Juste un foyer de braise
Entre les lignes,

Place au corps, au drapeau
D'herbes et de lettres
Farcies de nuit.

Les feux de joie sautent
Les lignes et s'éparpillent
En énigmes,

Pour une voix

Qui lance ses anneaux,
Combien de galaxies
Livrant leurs secrets ?

 

Textes inédits extraits de « L'aube a cassé son ongle ».