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Choix de poèmes de Rodrigo Verdugo Pizarro

 

Rodrigo Verdugo Pizarro, extrait d'un ensemble de recueils intitulés Annonces :
(Traductions du castillan au français : Denise Peyroche et Pedro Vianna)

 

CUARTO ANUNCIO

Todo lo que llega a tocar cielo
Se convierte en esa simultaneidad que curva las almas
Los otros sólo llevan la podredumbre de las olas,
La angustia de los objetos.
Sí, esos mismos que empezamos a conocer
Cuando la sombra está repetida de ardores
Cuando vivir es como desenredar las aguas
O ver cómo la arruga embarazada
Se mueve en el potrero cada año.
El cuchillo no entra, pero saca toda el agua que hay dentro de los días
Hasta que en ese fondo no hay nada más que la vejez
Nada más que esa conciliación que adquiere la lengua
Al posarse sobre la niebla.
Nos desalojarán de los círculos
Las ánimas de sal reunirán toda la cólera de nuestros ojos
Andaremos oyendo letanías como las del fauno que hicieron
Reventar en sangre los oídos de los animales en el zoológico
Se esconde uno detrás de una ceniza para ver pasar los días
Ver pasar palomas que se parecen al día de los muertos en las islas
Bebe en los villorrios, donde las arañas desordenan la resurrección
Vuelve como el padre de las rizaduras a cada desembocadura
Vuelve después de haberlo visto todo
Vuelve con una máscara que no es ni el aire, ni el fuego
Vuelve harto ya de tantas letanías, a punto de dinamitar al fauno
Viste a los árboles de un tormento virgen
Apacigua a las ballenas con cardos y retinas desprendidas
Vuelve como el niño lobo que entraba
Con una bandeja llena de un líquido azul
A la pieza que no tenía suelo, sólo las paredes y el techo
Y volver es siempre como si nos cortaran de ese mimetismo
Ahora los árboles tendrán que buscarle otro nombre a la muerte
Y los vuelos no podrán esclarecer nada
Todo hueco azaroso se debe habitar líquidamente
Y líquidamente habitamos lo que va a venir
Como si nos concedieran por última vez a la bestia seca y opaca oírle:
Que de día éramos libres
Que de noche un resorte siniestro nos unía.
Un espejo levita en los cementerios:
De modo que las tumbas de abajo se trasladan hacia arriba
De modo que las tumbas de arriba se traslucen hacia abajo
Y la gente arma y desarma maletas.

QUATRIÈME ANNONCE

Tout ce qui parvient à toucher le ciel
Se transforme en cette simultanéité qui courbe les âmes
Les autres ne font que porter la pourriture des vagues,
L’angoisse des objets.
Oui, ceux-là mêmes que nous commençons à connaître
Quand l'ombre se multiplie en ardeurs
Quand vivre c’est comme démêler les eaux
Ou voir comment la ride enceinte
Bouge dans le pré chaque année.
Le couteau n’entre pas, mais ôte toute l’eau qu’il y a dans les jours
Jusqu’à ce que dans ce fond ne reste que la vieillesse
Rien que cette conciliation qu’acquiert la langue
En se posant sur le brouillard.
Nous serons délogés des cercles
Les mânes¹ de sel rassembleront toute la colère de nos yeux
Nous irons entendant des litanies comme celles du faune qui firent
Éclater en sang les oreilles des animaux dans le zoo
On se cache derrière une cendre pour voir passer les jours
Voir passer des colombes qui ressemblent au jour des morts dans les îles
Bois dans les bourgades, où les araignées brouillent la résurrection
Reviens tel le père des stries vers chaque embouchure
Reviens après avoir tout vu
Reviens avec un masque qui n’est ni l’air ni le feu
Reviens gavé par tant de litanies, sur le point de dynamiter le faune
Revêts les arbres d’un tourment vierge
Apaise les baleines avec des chardons et des rétines décollées
Reviens tel l’enfant loup qui entrait
Avec un plateau plein d’un liquide bleu
Dans la pièce qui n’avait pas de sol, rien que les murs et le plafond
Et revenir c’est toujours comme si nous avions été coupés de ce mimétisme
Maintenant il faudra que les arbres cherchent un autre nom pour la mort
Et les envols ne pourront rien clarifier
Tout creux de malheur doit être habité liquidement
Et liquidement nous habitons ce qui va venir
Comme si on nous concédait pour l’ultime fois d’entendre la bête sèche et opaque :
Que le jour nous étions libres
Que la nuit un ressort sinistre nous unissait.
Un miroir lévite dans les cimetières :
De sorte que les tombes du bas se déplacent vers le haut
De sorte que les tombes du haut se reflètent vers le bas
Et les gens font et défont des valises.

