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Chronique du veilleur (38) : Jacques Robinet

 Jacques Robinet a publié plusieurs livres de poèmes aux éditions La Tête à l’envers. En 2018, les éditions La Coopérative ont fait paraître son récit autobiographique, Un si grand silence, bouleversante évocation de la figure maternelle et du parcours d’existence de ce prêtre psychanalyste, ami de Julien Green.

Les qualités de son écriture, sensible et très maîtrisée à la fois, éclataient dans ces pages de prose, d’une exigence bien rare en notre époque. Sans aucune complaisance, sans autre ligne directrice que la recherche inlassablement reprise de la vérité de l’être.

La monnaie des jours, qui vient de paraître, me semble réunir en un volume toutes ces remarquables qualités. « Un passé en forme de traces » offre d’abord, en une première partie, un ensemble de poèmes en prose, précédés d’une « lettre à mon dernier analyste ». Ce sont des rencontres, des ambiances, des songeries, qui font penser au promeneur ou au rêveur des crépuscules baudelairiens.

La partie centrale, la plus importante, rassemble des pages de journal des années 2012 à 2019. Le poète dialogue avec lui-même, le croyant s’interroge sur sa foi, sur Dieu et sur la mort. L’écriture du diariste atteint là des sommets, où le feu de l’introspection se confond avec les rougeoiements et les brûlures d’une parole  souvent confrontée au silence.

Ecrire ces choses, remâchées depuis toujours, non pour me convaincre, mais pour atteindre le silence où Son appel me convoque.

Jacques Robinet, Un si grand silence, Editions de la Coopérative, 2018, 148 pages, 18 €.

N’être plus à la fin que cette brebis pantelante qui se rend au berger qui la poursuit. Oh ! les mots, les phrases, l’enchaînement des images, tout cela usé jusqu’à la corde, cet épuisement du langage qui se hâte, honteux, vers sa source, sans jamais la reconnaître, ni renoncer pour autant à sa quête.

Si Dieu vient, que ce soit malgré cette hémorragie du langage qui est maladie humaine. Il faudrait être, à son exemple, un enfant sans paroles pour l’accueillir. Tous nos mots bafouillent, couvrent sa voix qui est silence.

 

Comment ne pas ressentir ici, profondément, cette fièvre, cette lutte avec et contre les mots, pour tâcher d’avancer sur le chemin de lumière ? Jacques Robinet aime ces mots, il avoue : « Je me grise de mots, je le sais. J’ai besoin de mots comme l’oiseau a besoin de graines. Je les rêve, les brode, les charge de mission impossible : dire à ceux que j’aime, morts ou vivants, combien ma vie est riche grâce à eux. » Mais il sait aussi, et il le prouve à chaque page, que la « source endormie » peut jaillir « au détour d’un mot ». La vie de l’âme, suivie en ses doutes, ses contradictions, ses météorologies intérieures, ne cesse d’alimenter ce journal.

 

Jacques Robinet, La Monnaie des jours, Editions de la Coopérative, 2019, 233 pages, 21 €.

Si on devait penser à l’avenir de nos pauvres écrits, nous aurions tôt fait de ramasser nos pelles et nos seaux, avant la prochaine marée. Il faut écrire comme l’enfant joue à capturer la mer, sans  y croire. Si vivre pouvait être occupation ludique, le monde serait moins sinistre. Inutile de rêver ! On écrit le plus souvent pour tenir en respect la crainte et la douleur. Toute création s’efforce de guérir la vie.

 

Le psychanalyste le sait, mais tout aussi bien le chrétien qui veut vivre dans l’amour : parler, écrire, peuvent aider, à condition que tout reste ouvert, que l’on puisse faire confiance au plus simple,  qui est souvent aussi le plus silencieux.

 

L’Inconnaissable nous frôle sans se dévoiler. Il suffit de maintenir la possibilité d’une promesse qui ne se trahit pas. Trop de discours se referment. Comment garder l’ouvert ? Dehors, le silence des arbres qui ruminent la lumière. Ne pas faire procès à Dieu de ses extravagances qui sont l’expression de ce qui déborde nos limites. Revenir à la goutte d’eau qui se perd dans la mer.

 

La dernière partie du livre, « Clartés d’avenir », tente par une autre voie, celle de l’aphorisme, d’atteindre cet « Inconnaissable », et ce sont  alors de fraîches gouttes qui semblent couler de source :

 

                  Ne retiens pas l’oiseau ou la fleur : goûte son chant et son parfum

                                                              *

                 Neige : coup d’archet du silence

                                                              *

                 Ecrire comme on plante des arbres : pour retenir la terre auprès des eaux

 

Cette belle et riche « monnaie des jours », que Jacques Robinet grappille pour nous dans l’espérance, malgré sa hantise de la mort qui vient, malgré toute la cruauté tragique de la vie, nous la recevons comme un véritable trésor, de beauté et d’humanité.