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Chroniques du bel aujourd’hui (2),

 

L’hystérie progressiste et l’intolérance qu’elle révèle fait de nos écrivains et de nos intellectuels de la cohésion sociale (Annie Ernaux n’évoque t’elle pas la cohésion sociale dans sa lettre pétition contre Richard Millet ?) des juges redoutables. Cette hystérie intimide et culpabilise. Après avoir arrachée Dieu à la proximité de l’homme, elle fonctionne par exclusion.

Ainsi s’achève l’histoire spirituelle de l’Occident, toujours plus ouvertement contre le christianisme.

De Marcel Schwob, j’aime lire ceci : Ce sont des voix blanches qui nous ont appelés dans la nuit. Elles appelaient tous les petits enfants. Elles étaient comme les voix des oiseaux morts pendant l’hiver (La Croisade des enfants).

Ces voix blanches, ces voix d’oiseaux morts sont les brûlures insomniaques de la solitude la plus profonde – la nôtre – elles sont des taches de lèpre qui attendent la fin de toute chose mais aussi l’éclat de la Révélation. Elles sont au centre de cette narration polyphonique qui mêle huit monologues. Des voix s’élèvent, appellent et ne s’entendent toujours pas. Dans ce bref récit, le blanc de la parole dévoile une absence ontologique, et plus terrible encore, l’absence de Dieu. N’est-ce pas, dans cette Croisade des enfants, le pape Grégoire IX qui demande un signe au Seigneur avant d’exprimer un doute radical ?

Je suis le plus vieux de tous les vicaires que le Seigneur a placés ici-bas, et je commence seulement à comprendre. Dieu ne se manifeste point. Est-ce qu’il assista son Fils au jardin des Oliviers ? Ne l’abandonna-t-il pas dans son angoisse suprême ? O folie puérile que d’invoquer son secours ! Tout mal et toute épreuve ne résident qu’en nous.

Les hommes ne sont jamais condamnés par Dieu, ils se condamnent eux-mêmes et il y a bien un savoir biblique de la violence comme l’a démontré, d’un livre à l’autre, René Girard. L’inversion du rapport d’innocence et de culpabilité entre victimes et bourreaux est la pierre d’angle de l’inspiration du Livre. Le Dieu unique n’est-il pas celui qui reproche aux hommes leurs crimes et qui donne la parole à ceux qui les subissent ? Le Christ, en s’offrant comme victime innocente à la terreur du sacrifice, dénoue le mécanisme même de toute société, basée, faut-il le rappeler, sur un crime commis en commun. Le Christ résiste à la contagion agressive, au grégarisme monstrueux du lynchage dionysiaque, si bien que toute démarche sacrificielle, même et surtout retournée contre soi-même, ne correspond pas à l’esprit évangélique. Le « se sacrifier » pourrait camoufler, derrière un alibi « chrétien », des formes d’esclavage suscitées par le désir mimétique (René Girard).

C’est contre leur propre sang circulant que les hommes sont aux aguets, contre leur propre vie qu’ils se mettent à l’affût, dans la résolution maniaque de se nier et de nier l’autre, de pourrir le don de l’existence et de le changer en lacune. Tout pouvoir ne vit que de ceux qui s’y résignent, toute parole qui n’est pas d’amour demeure dans la nuit. Quelle serait l’échappée belle ? Celle qui piétine les intrigues de ce monde, celle qui brave les usages et quitte le tombeau par le beau, celle enfin qui méprise les hantises, les sottises, l’exil de tous les signes.

Une parole qui parle est une parole qui prend corps dans la vie de celui qui l’entend et l’accomplit.

 

Si la seule mesure qui nous est proposée est une mesure humaine – et mondaine – l’existence n’est-elle pas vouée à l’échec ? Une existence sans Dieu, réduite à une objectivité quantifiable, est forcément mortelle. Juifs et chrétiens ne se fixent pas en terre. Ils s’engouffrent dans l’ouverture que le retrait de Dieu rend possible. Tout paganisme est une impuissance radicale de sortie du monde. Athée est une métonymie pour ignorant (Benny Lévy).

 

C’est la joie du Christ et son mépris pour la mort (cette mort à laquelle le chrétien ne croit pas) qui nous effraient. Nous avons perdu notre innocence et gagné l’angoisse. L’innocence ne connait pas de limite au possible.

L’arbitraire divin : aucun principe, aucune raison, aucune loi ne le domine. Sa liberté est illimitée, sa solitude aussi :

Il est amour et miséricorde et cependant il doit se contenter de contempler, glacé d’horreur, les abominations qui se déroulent sous ses yeux (Chestov).

