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Contre le simulacre. Enquête sur l’état de l’esprit poétique contemporain en France. Réponses de Philippe Beck

 

 

1)    Recours au Poème affirme l’idée d’une poésie conçue comme action politique et méta-poétique révolutionnaire : et vous ? (nous vous « autorisons » à ne pas être en accord avec nous, ou à être d’accord dans un sens diamétralement opposé au nôtre)

Je voudrais être d’accord, mais « action politique méta-poétique révolutionnaire » peut dire bien des choses. Ce qui m’intrigue le plus est l’idée d’une action révolutionnaire sur le poème, si le « méta-poétique » désigne un effet de la politique sur la poésie. Le cercle vicieux est le suivant : en inquiétant et reposant aussi les manières de dire (de penser), la poésie peut révolutionner (renverser) les dispositions humaines (la disponibilité à dire-penser et faire), mais ce qui rend possible un tel effet du poème sur les êtres, c’est l’action politique. Or, si la force des poèmes réels dépend de la politique qui la conditionne, alors ils sont privés de force propre. Il est préférable qu’une poésie ne dépende pas d’une politique préalable. La force politique exploratoire du poème en langue (certains continuent de la dire prophétique) exclut que ce poème dépende d’une politique déjà explorée, d’une administration des manières d’être et de parler. C’est une façon de vous dire que tout poème est futur ; il refait le politique sans remplacer la politique.

 

2)    « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Cette affirmation de Hölderlin parait-elle d’actualité ?

Oui, mais là où croît « ce qui sauve », le péril croît aussi... Le « salut par le poème » est bien dangereux, et certains « révolutionnaires » d’aujourd’hui (ils le sont au moins en théorie) font du poète le prototype du tyran... C’est leur façon de masquer le danger de la figure du philosophe-roi (ou du sauveur-philosophe)...

 

3)    « Vous pouvez vivre trois jours sans pain ; – sans poésie, jamais ; et ceux d’entre vous qui disent le contraire se trompent : ils ne se connaissent pas ». Placez-vous la poésie à la hauteur de cette pensée de Baudelaire ?

Baudelaire peut dire cela, parce que l’idée du poème, c’est l’idée d’une pensée en langue. Or, aucun être humain ne peut mettre un pied devant l’autre, et déjà se lever le matin, sans formuler un peu son élan, et ses nécessités de faire et d’agir : il doit les penser en rythme. (Une phrase sans rythme ne donne aucun élan.) L’idée de la rigueur vivante ou du sentiment des nécessités de vivre est égale à l’idée de la poésie. Un être qui se coupe de l’idée de la poésie se coupe de la nécessité de vivre, de penser sa vie en langue. Après tout, la langue est l’élément de toutes nos décisions : l’air même de nos déterminations.

 

4)    Dans Préface, texte communément connu sous le titre La leçon de poésie, Léo Ferré chante : « La poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe (...) A l'école de la poésie, on n'apprend pas. ON SE BAT ! ». Rampez-vous, ou vous battez-vous ?

Non seulement nous rampons, mais tout a commencé dans la reptation : la danse même est d’abord une danse de reptile, un élan à terre. Nous évoluons au ras du sol. Le chant est rampant.

 

5)    Une question double, pour terminer : Pourquoi des poètes (Heidegger) ?  En prolongement de la belle phrase (détournée) de Bernanos : la poésie, pour quoi faire ?

Cf. 1) et 3).