“J’attends de voir si la nuit sera poreuse.
Pour percer le secret, je danse sur le revers de la croûte terrestre, je sens la cohérence de l’ensemble aléatoire, j’émerge tel un pantin noueux du tissu brumeux de la naissance. J’ai vu tout ce qu’embrassait mon regard poussé depuis le genou légèrement plié, où l’impulsion bondit en moi.
Je suis celle que l’on sait, connue des miens et seule parmi les autres.”
Est-ce pour cela, chère Christine Guinard, cette présence depuis maintenant des années, parce que toutes deux attendons de voir le revers des lunes ? Est-ce pour ce poème liminaire de Sténopé que j’écris, aussi, ces quelques mots vers vous, comme autrefois, quelques lignes, où je vous remercie, aussi, pour m’avoir emmenée là au creux de votre écriture.
Voir, regarder voir, dans les images du poème, dans le miroir de la langue, si on peut révéler un sens, quel qu’il soit… Est-ce ceci ?
Nous n’approchons pas le secret de la nuit,
nous demeurons
à la lisière,
contenus depuis toujours, retenus par la pudeur,
nous mêlons notre absence singulière.

Christine Guinard, Sténopé, éditions Unicité, 2019, 47 pages, 12 €.
Vous convoquez les images, les couleurs, vous parlez des mots de couleur. L’épigraphe d’œuvre fait écho au titre de votre recueil :
Personne ne soutiendra que ce qui échappe au regard est du ressort
du peintre, car le peintre ne travaille à imiter que ce qui se voit sous la lumière.L.B. Alberti, De pictura, Livre I.
Peintre, architecte, mathématicien, et poète de la Renaissance, Alberti est une référence forte, qui évoque le caractère polymorphe de l’art, et pose plus exactement la question de la représentation. C’est ici le point focal, de bascule, de mouvement aller-retour et vice versa. La mémoire, l’enfance à maintes reprises appelée, est là dans des images impossibles, dans le langage impossible, dans l’attente, cessation de tout mouvement, dans l’espoir de la révélation :
Il y a un jour, il y a une nuit
il y a un soir, il y a un matin.
J’attends.…
J’attends en silence, je cache le corps, le mot, le sens,
j’émulsionne l’apparence et repliée sur le siège les pieds sous
les genoux, le nez en l’air depuis toujours, j’ai tout vu tout de
suite, j’entends, les odeurs me transportent, et j’attends.J’attends de chanter le chaos en moi, qui s’ordonne chaque
fois timbré, vecteur puissant, mais pour qui, et vers où, alors
j’attends.
Allusion biblique en ouverture de votre poème en prose de clausule qui répond à celui qui ouvre le recueil. Vous attendez le miracle, la révélation, depuis l’enfance, disparue, même des images, même des couleurs, qui ne sont plus nulle part, et l’enfant de vous que vous guettez encore, que vous connaissez pourtant depuis toujours. Est-il là dans les couleurs des aplats visuels dont vous ponctuez tous vos poèmes, avec la présence de ces champs lexicaux du regard, des couleurs, dans vos vers qui forment des plages presque descriptives, épaisses, et qui emportent l’imaginaire des lecteurs dans ce monde disparu, celui des souvenirs ? Dans ce syncrétisme artistique, est-ce là que serait autrefois et maintenant unifiés, l’éternité hors de l’éternité ?
Sténopé est ces pages qui interrogent la puissance de l’art, qui demande comme prière qu’il soit quelque part un jour offert le moment qui serait l’espace de tous les instants. Là, dans les couleurs, le paysage qui est ceci, et les mots, les bruits, pour voir, toucher, retrouver aujourd’hui seulement qui les offrirait tous intacts comme une globalité de temps parfait dans le reflet du naufrage du temps, et dans l’impossibilité du langage.
J’ai vu sur la digue le violet du ciel jusqu’à l’eau irisée par le
sel au grain de peau des roches noires / j’ai vu la lune si petite
/ me dire / qu’il n’est jamais trop tard /
Sténopé est ce recueil, aussi, qui tente le cri, toujours, encore, face à ceux qui sont exclus, jetés, rejetés, frères, sœurs, de ce territoire dont nous sommes un peu vous et moi, tous, de cette humanité qui s’oublie.