Traduction de  Denise Peyroche
pour La Voix des Autres (revue de poésie)

¹ En espagnol, ánimas. Comme dans certains pays méditerranéens, en Grèce par exemple, il était courant au Chili, notamment à la campagne, d’allumer des bougies là où quelqu’un était mort sur la route ou les chemins. Parfois, des niches en bois, voire en matériaux plus solides, étaient construites portant le nom du mort, la date et les raisons de son décès, parfois même une photo. La croyance populaire affirmait que l’esprit du mort ― qui n’avait pas trouvé le repos éternel ― venait rôder autour de cet “autel”. Le mot ánima désigne cet esprit. Le complément “de sel” nous empêchant de traduire ici ánimas par “âmes en peine” ― dans l’absolu la solution la plus simple ― nous avons du faire appel à “mânes”…

 

SEIZIEME ANNONCE

Nous arrivâmes à la ville redoutable
Où les agneaux se balançaient sur des fils de fer
Des patrouilles de langues faisaient leur ronde, vieillards chauves aux capes noires
C’était notre place de toujours, notre chambre était dans un ascenseur
Après avoir vérifié chaque recoin, échafaudé certaines allusions
Nous allumâmes des cierges pour le cadavre de la distance.
Nous vînmes pour nous coucher, copuler, quelqu’un bougea le levier
Et nous descendîmes dans le souterrain, les murs étaient différents,
Étaient couverts d’étagères,
Qui à leur tour étaient couvertes de tubes à essai sales et vides
Par une fente, on entendait des cris, on voyait l’ombre d’agneaux qui se balançaient
L’intermittence de ces patrouilles de langues était dans nos bouches et dans ton vagin.
De notre chambre sortaient des allusions à la pierre et à l’eau,
Elles parvenaient dans tous les recoins de la ville.
Je vis tout de toi et tu n’étais que l’innocence de l’éclair sur le lit
Rien d’autre que la grande obscurité d’un parc,
Viens te dis-je, ô viens oiseau, avant que la hauteur ne soit étranglée,
Viens à moi, me dis-tu, parce qu’après que nous nous serons aimés, les nuages
comprendront la déchirure.
Quelqu’un bougea le levier, nous remontâmes, tu vis tout de moi
La grande obscurité d’un parc et moi bâillonné sur la table utérine
Tu vis celui qui voulait partir, comment le suivaient ces vagues
Qu’étaient les charpentiers dorés,
Comment elles lui offraient d’être vu sous tous les angles à la fois,
Pour qu’il puisse ainsi préserver mémoire et extinction comme deux vases distincts.
Tu vis celui qui voulait revenir, comment les vagues éclataient
Et sur le chemin il rencontrait des nids insaisissables, des portes et des tatouages,
La grande obscurité d’un parc, mémoire et extinction sur la table utérine,
Pendant que le sang prenait notre mesure.
Nous arrivâmes à la ville redoutable, vite à notre place de toujours,
Nous arrivâmes pour nous coucher, copuler, voir tout de nous,
Ces allusions qui sortaient de la mer,
Parce que la mer était la veille* de nos corps.
Et leur tour arrivait, eux qui nous apportaient sur des plateaux ces têtes d’agneaux
Têtes vertigineuses, sans doute,
Goûtez à ce sang, entendait-on par les fentes
Parce que chaque fois que quelqu’un le fait le tourbillon se signe
Essayez de placer cette tête d’agneau sur le cadavre de la distance,
Mêlez ce sang au vôtre,
Disaient les vieillards chauves aux capes noires
Pendant qu’on agit à nouveau sur le levier, les murailles changent à nouveau
Par les fentes on entendait comment respirait le brouillard,
Comme si le résultat en était des pierres et des eaux,
Le même que celui de nos corps quand ils dorment
Vous saurez, ô homme et femme, comment revenir tant
De l’ange qui griffe le fond de la mer
Que de l’innocence de l’éclair,
Ah en définitive de la grande obscurité d’un parc
Vous saurez comment bouger le levier en votre faveur,
Peut-être vos corps ne reviennent-ils pas ensemble,
Juste quand les fissures pardonnent ce qui se passe dedans les nuages
Et que les allusions encerclent par les quatre côtés la ville redoutable.

