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Christophe Bregaint, A l’avant garde des ruines

Un recueil léger, aérien, de belle allure, avec un portrait de l’auteur en couverture. A l’avant garde des ruines dessine son petit volume sur fond blanc, accompagné de cet horizon d’attente, annoncé par le sous titrage qui classe in médias res les textes dans la catégorie « Poésie ».

Le lecteur ne sera pas déçu. Rares sont encore les poètes qui, en si peu de mots, déploient tant de puissance évocatoire, de landes aux horizons des terrains vagues, de paysages où se perdre devient suivre une errance qui sanctifie le passage du Styx.

 

Hors de la lueur

Le paysage s’ouvre
Sur
Un échantillon de mort

Se referme
Sur les lointains

L’enfer
Répète des oraisons

Tu renais
En lui 

Christophe Bregaint , A l’avant-garde des ruines, Editons du Pont de l’Europe, 2017, 65 pages, 10 €.

Christophe Bregaint , A l’avant-garde des ruines, Éditions du Pont de l’Europe, 2017, 65 pages, 10 €.

Agencées tel un espace scénique au décor minimaliste, les pages immaculées offrent aux quelques mots parsemés, justifiés à gauche, une étendue de silence. Pour être rares, les mots qui composent les vers de Christophe Brégaint n’en sont pas moins puissants…Le texte liminaire, comme les autres, sème quelques phrases qui trament avec l’espace scriptural de la page l’architecture totémique du poème :

 Aride
Au bout
De la route
L’imposture
Des feux
Dans
Sa gorge
Grise


Comme
D’autres

A contresens

De ta frêle nacelle
Tu y vas tomber 

Le ton est offert dès l’abord. Se regardant voir, le poète se dévoile sans pour autant céder aux facilités d’un lyrisme pesant. La mise à distance permise par le pronom personnel de la deuxième personne du singulier aide, certes, à porter cette réflexivité du regard. Mais ce dispositif est également soutenu par l’emploi d’un lexique riche, sans pour autant être précieux. Des mots percutants, des jeux avec les heurts des syllabes, la place de ces quelques substantifs déposés comme on appose des petits coups de ciseaux à un marbre. L’objet sculpté y est parfait, rien ne vient en ternir la puissance, et l’ensemble forme un univers où le cri n’a jamais été aussi mesuré, étouffé, tout en déployant autant de puissance.

Que vienne
Le dépit
Tu lui donneras
Quelques munitions
S’il n’en a plus
Suffisamment
Puisque
Tu ne comptes plus
Leur nombre
Tout au long
De tes jours et
De tes nuits
En sentinelle
Exposée
Au souffle
Du chaos

Confessions d’un être qui unit ses tentatives d’affronter l’indicible au groupe humain, en une fraternité énoncée par le pronom de troisième personne « on ». La promptitude ne brusque pas la mesure du texte, au contraire, elle en dévoile l’intensité, dans une avancée vers l’imparable chute. Car n’oublions pas l’engagement de Christophe Brégaint, militant de toujours, qui agit sans compter lorsqu’il s’agit de soutenir l’association Action Froid. Il est en effet l’initiateur, aux côtés d’Eléonore Jame, d’une anthologie qui réunit 107 auteurs, Dehors, recueil sans abri, dont le parrain est Xavier Emmanuelli. Alors, l’absurdité de la misère, toujours et encore si prégnante pour tant de nos frères en ce monde, il la côtoie, il la mesure, il la sent, palpe et jouxte. Cette problématique soutient l’architecture sémantique de nombre de ses textes.

 Le silence
Une chimère
Vous apporte
Toute l’horreur
Du monde

Celle-ci

Fleurira sur
Tous
Les bonheurs
Les sourires
Les amours
Les paix
Un passé

Devenu énigme

Un lexique sans dissimulation et pourtant dans sa ténuité, dans sa nudité, ce poème énonce la globalité de nos échecs, ce « passé devenu énigme », puisque tout perdure, la misère et les guerres. Comme un éclat pur de cristal, ici enclos, le cri, à nouveau, mais, celui-ci, transpersonnel, pour l’humain. Et puis, cet horizon clos, puisque tout perdure.

Christophe Brégaint parle le langage d’une humanité aboutie, puisque c’est «  Cet invisible serpentant Au milieu D’un ciel qui Craque » qu’il appelle, en si peu de traces écrites, sous l’impuissance de la parole. Politique avant d’être lyrique, ce cri n’est autre que celui de nos semblables. Ainsi offrons lui le privilège des dernières lignes de ces quelques propos qui, je l’espère, rendront hommage au recueil, aussi bien qu’au poète, discret et engagé :

Il y a une colonne d’ombres
Silencieuses
Dans l’écran plasma
De nos lumières

Leurs mains tracent
Des mystères
A même la terre
Couverte du sang des anciens

Sur la cordillère des Andes

Marchent les orphelins de Cusco
Ayant pour toute possession
Le creux des bras immenses
Du soleil

 

 

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