1

Cinq rondeaux de la naissance

 

1.

 

Les mots ne sont pas des fleurs
pourtant ils savent fleurir !
Chatoiement intérieur
remugle ou verte fragrance
grenu léger sous l’index
soupçon d’amer sous la langue
allegro ou monodie
— c’est éclosion du tréfonds !

 

Très droite poussée d’iris
senteur mêlée du bosquet —
elles ont des yeux pour boire
le jour toutes ces pensées —
vrai, les mots savent fleurir !

 

Miroitement sans pourquoi
basse continue ou strettes
surpiquées brodant l’alto —
les mots ne sont pas des signes :
ils fleurissent pour fleurir.

 

 

2.

 

Souffle, vol du matin
et jeunesse du monde —
aime le vent vivant
qui apporte à ton front
en toute fraîche aigrette
une ampleur d’horizon.
 

Lourd d’un seul grain de sable
ou d’une goutte d’eau
le chant tout en naissance
n’obère rien encore —
c’est jeunesse du monde.

 

Glosant aile sur aile
le silence s’essore
en plumeuse harmonie —
souffle, vol du matin !

 

 

 

3.

 

Poète, beau naisseur de paroles,
choisis bien tes prestes ouvriers :
à l’œuvre dans la stupeur des choses
ils éveilleront splendeur de mots
et superbe de lys en croissance !

 

Qu’ils veuillent pourtant inachever
— suspens de flamme dans le plein vent —
veiller à n’en point vouloir finir
ces ouvriers prestes et bien choisis !

 

Que ton verbe demeure semence
navette tissant sens et silence —
invente la sente avec le pas
et le bruit qui toujours va devant
poète, beau naisseur de paroles !

 

 

4.

 

Ce si peu de bruit naissant
au frôlement d’ailes chaudes
nous dit le jeu des oiseaux
s’apiégeant à nos aîtres
— auvents, greniers et croisées —.

 

Aérant notre séjour
voltes et jets de rémiges
empiètent sur nos marges
en frôlement d’ailes chaudes.

 

Tout ce qui pèse y délite
une poussière si lente
et grain à grain esseulée
qu’il nous fait souffle et musique —
ce si peu de bruit naissant.

 

 

5.

 

 

                                            sur un alexandrin isolé de Jean-Joseph Rabearivelo

 

Humbles plantes sans nom dont fleurir est la faim
vous défiez nos mains alertes et profondes
— famine rassasie apte à pétrir le monde
tout en creusant ressauts sans pâte ni levain —
que la faim demeure notre pain quotidien !

 

Naître, croître, fleurir c’est nourrir son idée
l’emplir et compléter en crescendo exact
quêtant toujours l’accord et le plus juste tact
dans la partition où court la voix des gènes
— que cette faim reste pour nous quotidienne !

 

Vivace contrepoint à la nuit de la fin
— comme si mourir se disait d’abord mûrir —
l’homme en l’œuvre de ses mains se porte à la cime
registre à sa hauteur sans autre nom que vivre
— vois la fleur ivre et sobre dont fleurir est la fin !

 

     

                                                                                  (2010)