L’EXCRÉTION DOUCE DU SABLE CRISSANT

Le Poème en prose ou la Prose en poème de Chloé, l’épique Cri du sabli­er, se com­pose de pros­es-poèmes – se pou­vant lire – pourquoi pas – dans le désor­dre et indépen­dam­ment les uns des autres.

Le blanc par­mi les mots, et les ampu­ta­tions, l’ambiguïté par­fois, et cetera, font que le lire du Poème est un geste inachevé per­pétuel renou­ve­lant sa vie chaque fois.

Il se peut insér­er dans les blancs, dans les ampu­ta­tions, dans les ambiguïtés par­fois, dans les et ceteras, ce qui fait le plus peur, ce qui fait le plus jouir, selon les besoins incon­scients ou con­scients de chacun.

Chloé DELAUME : Le Cri du Sablier, folio Gallimard

Chloé Delaume, Le Cri du Sabli­er, folio Gallimard

Le sens est là, oui-oui, la mémoire à Chloé dis­tor­due n’abolit nulle­ment les vio­lences cohérentes du passé – mais le crâne qui lit, quand le son et le flux le char­ri­ent, enri­chit sura­joute du sens à la trame don­née. (Tel proces­sus est à l’œuvre partout, dans toute œuvre, tout regard, tout mou­ve­ment, cepen­dant s’accentue et s’emballe en le Lieu des Poèmes.)

Bon. Et l’histoire quelle his­toire ben l’histoire c’est l’histoire d’une petite enfant – davan­tage for­tunée que les uns et davan­tage infor­tunée que les autres –, c’est l’histoire d’une fille et de ses démêlés avec son Papa. Son con­nard de Papa et tant pis si qui juge sera à son tour un jugé, et puis ô, Grand Objet Extérieur, par­donne Papa il ne sait ce qu’il fait.

Bon. Et l’histoire quelle his­toire ben l’histoire elle est là dans les mots et dessous et dessus on dirait le Kaf­ka à genoux face au Père au Château néga­teurs de l’individu fade compt­able timide écrasé. Mais avec l’ironie qui lévite légère et dis­tante sauvant – le Salut – des tor­tures du Père. Du con­nard de Papa et tant pis si qui juge sera à son tour un jugé, et puis ô, Grand Objet Extérieur, par­donne le Père il ne sait ce qu’il fait. Le Papa nie l’enfant, l’enferme, l’abat, l’avertit : je te tuerai, mais finale­ment non, et le père plutôt tue la mère et hésite : tuera ? tuera pas la Chloé ? allez non allez hop il se fourre le flingue au milieu du muse­au et des brins de cervelle retombent sur l’enfant minus­cule Chloé hébétée.

Et ceci cepen­dant n’est le plus impor­tant. Ceci n’est la fin d’une his­toire où l’on sue l’on halète en sus­pense et polar et qui va tuer qui et com­ment qui fera. Donc ceci, dit, ne nuit pas à la lec­ture du Cri.

C’est le Cri du sabli­er. Mais en fait : C’est pas le sabli­er, c’est le sable, le temps du passé, qui se met à crier dans les mots. Pour un métab­o­lisme flu­ide de l’âme, l’écriture se pro­pose d’accomplir l’excrétion du vieux sabli­er et du sable coincés dans la gorge ou ailleurs. C’est le Cri du sable dans le sabli­er. Mais en fait : Le sable ne crie pas, il crisse, et c’est le lecteur qui en crie. Le lecteur, pas Chloé. Chloé ne crie pas elle écrit ça fait moins de bou­can puis en plus : elle sem­ble si loin, détachée un sourire assez doux au vis­age. C’est le Cri du lecteur face au sable qui crisse placide.

Le Poème en prose ou la Prose en poème de Chloé : le réel de la prose est refait bricolé avec sérieux lud­isme. (Ah tiens, ce doit être ce lud­isme qui rend Chloé loin, détachée un sourire assez doux au visage.)

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Brice Bonfanti

​Brice Bon­fan­ti, œuvri­er. Né Frigau en 1978, Avi­gnon. Sept ans con­ser­va­teur des man­u­scrits de Stend­hal à Greno­ble. Depuis l’an 2000 à Milan, écrit en pre­mier lieu l’un après l’autre des Chants d’utopie, et les dit en pub­lic. Un chapitre par Chant est audi­ble sur son site : www.bricebonfanti.com. Les Chants d’utopie sont pub­liés aux édi­tions Sens & Ton­ka, par cycles de neuf Chants.

Col­la­bore aux revues Nunc, Phoenix, L’Intranquille, Sar­razine, Recours au poème, La Revue des Archers…