Traduction de Pedro Vianna
pour La Voix des Autres (revue de poésie)

* En espagnol, víspera, au sens de “le jour qui précède”, “la veille”. Nous sommes conscient que dans ce vers le mot “veille”
est ambigu, mais toute périphrase — “le jour qui précède nos corps” — ou idée proche — “les prémices de nos corps” — créerait
d’autres ambiguïtés, tout en alourdissant le vers. Nous avons donc préféré garder la fluidité du vers, assortie de la présente
note. Note du traducteur.

 

 

VEINTICUATROAVO ANUNCIO

A Angye Gaona

“Oh tanta ceniza, derramada por la satánica ceniza”
Winett de Rokha

Pones espejos encima de los pozos
Para sentir sed de tus cuatro nacimientos
Desde ahora las ruedas son las únicas aliadas de la noche
Recuérdalo, esta es la fiesta que marchita los árboles
Vienen tus cuatro nacimientos por el cielo
Tú has hundido tu cabeza en los pozos
Hay una caverna crucificada, desangrándose por ser armadura
Estás bajo un cielo que confunde los espejos
Suben por tus manos cuatro nacimientos
Duermes sobre los espejos, sales con una armadura a propagar un calvario
de algas
Has sacado tu cabeza de los pozos
Has amanecido al lado de alguien que tiene cabellera de llaves
La conociste en aquella fiesta
Bajo astros que día y noche trafican con la desnudez de los muertos
Oh sed, instruye los vasos, que los espejos trabajan en cada abismo,
De ahí cuatro nacimientos salen rápidamente del agua
Los vasos adoran la muerte
Alguien con cabellera de llaves espera ser llevada por el mar,
Espera ser aceptada por la rueda milagrosa como un ángel y su fortuna de hormigas
Cada mañana el mar peina su cabellera de llaves
Es cierto que estas piedras nacen después que se apaga un ángel
Debes dormir sobre ellas, acarícialas, siente como cubren para seguir siendo parte del círculo
Debes tener raíces de tormenta, de esas donde todos los ritos son uno
O sino nunca sabrás en qué tierra sepultar a quienes no son de este mundo
O sólo un movimiento de mares y de cielos nos hace jinetes elásticos
Listos para verte flotar debajo del mar, donde tu ombligo es aprendiz de brujo
Hay que guardar un poco de sal quemada,
Para cuando el amanecer exhale esas estatuas
Salgo a propagar un calvario de algas
La rueda milagrosa está midiendo la noche.
Es tiempo que mi anillo establezca un paralelo con tu cárcel arterial
Así me lo pides, cubriendo tu rostro con telas y sal quemada.
Durmiendo sobre estas piedras
Flotando debajo del mar o bien divagando entre los árboles marchitos
Si los caballos corren debe ser paralelo a nuestro llanto
Si los espejos trabajan en el abismo,
Debe ser paralelo a ese soplo que amarra a todas las estatuas
Y las conduce a implorar esa sal quemada
Instruye los vasos, oh mar, con tu ley parpadeante
Sólo en tus olas, se ramifican los enigmas, se alimentan los simulacros con párpados
Así está preconcebido, tal como el sueño es la humedad de dios
