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Collection anniversaire des 40 ans de Cheyne, 2020

Tania Tchénio, Pop-corn

Le livre commence ainsi :

On m’a proposé d’écrire un texte sur grandir… Quand on me passe commande d’un texte…

Et cette commande anniversaire a précédé de peu une bonne nouvelle :

Quelques heures avant de remettre ce texte, j’ai appris ton existence. Ta minuscule existence. Tu étais là depuis quelques jours, petit paquet d’atomes. Tu commençais à grandir silencieusement. évidemment, ça a tout changé.

L’écho, La perspective.

Ce texte, tu viens l’habiter.

Tania Tchénio, Pop corn, Cheyne éditeur, 64 pages, 12 €.

Et voilà le lecteur embarqué dans cette aventure chuchotée. La fabrication d’un être humain. L’émergence d’un Tu inconnu et si présent déjà.

 

Je te parle.
Tu es dans le cosmos.

Je suis ta chambre noire.
Tu fais ce qui échappe
et je te laisse faire.

 Cosmonaute nu
tu joues avec le temps
comme on joue à l’élastique.

 

Un texte ici nous est donné : une perle rare sur ce thème. À mettre aux yeux et au coeur de tous les jeunes parents en gestation.

Puis on arrive à Pop-corn, le texte initial et on se retrouve à la naissance d’une étoile, en plein cosmos. Magique !

 

Grandir…
projeter son corps
dans toutes les directions

 

S’enraciner, grandir à l’intérieur de la terre, en soi. Grandir vers le ciel. Toucher à l’horizon. Grandir, devenir adulte. Tenter de garder l’enfance en soi. Évoluer, comme les strates du temps. Toute une méditation autour de ce mot. Une méditation qui devient expérimentation personnelle et en double.

Un livre rare. Une pépite.

 

Jean-Marie Barnaud, Allant pour aller

 

 

Une autre pépite. Le chaud murmure de Jean-Marie Barnaud. Ça commence avec un poème sur l’origine du poème :

les premiers mots
viennent d’un coeur absent
peut-être d’une grande infortune
ou d’une clarté insoupçonnée
et l’on se tient fébrile
au bord de soi

Forêts Mers Ciels de nuit
Foules :
On saisit au vol
ces espaces rêvés
croyant saluer l’étrangeté
qu’on sent guetter
aux marges

Mais très vite on est pauvre
devant
ce qui vient
qui appelle
et se dérobe

Ce matin
j’entends à deux cents mètres de ma feuille
la basse rumeur d’un engin de chantier….

Ici à la table
le travail ne fait aucun bruit
Seul le soleil
qui tend la main par la fenêtre
collabore

quelques mots
qui ne mentiraient pas
quels mots sans trafic
ouverts à tous
offriraient au poème
un abri
où déposer un temps
son cœur fugace
ses mains déliés

 

 

Toujours cette écoute chez Barnaud, cette recherche : où se cache le poème ? Comment le dire ? Avec quels mots, pauvres outils ? Toujours cet affût à la table de travail… Ça continue avec le tout proche et cette interrogation lancinante autour de la vieillesse.

 

Dire maintenant lassitude
pour fatigue

 

La vieillesse, non celle du monde, mais celle du poète, de l’homme et sa perception  qui s’effrange comme si le monde s’éloignait de ses yeux…

C’est le temps d’une vie qui se cherche encore

 

Une vie, un espace et un temps.

 

Une brise monte maintenant d’en bas
Elle apporte une voix de femme qui appelle
et dit mon nom
Cette voix traverse l’espace clair
elle est elle-même un paysage
où se rassemblent tant d’années
dont elle
qui demeure
dénoue les fils

 

Barnaud et son sens de la formule :

 

De l’instant qui vient
Capter la jeunesse
s’en faire une lumière
et la porter plus loin

 

Deuxième partie du livre : jours de vertige, on embarque à bord de son voilier. Jean-Marie Barnaud, capitaine au gré des vents.

