Danielle Helme, Temps Modifié
OLIVIER MESSIAEN
Le réveil des oiseaux au lac de Laffrey
Dès cinq heures,
Une foule d’oiseaux
Donne un récital, intitulé
Le réveil des oiseaux.
Chaque matin
Tu enregistres
Quand un oiseau soliste se lance
Dans de grandes improvisations,
Entrecroisées avec d’autres chants
Brefs et codés.
Une atmosphère à déguster sans bruit,
Accompagnée d’un concert
En rossignol majeur.
Une buse donne de grands coups d’éventail
En atterrissant.
Un corbeau surveille
En criant des insultes stridentes.
Dès cinq heures
Les oiseaux sont les maîtres du son,
De jeunes mâles dragueurs sifflent
De longues tirades impertinentes,
Tandis que des femelles faire-valoir
Leur renvoient trois notes en riant.
Tu enregistres
L’onomatopée du loriot.
Ton oreille
Retiendra
Le rire du pic-vert.
Ecoutons l’inépuisable quatuor
Pour fin du temps
Inoubliable
Dans l’église saint Théoffray
Où la présence de Messiaen est palpable.
*
LE TILLEUL REMARQUABLE
Trépidation de la terre
Craquements titanesques,
L’arbre de la fraternité
Patrimoine naturel,
Ce phare si célèbre dans le quartier
S’affaisse
Catapulté, arraché.
Alors là, c’est fantastique
Toutes ses racines en l’air, l’humus,
Les bactéries qui sont dans les intestins
De l’arbre depuis trois cents ans.
J’ai cinquante ans de souvenirs,
Enfant je grimpais jusqu’à la fourche de l’arbre.
Les images défilent,
Les repas sous le feuillage,
Le feu avec du bois mort,
Mélangé à un peu de genévrier,
Le goût sauvage de la viande
Planté d’une brindille de mélèze
Collante de résine.
Ce tilleul remarquable,
J’en connais chaque branche horizontale,
Le bruissement des ramures du feuillage
Et comment ça se propage
D’un bout de rameau à l’autre,
En souplesse, au moindre souffle.
Comment ça se transmet
Simultanément,
Et comment, lorsqu’on est en-dessous,
On bénéficie d’une bouffée
D’un air renouvelé
Les soirs de canicule.
*
L’AUTRE DIMENSION
Le magnétisme des lieux m’attire
Devant celle que j’appelle la demeure,
Et qui demeure de siècle en siècle.
Je ressens fortement la présence
Des anciens, les disparus qui ne sont
Ni chez les vivants, ni chez les morts.
J’entre dans une autre dimension
Où la mémoire de mes aïeux vibre
Dans une sorte d’effet de réverbération
Qui transperce ces murs imprégnés
De leur présence.
Bien ancrée dans la réalité,
La demeure garde la mémoire.
A la façon des arbres de la propriété,
Plusieurs fois centenaires,
Avec des racines égales à l’envergure
Des branches horizontales étalées
Et des ramifications verticalement dressées.
Les gens du bourg perçoivent également
L’autre dimension de ce refuge
Maître du temps
Qui les ignore.
*
SOUVENIRS PULVERISES
Depuis ta mort
Se télescopent
Des fragments de souvenirs informes,
Des débris de souvenirs
Disloqués, désassortis.
Je suis étonnée de m’apercevoir
Qu’une seule image immobile m’obsède,
Le père est jeune, l’allure décidée
Dans un pull à pied-de-poule
Bleu marine et gris.
En ce moment,
Je n’ai pas d’antivirus, de pare-feu,
Simultanément se précipitent, se dispersent,
Se détruisent des souvenirs.
Ils sont tous pulvérisés,
Je suis incapable d’en attraper un entier
Au vol.
Je ressens l’éclatement
De tout ce que j’ai vécu avec lui,
Comme des particules que je n’arrive
Pas à arrêter et qui remontent.
Je suis dans l’impossibilité de formuler
Mes sentiments avec des paroles.
Seules les sonorités de la musique
Ont un sens.
*
VERT VERONESE
J’avance dans un temps sourd et muet,
Le ciel absorbe les cris des oiseaux,
Le soleil n’éclaire rien,
Persiste une stabilité de mauvais temps.
Vient la perfection de la géométrie
Fractale des fougères
Viennent les bourgeons
D’un vert Véronèse si cher à Van Gogh.
Un renard roux détale au quart de tour,
Sans un cri, il disparaît.
Longtemps après
Le passage fulgurant de l’animal
Et des vibrations dans les bourgeons,
Je reste sous l’emprise de sa présence.
La Combe, Asperjoc