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Contre le simulacre. Enquête sur l’état de l’esprit poétique contemporain en France. Réponses de Christophe Dauphin

 

 

1)    Recours au Poème affirme l’idée d’une poésie conçue comme action politique et méta-poétique révolutionnaire : et vous ? (vous pouvez, naturellement, ne pas être en accord avec nous, ou à être d’accord dans un sens diamétralement opposé au nôtre)

            N’oublions pas la leçon de vie exemplaire de Benjamin Péret, qui, bien que militant politique, n’en fut pas moins avant tout un poète (et quel poète !), qui a toujours dénoncé la récupération du poétique par le politique. Je pense, tout comme Péret, que le poète n’a pas à désarmer les esprits en leur insufflant une confiance sans limite en un père ou un chef, contre qui toute critique devient sacrilège. Bien au contraire, c’est au poète de prononcer les paroles toujours sacrilèges et les blasphèmes permanents. Le poète doit d’abord prendre conscience de sa nature et de sa place dans le monde et combattre sans relâche les dieux paralysants acharnés à maintenir l’homme dans sa servitude à l’égard des puissances sociales et de la divinité qui se complètent mutuellement. Le poète combat pour que l’homme atteigne une connaissance à jamais perfectible de lui-même et de l’univers. Il ne s’ensuit pas qu’il désire mettre la poésie au service d’une action politique, même révolutionnaire. Mais sa qualité de poète en fait un révolutionnaire qui doit combattre sur tous les terrains : celui de la poésie par les moyens propres à celle-ci et sur le terrain de l’action sociale sans jamais confondre les deux champs d’action sous peine de rétablir la confusion qu’il s’agit de dissiper et, par suite, de cesser d’être poète, c’est-à-dire révolutionnaire.

             

2)    « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Cette affirmation de Hölderlin parait-elle d’actualité ?

            Sans doute la poésie - qui est, comme l’a écrit Guy Chambelland : équilibre rayonnant de notre angoissante condition humaine - ne nous sauvera-t-elle jamais entièrement de nos contingences ; mais elle nous remplit de ce sentiment indéracinable que, quels que soient les murs qui nous cernent aujourd’hui, on peut de nouveau demain être libre. Qui ne fait cet acte de foi, qui ne réfute la malédiction, fût-elle réelle, est indigne du nom de poète.

 

3)    « Vous pouvez vivre trois jours sans pain ; – sans poésie, jamais ; et ceux d’entre vous qui disent le contraire se trompent : ils ne se connaissent pas ». Placez-vous la poésie à la hauteur de cette pensée de Baudelaire ?

            La poésie est inséparable d’une certaine essence de l’homme ; et c’est en cela qu’elle existe partout, puisque l’homme, dont elle est la plus impalpable mais la plus profonde substance, la porte en lui avec sa solitude et son amour, la laisse derrière lui partout où il passe, puisqu’elle préside partout où il va par le seul pouvoir de ses yeux.

 

4)    Dans Préface, texte communément connu sous le titre La leçon de poésie, Léo Ferré chante : « La poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe (...) A l'école de la poésie, on n'apprend pas. ON SE BAT ! ». Rampez-vous, ou vous battez-vous ?

            Là où toutes les dimensions humaines ne sont pas brassées par elle ; la poésie ne signifie rien, elle rampe, et il est absurde de lui accorder la moindre importance, dès lors que l’émotion ne constitue pas son passeport pour l’absolu. Pour le poète, il n’existe pas un espace sans combat, ni cri. Mais, à bout portant : l’émotion, le langage, le mot coup de tête. L’important, c’est d’ouvrir en soi le plus de portes possibles et d’aller loin dans ce que l’on cache d’habitude. Mais il est primordial d’être à l’écoute d’une pulsion exempte de toute fabrication et trucage. Tant pis si ces portes qu’on se risque à ouvrir (dans l’interdit ?) vous en ferment d’autres : il s’agit de rendre le tréfonds de l’individu. La forme qui vaut toutes les formes s’adapte à la mort comme aux grincements de plaisir profond d’un corps écartelé – et niant l’impossibilité d’être. 

 

5)    Une question double, pour terminer : Pourquoi des poètes (Heidegger) ?  En prolongement de la belle phrase (détournée) de Bernanos : la poésie, pour quoi faire ?

            Le poète n’a pas la prétention d’être un guide de l’humanité. Mais il refuse de se dégager, en tant que poète, des communes responsabilités humaines. Il lutte contre l’avilissement du langage, mais il n’oublie jamais de confronter sa parole aux conditions normales de l’existence. Son idéal est celui d’une poésie qui aide tous les hommes à vivre, aujourd’hui et demain.

 

De Christophe Dauphin, chez Recours au Poème éditeurs :

Lucie Delarue-Mardrus. La princesse Amande.