Así está preconcebido, tal como el cielo se besa a sí mismo dentro de los espejos
De los cuales salen las águilas con la cabeza sumergida en un pozo,
Vuelan así, simulando ser esas estatuas que le hicieron cuatro pechos a la luz,
Los cuatro pechos que van levantándose en el mar,
Más, hay un anillo sediento rodando por la tierra
De pozo a espejo hay una donación furiosa
Quién no ha puesto su oído en algún pozo o espejo
Para saber cómo los dioses persiguen aquella rueda milagrosa
Ella agita su cabellera de llaves, y por imitarle la oveja amarrada al parrón
Se suelta y lo derrumba y huye con un círculo innominado en la piel
Amanecer a tu lado sólo se iguala a reconstruir una fuente con nuestras bocas
Huimos lejos sobre nuestros caballos, pero tropezamos con el rayo
Y para no volver a tropezar con él
Fortalecemos aquello que entra por las estrellas y sale por las heridas,
Con llamas que parecen crucigramas, ahí en plena noche
Dos armaduras abrazadas son atraídas por la rueda milagrosa
La noche ya ha sido medida
La desnudez de los muertos es propiedad de la niebla
Un movimiento de mares y cielos innominan aun más al círculo
Las ovejas agónicas tragan llamas que parecen crucigramas
Son amarradas, y colgadas nuevamente a los parrones
Y lanzadas con parrones y todo al acantilado
Para que el círculo innominado sea ahondado, para que se abriera y cerrara
Sin necesidad de un movimiento de mares y de cielos, así sólo
Y qué se puede traer desde la propia ceguera,
Sino agua, agua que nos protege de los espacios inexistentes
Donde las ovejas corren libres de casta y de sacrificios amarillos
Y no existe nadie que con gritos de loca las amarre al parrón
Entonces bajamos y en cajas de terciopelo guardamos los pedazos de aquellas ovejas
Y los pusimos al pie de los espejos encadenados
Donde te mirabas cada vez que regresabas de un viaje en barco
Guardamos los pedazos de aquellas ovejas en cajas de terciopelo
Para que constara nuestra donación
Es la hora de sacar esas cavernas de las cruces
Ponerles el manto encima, un beso de jinete elástico que las haga
Subirse al balancín para comprobar la separación de los cielos y los mares
Su desangramiento es donación a un espacio inexistente
Aunque armaduras y algas se vuelvan un solo cautiverio
Tu ombligo es aprendiz de brujo, cuando aparecen diez o cien o más pozos rodeándote
Toda cárcel arterial yace de paso en los infiernos
Esperando que ese anillo vuelva a empujarla de nuevo
Tú lo sabes, después de cometer la donación más furiosa
Ese trabajo de espejo es equivalente a ese anillo que te hizo entrar a la cárcel arterial
Esperando, sólo esperando que el pozo sea llevado por el mar,
Que se rebalse con la desnudez de los muertos
Y que aquella que tiene cabellera de llaves hunda sus uñas en las estrellas
Porque su cuerpo será de una sola vez ese altar de niebla
Donde llegarán sin piedad los fuegos y las aguas a cumplir con cuatro nacimientos.