 

allant pour aller
sans autre fin que la mer elle-même
toute mouvante
et traversée d’écume
Jouant à suivre ses formes
à consentir à sa puissance
si fort entrés en elle-même
et soulevés
que nous étions sa passion
et sa joie

 

 

 

Puis le vent du désert vient couvrir de sable ocre la table du jardin, les neiges du haut pays. L’homme n’est que passage et poussière. Ce sont les jours de vertige, ceux de la perte, ceux dont s’absente les partis sans retour. La vie et sa fugacité. Encore un thème qui traverse tous les livres de Jean-Marie Barnaud. Ce murmure tenace.

Troisième partie : Passages...

Joyeux et docile, et courant à sa perte, le sable coule par toutes les jointures entre les doigts d’un poing fermé. Puis la main s’ouvre. La paume lisse le sol, en efface les rides et palpe la chaleur.

Jean-Marie Barnaud, Allant pour
aller, Cheyne éditeur, 12 €.

 

On l’a compris, j’ai aimé ce livre et si je ne suis pas totalement objectif (j’aime tous les livres de Barnaud) je vous invite à le découvrir.

 

Loïc Demey, La leçon de sourire ‘Ûdissa

 

 

Une embuscade. Une fuite. On hésite entre fiction ou imaginaire ; dans les deux cas on est en prise avec l’actualité, avec la vie de centaines d’êtres humains, avec ce combat, ce désir d’enjamber les frontières. De vivre, tout simplement.

 

Ziad Ferzat, fis de Sadik Ferzat et de Nadjah Shahrour… Ils savent que je dois partir si je veux grandir, partout où je passe on ne fait que vieillir au roulement des bombes...Je suis venu ici pour m’en aller…

 

On suit ainsi le récit du voyage de Ziad. De page en page, de lieu en lieu, de rencontre en rencontre. Jusqu’à l’incroyable… En dire plus serait gâcher la lecture.

Loïc Demey, La leçon de sourire ‘Ûdissa, Cheyne éditeur, 2020, 12 .

 

 

Clara Molloy, Grandirs

 

 

L’image la plus surprenante qui me vient à l’esprit lorsque je repense à mon frète Georges, c’est celle de cet après-midi dans l’appartement de mes parents à Paris.

 

Première phrase de ce livre. On a en main un récit qui va devenir poignant sur ce frère Georges. La narratrice a neuf ans, Georges en a 32 ; il est hospitalisé à l’hopital St Anne. Il est malade. Le récit accompagne le temps ; la narratrice grandit, le frère vieillit. On les suit jusqu’à la fin.

Un récit grave sur un thème difficile.

Clara Molloy, Grandirs, Cheyne éditeur, 12 €.

 

Albane Gellé, L’au-delà de nos âges

 

Venus de loin
nous choisissons de faire halte,
navigation interrompue,
bon gré, mal gré,
pour une vie où le soleil
se lève à l’Est.

Nous séjournons,
droit d’asile,
dans la nuit d’une femme,
l’eau gargouille, un cœur trotte
sans relâche nous percevons
le début d’un vacarme
il s’en passe dans le monde.

 

 

Une succession de courts poèmes qui évoquent l’un après l’autre les moments d’une vie. De la conception à la mort. De l’embryon à la petite enfance. De l’enfance à l’adolescence. Puis les moments d’une vie adulte… jusqu’à la vieillesse.

Des étapes dit-on parfois ; une succession de jours et les temps du corps, les temps de l’âme. Les sentiments, les émotions…

une vie humaine, simplement. En quelques pages.

Une réussite.

Albane Gellé, L'Au-delà de nos âges,
Cheyne éditeur, 59 pages, 12 €.

Matière quittée
nous reprenons le cours de la navigation
délestés de nos âges
et du poids de nos corps
nous sommes ici, et au-delà,
nous nous souvenons :
de tout.