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Chronique du veilleur (45) : René Guy Cadou

D'où vient ce charme très singulier qui envahit le lecteur, dès qu'il ouvre un livre de poèmes de René Guy Cadou ? C'est un chant d'une couleur très rare, souvent mélancolique, sur un timbre un peu voilé, mais c'est aussi une force de vie qui circule, force d'amour pour Hélène, la muse, l'épouse, qui s'étend à toute l'humanité.

Il y avait encore quelques inédits du poète, disparu en 1951, à l'âge de 31 ans. Bruno Doucey nous donne la joie de les découvrir et c'est un véritable événement. Double événement, puisqu'un livre d'inédits d'Hélène Cadou paraît en même temps ( J'ai le soleil à vivre).

Plus de quarante poèmes de René Guy Cadou, réunis sous le titre Et le ciel m'est rendu. Tous les thèmes de son œuvre sont présents : le sens profond de la terre et de la nature, l'attachement à l'enfance, le lien mystérieux du poète et de la poésie, l'amour pour Hélène, qui lui inspire un lyrisme puissant, à l'orée de la légende du parfait amour.

Elle est là mon enfant fragile mon aimée
Toujours penchée vers moi et n'osant pas nommer
L'épaule qui la suit chaque jour dans son rêve
Hélène je dis toi et je pense à des sèves
Printanières à des gazons
Aux passereaux qui font de l'arbre une saison
A la chanson des lavandières
Hélène
On ne peut plus douter de la lumière.

 

René Guy Cadou, Et le ciel m'est rendu, Editions Bruno Doucey, 14 euros.

Mais n'est-ce pas la solitude, dans laquelle le poète médite, écrit, parle à son Dieu, qui est essentiellement à l'origine du charme de cette oeuvre qui paraît naturellement s'écouler du cœur ? On ne sent qu'une sorte d'innocence préservée, une proximité avec les êtres souffrants et la campagne de la Brière où il enseigne, l'atmosphère la plus simple et la plus touchante qui soit.

                 

A la petite porte qui donne sur les champs
Là-bas tout au bout de l'allée
Derrière les ifs
Au fond de la propriété
-La clé en est perdue depuis combien d'années-
Tu m'attendras

 

Et quand il s'agit de regarder vers le ciel, les prières que Cadou adresse à Dieu s'élèvent avec une force mêlée d'intime faiblesse. Le croyant ose écrire, dans le secret, ce qui est déjà une véritable profession de foi, humble et confiante.

 

Que m'importe après tout le sort que vous me réservez
O mon Dieu si je vous ai gauchement aimé
Ne voyez là que  la malfaçon de l'Homme et du Poète
Mais ne doutez plus de ce cœur qui voltige du monde à
Vous comme une alouette.

 

Cette frêle alouette, c'était l'âme de René Guy Cadou, qui heureusement ne nous a jamais quittés, d'une éternelle jeunesse.

 

 

 

Présentation de l’auteur

René Guy Cadou

Fils d’instituteurs, né en 1920 en Loire-Atlantique, René Guy Cadou envoie, dès l’âge de 17 ans, ses poèmes à Max Jacob qui reconnaît aussitôt en lui un poète. Réformé pour cause de santé, il devient instituteur et rencontre Hélène, le grand amour de sa vie, inspiratrice de nombreux recueils. Durant l’Occupation allemande, il ne s’engage pas de façon militante mais ses écrits, notamment le recueil Pleine poitrine,témoignent de son soutien à la Résistance et de son désir de dénoncer la barbarie nazie, par exemple dans les poèmes« Ravensbrück » et « Les Fusillés de Châteaubriant ».

Sa sensibilité littéraire le rapproche de Michel Manoll, Guy Bigot, Jean Bouhier, poètes de « l’École de Rochefort » – dès 1941, divers auteurs se regroupent, en réaction contre la poésie nationale imposée par le Régime de Vichy. Puis, pendant près de vingt ans, quelques 147 ouvrages sont publiés par une trentaine d’écrivains, dont Maurice Fombeure, Jean Follain, Eugène Guillevic. Avec humour, Cadou écrit qu’il s’agit plus d’« une cour de récréation » que d’une école littéraire au sens strict du terme. L’amitié du groupe l’emporte sur les préceptes. Ceux-ci font d’ailleurs la part belle à la liberté de chaque créateur. Pour preuve, la formule de Jean Bouhier, qui résume l’état d’esprit de ces poètes : « Dire leurs poèmes à la face du monde, les mêler aux rythmes de la nature, au bruit des arbres, de l’eau, les mêler à la vie. »

Jusqu’en 1951, année de sa mort prématurée, René Guy Cadou écrit de très nombreux poèmes. Michel Manoll, dans sa belle préface aux Œuvres poétiques complètes de son ami Cadou (éditions Seghers, 1973), en exprime la force sensible : « René Guy Cadou s’est voué à donner voix à tout ce qui participe au concert terrestre, sans en exclure la plus humble psalmodie ou le chuchotement le plus discret. […] En détachant la poésie de toute formule d’école, il l’a ramenée à sa vocation naturelle, qui est celle du chant et de l’effusion. »

Un des vers de René Guy Cadou pourrait être le doux reflet de toute son œuvre : « Le temps qui m’est donné que l’amour le prolonge. » (https://www.reseau-canope.fr/poetes-en-resistance/poetes/rene-guy-cadou/)

© Causeur, Le poète René-Guy Cadou. Capture d'écran Youtube.