VINGT-QUATRIÈME ANNONCE

À Angye Gaona

« Ô tant de cendre, versée par la cendre satanique »
                                                                                      Winett de Rokha

Tu places des miroirs au-dessus des puits
Pour éprouver la soif de tes quatre naissances
Dès à présent les roues sont les seules alliées de la nuit
Souviens-t’en, c’est cette fête qui flétrit les arbres
Tes quatre naissances viennent à travers le ciel
Tu as plongé ta tête dans les puits
Il y a une caverne crucifiée, qui saigne car c’est une armure
Tu es sous un ciel qui trouble les miroirs
Par tes mains montent quatre naissances
Tu dors sur les miroirs, tu pars avec une armure propager un calvaire d’algues
Tu as extirpé ta tête des puits
Tu t’es éveillé à côté de quelqu’un qui a une chevelure de clés
Tu l’as connue à cette fête-là
Sous des astres qui jour et nuit trafiquent avec la nudité des morts
Ô soif, instruis les vases, car les miroirs travaillent dans chaque abîme,
De là, quatre naissances sortent rapidement de l’eau
Les vases adorent la mort
Elle, celle à la chevelure de clés attend d’être emportée par la mer,
Attend d’être acceptée par la roue miraculeuse tel un ange et sa fortune de fourmis
Chaque matin la mer peigne sa chevelure de clés
C’est sûr que ces pierres naissent après qu’un ange s’est éteint
Tu dois dormir sur elles, caresse-les, sens comme elles couvrent pour continuer à faire partie du cercle
Tu dois avoir des racines de tourmente, de celles où tous les rites sont un
Ou sinon tu ne sauras jamais dans quelle terre ensevelir ceux qui ne sont pas de ce monde
Ou rien qu’un mouvement de mers et de cieux fait de nous des cavaliers élastiques
Prêts à te voir flotter sous la mer, où ton nombril est un apprenti sorcier
Il faut garder un peu de sel brûlé,
Pour le moment où le lever du jour exhalera ces statues
Je pars propager un calvaire d’algues
La roue miraculeuse mesure la nuit.
Il est temps que mon anneau établisse un parallèle avec ta geôle artérielle
Tu me le demandes, couvrant ton visage de tissus et de sel brûlé.
Dormant sur ces pierres
Flottant sous la mer ou bien divaguant entre les arbres flétris
Si les chevaux courent, il faut que ce soit en parallèle à nos pleurs
Si les miroirs travaillent dans l’abîme,
Il faut que ce soit en parallèle à ce souffle qui attache toutes les statues
Et les conduit à implorer ce sel brûlé
Instruis les vases, ô mer, de ta loi qui bat des paupières
Dans tes vagues seulement, se ramifient les énigmes, se nourrissent les simulacres avec des paupières
Ainsi est-il préétabli, comme le rêve est l’humidité de dieu
Ainsi est-il préétabli, comme le ciel s’embrasse soi-même dans les miroirs
D’où sortent les aigles la tête immergée dans un puits,
Volant ainsi, feignant d’être ces statues qui ont fait quatre seins à la lumière,
Les quatre seins qui se lèvent dans la mer,
Et plus, il y a un anneau assoiffé roulant sur la terre
Du puits vers miroir il y a un don furieux
Qui n’a pas placé son oreille sur un puits ou sur un miroir
Pour savoir comment les dieux suivent la roue miraculeuse
Elle agite sa chevelure de clés, et pour l’imiter la brebis attachée à la treille
Se délivre et la renverse et fuit avec un cercle innommé sur la peau
S’éveiller à tes côtés vaut reconstruire une fontaine avec nos bouches
Nous fuyons loin sur nos chevaux, mais nous butons sur l’éclair
Et pour ne pas buter encore sur lui
Nous fortifions ce qui entre par les étoiles et ressort par les blessures,
Avec des flammes qui semblent des mots croisés, là, en pleine nuit
Deux armures enlacées sont attirées par la roue miraculeuse
La nuit a déjà été mesurée
La nudité des morts est propriété du brouillard
Un mouvement de mers et de cieux innomment encore plus le cercle
Les brebis agonisantes avalent des flammes qui semblent des mots croisés
Elles sont attachées, et de nouveau pendues aux treilles
Et jetées contre la falaise avec les treilles et le reste
Pour que le cercle innomé soit approfondi, pour qu’il se soit ouvert et fermé
Sans qu’il faille un mouvement de mers et de cieux, rien que cela
Et que peut-on tirer de son propre aveuglement,
Sinon l’eau, l’eau qui nous protège des espaces inexistants
Où les brebis courent affranchies des castes et des sacrifices jaunes
Où il n’existe personne qui avec des cris de folle les attache à la treille
Alors nous descendîmes et dans des boîtes de velours nous rangeâmes les morceaux de ces brebis
Et les plaçâmes au pied des miroirs enchaînés
Où tu te regardais chaque fois que tu revenais d’un voyage en bateau
Nous rangeâmes les morceaux de ces brebis dans des boîtes de velours
Pour attester de notre don
L’heure est venue d’ôter ces cavernes des croix
De les envelopper d’un manteau, un baiser de cavalier élastique qui les fasse
Monter sur la balançoire¹ pour constater la séparation des cieux et des mers
Son saignement est un don à un espace inexistant
Même si des armures et des algues deviennent une seule captivité
Ton nombril est un apprenti sorcier, quand surgissent dix ou cent ou davantage de puits qui t’entourent
Toute geôle artérielle gît de passage dans les enfers
Dans l’espoir que cet anneau revienne la pousser de nouveau
Tu le sais, après avoir commis le don le plus furieux
Ce travail de miroir est l’équivalent de cet anneau qui t’a fait entrer dans la geôle artérielle
En attendant, en attendant seulement que le puits soit emporté par la mer,
Qu’il déborde de la nudité des morts
Et que celle à la chevelure de clés enfonce ses ongles dans les étoiles
Parce que son corps sera d’un seul coup cet autel de brouillard
Où arriveront sans pitié les feux et les eaux pour s’acquitter de quatre naissances.

