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Cravate-la la mouquère

 

Lorsque j’étais enfant j’avais un oncle boucher
Il habitait en Bretagne dans un joli village
Les beaux dimanches d’été l’oncle nous emmenait à la plage
Dans sa rouge bétaillère à claire-voie
Mon frère les cousines tous les enfants du voisinage
Et moi mon Dieu quel émoi
La bétaillère sentait l’urine la bouse de vache
Le pipi de veau la crotte brune
De porc mélangés à la paille jaune
Il n’y avait pas d’agneau pas de loup non plus
Pas de chèvre énamourée pas de Monsieur Seguin
Mon oncle boucher dans ta bétaillère
Seulement les enfants
L’oncle à l’avant conduisait en silence les yeux fixés sur le chemin
sablonneux montueux rocailleux qui serpentait au creux des dunes
Mais les enfants n’en avaient cure
Du loup-garou et de l’agneau pascal
Et de l’odeur de pisse et de caca des bêtes
Car l’air parfumé de la plage au loin était si fort si fort
De varech sec de ciel mal fini et de bécots d’embruns
de sel bleuâtre nuage gris soleil nuage blanc
et rochers gris comme des sarraus
De brouillard et de pluie parfois aussi
Dans la bétaillère tandis que l’oncle conduisait on chantait
nous autres à l’arrière 
Cravate-la la mouquère !
Allez savoir pourquoi qui comprend
Le cœur des enfants
C’est Trabaja la mujer bien entendu
Que l’on chantait c’est entendu
Parfois les jours de la semaine l’oncle m’emmenait à l’abattoir
pour y voir tuer les petits veaux sans mère
les vaches les porcs toute la couvée
Et une fois la jument
Sans son poulain avec tout son sang
Qui rigolait sur le ciment
Oh ! la belle la grande rivière toute rose
De diamant brut dégorgeant
Moi qui faisais silence
Et je ne chantais plus