1

Contre le simulacre : réponses de François Perche

 

 

1)    Recours au Poème affirme l’idée d’une poésie conçue comme action politique et méta-poétique révolutionnaire : et vous ? (vous pouvez, naturellement, ne pas être en accord avec nous, ou à être d’accord dans un sens diamétralement opposé au nôtre)

Le poète écrit à l’abri de la page blanche, il prend le pouvoir sur les mots. Il n’est pas à l’écart de lui-même. Il est lui-même dans sa poésie. Jusqu’à la limite.

La poésie brûle. Elle est faite de feu. Elle est braise qui ne devient jamais cendre. 

Parfois le poète s’ouvre au monde, parfois il est habité par un sentiment de révolte. La révolte et la lutte inspirent la démarche poétique et artistique. Il peut pousser l’ivresse des mots jusqu’à  l’ivresse révolutionnaire.

Mais la révolution uniquement par les mots me paraît illusoire. Je ne pense pas que la poésie puisse démolir et recréer un monde.

La contestation poétique doit se rapprocher de la contestation politique, si elle veut être efficace. Comme par exemple le mouvement Dada à Berlin, en prise avec un véritable souffle révolutionnaire.

Celui de Munich, par contre, se concentre uniquement sur le désir de destruction, sans engagement révolutionnaire.

De même les surréalistes. Ils apparaissent comme un groupe de petits bourgeois, affiliés au parti communiste stalinien d’alors, qui veulent briser les carcans artistiques sans développer aucune critique sociale, mais uniquement celle de la religion, du conformisme, de l’ordre moral. Ils privilégient les incantations verbales au détriment des analyses politiques et sociales. Leurs œuvres, poésie, peinture, cinéma, deviennent des marchandises, et sont récupérées par l’industrie culturelle.

Ce qui n’enlève rien à la valeur de leurs œuvres, évidemment. Mais peut-on parler de mouvement révolutionnaire ?

Le poète ne peut pas se séparer du social s’il veut transformer le monde, s’il veut essayer de donner un autre sens à la vie.

On travaille en solitaire, certes, mais il ne faut pas oublier les autres. « Mon corps est fait du bruit des autres. » Antoine Vitez.

 

 

2)   « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Cette affirmation de Hölderlin paraît-elle d’actualité ?

Écrire est un acte laborieux, brûlant. Si lire c’est se laisser porter par le courant d’un fleuve, écrire c’est le remonter. Rechercher quelque chose qui voudrait naître, le sortir du sillon qu’on a finalement réussi à tracer, et l’intégrer dans ses mots. Avec prudence. La poésie est tellement fragile.

Pour écrire, il faut simuler sa mort. Il faut se laisser tuer par le livre en chantier. La résurrection arrive avec le point final. S’abandonner à ses mots dans un simulacre de mise à mort.

Mais est-on sauvé ?

 

3)     « Vous pouvez vivre trois jours sans pain ; – sans poésie, jamais ; et ceux d’entre vous qui disent le contraire se trompent : ils ne se connaissent pas ». Placez-vous la poésie à la hauteur de cette pensée de Baudelaire ?

La poésie est le vivre, aussi bien que l’origine.

Je retrouve tout au fond de moi les mots d’où je sors.

C’est ma respiration.

La poésie est la seule porte de sortie. La seule issue possible.

 

 

4)    Dans Préface, texte communément connu sous le titre La leçon de poésie, Léo Ferré chante : « La poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe (...) A l'école de la poésie, on n'apprend pas. ON SE BAT ! ». Rampez-vous, ou vous battez-vous ?

« À quoi sert d’écrire ? à ne pas vivre mort. » Pascal Quignard.

Écrire la poésie est une bataille qui ne peut finir. C’est une évidence. Il ne peut en être autrement. Si on ne se bat pas, la mort n’est pas loin. Il faut continuer. Il faut souffrir. Jusqu’au bout.

Un poète, avec ses moyens de poète, se doit de coller à la vie, de descendre et de demeurer dans l’arène.

Un combat à mener. Près des hommes. Avec les hommes.

« Ceux qui vivent sont ceux qui luttent », disait Hugo.

 

5)    Une question double, pour terminer : Pourquoi des poètes (Heidegger) ?  En prolongement de la belle phrase (détournée) de Bernanos : la poésie, pour quoi faire ?

À vingt ans, à la parution de ses Odes, Victor Hugo avait affirmé que « tout écrivain, dans quelque sphère que s’exerce son esprit, doit avoir pour objet principal d’être utile. » Et dans la préface de ce même ouvrage, il écrit « Le domaine de la poésie est illimité. »

Baudelaire :

« C’est une grande destinée que celle de la poésie ! Joyeuse ou lamentable, elle porte toujours en soi le divin caractère utopique. Elle contredit sans cesse le fait, à peine de ne plus être. Dans le cachot, elle se fait révolte ; à la fenêtre de l’hôpital, elle est ardente espérance de guérison ; dans la mansarde déchirée et malpropre, elle se pare comme une fée du luxe et de l’élégance ; non seulement elle constate mais elle répare. Partout elle se fait négation de l’iniquité. »

Que dire de plus ?