Traduction de Pedro Vianna
pour La Voix des Autres (revue de poésie)

¹ Dans l’original, il s’agit, sans doute possible du “jeu de bascule” dit aussi “tapecul” (en espagnol : balancín), où deux personnes sont impliquées et non de la balançoire (en espagnol : columpio) au sens strict, où l’on est seul.

 

SOIXANTIÈME ANNONCE

  À la mémoire de Cecilia González Robles

   "On a brisé le miroir au visage outremer" 

                                                                Roberto Yáñez           

 

J'ai peur de mes propres échos
Le froid abîme les roues du souffle
L'incompris de l'espace effeuille la lumière
Seuls les enfants possèdent les roues du souffle
Ils fuient le froid comme des épis nasaux
Que personne ne me réponde en retour
Il y a des pleurs de pierre sur le néant
Je tombe par peur de mes propres échos
Passent les saisons, passent les lueurs
Je veux remonter vers le monde avec les roues du souffle
Connaître à nouveau cette nuit
Pendant laquelle les grillons sont géants
Les ceintures se brisent en océans
Notre murmure tombe près des pleurs de pierre
Les années ne sont pas suspendues à nous, mais aux arbres
Nous sommes devenus souterrains à cause de nos propres échos
Nous nous sommes ôté un peu de glaise
Et nous te voyons apparaître sous ce palmier stigmatisé
Nous savons alors
Quel sabot galope sur cet incendie
Quel scorbut de ballerine parcourt au galop les satellites
Tu apparais ici, juste sous ce palmier stigmatisé
Quand ce qui est semé au ciel se récolte dans la voracité du sang lui-même
Tu apparais ici et des pleurs de pierre se déversent sur le néant
Le palmier stigmatisé se dessèche et devient un balai
Avec lequel jadis on balayait les restes de toute stigmatisation
Toi, tu montes par cet escalier de griffes
Pendant que les poissons attachent l'ouragan à ta tête
On ne t'a pas encore sorti ta robe de fête
C'est pourquoi un scorbut de ballerine parcourt au galop les satellites
C'est pourquoi un père de cendre joue du piano chaque nuit
Et laisse s'égoutter la cendre dans le piano
Pour l'accorder selon le murmure des grillons qui, la nuit, sont géants
Nous devînmes voraces à cause de ces ceintures qui se brisent en océans
Nous avons peur de nos propres échos
C'est pourquoi toutes les navigations voguent au souffle du sang
Des pleurs de pierre se sont déversés sur le néant
D'où viennent ces pleurs de pierre
Si ce n'est du pétale qu'est la nuit sur une seule morte
Devant ce pétale nous serrons les lèvres
Devant ce pétale les substances reculent
Devant ce pétale il n'y a pas d'anges vacants,
Il étreint le père de cendre, les grillons cesseront d'être géants
Je deviens souterrain pour mes propres échos
Je ne veux pas remonter vers le monde
Car les limites des choses veulent se suicider
Et l'horizon doit se fondre avec la terre
Car nous ne savons pas de quelle séparation viennent les rivières
Les lueurs se sont enflées comme des fantômes de glaise
Les épis nasaux font des rondes comme des enfants pour éviter le froid
Font des rondes devant les roues du souffle
Tu apparais ici et la lumière s'effeuille
Et des pleurs de pierre se déversent chaque nuit.