Marche à toute force, pied à pied sentir au talon le chasse de nous et de
vous qui suit tenace, marche loin sur la ligne courbe,
le chemin pierreux des champs plans puis des monts, traverse ce
que tu peux puis franchis, dépasse, transgresse, exile marche à toute
force
…
… tu deviens ce croisement des
forces poussé par la terreur, fuir, plus loin, où tu parviendras
sans doute ne sera pas assez, juste le temps de reprendre souffle,
de vivre mais enfin, où tu parviendras ne sera pas un lieu, ne
sera pas un toit, sera l’éphémère étoilé qui te gardera peut-être
des vents et des feux
Que peut la parole, et les livres comment étouffent-ils toujours ce cri ? Comment dire montrer parler ce monde qui ne va pas, c’est aussi ceci qui est dans les pages de votre recueil, depuis toujours déjà, en vous, qui êtes comme moi de celles qui attendent.
elle attend de toucher, viser les mille choses
se dérobent
les choses n’existent pas
ou c’est la main
elle-même
ou le bras
qui n’appartient pas
qui n’est qu’un autre bras
le bras d’un autre
le bras de celle
qui fait semblant d’être
le bras fragile encore vivant
se dit vivant
vivant s’agrippe aux choses
dérape
c’est le bras d’une autre
qui dérape
le mien n’a pas bougé
solide, fiable
arrimé à l’épaule
ne bougera pas
C’est peut-être pour cela, la poésie.
Présentation de l’auteur

- Jean-Louis Bergère, un chanteur dans le silence - 5 janvier 2021
- Jeanne davy, miroir des femmes du jazz - 5 janvier 2021
- Le féminin pluriel de l’Atelier de l’Agneau - 5 janvier 2021
- L’eau bleue du poème de Béatrice Marchal - 21 décembre 2020
- Sabine Venaruzzo, Et maintenant, j’attends - 6 décembre 2020
- Muriel Augry, Ne me dérêve pas - 26 novembre 2020
- Eva-Maria Berg, Pour la lumière dans l’espace, illustrations de Matthieu Louvier - 6 novembre 2020
- La petite Ficelle ombilicale du Poème - 6 novembre 2020
- « États généraux permanents » de l’urgence : entretien avec Yves Boudier et Vincent Gimeno-Pons - 6 novembre 2020
- Des liens de liens : Poésie à la une - 6 novembre 2020
- Davide Napoli, Le Lapsus de l’ombre - 6 octobre 2020
- Christine Guinard, Sténopé - 21 septembre 2020
- Pile ou face ou la contingence révélatrice - 6 septembre 2020
- Diérèse n°78 : Poésie et Littérature ! - 6 septembre 2020
- Georges de Rivas, La beauté Eurydice, Sept Chants pour le Retour d’Eurydice - 6 juin 2020
- Anthologie Le Courage des vivants - 21 mai 2020
- Daniel Ziv, Ce n’est rien que des mots sur les Poèmes du vide. - 6 mai 2020
- Les Ailes Ardentes de Rodrigo Ramis - 6 mai 2020
- Des revues numériques à la page - 6 mai 2020
- Les Cahiers littéraires des Hommes sans épaules - 6 mai 2020
- Mouvements pour un décollage dans les étincelles - 2 mai 2020
- Marc Tison, L’Affolement des courbes - 21 avril 2020
- Bruno Doucey, Terre de femmes, 150 ans de poésie féminine en Haïti - 6 avril 2020
- Barry Wallenstein, Tony’s blues, textes choisis et traduits par Marilyne Bertoncini, gravures Hélène Bautista - 21 mars 2020
- Ilse au bout du monde - 6 mars 2020
- Marilyne Bertoncini, La Noyée d’Onagawa - 6 mars 2020
- Entre les lignes entre les mots - 6 mars 2020
- Les Chroniques du Çà et là n°16 : Poèmes au féminin - 6 mars 2020
- Philippe Thireau, Melancholia - 26 février 2020
- Le chant du Cygne n’est pas pour demain - 5 février 2020
- Encres vives n°492, Claire Légat : Poésie des limites et limites de la poésie - 5 janvier 2020
- Traversées poétiques - 5 janvier 2020
- Marc Alyn & Nohad Salameh, Ma menthe à l’aube mon amante, correspondance amoureuse - 6 décembre 2019
- Oxmo Puccino, Mines de cristal - 6 novembre 2019
- Wanda Mihuleac et Alain Snyers, Roumpfs - 6 novembre 2019
- Gérard Baste : Plus rien à dire ? - 6 novembre 2019
- Revue Texture, encore un peu de lui : Michel Baglin - 6 septembre 2019
