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Courts métrages, de JJ Nuel

 

Histoires courtes, contes décalés créent la poésie particulière des 80 textes expéditifs de « Courts métrages ». Cette série de vignettes à remonter le temps (depuis – grosso-modo – le début des années 60) prouve qu’il n’y a pas que les Chinois à rire jaune. Au sein de saynètes en raccourcis l’auteur retient des faits qui, le plus souvent et comme nos vies, sont voués au rebut. Sous le jeu, la légèreté, le poète nous rappelle à notre pesanteur en transformant notre quotidien en spectacle. Le référent réel en nous faisant esclaffer est ramené implicitement dans le champ de notre mémoire. Par infiltration s’établit une dialectique dont émergent des décalages, des suites métaphoriques et parfois oniriques.

Sous les images « sans qualité » de Nuel la nature humaine prend un sens particulier et participe au caractère énigmatique de l’œuvre moins anecdotique qu’il n’y paraît. L’auteur replonge dans le réel mais selon des modalités divergentes. Surgit une confrontation de points de vue. Ils s’articulent à la fois sur de l’artifice et sur du concret. Le premier devient l’architecture du second au sein d’une approche  qu’on définira comme faussement exacte, imaginairement rigoureuse. Une telle approche donne l’image d’une vaste et dérisoire comédie humaine au sein de laquelle la poésie est considérée selon une double polarité : la volonté de maîtrise du réel, mais aussi l’aire de réception où s’engouffre tout l’inconscient de l’individu et du collectif.

Sans cesse intéressé dans son travail par les oppositions, Nuel en ses « courts métrages » crée un film lent où tout est en mouvement, un film expédié où tout semble immobile. L’enregistrement des divers moments  intrigue par le traitement  amusé. Il prouve que pour le poète comme pour nous une idée ne peut exister sans son contraire. Tout se joue dans l’oxygène d’une telle écriture mais aussi son azote. Ce mélange crée le dévoilement de ce qui sans Nuel ne nous appartiendrait pas de connaître. L’auteur permet à sa manière facétieuse d’être plus au dedans du réel que dehors. En cette écriture particulière il s’agit de tenter de trouver l'équilibre entre l'ellipse - tournée vers le silence - et l'énoncé complexe - tourné vers la parole, entre le corps de l'être et celui du monde. Le premier peut alors glisser tel un oiseau palmé sur le second.