Bibliographie

Poésie

  • Brancardiers de l'aube, Les feuillets de l'Ilôt, 1936
  • Forges du vent (Sagesse - 1938)
  • Retour de flamme (Les Cahiers de la Pipe en écume - 1940)
  • Années-lumière (Cahiers de Rochefort - 1941)
  • Morte-saison, René Debresse Éditeur, Paris, 1941
  • Porte d'écume (Proses - Cahiers de Rochefort - 1941)
  • Bruits du cœur (Les Amis de Rochefort - 1942)
  • Lilas du soir (Les Amis de Rochefort - 1942)
  • Amis les Anges (Cahiers de Rochefort - 1943)
  • Grand élan (Les Amis de Rochefort - 1943)
  • La Vie rêvée (Robert Laffont 1944)
  • Les fusillés de Châteaubriant (Seghers 1946)
  • Pleine poitrine (P. Fanlac - 1946)
  • Les Visages de solitude (Les Amis de Rochefort - 1947)
  • Lettre à Jules Supervielle, Éditions Sylvain Chiffoleau, Nantes, 1947)
  • Quatre poèmes d'amour à Hélène (Les Bibliophiles alésiens - 1948)
  • Saint-Antoine et Cie, Éditions Sylvain Chiffoleau, Nantes, 1948)
  • Le Miroir d'Orphée (Gallimard - 1948)
  • Les sept péchés capitaux (1949)
  • Roger Toulouse (P.A.B Alès - 1949)
  • Automne 1957
  • Guy Bigot, Éditions Sylvain Chiffoleau, Nantes, 1949)
  • Art poétique, Éditions Sylvain Chiffoleau, Nantes, 1949)
  • Le Diable et son train (Chez l'auteur - 1949)
  • Cornet d'adieu, Éditions Sylvain Chiffoleau, Nantes, 1949)
  • Moineaux de l'an 1920, Éditions Sylvain Chiffoleau, Nantes, 1950)
  • Avant-printemps (P.A.B. Alès - janvier 1951)
  • Les Biens de ce monde (Pierre Seghers - février 1951)
  • Usage interne (Les Amis de Rochefort - 1951)
  • Hélène ou le Règne Végétal (Pierre Seghers - février 1951)
  • Le Cœur au bond gravure de Roger Toulouse (Jean-Jacques Sergent - 1971)
  • Les Amis d'enfance 1973
  • Ravensbrück (Éditions Seghers - 1973)
  • Hélène (1944)
  • Et le ciel m'est rendu, Inédits, Éditions Bruno Doucey 2022

Anthologies

  • Poèmes choisis 1949-1950, Éditions Sylvain Chiffoleau, Nantes, 1950)
  • Comme un oiseau dans la tête, poèmes choisis de René Guy Cadou, préface inédite de Philippe Delerm, édition établie par Jean-François Jacques et Alain Germain, Éditions Points, 2011.

Œuvre complète

  • Poésie, la vie entière, éditions Seghers, 1976, rééd.2001 : intégralité de l'œuvre poétique de René Guy Cadou, avec une préface de Michel Manoll
  • Poésie la vie entière est disponible sur KOBO : https://www.kobo.com/fr/fr/ebook/poesie-la-vie-entiere [archive]

Prose

  • Mon enfance est à tout le monde, Éditions Jean Munier.
  • La Maison d'été, son unique roman, a été publié pour la première fois en 1955 par les Nouvelles éditions Debresse et réédité par la suite au Castor Astral.
  • Testament d'Apollinaire, René Debresse Éditeur, Paris, 1945)
  • Guillaume Apollinaire ou l'artilleur de Metz, Éditions Sylvain Chiffoleau, Nantes, 1948)
    Il s'agit de deux essais sur la vie et l'œuvre de Guillaume Apollinaire.
  • Monts et Merveilles, Nouvelles fraîches, avant-propos de Philippe Delerm. Éditions du Rocher, 1997.
    Ce recueil contient cinq nouvelles inédites : Le Blé de mai, Liarn, A la poursuite de la mer, La Prairie, Les Pas dans le ciel.

Radio

En 1949 et 1950, René Guy Cadou a également fait des émissions radiophoniques sur différents écrivains : Max Jacob, Saint-Pol-Roux, Guillaume Apollinaire (1949), Tristan Corbière, Robert Desnos (1950). Sa dernière émission, le , est consacrée à Nantes, cité d'Orphée.

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