L’aphonie spirituelle de notre époque est une forme nouvelle de l’acedia. Elle est un assèchement et une lourdeur que reflète l’écran de la webosphère. Ces écrans ne déversent plus que des gargouillements colorés. Nous sommes dans un bourbier avec lequel le dégoût (de soi et des autres) fait de notre quotidien une réclusion. L’absence de tâches et de métiers (de métiers liés à la terre et à l’outil) annule tout gain spirituel. Jean Starobinski rappelle, dans L’Encre de la mélancolie (Seuil), que ce n’était nullement le profit économique du travail qui importait aux Pères de l’Eglise, mais sa valeur spirituelle et thérapeutique.

L’homme moderne, doté d’une profession (et conscient de l’inutilité de cette profession), ne peut pas se soustraire à l’ennui et au temps vide des loisirs. Les spectacles et les agitations festives lui sont désormais imposés de force. Dans le monde confusionnel (ce que les progressistes appellent la « cohésion sociale ») qui est le nôtre, le mal socialisé nous déracine. L’industrie de l’oubli (l’oubli du savoir faire, l’oubli des saisons, l’oubli de Dieu) ne repose que sur une nécessité marchande monstrueuse et indéfiniment extensible.

Thomas Stearns Eliot se définissait ainsi : Classique en littérature, royaliste en politique, anglo-catholique en religion. Je ne connais pas de meilleure définition.

Un excellent livre publié par Mark Anspach, disciple de René Girard : Œdipe mimétique (L’Herne), nous éclaire sur le spectacle électoral que nous avons vécu. Souvenons-nous, il y a la peste à Thèbes, Œdipe et Tirésias sont frères dans la haine. La claudication d’Œdipe, dont le nom même signifie « pied enflé » fait consensus dans l’irrespect et la moquerie.

Et pourtant, malgré ses propres aveux dignes d’un procès stalinien, Œdipe est innocent, de la peste bien sûr et même, c’est fort probable, du parricide incestueux.

Dans une communauté prise de panique (prenons la France d’aujourd’hui), un individu, appelons-le Œdipe/Sarkozy, a toutes les chances d’être choisi comme victime. Car les hommes aux opinions les plus variés réagissent à des désastres de toutes sortes en lynchant, réellement ou symboliquement, un individu soudain haïssable et tenu pour coupable.

Œdipe/Sarkozy a été jugé, à tort ou à raison, comme le roi de la faillite, voué lui aussi à être sacrifié lorsque tout autre expédient a échoué. Dans la pièce de Sophocle, Œdipe enfant est abandonné dès sa naissance parce qu’une malédiction le voue à un destin criminel.

Coupable multi-usages, et dès son origine familiale, Sarkozy l’est aussi. Son nom de rastaquouère d’abord… Sarközy de Nagy-Bosca, son grand-père d’origine juive – tout cela fait désordre pour la France moisie, celle de l’antisémitisme et de l’antichristianisme -  et puis, né dans une catégorie sociale méprisée par les élites, il s’est lui-même conformé, durant un laps de temps très court, à l’image négative que les médias lui ont renvoyée. L’image d’un président bling-bling, d’un nouveau riche forcément vulgaire, à collé à la peau de Sarko comme le sparadrap aux doigts du capitaine Haddock.

Préjugé tenace : notre roi est coupable d’avance : pas assez énarque et paraît-il inculte. Aux yeux aveugles de la doxa, Sarkozy devient l’incarnation du désastre dont il faut purger la communauté nationale. N’a-t-il pas été, et depuis toujours, grimé lamentablement en nabot nazi ?

Dans la farce qui commence, le pharmakos (le double du roi) est joué par François Hollande, voilà d’ailleurs un nom qui sent bon l’Europe fleurie et conviviale. Ce souverain de carnaval, plongé déjà en plein vaudeville sentimental, souhaite inverser les hiérarchies sociales et lever les interdits sexuels (le mariage gay notamment). En s’agitant comme le font les arlequins de foire, Hollande souhaite vendre des cravates tricolores aux phoques que nous sommes.

Que les esclaves prennent la place du maître, au moins le temps d’un meeting !

Quant au destin du pays, pour garder sa puissance d’attraction, il doit demeurer obscur, oblique dans sa mise en scène programmée et gavée de « moraline ».

Mais la fête terminée, le contre roi lui aussi sera expulsé car dans nos démocraties les Œdipe sont toujours des boucs émissaires réussis.

On les croit, à tort, coupables de ce dont on les accuse.

Les voix encombrées de reproches, Merleau-Ponty les nommait des ténèbres bourrées d’organe.

Dieu à Adam : Où es-tu ? C’est la même question que pose l’homme ne trouvant pas, auprès de lui, l’être aimé.

Le mort est un maitre absolu et la peur de la mort fait de nous des esclaves.