1

Chronique du veilleur (46) : Paul de Roux

Il faut lire et relire Paul de Roux. « Je n'écris pas pour m'apporter des réponses mais pour être un peu moins mort par les questions que je me pose. », écrit-il en 1991 dans un de ses carnets.

Oui, ce sont des questions sans cesse reprises que les 5 volumes de carnets, les livres de poèmes, nous font entendre sur le ton inimitable d'une âme inquiète, sensible aux moindres variations de temps, aux froissements des feuillages, aux effleurements de la lumière. « Que cherchez-vous, ô mes inquiets  / battements de cœur ? » La réponse n'est qu'une nouvelle question, discrète, « entre deux mots » :

Tous les pas dans la rue
 pour les battements de cœur que l'on n'entend pas
-peut-être les aveugles entendent-ils avec les pas
de surprenantes expressions de ces passants inconnus
que nous non plus nous ne voyons pas
-assis à nos tables, buvant du thé, du vin
et de temps à autre, sur l'asphalte, un pas
fait reposer la tasse, le verre plus doucement peut-être
avec un silence entre deux mots.

 

 

Nul doute : Paul de Roux est le poète de l'impondérable, d'une solitude fragile, sensible à la voix presque inaudible de la terre, des heures de crépuscule, avec cette « lumière mouillée » qui semble les sertir miraculeusement, les rapprocher des peintures tant aimées du poète. Paul de Roux est un contemplatif toujours en alerte, « un homme perclus d'hésitations ». Mais ces hésitations se traduisent, et peut-être se conjurent, en des poèmes d'un long murmure, souvent d'une phrase unique.

Paul de Roux, Les Pas, Le Silence qui roule, 16 euros.

 

 Et leur chant s'insinue en nous, avec le sentiment que le tragique de cette vie bouge doucement sous la surface, parfois grise et dure, des saisons et des heures.

Ce nuage qui passait, il n'attendait pas
que tu sortes du bureau pour que tu lui accordes
un regard attentif, et les mains de cet homme
qui frémissaient sur la table bientôt seraient rigides
-tu ne pourrais les saisir qu'en vain, ces mains
qui n'avaient pas peut-être besoin d'être serrées
mais de s'ouvrir pour te remettre un gage
-le nuage n'avait pas besoin de toi, mais toi
tu aurais eu besoin de retrouver la ville
avec des yeux rafraîchis par un nuage.

Une toile impressionniste, peut-être, continuellement tissée, sans couture, allant des notes de journal intime aux poèmes composés avec un sens de la pure harmonie... Il faut tout lire, autant dire aller à la rencontre d'un poète qui se retrancha peu à peu, par la maladie, de notre monde, avant de le quitter tout à fait en 2016. Il faut saluer la réédition de ce livre par Le Silence qui roule. Et partir à la découverte de tous les autres livres ! Le poème se pose sur la page comme un pétale de rose, délicat, translucide, prêt à s'échapper, « au milieu de la journée », et c'est merveille.

 

Soudain, au milieu de la journée
la lumière baisse, et jusqu'au point où indistincts
et fantasmagoriques les objets se confondent
et cette lumière si basse est jaune, comme soufrée
bien que venue d'un ciel où les nuages, du gris au bleuté
ne laissent à leur lisière qu'une roseur infime
-elle semble plus livide ainsi que le serait toute blancheur
et tout ce ciel sur la ville forme une grande rose :
la rose de l'orage qui ne veut pas distendre ses pétales
puis insensiblement l'ardoise des toits se raie :
il pleut et aucune goutte n'est perceptible encore.