- La lettre sous le bruit n°45 : hommage à Rémy Durand - 6 septembre 2019
- Eric Dubois, L’Homme qui entendait des voix - 6 septembre 2019
- Murielle Compère-Demarcy, Alchimiste du soleil pulvérisé - 1 septembre 2019
- Rencontre avec Saleh Diab - 6 juillet 2019
- Nohad Salameh, Le Livre de Lilith - 6 juillet 2019
- Un papillon dans ma boîte aux lettres : Libelle - 4 juin 2019
- Revue Nu(e) N°69 - 4 juin 2019
- Entretien avec Philippe Barrot - 4 juin 2019
- Philippe Thireau, Je te massacrerai mon coeur - 4 juin 2019
- Lichen, premier signe de vie à revenir… - 4 mai 2019
- Marc Alyn, T’ang Hayden, T’ang l’obscur, Mémorial de l’encre - 4 mai 2019
- “Face aux verrous”, les étudiants du Master de Lettres Modernes de L’Université de Caen - 4 mai 2019
- Rencontre avec Marc Tison - 4 avril 2019
- Editions Wallâda, la princesse rebelle - 4 avril 2019
- Jean-Marc Barrier, l’autre versant de la montagne - 4 avril 2019
- La quatrième dimension du signe - 4 avril 2019
- Pourquoi viens-tu si tard, enfin ! - 29 mars 2019
- L’intranquille de printemps… - 28 mars 2019
- Le Manoir disparu : entretien avec Maggy de Coster - 3 mars 2019
- Marc Tison, Des nuits au mixer - 3 mars 2019
- Revue Teste XXX : Véhicule anonyme - 3 février 2019
- Entretien avec Alain Brissiaud : le présent de la Poésie - 3 février 2019
- Rencontre avec Angèle Paoli - 3 février 2019
- Florilège 2018 des Editions Tarmac : l’Art comme Copeaux contre la barbarie. - 3 février 2019
- Revue L’Hôte - 4 janvier 2019
- Les anthologies à entête des Hommes sans Épaules - 4 janvier 2019
- Poésie syrienne, Mon corps est mon pays - 4 décembre 2018
- Les Langues de Christine Durif-Bruckert - 3 décembre 2018
- L’Intranquille - 3 décembre 2018
- Lettre à Guillaume Apollinaire - 5 novembre 2018
- Gwen Garnier-Duguy, Alphabétique d’aujourd’hui - 5 novembre 2018
- Richard Soudée : deux Lys sur le balcon - 5 novembre 2018
- Les Oeuvres poétiques de Dominique Sampiero - 5 octobre 2018
- Rencontre avec un poète : Dominique Sampiero - 5 octobre 2018
- Revue Florilège - 5 octobre 2018
- Morceaux choisis de La Boucherie littéraire - 4 septembre 2018
- Questions à Claude Ber - 4 septembre 2018
- La Caraïbe aux visages d’Evelyne Chicout - 5 juillet 2018
- Le Jeu d’Inéma - 5 juillet 2018
- Jean-Luc Despax, Mozart s’est échappé - 3 juin 2018
- Eric Dubois, un chemin de vie plus qu’un parcours - 3 juin 2018
- Le Trans-Art…et après ? - 3 juin 2018
- Editions Tinbad : l’horizon d’un futur poétique - 5 mai 2018
- Jacques Ancet, Quelque chose comme un cri - 5 mai 2018
- Les Hommes sans Epaules : poésie chilienne. - 5 mai 2018
- Vincent Motard-Avargues, Tant de silences… - 6 avril 2018
- Un Festival Permanent des Mots : entretien avec Jean-Claude Goiri - 6 avril 2018
- Revue Estuaire, N° 165 - 1 mars 2018
- Christophe Bregaint, A l’avant garde des ruines - 1 mars 2018
- Christine Guinard : du corps transitoire de la poésie - 1 mars 2018
- Entretien avec Jean-Jacques Tachdjian - 26 janvier 2018
- Chroniques du çà et là, N°12 - 26 janvier 2018
- Les Hommes sans épaules - 27 novembre 2017
- France Burghelle Rey, Petite anthologie, Confiance, Patiences, Les Tesselles du jour - 2 octobre 2017
- Alain Brissiaud, Jusqu’au cœur - 30 septembre 2017
- Alain Marc, Poésies non hallucinées - 30 septembre 2017
- Claude PÉLIEU, New poems & sketches, par Alain Brissiaud - 1 juillet 2017
- Quand les morts apparaissent dans les rêves - 30 juin 2017
- LE CAPITAL DES MOTS a dix ans : entretien avec Eric Dubois - 1 mars 2017
- Rodolfo Alonso, à paraître chez PO&PSY - 23 novembre 2016
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- Fil de lecture de Carole Mesrobian : Autour de Tristan Felix, Laura Vazquez, France Burghelle Rey, Collectif de l’Atelier du Bocage. - 18 novembre 2015