   Traduction du castillan (Chili) : Denise Peyroche

 

QUATRE VINGTIÈME ANNONCE

   À la mémoire de Patricio Valera
  

"Avant que ne tombe la nuit complète nous étudierons les taches sur le mur:
   Certaines semblent des plantes, d'autres des animaux mythologiques"

                                                                                                                            Nicanor Parra

 

Les augures tombent avec un parachute de paupières
Sur la poussière qui ne doit plus être réveillée chaque matin
Elles font un pas explosif qui nourrit les pierres tombales
Un rythme arachnéen hiverne dans nos syllabes
Quelque chose nous regarde de l'intérieur et ce n'est pas de la poussière
Car la poussière a déjà fait son ultime voyage
C'est quelque chose qui vient tel un volume quelconque
De ce ciel empêtré dans tant de dieux
Tel un volume quelconque depuis que nous avons emplumé l’anonymat
Les modistes tirent le meilleur parti de cette détention du rayon vestibulaire
Des machines renversées frappent le ciel
Dieu emporte sur son dos toute cette brume
Les augures tombent avec des parachutes de paupières
On leur a offert des porte-avions de quartz
On leur a offert les machines renversées où notre âme est vue avant notre             [naissance
Eux, ils ont commandé aux modistes un parachute de paupières
Elles, qui ont tiré le meilleur parti de cette détention du rayon vestibulaire
Ont exécuté la commande
Et voilà que les augures tombent
Sur cette poussière qui n'est pas ce qui nous regarde de l'intérieur
Ce ne sont pas les restes du jour qui frappent le ciel
Portés ensuite par les machines renversées dans une décharge
Oh vibration sans ciel,
Les cieux sont issus de cette beauté
Quelque chose nous regarde de l'intérieur et ce n'est pas de la poussière
Ce n'est pas non plus cette pureté qui ne s'est pas encore habituée à son arc
La poussière ne doit plus être réveillée chaque matin
Les augures s'approchent maintenant avec leur parachute de paupières
Une fois encore le travail des modistes est impeccable
Voyez comme ils planent dans l'air
Voyez le rythme arachnéen hivernant dans nos syllabes
Il se fait tard déjà et l'on doit montrer si les abîmes furent légitimes pour la nuit
On leur a offert un porte-avions de quartz  qu'ils pouvaient parfaitement porter              [en guise de ceinturons
Et planer aussi avec eux
Aujourd'hui c'est une tanière de machine renversée à l'intérieur des arbres
Gardons le silence
Nos âmes vont dévorer les arbres
Puis nous boirons à cette coupe de gros nuages où notre présence préserve du               [zèle des huiles
Préserve des expulsions et des disparitions
Nous boirons à cette coupe de gros nuages qui noircissent plus encore pour que               [nous buvions
Nous boirons tandis que les visages pleurent et ces larmes aussi nous les buvons
Ô dieu toute cette brume que tu portes sur ton dos
Pourquoi cet éclat veut-il  sacrifier à la mer?
Dieu tu portes sur ton dos toute cette brume et cette brume court sur ce qui ne              [peut pas te blesser
Regarde nos machines renversées dans une tanière à l'intérieur des arbres
Regarde les augures tombant avec leurs parachutes de paupières
Sur cette poussière qui ce matin ne devra pas être réveillée
Les pierres tombales nourries de pas explosifs
Qui sait pourquoi je pose des feuilles mortes sur toutes les syllabes
Je ne puis extraire tout le rythme arachnéen qui en elles hiverne
Je ne puis t'extraire de tout ce dans quoi tu as plongé, je ne puis laisser cette
   [ombre épouvanter toute histoire
N'importe quel volume vient de ce ciel, oh ce ciel empêtré dans tant de dieux
Oh modistes, vous pouvez faire quelque chose de ce volume
Dans la mesure du possible quelque chose de semblable à ce parachute de paupières
  [que vous avez impeccablement fabriqué pour ces augures
Vous qui avez tiré le meilleur parti de cette détention de rayon vestibulaire
Dites-moi quel prix vous demanderez et pour quand ce pourrait-il être prêt
N'attendez pas que ces machines renversées cessent de se retirer à l'intérieur des                [arbres
Ni que les augures foulent la poussière, ni qu'ils nourrissent des pierres tombales              [de leurs pas explosifs
Je ne veux pas finir en portant une telle brume sur mes épaules
Je ne veux pas de ces restes du jour qui frappent le ciel en demandant à dieu de
   [se blesser où il ne peut se blesser
Ni en me mettant des porte-avions de quartz pour le retour des machines               [renversées
Ni en emplumant l’anonymat
Ni en regardant de l'intérieur sans savoir
Si je suis poussière qu'on ne réveillera pas ce matin
Ou son dernier voyage.

     Rodrigo Verduro Pizzaro
     Traduction du castillan (Chili) pour La Voix des Autres : Denise Peyroche

 

La Voix des Autres, revue de poésie fondée en 2004 par André Chenet, regroupe des poètes et artistes provenant d'horizons très diversifiés, tous reliés par la puissance du désir d'ouvrir des chemins fraternels et de réduire la béance qui sépare la vie quotidienne des aspirations humaines les plus émancipatrices. Le Cahier Central du numéro 5 daté du 21 mars 2012 est dédié à la poète surréaliste colombienne Angye Gaona qui a été incarcérée pour avoir dénoncé le régime de la terreur et les crimes contre les droits humains dans son propre pays. Parmi les auteurs invités à participer à ce numéro très dense: Nadine Lefebure (qui fut une des fondatrices de la revue clandestine surréaliste La Main à Plume, en 1940), Mahmoud Darwich (nouvelles traductions de Kader Rabia), Rodrigo Verdugo Pizarro (Chili), Jean Pierre Faye, Emmanuelle K., Albert Anor (Suisse), Ernest Pépin (Guadeloupe), Cristina Castello (Argentine), Jean-Michel Sananès, Alda Merini (Italie), Kader Rabia (Kabylie), Ghyslaine Leloup ... Le n° 7 paraîtra en octobre 2014. Un numéro spécial en hommage à Jean-Michel Fossey et à sa revue HORS JEU est en cours d'édition et sera publié, selon les dernières volontés et indications de Jean-Michel qui, se sachant condamner par sa maladie, sous la forme d'une anthologie concentrant ce qu'il jugeait de meilleur parmi les soixante numéros qui ont vu le jour, entre Charybde et Scylla  entre 1989 et 2009.
La revue en ligne DANGER POÉSIE tient lieu de relais et de creuset aléatoire de création à la revue imprimée.

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